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Alain Alcouffe
Souhaila Kammoun
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1
Une approche économique des compétences
de la firme:
vers une synthèse des théories
néo-institutionnelles et évolutionnistes
Alain Alcouffe
Souhaila Kammoun
2
Résumé
L'objectif de cet article est de situer la problématique des compétences au sein des théories
de la firme. En foca li sant l'analyse sur la théorie néo-institutionnelle et la théorie
évo lutionniste de la firme, il s'attache à montrer que l'économie des compétences est une
synthèse de ce deux corpus, principalement quand on s'attaque à certaines questions comme
l'innovation et l'apprentissage organisationnels. A cette fin , la réflexion s'est essentiellement
cristallisée sur Je rôle des compétences dans la dynamique d'organisation et les interactions
en tre compétence, innovation et performance.
Abstract
Thi s paper proposes to set the problematic of competences within theories of the Finn.
Focusing the analysis on the neo-institutional theory and the evolutionist theory of the firm , it
tries to show that the economy of competence is a synthesis of these two corpus, mainly when
we tackle on some questions such as innovation and organizational learning. So, further
thought needs to be given to the role of competences in the organizational dynamics and
interactions between competence, innovation and performance.
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Plan
1. Introduction
7. Résumé et Conclusion
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1. Introduction
Aujourd ' h ~i, la théorie de la fi rme est l'une des pistes de recherche les plus
progressives e n économ ie, et est probablement l'une des pistes faisant l'objet d'études
interdi sciplinaires. Pour justifier l'existence de la firme, son organisation interne, ses
relations avec des acteurs externes, la théorie économique étudie la firme. De nouveaux
éclairages apportés par des formalisations sur la firme , en tant qu'agent économique, ont
élargi le champ de réflexion des théories de la firme. Au départ, la théorie économique de
l'équilibre général conçoit l'entreprise comme une boîte noire, un lieu de production, sans en
distinguer le fonctionnement interne. Par la prise en compte des comportements des acteurs,
l'entreprise devient une organisation avec des décideurs aux objectifs et aux comportements
différents qu ' il faut intégrer. A insi J'analyse économ ique développe la théorie des coûts de
transaction, à la suite de la théorie de l' agence, et assimile la firme à un nœud de contrats.
Tant sur le marché des facteurs de production en amont que sur celu i des produits en
aval. la firme est confrontée aux concurrents; elle s'y heurte aussi à d ' autres acteurs (Etat,
syndicats , etc.) et d ' autres évolutions d'ordre technique, culturel et social jouant dans la
soc iété ambiante avec laquelle le marché est en osmose. Néanmoins, le marché ne constitue
pas à lui seul l'environnement de la fi rme; il n'en est qu'une composante. Ceci dit, c'est bien
1'environnement lato sensu que la firme doit prendre en considération pour s'y adapter ou
tenter de le modifier à son profit par l'élaboration de stratégies propre à lui fo urnir des
avantages compétitifs.
Toute organisation est e n effet consti tuée pour coordonner et réguler des activités
diverses de nombreux acteurs en élaborant des règ les et des procédures qui doivent assurer
l'ordre et la stabi lité du fonctionnement de l'organisation. La firme cherche en permanence à
réduire ses coûts pour améliorer ses marges, sa rentabilité, gagner des parts de marché sur ses
concurre nts ; ses choix portent sur les évolutions de l'organisation interne autant que sur les
produits et les marchés. On tient donc compte tout autant des variables du marché que celles
de l' organisation.
La firme néoclassique apparaît comme une boite noire «que l'on a longtemps refusé
d'ouvrir» (Rosenberg, 1982), elle est principalement vue comme une unité de production,
plutôt qu'une organisation interne, un arrangement contractuel ou une institution. La firme
constitue l'un ité d'analyse en micro-économie (Kreps, 1990), mais le niveau d'analyse est
l' industrie. Les firmes au sein de la même industrie, sont donc vues comme essentiellement
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identiques; elles sont décrites comme ayant les mêmes courbes de demande, les mêmes
courbes de coût.
Bien que cette approche néoclassique possède une grande valeur heuristique, elle ne
nous apprend rien sur les mécanismes à la base de l'émergence de la firme , sur les modes
d'organisation , ni sur certaines caractéristiques fondamentales de celle-ci. Face aux limites de
J'analyse de la boite noire, l'élaboration d ' une théorie de la firme s'est progressivement
imposée en se déployant dans plusieurs directions. Nous en retenons, pour l' objet qui nous
intéresse, deux approches à savoir la théorie néo-institutionnelle et la théorie évolutionniste.
Des interrogations sur l'ex istence et la nature de la firme ont donné lieu à d'autres
esquisses « théoriques » rendant compte de la firme non plus en termes de fonction de
production ou de fonct ion de coût mais en termes de « nœud de contrats». Avec cette
approche, la firme est analysée comme une forme d 'organisation nécessaire pour suppléer aux
coûts de transaction induits par la gestion du face-à-face d'individus ayant à échanger des
prestations sur le marché. En regroupant et effectuant elle-même certaines activités, la firme
réalise des économies sur les coûts de transaction (Coase, 37). La firme est ainsi une
alternative nécessaire au marché en tant que mode d ' allocation des ressources et mécanisme
de coordination des activités marchandes, sans Je supplanter complètement car, à l'inverse,
des coüts organisationnels apparaissent. Remplacer le marché par l'organisation n'est a priori
pertinent que lorsque l'économie sur les coûts de transaction reste supérieure aux coûts
organisationnel s. C' est là la base de départ de la théorie des coûts de transaction. Et comme
le souligne Williamson, l'approche contractualiste tente de répondre à la question: « ( ... )
quels objectifs sont servis lorsqu'on remplace l'écha11ge classique du marché - où Le produit
est ve11du à u11 prix u11ifor111e à tous sa11s restrictio11 - par des formes de contractualisation
plus complexes (y compris des modes d 'orga11isatio11 économiques non-marché»
(Williamson , 85).
L ' un ité de base de J' analyse est la transaction. Les difficultés sur lesquelles butent la
coordination sont dues à l'incertitude qui environ ne la transaction et à l' opportun isme
potentiel des agents économiques (Brousseau, 1989). C 'est donc pour palier ces difficultés
que ces agents, dotés d'une rationalité limitée, créent des arrangements institutionnels :
« rra11sacrio11s are assig11ed ro an orga11i:.ed within gouverna11ce structures in a
discrimi11ati11g (transaction -cost economizing way) » (Williamson , 81). En l'absence totale
d'incertitude, Je marché reste la forme de coordi nation la plus efficace. Pour un degré
d'incertitude donné, Williamson montre que les combin aisons de deux paramètres essentiels
vont déterminer les choix des formes contractuelles (du marché à l'organisation) : la
fréquence des transaction s et le degré de s pécificité de l'investissement nécessaire pour
réaliser l' offre.
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de la productio (cf. tableau 1.). Pour reprendre une formule de Nelson, il s'agit typiquement
d'une théorie des interactions qui se focalise sur les comportements des joueurs, et non sur le
jeu de la firme contre « la nature». A l'opposé, la théorie de la cohérence prédit que les
limites (verticales aussi bien qu'horizontales) des firmes sont, pour l'essentiel, déterm inées
par la nature des compétences qu 'elle incorpore et par les mécanismes de sélection dans
lesquels la firme opère.
L ' approche évolutionniste emploie la notion de portefeui lle de compétences des firmes
pour étudier les phénomènes de variété des organisations et les mécanismes de sélection
(Nelson & Wi nter, 1982). ). Les organisations évol uent et se transforment pour répondre aux
soll ic itations et mod ifications externes et internes.
A l'i nstar du courant standard, la firme évolutionniste est approchée comme une unité
de production, mai s adopte une perspective plutôt technologique que contractuelle. Sur ce, la
firme est considérée comme une unité adaptative avec des capacités techniques et des
compétences économiques limitées an matière de prise de décision. Dit autrement, les firmes
ne sont pas capables de faire constamment des choix optimaux.
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propriétés des formes organisationnelles. La firme évolutionniste est un assemblage de
compétences, pas d ' indiv idus et les accords entre firmes sont des réunions de compétences et
pas d 'agents économiques. Mais, comment se matérialisent ces compétences?
Economie
Production Ech a nge
Ra tiona lité
Economie "W.P.
Non-limitée standard Onhodoxy"
A l' appui de ces deux corpus, n'est-il pas nécessaire de compléter la perspective de
production (ou « knowledge perspective») de l'approche évolutionn iste par la perspective
d'échange de la théorie des coûts de transaction ? Comment réunir donc la « production ou
knowledge perspective » et la perspective d'échan ge dans un même modèle?
L' uni vers de cette approche s'était considérablement é largi, faisant l'objet d'intérêt
de différentes disciplines, qui abritent e lles-mêmes de nombreux courants, avec pour
com mun dénom in ateur l'étude des liens entre innovations et performances. En ce sens, le
concept de compétence est porteur d'éclairages fruc tueux sur la compréhension des
mécanismes au sein de l'organ isation. Loin d'être exhaustive, cette investigation sur la
compétence et les inten-ogations qui y sont liées se borne à l'étude de la nature des
2
Ce tableau se rélère aux travaux de Winter S.G. ( 1988).
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compétences, des processus de construction des compétences, des rapports entre compétence
et organi sation , et ceux entre compétences et organisation innovante.
1) Rationalité limitée: La firme n 'est pas le siège d'une rationalité absolue, parfaite du type
homo oeconomicus, mais d'une rationalité limitée. Limitée, au sens de Simon, par suite de la
difficulté des acteurs à stocker et à traiter l'information de manière fiable en raison du niveau
des connaissances et des techniques, de l' insuffisance des moyens matériels et immatériels, de
la restriction du champ des mémorisations et des anticipations et de la vitesse de réaction.
Pour pre ndre des décis ions 3 , les agents économiques retiennent l'option qui leur permet
d 'atteindre un certai n seuil de satisfaction au sein d'une gamme préexistante d'actions
possibles (S imon, 47, 82).
Par rapport au modèle standard, on abandonne donc l'idée d 'optimisation. La décis ion est
décrite comme un processus, dans lequel quelques options seront étudiées et une action sera
e ntreprise lorsqu 'elle atteint à un niveau satisfaisant(« sarisfecing »). L'hypothèse
comporteme ntale principale de la théorie des compétences de la firme est donc basée sur le
concept de rationalité limitée (Winter, 88). Bref, d'une vision statique de l' organisation et
d'une approche de l'optimisation quantitative, si mple et rationnelle, il faut passer à une vision
dynamique à rationalité limitée, avec des solu tions satisfai santes, non répétitives.
2) Incertitude: Tous les paramètres de l'entre pri se et de son environnement ne peuvent être
connus parfaitement. Les entreprises prennent des décisions pour des actions futures sans une
conn aissance complète et certaine du présent et des évolutions possibles. Leur choix intègrent
touj ours des aléas, des incertitudes et donc des risques. Dans une telle situation d'incertitude,
la mi se e n place de règles organisationnelles joue un rô le crucial dans la coordination
permettant ainsi de réduire l'incertitude, de la gérer et d'en contrôler les conséquences.
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3) Irréversibilité : L'existence de l' irréversibilité contribue à expliquer les d ispositifs de
coordination. Cependant, elle ne joue pas le même rôle dans les deux approches, puisque
leurs prob lématiques à ce sujet sont relativement différenciées. Dans la théorie néo-
institutionnelle , l' irrévers ibili té se manifeste notamment à travers le notion d ' actif spécifique
(Williamson , 75 , 85). Il s' agit d ' investissements spécifiques, matériels ou non (confiance,
.~ R.M . Cyen et J.G. March ( 1963) font admellre que la firme n'est plus une firme-point, e lle constitue plutôt
« une organisation me llant aux prises des groupes aux intérêts multiples, et dans laquelle les processus de prise
de décision passent des séries de médiations. » (Weinstein et Corial, 1995).
1
• Arro w et Fisher ( 1974).
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réputation), qu'il n'est pas possible de redéployer sans coûts dans d'autres usages alternatifs
et les situations changent radicalement avant et après que ces investissements ont été réalisés.
Dans lapproche évolutionniste, l'irréversibilité caractérise tout autant certains
investissements que le système économique due aux connaissances. En effet, la création de
nouvelles connaissances et leur diffusion présentent des caractéristiques d'irréversibilité, car il
est impossible de désinventer et de désapprendre. Ces effets de création de connaissances et
d'apprentissage(« leaming by doing, using », etc.) renforcent le coût d'un redéploiement de
certains investissements.
4) Sélection : Les propriétés du système dépendent fondamentalement d'un mécan isme qui
« sanctionne» les choix des agents . Les évolutionnistes analysent la manière dont les acteurs
bénéficient au cours d ' un processus de sélection 5 des leçons des étapes de sélection du passé.
En ce sens, la firme est cons idérée comme un système d'apprentissage. A ce sujet, la théorie
néo-institutionnelle adopte une conception d ifférente : un processus de sélection consiste à
éliminer les formes de la coordination inefficaces, celles qui consomment trop de ressources.
Les agents cherchent en effet à mini miser les coûts de transaction (et de production) et ce
compte des caractéristiques des transactions qui représentent la nature des difficultés de
coordination ; et l'environnement institutionnel, qui constitue à la fois des contraintes et des
poi nts d ' appu is pour la construction des structures de gouvernance.
C'est donc sur ces hypothèses que s'appuie l' approche par les compétences.
Approche
Unité Néoclassique Evolutionniste Néoinstitutionnelle Competence-based
d'ana lyse
Firme X X
Transaction X
Compétence X X
5
Chaque organisation économique« implements a parti cular balance betwcen mcchanisms o f vari ation and
mechanisms of selection on what constitutes the organizational learning basis » (Cohendet et Llcrena, 98).
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En économie, la notion de compétence se rencontre dans de nombreux champs de
l'analyse économique: approche évolutionniste, les travaux sur la fonction entrepreneuriale,
les théories du capital humain et de la croissance endogène. Ces analyses offrent différentes
lectures de la notion de compétence et font valoir la firme comme terrain privilégié d'étude.
Les premières analyses économiques sur les compétences se sont positionnées par rapport au
marché du travail, prenant notamment en considération la dimension individuelle des
compétences: théorie du capital humain, l'approche par les marchés internes du travail , la
théorie des conventions et les approches en termes de qualification collective.
L ' intégration de la compétence dans Je collectif, son incorporation dans des dispositifs
organisationnels (Callon, 86) est au centre de cette étude. L 'analyse porte sur les questions de
la coordination sous-jacente entre l'organisation et son environnement. Une approche des
compétences collectives est associée à la considération de la firme (l'organisation) comme
dépositaire et productrice de connaissances et ayant des compétences spécifiques.
L'approche de la firme fondée sur les compétences s' inscrit en effet dans un champ
pluridisciplinaire. Trouvant ses origines dans les travaux de A. Marshall ( 1920) et ceux de E.
Penrose ( 1959), cette approche peut être appréhendée comme une tentative de créer une
synthèse de la théorie des coûts de transactions et de la théorie évolutionniste de la firme.
Elle apparaît comme une tentative d'intégrer la perspective d'échange de la théorie des coûts
de transaction avec la perspective de production de la théorie évolutionniste (S. Winter (l 988)
et Dosi, Teece et Winter (1990) ). En tant qu'organisation complexe, la firme devrait être
considérée comme une unité de production mais aussi analysée à partir de perspectives
organisationnelle, contractuelle, et une « Knowledge perspective».
La théorie évolutionniste de la firme : Les évolutionnistes définissent les routines comme des
sché mas de comportements réguliers, stables, des règles de décision spécifiques à la firme ,
ayant trait à des domaines techniques, productifs et stratégiques. Les routines déterminent les
comportements des entreprises mais ne peuvent être comprises que par référence au processus
(antérieur) qui les a modelées. Elles constituent la mémoire organisationnelle. L'accent est
donc mis sur l'aspect différencié, spécifique des compétences à la firme (Nelson, 1992) voire
à l'industrie. Les compétences combinent des aspects individuels et collectifs,
technologiques et organisationnels et fournissent une mesure de la capacité de l'entreprise à
résoudre des problèmes (Paulré, 97a; 97b).
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L 'analvse de la compétence économique où la firme est considérée comme un bloc de
compétences (Peteraf, 93) , une équipe compétente (« competent team ») (Carlsson et
Eli asson , 94; Pelikan , 89) ayant ses propres connaissances tacites, et exerçant un effet de
levier sur la productivité de tous les fac teurs à partir de la sélection et de la répartition des
moyens de production.
L'analvse resource-based: La firme fonde de plus en plus ses avantages compétitifs sur ses
ressources de base (Barney J .W., 86; 91 ; Wernerfelt, 84) en management, en hommes , sur
ses compétences foncières (Teece, 88), sur ses « core competencies » (Hamel et Prahalad,
90). Outre l' information qui constitue la mati ère première primordiale de toute entreprise, une
variable capitale pour se différencier, l'entreprise mise sur ses ressources techniques et
humaines, source essentielle de créativité et d ' innovation .
Notons, /'économie des compétences reste ancrée dans une économie de la production
structurée par les références de la fonction de production. La notion de compétence dev ient
un moyen analytique de rendre compte de la performance d ' organisation dans un
environnement économique particulier. La compétence est le résultat d ' un apprentissage, elle
est li ée à l' activité exercée et au contexte organisation nel ; à l' organisation qui J' accueille. Dit
autrement, un e nsemble de connaissances qui , couplées à l' apprentissage de la situation ,
produiront la compétence.
A l' ins tar du modèle évolutio nniste, la firme est conçue comme un «mécanisme
héréditaire » qui accumule des « behavioral patterns » de plus en plus complexes pour une
péri ode donnée du temps. Donc, la stmcture organi sationnell e d ' une firm e n'est plus
déterminée par ses coûts de transaction , mais plutôt par ses compétences ou capacités
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accumulées ( qui ne devraient pas être considérées comme des données exogènes). Les
connaissances ou compétences de la firme peuvent être accumulées tout au long de sa vie, à
travers des processus d ' apprentissage. D e tels processus d'apprentissage sont « path
dependant » et irréversibles.
Comme l' innovation , les connaissances et les compétences de la firme devraient être
considérées en tant que «flux à piloter et non pas en tant que stock à conserver » : i 1 s'agit
d 'évaluer ses connaissances et ses compétences, les enrichir, les valori ser, les protéger et les
développer. Une mesure de ces variables intrinsèques à la firme semble nécessaire afin de
m ieux gérer les changements nécessaires dans la structure et la vale ur de la production.
Toutes ces actions et ces procédures doivent être organisées, coordonnées et gérées car e lles,
génèrent de la valeur, des bénéfices, mais auss i des coûts.
Dans ce cadre, nous soulignons le rôle principal que jouent les compétences au sein de
la firme ainsi que la nature et la dynamique d'accumulation des compétences. En effet, les
« core competencies » sont cons idérées comme les compétences fondamentales de la firm e
(Prahalad & Hamel, 90) ; elles sont caractérisées par les d imensions suivantes :
Bie n que les sources de création indiquent l'ori gine des compétences, les processus
qui pe uvent m1t1er la création de nouvelles compétences constituent encore une «boîte
noire» que certains ont tenté d ' ouvrir (Marengo, 94; March , 91).
6
Fran sman (94) considère la firme comme« a processor of knowledge ».
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l'association avec des acteurs externes. De tels processus d'interaction entre compétences
internes de la firme et ses relations externes permettent d'acquérir et d'intégrer les apports
extérieurs, par Je biais de processus d'apprentissage organisationnel mis en oeuvre.
Les compétences sont ainsi «des états de connaissances intégrées, souvent exposées
à des changements» . D'où la nécessité de traiter ces compétences dans une perspective de
changement. La notion de compétence permet ainsi de combiner Je degré élevé de
changement à la complexité des interactions (Dierickx et Cool, 1989). Au-delà de la
dynamique de développement des compétences, nous soulignons l'importance des savoirs et
des règles qui gouvernent les relations de la firme avec son environnement. La compétence
ne se restreint donc pas à la dotation en facteurs ou encore à la détention et à la capacité
d 'accès à l'information, mais c 'est le produit des efforts antérieurs accomplis par la firme
pour se constituer un capital humain , informationnel et organisationnel lui permettant ainsi de
se différencier sur Je marché et partant de se procurer un avantage compétitif sur ses
concurrents.
Or, compte tenu de l'incertitude, la firme est amenée à construire une base de
compétence flexible, lui permettant de baisser les temps de réponse et de s'orienter vers de
nouveaux marchés. A défaut de ressources fondamentales, la firme se trouve astreinte de
développer de nouvelles compétences et plus spécifiquement de nouveaux skills et de
nouvelles connaissances pour survivre.
Sur cette base, la firme est une organisation dans laquelle le savoir se forme, se
reproduit, se modifie mais aussi disparaît. la notion de compétence implique « non seulement
un savoir-faire lors de la résolution de problèmes portant sur le rapport de la firme à son
environnement, mais aussi un savoirJaire et des règles régissant les rapports internes à la
firme» (Marengo, 1995). C'est une organisation qui apprend en s'inscrivant dans un
processus d 'apprentissage y compris les processus de sélection des savoirs par lesquels la
firme désapprend. Donc, outre les relations entre les acteurs, s'y ajoute le rô le des processus
cognitifs dans la construction dynamique des connaissances et dans le développement des
compétences.
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bénéficiaires de cette cristallisation sont à la fois les compétences ayant interagi mais aussi
l' organisation toute entière. En effet, les différents membres de la firme collaborent ensemble
afin de drainer, mettre en forme et construire l' information; les interactions entre les
différentes compétences favori sent la formation , la reproduction et la distribution des
connaissances au sein de l' organisation. Ces connaissances s'incorporent et se cristallisent
dans des procédures ou dans des relations.
Dans ce cadre, on suppose que c ' est l'organisation toute entière qui apprend. Sa
capacité d ' apprentissage dépend de ses capacités à mettre en forme et à faire circuler les
informations en son sein. Toutefois, l' acquisition de savoirs à l'extérieur est contrainte par ses
savoirs accumulés antérieurement ; néanmoins, c'est le savoir acquis à l'extérieur qui, à
travers un processus de stratification et de mémorisation, a enrichi la base de savoirs
( « knowledge base ») de la firme (Cohen & Levinthal , 1990).
Afin de faciliter l'acquisition des nouveaux savoirs, ces derniers doivent être liés a ses
savoirs antérieurs. Bref, la firme doit combiner ce qu'elle peut acquérir de l'extérieur avec
son capital technologique interne, afin de mener à bien le processus d'innovation. Les savoirs
acquis antérieurement par la firme déterminent sa cap acité d 'absorp t ion. On identifie ainsi
deux propriétés de la capacité d ' absorption : son caractère cumulatif et son rôle dans la
fonnation des anticipations quant à l'évolution des technologies. On retrouve ici le
mécanisme de dépendance de sentier. Cependant, l'imperfection de l' information combinée
à la rationalité limitée des agents souligne la dimension sélective des capacités d'absorption
et de production de l' information de la firme.
Le rôle joué par les capacités organisationnelles accumulées dans le temps, et par
l' accumulation des connaissances (Chandler, 1992). Les compétences dynamiques combinent
la capacité à œuvrer dans certains domaines (Teece & al., 1990) et le fait d'exceller dans les
processus d ' apprentissage qui y sont relatifs. Les choix des agents dépendent de leur
compétences . Elles sont de ce fait assimilées à des guides de l'action .
L' acc umul ation des conn aissan ces suit un cheminement (une trajectoire) : les
connaissances sont produites par des processus de recherche et de sélection suivis d ' une
adaptatio n à la base de connai ssances de la firm e lui permettant ainsi de créer de nou velles
compéte nces. La création de connaissances est fondée soit sur la producti on soit sur la
re production. Au ni veau de l'accumul ation des conn aissances, la firme procède à un arbitrage
e ntre : l' exploration , l'exploitation des connaissances.
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1) Processus de search : L'objectif d ' un processus de recherche est d ' identifier les
connaissances utiles ; ces dernières existent soit dans la base de connaissances de la firme soit
à l'extérieur. Au niveau interne, le processus de recherche porte sur les routines , les
compétences et connaissances existantes ; alors qu ' au niveau externe la recherche examine
les connaissances produites et rendues disponibles par d'autres firmes.
2) Sélection et adaptation : Ayant cherché les alternatives, la firme doit choisir par ailleurs
parmi des alternatives multiples et concurrentes, celle qui s'adapte le mieux à sa base de
connaissances. Toutefois, la complexité et la variété des alternatives rend difficile l'évaluation
du mécanisme de sélection (Nelson et Winter, 82) et le classement les options. Bref, le
processus de search conduit à l'accumulation de nouvelles connaissances, celles-ci sont
ensuite sélectionnées, triées, classées.
Cependant, le processus d ' accumulation des conn aissances est cumulatif et « path
dependant » . La dépendance de sentier contraint les options de la firme quant aux
développements de sa base de connaissances.
Selon March (9 1), l'exploitation exprime le raffinement, choix et sélection ; alors que
l'exploration englobe la variation , prise de risque, expérimentation, découverte, innovation et
la recherche. Et comme le sou ligne Marengo (93), «the trade-off between communality and
diversity of knowledge is also strict/y connected to the trade-off between exploitation and
exploration ». L 'exploitation et l'exploration (March, 91) représentent les divers résultats
d ' accumulation de connaissances en termes de production ou bien de reproduction des
connaissances (Kogur et Zander, 92).
Si , dans le long terme, la firme s' appuie seulement sur des connaissances internes, la
base du renouvellement et donc de su rvie de la firme disparaît dans le temps. Certes, la
facilité d'adaptation assure des solutions rapides, certaines et à bas coûts , mais la ré-
uti lis ation des connaissances existantes induit un apprentissage routinisé (« routinised
leaming » ), la firme introduit des changements mineurs et le rythme de renouvellement de sa
base de connaissances est plutôt le nt.
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opportunités externes entraîne un risque é levé et une base de connaissances dispersée, qui au
cas extrême mettra en danger le fondement même de 1'avantage compétitif.
Comment les compétences sont-elles accumulées ? Pour répondre à cette interrogation , nous
procédons à une combinaison des types de compétences aux processus d'accumu lation des
con naissances . Nous montrons, en effet, que chacu n des processus de : searc h, sélection et
adaptation peut être lié à un type particulier de compétence : stratégique, organ isationnelle,
fonct ionnelle et adaptative.
Compétence stratégique (sélective) : Les choix devraient être effectués à tous les niveaux
par la formulat ion de l'ensemble des «business strategies » (que produi re , où vendre, quelle
technologie utilise r, etc.), par le développement d'une structure organ isationnelle, la sélection
du personnel et de l' information, la formation e t les systèmes de motivation. La capac ité
d ' innovation et de création de la firme comme «forme spécifique de sélection» traduit son
aptitude à organiser pour produire et saisir les nouvelles opportunités. Autrement dit, la
capacité d'innovation détermine « comment la firme réagit avec le jeu d'opportunisme ».
7
Cette typologie des compétences est principalement fondée sur les travaux de Carlsson (1992) ; Carlsson et
Eliasson ( 1994).
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Compéte nce organisationnelle: Cette compétence modifie les processus d'adaptation et de
coordination. L 'adaptation assure la mise en place alors que la coordination organise les
connaissances afin de réaliser une certaine synergie entre les connaissances ex istantes et les
nouvelles connaissances.
Une fois Je problème est identifié, les processus de search, sélection et adaptation sont
activés. L ' une des barrières fondamentales quant à la résolution des problèmes dans les unités
opératrices réside dans Je manque de communication entre celles qui découvrent le problème
e t celles qui initient Je processus de création de connaissances.
Comp éte nce a d a p tative p a r le bia is d e processu s d ' appre ntissa ge : La capacité
d'apprentissage d ' une firme est une forme de compétence adaptative. Deux processus sont à
la base de cette compétence. Le premier est la capacité à apprendre du succès comme de
l'échec, à identifier et à corriger les erreurs qui condu isent à l'amél ioration de la compétence
adaptative e ll e-même. La capacité d'apprentissage sign ifie que les firmes «devraient, à titre
d'expérience, être organisées» (Eliasson. 87). Le second, est l' aptitude à améliorer les
autres types de compétence par feedback i.e. , l'aptitude à réaliser Je processus et l'aptitude à
mieux Je faire. Ainsi. la compétence adaptative est non seulement étroitement liée aux unités
opérantes mais surtout e lle permet de mettre à jour c hacune des compétences.
Il est ainsi possible de sché matiser le rapport e ntre les types de compétences et les processus
d'accumulation des connaissances comme suit:
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La firme se fonde donc non seulement sur sa base de connaissances internes
(codification) mais aussi sur les connaissances externes (incorporation), mises en œuvre dans
la résolution des çroblèmes et la préparation des décisions.
Tim e compression diseconomics : les firmes sont soumises aux press ions et aux turbulences
externes, ce qui requiert de nouveaux skills et des ressources complémentaires.
Asse! mass efficiencies : certaines compétences sont plus coûteuses à « build » lorsque le
stock d ' actifs préexistant de la firme est faible. Développer de nouvelles compétences
requiert de nouveaux savoirs et donc des dépenses élevées.
Asset interconnectedness: s i une compétence complémentaire fait défaut au cours du
processus d ' accumulation , alors tout l' effort de combinaison des compétences pourrait être
inutile .
Causal ambiguity : se réfère à l' incertitude quant à la recherche de facteurs et de processus
spéc ifiques nécessaires à l'accumulation d ' une compétence spécifique .
Toutes ces barrières ont un effet sur les décisions de la firm e qu ant à ses engagements
dans la « competence building » et la « competence leveraging ».
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A ce niveau , la question serait de savoir si la décision d'explorer ou d ' exploiter est
liée aux deux types de processus. Les différents types de compétences dépendent des sources
de création de connaissances ; elles sont considérées comme des stratégies de la firme. Sur la
base de ces dynamiques de compétence, la firme décide de s'appuyer sur une stratégie
d 'exploitation , d ' exploration ou sur les deux types de stratégies. Chacune de ces décisions
conduit à différents «behavioral patterns» des firmes : la combinaison des processus de
création de connaissances et la dynamique de compétences permet de définir les stratégies
comportementales de la firme.
Abordant tout particulière men t l' innovation comme la propriété de la firme, ce travail
examine la question des inte raction s e ntre compé te nces et innovation à savoir : les
compéte nces requi ses dans un processus d ' innovation (« compétences pour innover ») e t le
rô le de l'innovation dans le dé ve loppe me nt de nouve lles compétences.
A u sein de la firm e, l' innovation se traduit par l' introduction de c hangements qui lui y
sont util es te ls que : la mise e n pl ace de nou vell es mé thodes de produc ti on et des m odes
d'organisatio n des acti vités économiques qui contribuen t de façon déte rminante à la
croissance économique. Ces c hangeme nts, qu ' ils soit dé libérés (pour la conquête de
nouveaux marc hés) ou subis (pour répondre aux conditi ons conc urre ntie lles) con duisent la
filme à déterminer les co mpétences fondamentales req ui ses pour que l' innovation ex iste et
soit re ntable. C'est donc e n s' in scri vant dans une s ituati on constante d'appre ntissage que la
20
firme peut déte nir une capacité de création de nouveaux produits et de nouveaux marchés,
c'est-à-dire « l'efficacité technologique dans le temps» ( Gaffard, 90) et que l' innovation peut
être considérée comme un output et comme le produit d ' une accumulation de compétences au
sein del' organisa:ion.
Cette vision est pertinente pour les industries où l'innovation est une condition de
survie de la firme , c'est-à-dire lorsqu 'elle évolue dans un contexte schumpétérien (destruction
créatrice) où chaque position dominante sur un marché peut être remise en cause par les
innovations concurrentes. L' idée de création et de dynamique est associée à l'innovation. La
création apparaît tout autant sur Je marché (Schumpeter (42) qu'au sein de la firme.
s Selon Schumpeter ( 1942), le marché est un lieu de création: à la fonction d' allocation de ressources s'y ajoute
celle de création.
21
En clair, la démarche n 'est plus de choisir une orientation et d'en déduire les moyens
et compétences nécessaires mais d'asseoir des choix stratégiques sur des compétences
reconnues et maîtrisées par l'entreprise, sur les connaissances, les savoirs et les savoir-faire
qu i permettent de se spécifier sur le marché. Pour se différencier des concurrents, les
entreprises utilisent leurs compétences distinctives fo ndées non seulement sur les coûts mais
aussi sur la qualité, le délai, l'innovation pour dégager de la valeur. La valeur de chaque
activ ité concerne tout autant les produits que la structure de la firme, ses procédures de
fonctionnement, ses compétences.
La capacité d ' innovation de la firme dépend tout autant de sa capac ité à exploiter ses
connaissances internes que les connaissances technologiques externes . Sa capacité à recevoir,
trier et utiliser des connaissances externes est «une fonction du ni veau technologique déjà
atteint par la firme ou de sa capacité à maîtriser les (« funds of knowledge »). Ces
connaissances relèvent donc des compétences de base, générales ou techniques, des
connaissances scientifiques et technologiques les plus récentes de différents champs, et des
capacités à communiquer (shared language) au sein de la firme.
A ce niveau, il y a lieu de s' interroger sur les interactions qui permettent «la
formation et la distribution d'un ensemble organisé de compétences capable de créer, mettre
en fo rme et faire circuler l'informa tion ». Les compétences requises pour que l' innovation
soit rentable corresponde nt aux grandes fonctions du processus d'innovation (par exemple
« savoir financer l'innovation », «savoir évaluer ex ante les coûts de l'innovation» , etc.).
Mais, rares et coüteuses, complémentai res ou substituables, ces compétences font l'objet de
cho ix stratégiques de l' e ntreprise, qui doit gérer au mieux son «portefeuille de
compétences » .
S ' appuyant sur les travaux de Tushman et Anderson (86) sur les innovations, on en
distingue deux types : celles qui développent des compétences et celles qui les« détruisent ».
Les inno vations incréme ntales sont « amélioratrices » en ce sens qu ' elles correspondent à la
conception de l'accumulation continue des compétences, alors que les innovations radicales
fondées sur une rupture avec les soluti ons connues, la prise de risque et l' exploitation de
I' incen ain sont « destructrices » : le processus de destruction des compétences qui en résulte
9
Les« compétences pour innover » font J"objet d' une e nquête me née par le SESSI ( 1998).
22
implique que la firme acquière des connaissances radicalement nouvelles au lieu de
développer la trajectoire de connaissances exploitée jusqu'alors.
D ' où, les effets en boucle entre innovation et compétences : lors d ' un processus
d ' innovation , la firme identifie les compétences requises pour mener à bien ce processus. Les
processus de construction des compétences et les mécanismes de construction de
connaissances productives s'appuient principalement sur l'apprentissage. Une fois construites
et développées, ces compétences conduisent la firme à introduire de nouvelles techniques au
sein de l'organisation. Par la même occasion, sur la base de ces nouvelles options, la firme se
trouve quelques fois amenée à renoncer à certaines de ses anciennes compétences.
Ceci étant, la mise en rapport entre l'accumu lation des compétences et la capacité
d ' innovation de la firme ne doit pas nou s conduire à une conception « interna liste » de
l' innovation . S'il est patent que les compétences tout comme les savoirs sont obsolètes et que
les innovations ont un effet destructeur sur les connaissances, les techniques et les produits
qu'elles peuvent déclasser, l'innovation est validée par les parts de marché qu'elle confère à
l'entreprise (économie marchande).
Cette dynamique des compétences est « path dependent » : les choix actuels de la
firme sont astreints par ceux passés et, de même, restreignent ses choix futur. Donc, outre le
fait qu'i l est incrémental, le processus d'acquisition des compétences dépend de la structure
atteinte par l'entreprise et est irréversible. Néanmoins, cette irréversibilité ne coïncide pas
forcément avec une diminution des degrés de liberté du choix de l'agent, ce dernier peut saisir
des occasions afin de « tordre » la trajectoire (Dos i & Metcalfe, 89).
23
Figure 1. Les interactions : innovation , compétences, performance
Apprentissage
Performance Performance
en t en t+l
Organisationnel Abandon des
Knowledge compétences
Par ail leurs, la construction des compétences dépend des apprentissages, des
connaissances et des informations. Elle s'accompagne d'une sélection des savoirs et savoir-
faire. Grâce à des représentations, des processus cogni tifs qui assurent la distribution des
connaissances et des compétences, la firme peut capitali ser et incorporer les savoirs qui sont
souve nt à l' œuvre dans des dispositifs organisationnels. Deux propriétés sont en effet
inhérentes à la dynamique des compétences. Les compétences sont soumises à un processus
de déconstruction. Pour cette raison les compétences sont soumises en permanence à une
contrainte de renouvellement. L ' exigence de renouvellement varie selon les conjonctures.
« Ainsi, il y a des moments où la formation des compétences est plus cruciale, où se réalise
une sorte de «cristallisation » irréversible pour la dynamique à venir, des conjonctures
imprévues qui poussent les agents à prendre des décisions et sont porteuses de connaissances
nouvelles » (Foray et al. , 99).
24
6. Compétence, apprentissage et économie des coûts de transaction
Certes, chaque firme a tout intérêt à détenir le plus possible de compétences, toutes
choses égales par ailleurs. Toutefois, l' acquisition de nouvelles compétences , le
développement et le maintien de son «panier » de compétences impliquent des coûts : en
effet, la détention de nouvelles compétences peut d ifficilemen t se faire sans de nouveaux
investissements ou encore un renoncement à certaines des compétences déjà existantes. Ce
qu i requ iert l' établissement d'une « hiérarchie du « panier » de compétences». Une telle
hiérarchie faisant fond sur un calcul coût/avantage permet à la firme de déterminer les
compétences qui lui sont préférables, celles qui sont complémentaires entre elles et celles qui
sont substituab les et donc redondantes.
Il s'agit ainsi d ' une organisation apprenante, capable d' intelligence (Senge, 9 1).
"l'entreprise apprenante améliore non seulement les connaissances et les compétences de ses
membres. mais se construit comme un système d'apprentissage collectif qui apprend en
permanence et se transforme pour atteindre ses objectifs."
Ces débats sur l' organ isation apprenante se réfèrent simul tanément aux deux corpus
théoriques fondant la théorie de la firme (évol utionniste et contractuelle). On distingue ainsi
entre deux types d'entreprises: l'entreprise apprenante (où se constrn it les compétences)
trouve ses origines dans la théorie évolutionniste de la firme. L' entreprise qualifiante (où se
construit l'employabilité, i.e la capac ité à s'intégrer dans une autre organ isation, à se
réadapter à une autre organisation) renvoie, quant à elle, à la théorie contractuelle de .la
firme. L'idée de contractualisation sous-tend également la capacité d 'un même agent à
conc lure un ou plus ieurs contrats simultanément.
Tableau 4.
Théorie Théorie
évolutionniste contractuelle
Entreprise Entreprise
apprenante qualifiante
Compétences Employabilité
25
L'apprentissage est une « métacompétence » permettant le déploiement et le
renouvell ement des autres compétences de la firme. Or, tout processus d'apprentissage
(d'acqu is iti on de connaissance et de renouvellement des compétences) implique des coûts :
coûts d recherche de solutions, le coût d'un brevet ou le prix d'une acquisition. Ainsi ,
lorsqu'une firme cherche à acquérir une nouvelle compétence ou rehausser ses compétences
actuelles, elle doit prendre en considération Je coût total d'une méthode particulière
d'apprentissage. Le coût total CT inclut donc les coûts de transaction CT' (Williamson, 1975)
et les coûts directs CD.
Les coûts de transaction reflètent les coûts associés au processus d'apprentissage; ces
coûts déclineront dans le temps. Les coûts directs sont ceux qui peuvent être assignés
spécifiquement aux connaissances acquises (i.e. Je prix d'un brevet ou Je reeingineering du
temps dépensé pour une invention).
7. Résumé et Conclusion
Cette étude aboutit à deux conclusions. La première souli gne la difficulté de mesure de
la compéte nce. La seconde, d'ordre plus théorique, met l'accent sur la nécessité de repérer les
complémentarités utiles entre la théorie des coûts de transactions et la théorie évolutionniste
de la firme.
26
cognitives et dynamiques. Le néo-institutionnalisme repose sur une conception trop
s uperficielle des processus de sélection et d' apprentissage et bute sur des questions liées aux
facteurs de choix des « structures de gouvernance » par les agents économiques et à
l'évolution de ses structures, tandis que la conception évolutionniste ne tient pas compte des
motivations individuelles dans son analyse des formes organisationnelles. Donc, par
ignorance de la gestion des intérêts individuels par les organisations a du mal à rendre
compte des formes organisationnelles nécessaires à l'association des compétences et à
l' innovation. Or, comme le montre l' analyse néo-institutionnelle, la théorie de l'agence ou
celle des incitations , les formes organisationnelles sont en large partie construites à partir de
ces motivations et les dispositifs organisationnels sont principalement destinés à contrôler les
motivations individuelles pour comrôler les comportements.
La démarche consiste à repérer, s'il existe, les intersections entre ces deux théories
lorsqu'on aborde un certain nombre de questions, comme l'économie des dispositifs
organisationnels (théorie évolutionniste) et l'analyse des changements organisationnels pour
la théorie néo-institutionnelle. Ce qui requiert parfois l'articulation de ces deux corpus, tout
en restant relativement autonomes, c'est ce qui fait précisément l'objet d'intérêt de
l'économie des compétences. A ce stade, il y a lieu de s'interroger sur les possibilités qu'offre
cette approche, i.e. sa capacité à expliquer les conditions d 'émergence et de développement
des activités industrielles et appréhender la coordination de ces activités par des modes
d 'organisation spécifiques. L 'approche en termes les compétences explique en effet
l' émergence, la structure et les fronti ères de la firme par la présence de compétences
individuelles et collectives, qui sont préservées et renforcées par l'organisation. La théorie
évo lutionni ste de la firme représente, dans ce cadre, un sous ensemble fondamenta l de
r approche des compétences. Néanmoins, des travaux évolutionnistes récents sur la
« cohérence de lafirme » (Avadikyan, Cohendet et Llerena,1995) font recours aux arguments
contractual istes pour appréhender lorganisation des activités productives.
Au terme de cette anal yse, f'éco11omie des compétences dynamiques s'oriente donc
vers une tentative de synthèse ou tout au moins une conciliation des apports de l'économie de
coûts de transaction et de l'économie évolutionniste. Pour reprendre l' expression de Winter
S.G. (88) l'approche « competence-based ou resource-based » est une synthèse de la théorie
des coûts de trans acti on et la théorie évolutionniste de la firme.
27
28
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