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NOMINATIONS

Susana Gállego Cuesta


à la tête du musée de Nancy
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CENTRES D'ART
Amboise va inaugurer
le Garage Dumagny
p.5

Mardi 7 mai 2019 - N° 1717

CUBA

Biennale de La Havane :
entre censure et audace
p.6

PAYS DE GALLES
Nouveau directeur
pour Artes Mundi
p.4

ALLEMAGNE
L'extrême-droite
récupère Gérôme
p.3

www.lequotidiendelart.com 2€
Mardi 7 mai 2019 - N°1717

CUBA

Biennale de La Havane :
entre censure et audace
Tania Candiani,
Del sonido de la labor.
2019, performance.
El Quitrín.
Courtesy Tania Candiani.

Résolument ancrée dans les réalités du tiers-monde, mais contrôlée de près par
le pouvoir, notamment par l’intermédiaire du décret-loi 349, la 13e édition de
la manifestation veut explorer la « construction du possible ».
Par Sara Alonso Gómez, Correspondance de La Havane

Lors de la dernière Biennale de Berlin, en 2018, la Sa biennale ne fait pas exception : depuis sa fondation
Fondation Rosa Luxemburg avait déployé, en 1984, elle propose un modèle alternatif, loin des
face au théâtre de la Volksbühne, l’affiche d’un formules rodées que l’on retrouve désormais aux
visage reconnaissable entre mille – celui de Che quatre coins du globe. La Biennale de La Havane est
Guevara – avec ce propos : « Soyez réalistes, demandez différente en ce qu’elle est résolument ancrée dans la
l’impossible. » Curieux télescopage, en cette année de réalité du tiers-monde et qu’elle aborde des
commémorations de Mai 68, qui avait préféré problématiques dont une exposition considérée
déposséder de cette formule les anonymes du Quartier comme pionnière en Europe – « Magiciens de la
latin pour la transférer vers l’Amérique latine, comme terre » (Paris, 1989) – ne s’était emparée que plus
si c’était là sa patrie naturelle, et l’attribuer – à tort – tard. S’imposer comme un pôle alternatif aux récits
au guérillero argentin dont Cuba avait fait son citoyen
d’honneur. Dans sa version caribéenne, même le
socialisme réel joue de ses charmes. Cuba alimente
La Biennale de La Havane
toujours les rêves d’un « Grand Dehors » qui se est différente en ce qu’elle
déroberait pour un temps encore aux homologations est résolument ancrée dans
mondialisées. la réalité du tiers-monde. /…

6/
Mardi 7 mai 2019 - N°1717

Mehdi-Georges Lahlou,
72 (vierges) en mouvement
et Aria,
2019, installation multimédia.
Museo de Arte Colonial.

Race, identité et nation


Préambule synthétique de la
Biennale, le musée des Beaux-
Arts propose une réflexion sur
des enjeux tels que la race,
l’héritage des plantations ou
Courtesy Mehdi-Georges Lahlou.

encore le rapport de l’identité à la


nation, à partir d’œuvres de la
collection, mais aussi de
nouvelles productions réalisées
par des artistes cubains de
différentes générations.
sur le monde – compte tenu des circonstances Dans leurs formes les plus variées, les œuvres figurant
économiques d’un pays qui reste soumis à l’embargo, au programme officiel (comme celles du couple franco-
l’ambition relevait de la gageure. Réalisme de béninois Laeila Adjovi et Loïc Hoquet à la Casa
l’impossible alors, comme semble le suggérer la phrase de Africa, la performance El sonido de la labor de la
attribuée au « Che » ? Les organisateurs ont certes pu Mexicaine Tania Candiani au Quitrín ou encore les
y faire écho, en plaçant cette dernière édition – qui se installations multimédia Southern Kaduna de l’artiste
clôture le 12 mai – sous le titre général de « La nigérian Ayò Akínwándé et 72 (vierges) en mouvement
construction du possible ». et Aria du Franco-Marocain Mehdi-Georges Lahlou)
tentent de cartographier cet espace des possibles à
Une véritable participation populaire construire.
Le premier constat, c’est qu’à Cuba, certaines choses
réputées impossibles ailleurs se matérialisent sous Off chez l’habitant
l’œil ébahi du spectateur ; tandis que d’autres, C’est dans le « off », souvent installé dans des maisons
d’apparence banales pour une partie du monde, privées, que l’on trouve des œuvres plus ambiguës – et
s’avèrent ici insurmontables. L’engagement d’environ parfois plus audacieuses par rapport à l’héritage
300 artistes et la participation populaire, graal de tant historique et politique cubain. L’installation El peso de
d’institutions artistiques, sont réellement au rendez- la explotación de Reynier Leyva Novo, où les rails de
vous à La Havane, mais aussi dans cinq autres l’industrie sucrière du XIXe siècle servent désormais
provinces. Son principe contribue en grande partie à de soutènement aux flux monétaires du marché
son succès : au lieu des pavillons nationaux qui international ; l’action provocatrice de María Claudia
continuent à déterminer l’organisation des grandes García à l’Arsenal Habana qui invite à l’invention d’un /…
biennales telles que Venise ou São Paulo, celle de La
Havane fait de la ville entière son terrain de jeu, créant
des complicités avec les quartiers respectifs, ce qui
explique sans doute en partie pourquoi la population
locale s’y implique avec un enthousiasme qui a fait son
renom. On s’étonne cependant, dans un pays aussi
centralisé, de ne trouver aucun catalogue ni site
Internet couvrant toutes les activités de la Biennale ;
le visiteur doit donc se lancer un peu à l’aveugle pour
découvrir un programme qui s’offre souvent de
manière subreptice.
Reynier Leyva Novo,
Atelier de l’artiste.

La Guerra de los Diez Años (1868-1878),


de la série « El peso de la explotación », 2019,
bois et monnaies de 1 peso cubain.

7/
Mardi 7 mai 2019 - N°1717

Alejandro González,
Sin título,
de la série « Memorias
del subsuelo »,
2001, photographie
argentique.
Galería Servando
Cabrera Moreno.

Corutesy Alejandro González.


nouveau drapeau national ; la performance
Inspector de Leandro Feal qui fait directement
Promulgué par le nouveau président,
écho aux développements politiques récents et, Miguel Díaz-Canel, le décret-loi 349,
plus généralement, celles réunies dans l’exposition qui encadre strictement le travail
collective « Máquina moderna » (curatée par Abel créatif et sa diffusion, a mis en émoi
González). Dans un autre genre, la série la scène culturelle.
« Memorias del subsuelo » d’Alejandro González,
parmi les plus réussies, fait apparaître l’injonction
paradoxale d’un discours officiel ayant érigé
l’insurrection en raison d’État.

Sous la menace du décret-loi 349


Le « off » n’échappe pourtant pas au contrôle des
autorités, pas plus que le « on », dont les œuvres Le premier quotidien
sont soumises à l’approbation directe du ministère numérique du monde de l’art 
de la Culture. Victime de son succès, la Biennale
le Quotidien du lundi au jeudi
tout entière est placée sous haute surveillance.
+ l’Hebdo chaque vendredi
Promulgué par le nouveau président, Miguel
Díaz-Canel, à son arrivée au pouvoir en 2018, le
décret-loi 349, qui encadre strictement le travail
créatif et sa diffusion, a mis en émoi la scène
culturelle. L’artiste Tania Bruguera a fini par
renoncer à sa participation, tandis que Luis
Manuel Otero Alcántara, qui avait annoncé son
projet « Biennale sans 349 », a été écroué pendant
une semaine la veille de l’inauguration. Le
potentiel de la scène artistique cubaine est
reconnu par un nombre croissant de galeries VOTRE ABONNEMENT ANNUEL
internationales, ce qui ouvre de nombreuses € €
opportunités, mais n’est pas sans risque pour un 250 155
POUR LES professionnels POUR LES particuliers
pays où les inégalités commencent à se creuser. (jusqu’à 5 accès)

Longtemps laboratoire d’expérimentations


nouvelles, la Biennale de La Havane n’est pas à ABONNEZ-VOUS SUR :
l’abri de futures tentatives de récupération. Le www.lequotidiendelart.com
possible est fait, l’impossible se dérobe. Pour les Pour toute question n’hésitez pas à nous contacter :
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miracles, prévoyez un délai.

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