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pas révélé de trace de valproate pour la très grande


majorité du personnel testé, à l’exception de quelques
Sanofi: des traces de Dépakine retrouvées
opérateurs de production », répond Sanofi.
dans le sang d’ouvriers
PAR JADE LINDGAARD
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 11 AVRIL 2019

Onze salariés de l’usine de Sanofi qui fabrique


la molécule de la Dépakine présentent des traces
de valproate de sodium dans leur sang, une
substance cancérogène, mutagène ou toxique pour Les tours bleues de l'usine Sanofi à Mourenx (DR).
la reproduction, alors qu’ils ne prennent pas ce
« Il n’y a pas de sujet », « les doses sont
médicament.
infinitésimales », « vous faites du mal aux salarié·e·s »,
Des traces de Dépakine, ce médicament pris par « vous n’avez pas l’air de savoir ce qu’est une
des personnes souffrant d’épilepsie et de troubles usine » : le premier échange téléphonique avec
bipolaires, ont été mesurées dans le sang d’ouvriers le groupe pharmaceutique est un peu tendu. Puis
qui en fabriquent la molécule, à l’usine Sanofi de au fil des questions, la communication se délie
Mourenx (Pyrénées-Atlantiques). De faibles doses et apporte de premiers éléments d’information : «
d’acide valproïque, le composant actif du valproate Une analyse détaillée des causes de la présence de
de sodium, ont été détectées sur onze personnes ayant telles traces a permis d’identifier que le mode de
accepté de subir un test sanguin. Cette substance retrait des équipements de protection individuelle était
est considérée comme cancérogène, mutagène ou susceptible de remettre en suspension des particules
toxique pour la reproduction (CMR), et classée présentes sur ces équipements de protection. »
reprotoxique de catégorie 1, c’est-à-dire qu’elle est
Les postes de travail intervenant sur la phase
capable d’interférer avec la reproduction humaine.
finale de fabrication du valproate de sodium sont
Deux vagues d’examens sanguins, selon une méthode particulièrement concernés par l’exposition à la
de biométrologie, autrement dit la surveillance substance toxique. Les travailleurs y sont équipés de
biologique des expositions professionnelles, ont été cagoules hermétiques, d’un système de traitement de
conduites auprès des salarié·e·s du site. Selon les l’air et de gants. Mais ces protections individuelles
premiers tests, réalisés les 27 et 28 novembre 2018, sont critiquées par le coordinateur adjoint CGT Sanofi,
présentés en CHSCT en janvier et révélés par Sud Jean-Louis Peyren : « Si le filtre du boîtier aspirant
Ouest, trois personnes présentaient des traces d’acide l’air ne fonctionne pas bien, vous êtes contaminé. »
valproïque dans leur sang.
Le syndicat demande la mise en place de protections
À l’issue d’une deuxième campagne, menée à partir collectives, plutôt que de dépendre chacun de son
du 29 janvier, huit autres personnes ont été détectées propre appareil. Pour l’organisation, les conditions de
avec du valproate de sodium dans leur organisme déshabillage des travailleurs n’offrent pas assez de
alors qu’elles ne prennent pas de Dépakine pour se protection : « C’est juste une cabine de déshabillage,
soigner, selon le groupe Sanofi, en réponse à des avec une rubalise [ruban de signalisation – ndlr] collée
questions de Mediapart. Cela représente une part non au sol. D’un côté on peut se déshabiller, de l’autre
négligeable des 64 personnes, dont dix intérimaires, on ne peut pas. Ça ne protège de rien du tout. » De
qui ont accepté de se faire examiner. Le site emploie son côté, Sanofi répond qu’« afin d’empêcher toute
54 salariés en avril 2019. « Les prélèvements n’ont mise en suspension, un sas permettant l’élimination
des particules encore présentes sur les équipements
avant leur retrait sera mis en place prochainement ».
Et que des mesures transitoires ont déjà été déployées.

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Les résultats issus de la première campagne d’examens chez les salarié·e·s représentent un risque chez ces
sont inférieurs au dixième de la valeur de référence, personnes, quand bien même elles se trouvent bien en
explique la direction du site. Selon le PowerPoint deçà de la valeur guide thérapeutique. C’est bien sûr
présenté aux salarié·e·s et lu par Mediapart, les essentiel, puisque ces individus n’ont aucune raison de
taux mesurés dans le sang des travailleurs atteignent prendre du valproate de sodium comme médicament.
respectivement 0,11 milligramme par litre (mg/l), 0,20 Et donc aucune raison d’en subir les éventuels impacts
mg/l et 0,22 mg/l. Le seuil d’effet sanitaire est établi néfastes sur leur santé.
bien au-dessus, à 5 mg/l. « L’évaluation du risque chimique
Le site de Sanofi chimie est une installation classée d’exposition aux produits CMR est
pour l’environnement (ICPE). Jusqu’à l’été dernier, il insuffisante »
rejetait de grandes quantités de valproate de sodium L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a
dans l’atmosphère, sans arrêté préfectoral pour les été saisie le 29 juin 2018 par la Direction générale
limiter. « Sur Mourenx, bien que les résultats de de la santé ainsi que par la Direction générale de
mesures d’exposition sur les postes de travail soient la prévention des risques pour établir cette valeur
satisfaisants, et qu’aucune alerte médicale n’ait été de référence. « Des effets neurodéveloppementaux et
rapportée dans le cadre de la surveillance médicale, néfastes sur la reproduction pourraient apparaître
nous avons décidé de mettre en place la biométrologie à des doses plus faibles que celles induisant des
en novembre 2018 en concertation avec l’inspection malformations congénitales », expliquait le groupe
du travail, explique le groupe. Ce n’était pas une d’expertise d’urgence de l’Anses en juillet 2018. Les
obligation. » résultats de ce travail sont annoncés pour le deuxième
Les femmes en âge de procréer sont particulièrement trimestre 2019. Par ailleurs, l’agence doit aussi rendre
vulnérables au valproate car, en cas de grossesse, il un avis avant l’été sur les dispositions mises en œuvre
est associé à un risque de malformation congénitale et par Sanofi concernant la surveillance biologique
à des troubles du développement, explique l’Agence des travailleurs, et les mesures de prévention mises
nationale de sécurité du médicament et des en œuvre au titre de l’exposition professionnelle.
produits de santé (ANSM). Aucune femme ne se Contacté, le centre de biologie et de recherche en santé
trouve parmi les personnes détectées, selon Sanofi, qui du CHU de Limoges, qui a analysé les prélèvements
précise que des travailleuses ont bien subi l’examen. sanguins à la demande du groupe pharmaceutique, n’a
Fin 2017, l’usine de Mourenx ne comptait que 5 pas répondu à nos questions.
femmes, sur 57 salarié·e·s au total. Sanofi exploite depuis 1975 cette usine, située sur
Quel bilan le groupe pharmaceutique tire-t-il de ces la plateforme Chem’Pôle64 dans le bassin de Lacq,
mesures ? « Chez les opérateurs de production ayant un des plus gros sites d’industries pétrochimiques en
présenté des traces de valproate, les concentrations France (voir ici et là nos articles sur ce lieu historique
décelées dans le sang sont largement inférieures à d’extraction de gaz, et les problèmes sanitaires
la valeur guide de référence dans le cadre d’une qu’il génère). Pourquoi ces mesures de biométrologie
exposition professionnelle, définie par des experts n’ont-elles pas été prises plus tôt ? C’est d’autant plus
externes », répond le service de communication du étonnant qu’une autre usine du groupe, située à Amilly
groupe. Il est exact que les valeurs sanguines détectées (Loiret), où est fabriquée la forme médicamenteuse de
se situent très en dessous de la valeur guide, qui la Dépakine, connaît deux campagnes d’examens par
correspond à la concentration minimale qui pourrait an. Le groupe répond que « la biométrologie n’est pas
entraîner des effets thérapeutiques sur les personnes une mesure obligatoire ni systématique. Elle a été mise
concernées. Mais il n’existe pas aujourd’hui de valeur en place par la médecine du travail du site d’Amilly en
toxique de référence pour évaluer si les doses mesurées

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réponse à des symptômes non spécifiques, rapportés d’indicateur biologique d’exposition ». Pourtant, la
chez certaines personnes ». Selon le fabricant, « les présence de Dépakine se mesure facilement dans le
résultats sont satisfaisants ». sang, assure Marine Martin, responsable de l’Apesac,
Pourtant, Mediapart a pu voir le résultat du test une association regroupant des personnes impactées
d’un salarié de cette usine, qui montre la présence par les effets nocifs de la Dépakine.
de 0,11 mg/l d’acide valproïque dans son sang, Les mesures de biométrologie ne peuvent servir que
en 2017. « La personne à laquelle il est fait d’alerte : les impacts de l’acide valproïque dépendent
référence en 2017 a réalisé un prélèvement en en partie du métabolisme de chacun·e. Elles ne peuvent
laboratoire de ville (type dépakinémie), répond Sanofi. se substituer à des mesures de prévention. L’inspection
La méthodologie d’analyse n’était pas adaptée au du travail suit de très près les mesures prises, ou non,
contrôle des expositions professionnelles et le résultat par Sanofi pour protéger ses travailleur·se·s. En mai
se situait dans la zone d’incertitude ne permettant 2018, elle prévient par courrier la direction de l’usine
pas de valider la mesure. Un nouveau prélèvement que plusieurs manquements aux règles de protection
sanguin, selon le protocole adapté pour les expositions de ses salarié·e·s ont été observées : « L’évaluation
professionnelles, a été réalisé et aucune trace de du risque chimique d’exposition aux produits CMR
valproate de sodium n’a alors été détectée. » est insuffisante et doit être revue. » Le valproate de
En réalité, la direction de l’usine Sanofi de Mourenx sodium et l’acide valproïque sont cités à plusieurs
a mis beaucoup de temps à accepter les tests reprises dans le courrier.
sanguins sur ses salarié·e·s. Dans une lettre adressée Le site de Sanofi à Mourenx a déjà été pris en
à l’inspection du travail le 10 juillet 2018, Franck défaut : l’année dernière, Mediapart et France Info
Gallice, le directeur du site, écrit qu’« il n’existe pas révélaient qu’il avait émis dans l’atmosphère jusqu’à
de méthode de prélèvement ni de méthode d’analyse 190 000 fois plus que le maximum autorisé d'une
de l’acide valproïque pour déterminer l’exposition autre substance cancérogène et susceptible d’altérer la
professionnelle ». Et aussi que « le médecin du fécondité, le bromopropane. Depuis, des travaux ont
travail de la plateforme Chem’Pôle64 nous indique été entrepris et les rejets sont revenus sous le seuil
qu’il ne dispose pas de résultats de biométrologie légal. Concernant les mesures prises pour protéger les
pour les substances valproate de sodium et acide travailleur·se·s du valproate de sodium, la question
valproïque car ces substances ne disposent pas reste posée.

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