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Pierre Marty
2003/2 no 24 | pages 9 à 32
ISSN 1164-4796
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Dossier
PIERRE MARTY
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* Cet article a été publié pour la première fois in Revue actualités psychosomatiques, vol. 2,
« Mouvements d’organisation et de désorganisation pendant l’enfance », Georg Editeur, Genève,
p. 153-178.
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Une étude psychosomatique quelconque met toujours au premier
plan le point de vue économique, c’est-à-dire le système de distribution
énergétique, qualitatif et quantitatif, de l’individu, à la fois sur le plan
intérieur et dans ses relations extérieures. Cette position est particuliè-
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La malade apprécie donc très justement la situation dans laquelle
elle se trouve avec moi, et je ne manque pas de remarquer cette qua-
lité. Cependant l’absence apparente de réticences, de fuites devant
moi, que ces fuites aient lieu dans sa pensée, dans le contenu de son
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sée mais souligne cependant que la parole peut correspondre à des
niveaux de pensée très différents les uns des autres.
Quoi qu’il en soit, le récit de Mathilde demeure fatalement très inégal
dans son intérêt. Or la difficulté de ses relations anciennes et actuelles
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Je fais ici le naïf car ces mouvements localisés et répétitifs ne surpren-
nent guère ceux qui ont l’habitude de fréquenter les patients en état per-
manent d’hypertonie musculaire. Une zone limitée à la motricité
échappe ainsi souvent au contrôle.
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nombreux éléments, je le pressentais, avaient forcé Mathilde à se domi-
ner, davantage qu’à s’exprimer. Et le système s’avérait maintenant
automatique, inconscient, inévitable.
Il restait cependant à vérifier, à partir de mon observation première,
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l’exactitude de mon intuition, laquelle, je dois le dire, était déjà pour moi
largement étayée.
Je voudrais m’arrêter un peu pour retenir votre attention sur la tech-
nique de l’examen de Mathilde jusqu’ici. J’ai laissé, vous l’avez remar-
qué, peu de place au contenu du discours de la malade. J’ai accordé par
contre une grande importance à la forme de ce discours, à la tenue de la
patiente, et surtout au système de relation qu’elle adoptait avec moi.
Je vous ai donné l’exemple de mouvements d’identification à Mathilde,
puis de mouvements seconds de prise de distance, raisonnables si l’on peut
dire, en tout cas enrichis de mon expérience. Ce procédé constitue le fond
même de la dynamique qui se déroule, je vous l’ai dit, dans les investiga-
tions psychanalytiques et psychosomatiques. L’investigateur se fatigue
assez vite dans ce double mouvement, quelquefois très éprouvant, d’autant
que les approximations cliniques successives qui en résultent déterminent,
au fur et à mesure du déroulement de l’investigation, la conduite à tenir
devant le malade, conduite qui évolue souvent de façon progressive.
Devant Mathilde, mon travail s’avérait particulièrement fatigant. La
fatigue inhabituelle que je ressentais ne représentait sans doute pas autre
chose que le résultat, en miroir, de mon impossibilité d’exprimer d’au-
cune manière musculaire la violence des affects que j’éprouvais aussi en
m’identifiant à Mathilde. Naturellement, j’avais cependant des avantages
sur Mathilde, et particulièrement celui de pouvoir manipuler intérieu-
rement, dans ma pensée, les divers éléments qui constituaient son pro-
blème. Or cette activité mentale me dégageait de mes propres hypertonies
motrices issues de mon identification épisodique à la malade.
Autrement dit, je suis en train de vous signaler ici un mécanisme
d’adaptation, ou de défense, que je possédais devant la malade, et
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diverses circonstances qu’il traverse, et de le défendre en même temps
contre les blessures auxquelles il est exposé.
Les mécanismes de défense dont je vous parle peuvent naturellement
s’exagérer et même prendre le pas sur la réalité. Vous savez, par
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à tout un tas de choses. Mes crises, c’est toujours quand j’ai des soucis,
ou quand je suis contrariée, quand je suis coincée ou que je me sens
seule.
Avant, quand j’avais des soucis, ça marchait bien quand même.
Maintenant un rien, et je ne dors pas la nuit. Je me réveille complète-
ment épuisée. La nuit, je ne dors pas, je suis préoccupée. Je m’agite et
je me retourne sans cesse mais il y a quelque chose, je ne défais pas mon
lit.
Ça me fait aussi souvent mal dans les yeux, ça me pique. C’est le tra-
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vail de contre-jour, la lecture. J’ai souvent besoin de fermer les yeux.
J’en ai assez de me bagarrer ; fermer les yeux, ça me repose. La lumière
me fatigue. Je ne peux pas fixer mon attention pour lire. Avant, j’étais
vraiment dans mon bouquin. Maintenant, je n’y suis que pour la moitié.
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Je pense à autre chose. Je ne sais pas ce que je viens de lire. Je suis tou-
jours obligée de reprendre. Je lisais beaucoup autrefois. Maintenant je
lis avec les yeux, mais ça ne s’enregistre pas.
Je ne rêve pas, sauf quelquefois quand je m’endors : je tombe en des-
cendant un escalier. Je crois que c’est la seule chose que je rêve.
Dans la journée, je ne pense pas beaucoup. Je pense à des choses qui
ne bougent pas. Pour moi, je ne pense pas puisque, ce que je pense, c’est
toujours pareil.
Par exemple, l’autre jour avec ma copine. Elle m’a demandé ma
taille. Je lui ai dit : 1 mètre 67. Elle ne voulait pas me croire. J’y ai pensé
toute la journée. Je n’y comprenais rien. Je me disais : “Quelle chipie,
elle ne m’aime pas. Si seulement je pouvais ne pas la revoir.”
Une autre fois encore une grand-mère, une voisine, m’a demandé de
lui faire une course. J’étais énervée. Je lui ai répondu un peu brusque-
ment. Toute la journée j’ai regretté de l’avoir peinée.
Il y a quelques jours, en revenant de la gymnastique où le professeur
avait compté à contretemps pendant les exercices, je ne faisais que pen-
ser au professeur qui comptait à contretemps par rapport à la musique
que j’entendais. Je sais que je me restreins toujours dans mes attitudes
et dans mes mouvements. J’aimerais courir et m’amuser. Mais c’est ridi-
cule à mon âge.
J’aimerais que ça fonce, que ça aille. J’aime qu’en vitesse tout soit
bien fait. Un médecin déjà me l’avait bien dit : “Il faut vous extérioriser
davantage, il faut bondir, il faut crier.”
Tous mes troubles ont commencé surtout il y a deux ans. Ça n’est
donc pas à la mort de mon mari. Alors, plus qu’avant encore, j’ai eu le
souci de ne pas laisser percevoir ce qu’il y avait et de me dominer davan-
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tage. Je restais prostrée des heures entières – c’est l’histoire de mon frère
qui a tout fait : Je l’aime beaucoup trop ce gars-là. »
Mathilde parle maintenant de sa famille et de son évolution : « Je suis
la quatrième de six enfants. Les cinq premiers sont de mon père. Ma
mère, depuis le départ de mon père, a eu une petite fille. Après moi, il y
a mon frère, celui qui me donne tant de soucis, qui a trois ans de moins
que moi. Puis cette petite fille, qui a six ans de moins.
J’ai très peu connu mon père. Avec Maman, ça ne devait pas aller
tous les jours. C’est Maman qui est partie en 1938. En 1939, j’avais
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quatre ans, c’était la guerre. Mon père a été mobilisé peu de temps. Il ne
s’est sans doute pas chargé tellement de notre éducation. Il n’a jamais
donné d’argent. Après la guerre, il a fait de la résistance. Il occupait une
situation supérieure à la nôtre. Il était maire d’un arrondissement de
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cis avec lui. La vie l’a rendu bizarre. Il a toujours été très bourru,
tendu. Il passait son temps à se battre. Il se battait avec les professeurs
au lycée. Il a eu une grosse histoire, il y a deux ans. Jusque-là, il avait
beaucoup travaillé, il était honnête. Et puis là, il a été arrêté. Il avait
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connu des amis et il a sans doute été entraîné. Il faisait travailler les filles
pour lui. J’ai été le voir en prison, vous ne pouvez pas savoir ce que ça
a été pour moi. Ma mère, on a essayé de le lui cacher mais elle le sait
quand même maintenant.
Il a eu toujours la vie difficile depuis qu’il était jeune. S’il voulait
bien se décider à mener une vie normale : moi, je m’étais bien rendu
compte de ce qu’il devait faire. Moi, je plie toujours pour avoir l’har-
monie dans la famille. Il rencontrerait quelqu’un qui l’aimerait bien, une
affection masculine surtout, il changerait. Je crois que je perçois bien
mon frère – c’est un homme. Avec moi, il ne veut pas toujours se laisser
aller. Je comprends. Il me donnerait bien de l’argent, mais il sait que je
le refuserais sachant d’où vient l’argent.
C’est l’histoire de mon frère qui a déclenché tout de mon état de
maladie.
Ma fille – avant sa naissance, j’avais déjà peur qu’elle naisse dif-
forme. Dès sa naissance, elle pleurait et criait toute la journée. Les
pédiatres ne savaient pas pourquoi. Il fallait toujours que je me domine.
Je la secouais. Je la promenais. On me disait : “Il faut vous en occuper”
– ça m’énervait. Je m’en occupais – mais, quoi que je fasse, elle pleurait.
Elle a eu la diarrhée à trois mois.
Elle a commencé à danser sur ses jambes vers 5 mois. Elle faisait ça
toute la journée. Moi, je la tenais avec une couche pour qu’elle le fasse
– ça la calmait. Il fallait s’occuper d’elle tout le temps.
Je lui parlais un peu, mais pas trop peut-être. Elle n’était pas câline.
Elle a maintenant 8 ans. Je lui fais faire de la danse. J’avais peur. Elle
est raide et très godiche, mais elle est gracieuse – ça lui plaît beaucoup la
danse. Elle est enchantée, ravie, ça lui fait plaisir.
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J’ai quand même des gros soucis avec ma fille. J’ai toujours peur
qu’elle s’ennuie avec moi. Elle est toute seule, elle tourne. Elle dit : “Ici,
c’est pas drôle, il n’y a jamais de dispute, c’est toujours pareil.”
J’ai peur pour elle qu’il m’arrive quelque chose. Qu’est-ce qu’elle
ferait ?
Quand j’étais petite, ma mère m’a dit que je dormais toute la journée.
Gosse, je n’avais pas de souci – je ne prenais pas garde de savoir si
j’étais distinguée ou non.
À ce moment-là, je jouais, je chantais toute la journée. Le seul endroit
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où je pouvais jouer, c’était en classe. Je n’aimais pas rester tranquille.
À la maison, la situation était bizarre – c’était moi que ma mère char-
geait, déjà, par exemple, de s’occuper de toutes les situations adminis-
tratives et de régler ce qu’il fallait. J’avais 12 ans alors. J’ai été en
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pension de 7 ans à 15 ans, je rentrais tous les quinze jours. C’était une
pension religieuse. Là, on m’a montré comment il fallait se tenir, com-
ment il fallait être, ça a dû bien pénétrer en moi. À 15 ans, je suis ren-
trée à la maison ; on m’avait renvoyée parce que j’étais trop chahuteuse.
À partir de 18 ans, j’ai été professeur d’éducation ménagère. C’est
mon ancienne directrice d’école qui m’avait trouvé ce travail. J’ai fait un
apprentissage avant. À l’école de couture, on me faisait tenir tranquille
en me promettant une partie de ballon. Quand je lisais, en classe, les
autres filles aimaient bien. Les camarades me choisissaient toujours pour
lire pendant les classes de couture, parce que je mimais en même temps
que je lisais. Ça leur plaisait.
Enfin, je me suis mariée à 21 ans. Je l’aimais bien mon mari, c’est
sûr. Mais j’étais trop enfant. J’aimais trop jouer et faire du sport. J’étais
le désespoir de la maison. Je ne demandais qu’à partir avec un ballon.
Quand je me suis mariée, automatiquement ça été fini.
Je n’avais aucune idée sexuelle. Je savais bien ce qui m’attendait. Le
soir de mon mariage, j’ai dit : “À la grâce de Dieu !” J’avais peur.
J’ai toujours été frigide. Il y a quelque chose qui me déplaît, là. C’est
écœurant, abject, désagréable.
Peut-être que c’est à cause de ce qui m’avait entouré avant. Quand
nous vivions tous à l’hôtel, que j’étais petite, je voyais des scènes obs-
cènes et lamentables. »
Enfin, quelques aperçus de Mathilde sur son organisation actuelle :
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Il n’y a que depuis que j’en parle à d’autres que je retrouve à peu près
l’équilibre. »
« J’explique aux autres leurs difficultés, pour moi-même y voir plus clair. »
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À cet effet – mais le système n’était pas très conscient pour Mathilde
avant son entrevue avec moi –, elle s’occupe d’adolescents en difficulté,
« moins cependant depuis que je suis malade ».
Les adolescents – presque uniquement des adolescentes d’ailleurs –
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« Ces filles-là ne demandent qu’une chose : qu’on les aime. Elles ne savent
pas que faire. Elles vont avec n’importe qui. C’est pas parce que le gars va
être amoureux quinze jours-trois semaines que ça va durer. La fille, si elle se
trouve enceinte après, qu’est-ce qu’elle fera ?
Moi, je leur parle, je leur explique. Elles viennent chez moi. Je leur apprends
aussi des tas de choses de l’enseignement ménager.
J’essaye de pousser les filles et les gars à se distraire ensemble. Je leur dis :
“Si quelqu’un vous manque un jour, un copain que vous aimeriez, par
exemple, vous ne seriez pas seule pour autant.”
Quand on est seule, on en cherche toujours un. Et c’est là qu’on peut man-
quer. »
Je dois ajouter que Mathilde suit ses propres conseils. Elle a quitté
une fois une bonne place de bureau qu’elle occupait, sous le simple pré-
texte que son chef de bureau lui plaisait.
J’en ai fini maintenant de l’observation directe de la malade. Cette
observation n’est pas complète mais nous en savons assez pour préciser
encore la fatigue de Mathilde et pour commencer à en élucider la genèse.
La fatigue de Mathilde, nous l’avons vu, est essentiellement une
fatigue générale, musculaire, surtout en rapport avec une restriction per-
manente de son activité motrice. Comme classiquement, il en résulte chez
Mathilde une hypertonie épuisante. Le cortège habituel de l’hypertonie
pathologique se retrouve ici avec les tremblements d’une part, les rachi-
algies d’autre part.
Comme nous l’avons montré, il y a plus de dix ans, avec Michel Fain,
les rachialgies témoignent de zones de contractures motrices à partir, le
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Vous avez d’ailleurs vu que Mathilde ne rêvait pratiquement pas. On
pourrait penser qu’elle ne se souvient seulement pas de ses rêves. Je
crois cependant que la censure que Mathilde exerce sur elle-même est
une censure profonde qui même la nuit ne laisse pas aller librement sa
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pensée.
Le jour, nous l’avons vu aussi, la pensée est stagnante, immobile à
l’image du corps. À partir d’un fait troublant, traumatisant, nous ne
voyons aucun des mécanismes de défense mentale dont je vous ai parlé.
Plus encore, nous ne voyons même pas apparaître les signes d’une acti-
vité mentale normale, d’une simple manipulation de pensées. Il n’y a pas
d’associations d’idées, par exemple il n’y a pas de tentatives de com-
prendre ce qui vient de se passer, de le réduire à sa juste proportion. Il n’y
a pas non plus de représentation agressive sur le plan de l’activité mentale.
Rien ne vient ici éponger la tension interne. Celle-ci subsiste, intacte et
permanente, sans élaboration de l’inconscient, sans évocation du passé ni
de l’avenir. La rumination simple de l’événement traumatisant récent n’a,
bien entendu, aucun effet de résolution du conflit interne, aucun effet de
détente. Je suis obligé d’insister sur ce point. L’absence d’ouverture men-
tale telle que nous la constatons chez Mathilde – c’est-à-dire l’impossibilité
d’utiliser les voies normales, physiologiques de l’activité mentale – consti-
tue un symptôme toujours d’une grande importance.
Normalement, en effet, la pression de l’inconscient, des pulsions ins-
tinctives, le processus primaire (il s’agit d’un bloc à la fois affectif, sen-
soriel, moteur, viscéral et représentatif aussi, qui s’établit dans les
premiers mois de la vie et prolonge ensuite une certaine activité), nor-
malement donc, la pression de cet ensemble doit se dégager en grande
partie par voie mentale. Autrement dit, pour résumer, l’inconscient doit,
dans une certaine mesure, évoluer plus ou moins en permanence à tra-
vers le préconscient, jusqu’à la conscience.
Lorsque cette évolution ne peut pas se faire régulièrement, on constate
d’abord pendant un certain temps des céphalalgies, ensuite on voit éclore
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cient par la voie mentale, l’importance précise que je viens de lui donner.
Il ne faut voir ici, d’aucune façon, une maladie mentale au sens clas-
sique du terme. Du reste, vous avez pu apprécier à la fois les qualités
d’intelligence, d’adaptation, de justesse, de compréhension et de pré-
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sence de Mathilde dans son contact avec moi. Vous avez également
apprécié sa conscience de ses limitations actuelles, tant sur le plan men-
tal que sur le plan musculaire.
Dans la symptomatologie de Mathilde, nous trouvons encore les
insomnies et les crises d’angoisse.
L’agitation nocturne est un fait courant chez les hypertoniques
moteurs. Le phénomène est facilement compréhensible. Deux facteurs
essentiels entrent en jeu en effet :
– D’une part la cessation des stimuli sensoriels et visuels en particu-
lier en raison de la nuit et du repos général humain et matériel qui
l’accompagne. Tout le système des relations extérieures de l’indi-
vidu s’arrête de ce fait. Une certaine dépense énergétique de cap-
tation sensorielle ne s’exerce plus. Parallèlement, la dépense
musculaire habituelle, celle de l’expression motrice dans les rela-
tions ou dans l’activité banale, cesse également. Cependant les ten-
sions internes demeurent. Il y a donc à ce moment une surcharge
énergétique interne. Celle-ci devrait s’écouler normalement, par le
canal du rêve. Dans les cas identiques à celui de Mathilde où la cen-
sure limite considérablement l’activité onirique, c’est tout naturel-
lement la voie de décharge musculaire qui est utilisée.
– D’autre part, les tensions internes sont considérablement réanimées
la nuit dans la plupart des cas en raison de souvenirs nocturnes de
la première enfance qui donnent un regain d’activité à ce bloc révo-
lutionnaire que j’ai appelé tout à l’heure le processus primaire.
On comprendra facilement ainsi dans le cas de Mathilde à la fois l’in-
somnie et l’agitation nocturne. Nous devons remarquer cependant que
Mathilde, tout en se retournant sans cesse, ne défait pas, ne déborde pas
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son lit. Je crois qu’il s’agit là d’un nouvel effet de sa vigilance musculaire
à ne pas se laisser aller. Cependant cette vigilance nocturne nous montre
encore une fois la profondeur du niveau d’exercice de la censure. Les
crises d’angoisse surviennent dans la journée, lors de situations relative-
ment précises. Elles répondent à ce titre à la loi de la distance névrotique,
telle que Maurice Bouvet l’a décrite. Cette loi est relativement facile à com-
prendre : tout individu cherche à travers ses mécanismes de défense, qu’ils
soient névrotiques, psychotiques, ou même dans certains cas psychoso-
matiques, à se tenir à une distance convenable de ses objets privilégiés,
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c’est-à-dire à une distance convenable des personnages, des objets maté-
riels ou des situations qui affectivement ont un intérêt brûlant pour lui. La
distance convenable se situe ni trop près ni trop loin de ces objets. Elle
évite à la fois les risques d’agression – disons les risques de se brûler – et
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les risques d’abandon – disons les risques d’avoir froid. Lorsque la dis-
tance opportune est rompue, du fait des circonstances, l’angoisse apparaît.
L’angoisse de Mathilde apparaît ainsi lorsqu’elle se trouve seule, iso-
lée, c’est-à-dire à trop grande distance de ses objets privilégiés (on peut
compter sûrement sa mère et sa fille parmi ces objets). Au bureau, chez
le coiffeur par exemple. Surtout lorsqu’elle a des soucis qui surchargent
sa tension habituelle pourtant déjà assez marquée. Parce que bien
entendu, du fait des circonstances, chez le coiffeur, au bureau, ses pos-
sibilités de dépense sensorielle et musculaire courantes sont encore plus
limitées qu’à l’habitude, la voie de décharge mentale demeurant toujours
close. L’angoisse apparaît aussi lorsque Mathilde se trouve isolée avec sa
fille, c’est-à-dire à trop courte distance d’un de ses objets privilégiés. Je
n’insisterai pas ici sur la tachycardie qui se manifeste alors – retenons
seulement qu’il s’agit d’un symptôme d’accompagnement banal de l’an-
goisse chez les individus ayant une structure de personnalité du type de
celui de Mathilde. Je n’insisterai pas non plus sur les tendances lypo-
thymiques dont l’analyse nous entraînerait trop loin.
J’ai gardé pour la fin la symptomatologie oculaire.
Mathilde nous donne trois facteurs essentiels de sa fatigue oculaire,
de ses picotements aussi : le travail, la lumière, la lecture. On est en droit
de penser qu’au niveau de la musculature striée de l’appareil oculaire
l’hypertonie règne autant que sur le plan général. Je vous ai signalé que
pendant l’examen Mathilde ne me regardait pas régulièrement – que ses
yeux étaient surtout braqués vers ses mains –, qu’elle me jetait seulement
quelques regards furtifs. Et ceci confirme l’absence du laisser-aller de ses
yeux. On comprendra donc, ici comme ailleurs, que le travail qui doit
attirer et retenir obligatoirement la vue constitue, dans le climat de
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résoudre ses conflits dans l’apaisement éventuel d’une activité mentale de
représentations visuelles comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure. Mais
nous savons que justement la bagarre est en elle-même et que cela ne lui
sert sans doute pas à grand-chose de fermer les yeux et de penser tant que
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Mais chez Mathilde nous avons en même temps une troisième activité
oculaire, celle de la fameuse seconde moitié qui pense en même temps à
autre chose. C’est-à-dire qu’aux projections des fantasmes visuels que
suggère la lecture se mêlent d’autres projections : celles de la reviviscence
– sans doute – des scènes conflictuelles que Mathilde a traversées et qui
n’ont pas été élaborées mentalement.
Le livre de Mathilde constitue donc à la fois un triple écran :
– celui de l’écriture qui crée la stimulation sensorielle ;
– celui de la projection des fantasmes visuels issus du contenu de la
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lecture ;
– celui enfin des projections stagnantes des conflits effectifs et récents
de Mathilde.
Je pense bien dans ces conditions que les yeux de Mathilde, braqués
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névrose obsessionnelle – et qu’elle aurait dans ces conditions toute
sa vie une activité sensorio-motrice importante ;
– d’autre part, que lors des difficultés qu’elle rencontrerait son
système sensorio-moteur servirait facilement de zone de repli en
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pour nous de valeur que dans la mesure où il répond à un système anté-
rieur d’organisation spécifique, que dans la mesure où il répond à des
références antérieures précises.
Au milieu de ces propositions, je vais donc situer Mathilde.
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Notre malade s’est montrée, dès ses premières années, une person-
nalité d’expansion motrice, une enfant qui devait se dépenser musculai-
rement pour vivre avec bonheur.
Nous ne pouvons pas discuter rétrospectivement du rôle de l’hérédité
génétique, ni du rôle des premières relations avec sa mère dans l’éta-
blissement de cette nécessité des dépenses musculaires.
En faveur de l’hérédité, nous avons l’argument d’une identique
conformation de la fille de Mathilde par rapport à sa mère. Mais cela
demeure aléatoire.
Quant aux relations précoces de Mathilde avec sa propre mère, nous
sommes en droit de supposer que la rigidité et la possessivité de cette der-
nière mettaient déjà sans doute un frein prématuré à l’expansivité mus-
culaire du petit enfant qu’était notre malade. Il s’agit seulement encore
là d’une hypothèse.
Je vous ai quand même donné mon opinion que le cadre général de la
vie de Mathilde était déjà globalement limité dans une primauté sensorio-
motrice. Plus tard, nous savons, cette fois-ci de façon certaine, que la
mère empêchait Mathilde de se livrer à son expansion physique. Il nous
faut remarquer à ce sujet toute l’importance que la patiente accorde à la
puissance du regard de sa mère. Il s’agit là d’un élément que Michel Fain
a bien mis autrefois en relief lorsque les mères anxieuses et possessives ne
tolèrent pas que les enfants disparaissent pour jouer de leur champ
visuel. D’où l’importance paralysante du regard de la mère.
Mais, pour comprendre notre malade, nous devons envisager
l’ensemble de sa situation familiale.
Mathilde n’avait pas près d’elle son père qui aurait sans doute rela-
tivement équilibré la situation. Elle était aux mains de sa mère.
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sivité anale dont nous connaissons l’importance dans sa relation avec
toute la motricité avait été fortement bridée.
L’activité anale avait été, nous ne pouvons en douter, sévèrement édu-
quée. Nous tenons sans doute là le premier élément de valeur venant
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dire d’une acceptation intérieure, d’une surprise à son compte du désir
de sa mère de ne pas la voir remuer.
Et ceci constitue sans doute, bien davantage que l’éducation reli-
gieuse, le second élément de valeur expliquant le freinage musculaire,
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tant maigres antérieurement, de manipulation mentale des fantasmes.
La névrose de comportement de Mathilde, qui, vaille que vaille, orga-
nisait antérieurement sa vie, laissait alors toute la place économique à la
maladie actuelle.
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vécu transférentiel et à l’effet physiologique direct, de parvenir à modi-
fier ses réponses toniques habituelles.
Je vais, maintenant, conclure à mon tour.
J’espère que vous n’attendiez pas de moi un traité de la fatigue, ni
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Mais cela constituait ce soir, avec les réserves de ma conclusion, le but
que je m’étais fixé.
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