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Après la conférence sur l’environnement et le développement (sommet de la Terre) à Rio

de Janeiro en 1992 sous l’égide de l’ONU, certaines politiques économiques ont été remises
en cause au profit d’autres qui tiennent compte des exigences environnementales et des
contraintes naturelles et économiques. Ces politiques se basent sur l’analyse de l’impact de la
conservation d’énergie sur la croissance économique à court et à long terme. Pour cela, nous
nous intéressons d’abord à la relation qui lie la consommation des énergies non renouvelables
à la croissance économique. Ensuite, nous focalisons notre étude sur les effets des émissions
du CO2 sur la croissance économique. Enfin, nous étudions la relation qui lie la
consommation des énergies renouvelables à la croissance économique.

Consommation des énergies non renouvelables et croissance économique : une


relation controversée

Les crises de l'énergie (1973, 1979-1980), étaient à l’origine de nombreux travaux empiriques
(Erol et Yu, 1987; Masih et Masih, 1996; Asafu-Adjaye, 2000; Morimoto et Hope, 2004; Lee,
2006; Lee et Chang 2007) portant sur la relation entre la consommation d'énergie et la
croissance économique. En dépit de l’importance de cette relation, cette dernière a toujours
été controversée puisque la causalité peut fonctionner dans les deux sens. Cette controverse
s’explique par les particularités institutionnelles, politiques et économiques de chaque pays.
Elle peut être expliquée également par les différences méthodologiques. En effet, Masih et
Masih (1998), AsafuAdjaye (2000), Fatai et al. (2004) et Oh et Lee (2004) ont traité cette
relation sous l’angle de la fonction de demande d’énergie dont les principales variables sont
l'énergie, le PIB et le prix de l'énergie, mesuré par l'indice des prix à la consommation. Par
contre, Yu et Choi (1985), Masih et Masih (1996), Glasure et Lee (1998), Yang (2000),
Soytas et Sari (2003), Shiu et Lam (2004), Paul et Bhattacharya (2004), Morimoto et Hope
(2004), Lee et Chang (2008) ont traité la relation qui lie la consommation d’énergie et la
croissance économique sons l’angle de la fonction de production globale. Ils considèrent
l’énergie comme étant un facteur de production en même titre que les deux autres facteurs à
savoir le capital et le travail. L’inclusion de la consommation d’énergie dans la fonction de
production est expliquée aussi bien par sa nécessité et sa rareté. Dans ce cadre, les premiers
travaux empiriques sont ceux de Stern (1993 et 2000) qui en travaillant sur les États-Unis,
suggère d’évaluer la production à partir de l'énergie productive, du stock de capital et du
travail. Il considère que le processus de production ne peut se réaliser qu’en présence d’une
quantité d’énergie bien déterminée. Dans cette même ligne d’idée, Pokrovski (2003)
considère que l’énergie est un facteur de production au même titre que la main d’œuvre. C’est
aussi l’exemple de Ghali et El-Sakka (2004) qui ont intégré l’énergie dans la fonction de
production afin d’étudier la relation liant la croissance économique aux différents facteurs de
production. Par ailleurs, l’énergie n’est pas uniquement considérée comme étant de l’imput
permettant la création de la valeur mais aussi des emplois supplémentaires ce qui permet de
transformer la matière première en capital (Thompson 2006). En outre, la controverse porte
sur le sens et le type de la causalité entre la croissance économique et la consommation
d’énergie. Certains travaux utilisent le modèle de production de Chang et Lee (2008) afin de
déterminer le sens de la causalité.

L’analyse de la causalité a fait l’objet de plusieurs études (Yoo 2006) qui utilisent des
approches diverses. On distingue celles qui défendent la causalité unidirectionnelle. Ainsi
allant de la consommation d’énergie à la croissance du PIB, la causalité signifie qu’une
faible consommation d’énergie conduit à une baisse de la croissance économique, ce qui
a une signification de politique économique. Une déficience dans l'approvisionnement
d'énergie peut avoir des conséquences néfastes sur la croissance (Masih et Masih, 1998). La
causalité unidirectionnelle allant de la croissance économique vers la consommation
d’énergie implique qu’une politique de réduction de la consommation d’énergie peut avoir un
impact faible sur la croissance économique (Jumbe, 2004). En effet, Kraft et Kraft (1978),
dans une analyse de l'économie américaine entre 1947 et 1974, ont été les premiers à mettre
en évidence l'existence d'une causalité unidirectionnelle qui montre qu'aux États-Unis, c'est le
produit national brut qui détermine la consommation d'énergie. Ce résultat implique que les
politiques d'économie d'énergie mises en œuvre n’affectent pas la croissance du produit
national brut. Ainsi, dans ce cas de figure, une politique d'économie d'énergie peut être menée
sans détériorer la dynamique économique. Cependant, il faut mentionner que l’effet des
politiques énergétiques sur la croissance du revenu dépend de la période choisie. Akarca et
Long (1980) n'ont pu obtenir des résultats similaires à ceux trouvés par Kraft et Kraft (1978),
ce qui montre que la période choisie peut influencer les résultats (instabilité temporelle).
L’absence de causalité dans l'une ou l'autre direction a été soutenue par plusieurs auteurs (Yu
et Choi, 1985). Elle traduit la neutralité des politiques d’économie d’énergie vis-à-vis du
revenu.

Par ailleurs, la causalité bidirectionnelle traduit le fait que la croissance économique demande
beaucoup de consommation d’énergie et qu’une grande consommation d’énergie stimule la
croissance économique. Ainsi, la consommation d’énergie et la croissance du PIB sont des
compléments. Cette hypothèse implique qu’une politique d’économie d’énergie affecte la
croissance économique.

Or la causalité entre la consommation d’énergie et le PIB peut être appréhendé à court ou à


long terme. Masih et Masih (1996) utilisent le test de causalité standard de Granger afin
d’étudier la cointégration entre la consommation d'énergie et le revenu pour les Etats-Unis sur
la période 1974-1990. Ils ont abouti à l'absence de relation de long terme entre ces deux
variables. Par contre, Glasure et Lee (1997) ; Asafu-Adjaye (2000) ont essayé d'évaluer cette
relation causale pour des pays en voie de développement ; ils ont abouti à des résultats
opposés.

Par conséquent, les résultats de l’étude de la relation liant consommation d’énergie au PIB
sont très varies. Cependant, la tendance générale est le cas de figure où la consommation
d'énergie détermine la croissance.

Emission du CO2 et croissance économique : portée de la courbe de Kuznets

La relation entre l’émission du CO2 et la croissance économique peut être traitée dans le
cadre de l'hypothèse de la courbe de Kuznets environnementale (CKE). Cette hypothèse est
apparue dans les travaux de Grossman et Krueger (1991) et dans les études de Shafïk et
Bandyonadhyay (1992) et Panayotou (1993). Elle stipule qu'il existe une relation en U
inversé entre la dégradation de l'environnement et le revenu par tête. En effet, au début de la
phase de croissance, la pollution et la dégradation environnementale vont croître ; puis, au-
delà d'un certain niveau de revenu par tête, l'expansion économique prend de plus en plus en
considération la qualité de l’environnement ce qui encourage l'utilisation des technologies
plus propres. La relation en U inversé qu’illustre la CKE traduit trois effets que peut avoir le
développement économique sur l’environnement. Il s’agit de l'effet d'échelle, de composition
et de technique (Grossman et Krueger 1991).

L'effet d'échelle mesuré par le taux de croissance de la production totale de l’économie si la


technologie et la structure de la production restent inchangées. Selon cet effet, une
augmentation de la production s'accompagne d'un accroissement du niveau de pollution.
Ainsi, la croissance économique et synonyme d’une pollution de l'environnement. L'effet de
composition mesuré par le taux de croissance de la part du secteur (i) de l’économie qui
reflète l’évolution de la structure productive de l’économie. Selon cet effet, si l'économie
évolue vers une structure productive plus propre le niveau de pollution baisse. Quant à l'effet
technique, il est mesuré par le taux de croissance de la quantité d’émissions par unité de bien
produit. Ainsi, si les techniques de production deviennent plus propres les émissions
polluantes par unité monétaire de production diminuent ce qui réduit la pollution globale.

Dans la partie croissante de la CKE, l'effet d'échelle et de composition dominent l'effet


technique. Deux éléments peuvent expliquer cette relation. D’une part, le caractère public des
ressources naturelles et la qualité environnementale conduisent les agents à sous-estimer le
coût individuel de leurs décisions. Ce comportement entraîne une utilisation des ressources et
une pollution supérieures à la situation optimale. Ce résultat s’accentue dans les pays en
développement car les droits de propriété n’y sont pas bien définis. D’autre part, l’expansion
économique dans la première phase peut être expliquée par un changement de la structure
productive. Pour un pays en développement, ce changement s’accompagne souvent par un
accroissement du secteur secondaire qui est plus polluant et par un processus urbanisation
rapide souvent anarchique. Ainsi, au début du processus de développement, la pollution
s’aggrave. Par contre, la phase décroissante de la CKE correspond au cas des pays
développés. Ces pays ont déjà atteint un certain niveau de revenu par habitant, l’effet de
composition et l’effet technique l’emportent sur l’effet d’échelle. En effet, la tertiarisation de
la production et le progrès technique de l’économie permettent de réduire l’intensité polluante
de tous les secteurs (Stern 2003). D’autres auteurs (Dasgupta et al. 2001) expliquent la
réduction de la pollution dans les pays développés par le pouvoir de l’action collective des
citoyens et par la présence des institutions de qualité, pouvant mettre en œuvre des politiques
réglementaires en faveur de l'environnement. Par contre ce qui intéresse en premier lieu les
pays en développement est la satisfaction de leurs besoins élémentaires. Par conséquent, ils ne
peuvent pas prendre en compte les conséquences environnementales dans leurs décisions. De
plus et à l’encontre des pays développés, les institutions de réglementation environnementale
sont peu développées. En outre, les droits de propriété sur les ressources naturelles sont mal
définis ou que les coûts de transaction qui y sont liés sont élevés ce qui facilite la
surexploitation de ces ressources. Cependant, une fois que les besoins élémentaires sont
satisfaits, les agents économiques, dans ces pays, prennent en considération la valeur réelle
de l'environnement dans leur décision de consommation (Beckerman 1992).

Critiques adressées à la courbe CKE : caractère déterministe, unidirectionnel et réversible

La principale critique adressée à cette courbe est liée à son caractère optimiste et déterministe.
En effet, elle suggère que la pollution se réduit au fur et à mesure que les pays pauvres se
développent. Cette théorie suggère que l'existence de la CKE provient de la spécialisation des
pays développés et en développement suite au processus de la division internationale du
travail et de la mondialisation commerciale. Les pays en développement qui ont une politique
environnementale laxiste se sont spécialisés dans les industries polluantes. Certains d’entre
eux sont devenus des « havres de pollution » (Birdsall et Wheeler, 1992). De plus, la
critique adressée à la courbe CKE porte sur la volonté des pays riches à augmenter la
production dans des secteurs polluants suite à l’augmentation de la demande des biens de ces
secteurs et à la décroissance des rendements dans la dépollution (De Bruyn et al. 1998,
Meunié 2004).

Les critiques adressées à la CKE portent aussi sur la nature de l’articulation entre le niveau du
développement et la réduction de la pollution. En effet, il existe un seuil au-delà duquel
l’utilisation du progrès technique serait trop coûteuse (épuisement du potentiel du progrès
technique). C’est l’hypothèse de « recouplage » soutenue par plusieurs auteurs (Meunié 2004)
qui considèrent que la forme U renversé de la courbe CKE n’est pas définitive et qu’elle doit
au contraire prendre la forme d'un N.

Les critiques adressées à la CKE portent également sur le caractère uni-directionnelle de la


relation qui lie l'économie à l'environnement. Cette relation qui traduit le lien de causalité
entre la croissance et la dégradation environnementale nie l'effet de retour (feedback) des
dommages environnementaux (la dégradation de la qualité de l'air et ses conséquences sur la
santé de l’individu et sur les décès prématurés) sur la croissance économique (Arrow et al
1995, Stern 1998 et 2003, Dasgupta et Màler 2003). Cette relation suppose aussi que les
conséquences négatives sur l'environnement sont réversibles (Dasgupta et Màler 2003). Or,
l’environnement une fois détérioré, on ne peut plus retourner à l’ancien équilibre (Arrow et al.
1995). En d’autres termes, la réduction de la pollution ne permettra pas de retrouver la
situation environnementale initiale. Par conséquent l’effet de retour (CO2 vers croissance) et
l’irréversibilité (croissance économique et CO2) est au centre de la relation bidirectionnelle
entre l’émission du CO2 et la croissance économique.

Energie renouvelable et croissance économique : relation bidirectionnelle de


court et de long terme

Les politiques d’encouragement de l’utilisation des énergies renouvelables, s’appuient sur des
analyses de la relation liant la consommation d’énergie à la croissance économique. Dans ce
cadre,Pablo del Rio (2007) montre que l'accès à l'énergie renouvelables peut avoir un impact
socio-économique positif. Il considère que la consommation d’énergie renouvelable permet
la création d’emplois et du revenu. Jacobson (2007) montre que la relation qui peut exister
entre la consommation d’énergie renouvelable et la croissance économique est indirecte. En
effet, en étudiant les
impacts sociaux de l'électrification rurale par panneau solaires photovoltaïques au Kenya, il
montre que ces panneaux qui profitent à la classe moyenne ont pu augmenter
la création d'activités productives. Il montre qu’ils ont permis en outre
l'expansion de l'utilisation du téléviseur qui a joué un rôle important dans l’augmentation de
la demande des biens de consommation. Dans cette même ligne d’idée, Lund (1999) montre
qu’en Danemark, la subvention de l'énergie renouvelable augmente l'emploi, la consommation
et le revenu. Chontanawat et al (2008) ont effectué le test de causalité de Granger sur des
données statistiques de 100 pays différents. Les résultats obtenus montrent que la relation de
causalité entre énergie et PNB est vraie pour 70% des pays de l'OCDE et pour
46% des pays non-OCDE.
Le sens de la relation entre la consommation des énergies renouvelables et la croissance
économique a suscité plusieurs études. Behname (2012) en travaillant sur des données de
l’Europe de l’Ouest montre qu’il y a une relation bidirectionnelle entre la consommation
d'énergie renouvelable et la croissance économique à court et à long terme. Apergis et Payne
(2010) en considérant la formation de capital, le PIB, le travail et la consommation de
l'énergie renouvelable pour les pays de l’OCDE ont trouvé une relation bidirectionnelle entre
la croissance économique et la consommation d'énergie renouvelable. Apergis et Payne en
travaillant sur 20 pays de l'OCDE (2010) puis sur 13 pays de l'Eurasie et sur 6 pays de
l'Amérique Centrale (2011) ont trouvé que la relation entre la consommation d'énergie et la
croissance économique est bidirectionnelle.
Ainsi, la relation entre la consommation de l’énergie renouvelable et la croissance
économique peut être directe ou indirecte, bidirectionnelle, de court et de long terme.

La relation entre la consommation d’énergie et la croissance du PIB a fait l’objet de


plusieurs études empiriques qui utilisent souvent l’approche bi-variée (les études
avec seulement deux variables : consommation d’énergie et PIB réel) dans l’analyse
des séries temporelles portant sur des données de panel. Rare sont les études qui
adoptent une approche multi variée. Par ailleurs, Mehara (2007) reconnait quatre
générations d’approches méthodologiques. La première génération est
composée des études basées sur la méthode VAR et sur le test de causalité de Granger.
En effet, Kraft et Kraft (1978) constatent qu’il y a une causalité unidirectionnelle
allant du PIB à la consommation d’énergie. Cette causalité unidirectionnelle a été
confirmée par Masih et Masih (1997) pour la Taïwan et la Corée. La deuxième et la
troisième génération appliquent les tests de racine unitaire et de coïntégration sur les
séries temporelles. La quatrième génération utilise les tests de racine unitaire et de
coïntégration basés sur les données de panel. Nous nous situons dans le cadre de
l’approche multi-varié, car le cadre bi-varié (seules les variables, la consommation
d’énergie et le PIB) peut entraîner des problèmes de biais (Masih et Masih (1997,
1998). De plus, nous traitons le problème de la linéarité. En effet, Asafu-Adjaye
(2000), Glasure (2002), Narayan et Smyth (2009)) ont montré que si on ne tient
pas compte de la stationnarité peut fausser conduire les conclusions sur les relations
entre les variables. De même, nous n’avons pas utilisé les modèles VAR qui sont
seulement capables d'identifier les relations de court. Au contraire, nous avons opté
pour un modèle à correction d’erreurs (MCE) qui nous permet de distinguer les
relations de causalité, de court et de long terme, entre les variables (Oh et Lee, 2004).
Nous nous proposons de travailler sur des données de panel qui nous fournissent
beaucoup plus d’informations que les séries temporelles après avoir appliqué les tests
de racines unitaires et de coïntégration sur ces données.

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