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Contributions

Pour une terminologie textuelle

Ce texte reprend de façon 1 Introduction de ressources terminologiques. Outre


synthétique le tutoriel donné à l’accroissement quantitatif de la

C
l’ouverture des troisièmes journées demande, l’un des impacts essentiels
Terminologie et intelligence artificielle. e texte constitue un de ces évolutions sur la pratique
Il présente l’analyse, faite par le résumé du tutoriel terminologique est l’élargissement
groupe TIA, des nouveaux enjeux donné à l’ouverture qualitatif considérable de la gamme
pratiques, théoriques et des troisièmes des produits à base terminologique
méthodologiques de la terminologie. journées nécessaires pour répondre à ces
Sur le plan pratique, l’accroissement Terminologie et besoins. À côté des bases de données
des besoins en terminologie dans les intelligence artificielle. Les points de terminologiques multilingues
entreprises et dans les institutions vue présentés sont le résultat de classiques pour l’aide à la traduction,
s’accompagne d’un élargissement discussions et réflexions menées on voit apparaître de nouvelles
qualitatif considérable de la gamme depuis plusieurs années au sein du
productions terminologiques adaptées
des produits à base terminologique groupe TIA, qui, compte tenu de la
aux nouvelles applications de la
nécessaires pour répondre à ces complémentarité disciplinaire de ses
besoins. Ces évolutions entraînent des membres et de leur expérience terminologie en entreprise :
changements en profondeur de la conjuguée dans le champ de la • Thésaurus pour les systèmes
pratique terminologique : l’activité de terminologie, est en mesure d’offrir d’indexation automatique;
construction d’une terminologie est une analyse suffisamment complète et • Index structurés pour les
désormais essentiellement une tâche équilibrée des nouveaux enjeux, documentations électroniques ;
d’analyse de corpus textuels. Ils pratiques, théoriques et • Terminologies de référence pour les
appellent du même coup à un méthodologiques, de la terminologie. systèmes d’aide à la rédaction;
renouvellement théorique de la Notons cependant qu’étant donné la • Référentiels terminologiques pour
terminologie: c’est dans le cadre nouveauté et la richesse qui sous- les systèmes de gestion de données
d’une linguistique textuelle que tendent cette nouvelle thématique, un techniques ;
doivent être posées les bases certain nombre de questions sont • Ontologie pour les mémoires
théoriques de la terminologie. toujours ouvertes et continuent d’être d’entreprise ou pour les systèmes
débattues au sein du groupe. d’aide à la décision;
Termes-clés : • Réseaux lexicaux spécialisés pour les
terminologie; théorie de la moteurs de recherche thématique sur
terminologie; terminologie textuelle; le Web ;
linguistique de corpus; 2 Applications de la • Glossaires de référence et liste de
ingénierie des connaissances. terminologie: état des lieux termes pour les outils de
communication interne et externe;
Les besoins en terminologie dans • Bases de connaissances
les entreprises et dans les institutions terminologiques pour la description
se multiplient. Suite à l’utilisation de corpus de référence ;
généralisée des outils de bureautique, • ...
à l’internationalisation des échanges, L’essor de ces applications
au développement d’Internet, la conduit à traiter, à l’aide d’outils, des
production de documents sous forme quantités de documents
électronique s’accélère sans cesse. Or considérables. Ce changement
pour produire, diffuser, rechercher et d’échelle met en évidence des
exploiter ces documents, les outils de phénomènes largement sous-estimés
gestion de l’information ont besoin jusqu’ici.

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C’est ainsi que s’impose le tâche d’analyse de corpus textuels. Il y aval par l’application (utilisation des
constat de la variabilité des a à cela deux raisons essentielles: descriptions ).
terminologies: étant donné un • Les applications de la terminologie L’expert doit être considéré
domaine d’activité, il n’y a pas UNE sont le plus souvent des applications comme un partenaire du linguiste
terminologie, qui représenterait LE textuelles ( traduction, indexation, terminologue, dans un travail de
savoir sur le domaine, mais autant de aide à la rédaction); la terminologie collaboration; il est sollicité pour
terminologies que d’applications dans doit « venir » des textes pour mieux y valider les descriptions construites par
lesquelles ces terminologies ont été « retourner ». C’est parce qu’elle n’est celui-ci.
utilisées. Ces terminologies diffèrent jamais déliée du texte qu’on parle de Le domaine doit être lié à une
quant aux unités retenues et à leur « terminologie textuelle». pratique, maîtrisée par une
description selon l’application visée. • C’est dans les textes produits ou communauté d’experts. Comme
Par ailleurs, la croissance utilisés par une communauté action ( instrumentalisation du savoir
terminologique, induite par la d’experts, que sont exprimées, et donc propre à la technique ), la pratique ne
prolifération en tous sens de accessibles, une bonne partie des procède pas de connaissances
connaissances, entraîne la nécessité de connaissances partagées de cette statiques, liées à des expressions
mises à jour permanentes si l’on veut communauté, c’est donc par là qu’il linguistiques bien stabilisées.
répondre aux besoins des utilisateurs. faut commencer l’analyse. Avant la tâche de description
Ce constat sur la variabilité L’expérience montre que lexicale, la constitution du corpus de
remet en cause le principe de l’hypothèse selon laquelle l’expert référence est une étape essentielle,
l’universalité des terminologies. d’un domaine serait le dépositaire prise en charge par le linguiste
L’expérience montre en effet qu’une d’un système conceptuel qu’il suffirait terminologue. Il s’agit pour lui de
terminologie élaborée pour une de mettre au jour est non productive. collecter et de caractériser un
La tâche d’analyse terminologique ensemble de textes jugés pertinents
application à un moment donné n’est
pour l’application visée.
jamais identique à celle construite vise alors avant tout la construction
Devant la masse des données à
pour une application différente. Ces d’une description des structures
analyser et les délais imposés, la tâche
limites fortes à la réutilisabilité lexicales à l’œuvre dans un corpus d’analyse de corpus ne peut être
n’excluent pas des relations textuel à partir d’une analyse réglée de envisagée qu’avec l’utilisation des
d’inclusion ou de chevauchements ce corpus. outils de la terminologie textuelle
partiels entre terminologies dédiées à Cette tâche ne peut être menée à ( concordanciers, extracteurs de
des applications différentes dans un bien par les experts ; la médiation candidats termes, extracteurs de
même domaine d’activité. d’un analyste ( linguiste terminologue, relations candidates, classifieurs, etc. ).
L’ensemble de ces constats cogniticien ) est nécessaire, en premier L’utilisation de ces différents outils
empiriques entraîne des changements lieu parce qu’on colle trop à ses doit être encadrée par une
en profondeur de la pratique propres usages langagiers; c’est le méthodologie précisant à quel stade
terminologique: l’activité de médiateur qui garantit la distance du processus et selon quelles
construction d’une terminologie est nécessaire à l’analyse. En second lieu, modalités il convient de les utiliser.
désormais essentiellement une tâche la pluralité des pratiques à l’intérieur
d’analyse de corpus textuels. Ils de ce que l’on a coutume d’appeler
appellent du même coup à un « domaine » induit des points de vue 4 Renouvellement
renouvellement théorique de la différents sur le lexique ( préférences,
terminologie: c’est dans le cadre rejets, désaccords sur la définition ) théorique
d’une linguistique textuelle que qu’il faut arbitrer. La division du
doivent être posées les bases travail linguistique à l’intérieur d’une Ces changements en profondeur
théoriques de la terminologie. entreprise requiert donc un de la pratique terminologique
médiateur, qui a en charge appellent un renouvellement
l’application. théorique.
3 Nouvelles pratiques Pour chaque unité choisie, Les propositions théoriques et
l’analyste construit une signification méthodologiques qui suivent ont des
terminologiques ( type ) à partir des sens ( occurrences ) bases empiriques ; elles sont issues
attestés dans le corpus. Dans cette d’une analyse des nouvelles pratiques
L’activité de construction d’une tâche, il est guidé en amont par le de la terminologie, et elles ont pour
terminologie devient avant tout une corpus ( spécificités lexicales ) et en ambition de les améliorer. Il ne s’agit

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donc pas de fonder un nouveau fonction de dénommer les concepts, La terminologie doit sortir d’une
dogme, mais de susciter des courants la terminologie classique privilégie les sémiotique du signe fondée sur la
de recherche variés dans le champ de noms. En s’éloignant de cette triade terme/concept/référent qui la
la linguistique, dont chacun pourra approche référentielle très limitative, rend inapte à aborder le texte. Cette
contribuer à cet objectif. on est en mesure d’accueillir les autres critique du réductionnisme référentiel
Proposition 1 : objet empirique catégories du discours ( verbes, est à l’ordre du jour en philosophie
d’une linguistique textuelle, le texte adjectifs, adverbes, prépositions, du langage. Les appels à desserrer
est le point de départ de la conjonctions ), ainsi que des unités l’étreinte des postulats logicistes nous
description lexicale à construire. On linguistiques plus ouvertes viennent de plusieurs côtés (Putnam,
va du texte vers le terme. Les bases ( syntagmes nominaux, verbaux, Auroux, Eco… ), le positivisme
théoriques de la terminologie doivent adjectivaux… ). logique qui a nourri la doctrine ayant
être ancrées dans une linguistique été remis en cause dès la fin des
textuelle. années 60.
Proposition 2 : le terme est un On peut constater par ailleurs
construit. Il est le produit d’un travail 5 Fin de la doctrine que les connaissances nouvelles sont
d’analyse, mené par le linguiste plutôt éphémères et partagées par des
terminologue, dont les choix sont Le virage méthodologique, rendu communautés restreintes au-delà
guidés par une double contrainte de nécessaire par le travail sur corpus, desquelles elles ne circulent pas. On
pertinence : crée une onde de choc qui ébranle les est loin de la conception idéalisée du
• Pertinence vis-à-vis du corpus. Il fondements de la doctrine domaine comme fragment de
s’agit de retenir et de décrire des wüsterienne, fortement référentielle connaissances bien structurées,
structures lexicales qui présentent des ( le mot comme étiquette du concept) permanentes et clairement
caractéristiques à la fois spécifiques et et taxinomique (primauté de la circonscrites.
stables. C’est à ce stade qu’intervient relation générique/spécifique ). On ne peut plus dire que la
la validation par l’expert. Il est illusoire de chercher à signification du terme est définie par
• Pertinence vis-à-vis de l’application. aménager la doctrine: le postulat la position du concept dans le
Les unités finalement retenues d’une signification conçue comme système conceptuel correspondant dès
doivent l’être en fonction de leur discrète ou discrétisable, objectivante lors que l’on met en doute la
utilité dans l’application visée, qui et permanente qui caractériserait le représentation métaphysique d’un
s’exprime en termes d’économie et terme a priori est antinomique avec système conceptuel préexistant
d’efficacité. La validation est à une terminologie textuelle. Les représentable par l’arbre du domaine.
chercher du côté des utilisateurs de reformulations théoriques Il est aussi illusoire de se
l’application. superficielles qui ont apparu ces soumettre au référent, y compris dans
La tâche de description lexicale les domaines techniques qui
dernières années sont vaines : la
est un travail de fixation, de manipulent des artefacts. La
stabilisation, d’homogénéisation notion de « phraséologie», en description d’un objet technique est
d’une signification, dont le résultat est particulier, ne peut sauver le postulat elle-même tributaire du point de vue
le terme. Il s’agit de construire un doctrinal du «terme » dans la mesure imposé par la spécialité de l’expert.
type ( une signification stable ) à partir où elle est un biais pragmatique pour C’est en bout de chaîne, en
des occurrences manifestées en texte. détourner la question du contexte et normalisant le terme, qu’on lui
C’est ainsi qu’on parle de de l’unité terminologique. prescrit une référence.
normalisation, non plus au sens que la Les termes ne sont pas des Dès que l’on abandonne
planification terminologique donne « unités de connaissances» qui l’approche logiciste du terme,
au mot, mais au sens où la viendraient « habiter la langue». La étroitement liée à une sémantique
communauté d’experts « entérine » des tâche d’analyse terminologique n’est véri-conditionnelle, on reconsidère le
signifiés comme des termes du donc pas un exercice de redécouverte statut de la définition qui cesse d’être
domaine. d’un système notionnel préexistant le résultat d’une procédure logique,
Le résultat de la description peut qui caractériserait le domaine. métalinguistique. La définition doit
se présenter sous des formes diverses : Les notions n’ont pas être cohérente avec les sens
réseau, liste, glossaire, etc. Il n’existe d’antériorité ou de priorité sur les contextuels ( avérés en corpus ) et
pas de format canonique. Les noms mots : la terminologisation est un pertinente vis-à-vis de l’application
ne sont pas les seules unités lexicales à processus parallèle à l’élaboration ( comme elle s’inscrit dans une
décrire. En attribuant au terme la conceptuelle. application, elle participe aux

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objectifs communicationnnels, elle ouverture pour la réflexion théorique


doit être « localisée » ). et méthodologique. Il va sans dire que
Antinomique d’une approche la question des procédures
étroitement onomasiologique, peau linguistiques présupposées par cette
de chagrin du linguistique, l’approche approche est à peine défrichée. Le
textuelle ouvre largement les portes à groupe TIA entend participer au
tous les acquis de l’analyse débat en pleine conscience de la
linguistique et textuelle (on dépasse complexité des enjeux théoriques et
ainsi la vision étroite des LSP ). pratiques.
L’approche textuelle est Il va également de soi que la
descriptive ( on analyse le linguistique ne peut couvrir à elle
fonctionnement d’unités lexicales en seule le processus complet de
corpus ) et non plus normative : les modélisation des connaissances; en
enjeux de la planification linguistique, fournissant la terminologie adéquate à
si légitimes soient-ils, sont dissociés l’application, le linguiste prépare le
du travail terminologique proprement travail de représentation conceptuelle,
dit. L’objectif premier de la mais il ne prend pas en charge la
terminologie classique était la tâche de modélisation des
normalisation des langages techniques connaissances qui aboutira à la
via la fixation a priori de la construction d’une ontologie. Le
signification des mots. Les textes réels relais est pris par l’ingénierie des
qui prolifèrent et circulent en tous connaissances. Le groupe TIA s’inscrit
sens, bousculant les frontières de dans la nécessaire coopération
domaines, remettent en cause ce interdisciplinaire entre linguistes et
projet de mise en ordre des termes a ingénieurs de la connaissance.
priori. Un tel programme de
Didier Bourigault,
régulation prescriptive est contredit Équipe de recherche en syntaxe
par le caractère fondamentalement et sémantique,
ouvert des textes et de leurs signes. Le CNRS,
constat de la plasticité du donné Université de Toulouse Le Mirail,
linguistique conduit à refonder une
« bonne pratique terminologique» sur Monique Slodzian,
le descriptif. Centre de recherche en ingénierie
multilingue,
Institut national des langues
Pour conclure et civilisations orientales,
Paris.
L’actualité de la question
terminologique au travers des
changements intervenus en termes
d’échelle et de rythme de production,
ainsi que l’ampleur des besoins,
appellent un renouveau théorique et
méthodologique. En permettant
d’aborder systématiquement l’étude
des pratiques textuelles réelles, la
linguistique de corpus, avec ses
techniques et ses outils, donne accès
aux expressions linguistiques
concrètes d’où il sera possible de faire
émerger, puis de normaliser les termes
pertinents. C’est une formidable

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