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MODELES DE MATURITE ET APPLICATION DES EURONORMES

CAPABILITY MATURITY MODELS AND USE OF EURONORMS

M. PRAT, J.A. CALGARO


SETRA – France

RÉSUMÉ : Dans le contexte du projet d’ouvrages de génie civil, en vertu du principe qu’une faute
technique détectée en phase de conception ou modélisation est largement moins préjudiciable
qu’une faute détectée en phase d’exploitation des résultats ou d’exécution de l’ouvrage, il y a lieu
de mettre en place, pour accompagner l’application des Euronormes, des processus d’évaluation
fondés sur la technique des « modèles de maturité » répertoriant des règles de bonne pratique et des
tests représentatifs obligatoires à effectuer. Cette communication se réfère à l’expérience des
professionnels des techniques logicielles pour analyser ce que peut apporter un « CMM (Capability
Maturity Model) » dans le domaine de l’établissement des documents d’accompagnement pour
l’application des Euronormes.

Mots clés : génie civil ; Euronormes ; codes ; projets ; modèles de maturité ; accréditation.

1. INTRODUCTION

Dans le contexte du calcul des structures, les référentiels techniques normatifs et réglementaires
sont de plus en plus savants, étendus et nombreux (Setra, Afnor). Cela s’accompagne d’une
complexification croissante des études avec l’évidente intention d’améliorer la qualité des projets.
Or, plutôt que de limiter les risques d’erreur dans les projets, cette complexification pourrait avoir
un effet inverse. La démarche qualité est un moyen d’améliorer les projets et de donner confiance.
Les Euronormes font d’ailleurs explicitement référence aux notions de qualité et spécifient des
exigences minimales et des différentiations dans la supervision des projets. Malheureusement,
malgré de réels progrès, il existe encore un décalage important entre les possibilités de calculs
offertes par des méthodes et modèles numériques avancés et des règles de justifications rédigées par
référence à des modèles plutôt traditionnels. Pour des études où la physique est le paramètre
principal, les règles de justifications ne sont pas toujours adaptées et il devient alors difficile
d’apporter au client des éléments de preuve de la pertinence des résultats, ce qui signifie en clair
que, dans ces conditions, les Euronormes deviennent inefficaces et détournées de leur objectif
premier, à savoir l’amélioration de la qualité des projets et de la sécurité des constructions et des
personnes. Il y a là, à notre avis, place pour inventer et mettre en œuvre, des modèles de maturité,
appelés aussi modèles d’évolution des capacités.

2. EURONORMES, EUROCODES : DES EXIGENCES TECHNIQUES MINIMALES


PAR REFERENCE A LA DEMARCHE QUALITE

Dans tout ce qui suit, le terme « Euronormes » désigne l’ensemble du système normatif européen
qui comprend, dans le domaine du Génie Civil, des normes de conception et de calcul – les
Eurocodes -, des normes de produits, des normes d’exécution et des normes d’essais. La
justification d’une construction relève des Eurocodes qui, eux-mêmes, s’appuient sur les autres
catégories de normes européennes. Ce système est en voie de remplacer les systèmes normatifs et
réglementaires nationaux dans les pays européens.
Les Euronomes édictent des règles, sans le souci d’instruire le contrôle et de gérer les interfaces,
c’est-à-dire la façon dont sera établi le projet. Les Eurocodes sont l’expression détaillée et
programmée des procédures de calcul visant l’application de l’esprit des normes. Mais, libre à celui
qui fait référence à ces Eurocodes de définir, dans une certaine mesure, la frontière de leur domaine
d’application. C’est dans ce sens que l’on peut dire que les Euronomes ou les Eurocodes
formalisent d’abord des exigences techniques minimales. Dans sa plus récente rédaction, la section
2 de la norme EN 1990 – Eurocode : Bases de calcul des structures entreprend l’énonciation des
règles fondamentales.

2.1. Le contexte normatif des études de Génie Civil


Les projets d’ouvrages de Génie Civil doivent, sauf spécification contraire, faire référence aux
documents techniques et aux textes normatifs et réglementaires les plus actuels et les plus
représentatifs, en particulier, ceux de l’ISO (ISO 2394, 2631, 3898, 6707-1, 8930, 9001, 10137,
8402, etc.) et bientôt aux Eurocodes. Ces derniers vont être, d’ici 3 à 5 ans, d’application
obligatoire pour les marchés publics de travaux et vont constituer un enjeu économique
considérable (aide à l’exportation, etc.). Au plan national, ces Eurocodes seront complétés par des
Annexes Nationales permettant d’ajuster certaines valeurs pour tenir compte de spécificités locales.
Très explicitement, la norme EN 1990 définit des niveaux de supervision des projets en imposant
des exigences minimales. Elle prévoit plus particulièrement de distinguer des contrôles externes et
internes dans le cadre des supervisions de projet normales et/ou élargies envisagées. Elle n’écarte
pas d’ailleurs d’inclure dans les processus, des procédures de « classification des projeteurs et/ou
des inspecteurs de projet (vérificateurs, autorités de contrôle, etc.) ». Cette accréditation serait
décernée par type de construction (entendue comme l’interaction entre une structure et un
matériau), en fonction non seulement de la compétence et de l’expérience des personnels (faisant
l’objet de certificats d’aptitude), mais aussi en fonction de l’organisation des équipes ou des
organismes prestataires. La norme EN 1990 précise également que les techniques de l’assurance
qualité peuvent être avantageusement mises en œuvre. La qualité devient alors la clé de voûte des
enjeux du projet, car les variabilités liées aux modélisations utilisées sont plus ou moins bien prises
en compte par les coefficients de sécurité. Les incertitudes, non seulement du fait des modèles et
des conditions d’utilisation des méthodes et des codes eux-mêmes, mais aussi du fait de
l’exploitation des résultats en regard des règles édictées, peuvent par conséquent s’avérer
dangereuses.

2.2. Une révolution culturelle


Cela est nouveau, l’Eurocode traitant des bases du projet précise des mesures relatives à la
gestion de la qualité (robustesse des modèles, validation des résultats, etc.). Les hypothèses de la
modélisation doivent être cohérentes par rapport aux exigences. Les Eurocodes fixent les niveaux
de fiabilité, de sécurité structurale, d’aptitude au service et de durabilité des ouvrages et des
composants. Les principes, les règles et les coefficients du code sont principalement organisés et
définis avec le souci de limiter les dangers et d’éviter aux constructions des désordres irréversibles
face à des situations exceptionnelles, des configurations de charges extrêmes ou des insuffisances
de dimensionnement du fait de l’homme (erreurs de conception). On parle en effet d’efficacité et de
performance des solutions, mais aussi de préventions de causes des désordres et de projection dans
le temps, comprenant les notions de maintenance. Au plan de la modélisation, il est stipulé que « les
calculs doivent être effectués à l’aide de modèles structuraux appropriés, (…) permettant de prédire
le comportement avec un niveau de précision acceptable… Les modèles doivent être fondés sur une
théorie et une pratique établies, et être vérifiés expérimentalement si besoin est. »

2.2.1. Différentiation selon la supervision des projets


La question de la différentiation selon la supervision des projets pousse plus loin la volonté du
prescripteur dans la direction de la qualité. Il s’agit de mettre en place des mesures
organisationnelles afin de maîtriser la qualité des calculs, mais aussi de s’assurer que les moyens
utilisés, y compris les moyens humains, font l’objet de contrôles. La traçabilité peut donc s’appuyer
sur une classification des projeteurs et des vérificateurs (appartenant aux autorités de contrôle) en
fonction de leur expertise et de la structure interne dans laquelle ils évoluent. Un tableau de la
norme (tableau 1) précise d’ailleurs les trois niveaux de supervision des projets envisagés, mettant
les classes de fiabilité selon la nature de l’ouvrage en regard de recommandations et d’exigences
minimales.

Tableau 1. Niveaux de supervision d’un projet selon l’Eurocode EN 1990 : Bases de calcul des
structures

Niveaux de supervision des Qualification Recommandations et exigences


projets minimales
DSL 11 Supervision normale Le contrôle est réalisé par le
prestataire (auto-contrôle)
DSL 2 Supervision normale Le contrôle est réalisé par des
agents de l’organisme extérieurs
au projet
DSL 3 Supervision élargie Le contrôle est réalisé par des
agents d’un autre organisme
extérieur au projet

2.2.2. Les bases de la sécurisation du client


Il nous faut associer ici les notions de qualité des projets et celles de justification des ouvrages
(Prat, 2000). Comment valoriser un savoir-faire ? Quelle pertinence faut-il accorder aux résultats
issus d’une analyse ou d’une expertise ? Qui plus est, l’exploitation des résultats en fonction de la
réglementation technique (standards, Eurocodes) peut soulever également de multiples difficultés.
Les critères simplifiés ou réglementaires d’appréciation, d’évaluation, de vérification des résultats
ne sont pas toujours adaptés à des méthodes qui procèdent d’une dématérialisation des ouvrages et
intègrent des composantes normatives structurales et rhéologiques souvent couplées. Il faut en effet
confronter les hypothèses du calcul avec celles qui ont été admises pour établir les modèles
normatifs ou réglementaires (actions et résistances). Ces aspects n’ont jamais été abordés. Dans ce
contexte, la justification des modèles n’est donc pas aussi naturelle qu’il y paraît. Il y a des cas réels
pour lesquels de simples ajustements permettent de mieux intégrer les aspects normatifs dans les
études. Mais d’autres cas mettent en lumière le décalage qui existe entre certains moyens actuels
mis en œuvre par les projeteurs et les justifications préconisées par les règles ou les normes.

2.2.3. Une problématique nouvelle


Il nous faut replacer les études techniques dans un contexte d’ingénierie des projets. Les
ouvrages de Génie Civil sont particuliers. Pour mettre en œuvre une modélisation correcte, les
projeteurs doivent posséder non seulement de bonnes connaissances théoriques (en mécanique et
analyse numérique), mais aussi de bonnes connaissances en pratique du projet (connaissances
techniques, voire technologiques). Un constat s’impose tout de même : malgré la profusion des
documents de conseils et de recommandations, les guides traitant des modélisations numériques,
nombreux sont les utilisateurs qui se trouvent encore désarmés, désorientés, dès qu’il s’agit de
réaliser un projet et d’interpréter les résultats. Car souvent, la manière d’utiliser et d’exploiter les
modèles vaut autant que la qualité intrinsèque des modèles. Il y a là matière à réflexion, car nous

1 Design Supervision Level.


nous trouvons face à une problématique nouvelle. Faire œuvre de proposition consiste alors à
rechercher des solutions originales et efficaces, qui pourraient être notamment fondées sur
l’utilisation de techniques d’amélioration de l’évolution des processus d’élaboration des projets, par
analogie avec ce qui se fait dans le domaine du projet informatique.

3. UNE LONGUE EXPERIENCE DE QUALITE : LE CADRE D’EVOLUTION


DES PROCESSUS LOGICIELS

Peut-on aller plus loin dans la démarche qualité ? Prenons un exemple dans le domaine des
techniques logicielles. L’action visant à améliorer le processus logiciel par la définition d’un
« cadre d’évolution du processus logiciel » a été amorcée par le Software Engineering Institute
(SEI) en 1986. Cette initiative faisait suite à une demande officielle d’évaluation des capacités des
maîtres d’œuvre dans le domaine du Génie Logiciel. En 1987, était publié un premier questionnaire
sur la « maturité ». Après quatre années d’apprentissage, le SEI proposait un « Modèle d’évolution
des capacités » ou « Capability Maturity Model »(CMM). Cette nouvelle approche permettait de
fournir aux professionnels les axes stratégiques d’une meilleure efficacité des organisations dans le
domaine de la programmation pour innerver et nourrir les programmes d’amélioration des
processus logiciels (Paulk). Depuis, d’autres modèles ont été proposés sur le même principe : par
exemple, d’origine européenne, le modèle Spice (Software Process Improvement and Capacity
Determination) plutôt centré sur les aspects marketing touchant à l’évolution des processus.

3.1. Bien comprendre la terminologie


Si nous continuons à examiner ce qui a été entrepris dans le domaine du Génie Logiciel, il nous
faut rappeler quelques définitions et distinguer entre 1) « l’évaluation du processus » et 2)
« l’évaluation de la capacité » :
1) l’évaluation du processus : évaluation par une équipe de spécialistes en vue de dresser un
« état des lieux » de processus et de déterminer les priorités et les moyens pour améliorer
l’organisation du projet ;
2) l’évaluation de la capacité : évaluation par une équipe de spécialistes de la qualification des
maîtres d’œuvre et sous-traitants chargés d’un projet et faire le point sur le processus utilisé
dans un cadre professionnel donné.

3.2. Les produits CMM - Le modèle du SEI


Divers produits logiciels ont été conçus à base du CMM. Ils sont tous dérivés des mêmes
principes et s’inspirent du Modèle original du SEI. Ces produits intègrent des outils de diagnostic
pouvant être directement utilisés par des équipes d’audit ou de projet pour « l’évaluation de
processus » et/ou « l’évaluation d’une capacité ». Ils procèdent d’objectifs et démarches similaires,
fondés principalement sur l’identification des avantages et des inconvénients des processus engagés
par une organisation, mais aussi sur l’évaluation des risques en termes d’applicabilité et de
marketing. Les problèmes liés à la mise en œuvre des méthodes et ceux liés à la formation des
personnels sont inévitablement abordés. Le CMM vise un gain de productivité par un accroissement
de la qualité des systèmes et de leur adaptabilité. La gestion de la complexité ne peut se faire dans
le désordre. Elle implique une formalisation, habituellement considérée comme une lourdeur, mais
ce n’est qu’une apparence, synonyme d’une mise en perspective des problèmes et des personnels.
Cette vision, très structurante du point de vue de la traçabilité, permet, aux dires des professionnels
des techniques logicielles, de sortir du chaotique, de minimiser les retards et les pertes financières,
d’affirmer la validation par la preuve, d’intéresser et de négocier par la performance.

3.2.1. Notion de maturité et d’immaturité


Force est de constater que l’improvisation dirige l’organisation immature du projet logiciel ; son
gouvernement est celui de la crise, ce qui entraîne des dépassements de délais et des fuites en avant
inexorables. Ne dit-on pas « c’est une usine à gaz » pour parler des logiciels issus de la confusion.
Dans ces conditions, l’évolution des processus ne peut être pilotée selon des critères de rationalité
ou de recherche de la qualité. Une telle organisation, où tout est urgent et où tout coûte cher, est
sans cesse en recherche d’équilibre et prête à se rompre à tout moment. En revanche, l’organisation
mature met en place le balisage et le suivi de l’évolution du processus en s’appuyant sur l’acquis,
car il est lisible, adapté, réaliste, ce qui le rend équivalent à réactivité performante. La maturité se
met donc en place dans un cadre qui décrit le cheminement structuré de l’évolution autorisant
l’amélioration du processus.

3.2.2. Les cinq niveaux de maturité


Afin de pérenniser les efforts d’amélioration du processus logiciel, il est indispensable de
progresser par étapes et d’envisager une démarche continue. Le cadre du CMM s’inscrit dans le
temps et, tout en identifiant les faiblesses d’un dispositif normatif, permet de faire évoluer
l’ingénierie du projet vers une « culture d’excellence ». La grille stratégique de la qualité décrit
cinq niveaux de pratiques ou de maturité, et c’est ce côté opérationnel qui semble intéressant :

- le niveau initial : le processus est dominé par des comportements individuels, voire
« chaotiques ». La réussite peut être qualifiée d’héroïque ;
- le niveau reproductible : le processus doit permettre un suivi des capitalisations pour assurer
des pratiques éprouvées. Une fois stabilisée dans un domaine, la réussite doit être
reproductible « à tous les coups » ;
- le niveau défini : le processus doit être documenté et cohérent. Les évaluations liées à
l’efficacité des ressources (y compris les ressources humaines), ainsi que les procédures de
vérification et de validation déclenchées selon des critères d’alerte, définissent les termes des
progrès réalisés ;
- le niveau maîtrisé : le processus rentre dans une phase où les objectifs de la qualité peuvent
être quantifiés. Le processus est maîtrisé et opère dans des limites acceptables. Les résultats
sont situés dans une gamme de performance qui peut être annoncée ;
- le niveau d’optimisation : le processus peut être amélioré continûment par rétroaction et
intégration d’actions innovantes.

4. VERS UNE ORGANISATION DU PROCESSUS D’APPLICATION


DES EURONORMES ?

Peut-on transposer l’expérience précédente à la gestion des processus d’application des


Euronormes ? Le faut-il ? Doit-on faire passer l’organisation de la pratique des Euronormes ou des
Eurocodes du stade empirique ou héroïque à un stade maîtrisé de suivi plus ou moins optimisé, par
le moyen de bulletins techniques d’accompagnement de projet, par exemple ?

4.1. Le processus « Euronormatif »


Un processus est un ensemble d’opérations ou d’actions en vue d’un résultat. Un processus
d’accompagnement normatif doit regrouper un état de l’art, des règles, des méthodes, des usages
pour guider l’activité de projet et asseoir les bases de la concurrence dans le respect des principes
de vigilance et de précaution en vigueur (Prat, 1999). Par capacité du processus normatif, nous
voulons signifier les seuils d’acceptabilité des résultats qui peuvent être attendus. Dans la capacité,
il y a par exemple les procédures de prédiction de la sécurité et de la durabilité des ouvrages. Il
convient toutefois de distinguer la performance du processus de sa capacité. La performance ne
mesure plus ce que l’on peut attendre, mais ce que l’on va effectivement obtenir, compte tenu d’un
environnement ou de modalités d’emploi. La performance réelle d’un système est très souvent bien
inférieure aux possibilités de ce même système. La maturité d’un processus d’accompagnement
sous-tend quant à elle tout ce qui touche à la gestion et au contrôle du processus. La maturité
devient alors un indicateur de gradient d’amélioration des capacités. Elle est le « recul » par rapport
au processus. Cette maturité est le champ technique des activités d’organisation de communication
et de formation, mais également celui des activités d’analyse des résultats et des améliorations
d’application. Le processus normatif, intégrant les principes de maturité, ne peut
qu’institutionnaliser en plus d’une culture technique représentative et la plus actuelle, les moyens
d’accroître la productivité. Ceci nous paraît fondamental.

4.2. Se prémunir contre les dérives et les dérapages des projets


Même s’il est souvent jugé improductif, le cadre d’amélioration des processus
d’accompagnement de projet constitue la seule façon traçable de se prémunir contre les dérives et
les dérapages, dont les causes peuvent revêtir plusieurs formes. En effet, les personnels ne sont ni
constants dans l’entreprise (mobilité), ni constants dans leurs occupations (généralistes). Cette
diversité s’accompagne d’une dilution des potentiels techniques ne permettant pas toujours de
trouver les bonnes solutions à des problèmes pointus, nécessitant la connaissance des documents
fondateurs des Eurocodes (« background documents ») et dont les interprétations requièrent
expériences et expertises s’appuyant souvent sur des rapports de recherche non officiels, parfois
introuvables. De plus, en ingénierie du projet, nombreux sont les termes non résolus entre les
prescriptions réglementaires et les codes de calculs. Les éléments finis ne font pas exception à cette
règle : des besoins impérieux d’éclaircissements, pour éviter des erreurs et des disparités notoires,
voire dangereuses, dans les résultats, sont indispensables. Des documents techniques
d’accompagnement devraient permettre de clarifier la situation en cas de problèmes et servir
l’instruction des responsabilités. Nous pouvons rappeler à cette occasion que lorsqu’on lance des
« benchmarks » en aveugle, on peut avoir jusqu’à 100% d’erreur (Mestat). Ce n’est acceptable pour
personne. Il s’agit donc d’organiser l’activité d’application des Eurocodes, d’harmoniser et
d’améliorer le processus d’utilisation de règles, qui connaissent aussi malheureusement des limites..

4.3. Jusqu’où aller dans une démarche CMM


La démarche CMM est en dépassement d’une démarche qualité. Les directions, censées mettre
en œuvre (du point de vue du droit) de tels processus, montrent beaucoup de réticences à engager
les moyens (humains et financiers) qu’il faudrait pour organiser le processus d’accompagnement de
projet, tout du moins l’informer et le coordonner, sous le prétexte que le retour sur investissement
n’est tangible que sur le long terme. Le devoir de conseil et d’information du professionnel peut-il
alors s’exercer correctement ? Toutefois, dans des domaines particuliers comme l’aéronautique, les
télécommunications, l’UCB (Union de crédit pour le bâtiment), des réponses ont été trouvées sur la
base de CMM, avec de réels succès, pour ce qui touche à l’édition de logiciels. Or, si les techniques
des Eurocodes ne sont pas des techniques logicielles, elles leur ressemblent. Il n’échappe à
personne que les Eurocodes sont avant tout des codes de calculs et que leur application nécessite
des documents d’aide et de recommandations. Le CMM peut amorcer une réflexion et aider à
localiser les inévitables manquements et inadaptations des codes. Cette évaluation, cet état des lieux
peut servir ensuite à établir les bases du processus d’amélioration. Il est tout à fait envisageable de
mener de pair une démarche qualité ISO 9001 et une évaluation CMM. Les compétences ISO 9001
sont plus larges et susceptibles d’intéresser un certain nombre d’entreprises. Cependant, dans le
domaine très expert des Eurocodes, le CMM a une place de choix. Mais jusqu’où aller dans cette
démarche associant information et évolution des standards techniques ?
Cette chaîne de production des projets est caractérisée par divers problèmes : spécificité de
chaque étude, dématérialisation des ouvrages pour les modéliser (il en résulte souvent une
inadaptation du modèle confronté non seulement au réel mais aussi aux modèles réglementaires),
hétérogénéité des ouvrages, des solutions professionnelles, des solutions académiques et des
solutions dans les choix des logiciels de calcul, des types d’analyse, etc. Les Euronormes sont des
outils stratégiques majeurs. Bien sûr il n’est pas indiqué d’adopter, sans discernement aucun, les
pratiques CMM ou Spice pour réviser les modalités d’emploi des règles non abouties. Certaines
entreprises préfèrent pour s’améliorer s’adresser à des consultants qualité, mettre en place des
techniques d’audits internes ou externes et définir divers indicateurs. Mais cela a également un coût
et les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. S’agissant de domaines très spécialisés où le
quantitatif devient primordial, il y a semble-t-il nécessité de mettre en place des concepts enrichis et
mieux adaptés.

Tableau 1. Normes qualité et calcul par éléments finis dans le cadre des eurocodes

Norme qualité Démarche Evolution Utilisation Calcul par éléments


finis dans le cadre des
Eurocodes
ISO 9001 Management de la S’orienter vers les Certification Production en 2001
qualité processus d’un guide MAQ
ISO 9000-3 Explication de Révision en 2001 Procédures, documents
texte d’accompagnement
ISO 12207 Description d’un Révision en 2002 Pas de label
cycle de vie
CMM Donner la bonne Stabilisation Niches Codification
pratique d’expertises d’habiletés
Spice CMM avec choix Vers l’ISO 15504 Référentiels Indicateurs de qualité
de processus en 2002 locaux

Le processus « exploitation des résultats en fonction des Euronormes » est dominé par la
question de « conception efficace ». L’intérêt du CMM correspond à la mise en perspective des
évolutions possibles tout en évitant la régression. Mais ce qui est caractéristique, c’est qu’il y a
obligation de franchir une à une, avec succès et dans l’ordre, toutes les étapes du processus.

5. CONCLUSION

Où en sommes-nous dans l’élaboration du processus d’accompagnement de projet ?


Les Euronormes ne sont pas encore obligatoires, mais le seront à court terme. Nous nous situons
donc à un stade proto-initial où les travaux sont quasiment anarchiques, certainement théoriques,
etc. Nous voyons se développer des études souvent localisées fondées sur des modèles relevant de
la « magie noire ». Par référence au CMM, le passage au niveau initial pourrait se traduire par une
volonté de mettre à l’épreuve les nouvelles prescriptions en s’appuyant sur des spécialistes qui
interviendraient comme des pionniers et pourraient fixer une marche à suivre et une échelle des
modèles en fonction de critères techniques comme le type d’analyse envisagé (non linéaire,
dynamique, transitoire), les aspects géométriques et rhéologiques des modèles discrets, etc. Ces
spécialistes, possédant une vision globale des textes normatifs, pas nécessairement adaptés, et des
usages professionnels dans un contexte socio-économique fort, sont seuls à pouvoir donner crédit à
telle ou telle méthode ou procédure de calcul. Il s’agirait ensuite de coordonner la validation des
règles et des habilités, mais c’est déjà le niveau 2 du CMM.
Nous voyons donc que l’évolution des Euronormes se fait suivant une direction assez parallèle à
la ligne suivie par les professionnels des techniques logicielles. Pourquoi alors ne pas pousser la
formalisation plus à fond. Quel intérêt à cela ? Tout d’abord s’assurer que les objectifs visés par les
Euronormes seront bien atteints. Plus la maturité croît, plus la variabilité des résultats diminue.
Mais il y a plus intéressant pour l’entreprise, c’est le temps passé par les ingénieurs sur le pilotage
d’une étude qui est aussi diminué. Cela se traduit automatiquement par des gains financiers du fait
de l’amélioration des spécifications et des fonctionnalités, d’une meilleure utilisation des personnels
ou de la sous-traitance, d’une plus grande maîtrise des délais. Il faut également parler de la
« prévisibilité » des résultats. En plaçant de plus en plus haut dans le processus la détection des
défauts, le CMM amoindrit les effets des fréquentes perturbations d’emploi des modèles et des
défaillances du calcul. Il permet surtout l’identification rapide des modèles « voués à l’échec ».

6. BIBLIOGRAPHIE

Afnor (1996) – Gérer et assurer la qualité – Qualité et efficacité des organisations. Recueil de
Normes Françaises.
CEB (1997) – Quality management – Bulletin 234.
Mestat Ph., Riou Y. (1999). À propos des benchmarks en géotechnique. Revue Française de Génie
Civil, vol. 3, n° 7-8.
Prat M. (1999). Qualité de calcul en éléments finis par référence aux conséquences en
responsabilité. Revue Française de Génie Civil, n° 7-8, vol. 3, Hermès Science Publications,
Paris.
Prat M. (2000). Vers une politique de qualité pour l’emploi des éléments finis en Génie Civil.
RILEM, Paris.
Paulk M.C., Weber C.V., Garcia S., Chrissis M.B., Bush M. (1993). Pratiques clés du Modèle
d’évolution des capacités logiciel. Software Engineering Institute, CMU/SEI-93-TR-25.
Setra (2000) – Répertoire des textes et documents techniques essentiels. Edition n° 14, Bagneux.

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