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BYZANCE ET LES ARABES: UNE LETTRE DE MUḤAMMAD IBN ṬUGJ AL-IḪŠĪD ÉMIR

D'ÉGYPTE A L'EMPEREUR ROMAIN LACAPÈNE


Author(s): M. Canard
Source: Byzantion, Vol. 11, No. 2 (1936), pp. 717-728
Published by: Peeters Publishers
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44168307
Accessed: 01-06-2019 21:32 UTC

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ĪL - BYZANCE ET LES ÁRABES

UNE LETTRE DE MUHAMMAD IBN TUGJ AL-IHŠĪD


• • W

ÉM
A L

M. Marius Canard, maître de conférences à la Faculté des let-


tres d'Alger, vient de publier un important mémoire sur une lettre
de l'Émir d'Ëgypte, Muhammad ibn Tugj al-Ihšīd, adressée à l'em-
pereur Romain Lacapéne.
Muhammad alors ibn Tugj al-Iļjšīd, gouverneur de Damas
à partir de 319-931, s'empara de l'Égypte dont il resta le maître
incontesté, depuis 935-936. Il combattit sés voisins musulmans
et perdit la Syrie du Nord, dont se rendit maître le Ham-
danide Saif al-Daula. Après cette perte, l'Ihšīd fut naturel-
lement l'ami des Byzantins. L'empereur fit d'ailleurs tout ce
qu'il put pour s'assurer la neutralité du plus puissant des états
musulmans, neutralité qui devait lui permettre de consolider ses
positions sur l'Euphrate (conquête de Melitene, en 934), de lutter
avec succès contre les Hamdanides, ainsi que de reconquérir la
Crète. Ainsi les relations amicales de Romain Lacapéne avec
l'émir d'Égypte sont une facteur essentiel de la politique byzan-
tine à cette époque. Dans ces conditions, le document publié par
M. Canard revêt une importance capitale. Chose qui ne paraîtra
pas singulière, le dit document était resté jusqu'à présent totale-
ment inconnu des byzantinistes. M. Canard s'est efforcé d'en éta-
blir exactement la date. Il s'appuie sur la mention d'un échange
de prisonniers qui eut lieu en 326 de l'hégire. Il estime que l'émir
d'Égypte reçut, en 936-937 la demande de Romain Lacapéne,
et qu'il y répondit la même année. La lettre de l'émir nous a été
conservée par Ibn Sa'îd. L'auteur nous dit d'abord que l'émir
avait reçu une lettre des habitants de la marche frontière, lettre
relative au rachat de prisoniers de 325. L'émir ordonna aussitôt
qu'une boîte fût déposée dans la vieille mosquée de Fustât pour
recevoir les offrandes des fidèles destinées au rachat des prison-
niers. Les fidèles, d'ailleurs, se gardèrent bien d'y déposer la moin-

(1) Publié dans les Annales de l'Institut d'Etudes orientales de la Faculté


des Lettres d'Alger, année 1936, t. II«

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718 LETTRE D'UN ÉMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LACAPÈNE

dre chose, ce qui semble indiquer, chez les Égyptiens d'alors, un


médiocre enthousiasme pour la cause de la guerre sainte Puis
l'émir envoya des navires et de l'argent Cette information est
placée immédiatement avant un événement daté de 325. Suit,
quelques lignes plus bas, le texte de la lettre, après lequel on lit
quelques détails sur l'échange de prisonniers.
M. Canard note, à bon droit, la grande modération de ton de
la lettre de l'émir, modération traduisant bien l'accord qui com-
mence à régner entre les deux cours, et qui sera la caractéristi-
que de l'époque, dans l'histoire des relations arabo-byzantines.
Toutefois, l'Égyptien se montre froissé que Romain croie lui faire
un grand honneur en s'adressant à lui et non au calife seulement.
Il est également choqué de l'affirmation de l'éternité de l'empire
romain.

Quoiqu'il en soit, dit textuellement M. Canard, le ton fier et


ferme, et néanmoins amical, adopté par 1' Ikhšīd, a dû contribuer
à lui faire accorder une haute considération par l'empereur et à
lui faire comprendre que Muhammad n'était plus un de ces faibles
gouverneurs comme en avait eu si souvent FÉgypte, mais le plus
grand émir du Proche Orient.
Pendant toute la durée de la dynastie ihšīdite, Byzance et l'Ëgypte
entretinrent de bons rapport. Même lorsque Nicéphore Phocas con-
quit la Cilicie, l'Égypte n'intervient que mollement. C'est à Romain
Lacapène que revient le mérite d avoir inauguré cette politique,
dès l'avènement de 1' Ikhšīd. Vasiliev a même cru que Romain vou-
lait faire, de l'émir d'Égypte, un vassal de l'empire. Cette opinion
se fonde sur une autre lettre de Romain » à 1 émir d Ëgypte », que
Vasiliev date de 944. Dans ce document, l'empereur dit au desti-
nataire qu'il avait voulu précédemment entrer en relations avec lui,
par l'intermédiaire du roi arménien Gagik. Comme le montre M.
Canard, cette lettre antérieure à 936, n'est adressée à l'émir d'Égyp-
te que par l'erreur d'un scribe : en réalité, elle s'adresse à un prince
arménien. Nous devons renvoyer à la publication de M. Canard
pour les détails du commentaire, en nous bornant à quelques notes.
Notre lettre se trouve, nous l'avons dit, dans Ibn Sacîd al-Magri-
bî, historien grenadin du xiiie siècle, qui voyagea et séjourna en
Orient. Elle n'avait pas été traduite par Tallqvist. Elle n'est men-
tionnée, ni par Vasiliev, ni par Runciman, ni par Dölger ; pour-
tant, d'après Ibn Sa'îd, Qalqašandí l'avait reproduite, Çubh
al-Apšā, VII, 10 sqq. : cf. Björkman, Beiträge zur Geschichte der
Staatskanzlei im Isl Aegypten , Hambourg 1928, p. 123.

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LETTRE D'UN EMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LACAPÈNE 719

Voici à présent la traduction de M. M. Canard :


«L'Ihšīd reçut une lettre d'Armānūs, grand chef des Chrétiens
dans laquelle il se montrait plein de jactance et prétendait qu il
lui faisait une grande faveur en s'adressant directement à lui,
car il avait pour habitude de n'écrire qu'à un calife. Quand la let-
tre eut été lue à l'Ihšīd il ordonna d'y répondre. Un grand nombre
de réponses furent composées, mais le choix de l'Ihšīd s'arrêta
sur la lettre d' Ibrahim b. 'Abdallah al Najïramî, homme très
versé dans les différents modes du style épistolaire. En voici les
termes :

Muhammad b. Tugj al-Ihšīd, mawia (*) de l'Émir des Croyants,


à Armānūs, grand (chef) des Rūm et à ses associés (2), salut, dans
la mesure où vous le méritez ; car nous, nous louons Dieu, en de-
hors de qui il y a pas de Dieu, et nous lui demandons d'accorder
ses bénédictions à Muhammad, son serviteur et son envoyé -
que Dieu lui donne ses bénédictions et le salut I -
Ta lettre, qui nous est parvenue par tes ambassadeurs Nico-
las (3) et Isaac, nous a été traduite. Nous avons remarqué que
tu parles, dès le début, du mérite de la bonté (rahma) et de nos
dispositions naturelles à la pratiquer, dont le renom est venu jus-
qu'à toi et qui te sont connues de façon certaine, puis de notre équi-
té à l'égard de nos sujets et de notre bienfaisance pour eux. Tu
continues en traitant de la question du rachat des prisonniers et
des moyens d'arriver à leur libération, ainsi que d'autres choses
que renferme la lettre et dont nous avons compris successivement
le sens.

En t'étendant longuement sur le mérite de la bonté, tu as dit


des paroles qui frappent juste, et conformes aux sentiments de
cœurs nobles et genéreux. Grâce à Dieu et aux faveurs qu'il étend
sur nous, nous avons pleine conscience de la valeur de cette vertu,
nous y aspirons nous-même et nous y poussons les autres. C'est
vers elle, grâce à l'assistance que Dieu nous accorde, que nous diri-
geons nos efforts ; c'est elle qui est l'objet de nos recommandations

(1) Ce mot veut dire « affranchi


(2) Littéralement « ceux qui sont près de lui ou qui le suivent immédiata»
ment ». Il s'agit de Constantin Porphyrogénète, Étienne et Constantin Laca-
pène. Christophe était déjà mort.
(3) Nicolas. Peut-être, dit M. Canard, Nicolas le mystique, mais la chose
me paraît très invraisemblable.
Byzantion. XI. - 46.

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720 LETTRE D'UN ÉMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LACAPÈNE

et le but de nos actes. Et nous demandons à Dieu de nous aider,


par sa bienveillance et sa toute-puissance, à marcher dans les
sentiers du bien et vers les lieux de réunion des vertus.
Tu nous as attribué des qualités de bonté et d'équité : nous
prions humblement Dieu le Très-Haut, qui seul possède ces ver-
tus à leur état parfait, qui les a données à ses Saints pour les
en récompenser ensuite, de nous aider à les obtenir, de nous met-
tre au nombre de ceux qui les possèdent, de faciliter nos efforts
pour les acquérir, de nous garder des mauvais désirs qui en dé-
tournent, et de la flétrissure qu'est la dureté d'un cœur inaccessi-
ble à la pitié. Nous lui demandons de faire de ces qualités qu'il
a déposées dans notre cœur, un legs qui nous oblige à lui obéir,
une cause qui nous pousse nécessairement à le satifsaire Ainsi,
nous serons digne des vertus que tu nous as attribuées et plus apte
à la tâche à laquelle tu nous as convié ; ainsi nous serons de ceux
qui méritent d'être proches de Dieu le Très Haut, car nous som-
mes un pauvre, aspirant à la miséricorde divine. C'est un devoir
pour celui que Dieu a mis à la place qu'il nous a attribuée, à qui
il a imposé une charge aussi lourde que celle qu'il nous a donné
à porter, dans la main de qui il a réuni le gouvernement, pour
le compte de notre maître l'Emir des Croyants. - que Dieu lui
accorde une longue vie ! - d'aussi vastes provinces, d'implorer
Dieu le Très Haut avec ferveur pour qu'il l'aide dans cette tâche,
l'assiste et le dirige, assistance qui dépend de lui et est entre ses
mains : <v celui qui ne fait pas de Dieu son flambeau sera privé
de toute lumière » .

Tu nous a représenté ensuite ton rang comme trop au-dessus de


la situation d'un subordonné du calife pour que tu puisses cor-
respondre avec lui; à cause des exigences (protocolaires imposées
par) l'importance de votre empire, car il est l'empire donné par
Dieu de toute éternité et qui doit durer aussi longtemps que le
monde ; tu ne nous as écrit en particulier, dis-tu, qu'en raison de
la haute et indubitable estime dans laquelle tu nous tiens : en
admettant qu'il en fût réellement ainsi, que notre rang fût, com-
me tu le dis, inférieur au rang de ceux à qui tu écris habituelle-
ment, qu'il fût pour toi avantageux et conforme à la raison de
ne pas nous écrire, de toute évidence, il est encore plus profitable,
plus raisonnable et plus digne, pour quelqu'un qui occupe une
place comme la tienne, d'agir conformément au bien de ses su-
jets, de ne pas considérer un tel acte comme un déshonneur, une

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LETTRE D'UN EMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LACAPÊNE 721

déchéance et une faute, et de ne pas tomber dans le travers de


trop s'appliquer à une vétille dont les conséquences peuvent être
fâcheuses. Il est d'une bonne politique de courir parfois des ris-
ques, de s'enfoncer dans les abîmes du danger et d'exposer sa
vie pour l'intérêt de ses sujets. Si la tâche que tu t'es imposée de
nous écrire te paraît pénible, elle est pourtant facile et légère,
eu égard à son résultat considérable ; car c'est vous particulière-
ment qui en retirez les principaux profits, bénéfices et avantages.
Pour nous, conformément à notre doctrine, nous n'attendons que
la victoire ou le martyre. Celui d'entre nous qui est tombé entre
vos mains possède une preuve évidente de son Seigneur et jouit
d'une fermeté sincère dans sa résolution et d'une vue claire du
but où conduit le chemin qu'il suit. Parmi les prisonniers, il en
est qui préfèrent les misères de la captivité et les dures épreuves de
l'adversité aux douceurs et aux plaisirs d'une vie de bien-être
parce qu'ils sont assurés d'un magnifique au-delà et d'une belle
récompense. Ils savent que Dieu le Très Haut, s'il a préservé leurs
âmes des épreuves, n'en a pas mis à l'abri leurs corps. En nous écri-
vant, vous adoptiez une conduite conforme aux prescriptions de
l'Évangile qui est votre guide, celle qu'exigeaient de vous les de-
voirs d'une politique résolue et le souci d'obtenir la libération de
vos prisonniers. Si nous ne jugions plus digne de nous de dire
clairement la vérité que de faire une réponse conciliante, nous
nous abstiendrions de nous étendre sur ce sujet. Mais nous pen-
sons que la cause essentielle pour laquelle ceux qui s'adressent aux
califes - que le salut soit sur eux ! - aspirent à leur écrire, ou
bien au lieu de cela s'adressent à des gens d'un rang comme le nô-
tre dans l'empire des califes ou même d'un rang inférieur, est la
suivante. Ayant peur que les émirs voisins d'eux ne leur répon-
dent pas ou répondent par un refus, ils pensent qu'il vaut mieux
adresser leur demande aux califes qui, s'ils y répondent, font un
immense honneur à son auteur, et s'ils la rejettent ne lui font au-
cune honte, quelque grande que soit sa puissance. Quant à ceux
qui sont assurés en eux mêmes d'une autre attitude de leurs voi-
sins, ils trouvent que s'adresser à eux est le moyen le plus facile
et le plus rapide d arriver à la réalisation de leur désir, selon le
degré d'importance attribué à celui-ci. C'est ainsi que des souve-
rains de ton rang ont écrit à des gens d'un rang inférieur au nôtre
et qui n'approchaient pas de notre situation.
Nombreuses en effet sont nos provinces et chacune d'elles était

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722 LETTRE D'UN ÉMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LAGA PÈNE

autrefois gouvernée par un roi considérable. Parmi elles sont :


le royaume d Ëgypte dont la grandeur rendait Pharaon si inso-
lent qu'il prétendit être Dieu et s'en enorgueillit devant Moïse,
le Prophète de Dieu ; les provinces du Yémen, qui appartenaient
aux Tubba' et aux rois Abāhila, princes ďHimyar, à la puis-
sance considérable et aux nombreux soldats ; les gouvernements
(jund) de Syrie qui sont : le gouvernement de Hims (Emèse) (dont
la capitale fut la) résidence des gouverneurs de Syrie, et celle d'Hé-
raclius, souverain des Rūm et des souverains qui l'ont précédé ;
celui de Damas, illustre dans les temps passés comme dans les
temps modernes, qui avait la prédilection des anciens rois ; celui
du Jourdain, d'un rang illustre, résidence du Christ - que Dieu
lui accorde ses bénédictions et le salut ! - ainsi que d'autres pro-
phètes et des apôtres ; celui de Palestine, la Terre Sainte où se trou-
vent la mosquée al-Aqsâ, le siège du Christianisme, le centre de
la foi des autres religions, le but du pèlerinage des Chrétiens et
des Juifs tout ensemble, la demeure et le temple de Salomon et
de David, qui renferme aussi la mosquée d'Abraham et son tom-
beau, ainsi que les tombeaux d'Isaac, de Jacob, de Joseph, de ses
frères et de leurs femmes - que le salut soit sur eux tous ! - ,
où naquirent encore le Christ et sa mère, et où celle-ci a son tom-
beau.

Sous notre autorité est également la Mekke, entourée de mira-


cles éclatants et de signes divins évidents. Si nous n'avions pas
d'autre gouvernement, par son illustration, son importance et
toute la noblesse qu'elle renferme, elle nous tiendrait lieu de tous
autres. Car c'est là qu'Adam a accompli le pèlerinage ainsi qu'Abra-
ham son héritier, c'est là que ce dernier s'est réfugié, c'est le lieu
de pèlerinage de tous les prophètes, le point de direction de notre
prière et de la leur - que le salut soit sur eux I - ; c'est le ber-
ceau, la demeure et le tombeau de son fils Ismaël. C'est là que les
Arabes, au cours des âges, se sont toujours rendus en pèlerinage,
c'est là que résident leurs nobles (chérifs) et leurs grands hommes,
dans toute leur illustration et toute leur gloire. C'est la maison
antique et sacrée où tous viennent en pèlerinage, « surgissant de
toutes les crevasses profondes », dont le mérite et la prééminence
sont reconnus par les gens de noble origine, anciens ou moder-
nes ; c'est la maison visitée, de célèbre renommée.
Parmi nos possessions se trouve également la ville de l'envoyé
de Dieu, - que Dieu lui accorde ses bénédictions et le saluti -

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LETTRE D'UN ÉMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LACAPÈNE 723

sanctifiée par son tombeau, où descendit la révélation. Elle est


le berceau de notre religion pure, dont l'ombre s'est étendue sur
les continents et les mers, les plaines et les montagnes, l'Orient
el l'Occident sur les vastes territoires des Arabes dont d'immen-
ses espaces séparent les différentes régions, qui comptent une mul-
titude d'habitants, sédentaires ou nomades, puissants par leur
grand nombre, vigoureux, d'une ardente bravoure, d'une patien-
ce à toute épreuve, nourrissant de vastes ambitions, et aux dra-
peaux desquels est attachée 4a victoire de Dieu : car Dieu le Très
Haut a détruit les immenses armées de Chosroès et chassé César
de son pays et de son séjour de puissance et de gloire avec une
simple troupe d'Arabes.
A cela s'ajoutent les autres provinces que tu connais. D'autre
part, sous notre autorité sont vos trois sièges patriarcaux les plus
importants, Jérusalem, Antioche et Alexandrie. Nous possédons
en outre une partie de la mer et des îles et nous disposons de
l'appareil de protection le plus complet.
Si tu considères les choses comme elles doivent l'être, tu com-
prendras que Dieu le Très Haut nous a choyé en nous attribuant
les plus belles provinces dont puissent jouir les hommes et le no-
ble pays qui se distingue par la plus magnifique illustration, dans
ce monde et dans l'autre, et tu auras la certitude que notre rang,
par tout ce que Dieu nous a ainsi donné, est au dessus de tout
autre rang. Louange à Dieu, dispensateur de toute faveur !
Nous gouvernons ves provinces, proches ou lointaines, avec
toute leur importance et toute leur étendue, grâce à la munificen-
ce, à la bienfaisance, à l'aide et à l'assistance de Dieu, comme tu
nous l'as écrit, et comme tu le sais de façon certaine, irréprocha-
blement, par une politique qui fait régner la concorde entre toutes
les catégories de nos soldats et de nos sujets, qui unit les uns dans
l'obéissance et la communauté de sentiment, donne aux autres la
plus large sécurité et tranquillité de vie, et leur fait acquérir
l'amour de leur prochain.
Louange à Dieu, maître des mondes, en premier et en dernier,
lieu, pour ses faveurs, qui, pour nous, échappent à tout compte
à toute enumeration, à toute publication, à toute mention, à tou-
te reconnaissance Nous lui demandons de nous mettre au nom-

bre de ceux qui vautent les grâces qu'il leur accorde pour témoigner
leur reconnaissance et faire connaître la bienveillance qu'il a eu
ainsi à leur égard, de ceux dont il aime le zèle à le remercier, qui

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724 LETTRE D'UN ÉMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LAGAPÈNE

ne désirent que les biens de l'autre monde, y aspirent de toutes


leurs forces et ont leurs efforts récompensés. Il est digne de louan-
ges et glorieux.
Je n'ai pas voulu rivaliser de gloire avec toi pour aucun des
biens de ce monde, ni me prévaloir outre mesure de la noblesse
que Dieu nous a conférée en nous donnant une religion qu'il a
honorée et fait triompher, et dont il nous a promis que les con-
séquences seraient, pour ses adeptes, une victoire éclatante, une
puissance irrésistible et enfin la plus grande faveur au jour du
jugement dernier. Mais tu as suivi une voie dont il ne convenait
pas que nous nous écartions, et tu as dit des paroles qui ne per-
mettaient pas que nous y répondions brièvement. De plus, en
décrivant notre puissance, nous n'avons pas eu. pour but de re-
vendiquer pour nous la supériorité, nous n'avons pas eu l'inten-
tion de nous attribuer le privilège d'un avantage attaché à nous.
Nous avons assez d'honneurs sans cela, et nous voulons t'accor-
der ceux qui reviennent à ta situation et à ton rang, au mérite
que tu possèdes en outre de gouverner sagement, de te conduire
vertueusement et d'aimer les gens de bien, à ta bienfaisance à
l'égard des prisonniers musulmans qui sont entre tes mains, à ta
sympathie pour eux, à cette bienfaisance envers eux qui dépasse
celle de tous tes prédécesseurs. On recherche l'amitié de ceux dont
la conduite est digne d'éloges, car l'homme de bien mérite d'être
aimé partout où il se trouve.
Si tu ne juges dignes de correspondre et d'entrer en comparai-
son avec toi que ceux qui possèdent un vaste territoire, un em-
pire considérable et une glorieuse histoire, sache que nos provin-
ces sont considérables, vastes et nombreuses, qu'elles sont les plus
belles dont puissent jouir les hommes, les plus nobles entre les
terres marquées de noblesse. Dieu, en effet, nous a donné le pri-
vilège insigne d'adjoindre à ce que nous avions acquis par nos
services anciens ou récents et par notre valeur reconnue, la plus
grande distinction et le gouvernement qui nous a été confié par
notre maître l'Émir des Croyants, - que Dieu lui accorde longue
vie I - Louange à Dieu, maître des mondes, dont la faveur et
la bienveillance ont réuni tout cela entre nos mains. De lui nous
espérons qu'il nous rendra capable des plus beaux efforts par quoi
sa grâce nous accordera de le satisfaire. Tu n'ignores maintenant
plus rien de ce que nous avons voulu le faire savoir à notre sujet.
Puisque tu veux suivre, dans ta correspondance diplomatique,

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LETTRE D'UN ÉMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LACAPÈNE 725

la règle de tes prédécesseurs, tu trouverais, en te reportant aux


archives de ton gouvernement, que tes prédécesseurs ont écrit,
avant notre règne, à des émirs qui n'avaient ni notre rang ni notre
richesse, qui ne possédaient pas notre art de bien gouverner et
n'avaient pas été investis par notre maître l'Émir des Croyants,
- que Dieu lui accorde longue vie! - des mêmes pouvoirs et du
même mandat que nous. Ainsi Abū'1-Jaiš Humârawaih, fils d'Ah-
mad b. Tūlūn ; en dernier lieu Takîn, affranchi de l'Émir des Croy-
ants, qui n'avait l'investiture que de l'Égypte et de ses districts.
Pour nous, nous louons fréquemment Dieu, en premier et en
dernier lieu, pour ses faveurs, dont la nombre échappe à tout
compte et à toute publication. Nous n'avons pas voulu, en parlant
comme nous l'avons fait, nous mettre au dessus de toi ; notre but
a été seulement, en énumérant nos possessions, de célébrer la
bienveillance de Dieu à notre égard, puis de répondre à la question
de protocole que renfermait la lettre, et de te faire connaître l'éten-
due de l'aide que Dieu nous a apportée dans les voies où nous mar-
chons. Nous sommes parfaitement en mesure de répondre à ce
que tu as aimablement fait pour nos prisonniers ; nous te sommes
pleinement reconnaissant de les traiter avec bonté et de t'être
proposé le but de les rendre heureux, s'il plait à Dieu le Très Haut,
en qui nous mettons notre confiance. Que Dieu t'assiste et te
fasse obtenir les récompenses de ce monde et de l'autre, t'inspire
ce qui est juste en toutes choses, te suggère les paroles et les œu-
vres méritoires qu'il aime, qui le satisfont, qu'il récompense, et
dont il exalte les auteurs, en ce monde et dans l'autre, en sa bien-
veillance et sa miséricorde!

Tu dis également que ton empire est éternel, parce qu'il vous
a été donné par une faveur particulière de Dieu. (Mais sache que)
« la terre est à Dieu, qui en fait hériter qui il veut de ses créatures ;
la fin appartient à ceux qui le craignent ». Toute royauté est à
Dieu, « qui la donne et la retire à qui il veut, qui élève et abaisse
qui il veut, et aux mains de qui est le bien : c'est à lui que nous
allons et il a pouvoir sur toutes choses ». Dieu, très grand et très
puissant, a aboli l'empire des rois et la puissance des tyrans par
la mission prophétique de Muhammad, - que Dieu lui accor-
de, ainsi qu'à toute sa famille, ses bénédictions et le salut ! - ;
il a ajouté à sa mission prophétique l'imāmat qu'il a transmis à
sa sainte famille, principe dont procède l'Émir des Croyants, -
que Dieu lui assure une longue vie! - et arbre dont dérive sa

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726 LETTRE D'UN ÉMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LACAPÈNE

branche. Il a accordé l'imamat perpétuel à ses membres, qui en


héritent par voie de primogeniture et que celui qui passe lègue
à celui qui demeure. Ainsi s'accomplissent l'ordre et la promesse
de Dieu, ainsi éclatent sa parole et son secours, ainsi il manifeste
sa preuve, dresse la lumineuse colonne de la religion que sont
ses imāms bien dirigés, et coupe les racines de l'infidélité, afin
de faire triompher la vérité et de confondre le mensonge, au grand
désagrément des polythéistes, jusqu'au jour où il héritera de la
terre et de ceux qui l'habitent et où ils reviendront à lui.
L'empire qui mérite d'être conféré par Dieu, qui a le plus de
titres à être protégé par sa garde vigilante, à être soutenu par
son puissant appui, à être enveloppé de la splendeur de sa ma-
jesté dans l'éclat de sa grâce, à être rehaussé par la (promesse d'une)
longue et tranquille durée, tant que luira l'aurore et se répétera
le temps, c'est l'empire dirigé par un imām juste qui succède à un
prophète et marche sur ses traces et dans sa voie, qui obéit à
ses ordres, maintient ses lois, invite à suivre les chemins qu'il a
tracés, s'appuie sur le secours de son autorité et accomplit ses
promesses. Un seul jour d'un imamat juste a plus de prix, aux
yeux de Dieu, qu'une longue vie terrestre de despotisme et de
tyrannie.
Pour nous, nous demandons à Dieu le Très Haut de nous con-
tinuer, s il lui plaît, ses faveurs et ses bienfaits, en nous accordant
sa noble protection, puis sa splendide récompense et en multipliant
pour nous les manifestations de sa gloire, de sa sublimité, de son
illustration et de sa bienfaisance. Nous avons confiance en lui,
u il nous suffit, et il est le meilleur protecteur ».
En ce qui concerne le rachat des prisonniers et l'avis que tu
as exprimé au sujet de leur libération, si nous sommes certain
que ceux qui sont entre vos mains n'aspirent qu'à la victoire ou
au martyre si nous connaissons clairement leurs sentiments à cet
égard et leur confiance dans une belle fin et une belle récompense,
sachant ce qui leur revient, - car il y en a parmi eux, qui préfè-
rent les misères de la captivité et les dures épreuves de l'adversité
aux douceurs et aux plaisirs d'une vie de bien-être, parce qu'ils
ont la certitude d un magnifique au-delà et d une rétribution
splendide, et qui savent que Dieu le Très Haut, s'il a préservé
leurs âmes des épreuves, n'en a pas préservé leurs corps ; - ce-
pendant, comme nous avons aussi une connaissance précise de
ce que nous prescrivent en cette matière les imāms d'autrefois

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LETTRE D'UN ÉMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LACAPÈNE 727

et nos pieux devanciers nous trouvons que ces prescriptions sont


d'accord avec ce que tu demandes et ne sont pas en contradition
avec ce que tu désires. Aussi, nous réjouissons-nous de tout ce
qui peut en être facilement réalisé. Nous avons donc envoyé let-
tres et messagers aux préfets de toutes nos provinces et nous les
avons invités à rassembler tous les prisonniers qui dépendent d'eux
avec tant ce qui leur appartient et à les faire partir dans les plus
complètes conditions de sécurité. Nous avons déployé pour cela
tous les efforts possibles et nous avons attendu pour répondre à ta
lettre, afin que nos actes précèdent nos paroles et que l'exécution
devance la promesse Tu en verras bientôt les résultats qui te
causeront la plus grande satisfaction, s'il plaît à Dieu.
Quant à l'attitude amicale que tu inaugures avec nous, et à
l'affection que tu ressens pour nous, (sache que) nous éprouvons
en retour les sentiments qu'entrainent nécessairement la com-
munauté de politique qui nous unit malgré la différence de nos
croyances, et la noblesse innée qui nous rapproche malgré l'écart
de nos religions, car telles sont bien les affinités propres qui nous
lient. Aussi avons-nous résolu, ayant constaté tes bons senti-
ments à notre égard, de traiter tes envoyés avec gracieuseté et
bienveillance, de les écouter avec la plus grande attention, et
de leur témoigner les plus grands égards ; nous avons répondu
à ta bienveillançe et à ton amabilité envers nous en les accueil-
lant comme c'était notre devoir de le faire pour observer la même
attitude que toi. Nous avons fait davantage pour donner plus de
force à l'entente que tu recherches : aujourd'hui même, par nos
soins, tes envoyés ont été comblés de toutes sortes de cadeaux
précieux, que nous avons choisis spécialement nous-même, pro-
duits de notre capitale ou de l'intérieur du pays. Car Dieu, dans
sa justice et sa sagesse, a donné à chaque lieu une spécialité, afin
que l'attention des étrangers soit attirée vers elle, et que cela con-
tribue à la prospérité du monde et à la subsistance des hommes.
En te destinant particulièrement les objets que nous avons con-
fiés à ton ambassadeur, nous désirons te les faire connaître, s'il
plaît à Dieu.
Nous avons accordé à tes ambassadeurs la possibilité de faire
commerce des marchandises que tu as envoyées à cette intention,
et nous leur avons permis de vendre et d'acheter tout ce qu'ils
souhaitaient et désiraient. Nous avons en effet trouvé qu'aucune
raison religieuse ou politique ne l'interdisait. Plus qu'aucun autre

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728 LETTRE D'UN ÉMIR D'ÉGYPTE A ROMAIN LAGA PÈNE

souverain, nous avons le souci d'être aimable avec toi et avec ceux
qui viennent de ta part, le désir de cultiver et d'entretenir les re-
lations que tu as nouées avec nous et de faire croître la semence
que tu as jetée. Dieu nous aidera à réaliser nos belles intentions et
à accomplir l'œuvre de bien à laquelle nous sommes fermement
attachée. « Il nous suffit et c'est un excellent protecteur » .
Celui qui commence par une bonne action est obligé de conti-
nuer et de faire mieux, surtout s'il est un homme de bien vérita-
blement digne de ce nom. Tu as inauguré avec nous des rapports
amicaux et aimables, tu mérites qu'ils soient cultivés et que nous
fassions tout ce qui dépend de nous pour satisfaire tes besoins et
tes désirs. Sois assuré que nous ťy aiderons, si Dieu le veut.
Louange à Dieu, dont le nom doit être prononcé au commence-
ment et à la fin de toute entreprise. Qu'il répande ses bénédictions
sur Muhammad, Prophète de la bonne direction et de la miséri-
corde divines, ainsi que sur sa famille, et qu'il lui accorde le salut !

(Traduction M. Canard).

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