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DIGITALISATION INTERVIEW OPPORTUNITÉS

AGRICOLE EN AFRIQUE Frederike Praasterink : COMMERCIALES


Comment les solutions digitales transformer d’urgence Les femmes profiteront-elles de la
peuvent transformer l’agriculture les systèmes alimentaires Zone de libre-échange africaine ?

N°194 | Septembre - Novembre 2019

spore.cta.int

Digitalisation et vulgarisation

DES SERVICES DE
CONSEILS INTELLIGENTS
A global perspective on agribusiness and sustainable agriculture
Briefings de
Bruxelles sur le
développement
Sensibiliser la communauté du
développement ACP-UE depuis 2007 aux
défis agricoles et ruraux d’aujourd’hui

www.bruxellesbriefings.net
Les Briefings de Bruxelles sont une initiative du CTA et de ses partenaires :
la Commission européenne (DG DEVCO), le Secrétariat ACP, le Comité des
Ambassadeurs ACP et la confédération CONCORD.
SOMMAIRE

ÉDITORIAL
N°194
TENDANCES
Digitalisation : un point fort
4 | Le potentiel de la digitalisation agricole
décrypté
pour l’agriculture africaine
ENTREPRENEURIAT
8 | Les potagers urbains fleurissent
à Trinité-et-Tobago Michael Hailu, directeur du CTA
9 | En Côte d’Ivoire, des plantations
administrées du ciel
Le 21 juin 2019, à Rome, lors de la Conférence
SMART TECH & INNOVATION ministérielle UA-UE pour l’agriculture, le CTA
10 | Au Kenya, des serres gérées par SMS a été très fier de présenter le “Rapport sur
11 | La solvabilité par la blockchain
en Jamaïque la digitalisation de l’agriculture africaine”,
élaboré avec Dalberg Advisors. Les réactions
AGRICULTURE positives ont été nombreuses, notamment sur
CLIMATO-INTELLIGENTE la quantité d’informations utiles et pertinentes
12 | Moins d’eau pour plus de riz
13 | Des technologies météo qui comblent d’importantes lacunes en termes de connaissances et
sur mesure au Malawi les possibilités offertes par le rapport aux parties prenantes du secteur
d’intensifier leurs interactions.
INTERVIEWS Le rapport brosse un tableau clair de plus de 390 solutions
14 | Frederike Praasterink : transformer numériques dans l’agriculture africaine et présente une répartition
d’urgence les systèmes alimentaires
16 | Murielle Diaco : l’économie circulaire géographique de ces applications et des fournisseurs de services. Par
en Afrique ailleurs, le rapport donne une prévision pour la période 2025-2030, ce
qui est une première dans le secteur.

17 | Dossier Pas moins de 17 institutions ont travaillé ensemble à la rédaction du


rapport. En outre, le lancement du rapport, y compris lors du Forum
Digitalisation et vulgarisation : sur la révolution verte en Afrique, qui s’est tenu en septembre à Accra,
des services de conseils intelligents Ghana, a créé un espace pour une collaboration future qui nous
permettra, ensemble, d’approfondir la digitalisation de l’agriculture

29 | Agribusiness (D4Ag).
Le virage numérique présente un potentiel énorme pour contribuer
à la sécurité alimentaire et nutritionnelle et assurer la résilience face
OPPORTUNITÉS COMMERCIALES au changement climatique, mais aussi pour promouvoir l’engagement
30 | Le coton transforme l’artisanat des jeunes et des femmes dans le secteur agroalimentaire en
du textile au Mali
Afrique. Nous voici à un tournant pour ce marché en devenir et seul
31 | En Tanzanie, des snacks
à base de patate douce un leadership résolu et coordonné nous permettra de récolter les
bénéfices réels de la D4Ag en Afrique.
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES L’un des messages clés du rapport est que ce sont surtout les donateurs
32 | Tomates au Nigeria, un concentré qui promeuvent le développement de la D4Ag, en agissant chacun de
de bonnes pratiques
33 | En Zambie, l’arachide dope manière séparée. Or, si l’on tient à ce que ce type d’initiatives soit adopté
les revenus des agriculteurs à grande échelle et ait un impact réel, il est indispensable de collaborer
pour éviter les redondances et les efforts inutiles. De plus, le secteur privé
34 | FINANCE & ASSURANCE doit prendre la relève du secteur public en termes d’investissements.
Rendre l’assurance indicielle rentable
La D4Ag en Afrique a besoin d’une alliance qui permette aux
gouvernements, donateurs, agriculteurs, entreprises agroalimentaires
36 | COMMERCE & MARKETING
Des opportunités pour les femmes et organismes internationaux de travailler en partenariat avec les
avec la Zone de libre-échange africaine géants technologiques afin de soutenir les organisations de terrain qui
sont les mieux placées pour concevoir des produits répondant aux
38 | LEADERS EN AGRIBUSINESS besoins des agriculteurs. Toutes les parties intéressées devront adopter
Maïmouna Sidibe Coulibaly :
“La clé du succès, c’est la qualité !”
une approche collaborative basée sur la confiance, la confidentialité et
l’accessibilité, non seulement pour protéger les utilisateurs et garantir
40 | PUBLICATIONS l’équité et la transparence mais aussi pour s’assurer que la technologie
devienne un point fort durable pour l’Afrique.
44 | OPINION

PHOTO DE COUVERTURE : © SIMON SCOTT/FARM RADIO INTERNATIONAL SPORE 194 | 3


TENDANCES

RAPPORT DU CTA

La digitalisation
agricole africaine
décryptée
Pour la première fois, un rapport compile et met en lumière des
données précises et actualisées sur les solutions digitales permettant
à l’agriculture africaine de relever les défis de sa transformation.

Yanne Boloh et Susanna Cartmell-Thorp

E
n Afrique, où 80 % de la nour- gouvernements, secteur privé...). En plus nouvelles solutions digitales pour l’agri-
riture est produite par de petits d’analyser le paysage des innovations culture augmente de façon exponentielle.
producteurs, les technologies digitales pour l’agriculture (D4Ag) et de “En 2013, lorsque le CTA a organisé une
digitales pourraient provoquer une nou- fournir un aperçu de l’utilisation actuelle grande conférence internationale sur
velle révolution, comme le souligne une de ces solutions dans l’agriculture sur les technologies de l’information et de
étude du CTA et de Dalberg Advisors, le continent (principalement l’Afrique la communication pour l’agriculture au
qui fournit la première analyse de ce subsaharienne), le rapport offre aussi des Rwanda, il se passait peu de choses dans
genre. Le document met en lumière prévisions pour la période 2025-2030 – ce domaine. Mais ces cinq ou six der-
près de 400 solutions digitales et relève une première pour le secteur agricole. Le nières années ont vu une augmentation
que 33 millions de petits producteurs rapport montre aussi ce que les solutions très importante des nouvelles solutions
du continent y sont inscrits, avec une digitales ont permis de réaliser à ce jour, digitales apparaissant sur le marché”,
croissance annuelle de 45 % du nombre présente les perspectives de croissance à relève Michael Hailu, directeur du CTA,
d’inscriptions depuis 2012. Néanmoins, court et moyen terme et, surtout, analyse dans un récent entretien avec Spore.
plus de 90 % du marché des services digi- l’impact que pourrait avoir l’exploitation
taux aux agriculteurs africains demeure de tout le potentiel du secteur. Un baromètre de l’agriculture digitale
inexploité, avec un chiffre d’affaires éva- Le rapport du CTA et de Dalberg sera
lué à 127 millions d’euros sur un marché remis à jour tous les ans ou tous les deux
potentiel de 2,3 milliards d’euros. “La digitalisation peut changer ans, comme un baromètre. Les différents
Le Rapport sur la digitalisation de opérateurs disposent désormais d’une
l'agriculture africaine du CTA et de la donne dans la transformation base compilant des données consoli-
Dalberg Advisors a été présenté à Rome, dées, plus pertinentes que des données
en Italie, le 21 juin 2019 lors de la confé-
de l’agriculture à petite échelle, isolées ou spécifiques à tel ou tel sujet.
rence des ministres de l'agriculture de mais il faut lui accorder En tout, 17 institutions se sont coor-
l’UA et de l’UE, et en Afrique, lors du données au sein d’un comité consultatif
Forum 2019 sur la révolution verte en l’importance qu’elle mérite dans pour établir une méthodologie, collecter
Afrique, à Accra, au Ghana. les données et les mettre en forme. Les
Cet imposant rapport offre une les politiques et investissements” solutions digitales destinées à l’agricul-
idée précise de l’émergence récente ture ont été classées en cinq grandes
de la digitalisation dans l’agricul- catégories primaires (conseil, contacts
ture africaine. Il présente aussi une Alors que la qualité des données commerciaux, accès au financement,
distribution géographique des appli- s’améliore, le rapport note que le gestion de la chaîne de valeur, intelli-
cations et de leurs fournisseurs (ONG, nombre d’entrepreneurs développant de gence macro), subdivisées en catégories

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© CTA
La technologie digitale peut être un facteur d’attraction ou de maintien des jeunes dans le secteur de l’agriculture.

secondaires. Les experts proposent, de de la Commission européenne, partage côté. Pourtant, les solutions digitales pour-
surcroît, d’utiliser de nouveaux termes cet avis : “Nous vivons une époque raient accentuer leur capacité à produire
– comme middleware – pour qualifier les de transformation et de changement et vendre plus et de meilleure qualité.
infrastructures de données nécessaires technologique sans précédent. Le De leur côté, les jeunes sont sur-
au déploiement de solutions digitales numérique peut contribuer à stimu- représentés parmi les utilisateurs (65 %).
concrètes comme les drones, les stations ler l'innovation pour développer des Le numérique constitue d’ailleurs un
météorologiques, les équipements de systèmes agroalimentaires durables et levier pour les attirer ou les maintenir
diagnostic de qualité des sols, des mala- à produire des aliments de meilleure en agriculture. Cette donnée indique
dies et des plants, ainsi que les capteurs qualité et plus sûrs tout en préservant les néanmoins un important fossé entre
de champ. ressources naturelles et la biodiversité. générations qui doit être dépassé afin
Christian Merz, conseiller principal Mais nous devons en être conscients et d’impliquer une proportion significative
à l’Agence allemande de coopération soutenir des solutions durables, adaptées d’agriculteurs parmi les plus âgés.
internationale pour le développement aux besoins des pays et intégrées dans Autre tendance remarquable : les uti-
(GIZ) et membre du conseil consultatif, des systèmes d'innovation plus vastes et lisateurs sont beaucoup plus nombreux
déclare : “Ce rapport historique fournit mieux adaptés. Tout cela s’inscrit dans en Afrique de l’Est, avec le Kenya en tête,
des informations extrêmement utiles le droit fil des objectifs de la stratégie tandis que les solutions se trouvent en
sur le marché des solutions agricoles Digital4Development de l’UE et des ODD plus grand nombre à l’Ouest du conti-
numériques en Afrique subsaharienne. (Objectifs de développement durable) nent. L’Afrique centrale et l’Afrique
Les parties prenantes du secteur, notam- que nous sommes fiers de promouvoir.” australe restent globalement moins
ment les donateurs, les gouvernements représentées. Enfin, malgré un grand
et les investisseurs, mais aussi les res- Fracture numérique nombre d’acteurs qui composent ce
ponsables de la mise en œuvre et les Malgré de considérables résultats dans jeune marché, une quinzaine de solu-
fournisseurs de solutions, doivent avoir la transformation digitale, les femmes tions digitales, principalement dans
une bonne compréhension de l’ampleur, ne comptent que pour un quart des ins- l’univers du conseil, dominent le marché
de la nature et de la couverture du mar- crits aux solutions digitales, bien qu’elles avec 70 % des agriculteurs enregistrés.
ché pour optimiser les interventions, représentent près de la moitié de la
choisir la meilleure solution, définir les main-d’œuvre agricole en Afrique sub- Passer à grande échelle
stratégies de déploiement et de com- saharienne. Sachant qu’en Afrique un Les auteurs du rapport se sont
mercialisation, etc.” mégabyte de données mobiles coûte en concentrés sur le nombre d'utilisateurs
Leonard Mizzi, chef d'unité au sein de moyenne 10 % du revenu moyen men- enregistrés – une donnée intéressante
la direction générale de la coopération suel, les femmes qui gagnent souvent pour les donateurs – mais relèvent
internationale et du développement moins que les hommes sont laissées de que le nombre d’utilisateurs actifs est ›

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TENDANCES

› beaucoup plus faible. Plus d'un tiers des s’améliorent rapidement, avec une poi- blockchain utilisée par Walmart, réduit
utilisateurs interrogés ont déclaré utili- gnée d’acteurs commençant à développer de 7 jours à 2,2 secondes le temps
ser au moins une solution technologique des affaires viables à grande échelle. Pour nécessaire pour retracer le trajet d’une
de pointe (drones, capteurs de terrain, atteindre le plein potentiel, les entre- mangue, de l’arbre au supermarché (voir
big data ou machine learning). Toutefois, prises auront désormais besoin de se https://tinyurl.com/y246sh2u).
40 % d’entre eux disent les utiliser concentrer sur la conversion de leur base Toutefois, l’étude souligne que les
souvent. Les utilisateurs très actifs ne clientèle en utilisateurs réels afin que investissements dans la digitalisation
représentent que 10 à 20 % de tous les ces modèles économiques portent leurs pour l’agriculture sont, à ce jour, isolés,
utilisateurs enregistrés. Pourtant, près fruits”, affirme Michael Hailu. dispersés et fragmentaires, avec des
de 60 % des utilisateurs interrogés ont Les données recueillies et leur ana- efforts de passage à l’échelle dupliqués
indiqué qu’ils envisageaient d’intégrer lyse, ainsi que toutes les réussites de sans que cela soit nécessaire, ce qui a
ces technologies dans leurs activités projet mises en avant dans le rapport, entraîné un manque d’efficacité et a
au cours des trois prochaines années. sont autant d’éléments de preuve solides ralenti la croissance à long terme et à
“Sachant que l’objectif africain de plein de nature à convaincre tout investis- large échelle. “Alors que l’opportunité
accès du continent à la téléphonie sera seur potentiel. Ce rapport fait prendre est immense, le rapport ne fait preuve
une réalité dans les années à venir, nous conscience des défis et des opportunités d’aucune naïveté sur les défis à relever
tablons sur le fait qu’environ 100 mil- liés aux technologies numériques, non et le travail considérable requis par les
lions de petits agriculteurs s'abonneront seulement en Afrique, mais dans l'en- entreprises d’agribusiness, les gouverne-
à un service numérique ou similaire d’ici semble de la région ACP. ments, les donateurs et les investisseurs
à 2020, un chiffre qui atteindra proba- La digitalisation de l'agriculture aide afin de maximiser les impacts transfor-
blement les 200 millions d’ici à 2030”, le secteur agro-industriel et les gouver- mateurs de l’agriculture digitale dans les
indiquent les auteurs du rapport. Dans nements à avoir une meilleure vision années à venir”, affirme Michael Tsan,
5 ans, 87 % des utilisateurs de la télé- de leurs objectifs, ce qui leur permet de de Dalberg Advisors et co-leader du
phonie mobile d’Afrique subsaharienne mieux adapter leurs produits, services, département Pratiques digitales et utili-
devraient avoir accès à l’Internet mobile. politiques et actions, d’une manière sation des données.
“Ce rapport indique que, malgré générale. Selon une étude publiée en
les défis, les facteurs économiques 2018 dans le Journal of the British Blockchain La nécessaire implication
Association, la traçabilité améliorée des de tous les acteurs
La digitalisation contribue à améliorer la données sur International Business Tous les résultats soulignés dans ce
productivité, à renforcer la résilience face au Machines Corporation, la plateforme rapport montrent à quel point il est
changement climatique et à créer des emplois.
© CTA

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essentiel que toutes les parties prenantes et du potentiel de sa digitalisation. “Une d’efforts pour recueillir le même type de
investissent dans le digital destiné à fois cette vision définie, il est nécessaire données.”
l’agriculture, des bailleurs de fonds aux de disposer d’infrastructures. Vous ne “La digitalisation change la donne dans
grandes entreprises technologiques, en pouvez pas vous lancer dans l’agricul- la transformation de la petite agriculture,
passant par l’agro-industrie. Les inves- ture numérique si les infrastructures ne mais, il faut lui accorder l’importance
tissements dans le secteur proviennent permettent aucune connectivité. Nous qu’elle mérite dans les politiques et les
principalement des donateurs, mais le avons donc besoin de réglementations et investissements”, confirme Michael
secteur privé rattrape son retard. de politiques pour encourager les inves- Hailu. “Les gouvernements devraient
Les recommandations formulées tissements de la part du secteur privé”, considérer la digitalisation comme un
dans le rapport seront essentielles pour a-t-il déclaré dans une interview avec domaine primordial qui pourra avoir une
le développement de politiques appro- Spore. forte incidence sur la transformation de
priées aux niveaux national, régional et Néanmoins, Enock Chikava incite à la l’agriculture, l’amélioration de la produc-
continental, de même que pour le déve- prudence : “Si les données déjà collec- tivité, le renforcement de la résilience face
loppement des ressources humaines, des tées, standardisées et analysées restent aux changements climatiques et la créa-
infrastructures publiques et des régu- entre les mains et sous le contrôle d’une tion d’opportunités pour les jeunes et les
lations. Pour Enock Chikava, directeur minorité, cela va à l’encontre de l’objec- femmes. Les gouvernements devraient
adjoint du département Développement tif même de la digitalisation. Il faut que sérieusement s’intéresser aux bénéfices
agricole de la Fondation Bill & Melinda les données soient largement partagées qu’ils pourraient tirer de la digitalisation
Gates, les pays doivent commencer par pour que les nouveaux arrivants ne dans le cadre de leurs stratégies de trans-
avoir une vision claire de leur agriculture doivent pas consacrer autant de temps et formation de l’agriculture.” ■

majeur de catalyseurs en soutenant un meilleur ciblage des


D4Ag : des pistes pour l’avenir communautés marginalisées.
4. Investissez dans les architectures informatiques
Le développement de solutions digitales en agriculture (D4Ag) manquantes comme les intergiciels. Les solutions D4Ag
ouvre de réelles opportunités pour que le numérique soit plus requièrent un accès à un large éventail de données (allant des
largement utilisé, qu’il profite à tous et qu’il soit utile. Encore faut- données de télédétection aux données spécifiques d’une ferme)
il, dans le même temps, prendre en compte, de façon efficace, pour fournir des services de grande qualité aux agriculteurs.
les risques des outils digitaux. Pour y parvenir, les acteurs du La coordination entre les gouvernements, les donateurs, les
secteur devront consentir des investissements majeurs dans investisseurs, les agriculteurs et autres parties prenantes évitera
l’amélioration des modèles commerciaux et, en particulier, dans les pertes liées aux doublons et conduira à la construction
l’écosystème de la D4Ag. À l’heure où nous nous employons d’infrastructures plus utiles et de meilleure qualité sur lesquelles
à améliorer l’intégration de la D4Ag, le rapport du CTA et de les entreprises pourront s’appuyer dans tous les territoires.
Dalberg énonce des recommandations pour les donateurs, les 5. Investissez dans une bonne gestion des données et
gouvernements et les investisseurs. concevez des systèmes tenant compte des risques et des
1. Développez le capital humain à tous les niveaux limites de l’informatique.
de l’écosystème de la D4Ag. Les gouvernements doivent concevoir des approches qui prévoient
Assurer le développement nécessaire du capital humain requiert une bonne gestion des données sans faire peser trop de cadre
d’améliorer la sensibilisation à la D4Ag et le niveau de compétence réglementaire sur la D4Ag au risque de freiner l’innovation.
en informatique des agriculteurs et des autres acteurs de la chaîne 6. Investissez dans l’enrichissement des connaissances.
de valorisation agricole, ainsi que de renforcer la capacité des Nous recommandons des investissements dans trois grands
fonctionnaires – en particulier ceux en poste dans les ministères domaines : la conception de produits répondant aux besoins des
compétents – afin qu’ils puissent comprendre comment utiliser et agriculteurs, en particulier des femmes et des autres groupes
déployer des solutions D4Ag dans diverses initiatives publiques. laissés pour compte ; les recherches en vue d’améliorer les
2. Favorisez la pérennisation des modèles commerciaux. modèles commerciaux et l’accès aux marchés afin de favoriser
Pour pérenniser les modèles commerciaux, il sera indispensable la réussite de la D4Ag ; et les recherches pour recueillir les
d’améliorer l’intérêt des solutions pour les agriculteurs, d’identifier éléments les plus fiables sur l’impact réel des différents modèles
et de promouvoir les modèles commerciaux efficaces et d’inciter commerciaux et des différents usages.
les investisseurs à financer une plus large diversité d’entreprises. 7. Créez une alliance d’acteurs clés de la D4Ag pour accroître
3. Augmentez l’impact des solutions D4Ag en les ouvrant les investissements, le partage des savoirs et la mise en place de
davantage aux femmes, aux autres groupes laissés pour partenariats.
compte et aux agriculteurs vivant dans des zones où les Cette alliance devrait être construite comme un partenariat entre
investissements dans la D4Ag sont moindres. les gouvernements, les donateurs, les organismes internationaux,
Pour parvenir à une croissance inclusive, la D4Ag doit s’ouvrir les organisations paysannes et le secteur privé afin de promouvoir la
à tous. Les donateurs peuvent en particulier jouer un rôle D4Ag de façon inclusive et durable en Afrique comme ailleurs.

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ENTREPRENEURIAT

A G R I C U LT U R E U R B A I N E

Les potagers urbains


fleurissent à Trinité-et-Tobago
Étudiant et entrepreneur, Jameel Phillip aménage des potagers urbains qui maximisent
la production sur de petites surfaces. Une aubaine dans les Caraïbes, où les espaces
de culture manquent souvent.

Keron Bascombe

C
réée en septembre 2015 par
Jameel Phillip, 24 ans, et sa fian-
cée Ciele Williams, Green Thumb
Gardens est une entreprise d'agriculture
urbaine qui met au point des systèmes
de production à domicile basés sur des
pratiques agricoles durables, associées
à des principes d’aménagement paysa-
ger – pour une touche esthétique. L’idée
est aussi de contribuer à lutter contre la

© JAMEEL PHILLIP
stigmatisation dont souffre l'agriculture
traditionnelle.
Pendant ses études à la University of
the West Indies (UWI), Jameel Phillip À Trinité-et-Tobago, l'entrepreneur Jameel Phillip
a appris les rudiments de l’aquaponie contribue à renforcer la sécurité alimentaire en
et les principes de la production en créant des potagers urbains.
chambre de culture (grow box method).
Cette méthode utilise des systèmes par- comme paillis naturel dans notre propre
tiellement ou entièrement clos pour la jardin pour lutter contre les mauvaises
culture avec/sur substrat ou en aquapo- 30 clients herbes et limiter l’évaporation. Nous
nie. Pendant ses études, Jameel Phillip a pouvons utiliser ainsi moins d’eau.”.
aménagé un potager de 1 m2 sur le patio y compris des écoles, L'entreprise travaille également avec
de la maison de son beau-père, pour ont mis en place des potagers. des entreprises agroalimentaires locales.
lequel il utilisait un mélange de fumier Jameel Phillip a ainsi fait la connaissance
de mouton, de compost, de terre et de (17 550 €), avec lequel il a pu aménager de Mark Mica, de Boissierre Greens
sable pour faire pousser des herbes aro- un petit espace de bureau et de stockage Earthworm Farm, en 2017. “Leur sol est
matiques et des légumes : basilic, céleri, et acheter un instrument de labour plus d’une excellente qualité. Nous utilisons
ciboulette, aneth, fenouil, piments grand. Le YBTT l’a mis en contact avec leur lombricompost et leur thé de com-
jalapeño et tomates. À la demande de Rachel Renie, mentor chez D'Market post pour les potagers de nos clients.
ses voisins, il a étendu ses activités. Movers – un service de livraison en ligne Nous nous servons aussi d’un autre
“Nous avons démarré avec trois clients de produits frais. “Rachel m'a expliqué produit local, Algas Organics, un engrais
la première année et nous en avons comment lancer mon entreprise, tenir organique à base de sargasse [une
aujourd’hui plus de trente, parmi les- ma comptabilité et gérer les contacts algue]”, explique Jameel Phillip. Avec sa
quels des écoles.” avec les clients.” fiancée, il envisage à présent de démar-
En 2016, pour obtenir les fonds néces- En plus d’autres solutions pour petits rer un programme pour inciter tous les
saires au lancement de son entreprise, espaces, Green Thumb Gardens fournit clients de leur entreprise à se lancer dans
Jameel Phillip a pris contact avec le des casiers verticaux pour la culture de le compostage en utilisant leurs propres
Youth Business Trinidad and Tobago divers légumes et herbes aromatiques. déchets alimentaires. Ils prévoient aussi
(YBTT) qui offre des services d’accom- “Nous faisons aussi l'entretien de la d’améliorer l’enseignement agricole en
pagnement aux jeunes entrepreneurs. Il pelouse. Nous ramassons donc tous milieu non scolaire et d’étendre leurs
a ainsi obtenu un prêt de 20 000 dollars les déchets de tonte que nous utilisons activités au-delà des potagers. ■

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DRONES

En Côte d’Ivoire, des plantations


administrées du ciel
WeFly Agri, la start-up de Joseph-Olivier Biley fondée en 2017,
fournit des services basés sur les drones pour aider les propriétaires
d’exploitations et de plantations à gérer leurs terres à distance.

Emmanuel Maduka

E
n Côte d'Ivoire, Joseph-Olivier des drones permettent de fournir des majorité des petits agriculteurs n'ont
Biley développe et fournit des images de l'évolution de l’exploitation pas les moyens de s’offrir les services
technologies utilisant les drones dans le temps et de produire des bul- d'un agronome. Avec ScanLeaf, leur
pour permettre aux propriétaires letins météorologiques en temps réel. téléphone fait office d’agronome. Un
d’exploitations et de plantations de sur- Ces informations, utilisées avec des simple clic leur suffit pour obtenir un
veiller et gérer leurs terres à distance. images aériennes des parcelles agri- diagnostic immédiat et s’informer du
Son entreprise, WeFly Agri, fournit des coles, devraient faciliter l’accès aux traitement à mettre en œuvre”, poursuit
services de cartographie interactive, prêts des petites exploitations, puisque Joseph-Olivier Biley. ScanLeaf a été testé
de visite virtuelle des exploitations ces données peuvent servir de garantie. auprès de 1 542 producteurs de cacao et
et un “outil de gestion à distance des “La plupart des coopératives de petits 46 000 autres cultivateurs se sont récem-
employés” permettant d’interagir avec le exploitants recueillent généralement les ment abonnés à l’appli. Aujourd’hui, la
personnel sur le terrain. Depuis le lance- données de manière traditionnelle, ce qui start-up étend ses services à l’ensemble
ment de l'entreprise en 2017, les drones leur fait perdre des opportunités finan- du pays et poursuit ses discussions avec
WeFly ont été utilisés pour cartographier cières”, affirme Joseph-Olivier Biley des clients potentiels au Mali, au Nigeria,
et surveiller plus de 40 000 hectares de Pour compléter les services de au Sénégal et au Togo. ■
terres agricoles. drones, WeFly a également développé
Tout a commencé avec des problèmes “ScanLeaf”, une application mobile qui L'entrepreneur Joseph-Olivier Biley propose
de transparence et de contrôle auxquels aide les agriculteurs à diagnostiquer et une série de solutions d'agriculture digitale
faisait face le père de Joseph-Olivier Biley à traiter les maladies des cultures. “La utilisant la technologie des drones.
dans son entreprise de caoutchouc : ses

© WEFLY AGRI
employés n’utilisaient pas les engrais et
les intrants pour l’entreprise mais pour
démarrer leur propre plantation. Joseph-
Olivier Biley a alors développé un outil
qui assigne numériquement – à distance
– des tâches aux employés à l’aide d’un
système SMS centralisé. De son côté,
l’employeur reçoit en temps réel des
informations sur l’état d’avancement et
d’exécution des tâches.
“Les propriétaires de plantations
s'abonnent généralement à une carto-
graphie interactive par an et à au moins
une visite virtuelle par mois. Ils peuvent
ainsi surveiller leur plantation, sur leur
ordinateur ou leur téléphone portable”,
explique Joseph-Olivier Biley.
WeFly collabore avec une coopéra-
tive de cacao de 3 000 membres afin de
cartographier 9 000 hectares de terres.
Une fois les plantations cartographiées,

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SMART TECH & INNOVATION

© ILLUMINUM GREENHOUSES
SERRES INTELLIGENTES

Au Kenya, l’irrigation
se gère avec les
téléphones portables
La surveillance à distance des serres permet
à des petits producteurs kényans d’irriguer
leurs cultures sans être présents sur place
et d’améliorer leur qualité de vie.

Toby Penrhys-Evans et Bob Koigi

G
râce à des serres et à des capteurs fonctionnant à
l’énergie solaire et connectés à un système d’irrigation
goutte-à-goutte, des agriculteurs kényans gèrent effi-
cacement l’eau utilisée pour leurs cultures. Les capteurs, qui Avec leur portables, les petits producteurs gèrent
génèrent des informations envoyées par SMS sur les téléphones l’approvisionnement en eau avec des capteurs fonctionnant à
mobiles pour réguler la distribution d’eau, servent à surveiller l’énergie solaire et connectés à des systèmes de goutte-à-goutte.
la température, le taux d’humidité de l’air et du sol à l’intérieur
des serres. Cette technologie demande moins de travail que totale, et nous échelonnons le remboursement en fonction de
l’irrigation manuelle et améliore le rendement des cultures. leurs cycles de récolte”, poursuit Taita Ngetich. “Nous avons
À l’origine de cette innovation : Illuminum Greenhouses, une démontré le bien-fondé de ce mécanisme en 2017 et 2018,
société de technologies basée à Nairobi. Depuis 2014, elle quand nous avons construit des serres pour les agricul-
a construit 1 200 serres dans toute l’Afrique de l’Est, teurs en leur demandant seulement un acompte de
permettant à 5 500 petits exploitants de bénéficier 5 500 10 % et en récupérant l’équilibre sur toute la saison
de cette technologie. producteurs de récolte et sur 345 agriculteurs. Nous espérons
Les serres en bois et métal d’Illuminum ont adopté la maintenant toucher les institutions financières et
Greenhouses protègent davantage les cultures technologie de le gouvernement afin de porter cette méthode à
des nuisibles et des maladies qui s’attaquent aux gestion à distance plus grande échelle.”
plantes cultivées à l’air libre. “Les serres permettent des serres Par ailleurs, “nous avons commencé à construire
aux agriculteurs de cultiver des semences hybrides une interface d’analyse en ligne accessible sur smart-
(de poivrons, concombres et tomates) qui offrent de plus phone qui permettra aux utilisateurs de gérer directement
longues périodes de récolte et des rendements jusqu’à quatre leurs systèmes d’irrigation et leur offrira des informations
fois supérieurs en comparaison avec les semences plantées à pratiques sur les conditions de terrain et l’utilisation de l’eau,
l’extérieur. Cette énorme hausse des rendements obtenue sur ainsi que des indicateurs d’avertissement, des diagnostics et
de petites surfaces de culture avec des risques réduits d’expo- d’autres données utiles”.
sition aux nuisibles et maladies se traduit par des revenus plus Les agriculteurs manquant d'historique financier, les par-
élevés pour les exploitants”, affirme Taita Ngetich, cofondateur tenaires prêteurs ont du mal à évaluer leur risque de crédit
et directeur d’exploitation d’Illuminum Greenhouses. et hésitent à octroyer des financements. Pour y remédier,
“Une serre métallique de 8 m sur 30 m équipée des tech- Taita Ngetich envisage une nouvelle approche d’évaluation
nologies goutte-à-goutte, son installation et une formation du risque de crédit en mettant à profit la technologie d’Illu-
à l’agriculture en serre coûtent en moyenne 4 500 dollars minum. “Même sans historique financier, en partageant les
[4 000 euros], tandis que le revenu annuel moyen d’un petit données sur les schémas d’irrigation, les rendements des
exploitant est d’environ 2 000 dollars [environ 1 800 euros]”, récoltes par saison, le prix au kilo des produits récoltés, les
précise Taita Ngetich. Pour que les agriculteurs puissent acheter tendances météorologiques et les données agricoles, nous
une serre et évitent de devoir avancer toute la somme, l’entre- pensons qu’une évaluation du risque de crédit peut être calcu-
prise a créé un mécanisme de financement d’actifs en prenant lée.” Illuminum Greenhouses a été l’un des quatre lauréats du
comme garantie la serre construite et les cultures produites. concours AgriHack 2018 du CTA. Ces lauréats ont chacun reçu
“Les agriculteurs avancent au maximum 20 % de la valeur un prix de 7 500 €. ■

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CRÉDIBILITÉ BANCAIRE Culture hors-sol
La solvabilité par la Nouveau système
d’hydroponie
blockchain en Jamaïque EN JAMAÏQUE, un nouveau système
hydroponique, baptisé Roottube,
rend la production de tubercules,
Une technologie innovante vise à améliorer comme l’igname et la pomme de
les investissements agricoles en établissant des profils terre, moins exigeante en main-
d’œuvre, plus rentable et plus
d'agriculteurs. efficace et durable qu’avec les
méthodes agricoles traditionnelles.
“Les tubercules poussent dans des
Natalie Dookie tuyaux, ce qui assure l’homogénéité
de leur forme”, explique Yanque

P
Yip, entrepreneur et PDG de
our la première fois aux Caraïbes, producteur. Les informations reprises TSOTARE Agricultural Innovators,
la technologie de la blockchain dans les profils proviendront de transac- à l’origine de cette innovation. “Le
sera bientôt utilisée pour créer tions commerciales vérifiées, ainsi que système protège l’igname contre
une nouvelle cote de solvabilité pour les de partenariats avec des fournisseurs, la sécheresse, les précipitations
agriculteurs jamaïcains qui cherchent des distributeurs et des consomma- excessives, le vol de cultures,
à renforcer leur crédibilité bancaire. teurs. “Pour un agriculteur qui souhaite les nuisibles et les maladies.” En
Cette technologie reposera sur l’en- contracter un prêt auprès d’une banque, avril 2019, Yanque Yip a reçu une
registrement de l’historique de leurs le processus sera donc beaucoup plus aide financière pour démarrer
transactions et sur la création de profils facile, car il disposera d’un historique son entreprise en remportant le
à l’aide d’informations sur les revenus, financier”, affirme Varun Baker, PDG de programme de laboratoire urbain de
les dépenses et la rentabilité des exploi- Farm Credibly. Les données personnelles l’initiative Democratizing Innovation
tations, en vue de créer des registres et relatives aux transactions des petits in the Americas, organisé par The
numériques sécurisés. À l’origine de ce producteurs seront protégées et seul un Trust for the Americas.
système : la start-up Farm Credibly, qui historique fiable de leurs opérations sera
collecte et évalue les données. accessible publiquement.
Une grande partie de l’activité agricole Lauréat du concours Pitch AgriHack
reposant sur des paiements en espèces, du CTA en 2018, Farm Credibly a réin-
les petits producteurs ne disposent jecté la totalité de son prix dans un Surf écologique
d’aucune trace écrite attestant leurs projet pilote en août 2019 qui vise à
performances économiques. Avec les aider 10 agriculteurs à élargir leur pro- Plantation d’arbres
profils et les cotes de solvabilité dispo- duction de piments Scotch Bonnet.
nibles sur le site web de Farm Credibly, Ce projet pilote, qui bénéficie d’une UN MOTEUR DE RECHERCHE sur
les institutions financières seront en subvention de la Banque de dévelop- Internet géré par une start-up
mesure de définir la solvabilité d’un petit pement de la Jamaïque, vise à faciliter allemande a utilisé 80 % de ses
l’accès des petits producteurs au micro- revenus tirés de la publicité pour
© FARM CREDIBLY

crédit à travers sa plateforme basée sur financer la plantation de 50 millions


la blockchain. Grâce à cette plateforme, d’arbres dans 16 pays. Fondée en
Farm Credibly lancera en même temps 2009 par Christian Kroll, Ecosia
une option de financement cumulatif, à affirme avoir éliminé l’équivalent
travers laquelle des investisseurs indivi- de 2,5 millions de tonnes de CO2 de
duels pourront consulter les profils des l’atmosphère à travers ses efforts
agriculteurs et investir directement dans de reboisement. Son objectif est
les exploitations de piment. d’arriver à planter 100 millions
“Farm Credibly a accès à une base de d’arbres d’ici la fin de 2019. L’un des
données de plus de 200 000 agricul- 20 partenaires internationaux de
teurs enregistrés, et nous sommes en l’entreprise est l’Institut Jane Goodall
train de conclure un partenariat avec la en Ouganda, où 250 000 arbres
Jamaica Manufacturers and Exporters ont été plantés, créant parfois ainsi
Association, qui enrichira sensiblement des “couloirs” qui permettent aux
En Jamaïque, une start-up utilise la blockchain afin notre système d’évaluation de la solvabi- chimpanzés de circuler en toute
d’aider les producteurs à accéder au financement. lité”, s’enthousiasme Varun Baker. ■ sécurité entre les parcelles de forêt.

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AGRICULTURE CLIMATO-INTELLIGENTE

RESSOURCES NATURELLES

En Tanzanie, moins d’eau


pour de meilleurs rendements en riz
Affectés par des sécheresses, des inondations récurrentes et de mauvaises récoltes,
les riziculteurs tanzaniens adoptent des pratiques d’agriculture intelligente
face au climat. Avec succès.

Kizito Shigela

E
n Tanzanie, les riziculteurs qui permet de cultiver plus de riz avec que j’arrivais à peine à 15 sacs avec la
adoptent des techniques agri- moins d'eau et moins de semences. La méthode traditionnelle”, confie-t-elle.
coles climato-intelligentes pour méthode consiste à repiquer des jeunes Dans les terres hautes de Morogoro, des
améliorer leurs rendements et réduire plants de 8 à 10 jours et non des plants bacs de rétention ont été construits pour
leurs impacts sur l'environnement. de 30 jours, comme c’est habituellement réduire le risque d’érosion et améliorer la
Dans le cadre d'un projet quinquen- le cas. Mwajuma Kassim, rizicultrice, rétention d’eau. Les agriculteurs ont suivi
nal, Strenghtening the Capacity for Climate utilise ainsi moins de semis et maintient une formation pour apprendre à former
Change Adaptation through Sustainable les plants alternativement au sec et dans des lignes de contour, à creuser des tran-
Land and Water Management (Renforcer l’humidité, au lieu d’irriguer les rizières, chées et à produire des plants d’ananas
la capacité d’adaptation au changement ce qui garantit une meilleure oxygéna- pour renforcer les bacs de rétention.
climatique grâce à une gestion durable tion des plants. Cette technique réduit Afin de lutter contre la déforestation et
des terres et de l’eau), les agriculteurs la concurrence entre les plants, tout en d’améliorer leur résilience face au chan-
de la région de Morogoro, dans l’est du permettant de contrôler les quantités gement climatique, ce projet encourage
pays, adoptent des techniques inno- d’eau que les différents plants reçoivent, aussi les agriculteurs à adopter des
vantes pour prévenir l'érosion des sols et afin qu’ils puissent se développer aussi fourneaux économes en énergie pour
diminuer leurs besoins en eau et en bois. bien en milieu humide que sec. Leur leurs cuissons, plus efficients et moins
Lancé en 2016, le projet est géré par la résistance à la sécheresse et aux inon- gourmands en bois que les méthodes
Sokoine University of Agriculture (SUA), dations s’en trouve ainsi améliorée. traditionnelles. La Tanzanie affiche en
avec le soutien de la FAO. Mwajuma Kassim affirme que sa récolte effet l’un des taux de déforestation les
Dans le village de Kidugalo, plus de de 2019 sera sa meilleure depuis plus de plus élevés d'Afrique subsaharienne,
3 000 agriculteurs ont adopté le sys- 10 ans et qu’elle pourrait avoir lieu trois avec environ 372 000 hectares de
tème de riziculture intensive (SRI), semaines plus tôt que d’habitude. forêts détruits chaque année, selon
Dans le même l'Évaluation des ressources fores-
Pour renforcer la résilience face au changement climatique en Tanzanie, les village, Mwanaidi tières mondiales (2015) de la FAO.
riziculteurs adoptent des techniques de gestion durable des terres et de l'eau. Msungu cultive “Malheureusement, beaucoup d’arbres
aussi du riz avec sont abattus pour répondre à l’augmen-
la technique SRI tation de la demande en bois alors qu’ils
sur sa parcelle de sont essentiels pour protéger le sol de
4 hectares. Elle a été l’érosion, purifier l’eau et l’air tout en
la risée des autres réduisant l’impact du changement cli-
agriculteurs lors- matique”, explique Godfrey Pyumpa,
qu’elle s’est mise au un ingénieur des eaux du district associé
SRI, il y a deux ans. à la mise en œuvre du projet. À ce jour,
“Ceux qui se sont environ 200 agriculteurs ont planté
moqués de moi me 4 308 plants d'arbres de différentes
supplient à présent espèces. Les pépinières pour les arbres
de leur apprendre feuillus destinés à la production de bois
cette technique et les arbres fruitiers assureront les
© KIZITO SHIGELA

innovante. J’ai futurs besoins en énergie et de nouvelles


récolté 57 sacs de sources de revenus comme de sécurité
riz en 2019, alors alimentaire. ■

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Apprentissage PRÉVISIONS NUMÉRIQUES

durable
Inventaire des gaz
Au Malawi, les efforts
à effet de serre climato-intelligents paient
UN COURS GRATUIT d’apprentissage
en ligne, lancé en mars 2019, enseigne En réponse aux sécheresses, aux inondations
comment élaborer durablement un et à l’émergence de nuisibles et de maladies, un projet
inventaire national des gaz à effet de
serre (GES) et évaluer les émissions de résilience face au climat propose des technologies
et les absorptions de GES résultant de météorologiques personnalisées aux agriculteurs.
l’utilisation des terres. Développé par
la FAO, le cours reflète l’objectif de la
Convention-cadre des Nations unies sur

© BUSANI BAFANA
les changements climatiques visant à Busani Bafana
lutter contre le réchauffement planétaire,

L
ainsi que les lignes directrices du Groupe
d’experts intergouvernemental sur ’assurance basée sur un indice cli-
l’évolution du climat “en vue de fournir matique, les semences résistantes
une base scientifique solide et actualisée aux sécheresses et les services d’in-
visant à soutenir la préparation et formation météorologique basés sur les
l’amélioration continue des inventaires TIC font partie des approches et technolo-
nationaux de GES”. gies promues et diffusées par un projet de
résilience face au climat au Malawi. Avec
Pour en savoir plus, consultez : le soutien du CTA, l’association natio-
https://tinyurl.com/yymeorkd nale des petits exploitants du Malawi,
la NASFAM, met en œuvre le projet Des producteurs du Malawi augmentent leurs
CRS (Scaling-Up Climate-Resilient Solutions, rendements de maïs en utilisant des variétés
Déployer des solutions résilientes face de semences résistantes à la sécheresse et des
au climat) depuis 2017. Jusqu’à présent, techniques agricoles de conservation.
Riz résilient 65 000 agriculteurs, dont une majorité de
femmes, en ont bénéficié. Au Malawi, les agriculteurs ont dif-
Agriculture résistante Pour aider les agriculteurs à prendre ficilement accès au maïs résistant à la
conscience de ses avantages, le projet sécheresse, la plupart des négociants
à la sécheresse CRS a donc développé un prototype. agricoles opérant loin de leurs villages.
“Ces assurances ont le potentiel de ren- Pour y remédier, la NASFAM soutient
À MADAGASCAR, un programme forcer la résilience des petits exploitants l’organisation de foires de semences dans
de recherche a mené à la sélection en leur fournissant des indemnisations les villages, ce qui a aussi permis aux
d’une variété de riz, Fofifa 182, dont les lors des mauvaises années, pour les aider négociants agricoles et aux entreprises
rendements sont plus élevés de 0,5 t/ha à survivre et protéger leurs actifs. Grâce semencières de prendre conscience de la
que les semences traditionnelles. En à la promotion des semences résistantes demande pour ces variétés de semences.
deux ans, 40 agriculteurs ont collaboré aux sécheresses, nous leur garantissons Depuis 2017, plus de 4 100 petits exploi-
avec des chercheurs du dispositif l’accès à des semences à prix abordable tants ont participé aux foires de semences
Systèmes de production d’altitude et et soutenons leurs demandes respec- organisées chaque année.
durabilité au ministère de l’Agriculture et tives de semences”, affirme Wycliffe Le projet propose par ailleurs des
des agronomes du Groupement semis Kumwenda, responsable des services formations aux techniques de l’agricul-
direct de Madagascar pour tester une agricoles de la NASFAM. ture de conservation. “J’ai commencé à
cinquantaine de variétés de riz pluvial sur Des prévisions météorologiques per- pratiquer l’agriculture de conservation
les hautes terres du pays. Les différentes sonnalisées et des services de conseils en 2013, après avoir constaté une baisse
variétés sont cultivées en conditions réelles agricoles, envoyés aux agriculteurs sur de la fertilité de mon sol. L’utilisation de
par les petits exploitants, qui évaluent les leur téléphone portable, contribuent trous creusés dans le sol et le paillage
plantations selon des critères précis : taille aussi à renforcer leur résilience clima- m’ont permis d’améliorer mes rende-
des végétaux, productivité, adaptation au tique. Une fois inscrits numériquement, ments. Je récoltais 15 sacs [50 kg] de
changement climatique, forme et goût, les petits exploitants peuvent utiliser ces maïs sur ma parcelle, désormais, j’en
taille des grains, ainsi que résistance aux informations pour planifier leurs activi- récolte 40”, se réjouit Mme Mtonga, à la
mauvaises herbes et aux maladies. tés agricoles. tête de 8 hectares de terre. ■

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INTERVIEWS

FREDERIKE PRAASTERINK

Transformer
d’urgence
les systèmes
alimentaires
Spécialiste en durabilité et en systèmes alimentaires, la professeure
Frederike Praasterink est convaincue de l’importance d’une direction
au niveau local pour construire une stratégie de transformation
des systèmes alimentaires.

Susanna Cartmell

Alors que la population mondiale s’ac- alimentaire se concentrent généralement nous devons le rendre “sensiblement
croît et que le changement climatique sur l’intensification durable, qui consiste meilleur” et pas juste “moins pire”.
compromet les ressources, nous restons à produire plus avec moins, à utiliser
confrontés à des problèmes nutrition- les ressources efficacement, etc. Mais Comment définiriez-vous la transforma-
nels : trop de personnes souffrent l’intensification entraîne la perte de la tion des systèmes alimentaires ?
encore de malnutrition, tandis que de biodiversité et la dégradation des sols, L’équipe de la chaire Future Food
nombreuses autres sont suralimentées, alors que nous sommes confrontés à Systems, un groupe de recherche de
voire obèses. La professeure Praasterink un problème de malnutrition mondial, l’université HAS de sciences appliquées,
explique comment repenser le système affectant une personne sur trois sous ses travaille à une définition de la transfor-
alimentaire mondial. différentes formes : la suralimentation, mation des systèmes alimentaires. Pour
la sous-alimentation ou, double peine, cela, nous collaborons avec la fondation
Le monde doit nourrir une population la consommation d’aliments trop calo- néerlandaise Transition Coalition Food
croissante à l’ère du changement climatique riques mais ne contenant pas assez de qui réunit plus de 150 entreprises, ONG,
et de la dégradation de l’environnement. Si micronutriments. organismes gouvernementaux et insti-
notre planète n’est pas saine, il n’est sans Nous commençons lentement à tuts de connaissances et d’éducation.
doute pas étonnant que trop de personnes prendre conscience du fait qu’en plus Nous avons défini plusieurs scénarios
aient un régime alimentaire malsain ? d’une intensification durable nous avons de transition en vue de la transformation
C’est juste, et l’augmentation de la besoin d’une stratégie qui se concentre des systèmes alimentaires. L’un d’entre
production alimentaire nécessaire pour sur la transformation des systèmes ali- eux repose sur la refonte des systèmes de
nourrir une population croissante et de mentaires, afin de les rendre plus durables production agricole en systèmes de pro-
plus en plus riche ne peut être réalisée en et résilients. La préservation de nos éco- duction agroécologique plus diversifiés,
extrapolant nos modèles de production et systèmes, ainsi que la santé et le bien-être qui soient résilients face au changement
de consommation actuels. Cela porterait des populations, comme la réalisation climatique. Cette option favorise, par
atteinte au socle même des ressources des objectifs de développement durable exemple, la polyculture (culture de plu-
dont dépend le système alimentaire. dépendent réellement d’une transforma- sieurs espèces végétales) au détriment
Les stratégies mondiales de production tion structurelle du système alimentaire : de la monoculture, afin de régénérer

14 | SPORE 194
© CTA

La professeur Frederike Praasterink insiste sur le


besoin de coalitions pour construire une stratégie
de transformation des systèmes alimentaires.

système, mais modifier les paradigmes a


un pouvoir de transformation bien plus
important.

Vous qui êtes à la base de ce mouvement,


diriez-vous qu’il s’agit d’une approche très
occidentale ou plutôt d’une tendance mon-
diale ?
Je pense qu’il s’agit d’une tendance
mondiale. Les jeunes générations com-
prennent vraiment les défis auxquels
nous sommes confrontés et veulent
faire partie de la solution. J’ai vraiment
l’espoir que les jeunes déclenchent une
“révolution silencieuse”, qui nous met-
tra sur la voie de la durabilité.
Mais nous sommes déjà en train de
franchir plusieurs des limites de notre
les sols et la biodiversité. Elle encourage lorsqu’elle est appliquée à une situation planète à cause de notre système alimen-
aussi l’économie circulaire. ou un thème spécifique. Il en résulte une taire. L’agriculture et l’alimentation sont
Un autre scénario repose sur la série de conseils pouvant être appliqués à responsables d’un quart des émissions
consommation alimentaire et implique court, moyen et long terme. de gaz à effet de serre, donc, clairement,
d’adopter des régimes alimentaires Par exemple, nous avons organisé une nous devons réagir de manière bien plus
durables davantage basés sur les ali- masterclass au début de l’année 2019 avec radicale que ce que nous faisons actuel-
ments d’origine végétale – y compris les des étudiants issus de différentes disci- lement. Cependant, la transition doit
protéines végétales. plines, dans le cadre d’un programme commencer par une prise de conscience
Nous travaillons aussi à des modèles honorifique et en collaboration avec du fait que nos systèmes alimentaires
d’entreprise basés sur le décompte du une fondation nationale active dans le sont en lien avec d’autres problématiques.
coût réel, qui inclut le coût caché de domaine du gaspillage alimentaire. Plutôt Le climat et la sécurité alimentaire et
notre nourriture, en termes de perte de que de considérer ces déchets comme hydrique, par exemple, sont intimement
biodiversité, les émissions de CO2 et les un problème, nous les avons envisa- liés, nous ne pouvons donc pas nous
dépenses de santé dues à des styles de gés comme le symptôme d’un système contenter d’une solution rapide ou nous
vie malsains. intenable. Donc, plutôt que de réfléchir reposer entièrement sur la technologie.
à ce que nous pourrions en faire, nous Le système alimentaire doit être
Qu’entendez-vous exactement par “ap- avons cherché à comprendre pourquoi adapté dans le monde entier, mais ce
proche systémique” ? le gaspillage alimentaire perdure – quels sont peut-être les pays occidentaux
Nous observons le système alimentaire sont les structures, schémas, modèles et qui devront accomplir le plus grand
dans son ensemble, sans nous limiter à paradigmes du système alimentaire qui changement, en modifiant notamment
certaines chaînes, pour définir des straté- continuent à générer des déchets à dif- leurs habitudes alimentaires. Réduire
gies d’intervention pouvant contribuer à férents niveaux. Il en a résulté une action sa consommation de viande et manger
régler des problèmes spécifiques, comme qui n’était pas seulement axée sur la réu- plus de fruits et légumes sont deux actes
les gaspillages et les déchets alimen- tilisation des déchets, mais aussi sur leurs très simples, mais très efficaces pour le
taires. Nous avons développé différentes causes sous-jacentes. Il est intéressant système mondial.
étapes, et nous travaillons généralement de remarquer que, lorsqu’on se penche Pour transformer nos systèmes ali-
avec des groupes de personnes actives sur les paradigmes du gaspillage alimen- mentaires, nous devons travailler en
sur le terrain pour réaliser une analyse taire, on s’aperçoit qu’ils sont en fait très coalitions. Nous avons besoin de lea-
des systèmes alimentaires. Nous exa- similaires à ceux d’autres problèmes du dership, tant de dirigeants officiels
minons les problèmes prioritaires, les système alimentaire, comme la perte de (présidents, décideurs politiques ou
schémas comportementaux qui les pro- biodiversité. Ces paradigmes sont, par chefs d’entreprise) que de citoyens ordi-
voquent, les structures sous-jacentes et exemple, le productivisme, la maximi- naires. Il ne faut jamais sous-estimer à
les paradigmes qui les font persister. Cette sation des profits et la déconnexion de la quel point chaque petit choix en faveur
méthode peut paraître un peu concep- nature et des aliments. On peut essayer de la durabilité peut contribuer à un
tuelle, mais en réalité elle est très pratique de s’attaquer à chacun de ces éléments du changement plus important. ■

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INTERVIEWS

MURIELLE DIACO

L'économie
circulaire en Afrique
Lancée en 2016, la plateforme Djouman fait converger les start-up africaines
et les investisseurs qui souhaitent travailler ensemble sur des projets
de développement durable et d’innovation en Afrique.

Vincent Defait
© OLIVIER EZRATTY

La plateforme Quels exemples de potentiel prometteur Concernant notre vision du futur, nous
Djouman, fondée liés à l’agriculture ou l’agrobusiness ? avons fait le choix de nous engager dans
par Murielle Diaco, On voit émerger beaucoup de projets des projets de formation des jeunes.
mise sur la dans la permaculture ou l’agroécologie. Nous voulons donner à ces générations
formation des On repart donc sur une imitation des les clés pour créer leurs propres activités
jeunes pour écosystèmes, au lieu de modèles de génératrices de revenus à travers l’en-
impulser de monoculture. Partout en Afrique, des trepreneuriat et mener des actions qui
nouveaux modes associations et des petites entreprises forgeront un futur plus vivable pour tout
de production ont développé des projets d’agroéco- le monde.
vertueux, y compris logie. Ainsi, au Bénin, les jardins de
en agriculture. l’Espoir, un incubateur de projets agri- Les consommateurs commencent à don-
coles avec des fermes pédagogiques ner plus d’importance à l’éthique, ce qui
et de production, ont développé un oblige l’agrobusiness à être plus durable et
Vous faites partie du Réseau africain compost à base de résidus de riz appelé à utiliser les ressources de manière plus effi-
d'économie circulaire. Selon vous, le déve- Bokashi. En Afrique du Sud, il existe cace, mais comment les décideurs politiques
loppement vers un futur plus durable se fait- des initiatives pour assurer la sécurité peuvent-ils soutenir cette dynamique ?
il au bon rythme ? alimentaire dans les bidonvilles où les Les décideurs politiques ont conscience
L’économie circulaire a toujours été populations cultivent leurs propres que nous ne pouvons plus nous permettre
présente en Afrique. De nombreuses produits. L’objectif étant ici d’autono- d’épuiser toutes les ressources, de faire de
pratiques sont ancrées dans les socié- miser ces populations. l’agriculture hyper-intensive… Le passage
tés africaines, telles que la sobriété à l’acte est plus lent à se mettre en place.
d’utilisation des matières premières, Qu’est-ce qui vous a inspiré à lancer L’idée, pour nous, est donc de les inci-
la réutilisation des produits, ou les Djouman et comment voyez-vous le futur de ter à fixer des cadres réglementaires qui
tontines qui font partie de l’écono- votre entreprise ? poussent les industriels à prendre davan-
mie participative (un système tourné Ma principale motivation était d’aider tage en compte leurs impacts et leurs
vers la mutualisation et le partage des à autonomiser les Africains. Il y a énor- responsabilités. Il faut s’appuyer sur les
connaissances et des services, NDLR). mément de projets qui vont dans le sens acteurs de la société civile pour être force
Aujourd’hui, on se met à l’économie de créer plus de développement durable de proposition et amener les décideurs
consumériste, à la production et à la en Afrique, mais ces projets sont rapi- politiques à imposer des cadres contrai-
consommation de masse, avec énor- dement limités parce qu’ils manquent gnants. Sans contrainte, il ne se passe rien.
mément de pression sur les populations de connexion avec des réseaux globaux, Aussi, il faut mettre en lumière les ini-
africaines et leurs dirigeants pour que de financement, de compétences. L’idée, tiatives responsables, positives, durables
l’Afrique consomme plus et de manière avec Djouman, est d’apporter tout cela et qui fonctionnement bien. Il faut créer
linéaire. La difficulté est de présenter à des acteurs qui font déjà des choses un dialogue entre toutes les parties
d’autres modèles de développement intéressantes sur le terrain, pour que prenantes – secteurs privé et public,
plus inclusifs, plus soutenables. Nous ces acteurs africains puissent échanger associations – pour trouver des solutions
expliquons qu’il s’agit de puiser dans ce entre eux et se nourrir les uns des autres transitoires vers un développement
que nous savions faire. pour avoir davantage d’impact. durable. ■

16 | SPORE 194
Dossier

DES SERVICES
CONSULTATIFS
NOVATEURS
GRÂCE AUX TIC
Pour permettre aux petits agriculteurs d’améliorer leur
production, de réduire leurs pertes de récolte et
d’augmenter leur productivité, il est crucial d’innover en
matière de services de vulgarisation agricole avec des outils
d’aide à la décision percutants et un savoir-faire numérique.
ANALYSE

DIGITALISATION ET VULGARISATION

Soutenir les services


de conseils pour
une agriculture
intelligente
La digitalisation améliore les systèmes de vulgarisation
agricole en fournissant des services au moment
opportun et en facilitant l'adoption de nouvelles
pratiques agronomiques. Résultat : les rendements
et les revenus des producteurs augmentent.

Tiane Cline

T
raditionnellement, les petits agri- manières de travailler sont nécessaires. du coût par adoption”, explique Rikin
culteurs prennent leurs décisions Cela passe par l’innovation en matière Gandhi, directeur exécutif de Digital
en s’appuyant sur leur expé- de services de vulgarisation avec l’utili- Green, une entreprise créée en 2008
rience, les pratiques courantes et les sation des TIC. en Inde, sans but lucratif, pour travail-
savoirs collectifs, mais cela ne se traduit ler avec les petits agriculteurs. En 2011,
pas nécessairement en productivité ou La vulgarisation par vidéo l’organisation a commencé à œuvrer en
profits. “Les services concrets de vul- à l’échelle des villages Éthiopie avec le système national de vul-
garisation, qui vont de la préparation Selon le bureau éthiopien de l’Institut garisation du ministère de l’Agriculture,
des sols à la planification de l’irrigation international de recherche sur les poli- où plus de 60 000 agents de vulgarisa-
en passant par la sélection de cultivars tiques alimentaires (IFPRI), la vidéo, tion sont chargés de toucher 60 millions
résistants et les stratégies intégrées de lorsqu’elle est utilisée pour la vulgarisa- d’agriculteurs.
lutte contre les ravageurs dans l’agricul- tion agricole, touche 24 % d’agriculteurs Les vidéos de Digital Green présentent
ture africaine, sont cruciaux parce qu’il en plus que d’autres formes de vulga- des membres de communautés locales
existe un potentiel latent pour garantir la risation, et les agents qui s’en servent partageant des témoignages ou démon-
sécurité alimentaire mondiale, mais les font davantage d’efforts pour visiter les trant une pratique. “En permettant aux
infrastructures, compétences et déve- fermes et fournir conseils et suivi. membres des communautés rurales de
loppements sociaux qui permettraient “Cette étude de l’IFPRI a débouché jouer un rôle actif dans la création et la
de déverrouiller ce potentiel sont encore sur le développement de notre approche définition des contenus, Digital Green
inexistants”, affirme Marili Mouton, une par vidéo, dont une évaluation contrô- donne voix au chapitre aux communau-
agronome qui travaille en Afrique du lée a montré qu’elle était sept fois plus tés, même isolées”, ajoute Rikin Gandhi.
Sud. Pour que l’agriculture africaine se efficace sur le plan de l’adoption de nou- Les agents de vulgarisation attachés
transforme, estime-t-elle, de nouvelles velles pratiques et dix fois plus au regard aux villages (formés par Digital Green)

18 | SPORE 194
© CTA
RiceAdvice, une appli pour Android en deux langues, fournit aux agents de vulgarisation et aux petits
producteurs du Mali, Nigeria et Sénégal des conseils contextualisés.

montrent les vidéos à des groupes de vulgarisateurs. “Nous incorporons des qui ont été visionnées par 17 000 inter-
20-25 agriculteurs grâce à des projec- technologies numériques comme les venants de première ligne et ont touché
teurs portables à batterie. Des médiateurs systèmes interactifs de réponse vocale plus de deux millions de ménages ruraux.
organisent les projections, invitent les et les SMS pour envoyer des messages
participants à discuter, répondent aux complémentaires ou de renforcement”, Toucher les agriculteurs par radio
questions, recueillent les commentaires explique Rikin Gandhi. La radio est un moyen facilement
et encouragent la communauté à adop- Depuis 2009, Digital Green a permis accessible et abordable de pratiquer la
ter la pratique présentée. la production de plus de 6 000 vidéos vulgarisation agricole, mais qui vise à
L’analyse de données et commentaires dans 50 langues et dialectes en Éthiopie, diffuser massivement l’information, pas
des participants fournit des informations nécessairement dans les langues mino-
pour la production et la distribution de ritaires. La Fondation Syngenta pour
la prochaine série de vidéos. Cela permet En Éthiopie, plus une agriculture durable (SFSA) a donc
de progressivement mieux répondre aux développé un partenariat novateur avec
besoins des communautés. de 6 000 vidéos en Kilimo Media International (KiMI), au
Les vidéos restent au cœur de l’ap- Kenya. “Diffuser en swahili est insuffi-
proche de vulgarisation de Digital Green, plusieurs langues ont sant”, reconnaît Paul Castle, directeur
mais l’entreprise explore maintenant des des communications pour la SFSA, “c’est
solutions fondées sur des applications été présentées pourquoi la SFSA a décidé d’émettre
mobiles pour relier les agriculteurs aux les conseils agricoles au Kenya dans les
marchés, ainsi que des formations et à 2 millions de foyers langues vernaculaires (borana, kimeru,
systèmes d’assurance qualité aussi basés kikamba, kimaasai et kikuyu).” Paul
sur des applications mobiles pour les ruraux depuis 2009. Castle poursuit : “Il n’est pas nécessaire ›

SPORE 194 | 19
ANALYSE

© FARM RADIO INTERNATIONAL


Avec une approche interactive intégrant la
› de savoir lire et écrire ni d’avoir une qui les écoutent par Internet en Ouganda radio, les portables et les applis, Farm Radio
connexion Internet ou une télévision. et jusqu’au sud de l’Éthiopie”, se félicite International fournit des informations fiables
Grâce aux téléphones portables, la radio Paul Castle. pour améliorer les pratiques agricoles.
est devenue beaucoup plus démocra-
tique. Les auditeurs peuvent envoyer des Passer à la téléphonie mobile
messages de leurs portables et les agents La téléphonie mobile joue aussi un des petits agriculteurs. RiceAdvice est
de vulgarisation agricole avec qui nous rôle crucial. Pourtant, selon une étude de une application bilingue sous Android
travaillons en conviennent : cela leur 2018 du Pew Research Centre, l’Afrique permettant aux ONG, agents de vulga-
permet de toucher un public plus large.” subsaharienne a toujours les taux les risation et petits agriculteurs du Mali,
Pour permettre aux agriculteurs de plus faibles de pénétration des smart- Nigeria et Sénégal d’accéder directement
poser des questions, la SFSA a aussi créé phones par rapport au reste du monde. à des recommandations adaptées à des
des groupes d’auditeurs qui se réunissent La connectivité reste un obstacle pour champs particuliers. En plus de fournir
autour d’un agent de vulgarisation après que les entreprises puissent utiliser des des informations importantes en début
la diffusion d’un programme radio. Des applications mobiles afin de développer de saison, RiceAdvice indique aussi les
réunions de planification sont également les services de vulgarisation agricole. pratiques saisonnières essentielles (appli-
organisées avec des agents de vulga- cation d’engrais et désherbage). Comme
risation et d’autres experts agricoles.
“Ces stations définissent généralement
Les agriculteurs utilisant de nombreux riziculteurs n’ont pas de
smartphone, les agents de vulgarisation
leurs propres calendriers agricoles mais l’appli RiceAdvice agricole (et aussi souvent des cultiva-
doivent aussi réagir avec souplesse en teurs) leur offrent les recommandations
cas de menaces soudaines, comme une obtiennent des gains de RiceAdvice après avoir saisi des infor-
sécheresse. De cette manière, la radio mations détaillées telles que conditions
peut être novatrice et avoir un véritable de rendement de culture du riz, variétés, pratiques types,
impact”, note Paul Castle. dates prévues d’ensemencement, dispo-
Le nombre d’auditeurs appelant lors de 0,6 à 1,8 t/ha. nibilité des engrais, cours des marchés.
des émissions de radio a augmenté de “Il est relativement facile de saisir
0,03 à 29 % et l’audience est passée de En Afrique subsaharienne, le nombre les données car les questions sont for-
59 à 96 % en trois ans. Les petites sta- de ménages cultivant du riz pluvial et mulées de manière à ce qu’il soit facile
tions ont touché un public beaucoup irrigué en plaine est estimé à environ d’y répondre. Une fois les informations
plus large que prévu par la SFSA : “Parce 4,7 millions, mais la productivité rizi- fournies, les agents de vulgarisation
qu’elles diffusent en langues parlées des cole est faible à cause des pratiques peuvent aider les petits riziculteurs à
deux côtés des frontières, il y a des gens sous-optimales de gestion des cultures se fixer des objectifs de rendement en

20 | SPORE 194
fonction de leur budget ou des niveaux Ojay Greene produit et collecte des
de productions désirés/recommandés. fruits et légumes frais auprès de petits Des vidéos participatives
Lorsque les agriculteurs sont habitués agriculteurs pour les vendre à des pour la vulgarisation
à leurs smartphones et savent utiliser supermarchés, restaurants et hôtels des
RiceAdvice, ils ont directement accès à zones urbaines. L’entreprise élimine les Digital Green produit et diffuse
des recommandations adaptées à leurs intermédiaires en fournissant aux petits
des vidéos sur l’agriculture pour
amplifier les services de conseil
champs”, explique le Dr Kazuki Saito, fermiers un marché pour leurs produits,
en Éthiopie.
agronome pour AfricaRice. ainsi que des technologies et stratégies
RiceAdvice se fonde sur les infor- pour améliorer leur production. Ils sont
mations de bases de données issues de répartis en groupes de 10-200 agricul- Le défi :
recherches, reformulées sous une forme teurs par quartier ou communauté, avec
utile et accessible pour les agriculteurs. un agronome référent. Celui-ci organise
Ces données sont recueillies par des des réunions communautaires, com-
interviews en personne et des enquêtes munique par SMS avec les agriculteurs
post-récolte, dont les résultats servent au sujet de leur production, des intrants
à améliorer l’application. De nouvelles et de la lutte contre les maladies. “Il ne 60 000 agents de vulgarisation,
consignes de riziculture sont proposées s’agit pas juste d’enrichir la communauté, 60 millions de producteurs
chaque saison pour que l’information il faut enrichir le continent, changer
fournie reste aussi exacte que possible. le paysage de l’Afrique subsaharienne
Ainsi, bien que l’application puisse être et nourrir le monde”, affirme Yvette La solution :
utilisée hors ligne, l’accès à Internet est Ondachi. D’ici 2020, Ojay Greene espère
indispensable pour recevoir les mises à toucher 20 000  fermes dans tout le
jour régulières. Kenya et envisage de se développer dans
“Les riziculteurs ont reçu des recom- les pays voisins.
mandations traditionnelles générales Des vidéos présentées aux
sur les pratiques de gestion de la fertilité La vulgarisation au niveau national groupes de producteurs à l’aide de
des sols. Toutefois, ces recommandations Au Ghana, où plus de 59 % de la force projecteurs mobiles et à batterie
n’ont pas été régulièrement mises à jour de travail du pays est impliquée d’une
et ont par conséquent été rapidement manière ou d’une autre dans l’agricul-
L’impact :
dépassées”, constate Kazuki Saito. Au ture, ce secteur est prometteur pour la
cours d’un essai effectué au Mali, Nigeria croissance de l’économie. Néanmoins,
et Sénégal en 2015-1017, les agriculteurs l’un des plus gros défis auxquels le pays
ayant utilisé l’application RiceAdvice ont est confronté est l’éducation des petits
obtenu des augmentations moyennes du agriculteurs. Le Ghana a instauré en 6 000 vidéos contextualisées
rendement de 0,6 à 1,8 tonne par hectare. 2011 un système national d’e-agriculture dans 50 langues
“Les études d’AfricaRice ont indiqué mis en place par le ministère de l’Ali- et dialectes
qu’en comparaison avec les pratiques mentation et de l’Agriculture. Cette
des agriculteurs l’adoption des recom- plateforme permet aux agriculteurs,
mandations de RiceAdvice peut faire transformateurs et autres intervenants
croître d’environ 20 % les rendements d’échanger leurs opinions et ressources.
rizicoles, ce qui procure une augmenta- Elle comporte trois éléments. Le premier Plus de 2 millions de foyers
tion de la profitabilité d’environ 200 $ US – e-Farm Information – permet aux agri- ruraux touchés
[180 €] par hectare et par saison”, conclut culteurs d’utiliser gratuitement le centre
Kazuki Saito. RiceAdvice touche environ d’appels d’e-agriculture pour se rensei-
10 000 agriculteurs chaque saison. gner en langue locale sur les meilleures
pratiques agricoles. Ensuite, le e-Learning
Miser sur le renforcement and Resource Centre offre des informations Cette approche est 10 fois
des capacités utiles à tous les acteurs de la chaîne plus rentable que la vulgarisation
L’amélioration de la vulgarisation de valeur agricole. Enfin, les agents traditionnelle
agricole par la formation, en personne de vulgarisation sont équipés d’outils
ou par voie numérique, est l’objectif vers numériques pour recueillir des données
lequel travaille un service de fourniture sur les exploitations et les agriculteurs et
de produits frais, Ojay Greene. Fondée améliorer ainsi les conseils fournis à ces
par Yvette Ondachi, une scientifique derniers.
kényane, cette entreprise s’est fixé pour En Côte d'Ivoire, avec l’appui de la L’adoption de meilleures
mission d’augmenter les revenus des Banque mondiale, l’Agence nationale pratiques agricoles a été
petits agriculteurs grâce à des inter- d’appui au développement rural a créé multipliée par 7.
ventions portant sur la nutrition et des en 2018 un système électronique de
technologies d’adaptation au change- services de vulgarisation agricole pour
SOURCE : DIGITAL GREEN
ment climatique. toucher le plus d’agriculteurs possible, ›

SPORE 194 | 21
ANALYSE

› même dans les zones isolées, afin d’amé- chaîne de valeur agricole, comme le mar- petits agriculteurs exploitent moins de
liorer la productivité des exploitations ché des semences, et que les institutions 2 hectares de terre.
et l’accès aux marchés. La plateforme publiques recueillent des statistiques “Avec l’expansion soutenue et rapide de
d’e-vulgarisation sert de serveur vocal de agricoles et rurales permettant de définir la population africaine, la vulgarisation
réponse interactive et de centre d’appels, des politiques et stratégies plus efficaces numérique est essentielle pour garantir
permettant aux agriculteurs de poser pour le secteur”, précise Pierre Laporte, la sécurité alimentaire”, souligne Marili
des questions techniques et de deman- directeur pays de la Banque mondiale Mouton. Grâce aux services de vulgari-
der conseil sur les pratiques agricoles. pour la Côte d’Ivoire. L’initiative vise sation innovants, les petits agriculteurs
“Ce projet garantira que les agriculteurs à toucher 6,1 millions de petits agri- africains adoptent des méthodes plus
reçoivent en temps opportun des infor- culteurs sur cinq ans. Comme dans de intelligentes et durables et continuent
mations sur les aspects cruciaux de la nombreux pays africains, la majorité des ainsi d’améliorer leurs pratiques. ■

L’intégration numérique pour la vulgarisation par radio


Farm Radio International (FRI) change la manière dont la radio est utilisée grâce à des expériences associant radio, téléphones
portables et Internet. L’objectif est de fournir aux agriculteurs la vulgarisation numérique la plus rentable avec le maximum d’impact.
Uliza (“demander” en swahili) est la plateforme de vulgarisation de FRI qui permet la participation des auditeurs, la mesure de
l’audience et l’assurance de la qualité en intégrant des systèmes interactifs de réponse vocale, par radio et par téléphone portable.
La plateforme en ligne permet aux stations de radio partenaires de faire participer des centaines, voire des milliers, d’auditeurs qui
utilisent leurs téléphones portables avant, pendant et après la diffusion des émissions de radio agricoles. Les auditeurs peuvent voter,
s’inscrire au service d’alertes, demander des informations précises sur les cultures et obtenir des réponses à leurs questions. Le
processus est rapide, facile, participatif et surtout gratuit. Les auditeurs peuvent aussi faire des commentaires sur les programmes et
les changements à apporter pour répondre à leurs besoins.
Les émissions sont proposées aux auditeurs dans leur propre langue, contournant ainsi l’obstacle de l’alphabétisation. Pour
chaque épisode téléchargé chaque semaine sur Uliza, le personnel de FRI et les spécialistes du sujet participant au projet offrent
leurs commentaires à l’équipe de la station afin d’améliorer les épisodes suivants. Le tableau de bord numérique d’Uliza permet aux
diffuseurs de toucher les auditeurs en temps réel.
Jusqu’à présent, plus de 70 des stations de radio partenaires de FRI au Burkina Faso, en Éthiopie, au Ghana, au Kenya, au Mali, au
Nigeria, en Ouganda, au Sénégal et en Tanzanie ont utilisé Uliza pour interagir avec plus de 210 000 auditeurs. “C’est pour cela que
je suis fier d’Uliza”, déclare Kevin Perkins, directeur exécutif de FRI. “Les programmes radio invitent les auditeurs à partager leurs
expériences ou opinions ou poser leurs questions par le biais d’Uliza. Les données recueillies leur reviennent directement – par les
programmes radio qu’ils écoutent”, ajoute Kevin Perkins. “Et ils peuvent être sûrs que les commentaires collectifs qu’ils proposent,
rendus anonymes, atteignent les décideurs, parce qu’ils sont diffusés sur des ondes que tout le monde écoute – y compris les
décideurs.”

Services d'Uliza
Utiliser l'innovation numérique pour rejoindre les auditrices et auditeurs

Basé sur les données de notre rapport annuel 2017-18

22 | SPORE 194
INTERVIEW
Nasir Yammama : la technologie pour améliorer
l’impact de la vulgarisation
Inioluwa Oluwagbemi

Comment analysez-vous le défi d’une envoyons des informations aux agriculteurs,


vulgarisation efficace des connaissances mais ils peuvent aussi nous poser des
agricoles en Afrique ? questions. Pour l’instant, nous fournissons

© VERDANT
La vulgarisation doit répondre à un nos services à 8 000 agriculteurs actifs et il
important déficit de main-d’œuvre et de est fascinant d’observer leurs demandes. Ils
technologie en Afrique. La meilleure approche sont nombreux à avoir bien conscience des
consiste à tirer parti des technologies possibilités offertes par l’utilisation de
disponibles et des nouveaux médias pour données agricoles pour prendre leurs
Nasir Yammama,
assurer une vulgarisation pertinente des décisions et à poser des questions sur les
fondateur et PDG
connaissances. prévisions météorologiques, les modes de de l’entreprise
Avec la généralisation des téléphones financement et les meilleures technologies Verdant
portables au Nigeria, il importe d’exploiter cette disponibles – dans tous les secteurs, des Agri-Tech, au
technologie pour offrir une vulgarisation de semences aux équipements. Nigeria, fournit
base. Imaginons, par exemple, un agriculteur des solutions
qui a acheté des produits agrochimiques et les Comment vous assurez-vous que vos mobiles pour
améliorer la
a épandus : s’il pleut le lendemain, ils seront services répondent aux besoins des
diffusion des
emportés avec la pluie. Un message de agriculteurs et aident aussi les femmes ? connaissances
prévisions météorologiques lui aurait permis L’une des valeurs importantes de notre agricoles auprès
d’économiser beaucoup d’argent et d’efforts. entreprise est sa proximité avec les des producteurs.
Des conseils simples, comme la meilleure agriculteurs. Nous échangeons constamment
manière de réduire l’écartement entre deux avec eux et avons créé des fermes de
rangs d’une culture pour améliorer les démonstration là où ils vivent. La plupart
rendements, peuvent aussi être diffusés par n’adopteront une méthode, comme
un appel téléphonique, un message vocal ou l’utilisation de produits agrochimiques ou de
un SMS. Nous devons donc associer semences améliorées, qu’après avoir vu ses
technologie mobile et présence humaine performances dans une autre ferme. Nous
pour toucher davantage d’agriculteurs. restons aussi en contact permanent avec les
organismes de recherche qui étudient et
Quelles sont les meilleures innovations et les développent les technologies telles que les
approches les plus pertinentes pour relever semences innovantes et les nouvelles
ce défi ? techniques d’élevage. Notre objectif est de
Ce qu’il faut, c’est développer l’utilisation populariser ces nouvelles technologies auprès
des technologies déjà disponibles pour des petits agriculteurs. Verdant contribue ainsi
obtenir des informations ou des données et, à leur faire connaître puis utiliser les
dans l’autre sens, pour diffuser conseils et découvertes majeures et les plus rentables.
connaissances. Les drones et les satellites Nous essayons aussi de prendre en
sont autant de nouveaux vecteurs pour compte les souhaits des agriculteurs, en
l’acquisition de données. La mise en place de termes de cultures et de réalités sociales,
centres d’appels est une bonne manière de afin de leur fournir des services utiles. Nous
diffuser l’information. Nous devons aussi avons lancé un programme spécial sur le riz à
adapter le modèle économique pour que les Kano, où nous avons rencontré un groupe
agriculteurs aient les moyens de payer ces d’une douzaine de femmes qui exploitent
services de vulgarisation. plus de 35 hectares de rizières en dépit de
leurs difficultés d’accès aux intrants, aux
Quel est l’impact de votre entreprise, marchés et du manque d’infrastructures de
Verdant, sur la fourniture de services base. Nous travaillons avec ces femmes
d’information aux agriculteurs nigérians ? grâce aux technologies mobiles pour les aider
Nous avons mis en place un système de dans leurs activités de production et en
communication bidirectionnel : nous diffusant leurs témoignages.

SPORE 194 | 23
REPORTAGE

MALAWI

Accéder à la vulgarisation
agricole par la vidéo
Une ONG du Malawi utilise les technologies modernes et confie la diffusion
de connaissances en agriculture à des jeunes entrepreneurs grâce à des vidéos.

Charles Mkoka

S
elon le “Rapport sur la numérisation de
l’agriculture africaine” du CTA, l’agriculture
pourrait devenir un véritable moteur sur le
continent africain, pour nourrir la population crois-
sante mais aussi pour créer des emplois décents pour
des millions de jeunes, à condition de bénéficier de
politiques, d’innovations et d’investissements adé-
quats. Les auteurs d’un autre rapport récent, Byte
by Byte: Policy Innovation for Transforming Africa’s Food
System with Digital Technologies (en anglais unique-
ment) du Panel Malabo Montpellier, indiquent que la
numérisation peut améliorer le système de diffusion
des connaissances en agriculture en proposant des
services au moment opportun, en permettant d’at-
teindre un nombre suffisant de producteurs et en
facilitant l’adoption de nouvelles pratiques agrono-
miques, ce qui se traduira par une augmentation des
rendements et des revenus des ménages agricoles.
Au Malawi, afin de profiter des avancées techno-
logiques pour améliorer les méthodes de diffusion
des connaissances, l’ONG internationale Access
Agriculture travaille avec de jeunes DJ dans les vil-
lages et les principaux centres économiques. Les
DJ touchent les agriculteurs en leur envoyant des
messages de vulgarisation via des dispositifs élec-
troniques tels que les téléphones portables.

Développer l’agriculture grâce aux DVD


et téléphones portables
En 2015, Access Agriculture a fourni trois DVD
contenant une compilation de vidéos agricoles à 95 DJ
de la région Sud du Malawi, avec des conseils sur
la culture du riz, la lutte contre le striga et la culture
© STEVEN JANSSEN

du piment. À l’exception d’une seule, ces 30 vidéos


de formation d’agriculteurs à agriculteurs ont été
réalisées dans d’autres régions d’Afrique et d’Asie,

24 | SPORE 194
© PAUL VAN MELE
puis traduites dans les langues locales malawiennes.
“Access Agriculture promeut l’utilisation de vidéos en
langues locales pour assurer une diffusion large des
connaissances. Dans le cas du Malawi, les vidéos sont
partagées dans quatre langues : sena, yao, chichewa
et tumbuka”, précise Ronald Kondwani Udedi, agent
national de coordination pour Access Agriculture au
Malawi.
Selon Jeffery Bentley, qui a mené des recherches sur
la diffusion et l’impact des vidéos, les DJ réalisent des
copies des DVD proposés par Access Agriculture. Puis,
ils partagent les vidéos sur des cartes mémoire, clés USB
Access Agriculture ou appareils mobiles pour un coût variant entre 0,05 et Après avoir visionné une vidéo sur la culture du piment, des
produit et diffuse des 0,20 € par vidéo. Pratiquement tous les DJ ont diffusé au petits agriculteurs se sont lancés pour la première fois dans
vidéos sur l’agriculture moins quelques DVD et ont pu tirer des revenus de cette cette production.
dans le sud du Malawi. activité. De plus, les vidéos ont permis
de susciter le respect des communau- des vidéos de vulgarisation obtenues auprès de
tés pour les jeunes entrepreneurs. l’un des DJ du centre commercial de Migowi, dans
Ronald Kondwani Udedi ajoute le district de Phalombe. “En visionnant la vidéo
qu’Access Agriculture s’efforce main- partagée par le DJ, j’ai acquis des connaissances sur
tenant de collaborer avec d’autres la culture du riz dans ma région, ce qui m’a permis
organisations, comme l’Initiative de récolter 140 sacs de riz de 62 kg chacun”, s’en-
de renforcement de la vulgarisation thousiasme-t-elle. “Malgré la mauvaise récolte de la
agricole et nutritionnelle (SANE) de culture de base qu’est le maïs, le riz va nous aider,
Feed the Future. “Les partenaires de moi et ma famille. Je vais en vendre une partie pour
la SANE veulent intégrer les DJ dans acheter des produits de première nécessité pour la
les systèmes de vulgarisation agricole maison et mes enfants. J’utiliserai l’argent de la vente
des districts, les comités agricoles du riz pour acheter de nouveaux poulets.”
villageois, les panels d’intervenants Phemia Mpombwe ajoute que, suite à son abon-
locaux, les panels d’acteurs des dis- dante récolte de riz, elle est devenue une fermière
tricts et les comités de coordination modèle dans la région et les producteurs affluent
de la vulgarisation agricole des dis- dans son champ pour profiter de son savoir-faire et
tricts. Les intervenants du secteur comprendre comment elle a si bien réussi.
agricole réalisent maintenant que les Par ailleurs, l’un des DJ a gagné un projecteur
DJ jouent un rôle crucial pour toucher Smart grâce au concours 2019 d’Access Agriculture, le
les agriculteurs difficiles à atteindre Young Entrepreneurs Challenge Fund. Osman Majid,
en raison de l’état des routes et dans qui travaille à Nanthenje près de Lilongwe, a diffusé
les zones accidentées”, explique-t-il. une vidéo sur les droits des agriculteurs concernant
Parmi ces DJ, Silaji Fanuel gère les semences. Filmée dans le district de Rumphi
un magasin de téléphonie mobile dans la région Nord, cette vidéo montre comment
et d’accessoires numériques dans le des agriculteurs conservent les semences indigènes
centre commercial de Mangochi Turn en utilisant les savoirs traditionnels. “Le projecteur
Off, dans le district de Balaka. Il fait sera utilisé pour montrer des vidéos aux agriculteurs
visionner à ses clients, essentielle- et aux habitants de Nanthenje et des zones proches.
ment des agriculteurs, les vidéos sur Nous présenterons les vidéos aux fermiers, y compris
leurs téléphones. “Je fais ça depuis les jeunes, pour les informer de l’importance de l’agri-
3 ou 4 ans”, indique-t-il. Grâce au culture”, a-t-il déclaré lorsqu’il a gagné le concours.
partage de ces vidéos, certains agri- En juillet 2019, six ans après sa création, la plate-
culteurs se sont mis à cultiver des forme de vidéos d’Access Agriculture (www.
piments et d’autres ont réussi à sup- accessagriculture.org) a attiré 270 000 personnes, ori-
primer le striga, ce qu’ils n’étaient ginaires essentiellement d’Afrique et d’Asie, dont des
jamais parvenus à faire auparavant. milliers de membres d’organismes de développement
et d’instituts d’enseignement. Selon l’étude Quality far-
Fermiers modèles et conseillers mer training videos to support South-South learning, réalisée
Phemia Mpombwe, enseignante à en 2018 dans 54 pays, il y a plus de 1 000 visiteurs du site
la retraite, est l’une des agricultrices qui apprécient sa fonction de recherche facile comme
qui ont réussi après avoir bénéficié la qualité et la pertinence des vidéos proposées. ■

SPORE 194 | 25
REPORTAGE

CARAÏBES

Avec les innovations digitales,


Trinité-et-Tobago joue collectif
Après une formation en gestion des technologies, des acteurs du secteur
agroalimentaire des Caraïbes mettent en œuvre des approches collaboratives
pour fournir conseils agricoles et soutien à leurs communautés.
Keron Bascombe
© KERON BASCOMBE

26 | SPORE 194
P
our faciliter le transfert des connaissances “Les producteurs du projet Micro Lot reçoivent au
entre les communautés agricoles des moins 5 USD/kg [4,44 €] pour les fèves séchées. À
Caraïbes, 20 acteurs de la chaîne de valeur l’époque [en 2016], le marché local ne payait pas plus
agroalimentaire, ont participé en avril 2019, à Trinité- de 3 USD/kg [2,66 €], sans aucune traçabilité et avec
et-Tobago, à un atelier de deux jours de renforcement un contrôle de la qualité très limité [ce qui donnait
de leurs connaissances sur les technologies intitulé des fèves de qualité inférieure]. Le marché interna-
“Introduction pour une gestion responsable de la tional paye régulièrement 3-4 USD/kg [2,6-3,5 €]
technologie dans les communautés agricoles dans pour des fèves séchées d’une telle qualité élevée et
les Caraïbes”. Représentants d’associations d’agri- sur des quantités comparables”, précise Sara Bharath.
culteurs, techniciens et conseillers agricoles ont été Malgré son expertise, l’agronome admet mal
initiés aux concepts de la gestion des technologies connaître les technologies, bien qu’elle soit
(voir encadré). consciente des avantages et des capacités des outils
“La gestion des technologies diffère du soutien TIC. “Il m’a été très utile de comprendre [grâce à
informatique”, explique Gordon Gow, professeur la formation TIC] comment utiliser ces outils de
de communication à l’Université d’Alberta, l’un manière plus systématique, surtout dans le cadre du
Dans les Caraïbes, les des animateurs du cours. “Les gestionnaires de milieu agricole aux ressources généralement limi-
techniciens agricoles technologie doivent savoir comment inciter les tées.” Depuis, Sara Bharath utilise WhatsApp pour
adoptent les TIC pour membres de leurs communautés à identifier les diffuser des informations et résoudre les problèmes
vulgariser des pratiques opportunités et les difficultés. Ils doivent pou- des équipes qu’elle a formées dans toute la région.
agricoles innovantes dans voir acheter et configurer les Son équipe peut lui envoyer des
plateformes numériques TIC photos et des données en temps
leurs communautés.
adéquates pour soutenir les
“Nos familles de réel, ce qui lui permet d’étudier
pratiques novatrices. Ils doivent
aussi être capables d’évaluer
producteurs de la situation et de renvoyer ses
commentaires et ses décisions par
les résultats de leurs efforts et
cacao utilisent ces message vocal ou en appelant.
d’en faire un rapport pour leurs Matthew Escalante, admi-
communautés et les organismes outils numériques nistrateur de programme pour
financeurs.” la Société de développement
et apprécient qu’ils du cacao de Trinité-et-Tobago
Optimisation de la production (CDCTT), tire aussi le meilleur
de cacao comportent des parti des médias sociaux pour
L’une des participants, Sara former les producteurs locaux de
Bharath, est agronome et experte images auxquelles cacao. “La formation m’a permis
en cacao. En 2011, elle a com- de comprendre quelles sont les
mencé à travailler bénévolement elles répondent.” TIC les plus pertinentes pour les
avec des producteurs de cacao de communautés travaillant avec la
Trinité. “Malheureusement, l’offre de formations CDCTT. Nous avons commencé à mettre en œuvre
pratiques cohérentes dans la durée était limitée, ces enseignements dans la petite communauté
alors que c’est ce dont beaucoup d’agriculteurs de Lopinot en utilisant WhatsApp, Facebook et
ont besoin pour acquérir de nouvelles habitudes et Instagram”, explique-t-il. “Nos familles de produc-
changer la qualité et les quantités de leurs produc- teurs de cacao utilisent ces outils numériques et
tions”, explique-t-elle. apprécient qu’ils comportent des images.”
En 2016, Sara Bharath a commencé à collaborer,
aux États-Unis, avec le Trinidad Micro Lot Project, Se concentrer sur le local
qui travaille avec de petits agriculteurs de Trinité “Le fait que ces technologies soient peu coû-
pour améliorer leurs compétences en production teuses constitue l’aspect le plus utile de la formation
de cacao. L’accent est mis sur la gestion des champs TIC”, affirme Christopher Alexander, directeur
de cacao, la date de la récolte et la manutention du contrôle de la qualité au service des marchés
des cabosses ainsi que sur les conditions optimales d’agriculteurs et au service de l’assurance qua-
de fermentation des fèves, une étape précédant la lité de la Société nationale de développement et
transformation du cacao en chocolat. L’initiative, qui de commercialisation agricoles (NAMDEVCO) de
a démarré avec 40 agriculteurs, vise à améliorer la Trinité-et-Tobago. “Nos techniciens de terrain ont
qualité et, ce faisant, à obtenir pour les producteurs pu créer un groupe WhatsApp pour aider les pro-
des prix supérieurs aux cours du marché mondial. ducteurs du piment rouge Moruga (Scorpion) de la
Le projet achète les fèves aux petits producteurs et coopérative agricole de Moruga”, poursuit-il. Un
les transporte aux États-Unis pour les vendre à des bureau sur place permet au marché d’agriculteurs
artisans chocolatiers. d’assurer des services de contrôle de la qualité pour ›

SPORE 194 | 27
› les petits agriculteurs, coopératives et intervenants d’activités que le rôle d’un gestionnaire des technologies est complé-
économiques complémentaires tels que artisans, entreprises mentaire de mes activités auprès des agriculteurs. En tant que
familiales et petites unités agroalimentaires. technicien de terrain, je suis responsable principalement de
l’identification des besoins des agriculteurs et je sers d’inter-
“Beaucoup de producteurs possèdent médiaire pour répondre à ces besoins dans leur utilisation
des TIC. L’agronomie, la production agricole, l’information sur
des appareils connectés, mais ne savent les marchés, les sources de financement sont quelques-uns
des nombreux services agricoles accessibles grâce aux TIC”,
pas s’en servir.” précise-t-il.
Dans l’est du pays, Jeet Ramjattan fournit des services aux
Responsable du contrôle du programme de certification des agriculteurs via le groupe WhatsApp Orange Grove. Les fer-
exploitations, Christopher Alexander affecte des techniciens miers l’utilisent pour des questions et des réponses liées, par
de terrain à l’encadrement des petits agriculteurs d’une zone exemple, aux prix de marché des denrées qu’ils produisent,
particulière. Ils effectuent des visites sur les exploitations, au dont l’aubergine, le melon amer (caraille), le concombre et le
cours desquelles ils enregistrent des informations sur les pro- citron. Grâce à WhatsApp, Jeet Ramjattan a aussi pu leur faire
duits comme la date de plantation des cultures, la date et le découvrir le NAMIS et leur montrer comment accéder, au jour
volume attendus des récoltes, ainsi que des détails sur l’état des le jour, aux données sur les prix et les volumes grâce à cette
champs. Ces données sont enregistrées sur la base de données plateforme.
du Système national d’information sur les marchés agricoles “Un autre producteur du groupe cherchait des renseigne-
(NAMIS), qui contient aussi les données du marché, de 2001 ments sur les variétés de semences de potiron, les quantités
à nos jours, pour plus de 40 produits régulièrement négociés disponibles et les prix. Je lui ai donc montré comment écrire un
sur les marchés nationaux d’agriculteurs. Les producteurs ins- e-mail demandant ces informations à un fournisseur étranger
crits au NAMIS accèdent à la base de données grâce au site web et j’ai ensuite suivi de manière régulière ses efforts pour obte-
lorsqu’ils souhaitent vérifier les prix des denrées locales, et les nir une licence d’importation”, explique Jeet Ramjattan.
acheteurs peuvent aussi la consulter pour acheter des produits. Bien que certains agriculteurs soient impatients d’adopter
les nouvelles technologies pour améliorer leur accès aux infor-
Une communication interactive mations et aux marchés, Jeet Ramjattan admet que “tout le
Jeet Ramjattan est technicien de terrain pour la Division des monde n’en est pas là et que de nombreux agriculteurs misent
services de vulgarisation, de formation et d’information du encore sur les contacts directs. Beaucoup possèdent des appa-
ministère de l’Agriculture de Trinité-et-Tobago. “Je considère reils connectés mais ne savent pas s’en servir.” ■

Une vulgarisation réussie grâce aux TIC


Depuis 2017, l’Université d’Alberta, au Canada, mène une présenter ces outils sur une plateforme telle que Facebook,
recherche-action participative pour développer et tester des WhatsApp ou Google”, explique le Dr Gordon Gow, chargé de
ressources éducatives en accès libre sur la gestion des technologies. cours à l’Université d’Alberta. Les participants se sont montrés
Cette recherche cible les professionnels de l’agriculture et particulièrement désireux de créer des pages Facebook et des
les techniciens agricoles des pays en développement aux groupes WhatsApp Messenger pour travailler, par exemple, sur le
ressources limitées afin d’améliorer les capacités de transfert des diagnostic des maladies des végétaux.
connaissances grâce aux méthodes d’apprentissage social. La séance de clôture a permis aux participants de créer des
En mars 2018, un cours de gestion des technologies de deux plans d’action individuels définissant l’activité qu’ils désirent réaliser
jours a été testé à l’Université des Indes occidentales de Trinité- et mener à bien après la formation. Cela peut être une activité
et-Tobago avec 20 techniciens de l’agriculture et des pêches d’engagement communautaire visant à identifier les opportunités
venant de toutes les Caraïbes. Les concepts de la gestion des des TIC, un rapide exercice de prototypage d’une TIC sélectionnée
technologies et de la communauté de pratiques (CDP) – un ou la conception d’une campagne pour mettre en œuvre une TIC.
groupe partageant des préoccupations/intérêts communs – ont “Je sais maintenant comment organiser une initiative,
été présentés aux participants. Ceux-ci ont appris comment définir des objectifs, choisir un outil TIC spécifique et créer une
identifier les besoins des communautés, choisir les TIC campagne afin de vérifier, par la technique des essais et des
pertinentes pour répondre à ces besoins, effectuer des tests erreurs, si elle sera efficace pour aider les agriculteurs – ou non”,
pilotes avec leur CDP et évaluer les résultats. explique Michael Flowers, l’un des participants à la formation,
“Nous proposons une série d’étapes qu’ils peuvent suivre venu du ministère de l’Agriculture des Bahamas.
pour identifier les besoins d’une CDP… et les outils TIC
susceptibles d’y répondre – puis nous cherchons le moyen de Sophie Reeve

28 | SPORE 194
Agribusiness

DÉBOUCHÉS SYSTÈMES
COMMERCIAUX AGROALIMENTAIRES
Le coton transforme l’artisanat En Zambie, la production d’arachide
du textile au Mali dope les revenus des agriculteurs

En Tanzanie, le bon filon des snacks Tomates au Nigeria :


à base de patate douce un concentré de bonnes pratiques

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FINANCE & COMMERCE & LEADERS EN


ASSURANCE MARKETING AGRIBUSINESS
Rendre l'assurance Les femmes profiteront- “La clé du succès,
indicielle rentable elles de la Zone de libre- c’est la qualité !”
échange africaine ?

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DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX

FORMATION

Le coton transforme l’artisanat


du textile au Mali
Au Mali, premier producteur de coton du continent, de nouveaux équipements et la formation
des artisans à la comptabilité ont permis de créer de nouvelles opportunités commerciales.

Soumaïla Diarra

E
n Afrique de l’Ouest, la chaîne de Parmi eux figure Aïssata Camara, 57 ans, en 2017, Machallah Boutique, un site de
valeur du coton offre aux petits à la tête d’une entreprise de teinture vente en ligne. “Je peux vendre chaque
artisans de nouveaux débouchés employant six artisans. Le PAFICOT lui a jour pour 50 000 FCFA [90 €] de vête-
commerciaux. Entre 2008 et 2013, le permis de suivre une formation sur l’en- ments à des clients qui viennent de
Projet d’appui à la filière coton-textile trepreneuriat et de recevoir du matériel, France, du Sénégal et plus récemment
(PAFICOT), soutenu par le Fonds afri- dont des gants et des masques de pro- des États-Unis. Ils apprécient les pro-
cain de développement (FAD) au Bénin, tection. Elle vend le mètre de tissu teint duits comme les robes, les chemises, les
au Burkina Faso, au Mali et au Tchad, à 2 000 FCFA (environ 3 €), ce qui lui nappes et les coussins”, explique Assan
visait à diversifier le circuit commercial permet de réaliser un bénéfice moyen Gopé.
du coton en fournissant aux artisans de 400 000 FCFA (615 €) par mois grâce

721 tonnes
des équipements de filature (cardes à à la teinture et la fabrication d’articles à
main, rouets, quenouilles) et de tissage base du coton local. “La vente des tissus
(différents types de métiers à tisser de en coton marche vraiment maintenant”,
de coton ont été produites
grands diamètres), ainsi que de teinture constate-t-elle. “Depuis près de 8 ans,
par le Mali en 2018.
(bassines, balances, matériels de protec- la transformation du coton connaît un
tion). Les artisans ont aussi bénéficié de boom et nous sommes à présent des

2 000
formations sur la création et la gestion professionnels réunis au sein du Réseau
d’entreprise. malien pour la transformation du coton
Au Mali, grâce au PAFICOT, 2 000 arti- bio”, le REMATRAC Bio.
artisans ont bénéficié d’un
sans (dont 1 413 femmes) ont pu Ce réseau a ouvert une boutique à
renforcement de capacité.
renforcer leurs capacités de transforma- Bamako pour mettre à la disposition des
tion, estime le ministère de l’Agriculture. artisans des produits bio dont la chaîne
de valeur a besoin : colo- Malgré ces progrès, près de 90 %
© ABDOULAYE MAHAMADOU

rants naturels, fils pour le du coton ouest-africain est exporté


tissage, et bien d’autres vers l’Asie, dont 60 % vers la Chine,
intrants. “Nous travaillons et seulement 2 % de la production est
aussi avec des paysans qui transformée dans le pays producteur.
cultivent du coton bio, le Le marché domestique reste en effet
réseau leur offre ainsi un engorgé par des produits importés bon
débouché commercial”, marché. “Aucun pays de la sous-région
précise Aïssata Camara. ne dépasse 5 % de transformation”,
Les artisans étant mieux regrette Abdel Rahamane Sy, président
formés et équipés grâce de l’Association des jeunes pour la pro-
au PAFICOT, Assan Gopé, motion du coton. C’est pourquoi, au
une jeune entrepreneuse Mali, le PAFICOT a été suivi de l’Agenda
de 30 ans, a décidé de coton-textile, une initiative de l’Union
saisir sa chance en créant, économique et monétaire ouest-afri-
caine (UEMOA), financé par plusieurs
Aïssata Camara fait partie des organisations dont le Fonds africain de
2 000 artisans qui ont reçu des développement, et qui vise à transfor-
aides matérielles et en formation mer 25 % du coton sur place pour la
pour son entreprise de teinture. période 2011-2020. ■

30 | SPORE 194
TRANSFORMATION

En Tanzanie, le bon filon des snacks


à base de patate douce
Une entreprise de transformation agricole produit des aliments nutritifs à base de patate
douce et offre ainsi un marché direct aux agriculteurs – principalement des jeunes
et des femmes – de la région.

© BMC
James Karuga

À
Tengeru, dans le nord de la
Tanzanie, 12 groupes d’agri-
culteurs collaborent avec une
entreprise de transformation de la
patate douce en vue d’augmenter leurs
revenus et d’améliorer la quantité
de produits nutritifs pour les enfants
et les adultes. Better Markets for
Crops Products Limited (BMC) dis-
tribue aux petits producteurs jusqu’à
120 000 plants de patate douce à
chair orange (PDCO) et, une fois les
tubercules formés, l’entreprise les
leur rachète entre 200 et 300 shillings
tanzaniens par kilo (0,07-0,12 €). Les
tubercules sont ensuite transformés
en farine, en boulettes de purée (pour
nouilles ou pâtes à base de patate
douce), en mélange d’épices “mchuzi L'entreprise de Zena Mshana fournit des en-cas
mix” et en chips de patate douce. Depuis 2018, Irene Robert Lukumai de qualité à la population locale et de meilleurs
Fondée en 2016 par Zena Mshana, BMC fournit ainsi entre 100 et 700 kilos de revenus pour les femmes et les jeunes.
travaille surtout avec des femmes et des tubercules à l’entreprise chaque mois, en
jeunes. “J’avais l’ambition d’améliorer la fonction de son niveau de production. Le actuellement 14 personnes à temps plein
nutrition en promouvant la consomma- fait de disposer d’un marché direct pour (des femmes et des jeunes), chargées
tion de produits biofortifiés en Tanzanie, ses PDCO lui a permis d’augmenter ses de la transformation, du conditionne-
où l’on observe de nombreux cas de revenus de 50 %. “Ils m’ont aussi appris à ment et de la distribution des produits,
retard de croissance parmi la population, m’occuper des plants de patate douce et à et 5 à 10 personnes à temps partiel, res-
en raison des carences en vitamine A”, augmenter mes capacités de récolte.” ponsables de la commercialisation des
explique l’entrepreneuse, qui a suivi la BMC a acheté 20 tonnes de patates marchandises.
formation du Centre international de la douces à son réseau d’agriculteurs en D’ici 2021, Zena Mshana veut vendre
pomme de terre sur la sécurité et la qua- 2016, puis 70 tonnes en 2018. Entre ses produits à base de PDCO dans cinq
lité alimentaires dans la transformation janvier et avril 2019, ils ont en acheté nouvelles régions de Tanzanie et appro-
à petite échelle en 2017. 45 tonnes et, chaque mois, ils trans- visionner 100 écoles et 10 hôpitaux.
En plus d’augmenter leurs revenus, forment en moyenne 8 à 10 tonnes L’entreprise voudrait aussi se lancer sur
les petits exploitants qui travaillent de tubercules. La vente des produits les marchés kényan, rwandais et ougan-
avec BMC apprennent de bonnes pra- transformés rapporte 10 à 17 millions dais d’ici 2025. “Quand on constate que
tiques post-récolte – comme le stockage de shillings tanzaniens (3 830-6 525 €) la santé des personnes qui consomment
des tubercules dans des boîtes en bois par mois à l’entreprise. Environ 50 % nos produits à base de PDCO s’améliore,
jusqu’à 3 mois pour éviter qu’ils ne se des produits de BMC sont vendus aux cela nous encourage à poursuivre nos
gâtent – et des recettes pour adultes et supermarchés, 30 % aux écoles et 20 % efforts”, se réjouit l’entrepreneuse. “La
bébés à base de PDCO. aux hôpitaux. L’entreprise emploie patience et le travail payent.” ■

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SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES

SEMENCES AMÉLIORÉES

En Zambie, la production d’arachide


dope les revenus des agriculteurs
En Zambie, un meilleur accès aux semences d’arachide améliorées et aux formations
à la gestion des cultures stimule la productivité des petits exploitants et renforce leur accès
au marché.

© DOREEN CHILUMBU
Doreen Chilumbu

D
ans les districts zambiens de
Chipata, Katete, Minda, Nyimba
et Petauke, des petits exploi-
tants renoncent à la culture du coton,
dont les prix sont à la baisse, au pro-
fit de nouvelles semences d’arachide
améliorées. Ces variétés résistantes à la
sécheresse et à haut rendement contri-
buent à améliorer la sécurité alimentaire
et nutritionnelle dans le pays, ainsi
qu’à augmenter les rendements et le
niveau de vie des petits agriculteurs. Les
semences améliorées sont le fruit d’un Grâce à des semences améliorées d’arachide et des pratiques culturales de conservation,
projet de recherche et développement, des petits producteurs de Zambie augmentent leur productivité et leurs revenus.
Strengthening Food Legume Seed Delivery

68 hectares
Systems in Malawi, Mozambique and Zambia agriculteur en chef dans le village de
(Renforcer les systèmes de fourniture de Felesiano, à Petauke. Avant le lancement
semences de légumineuses au Malawi, du programme, la plupart des agriculteurs
au Mozambique et en Zambie), financé avaient du mal à vendre leurs récoltes de de semences d’arachide semées
par le Programme de productivité agri- coton à des prix lucratifs sur le marché. en Zambie
cole pour l’Afrique australe (APPSA). “D’autres agriculteurs de mon groupe

40
Lancé en 2014, le projet a jusqu’à présent sont désormais en mesure de nourrir leur
bénéficié à 1,4 million d’agriculteurs famille et d’acheter du matériel scolaire
dans les trois pays. pour leurs enfants”, poursuit-il.
variétés de semences ont été
L’initiative fait proditer de marchés Emelia Chikubabe, elle aussi à
développées et mises à disposition
garantis aux agriculteurs auprès d’en- Petauke, a été formée à l’entrepre-
treprises semencières. Ainsi, dans le neuriat, à la gestion des cultures et à
district de Petauke, en Zambie, le par- l’agriculture de conservation. “Autrefois, Dans les trois pays, plus de 40 varié-
tenariat entre agriculteurs et la Unit je plantais chaque année la même chose, tés de semences ont été développées
Seed Company depuis 2014 a fourni au lieu d’effectuer une rotation ou de et commercialisées pour d’autres
suffisamment de semences d’arachide planter des espèces différentes pour cultures, comme les légumineuses, le
de base pour planter 68 hectares. Avant produire plus, préserver la santé du sol maïs, le riz et le sorgho. “Certaines des
la fin de la récolte 2015, l’entreprise avait et diversifier le régime alimentaire de variétés améliorées ont été conçues en
déjà garanti aux petits exploitants l’achat ma famille”, raconte-t-elle. “Même si les mettant l’accent sur l’amélioration du
des semences à un prix de 6,47 kwachas semences indigènes sont importantes rendement et de la qualité, la préco-
zambiens (0,45 €) par kilo. pour protéger la diversité génétique, les cité, l’adaptation aux stress abiotique
“La production de semences d’arachide semences améliorées aident les agricul- et biotique, mais aussi la résistance aux
certifiées a amélioré mes revenus et m’a teurs à s’adapter aux modifications des maladies et aux nuisibles principaux
permis d’acheter du bétail, une charrue et conditions climatiques, à lutter contre de l’espèce cultivée”, conclut Monica
22 sacs d’engrais, ainsi que de construire les maladies des végétaux et à obtenir de Murata, coordinatrice de programme
une maison”, explique Lenard Daka, meilleurs rendements.” APPSA. ■

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PRODUCTION

Tomates au Nigeria :
un concentré de bonnes pratiques
Des cultivateurs au Nigeria apprennent à produire des tomates de bonne qualité
afin de bénéficier de meilleurs débouchés commerciaux.

Oluyinka Alawode et Sophie Reeve

G
râce à des conseils sur les pra- transformation. Faute d’acheteurs en vrac cinq fois plus que s’ils vendaient sur les
tiques agricoles, à l’accès à réguliers pour les producteurs, jusqu’à marchés locaux.
des semences et à des engrais 1,35 million de tonnes de tomates fraîches L’entreprise a vu le jour à Panda, dans
de qualité, ainsi qu’à la formation aux sont perdues chaque année. l’État de Nasarawa, et exploite désormais
bonnes pratiques, des cultivateurs de Pour remédier à ce problème, Tomato 500 hectares à Kaduna, au nord-est du
tomates nigérians augmentent leurs Jos, fondée en 2014 par Mira Metha et pays. Faisant face, sur son site, aux mêmes
rendements et réduisent leurs pertes Shane Kiernan, achète des tomates au difficultés que les autres exploitants –
post-récolte. Durant la saison, l’abon- moment de la récolte pour les trans- maladies, conditions météorologiques
dance de tomates sature les marchés et former. L’entreprise enseigne à une extrêmes et sécheresses – Tomato Jos
les agriculteurs n’ont d’autre choix que centaine d’agriculteurs de la ceinture comprend bien les problèmes rencontrés
de laisser pourrir leurs invendus. Mais centrale du Nigeria de bonnes pratiques par les agriculteurs locaux et leur pro-
Tomato Jos, une entreprise sociale à agricoles, comme la préparation du sol pose des solutions pratiques. Grâce aux
but lucratif, forme les petits exploitants avant le semis et l’installation de sys- adaptations qu’elle a réalisées face à ces
aux bonnes pratiques pour produire des tèmes d’irrigation goutte-à-goutte. Les défis, l’entreprise produit 40 à 50 tonnes
tomates de qualité, utilisées dans leur cultivateurs formés qui vendent leur de tomates par hectare, soit 10 fois la
concentré de tomates. production à Tomato Jos gagnent environ moyenne nationale. “Aujourd’hui, ils
Bien que le Nigeria produise 65 % de [les agriculteurs] produisent peut-être
toutes les tomates cultivées en Afrique de En se formant aux bonnes pratiques agricoles, 7 tonnes par hectare. Nous pensons qu’ils
l’Ouest, il reste le principal importateur de les producteurs de tomates au Nigeria peuvent aller jusque 30 tonnes par hec-
concentré de tomates. Les tomates étant améliorent leurs rendements et réduisent leurs tare s’ils suivent nos recommandations”,
de piètre qualité, il existe peu d’ateliers de pertes après récolte. affirme Mira Metha.
Tomato Jos emploie plus de 20 per-
sonnes à temps plein, toutes passionnées
par ce modèle qui contribue à augmenter
la productivité des petits exploitants du
Nigeria. Des jeunes issus des communau-
tés travaillent aussi pour l’entreprise et
aident à irriguer les champs et à épandre
l’engrais. Mira Metha a annoncé, en avril
2019, que la production de concentré de
tomates avait commencé et que la marque
serait officiellement lancée en 2020.
Pour l’heure, son concentré est vendu
sur le marché local, en seaux de 25 kg à
7 500 nairas (18,5 €) et en fûts de 250 kg
destinés aux acheteurs internationaux.
L’entreprise prévoit d’élargir son
réseau d’agriculteurs afin de fournir 10 %
de la demande nigériane en concentré
de tomates, estimée par les autorités
nationales à 200 000 tonnes par an. ■
© FAO

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FINANCE & ASSURANCE

RÉDUCTION DES COÛTS ET MISE À L’ÉCHELLE

Rendre l'assurance
indicielle rentable
Les sociétés de technologie, les courtiers et les assureurs
s'emploient à faire de l’assurance indicielle un produit rentable
et durable, sans subvention mais avec des coûts réduits,
en partageant les données et en améliorant l’efficacité.

Helen Castell

L
'assurance fondée sur un indice de sa diffusion dans de nouvelles régions mobile basique. Ils sont ensuite rappelés
climatique, également appelée ou sur de nouveaux marchés s’en gratuitement par OKO qui leur fait une
assurance indicielle ou assurance trouvent souvent annulés du fait même offre en fonction du type de culture, de
“paramétrique”, apparaît de plus en plus des coûts de cette mise à l’échelle, la superficie de leur champ et de son
comme la solution la moins onéreuse indique Rahab Kariuki, directrice de emplacement. Ils peuvent finaliser leur
pour protéger les moyens de subsistance l'innovation chez ACRE Africa. souscription. Les agriculteurs sont cou-
des petits exploitants agricoles contre Les sociétés de technologie, les cour- verts dès l’instant où ils paient la prime
les risques météorologiques et clima- tiers et les assureurs tentent de résoudre – 3 à 6 % de la valeur assurée des terres
tiques. Les données météorologiques sont cette équation en améliorant l'efficacité, d’une superficie de 0,5 à 2 hectares –, ce
aujourd’hui plus précises et plus fiables en supprimant divers coûts, tels que les qu’ils peuvent faire par argent mobile.
et, comme le versement d’indemnités est coûts de distribution, et en partageant Pour Simon Schwall, le produit d'as-
déclenché par des événements facilement les données et l'expertise. Au Mali, la surance récolte – non subventionné
mesurables – par exemple, des niveaux start-up OKO, basée à Tel-Aviv, s'efforce – pourrait réduire considérablement les
de précipitations supérieurs ou inférieurs de réduire les coûts en commerciali- coûts de prospection. Le seuil de renta-
aux niveaux stipulés dans le contrat –, ce sant son assurance récolte directement bilité devrait être atteint lorsque 30 000 à
type d’assurance permet de supprimer les auprès des agriculteurs, via la téléphonie 50 000 agriculteurs y auront souscrit.
coûts de l’envoi d’agents de terrain chargés mobile. Elle a donc conclu un partena- Dans ce cas, les frais de reconduction de
d’évaluer et de vérifier les pertes de récolte. riat avec Orange, le géant français des l’assurance pourraient être très faibles,
Des initiatives telles que le Mécanisme télécommunications, et avec l’assureur de l’ordre de 1 à 1,50 € par exploitant.
mondial pour l’assurance indicielle Allianz/Sunu. Selon Simon Schwall,
(Global Index Insurance Facility, GIIF) fondateur d'OKO, l'envoi d'agents sur L'automatisation pour réduire
de la Banque mondiale, qui facilite le terrain pour expliquer le produit et les coûts
l'accès des petits exploitants et des le commercialiser reste une dépense Basée à Londres, Skyline Partners a
micro-entrepreneurs au financement, incontournable. En revanche, le reste choisi de travailler en partenariat avec
ont le vent en poupe. Mais garantir la ren- du processus peut se faire à distance et des fournisseurs de services agricoles,
tabilité de ce produit sans avoir recours à pourrait être davantage automatisé. tels que des fournisseurs de matériels,
des subventions reste problématique. La version bêta d'OKO est en cours de technologies ou de données agri-
de lancement. Elle utilise des données coles, afin de développer des produits
Diffuser l’assurance indicielle à plus météorologiques satellitaires pour pro- d'assurance qui seront commercialisés
grande échelle sans en augmenter téger les producteurs de maïs contre par le biais de leurs réseaux de distri-
les coûts le manque de précipitations. Les agri- bution existants de petits et moyens
Si une mise à l’échelle s’impose afin de culteurs qui ont une carte SIM Orange agriculteurs, explique Gethin Jones,
réduire les coûts par client, les avantages composent un code avec leur téléphone cofondateur de Skyline.

34 | SPORE 194
© OKO INSURANCE
OKO Insurance distribue des polices d’assurance
indicielle directement aux producteurs via leurs
téléphones portables. Cibler les femmes pour accélérer
Skyline assure l’ensemble de la modé- la mise à l’échelle
lisation des risques pour le compte des
assureurs, en veillant à ce que les pro- L'abandon des subventions reste un objectif à long terme pour le marché de
duits respectent bien la réglementation, l’assurance agricole, mais des investissements publics demeurent nécessaires pour
que leur coût soit abordable pour les faire connaître le produit. L’identification des groupes de femmes – plus de 60 % des
agriculteurs et qu’une filière de distri- clients d'ACRE Africa – à sensibiliser et à éduquer pourrait ainsi donner les meilleurs
bution soit disponible, indique Laurent résultats en termes de souscription au produit, assure Rahab Kariuki d'ACRE. À petite
Sabatié, cofondateur de Skyline. Cette échelle, l'expérience d'ACRE indique que les femmes se montrent plus ouvertes à
approche permet de réduire les coûts l'expérimentation de nouveaux produits. En raison de leur participation plus élevée
d'exploitation et de prospection tout en aux groupes d’épargne, elles sont aussi davantage susceptibles d’avoir de l’argent à
offrant aux partenaires du secteur de consacrer au paiement des primes d’assurance.
l’agritech la possibilité d’élargir leur offre ACRE n’exclut cependant pas que l’assurance agricole puisse avoir un impact
de services, à un prix compétitif pour les négatif sur la nutrition des ménages. En effet, lorsque l'assurance aide une
agriculteurs, poursuit-il. exploitation agricole à prospérer, certains petits producteurs sont tentés de
Carlos Boelsterli, PDG de développer leur activité en reprenant les petits potagers cultivés par les femmes,
Microinsurance Catastrophic Risk pour les affecter à l’agriculture commerciale.
Organisation (MICRO), est un concepteur
et producteur reconnu de solutions d'as-
surance contre les risques climatiques.
Selon lui, la meilleure façon d’assurer subventions ou alors à des subventions gestion intégrée que des spécialistes
la viabilité commerciale de l’assurance d’un faible montant, explique Rahab de la distribution d'assurance comme
indicielle pour les fournisseurs privés Kariuki, d’ACRE Africa. ACRE a investi OKO – déjà en pourparlers avec ACRE
d’assurance est de parvenir à l’échelle dans l’acquisition de stations météoro- – pourraient utiliser pour générer des
requise. “Pour MICRO, le chiffre magique logiques et d’une station terrestre, mais devis en temps réel et proposer des
est juste au-dessus de 300 000  clients”, cette approche n’est pas abordable pour solutions d’assurance sur des sites pré-
affirme-t-il. la plupart des start-up, affirme-t-elle. cis. Cette approche aiderait ACRE à se
ACRE aimerait partager ses compé- développer au-delà de l’Afrique de l’Est,
La collaboration est primordiale tences techniques, en particulier en tout en favorisant la mise à l’échelle de
Le partage des données et la col- matière de tarification, avec davantage l’ensemble du secteur. Rahab Kariuki
laboration pourraient être un moyen de start-up, voire avec des agrégateurs prévient : “Si nous sommes les seuls
d’assurer la mise à l’échelle, de réduire agricoles, poursuit Rahab Kariuki. Une à être en mesure d’étendre nos acti-
les coûts et de réaliser ainsi plus rapide- piste serait de développer une plate- vités, le marché ne pourra pas se
ment des bénéfices, sans recourir à des forme informatique ou un progiciel de développer.” ■

SPORE 194 | 35
COMMERCE & MARKETING

PERSPECTIVES DE MARCHÉ

Les femmes profiteront-elles de la Zone


de libre-échange africaine ?
De nouvelles initiatives émergent pour permettre aux femmes, commerçantes
et entrepreneuses, de profiter de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange
continentale africaine (ZLECA), avec l’augmentation des flux entre États et la réduction
des droits de douane.

Bob Koigi

A
lors qu’elles représentent deux d’attente des documents, corruption, nouveaux débouchés, les entrepre-
tiers de la main-d’œuvre agri- harcèlement sexuel… Avec l’adoption de neuses africaines se heurtent toujours à
cole et qu’elles cultivent 70 % la Zone de libre-échange continentale des obstacles. Elles manquent notam-
des denrées alimentaires produites sur africaine (ZLECA), les femmes peuvent ment de fonds pour développer leurs
le continent, la plupart des Africaines accéder aux marchés formels pour les activités et de formation pour explorer
sont cantonnées aux étapes initiales cultures à haute valeur, soit un marché ces nouveaux horizons. Ces lacunes
de la production et impliquées dans de consommateurs diversifiés de plus de empêchent les femmes de profiter plei-
seulement 10 % du processus de trans- 1,2  milliard de personnes. nement de la ZLECA.
formation de base des aliments. Par Financée par le CTA et mise en œuvre
ailleurs, des études indiquent que les Formations commerciales par l’African Women Agribusiness
femmes représentent jusqu’à 70 % des Les pays signataires de l’accord Network Afrika (AWAN-Afrika) et
commerçants informels en Afrique sub- commercial se sont engagés à réduire l’Africa Women Entrepreneurship and
saharienne, et ce malgré les conditions les droits de douane pour 90 % des Innovation Forum (AWIEF), l’initiative
difficiles liées à des procédures fronta- 200 biens échangés sur le continent. VALUE4HER forme depuis juillet 2018 les
lières pesantes : droits de douane, temps Néanmoins, malgré les nombreux commerçantes dans quatre domaines :
l’inclusion financière, l’accès au marché,
le contrôle de la qualité et les pratiques
© BEATRICE NKATHA

agricoles. Ces formations – séminaires,


salons professionnels, ateliers et séances
de jumelage d’entreprises – concernent
particulièrement la stratégie de marque
et le conditionnement de produits adap-
tés aux différents marchés, les méthodes
pour aider la traçabilité à répondre aux
exigences du marché à l’exportation, et
les institutions à contacter pour avoir
accès à des financements.
“Le nombre d’Africaines qui réus-
sissent la transition de la production
primaire vers la gestion d’entreprises
agricoles de commercialisation demeure
très faible”, constate Sabdiyo Dido,
conseillère technique senior “chaînes de
valeur et entreprises agricoles” au CTA.
“L’objectif du projet est donc de créer un
réseau d’entrepreneuses africaines dans
le secteur agricole qui soient capables
Beatrice Nkatha, bénéficiaire de VALUE4HER, a été formée à la gestion d’entreprise pour développer sa de mobiliser leur chaîne d’approvision-
boutique d’agrofournitures, dans laquelle elle stocke des pesticides. nement et de mettre en commun leurs

36 | SPORE 194
© BEATRICE NKATHA
L’exploitation de sorgho de Beatrice Nkatha est devenue l’une des plus importantes du Kenya.

ressources, leur expérience agricole et Elle vend aujourd’hui cinq tonnes de réseau compte 14 000 exploitants, qui
leur expertise afin de donner davantage poisson chaque semaine à 10 €/kg, alors gagnent 0,30 €/kg. Son entreprise est
de valeur à leurs produits agricoles et qu’elle n’en vendait qu’une demi-tonne devenue l’un des principaux fournis-
d’atteindre efficacement des marchés à à 4 €/kg avant de participer au projet. “Je seurs d’East African Breweries Limited,
moindre coût.” ne dois plus non plus me préoccuper de la plus grande entreprise brassicole du
la durée de conservation, car le poisson Kenya.
Un coup de pouce pour les entreprises [séché] se conserve pendant des mois
dirigées par des femmes sans perdre en qualité”, se réjouit-elle. Numérisation du réseau
Participante de VALUE4HER, Amina Pour tirer profit des impacts du projet
Farah a fondé la Khayraad Development
Association, au Somaliland. À la tête
Les études montrent et faciliter l’accès des entreprises diri-
gées par des femmes à des marchés plus
d’une entreprise dans le secteur de la que jusqu’à 70 % des nombreux, une plateforme numérique
pêche depuis 2004, elle a suivi les forma- baptisée “Value4Her Connect” a été
tions d’AWAN-Afrika sur les avantages commerçants informels en officiellement lancée par l’initiative en
de la valorisation et de l’élargissement juin 2019. Cette place de marché en ligne
aux marchés voisins lorsqu’elle a rejoint Afrique subsaharienne sont permet aux commerçantes de créer un
l’organisation en 2008. Forte de cette profil pour leur entreprise, de présenter
expérience, elle s’est lancée dans le des femmes. ce qu’elles vendent et d’échanger leurs
séchage des poissons en 2010 et exporte expériences avec leurs collègues. Plus
désormais des sardines et du thon jaune Elle aussi bénéficiaire de VALUE4HER, de 400 femmes se sont déjà inscrites. La
séchés, notamment vers l’Éthiopie, le Beatrice Nkatha dirige depuis dix ans une plateforme comprend notamment un
Rwanda, les Émirats arabes unis et le ferme produisant du sorgho dans l’est du forum Women2Women, qui permet aux
Yémen. Pour répondre à l’augmentation Kenya. Elle a commencé avec 40 autres femmes de nouer des contacts, de vendre
de la demande, elle a également com- petits producteurs, qui gagnaient leurs produits et d’échanger des informa-
mencé à construire ses propres bateaux 0,15 € kg. Depuis qu’elle a rejoint AWAN- tions, ainsi qu’une section d’informations
de pêche, ce qui lui évite d’en louer et lui Afrika et qu’elle a été formée à la gestion qui présente les conditions d’accès au
permet d’augmenter ses stocks. d’entreprise et à l’accès au marché, son marché pour certains produits. ■

SPORE 194 | 37
LEADERS EN AGRIBUSINESS

M A Ï M O U N A S I D I B E C O U L I B A LY

“La clé du succès,


c’est la qualité !”
Faso Kaba, l’entreprise de Maïmouna Sidibe Coulibaly, est l’une
des principales sociétés de semences améliorées en Afrique de l’Ouest.
Rencontre avec une agroentrepreneuse déterminée.

© ABDOULAYE MAHAMADOU
Soumaïla Diarra

A
près un séjour aux États-Unis
dans les années 1980, Maïmouna
Sidibe Couliby est revenue au
Mali convaincue qu’il existait un mar-
ché pour les semences améliorées de
céréales. Aujourd’hui, son entreprise
Faso Kaba travaille avec des organisa-
tions internationales de recherche pour
tester de nouvelles variétés.

En 2017, vous avez gagné l’Africa Food


Prize, avec la professeure Ruth Oniang’o.
En quoi votre entreprise est-elle différente et
comment a-t-elle séduit le jury ?
Aux États-Unis, les champs donnaient
l’impression que quelqu’un les avait tous
taillés. Je me suis demandé pourquoi,
chez nous, les champs ont des plants de
différentes tailles et pourquoi récolte- Faso Kaba, l’entreprise de Maïmouna Sidibe Coulibaly, vend des semences de sorgho, de maïs, de riz,
t-on moins. On m’a répondu que les d’arachide améliorées et adaptées au climat sahélien.
agriculteurs utilisaient des semences
améliorées. Je me suis renseignée, j’ai adaptées au changement climatique et à recherches sur les semences de maïs au
même travaillé dans une entreprise la faible pluviométrie. Nous avons aussi rendement élevé, tolérantes aux mala-
semencière. J’ai décidé qu’à mon retour des variétés de sorgho, de maïs, de riz, dies, à la sécheresse. J’ai décidé que c’est
c’est ce que je ferais pour aider nos d’arachide. ce que j’allais vendre, parce qu’il n’existait
paysans. pas de boutique qui vendait les semences
Il y a aussi le fait que nous utilisons de Comment avez-vous surmonté les diffi- de céréales au Mali. De retour, pendant
petits sachets, vendus en fonction des cultés liées à la création de votre entreprise ? 10 à 15 ans, je n’ai pas eu de financement
régions. Par exemple, pour un paysan de Ma mère était une paysanne. J’ai parce que les gens ne connaissaient pas
Sikasso (sud du pays), nous avons des travaillé dans son champ, je voyais les semences en vente. J’ai fait le tour des
variétés qui correspondent à la pluvio- qu’elle ne récoltait pas beaucoup. Aux banques et on me disait : “Qui va ache-
métrie de cette localité. Nous vendons États-Unis, les champs de maïs étaient ter des semences de céréales ? Les gens
ce qui est approprié à la zone de pro- totalement différents du champ de ma ont l’habitude de garder une partie de la
duction. Si vous voulez faire du maïs, mère et de ceux des autres paysans du récolte et semer cela l’année suivante.”
nous pouvons conseiller des variétés Mali. À l’époque, mon mari menait des Je leur expliquais qu’aux États-Unis c’est

38 | SPORE 194
© ABDOULAYE MAHAMADOU

Les semences de Faso Kaba sont vendues en petits sachets, ce qui les rend abordables pour les producteurs.

une activité lucrative. Les champs sont niveau des villages, produire et vendre clients. Aussi, nous vendons des sachets
cultivés pour produire des semences net- 180 tonnes de semences, avoir un de 1 kilo et de 5 kilos pour que ce soit
toyées, certifiées, mises dans des sachets bureau, du personnel, être déclaré au abordable à toutes les bourses.
pour être vendues. Les banquiers ne me service des impôts, à la sécurité sociale.
croyaient pas. Jusqu’au jour où j’ai décou- On a dépassé tous ces objectifs.
vert l’AGRA (Alliance pour une révolution “C’est la
verte en Afrique) qui avait déjà travaillé Quels conseils donneriez-vous à de jeunes
sur le sujet en Afrique de l’Est et en entrepreneurs qui feraient face au même persévérance et
Afrique du Sud. J’ai rencontré des repré- problème de financement ?
sentants de l’AGRA, qui ont eu confiance Il faut un minimum de fonds pour se le courage qui
en ma société, en mon ambition, en mon
idéal. J’ai reçu une subvention étalée
lancer parce que les investisseurs ne
donnent rien au démarrage. Ils donnent
convainquent un
sur 30 mois et c’est cela qui m’a lancée.
C’était en 2007.
de l’argent pour améliorer ou agrandir
une entreprise, mais pas pour démarrer.
bailleur d’investir.”
Donc il faut tout faire pour se lancer
“Si on vend des sur fonds propres ou chercher des cré-
dits auprès des fournisseurs. Et il faut
Pensez-vous que l’évolution des outils nu-
mériques et de leur place dans l’agriculture
semences de qualité, avoir confiance en soi, aimer ce qu’on
fait. C’est la persévérance et le cou-
concerne d’une manière ou d’une autre une
entreprise semencière comme la vôtre ?
le client informera rage qui peuvent convaincre le bailleur
d’investir.
J’y crois, surtout dans le marketing.
Si nous pouvons avoir nos produits en
son voisin et ligne, les gens peuvent les voir, même
Vous avez commencé en vendant des en étant loin de Bamako, loin du Mali. Ils
d’autres clients qui semences sélectionnées chez vous. Au- pourraient acheter en ligne. Aujourd’hui,
jourd’hui, votre entreprise s’est considéra- nous vendons via les services de trans-
viendront à leur blement développée. Sur quoi s’est bâti votre fert d’argent par téléphonie mobile. Les
succès ? gens appellent, nous nous entendons
tour.” La clé du succès, c’est la qualité ! Si sur la quantité, le prix, on communique
on vend des semences de qualité, le notre numéro de compte ou le numéro
Un an plus tôt, une ONG japonaise, client reviendra, il informera son voisin de téléphone inscrit à Orange Money
Sassakawa Global, avait donné sa garan- et d’autres clients qui viendront à leur et le client paye. On lui envoie le colis
tie pour mon premier prêt de 5 millions tour. Il faut donc mettre l’accent sur la qu’il récupère à la gare de son village.
de francs CFA (7 600 €). Il fallait ins- qualité, le respect des engagements, être Ce matin, j’ai vendu pour 250 000 FCFA
taller au moins 50 vendeurs ruraux au disponible, bien expliquer les choses aux (380 €) de semences de cette façon. ■

SPORE 194 | 39
PUBLICATIONS

PA U L W I N T E R S

“Les jeunes doivent


participer aux débats sur
le développement rural”
Paul Winters est vice-président adjoint du département de la
stratégie et des savoirs du Fonds international
de développement agricole (FIDA). Il pointe les facteurs clés
pour que les jeunes prospèrent en milieu rural.

© DANIELE BIANCHI/IFAD
Yanne Boloh

Dans son rapport sur le développement


rural de 2019, le FIDA s’intéresse à la création
d’opportunités pour la jeunesse rurale. Quels
sont les facteurs clés de succès ?
Trois facteurs sont fondamentaux pour
le développement des jeunes ruraux : la
productivité, la connectivité et la maîtrise
de son destin, c’est-à-dire l’autonomie.
Du point de vue de la productivité, la
formation initiale se concentre plutôt sur
des compétences cognitives. Les jeunes
possèdent donc moins de compétences
non cognitives – comme le leadership ou
la capacité de travailler en équipe et en
réseau – alors qu’elles sont très impor-
tantes pour la productivité. Être connecté
est également fondamental, grâce à des
infrastructures traditionnelles comme les
routes, ou numériques via des téléphones Paul Winters explique l'importance d'investir
portables. Il s'agit toujours d'accéder dans l'agriculture pour créer des opportunités du changement dans les zones rurales en
aux marchés et à l’information. Il est par d'emplois pour les jeunes ruraux. créant des opportunités dans et hors des
ailleurs évident que vous devez avoir fermes.
le sens de l’autonomie pour tirer profit Il est possible d’investir en agricul- Les jeunes peuvent être de très bons
des compétences en productivité et des ture pour qu’elle soit durable et qu’elle entrepreneurs en agriculture. Ils sont très
connexions dont vous disposez. permette aux petits producteurs de au courant des technologies et savent
participer. comment vendre des produits. Au lieu
Certains pays sont plus avancés que La majorité des jeunes de l’Afrique de seulement produire, ils peuvent aussi
d’autres sur la voie de la transformation. subsaharienne vivront de l’agriculture. acheter les produits des autres agriculteurs
Comment les autres peuvent-ils combler leur La question est de savoir s’ils devront de leur communauté, les transformer et
retard ? pratiquer la même agriculture de sub- les vendre, générant ainsi leurs propres
De nombreux pays n’investissent que sistance, physiquement épuisante, que revenus mais aussi ceux d’autres jeunes.
dans les villes, ce qui incite à migrer. leurs parents ou s’ils bénéficieront d’un Nous devons identifier les opportunités
Dans les zones rurales, il faut créer des environnement plus dynamique grâce à dans tout le système alimentaire, pas
opportunités et l’agriculture peut vrai- des investissements pertinents qui per- uniquement au stade de la production
ment être inclusive. mettront à l’agriculture d’être le moteur agricole.

40 | SPORE 194
Agroforesterie
Jeunes ruraux
L’atout développement
Une analyse des facteurs clés de succès
durable
Sur 1,2 milliard de jeunes âgés de 15 à 24 ans dans
le monde, près d’un milliard vivent dans les pays en Les systèmes agroforestiers sont des
développement, dont la moitié en milieu rural. Dans modèles prometteurs pour les pays du
son rapport 2019 sur le développement rural, le FIDA Sud, très vulnérables aux changements
constate le potentiel énorme de cette population globaux. Ce nouvel e-book présente
dont l’énergie et le dynamisme sont nécessaires les connaissances récentes sur les
pour transformer les zones rurales, ainsi que tous les mécanismes biophysiques et socio-
systèmes alimentaires. Les obstacles sont nombreux : économiques au sein des systèmes
le risque de ne pas trouver d’emploi est deux fois plus agroforestiers à base de cultures
élevé que chez les adultes et le nombre de jeunes pérennes, comme les cacaoyers et les
travailleurs pauvres demeure élevé. Le FIDA se fonde caféiers de régions tropicales humides,
sur des données concrètes pour examiner qui sont les jeunes ruraux, où ils vivent mais aussi dans les parcs arborés et
et les contraintes auxquelles ils se heurtent sur leur chemin vers l’autonomie arbustifs à base de cultures vivrières
économique. Les auteurs explorent le sujet avec différents prismes, notamment d’Afrique de l’Ouest.
la position des pays sur une échelle de transformation des zones rurales et de
l’ensemble de l’économie. Ils pointent plusieurs risques, car générer de nombreuses Agroforesterie et services écosystémiques
opportunités ne signifie pas que les jeunes, surtout les jeunes femmes, soient en en zone tropicale
mesure de les saisir. Investir dans les jeunes est objectivement un facteur clé du Par J. Seghieri et J.-M. Harmand (coord.)
succès en Afrique subsaharienne, mais il faut penser l’investissement différemment Éditions Quæ, 2019, 254 p.
car le rythme et la nature des changements actuels, climatiques comme sociaux, EAN 13 : 978-2-7592-3059-4
sont sans précédent. Pas question d’élaborer des politiques en faveur des Pour télécharger l’eBook :
jeunes ruraux sans intégrer le développement rural de manière large. Lorsque les https://tinyurl.com/y3gbhlto
possibilités économiques et sociales sont limitées, le soutien ciblé aux jeunes
ruraux est en effet inefficace.
Sécurité
Donner leur chance aux jeunes ruraux. Rapport sur le développement rural 2019
Par FIDA, 2019, 44 p. (résumé en français) alimentaire
Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/y2r9n6ou
Les banques de
céréales analysées
Le numérique est donc une des clés de la Comment les jeunes peuvent-ils se faire en-
transformation de l’économie. Les infra- tendre concernant la création d’opportunités Anthropologue, l’auteur se penche sur
structures et les investissements sont-ils à la qui leur sont destinées ? les liens entre l’économie, la mobilisation
hauteur ? Les jeunes sont souvent exclus des des populations locales et le changement
Il existe de nombreuses opportunités, processus d’élaboration des politiques social en Afrique subsaharienne. Il livre
notamment grâce à la révolution numé- publiques et des décisions qui affectent une analyse socio-anthropologique du
rique, mais pour saisir ces opportunités leur vie. Il est même très rare qu’un rôle des banques de céréales de la région
des investissements restent nécessaires ministre de la Jeunesse soit lui-même du Géra au Tchad, une région souffrant de
et nous devons identifier comment ces jeune et les groupes de travail qui sécheresses et des ravageurs et peinant
investissements peuvent être réalisés collaborent avec les gouvernements à répondre aux besoins alimentaires
au profit des jeunes. On parle beaucoup sur les questions relatives aux jeunes de la population. Créées au début des
des marchés virtuels pour remplacer les ne comptent souvent que très peu de années 2000, ces banques évitent
marchés physiques, avec des plateformes jeunes. que les agriculteurs aient recours aux
numériques où producteurs et ache- Le rapport 2019 du FIDA sur le déve- usuriers puisqu’ils y empruntent contre
teurs peuvent interagir. Mais il faut que loppement rural pointe le besoin d’un un remboursement avec un petit intérêt
quelqu’un crée ces plateformes. Il faut éga- engagement actif des jeunes dans l’éla- à la récolte.
lement s’assurer que les acheteurs comme boration des politiques publiques. Cela
les supermarchés et les restaurants soient ne veut pas dire qu’il faille créer une Sécurité alimentaire en Afrique
impliqués, ainsi que les vendeurs, les assemblée de jeunes, mais que ceux-ci subsaharienne
agriculteurs ou les organisations de pro- devraient être inclus dans les débats sur Par W. A. J. Mabondzo
ducteurs. Nous devons montrer aux jeunes le développement rural et les investis- Éditions L’Harmattan, 2019, 380 p.
que le marché existe et qu’ils peuvent y sements afin d’être partie prenante du ISBN : 978-2-343-16101-3
avoir accès grâce à la technologie. processus de prise de décision. ■ 38 €

SPORE 194 | 41
PUBLICATIONS

D É V E L O P P E M E N T E T A G R I C U LT U R E

Transformer les projets


en réussites
Pour qu’un projet d’aide
au développement ait un impact positif,
y compris dans le secteur de l’agriculture L’agriculture ACP de nouvelle génération,

ou de l’agribusiness, certaines conditions les innovations qui marchent


Par CTA
doivent être remplies. ICT Update 91, mai 2019, 20 p.
Pour télécharger le PDF :
https://tinyurl.com/y3v5rrxs
Yanne Boloh

I
l ne suffit pas d’avoir une bonne prend en compte de nombreux facteurs
idée, encore faut-il qu’elle passe le tels que l’inclusion des petits produc-
cap concret de la rentabilité, puis teurs, le respect de l’environnement,
qu’elle se diffuse afin d’accélérer le pro- la qualité des produits et la compétiti-
grès. Dans le numéro de mai 2019 d’ICT vité des prix dans un contexte de forte
Update, le CTA explore quelques-unes concurrence. Établir une réelle feuille
des réussites sans occulter les limites de route et ne pas en rester à un objectif
et les écueils pour une réussite durable final lointain de réussite est une des clés
d’une innovation en agriculture dans de la réussite.
les pays ACP. La stabilité du modèle à Dans tous les cas, la réalité sera
déployer, les partenariats, les investis- plurielle. La promotion des produits
sements dans des infrastructures bien agricoles locaux grâce à l’innovation L’agro-industrie, un levier pour le
pensées, l’accès aux financements et aux constitue un enjeu majeur, qu’elle porte développement : à quelles conditions ?
connaissances… Autant de conditions sur les techniques de production ou Par Secteur privé & développement,
de réussite, mais qui ne sont rien si les les processus d’innovation, via notam- 1er trimestre 2019, 46 p.
produits et services ne sont pas réfléchis ment des plateformes d’innovation et le Proparco
et déployés pour les besoins spécifiques financement de celles-ci. Cela concerne ISSN : 2103 3315
des clients, dont la diversité peut d’ail- tous les secteurs : agronomie, améliora- Pour télécharger le PDF :
leurs exiger une diversification des tion végétale, professionnalisation des https://tinyurl.com/y5durqc8
propositions. Les jeunes et les femmes productions vivrières, expression du
sont notamment des cibles spécifiques potentiel de production des animaux,
pour lesquelles une juste reconnaissance transformation des produits pour obte-
de la sphère publique est de surcroît nir des solutions nutritionnelles. Rien
souvent nécessaire. ne se fera durablement sans assise
L’agro-industrie peut prendre sa place financière solide. Les solutions existent,
pour répondre aux enjeux majeurs du comme le fonds de roulement pour
développement de l’emploi et de la l’approvisionnement des banques de
réduction de la pauvreté. En effet, à en céréales ou bien encore les micro-
croire les perspectives de la Banque crédits pour remplacer le recours à
mondiale ou de la FAO, la production l’usure. Donner du pouvoir financier
agricole mondiale devrait croître de aux femmes augmente de surcroît le
50 à 70 % d’ici 2050 pour faire face à pouvoir financier d’une nation dans son
l’explosion démographique attendue. ensemble. Pourtant, le financement de Capitalisation des expériences pour un plus
L’industrie est souvent perçue à tra- leurs activités économiques constitue grand impact sur le développement rural
vers les externalités négatives, comme encore aujourd’hui un défi qui, quand Par CTA, mai 2019, 76 p.
son impact sur l’environnement ou sur il est relevé (exemple des caisses de ISBN : 978-92-9081-645-4
les petits producteurs. Elle doit donc microcrédit), ouvre sur une réelle effi- Pour télécharger le PDF :
résoudre une équation complexe qui cacité. ■ https://tinyurl.com/y2zcwkar

42 | SPORE 194
Produits alimentaires
Une zone de libre-échange pour changer la donne
La reprise économique se poursuit en Afrique lesquels ils détiennent un avantage comparatif et d’exploiter les
subsaharienne avec une croissance qui devrait économies d’échelle, ce qui dope la productivité et la croissance. Toutefois,
passer de 3 % en 2018 à 3,5 % en 2019, selon le commerce international induit également des coûts et ses retombées
les analystes de la FAO. Ces chiffres recouvrent ne se répartissent pas de manière uniforme entre pays et au sein de
toutefois une très grande variabilité, tant en chaque pays. L’analyse de la FAO montre que le commerce interrégional
termes de croissance que d’échanges et de en Afrique s’est développé rapidement avec un petit nombre de pôles
perspectives, entre les pays. Après une section commerciaux dominant des flux d’échanges relativement diversifiés. Il a
sur les trajectoires de reprise sur fond de ainsi triplé ces vingt dernières années. Malgré cette expansion, il est encore
grande incertitude (chapitre 1) et sur les possible d’approfondir l’intégration régionale car elle est encore limitée par
conséquences économiques des conflits les droits de douane et des goulets d’étranglement non tarifaires
(chapitre 2), le troisième chapitre de cette nouvelle édition des (logistique du commerce, infrastructures dans les pays enclavés…). La
Perspectives économiques s’intéresse particulièrement à la Zone de ZLECAf vise l’élimination des droits de douane sur 90 % des flux pour une
libre-échange continentale pour l’Afrique (ZLECAf), lancée par les pays augmentation d’environ 16 % de ces derniers. Les possibilités sont
membres de l’Union africaine l’an dernier. Ratifiée par 22 pays, elle devrait particulièrement importantes pour certains produits de base liés à
entrer en vigueur en 2019 malgré quelques aspects encore en cours de l’agriculture comme les produits alimentaires. ■
négociation. Elle pourrait donner un sérieux coup de pouce à l’intégration
commerciale et économique régionale en constituant un marché de Perspectives économiques régionales
1,2 milliard de personnes représentant 2 500 milliards de dollars de PIB Reprise dans un contexte de grande incertitude
cumulé. L’intégration commerciale a été en effet à l’origine de réussites Par Fonds monétaire international, 2019, chapitre 3, p. 41 à 57
spectaculaires sur d’autres continents, selon le FMI. Elle permet à certains ISBN : 9781498304009
pays de se spécialiser dans la production des biens et des services pour Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/y28856ry

Sécurité alimentaire
Le bananier plantain, un potentiel à mieux valoriser
Les bananes à cuire et plantain sont des 10 chapitres, il aborde successivement l’importance des bananiers et
productions cruciales dans les pays des des plantains, la filière (du marché aux usages alimentaires), la plante
zones tropicales humides. La production et son milieu, les innovations dans les systèmes de culture et de pro-
mondiale est estimée à près de 30,5 millions duction, les techniques de multiplication du matériel végétal, la lutte
de tonnes et a peu varié ces quinze der- contre les parasites du système racinaire et de la souche, la lutte
nières années. Très énergétiques (110 à contre les maladies des feuilles et des fruits, la création et la gestion
120 calories/100 g), riches en éléments mi- technique d’une bananeraie, la gestion de la fertilité du sol et de la
néraux et en vitamines, elles répondent bien nutrition du bananier plantain ainsi que les usages et les calculs des
aux enjeux de sécurité alimentaire et, dans coûts de production pour innover.
les régions forestières tropicales, la consom- Contrairement aux bananes dessert, cette culture vivrière n’a pas
mation peut aller jusqu’à 200 kg/habitant/ fait l’objet de beaucoup de travaux de recherche ni d’expérimen-
an. Dans les zones rurales, le plantain occupe, comme plante, entre la tations, et elle est globalement peu encadrée techniquement. D’où
première et la quatrième place en termes d’importance alimentaire. l’intérêt de disposer de l’expérience approfondie de deux auteurs
Conduite le plus souvent en agriculture familiale dans des exploita- principaux avec leur diagnostic de terrain auprès des agriculteurs
tions de moins de 5 hectares, la production est à plus de 85 % familiaux, dans une optique d’intensification agroécologique des
autoconsommée ou vendue localement sous des présentations très systèmes de production. Le bananier plantain est en effet le plus
variées mais sans qu’il existe beaucoup de produits transformés. souvent intégré dans des systèmes complexes pluri-espèces
Toutefois, des filières se construisent sous l’impulsion d’entrepreneurs faisant appel à la main-d’œuvre familiale, et non en monoculture
qui investissent dans la production pour l’export vers l’UE et les États- intensive. ■
Unis et dans des filières de transformation en farine. Cet ouvrage de la
collection “Agricultures tropicales en poche” se consacre plus particu- Le bananier plantain. Enjeux socio-économiques et techniques
lièrement aux recherches et aux productions d’Afrique subsaharienne. Par M. Kwa et L. Temple (coord.)
Il traite des connaissances, des innovations et des contraintes de la Coédition Quæ, CTA et Presses agronomiques de Gembloux, 2019, 184 p.
culture et de la transformation de façon synthétique et pratique, à ISBN : 978-2-7592-2679-5
destination des producteurs, techniciens, conseillers agricoles et, plus 18 €
largement, des acteurs des filières agroalimentaires. Organisé en https://www.quae.com/

SPORE 194 | 43
OPINION

La digitalisation réduit-elle les inégalités


hommes-femmes dans l’agriculture ?
SABDIYO DIDO BASHUNA

Éviter d'accentuer les inégalités


aux moyens de production et au crédit 10 % moins susceptibles de posséder
remédient aux difficultés en termes de un téléphone portable et, en moyenne,
Sabdiyo Dido Bashuna, proximité, mais omettent de s’attaquer 26 % moins susceptibles d’utiliser l’In-
Conseillère technique
aux obstacles de genre qui entravent ternet mobile. Si rien ne change, les
senior au CTA
l’utilisation effective des services. Ce sont nombreuses femmes des milieux ruraux
ces considérations de genre sous-jacentes passeront à côté des bénéfices du virage
qui déterminent la façon dont les agri- numérique de l’agriculture.
Depuis les outils d’analyse de prévi- cultrices et les dirigeantes d’entreprise
sions météorologiques jusqu’aux services consomment les services numériques 3. Des technologies numériques
de conseil, en passant par les liaisons de adaptés au secteur agricole. conviviales
marché, l’accès aux financements ou Le développement de telles solu- Au niveau mondial, deux tiers des
les renseignements macro-agricoles, tions doit donc prendre en compte illettrés sont des femmes rurales, et l’ha-
le secteur est en effervescence grâce les influences socioéconomiques et bileté numérique est beaucoup moins
aux dernières innovations numériques culturelles pesant sur l’utilisation des répandue chez les femmes que chez les
qui changent la façon de partager les technologies numériques, les structures hommes. Dans la conception de solu-
informations agricoles, d’accéder aux décisionnelles qui déterminent l’af- tions numériques pour l’agriculture,
services et de commercialiser les pro- fectation des ressources agricoles, les la simplicité et la convivialité sont des
duits. Selon le rapport 2019 du CTA et parcours d’apprentissage des femmes et critères cruciaux pour inciter les agri-
de Dalberg Advisors sur la digitalisation le pouvoir d’agir fondé sur les moyens cultrices et les dirigeantes d’entreprise à
de l’agriculture africaine, pas moins de et les préférences. Les fournisseurs de adopter ces technologies. La conception
390 solutions numériques opération- technologies numériques pourraient, et la fourniture de services en langues
nelles desservent les différents segments entre autres, travailler en partenariat locales peuvent aussi faciliter l’accès à
des chaînes de valeur agricoles. avec des organisations à finalité sociale de plus grands nombres d’utilisatrices.
La main-d’œuvre agricole de l’Afrique afin de concevoir des solutions prenant En outre, passer du système SMS au
subsaharienne compte de 40 à 50 % de en compte les éléments de genre et système IVR (réponse vocale interac-
femmes, dont la productivité est de 20 à autres aspects humains. tive) pour simplifier les contenus suscite
30 % inférieure à celle des hommes. aussi l’intérêt des utilisatrices. Enfin, la
Cet écart est attribué à des disparités de 2. Des systèmes de mise en œuvre mobilisation des réseaux de pairs peut
genre concernant l’accès aux ressources qui fonctionnent dans les limites encourager et accélérer l’adoption des
productives et aux services. Les solutions de temps et d’espace des femmes technologies par celles-ci.
numériques présentent un potentiel La plupart des solutions digitales
énorme pour gommer cet écart de genre, agricoles vont de pair avec des systèmes 4. Coût des services numériques
les femmes ne représentent que 25 % de mise en œuvre qui sont basés sur le Nos projets ont montré que les femmes
des 33 millions de petits exploitants qui téléphone et sur la disponibilité d’un sont nombreuses à adopter les services
utilisent les technologies numériques. réseau mobile. Grâce à l’accès aux res- numériques quand ceux-ci sont subven-
Voici quatre impératifs à suivre pour sources et aux services agricoles via un tionnés, ce qui nous conforte dans notre
abolir les inégalités femmes-hommes téléphone mobile, les femmes rurales opinion qu’elles sont plus réceptives aux
dans l’agriculture. bénéficient de la facilité d’accéder à innovations. Lorsque les subventions
l’information et aux ressources d’ap- cessent et que les services prennent une
1. Développer des solutions en évitant prentissage au moment et à l’endroit qui nature plus commerciale, le pourcen-
le concept étroit de l’homogénéité leur conviennent. Toutefois, selon la GSM tage d’utilisatrices diminue. Ce constat
des besoins Association, qui représente l’industrie montre clairement que le coût des ser-
Les solutions numériques visant à amé- mondiale des téléphones mobiles, dans vices numériques est un obstacle à leur
liorer l’accès aux conseils agronomiques, les pays à bas revenu, les femmes sont utilisation permanente. ■

44 | SPORE 194
SWETHA TOTAPALLY

Tout est question de volonté


des femmes. Actuellement, le débat pour l’agriculture. Il s’agit là d’une
Swetha Totapally, se concentre principalement sur deux occasion manquée : sans l’attention
Dalberg Advisors explications corrélées : les femmes ne des donateurs et sans hiérarchisation
disposent pas d’un accès suffisant à des des priorités, il est peu probable que
appareils et outils numériques ; même si les entreprises commerciales opèrent
cet accès est suffisant, elles rencontrent elles-mêmes ce changement.
Il est plus que nécessaire de combler bien plus de difficultés que les hommes Combler cet écart de volonté est une
l’écart entre les sexes dans le secteur de en matière d’alphabétisation générale première étape visant à aider les femmes
l’agriculture. Bien qu’elles représentent et numérique. Notre secteur néglige un à embrasser les solutions digitales pour
40 à 50 % de la population paysanne autre élément : la volonté explicite de se faciliter leurs activités agricoles. Nous
d’Afrique subsaharienne, les femmes mettre au service des femmes. pouvons relever ce défi et les dona-
sont désavantagées en matière d’accès à La réalité, c’est que l’univers des teurs peuvent se mettre au service des
tous les outils qui contribuent à favoriser solutions D4Ag et celui des questions femmes comme ils le font pour les
une participation équitable et la récupé- hommes-femmes ne se recoupent pas petits exploitants agricoles. De même, ils
ration des plus-values sur les marchés suffisamment : peuvent contribuer à réduire le coût des
agricoles. Cet accès inégal a de lourdes • Les entreprises de solutions D4Ag activités des entreprises en augmentant
conséquences : dans l’agriculture, les se concentrent sur la création d’un le délai pour les investissements dans
femmes sont sous-représentées dans modèle commercial efficace. Ces les organisations qui donnent la priorité
les emplois qualifiés et bien rémuné- entreprises estiment que, si elles se aux femmes, en développant des don-
rés. En outre, les ménages dirigés par focalisaient exclusivement sur les nées ventilées par sexe, en finançant
une femme ont une productivité et des femmes, cela compliquerait leur des études spécifiques sur la manière
revenus moindres que ceux des ménages travail. Tant que les entreprises com- dont les femmes souhaiteraient utiliser
dirigés par un homme. merciales n’auront pas choisi de se des solutions digitales en agriculture, en
En théorie, les solutions digitales pour mettre au service des femmes et de favorisant le recours aux vulgarisateurs
l’agriculture (D4Ag) pourraient faciliter les considérer comme une clien- en plus de solutions numériques, et en
l’accès à ces outils et entraîner des retom- tèle sérieuse à long terme, il est aidant les entreprises D4Ag à établir
bées pour les agricultrices. Pourtant, peu probable que des changements un lien entre elles et leurs partenaires
comme le souligne Sabdiyo Dido du CTA significatifs se produisent en matière locaux spécialisés dans la problématique
dans son blog, nous sommes encore loin d’accès à ces solutions. de la parité hommes-femmes.
d’exploiter pleinement ce potentiel. • Les investisseurs n’incitent pas les Pour résorber cette fracture, les dona-
L’étude que nous avons réalisée avec entreprises à opérer ce changement teurs devront modifier leur façon de
le CTA sur la digitalisation de l’agricul- et rares sont les donateurs qui font travailler sur le plan interne et hiérar-
ture africaine a révélé que seuls 25 % de l’égalité entre les sexes une prio- chiser différents paramètres et critères
des utilisateurs de solutions D4Ag sont rité en termes de solutions digitales de réussite. ■

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hommes-femmes dans l’agriculture ? le site de Spore pour lire l'avis
d'un troisième spécialiste sur
le sujet. Un nouveau débat est
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SPORE 194 | 45
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Avec davantage de big data, l’agriculture “intelligente” est-elle
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SPORE est le magazine trimestriel du Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA). Le CTA est régi par l’Accord de Cotonou entre le groupe des pays
d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et l’Union européenne et est financé par l’UE • CTA, Postbus 380, 6700 AJ Wageningen, Pays-Bas • Tél. : +31 317 467 100 •
Fax : +31 317 460 067 • E-mail : cta@cta.int • Site Web : www.cta.int • DIRECTEUR DE LA PUBLICATION ET PRÉSIDENT DU COMITÉ DE RÉDACTION : Michael Hailu
• DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : Anne Legroscollard • COMITÉ DE RÉDACTION : Stéphane Gambier, Isolina Boto, Benjamin Addom, Piet Visser, Toby Johnson •
RÉDACTION : Rédactrice en chef : Susanna Cartmell-Thorp, WRENmedia, Fressingfield, Eye, Suffolk, IP21 5SA (RU) • Rédacteur de la version française : Vincent Defait,
New Delhi, Inde • CONTRIBUTEURS : O. Alawode (Nigeria), M. Andriatiana (Madagascar), B. Bafana (Zimbabwe), K. Bascombe (Trinité-et-Tobago), Y. Boloh (France),
H. Castell (RU), D. Chilumbu (Zambie), T. Cline (Afrique du Sud), V. Defait (Inde), S. Diarra (Mali), S. Dido (Pays-Bas), N. Dookie (Trinité-et-Tobago), O. Frost (RU), A. Gross
(Pays-Bas), ISO Translation and Publishing (Belgique), J. Karuga (Kenya), B. Koigi (Kenya), E. Maduka (Nigeria), D. Manley (France), C. Mkoka (Malawi), I. Oluwagbemi
(Nigeria), T. Penrhys-Evans (RU), S. Reeve (RU), K. Shigela (Tanzanie), J. Thorp (UK), A. Touré (Mali) • DESIGN : Vita, Italie • MAQUETTE : P. Pothier, C. Lavenir, intactile
DESIGN, France • IMPRESSION : Latimer Trend & Company, RU • © CTA 2019 - ISSN 1011-0054

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SPORE 194 | III
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