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Comment vivent les Rroms de Roumanie

Roumanie - La détresse des indésirables

A Bucarest, il existe une frontière invisible entre le quartier des Roms et le reste de
la capitale roumaine. Visite d’une communauté victime de préjugés. De notre
correspondant Mirel Bran

Lorsqu’ils aperçoivent de leur voiture Zabrauti, le ghetto rom de Bucarest, les


conducteurs se signent en suppliant Dieu de ne pas tomber en panne. Vu de loin, le pâté
d’HLM en ruine où habitent environ 2 000 Roms suscite chez les Roumains une peur
ancestrale envers leur minorité. Vu de près, Zabrauti a tout d’une cité interdite. A cause
des odeurs, il faut un certain courage pour s’en approcher. Sur le terrain vague qui sépare
une dizaine d’immeubles, les poubelles tiennent lieu de relief. Au milieu des monticules
de restes ménagers, de ferraille rouillée et de débris que fouillent quelques chiens errants,
une tête surgit, puis deux, puis trois. Des yeux pétillants scrutent l’horizon. « Tsiganes de
merde ! » crie un chauffard qui ferme sa vitre avant que l’écho ne lui revienne. Les
enfants continuent à fixer l’horizon tels de petits Sphinx. Ils ne savent pas encore que
dans leur pays le mot « Tsigane » est une insulte, synonyme de « voleur », de
« fainéant », de « sous-homme »... Ils constatent seulement qu’entre leur ghetto et le reste
de Bucarest et du monde il y a une frontière invisible qui les isolera de plus en plus au fur
et à mesure qu’ils grandiront. « Je m’appelle Maria », lance d’une voix joyeuse une petite
fille surgissant derrière une rangée de poubelles. « Vous voulez... chez nous ? » demande-
t-elle sans se soucier de grammaire. La chaleur de sa poignée de main enlève les
dernières réticences et elle semble ravie de faire découvrir son univers. A l’entrée de
l’immeuble, les murs moisis conservent un vague souvenir de la peinture des années 70.
C’était l’époque où le dictateur Nicolae Ceausescu avait ordonné la sédentarisation de
cette population nomade incontrôlable. Aujourd’hui, à Zabrauti, dix-huit ans après la
chute de la dictature, Ceausescu fait figure de bienfaiteur. « Il nous donnait du travail,
nous pouvions faire soigner nos enfants à l’hôpital, on ne vivait pas si mal que ça, car on
avait de quoi manger », résume Ilinca, la grand-mère de Maria, qui ouvre la porte de son
petit studio. Malgré la misère qui règne dans les couloirs de cette HLM et la précarité des
appartements, les habitants préservent un minimum de propreté. Des chaussures pleines
de boue sont rangées devant l’entrée. Des tapis aux couleurs vives recouvrent une partie
des murs : on y voit des cygnes immaculés glisser sur un lac en regardant une princesse
qui sourit. « Ça nous fait rêver, c’est un spectacle paisible, nous on aime la paix »,
explique Ilinca. La paix, c’est justement ce qui risque de disparaître dans le ghetto de
Zabrauti. Depuis qu’un Roumain d’origine rom a agressé mortellement une Italienne, à
Rome, le 30 octobre 2007, la vague de racisme anti-Roms frappe encore plus fort.

L’effet Romulus. La Roumanie concentre la plus forte population rom de toute l’Union
européenne. Officiellement, elle en compte 537 000. Mais, selon leurs leaders, les Roms
seraient au moins 1,5 million, voire 2 millions, sur 22 millions de Roumains. Lors des
recensements, beaucoup d’entre eux cachent leur identité rom, qu’ils n’aiment pas trop
voir inscrite sur les papiers officiels. Car, pour les Roumains, il y a toujours trop de
« Tsiganes ». L’intégration de leur pays à l’Union européenne, le 1er janvier 2007, a
provoqué une véritable vague migratoire vers l’Occident ! Parmi les 2,5 millions de
Roumains partis travailler à l’Ouest, beaucoup sont des Roms à la recherche d’une vie
meilleure. Leur départ a été fêté par les Roumains. « C’est très bien qu’ils soient partis ,
résume l’ingénieur Cristian Georgescu. Les Occidentaux vont enfin découvrir cette peste.
Ils nous reprochaient toujours de ne pas les intégrer, maintenant, ils n’ont qu’à essayer
eux-mêmes. Je leur souhaite bonne chance. » L’hémorragie de Roms vers l’Ouest ne
suscite chez lui aucun état d’âme. « Les Tsiganes sont partis et basta. C’est plutôt une
bonne nouvelle, on ne dira plus que nous sommes racistes », conclut l’ingénieur. Bien
qu’il avoue une pénurie de main-d’oeuvre sur son chantier, il précise qu’il
n’embaucherait des Roms qu’à l’article de la mort. Pourtant, l’Ouest n’est pas la terre
promise que cherchent les Roms nomades depuis qu’ils sont partis de l’Inde, au Moyen
Age, avant d’arriver en Europe. Sans travail, sans sécurité sociale, ils se heurtent à
l’hostilité des Européens et, dans le meilleur des cas, à leur indifférence. Leur kit de
survie, c’est la mendicité, parfois agressive, le vol et la prostitution, quand ils ne sont pas
embrigadés dans les réseaux d’esclavage que leur impose leur hiérarchie selon des règles
non écrites. Dans certains villages roumains, une petite mafia richissime s’est fait
construire des palais dignes de Disneyland. Mais, hormis une minorité de Roms qui s’en
sortent grâce à la musique qu’ils jouent en virtuoses, la majorité d’entre eux semble
condamnée au statut de parias. Après avoir fermé les yeux sur les bidonvilles qui
poussaient à la périphérie de Rome, les autorités italiennes ont découvert soudainement le
problème rom. Début novembre 2007, il revêt un visage, celui de Romulus Mailat. Ce
jeune Rom que ses parents avaient baptisé Romulus en référence aux origines latines des
Roumains, est accusé d’avoir tué une Transalpine. Du jour au lendemain, Roumains et
Roms confondus deviennent l’objet d’une surenchère médiatique. Les autorités s’affolent
à Rome, elles décrètent l’expulsion immédiate des étrangers qui représentent un danger
pour la sécurité nationale. Sans le dire expressément, le décret visait les Roumains, dont
une soixantaine ont été expulsés dans leur pays en l’espace d’un mois. « C’est une
méthode facile pour gagner la sympathie de l’électorat aussi bien en Italie qu’en
Roumanie , explique Magda Matache, présidente de l’association Romani Criss. Il était
pourtant évident que la Roumanie n’allait pas adhérer à l’UE uniquement avec sa
population riche et sa classe moyenne, mais aussi avec sa population pauvre et ses
problèmes. »

Un relent nazi. L’effet boomerang a été immédiat. Les Roumains, qui attendent depuis
dix-huit ans la liberté de circuler en Europe, redoutent que ce précieux sésame puisse être
remis en question à cause de la minorité rom. Le racisme anti-Roms atteint actuellement
des sommets en Roumanie. Exaspéré par la confusion entretenue par les Occidentaux
entre les Roumains et les Roms, le ministre roumain des Affaires étrangères, Adrian
Cioroianu, avait déclaré le 2 novembre qu’il songeait à acheter un morceau de désert pour
y déporter les Roms. « C’est une déclaration totalitaire, extrémiste, à caractère nazi, a
déclaré l’avocat rom Marian Mandache. Nous ne l’acceptons pas et nous demandons la
démission du ministre. » Mais le ministre est toujours là, après avoir présenté ses excuses
et précisé que la déportation des Roms n’était pas prévue dans l’immédiat. « Les dix ans
de boulot que j’ai faits dans ma communauté ont été effacés d’un seul coup », avoue le
jeune militant rom Ciprian Necula. Pour couronner le tout, au lieu d’apaiser le climat, le
Sénat de Bucarest n’a rien trouvé de mieux que de dépêcher en Italie le nationaliste
Vadim Tudor. Celui qui avait promis de déporter les « Tsiganes » se voyait ainsi confier
un rôle de médiateur pour résoudre le problème rom. Au même moment, dans un studio
de Zabrauti de 3 mètres sur 4, où vit une famille de sept Roms, c’est la colère. « Ce
Romulus Mailat est un criminel et il doit être puni ! Mais c’est injuste que pour la bêtise
d’un seul d’entre nous on fasse payer tous les Roms », se désole la vieille Ilinca. Maria,
sa petite-fille, n’a pas quitté des yeux le tapis kitsch accroché au mur : « Grand-mère, ne
pleure pas, lui dit-elle doucement , notre princesse va nous protéger. » 3
COMMENTAIRE(S) mariolo doudou Merci mercredi 13 février | 08:27 Pour ce très bon
article, moi qui joue de la musique avec des Amis tsiganes de Nantes et qui travaille dans
l’insertion professionnelle, je suis très sensible à ce sujet qui pose de nombreux
problèmes des deux côtés de la barrière en pays nantais, et il faut se rassembler autour
d’une table de médiation, mais avec des représentant roms, ne pas les exclure du débat et
parler au nom d’eux ! On sait bien que les absents ont toujours tort ! gavali Détresse des
indésirables dimanche 10 février | 11:00 J’ai apprécié le ton de cet article, tout à fait
d’accord pour le mot "paria" (mot tamoul qui désigne les Intouchables dans le Sud de
l’Inde) mais en tant que Rromni française je désirerais y ajouter quelques remarques. 1)
96 % (statistiques de l’OSCE) des Rroms sont sédentaires. Peu voyagent par choix, les
autres parce qu’on les chasse. 2) Je n’ai pas séjourné dans le ghetto rrom de Bucarest
mais dans celui de Sofia (l’été) et malgré l’extrême misère ça ne sentait pas mauvais. 3)
J’ai travaillé six ans et demi comme interprète avec Médecins du Monde dans les
bidonvilles de l’Île de France et nous étions émerveillés de voir, dans une telle
déréliction, des intérieurs de cabanes propres et décorés, mais aussi les corps des
consultants très propres, les enfants si bien tenus quand l’eau était rare et lointaine. 4) Les
Rroms ne regrettent pas Ceaucescu pour lui mais regrettent le régime qui leur donnait du
travail. Maintenant, avec cette chère libéralisation, on n’embauche plus les Rroms (90 %
de chômage dans les Balkans). 5) The last but not the least : Mailat n’est pas un nom
rrom : le père de Romulus et plusieurs professeurs de linguistique, sans compter des
flopées de Roumains l’ont déclaré. Alors pas d’amalgame, c’est trop dangereux. Je
terminerai par la mendicité : je n’ai jamais vu de mendicité agressive. Quant à la
prostitution elle est tabou dans nos coutumes. Alain K. Bravo ! vendredi 8 février | 19:04
Quel bel article de presse courageux et sérieux, signé par un journaliste roumain, sur ce
grave problème qui concerne toute l’Europe. Mais à quand son pendant en roumain dans
un journal de Bucarest ?

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