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Warren Montag
2008/2 n° 33 | pages 79 à 90
ISSN 0292-0107
ISBN 9782915547597
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-multitudes-2008-2-page-79.htm
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Locke et
le concept
d’inhumain
Warren Montag
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dans le sens que lui donne Locke dans le Deuxième Traité, est
déterminée non pas par les attributs physiques ou comportementaux,
mais par un simple choix moral et politique : «se référer» (ou ne pas se
référer) à la raison, ou la loi de la nature. Locke le dit nettement : cette
loi «à laquelle chacun est obligé de se soumettre et d’obéir»… «rien qu’en
s’[y] référant». Le simple choix de se référer à la raison a pour consé-
quence l’imposition d’une obligation à laquelle personne, ayant consenti
à se référer à la raison, ne peut résister, ni même désirer le faire. J’ai
introduit ici un terme qui n’apparaît pas, il est vrai, dans les formulations
de Locke relatives à l’état de nature, mais qui permet d’éclairer
l’ensemble de sa théorie politique. L’expression «rien qu’en se référant
à la raison» laisse ouverte la possibilité que quelques «hommes» (les
guillemets s’imposent ici) choisissent de ne pas s’y référer. Ainsi, avant
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ses obligations. Avec eux, affirme Locke, «il ne peut y avoir de société
ni de sûreté».
Si le moindre doute subsiste quant au sens de cette dernière
phrase, Locke devient plus explicite au début du Chapitre III : ceux
qui ont abjuré les lois de la raison et ne reconnaissent d’autre règle
que «celle de la force et de la violence» : «on peut […] les traiter comme
les bêtes de proie, ces créatures dangereuses et nocives, qui vous
détruiront à coup sûr chaque fois que vous tomberez en leur pouvoir.»
(III: 16). Selon l’argumentation de Locke, c’est alors l’existence même
des criminels qui est intolérable : leur existence est incompatible avec
celle de l’espèce humaine qu’ils ont abjurée : ils «détruiront à coup
sûr» les hommes assez malchanceux pour tomber en leur pouvoir.
C’est donc simultanément une nécessité naturelle et morale carac-
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Qui sont ces monstres, ces bêtes de proie sous forme humaine que
Locke cherche à associer au loup, au lion et au tigre ? On n’en
trouve qu’un exemple concret, qu’une seule illustration dans le
Deuxième Traité et sa formulation paraît sous bien des aspects
«malheureuse» : «Ainsi ce voleur, auquel je ne peux faire aucun mal,
sauf en recourant à des voies de droit, s’il m’a dérobé tout ce que je
possède, je peux le tuer quand il m’attaque, pour m’arracher ne
serait-ce que mon cheval ou mon manteau ; dès lors que la loi, établie
pour ma conservation, ne peut pas s’imposer dans l’immédiat pour
protéger, contre les actes de violence, ma vie, dont la perte est irré-
parable, elle me donne le droit de me défendre et celui de faire la
guerre, c’est-à-dire la faculté de tuer l’agresseur ; car celui-ci ne me
laisse pas le temps de former un recours devant notre juge commun
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contre-espèce, non pas pour ce qu’il a fait mais pour ce que, en tant
qu’il est inhumain, on le présume capable de faire.
Une contre-espèce ? Peut-il exister une autre espèce, l’espèce
composée d’individus jadis humains qui ont dégénéré par leurs actes
volontaires ? Le récit de Locke laisse entendre cette possibilité et la
suspend d’un même mouvement. Ses illustrations et exemples
impliquent toujours des individus solitaires («l’agresseur», «l’Indien»)
et la guerre elle-même, généralement envisagée comme un conflit
entre groupes, se réduit au strict minimum : «donne à l’homme le
droit de faire la guerre à l’agresseur» (III: 19). Il convient certaine-
ment d’observer que le récit de l’agression passe de la troisième
personne («l’homme» a «le droit de faire la guerre à l’agresseur ; même
dans l’état social et s’il s’agit d’un concitoyen») à la première dans
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