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Comment se forme et s’exprime l’opinion publique ?

Découvrir la vidéo : convaincre l’opinion publique, un enjeu de politique

Doc 1 : L’opinion publique à la une des journaux

Opinion publique : Construction politique et médiatique, historiquement située, de ce que pense la population (ou une partie
de celle-ci).

L’attention portée à l’opinion publique et aux sondages d’opinion dans les démocraties contemporaines est paradoxale :
l’opinion publique, sans cesse auscultée via les sondages, est devenue un élément essentiel de la vie politique, mais la
capacité des sondages à véritablement saisir et mesurer l’opinion publique est fortement contestée et l’existence même
d’une opinion publique fait l’objet de débats.

Nous verrons dans une première partie la manière dont cette opinion publique se forme, c’est-à-dire comment elle émerge
historiquement.

Nous verrons dans une seconde partie les principaux éléments de méthode des sondages et leur capacité à rendre compte
de l’opinion publique.

Enfin, les deux dernières parties nous permettront de montrer que le recours fréquent aux sondages d’opinion contribue à
forger l’opinion publique et que les usages de ces sondages modifient l’exercice de la démocratie et de la vie politique.

1/ L’évolution de l’opinion publique depuis le 18ème siècle


La notion d’opinion publique a connu d’importants glissements sémantiques.

L’émergence de l’opinion publique est indissociable de l’avènement de la démocratie : d’abord monopole des catégories «
éclairées », l’opinion publique est désormais entendue comme celle du plus grand nombre.

Document 2 page 174 : la naissance de l’opinion publique

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A/ L’opinion publique avant le 18e siècle

L’opinion publique est une notion a…………………….. . Elle est déjà évoquée dans la pensée antique (chez Platon et Aristote
notamment). Platon la condamne (doxa vulgus) pour sa versatilité, sa très grande sensibilité et sa superficialité.

De la fin du 16e siècle au milieu du 18e siècle, l’opinion publique se cantonne à l’examen et à l’appréciation de phénomènes
p……………... Elle revêt alors une connotation largement p…………….., dont le sens est assez proche de celui de « p……………. ».

B/ L’opinion « éclairée » du 18e siècle

En France, sous l’impulsion des philosophe des Lumières (dont Jean-Jacques Rousseau), la notion d’opinion publique évolue
encore, étant associée au mouvement d’opinion qui ont émergé depuis le 18ème siècle, après la mort de Louis XIV, puis avec
la Révolution française.

C’est à ce moment que la notion d’opinion publique prend concrètement forme.

L’opinion publique désigne alors le jugement « éclairé » formulé de manière publique par une petite partie de la population
seulement. Il s’agit d’une élite cultivée (milieux parlementaires, philosophes, hommes de lettres par exemple) qui forme la
b…………………… .

L’expression de l’opinion publique se fait alors dans de nouveaux lieux de délibération collective et d’expression que sont les
clubs, les salons littéraires, la presse d’opinion, les cafés et le P……………………….. .

Cela ne vise plus les affaires p…………. , mais bien les manières de gouverner. Cette élite éclairée porte un regard critique sur
les autorités politiques, sur qui elle entend peser.

Durant la seconde moitié du 18e siècle et jusqu’au milieu du 19e siècle, l’opinion publique est produite collectivement par les
élites bourgeoises (des intellectuels ou les milieux parlementaires) et se distingue de l’opinion du peuple, considérée alors
comme inarticulée et pulsionnelle, et donc i……………………………...

C/ L’opinion « criée » du 19e siècle, celle de la rue

Cette conception élitiste de l’opinion publique va difficilement s’accorder avec les principes d………………………… qui se
mettent progressivement en place au 19e siècle, avec l’adoption du suffrage universel (masculin) en 1848 et la
reconnaissance des libertés individuelles (liberté de conscience, d’opinion, de la presse, de réunion).

Ainsi, chaque citoyen est jugé apte à se forger sa propre opinion et chaque voix se vaut.

La constitution d’un large p………………………… (= classe de travailleurs) encadré par les partis politiques de gauche et les
syndicats, va permettre l’expression d’une opinion publique populaire en dehors de l’enceinte parlementaire, lors des
manifestations par exemple.

On parle d’opinion de la rue, car la notion d’opinion publique s’élargit pour inclure l’opinion de la population qui proteste.

Cette opinion se manifeste aussi dans les j………………….. En effet, le développement d’une presse quotidienne très politisée
durant la seconde moitié du 19e
siècle va être un nouveau vecteur
de l’opinion publique. Les
journalistes, se basant notamment
sur le courrier des lecteurs,
pensent exprimer l’opinion de leurs
lecteurs (comme pour l’affaire
Dreyfus, entre 1987 et 1899).
L’affaire Dreyfus - Karambolage / J'accuse de Zola Extrait de "J'accuse" de Roman Polanski 2019

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D/ L’opinion « sondée » du 20e siècle, celle du plus grand nombre

L’introduction des sondages d’opinion dans la 2nde moitié du 20e siècle modifie la perception de cette notion.

Alors que les s………………… existent depuis les années 1930, c’est au cours des années 1960 que leur précision croissante a
permis aux sondeurs d’imposer leur définition de l’opinion publique.

L’opinion publique devient ce que mesurent les sondages. Cette opinion publique est alors construite comme la somme des
opinions individuelles. Cette définition se veut objective parce qu’évaluée sous une forme chiffrée.

Cet outil de mesure va aussi permettre de mesurer l’opinion de la population dans son ensemble. On parle d’opinion du plus
grand nombre. Dans cette perspective, elle est donc l’opinion du public, c’est-à-dire une expression de la pensée du peuple.

Synthèse de la partie

La notion d’opinion publique apparaît au …… siècle pour désigner l’expression publique de l’opinion des intellectuels et des
milieux parlementaires : on parle d’opinion e………………. .

Ce n’est qu’au …… siècle avec le développement de la d……………………. et de la p……………… que la notion s’élargit pour se
mettre à désigner l’opinion de la population qui proteste et se fait entendre : c’est l’opinion ………………………………….. .

Au …. siècle, la notion prend un sens nouveau et va être utilisée pour décrire l’opinion de la population dans son ensemble.
L’opinion publique devient alors l’opinion …………………………………., appréhendée par les s………………………...

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2/ Les sondages comme outil de mesure de l’opinion publique
Sondage : Méthode statistique qui vise à connaître les caractéristiques d’une population – par exemple ses
opinions (sondage d’opinion) ou son vote (sondage électoral) – à partir de l’interrogation d’une partie de cette
population (l’échantillon).

A. L’origine des sondages d’opinion

Document 2 p176 : l’apparition des techniques de sondage

Dès le début 19e siècle, les Etats-Unis s’intéresse à la figure présidentielle, ce qui conduit la presse à ausculter le
terrain afin d’estimer quel candidat a le plus de chances de l’emporter. C’est l’invention du « straw poll » ou «
sondage de paille » : il s’agit de simulations du vote à venir, que les journaux réalisent en interrogeant leurs
lecteurs, recueillent les intentions de vote dans des lieux divers (du cabaret à l’Eglise) ou lors d’occasions festives
(Independance Day ou réunions à thèmes). Ces méthodes artisanales ne prétendent évidemment pas à la
représentativité et ne permettent pas de prévoir avec certitude qui sera vainqueur.

Au début du 20e siècle, la pratique n’a pas été abandonnée, mais les méthodes de la presse se sont affinées :
enquêtes par l’intermédiaire de bulletins à retourner par courrier, urne installée à la sortie des bureaux,
journalistes interrogeant des passants, etc. Ainsi, à la veille de l’élection présidentielle de 1920, le Literary Digest
envoie quelques 11 millions de questionnaires dans tout le pays, et reçoit 1,5 million de réponses.

Mais cette méthode n’est pas toujours efficace, et elle devient obsolète dans les années 1930 avec la
concurrence des premiers instituts de sondage. En 1935, trois instituts de sondage sont nés. Ils vont avant tout
chercher à régler le problème de la représentativité des échantillons de personnes interrogées. L’américain
George Gallup (1901-1984), considéré comme le père fondateur des sondages, crée notamment l’American
Institut of Public Opinion. Le premier test grandeur nature du sondage basé sur un échantillon représentatif de
la population est l’élection présidentielle de 1935 : les instituts prévoient la victoire de Franklin D. Roosevelt
(futur vainqueur) contre l’avis du Literary Digest qui avait prédit la victoire de son opposant.

Le sondage était donc considéré comme un progrès démocratique : grâce à ces méthodes objectives qui
respectaient la logique représentative, on avait enfin un moyen de tenir à distance la tentation des journaux de
diffuser dans l’opinion leurs sympathies partisanes.
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B. Les techniques du sondage par échantillonnage représentatif

Document 3 p177 : les différents types de sondage

Ces instituts de sondages américains vont utiliser une technique de sondage particulière pour étudier les opinions
de la population à travers un échantillon : le sondage par quotas.

Cette technique consiste à définir des caractéristiques sociales qui sont susceptibles d’influencer l’opinion
étudiée (le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, le niveau de diplôme, etc) et à faire en sorte que les
personnes interrogées se répartissent selon les mêmes caractéristiques sociales et les mêmes proportions que la
population à étudier. On parle alors d’échantillon représentatif pour désigner les personnes interrogées. Le
fondement théorique des sondages s’appuie sur les lois des « grand nombres ».

Pour que cet échantillon soit réellement représentatif de la population à étudier, il doit être d’une taille
suffisante, soit au moins 1000 personnes.

Le sondage par quotas : Les enquêtes d'opinion utilisent majoritairement la technique du sondage par quotas.
Elle consiste à construire un échantillon de la population qui respecte les caractéristiques observées dans la
population (même proportion de femmes et d'hommes, d'âge). Ce sont ces caractéristiques d'intérêt (sexe, âge,
profession...) que l'on appelle les « quotas ».

Une méthode alternative est la méthode aléatoire, qui consiste à tirer au sort certains individus, chaque élément
ayant les mêmes chances d’être choisi.

C. La diffusion de la technique de sondage par échantillonnage représentatif en France

Le sondage et les techniques américaines du sondage par échantillonnage représentatif sont introduits en France
par Jean Stoetzel, qui crée en 1938 l’Institut français d’opinion publique (Ifop). Le développement des sondages
est toutefois relativement lent en France, et c’est finalement l’INSEE qui, après-guerre, développera les méthodes
statistiques à grande échelle pour des enquêtes portant sur l’emploi ou les revenus, mais pas sur l’opinion
publique.

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L’Ifop reconstitué après-guerre détient un quasi-monopole avant que d’autres instituts ne soient créés, comme la
Sofres (société française d’études par sondages) fondée par Pierre Weill en 1963. La densification de l’industrie
sondagière va de pair avec une utilisation croissante des sondages durant la 5 ème République. L’offre sondagière
devient pléthorique au cours des années 70, avec l’apparition de nouveaux acteurs dans une industrie désormais
mature :
 La Sofres, leader du marché français, est rachetée par le groupe britannique Taylor-Nelson en 1997 (elle
devient TNS-Sofres à cette occasion).
 L’Ipsos, fondée en 1975, commence à produire des enquêtes d’opinion à partir de 1982.
 Louis-Harris France est fondé en 1977 avant d’être racheté par la Sofres en 1994,
 D’autres acteurs de taille plus restreinte (CSA, BVA -pour Brulé, Ville et associés- ou ISL) intègrent
également ce marché.
On peut finalement parler d’un marché français du sondage oligopolistique.

D. Le marché des sondages aujourd’hui

Document 4 p177 : les instituts de sondage des entreprises

Si les sondages d’opinion politique et d’intention de vote sont au cœur de l’actualité et de l’action politique, et
permettent aux instituts de sondage de se construire une image de marque, ils ne représentent cependant
qu’une petite partie de l’activité des instituts. Ceux-ci travaillent aussi, et principalement, pour les entreprises en
cherchant à étudier le comportement des consommateurs.

Ainsi, 75% du chiffre d’affaires des instituts de sondages français est généré par des études marketing et de la
publicité, 9,5% par des enquêtes d’opinion générale, et seulement 0,5% par les études électorales. Autrement
dit, le marché est dominé par les services aux entreprises, et les études électorales pèsent marginalement dans
le résultat financier.

La demande de sondages est essentiellement le fait d’entreprises de grande consommation (43% de la demande
totale de sondages en 2015), et ponctuellement d’associations ou de partis politiques (moins de 1% de la
demande totale de sondages en 2015), le reste de la demande provenant des entreprises de commerce (9%), du
secteur de la finance (5%), des médias (4%) et des administrations (4%).

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Les premiers sondages étaient réalisés en face-à-face. Cette technique est désormais minoritaire mais reste utile
pour sonder des cibles difficiles à joindre ou pour des questionnaires longs. Depuis les années 80, les instituts lui
préfèrent le téléphone, et surtout internet, depuis les années 2000-2010.

Conclusion :
Les sondages d’opinion vont être au cœur de la construction de l’opinion publique contemporaine. La naissance
des sondages électoraux permet désormais d’appréhender l’opinion publique comme une agrégation d’opinions
individuelles. Il s’agit techniquement de rendre compte de l’avis majoritaire d’une population en n’en
interrogeant qu’une partie.

3/ Critiques de la construction de l’opinion publique


Comment l’opinion publique est-elle construite ?

Document 1 page 178 : des sondages qui construisent l’opinion ?

A. Les limites techniques des sondages

Les sondages d’opinion sont un outil imparfait. La comparaison entre les résultats des enquêtes pré-électorales et
les résultats réels d’une élection nous rappelle, à échéance régulière, que cet outil statistique n’est pas infaillible.
L’exemple le plus saisissant dans le cadre français est celui des élections présidentielles de 2002 : aucun institut
de sondage n’avait prédit un second tour opposant Jacques Chirac (UMP) à Jean-Marie Le Pen (FN).

La réalisation d’un sondage repose sur trois règles relatives à :


1. La construction d’un échantillon
2. L’élaboration des questions
3. L’interprétation des résultats

Ces règles font donc l’objet de débats et de critiques.

1. La construction de l’échantillon

Comment les sondages sont-ils élaborés ?

Document 2 page 178 : des échantillons biaisés dans les sondages électoraux

Le sondage va construire un échantillon représentatif selon la méthode des « quotas » (déjà étudiée).

Cette construction des échantillons peut poser des problèmes. En effet, certaines catégories de la population sont
plus difficiles à atteindre en fonction du mode de recueil des données choisi (face à face, téléphone, Internet).
Par exemple, près de 20% de la population n’est pas connectée à internet.

Finalement, les échantillons sont assez fortement biaisés. Deux chercheurs en science politiques ont aussi
remarqué près de 21% des personnes sondés en février 2017 avait un niveau inférieur au bac, alors qu’elles
représentaient environ la moitié des inscrits sur les listes électorales. Et si les échantillons sont biaisés, alors les
résultats devraient l’être tout autant.

C’est pourquoi un redressement est effectué par les instituts de sondages pour corriger ces biais. Des
redressements qui sont eux même soumis à des partis pris, et donc à des critiques.

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2. L’élaboration des questions

Exercice 4 page 179 : Les questions posées influencent les réponses aux sondages

La règle des instituts sur ce point est que les questions doivent être simples, univoques et neutres, et ne pas
introduire de biais dans les réponses.

En effet, les réponses recueillies sont sensibles à la formulation des questions (type de questions, ordre des
questions, personnalité de l’enquêteur, etc). Ainsi, une question posée de manière positive ou de manière
négative peut influencer les réponses des enquêtés par exemple.

3. L’interprétation des résultats

Les sondages ont la nécessité de tenir compte de l’ampleur des non-réponses – comme de l’abstention pour un
vote – et des marges d’erreur mesurées par les intervalles de confiance.

Il existe ainsi des critiques liés à la prise en compte des indécis dans les échantillons. Certains instituts prennent
uniquement en compte les personnes se disant certaines d’aller voter, ce qui pourrait finalement aboutir à une
sous-représentation des classes populaires et des plus jeunes qui sont plus indécises et se décident au dernier
moment, et donc finalement cela pourrait pénaliser les « extrêmes ».

Présidentielle : comment les sondages sont-ils réalisés ?

Conclusion de la sous partie A : Les sondages sont souvent critiqués, aussi bien sur des problèmes techniques
(qualité de l’échantillon par exemple) que sur le fond : ils donnent une formulation particulière aux questions qui
peuvent orienter les réponses par exemple.

B. Les critiques sociologiques de la mesure de l’opinion publique par les sondages

Document 3 page 179 : l’opinion publique n’existe pas

De nombreux sociologues et spécialistes de sciences politiques ont contesté le concept même d'opinion publique
et, plus précisément, la capacité des sondages à refléter l’opinion publique.

Est-il légitime de chercher à connaître la conscience collective en additionnant les consciences individuelles ?

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L'une des critiques les plus virulentes est celle du sociologue français Pierre Bourdieu, dans un article intitulé «
L'opinion publique n'existe pas » (1972). Il remet en cause trois postulats qui sous-tendent la légitimité des
sondages :
1. « Tout le monde peut avoir une opinion ». Or, poser une question à tout le monde suppose que chaque
personne interrogée s’est intéressée aux problèmes posés, et a éventuellement recherché des
informations sur ces questions, ce qui n’est pas le cas. En ce sens, le sondage ne serait pas une opération
de collecte ou de mesure, mais bien une action de « production » d'opinions qui n'existeraient pas sans
ce sondage.
2. « Toutes les opinions se valent ». Les résultats publiés par les sondages sont les réponses agrégées aux
questions posées, chaque réponse ayant le même poids dans le résultat final. Or, Bourdieu n’est pas
d’accord avec le fait que « toutes les opinions se valent » dans le sens où toutes les opinions n’ont pas
toute la même force sociale (certaines personnes sont plus influentes, plus informées ou plus mobilisées
(c’est-à-dire affirmées avec plus de force et de conviction)). Les « compétences politiques » des sondés
ne sont pas équivalentes, on ne peut pas les additionner. Par exemple, en matière de nucléaire, le
sondage met ainsi sur un pied d'égalité la chercheuse au Commissariat à l'énergie atomique, le militant
très informé de la cause écologique, et une personne ne s'étant jamais intéressée à la question.
3. Il y a un « accord sur les questions qui méritent d’être posées ». Pour Bourdieu, les sondages mettent en
avant des problèmes qui ne sont pas forcément ceux qui paraissent prioritaires aux individus. Les
questions posées reflètent davantage les préoccupations des sondeurs ou de leurs commanditaires. Le
sondage est donc, aux yeux de Bourdieu, une manière, pour une élite qui a les moyens d'en commander,
d'imposer ses problématiques à la société.

Pierre Bourdieu conclut que le concept même d'opinion publique est un « artefact », c’est-à-dire une
construction qui fige des éléments mouvants et disparates pour en faire une prise de position homogène qui n'a
aucune réalité.

Mais ce n'est pas l'existence d'une opinion publique qui est niée par Bourdieu, simplement l'opinion « sous la
forme […] que lui prêtent ceux qui ont intérêt à affirmer son existence ». Autrement dit, selon lui, l’opinion
publiques des sondages n’existe pas, elle est un instrument politique au service de quelques-uns. L’opinion, elle,
se forge de manière dynamique dans la confrontation avec celle d'autrui.

Conclusion de la partie 3 :
La technique des sondages a été mise au point par George Gallup aux Etats-Unis dans les années 1930. Après la
Seconde Guerre mondiale, le sondage a fini par apparaitre comme la mesure de l’opinion publique.

Les sondages sont souvent critiqués : on leur reproche leur manque de fiabilité (mauvaise qualité de l’échantillon,
marge d’erreur, etc), de transformer la réalité et de poser des questions, parfois orientées, et parfois dont les
individus ne se seraient pas spontanément intéressés.

Malgré les nombreuses critiques, certes l’opinion construire par les sondages peut être approximative, biaisée ou
artificielle, mais le sondage est sans doute la moins mauvaise des approximations si l’on veut connaitre le point
de vue des citoyens sur un sujet donné.

4. L’influence de l’opinion publique sur la démocratie


Vers une démocratie d’opinion ?

Que l’on mette en doute ou non la réalité d’une opinion publique préexistante aux sondages, une évidence
s’impose : la publication massive et régulière de sondages politiques a des effets réels et fait de l’opinion

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publique un acteur important (central ?) de la vie politique, que ce soit dans le processus électoral (partie A) ou
sur les l’exercice de la démocratie (partie B).

On observe une très forte inflation de l’utilisation des sondages lors des campagnes présidentielles. En 50 ans, le
nombre des sondages pour l’élection présidentielle française ont été multipliés par 40 (14 enquêtes pour
l’élection de 1965 à 560 en 2017). Il y en a eu environ 460 en 2022.

Document 1 page 180 : des sondages toujours plus nombreux

A. L’influence des sondages d’opinion sur le processus électoral

1. L’effet des sondages sur l’offre politique

Document 4 page 181 : les effets des sondages sur le personnel politique

Les sondages vont jouer un rôle important sur l’offre politique, notamment :
 Dans le processus de sélection et de légitimation des candidats aux élections. Les sondages peuvent ainsi
jouer un rôle de pré-sélection de l’offre électorale : certains renoncent, d’autres « y vont », mais presque
toujours sur la base des critères de notoriété et de popularité édictés par les sondages. A l’intérieur des
grands partis politiques, les sondages peuvent aussi chambouler les loyautés affichées aux divers
candidats lors des primaires par exemple. On se situe donc dans logique stratégique.
 Dans le processus de confection des programmes pour les partis et candidats. Les sondages d’opinion
permettent de saisir le positionnement des électeurs par rapport aux grands enjeux de société, ou, à un
niveau plus fin, sur chaque point de programmes d’un candidat à une élection. En étudiant les
adhésions/rejets des électeurs, les candidats à une élection peuvent orienter leur programme électoral
de manière à satisfaire les « demandes d’enjeu » des électeurs. La demande pilote l’offre de ce point de
vue.
 En soumettant le personnel politique au jugement quotidien des sondages, ils vont le contraindre
fortement dans ses actions et influencer sa communication politique. Finalement, les hommes et
femmes politiques sont souvent écartés de la maitrise de l’agenda politique : ils interviennent souvent de
façon secondaire pour interpréter des données d’enquêtes recueillies par d’autres.
 Le recours massif aux sondages tout au long des campagnes électorales peut faire passer les questions de
fond sur les programmes politiques au second plan. Les périodes de campagne politique s’apparentent
de plus en plus à des courses de chevaux consistant à montrer quel candidat ou parti politique est « en
avance » (ou « en retard »). Une des conséquences de cet effet pourrait être de favoriser l’abstention.

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2. L’effet des sondages sur le vote des électeurs

Exercice 3 page 181 : les effets des sondages sur la participation électorale

Préside
ntielle : les sondages influencent-ils les électeurs sur le choix de leur candidat ?

On retient principalement cinq effets :


 Tout d’abord, des effets des sondages pouvant renforcer la participation :
 L’effet bandwagon - « prendre le train en marche » - ou effet de contagion : l’électeur est incité à
voter pour le vainqueur pressenti, pour être dans le camp du gagnant.
 En contradiction avec l’effet précédent, les sondages peuvent créer un effet outsider (ou
« underdog ») : l’électeur se remobilise pour sauver un candidat en perte de vitesse.
 En sens inverse, les sondages peuvent démobiliser les électeurs et donc renforcer l’abstention.
 Soit à travers un effet de sanction envers le vainqueur désigné, étant certains qu’il va gagner («
humble the winner »)
 Soit à travers un effet de sanction envers le candidat donné perdant, pensant que l’élection est
perdue (« snub the looser »).
 Le vote stratégique ou vote utile : sur la base des sondages, l’électeur se met à soutenir un parti/
candidat qui n’est pas son premier choix pour empêcher l’élection d’un autre parti / candidat.

Plusieurs enquêtes ont tenté de vérifier l’influence réelle des sondages sur les électeurs. Les résultats convergent
vers l’idée que les effets bandwagon / underdog sont peu probants, tout comme les effets humble the winner /
snub the looser.
En revanche, les enquêtes semblent valider l’influence des sondages sur les votes stratégiques des électeurs.
Mais cette influence ne doit pas être surestimée : ils sont une source parmi beaucoup d’autres, et ne changent
pas radicalement les opinions établies. Les électeurs restent marqués par leur idéologie partisane, tout au plus
les sondages font évoluer, au sein d’un même camp politique, l’intention de voter pour le candidat qui a le plus
de chance de s’imposer.

Quoi qu’il en soit, l’influence des sondages sur l’opinion publique est reconnue par le politique. Elle a même des
effets réels dans le champ politique puisque les législateurs ont mis en place une Commission des sondages dont
l’objet est « d’empêcher que la publication de sondages électoraux vienne influencer ou perturber la libre
détermination du corps électoral » (notamment en introduisant une période de réserve à la veille du scrutin).

B. Le lien entre l’opinion publique et les institutions démocratiques (vers une démocratie
d’opinion ?)

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Document 2 page 180 : une démocratie d’opinion ?

Plus généralement on reproche aux sondages de fausser le jeu démocratique et de mener à une « démocratie
d’opinion ».

Dans ce mode d’exercice de la démocratie qu’est la « démocratie d’opinion », la mesure de l’opinion publique
change la manière de gouverner, et l’opinion publique devient donc l’acteur central de la vie politique.
Autrement dit, la « démocratie d'opinion » asservit la gouvernance des affaires publiques aux soubresauts de
l'opinion publique. Les sondages exercent une pression sur les gouvernants qui se contenteraient de suivre
l’opinion majoritaire en soumettant au test des sondages la popularité des mesures à prendre (gouverner selon
l’opinion). Il devient donc impossible de gouverner sans l’assentiment de cette majorité silencieuse mesurée par
l’opinion publique, ce qui représente une contrainte lourde sur leur action. Ainsi, les gouvernants
abandonneraient leur faculté de gouverner, de mener un projet politique réfléchi et cohérent. La démocratie
d’opinion est ainsi souvent dénoncée pour son risque de dérive populiste ou démagogique.

La notion de « démocratie d’opinion » s’oppose à la démocratie représentative, en ce sens où, en instaurant


grâce aux sondages un lien direct quasi-instantané entre les gouvernants et le peuple, elle a pour conséquence
de minimiser le rôle des partis politiques ou des syndicats, et donc les sondages et les médias y jouent un rôle
plus important pour organiser le débat public.

Démocratie d’opinion : mode de fonctionnement du pouvoir politique dans lequel les décisions sont prises pour
répondre aux désirs de l’opinion publique.

La démocratie d’opinion se caractérise principalement par l’omniprésence de l’opinion publique et le


développement des stratégies de communication politique :
1. Omniprésence de l’opinion publique : les sondages sont souvent invoqués comme un argument d’autorité,
à l’ombre desquels toute opinion autre doit se justifier. La publication d’un sondage, permet de dégager
une opinion majoritaire et crée de ce fait un effet de consensus. Les sondages favoriseraient donc un
certain conformisme conduisant ceux qui ont une opinion divergente à se taire. Par exemple, un
mouvement social peut ainsi être discrédité s’il n’est pas soutenu par « une majorité de Français ». De ce
fait, les sondeurs et leurs commanditaires sont ainsi souvent considérés comme des « faiseurs d’opinion ».
2. Développement des stratégies de communication politique : en soumettant le personnel politique à un
jugement quotidien, ils vont le contraindre fortement dans ses actions et influencer sa communication
politique. Le but est de capter l’attention médiatique, il y a donc un accroissement du rôle et de
l'influence, dans les états-majors politiques, des spécialistes du marketing politique, conseillers en images
et en communication, au détriment des conseillers strictement « politiques », chargés de réfléchir et de
proposer des réponses aux enjeux de fond auxquels les représentants du peuple sont confrontés.

Conclusion :
Le recours fréquent aux sondages d’opinion contribue à forger l’opinion publique et modifie l’exercice de la
démocratie (démocratie d’opinion) et de la vie politique (contrôle des gouvernants, participation électorale,
communication politique, etc).

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