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Richard Collasse, vous vivez au Japon depuis 1979 après avoir grandi entre la France
et le Maroc. Après avoir travaillé pour l’Ambassade de France, Akai et Givenchy, vous
êtes entrés chez Chanel KK en 1985 et en êtes devenu Président Directeur général
en 1995. Le secteur du luxe au Japon n’a donc plus grand secret pour vous, ni même
la vie des affaires de manière plus générale puisque vous avez parallèlement été
Président de la Section Japon des Conseillers du Commerce Extérieur de la France
(1996-1998), Président de la CCIFJ (1999-2001) puis Président de l’European
Business Council (EBC) depuis 2001. Dans le peu de temps libre qu’il vous reste vous
avez trouvé le moyen d’écrire « La Trace », roman ou plutôt voyage entre éducation
française et passion japonaise, passé et présent, réalité et fiction…. d’abord publié au
Japon fin 2006 où il a rencontré un immense succès (100.000 exemplaires) et qui
vient d’être publié aux éditions du Seuil en Mai 2007.
Les sujets potentiellement abordables avec vous sont donc aussi divers et riches que
l’est la clientèle de Chanel à travers le monde, et je vous propose de nous concentrer
sur deux points symboliques de votre vie professionnelle et personnelle japonaise :
- « passé, présent et futur de Chanel au Japon », cristallisés dans le magnifique
immeuble de Chanel Ginza, symbole de la quintessence du luxe au Japon
- votre expérience personnelle, ou trente ans au Japon vus par le plus japonais des
Français ou le plus français des Japonais, cristallisés dans « la Trace » (Seuil, 2007)
(présentation de l’émission «Un Jour, un Livre» diffusée sur France 3 le 26/07/2007)
Un autre tournant se trouve au début des années 90. Après que pendant les années
1980 le Japon - pour reprendre le titre de Pierre-Antoine Donnet - achetait le monde,
le gouvernement japonais s’est senti attaqué par l’Occident. Ses produits étaient trop
chers, et Chanel n’était pas en reste. Nous avons alors décidé de suivre le MITI et de
casser du jour au lendemain les prix de 50%, sans informer nos concurrents. Pour
les Japonais les produits de luxe étaient des hakuraihin, des produits venus de l’autre
côté de l’Océan donc nécessairement chers. Cela fonctionnait néanmoins, car avec le
boom les touristes japonais voyageaient de plus en plus et connaissaient nos
marques. Certaines marques comme Shiseido ne souhaitaient pas casser leurs prix,
mais nous avons trouvé un nouveau dynamisme de produits de luxe en les rendant
plus accessibles. Le point fort résidant alors dans la familiarisation de la
consommatrice avec les produits de luxe, il nous fallait sortir des grands magasins.
Ce fut possible avec l’éclatement de la bulle immobilière, qui nous a permis d’ouvrir
des magasins sur rue (street level) à partir des années 90, après toutefois Louis
Vuitton et Hermès qui nous avaient précédés dans cette dynamique. Il était alors
clair pour Chanel que nous devions être dans Ginza, décision qui fut suivie par la
longue attente nécessaire pour trouver puis acheter l’immeuble dont nous rêvions
sur l’artère principale de Ginza, où trône aujourd’hui Chanel Ginza.
La « main » est très présente dans la vidéo et symbolise l’esprit artisanal si cher à
Chanel, l’objectif étant de mettre dans l’immeuble l’âme de Chanel. Au cœur de cette
âme se trouve la notion de respect : respect de nos traditions, de nos clientes, de
Division Asie nos artisans, et une plaque de marbre orne l’entrée de l’immeuble avec le nom des
2000 ouvriers et artistes qui ont participé à sa construction. C’est cette osmose que
Chanel souhaite représenter autour du message que nos produits sont le résultat
d’un long apprentissage. C’est pourquoi nous aimons le Japon et les Japonais nous
aiment, car ils comprennent qu’il y a une âme dans les produits. Je pense même que
le fondement du luxe et de son succès au Japon c’est l’âme.
Mais il y a autre chose dans cet immeuble, car nous voulons que
ceux qui s’y rendent puissent également en profiter. Tout
est concentré autour de l’esprit Coco Chanel qui était un véritable
Pygmalion. Il nous a ainsi semblé naturel de créer le Nexus Hall,
salle de concert offrant aux jeunes artistes la possibilité de jouer
devant un public. Cinq jeunes musiciens sont ainsi sélectionnés
chaque année et ont la possibilité de jouer 50 concerts devant
des spectateurs, invités gracieusement. Cette approche hybride
présentant de jeunes artistes a d’abord dérouté les japonais,
mais ils y ont ensuite adhéré au point que nous recevons
aujourd’hui une forte demande des conservatoires qui nous
envoient leurs élèves les plus brillants. Le restaurant « BEIGE »
est un plus dans la même lignée. Le choix d’Alain Ducasse n’est
d’ailleurs pas un hasard, c’est un créateur qui utilise un langage
commun de respect de la tradition, de l’histoire et de l’art.
Le futur du luxe au Japon sera encore plus de luxe, encore plus de sophistication du
fait d’une intellectualisation des produits. Face à des comportements qui ont changé,
à l’évolution d’une population qui vieillit très vite, il nous faut trouver de nouveaux
moyens pour nous développer et pour être toujours en phase avec nos client(e)s.
Chanel a du succès – la marque est
leader pour le rouge à lèvre, le fond de
teint et le parfum et marque des points
en montres et en haute joaillerie –
mais nous souffrons néanmoins sur le
prêt-à-porter et les sacs, les prix étant
très élevés du fait du parti pris de Karl
Lagerfeld de faire toujours plus de luxe
et de qualité. Chanel a ainsi racheté 7
ateliers d’art « satellites » regroupées
dans Paraffection (Lesage, Massaro,
Lemarié, Michel, Desrues, Goosens….)
pour assurer la pérennité nécessaire au
maintien de notre qualité, mais aussi
des métiers d’artisanat qui font la
gloire de la France à travers le monde.
Division Asie de l’Association des Sciences Po
Cycle sur « le luxe en Asie » - conférence n°2 du 3 Juillet 2007
Séance de questions :
1) Jonathan SIBONI : Une Maison comme Chanel tire sa force de son héritage,
Division Asie d’une histoire ancienne, sinon intemporelle, qu’elle doit travailler en adéquation avec
le temps par essence court de la mode. Comment réussissez vous à trouver cet
équilibre entre continuité et nouveauté, tradition et modernité ?
Richard COLLASSE : Grâce à Karl Lagerfeld, qui aime à citer une phrase de Goethe
qui disait qu’il faut « faire un meilleur avenir avec les éléments du passé ». C’est ce
que voulait Coco et nous cherchons continuellement à nous réinventer sans renier
nos valeurs, à travers quantité de matières et de création. Notre slogan au Japon
résume bien notre volonté : «let Chanel surprise you!». Nous visons toujours à
surprendre nos consommatrices japonaises, comme au travers de méga shows.
3) Comment avez-vous fait pour ne pas avoir quitté le Japon depuis 25 ans ? Si vous
êtes demain nommé à Shanghai, irez-vous vous y installer ?
La réussite de Chanel au Japon et ailleurs est d’abord le résultat d’un travail d’équipe.
Nous avons aussi chez Chanel une culture de patron fortement implantée dans la
durée, souvent de 15 à 20 ans, et je pense enfin que le Japon est pour le groupe
Chanel comme le joyau de la couronne. Je suis bien au Japon et j’y resterai….
Puisque vous parlez de la Chine et que le Japon fait partie de l’Asie il y a un potentiel
en Chine mais nous n’avons pour le moment que deux ou trois boutiques. La Chine
avance et elle avance très vite, mais pas toujours dans le sens voulu par Chanel et
nous préférons prendre notre temps.
5) Comment est abordé l’aspect humain dans une Maison de luxe comme Chanel ?
On se pose actuellement chez Chanel des questions sur comment recruter et former
Division Asie du personnel répondant aux exigences et à la compréhension des consommatrices.
Le problème du personnel au Japon est lié au vieillissement de la population et à
l’équilibre d’un marché du luxe plutôt masstige (masse + prestige) que prestige.
Pour prolonger la réflexion vous pouvez lire La Trace, Richard Collasse, Seuil 2007 et sur
l’évolution du marché du luxe au Japon http://www.siboni.net/resources/Luxe+Japon.pdf