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Birnbaum Pierre. Sur les origines de la domination politique : à propos d'Étienne de La Boétie et de Pierre Clastres. Suivi de....
In: Revue française de science politique, 27ᵉ année, n°1, 1977. pp. 5-21;
doi : 10.3406/rfsp.1977.393709
http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1977_num_27_1_393709
Abstract
O N THE ORIGINS OF POLITICAL DOMINATION : ETIENNE DE LA BOÉTIE AND PIERRE
CLASTRES, by PIERRE BIRNBAUM
On reading La Boétie's Essai on the origins of servitude, one is led to reflect on the circumstances
which permit the appearance of a structure of political domination accepted by those to whom it
applies. To this end, one can then attempt to demonstrate that these societies which prevent the birth
of a State which would dominate them from outside are in reality societies where constraint is absolute,
where the mechanisms of social control alone suffice to ensure that everybody submits to the Law. In
this sense, societies without a State which remain, according to Clastres, outside history, are also
societies in which men do not participate, with the help of Reason, in shaping their own destiny. One is
thus led to compare Pierre Clastres' analysis with those of Marx, Durkheim and the contemporary
anthropologists.
[Revue française de science politique XXVII (I), février 1977, pp. 5-21.]
SUR LES ORIGINES
DE LA DOMINATION POLITIQUE
PIERRE BIRNBAUM
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30. Pierre Clastres, Postface au Discours, op. cit., p. 234. Voir aussi « Entretien... »,
art. cit., p. 3.
31. Peter Bachrach et Morton Baratz, « Les deux faces du pouvoir » in Pierre Birn-
baum, Le pouvoir politique, Paris, Dalloz, 1975, p. 64. Sur ce point, voir Pierre Birn-
baum, La fin du politique, Paris, Le Seuil, 1975, chap. 4, 2e partie.
32. Clastres pourrait rejeter cette critique en soulignant que, d'après lui, lorsqu'un
chef veut exercer un pouvoir réel, il se trouve aussitôt rejeté par la collectivité. L'auteur ne
précise pourtant pas le type d'actions entrepris par le chef. Le seul exemple qu'il donne
concerne une conduite en temps de guerre, mais il s'agit là d'une situation très
exceptionnelle.
33. Jean-William Lapierre, « Sociétés sauvages, sociétés contre l'Etat », Esprit, mai
1976, pp. 996-997.
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chef se transforme en despote » 34. Clastres soutient que, chez les Guaya-
ki, le pouvoir avait une nature non coercitive ; dans la remarque
précédente, il le nomme maintenant autorité en qualifiant de «
despotisme » le pouvoir effectif que viendrait à détenir réellement le chef. Et
pourtant, il ajoute plus loin, « la propriété essentielle (c'est-à-dire ce qui
touche à l'essence) de la société primitive, c'est d'exercer un pouvoir
absolu et complet sur tout ce qui la compose » 35 : c'est donc maintenant la
société qui exerce un pouvoir « despotique » analogue à celui que le chef
détiendrait s'il venait à se départir de son rôle de figurant par lequel sa
fonction se trouvait « piégée ». Ainsi, c'est la tribu qui préserve l'ordre
social en utilisant même la « violence » : son pouvoir ne saurait donc se
ramener, selon la formule précédente de l'auteur, à de l'« autorité ». On
doit d'ailleurs souligner qu'à travers ses écrits, Pierre Clastres utilise les
concepts de pouvoir, d'autorité et de force sans préciser leurs relations
et en se servant parfois d'un terme pour un autre36. De plus, il remarque
que, dans la société primitive qu'il analyse, le pouvoir n'était pas coerci-
tif ; or, il souligne aussi que le pouvoir, de la société et non plus du
chef, demeure bel et bien, en dernière instance, coercitif. En définitive,
la société contre l'Etat est elle-même une société répressive qui « exerce
un pouvoir absolu et complet sur tout ce qui la compose » 37. Et c'est le
même concept qui sert à désigner tantôt le pouvoir éventuel du chef,
tantôt le pouvoir de la société.
On comprend mieux dès lors la manière dont Clastres souhaite sortir
du « marécage marxiste ». Pour lui, « si la société est organisée par des
oppresseurs capables d'exploiter les opprimés, c'est que cette capacité
d'imposer l'aliénation repose sur l'usage d'une force, c'est-à-dire sur ce
qui fait la substance même de l'Etat, " monopole de la violence
légitime ". A quelle nécessité répondrait dès lors l'existence d'un Etat,
puisque son essence — la violence — est immanente à la division de la
société, puisqu'il est, en ce sens, donné d'avance dans l'oppression
qu'exerce un groupe social sur les autres ? Il ne serait que " l'inutile
organe d'une fonction remplie avant et ailleurs " »38. Comme
précédemment, Clastres applique tour à tour une même notion à la société et à
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39. Pierre Clastres, Chronique des indiens Guayaki, Paris, Pion, 1972, p. 286.
40. Id., chap. 7 ; voir aussi La société contre l'Etat, op. cit., chap. 5.
41. Pierre Clastres, Chronique.... op. cit., chap. 4 et La société contre l'Etat, op. cit.,
chap. 10.
42. Pierre Clastres, La société contre l'Etat, op. cit., p. 23.
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43. Karl Marx, Manuscrits de 1844, Paris, Editions sociales, 1962, p. 94.
44. Pierre Clastres, Chronique des indiens Guayaki, p. 200.
45. « Entretien... », art. cit., p. 6.
46. Voir Jean Cazeneuve, Sociologie du rite, Paris, PUF, 1971, p. 265.
47. Voir Max Gluckman, « Les rites de passage » in Max Gluckman éd., Essays on
the ritual and social relations, Manchester, Manchester University Press, 1966. L'auteur
montre comment, à l'inverse, dans les sociétés modernes, la fragmentation des rôles fait
disparaître la notion mystique de commune appartenance, et donc, les rituels (p. 37 et
suivantes).
48. Marcel Gauchet, « Politique et société : la leçon des sauvages », Textures,
nos 10-11, 1975, p. 81, note 1.
49. Voir Jean-William Lapierre, « Sociétés sauvages et sociétés contre l'Etat », art.
cit., p. 995.
50. Marcel Gauchet, « Politique et société : la leçon des sauvages », Textures,
nos 12-13, 1975, p. 72. Voir aussi le premier article cité du même auteur, p. 74.
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55. Louis de Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile,
Paris, Adrien Le Clerc, 1843, p. 1. Sur cette pensée organiciste, voir J. Schlanger, Les
métaphores de l'organicisme, Paris, Vrin, 1971, et Pierre Birnbaum, La fin du politique,
op. cit., pp. 87 et suivantes.
56. Marcel Gauchet, « Politique et société : la leçon des sauvages », art. cit.,
nos 12-13, p. 68.
57. Id., p. 97.
58. Pierre Clastres affirme par exemple que « pour qu'une société soit primitive, il
faut qu'elle soit petite par le nombre » in La société contre l'Etat, op. cit., p. 181. Voir
aussi le chapitre 4 de ce même livre. Il montre encore que « c'est une condition
fondamentale pour qu'il n'y ait pas apparition d'un pouvoir séparé dans ces sociétés » in «
Entretien... » art. cit., p. 5. Clastres se trouve maintenant proche de Durkheim qui insistait lui-
aussi sur l'importance de la morphologie sociale, de la densité, sans en tirer les mêmes
conclusions.
59. Pierre Clastres, La société contre l'Etat, op. cit., p. 17.
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60. Pierre Clastres, postface au Discours..., op. cit., p. 238. Sur ce point, voir Henri
Lefebvre, De l'Etat, Paris, Union générale d'édition, 10/18, 1976, p. 24.
61. Pierre Clastres s'est, au contraire, toujours refusé à voir dans le degré de
développement technologique, une cause essentielle qui rendrait compte de l'organisation des
sociétés et de leur système politique. Voir La société contre l'Etat, op. cit., pp. 13, 164 et
suivantes. Dans une perspective opposée, voir Jack Goody, Technology, tradition and the
State in Africa, Londres, Oxford University Press, 1971. On peut remarquer ici combien
est brève, dans les livres de Clastres, la présentation du système économique des Guayaki.
On ne sait par exemple à peu près rien sur le type de propriété qui y règne, son mode de
transmission, etc. De même, Clastres traite de la polygamie du chef en insistant seulement
sur le fait que, de cette manière, la société instaure avec lui un échange inégal qui le
neutralise (La société contre l'Etat, op. cit., pp. 34 et suivantes). De nombreux auteurs ont
pourtant montré « que les rapports de reproduction deviennent rapports de production »
in C. Meillassoux, Femmes, greniers et capitaux, Paris, Maspero, 1975, p. 78. On peut en
effet voir là l'origine possible d'un pouvoir inégal. Resterait à examiner de manière précise
la fonction de l'échange inégal chez les Guayaki concernant les biens. En effet, si dans
cette société, le chef semble travailler lui-même davantage pour donner aux autres (La société
contre l'Etat, op. cit., p. 67) afin de se montrer plus généreux, il n'en est pas de même dans
d'autres sociétés primitives.
62. « Entretien... », art. cit., p. 24. Sur ce point, voir les commentaires de Olivier
Mongin, « Sauvages, à jamais... », Esprit, mai 1976, p. 1012.
63. Hanna Arendt, Le système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1972, p. 212.
64. « Entretien... », art. cit., p. 24.
65. « Entretien... », art. cit., p. 15. De même voir La société contre l'Etat, op. cit.,
p. 185.
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69. Jean-Jacques Rousseau montre que « les sauvages vécurent libres, sains, bons et
heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature (Discours sur l'origine et les
fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris, Editions sociales, 1971, p. 168), même si
« dans l'état de nature, l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle qui
commande à tous » (Lettres écrites de la Montagne, cité dans R. Derathé, Jean-Jacques Rousseau
et la science politique de son temps, Paris, Vrin, 1974, p. 158). Cette loi naturelle
n'impose pas, pour Rousseau, les tortures et autres formes de dégradations que connaît la société
Guayaki. De même, dans le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, Paris,
Garnier-Flammarion, 1972, p. 148, le Tahitien déclare à Bougainville : « Nous sommes
libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage ».