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l'essai cinématographique
est-il possible?
Réda Bensmaïa
Ce texte a été présenté à une session spéciale de la MLA de 1994 sur l'essai
en cinéma. Il avait été conçu pour être lu en regard de certaines séquences
du film de Jean-Luc Godard, Scénario du film Passion. Dans cette version,
j'ai supprimé tout ce qui se rapportait à ces séquences et ai donc été forcé
d'orienter le texte sur les seuls aspects "formels" de l'essai cinématographi-
que. Ce texte reste malgré tout marqué par les circonstances (orales) qui en
ont conditionné la présentation.
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11 est bon, pensait-il, que par égard pour le lecteur, dans le dis-
cours de l'essai passe de temps à autre un objet sensuel (ailleurs,
dans Werther, passent tout à coup des petits pois cuits au beurre,
une orange qu'on pèle et dont on sépare les quartiers). Double
bénéfice : apparition somptueuse d'une matérialité et distorsion,
écart brusque imprimé au murmure intellectuel (Roland Barthes,
138.).
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autre. Si tel était le cas, il n'y aurait aucun critère "objectif pour
comprendre ce qui fait que malgré la diversité des "suppositions" et
des objets qui entrent en jeu dans un essai, le lecteur/spectateur ex-
périmente malgré tout une réelle unité. Ce qui est sûr en tout cas,
c'est l'impossibilité où se trouve le poéticien de donner un schéma
tout fait, une "Forme" unique ou des règles concertées d'avance: en-
core une fois, ce qui caractérise le mieux l'essai, c'est la liberté fon-
damentale qu'il présente face aux règles de composition du texte
"classique". Les essais de Barthes [je pense à des textes comme Le
plaisir du texte, ou aux Fragments d'un discours amoureux, par exemple]
tout comme ceux de Godard [voir Scénario du film Passion] semblent
trouver leur bien dans les produits du hasard et constamment prêts
à modifier leur parcours en cours d'écriture ou de tournage. Les
films de J.L. Godard eux-mêmes le montrent du reste bien : leur al-
lure d'improvisation perpétuelle ["à sauts et gambades" comme di-
rait Montaigne] porte la marque d'une spontanéité de "bricoleur"
qui décourage constamment toute tentative d'arraisonnement. Ce
qui le caractérise le mieux, c'est cette logique si particulière de la pa-
linodie et du bricolage en même temps qu'une rigueur qui interdit
de penser qu'aucun principe ne préside à l'agencement des frag-
ments qui entrent en jeu dans la composition de ses films. Comme
l'a bien relevé encore une fois G. Mouillaud : "[Ce] bricolage a ses
lois organiques, entre autres la loi qui précisément donne d'abord
l'impression du décousu : chaque morceau est lié à son contexte par
un rapport discordant, de façon à rendre impossible la participation
sans problème" (Ibid., 116).
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paient. Bon nombre d'entre eux ont relevé que la citation y jouait un
rôle essentiel (de clin d'œil, mais aussi de déplacement critique, de
court-circuitage idéologique, etc.), mais personne à ma connaissan-
ce ne s'est aventuré à tenter de mettre en évidence à quelle "écono-
mie textuelle" et partant à quel "régime d'écriture et de lecture" ce
véritable "travail de la citation" renvoyait. C'est encore, dans la ré-
flexion de Roland Barthes sur l'essai et les "objets" qui le traversent
que j'ai cru trouver une réponse à ces questions.
En effet, pour Barthes, s'il y a une logique propre à l'essai, c'est
celle qui parvient à se démarquer de celle qui préside à l'élaboration
du "système" philosophique. S'il y a des "éléments", ils ne sont ho-
mogènes ni au concept ni à la notion. Pour Barthes, ce qui caracté-
rise l'écriture essayistique, c'est la mise en place d'une "structure
fondamentale de l'écart" qui, chez l'essayiste, vient constamment re-
mettre en question la double tentation qu'offre et le système philo-
sophique et la rhétorique classique de la "composition" : soit, d'une
part la clôture du texte (et du discours) comme Totalité ("organi-
que") et la Maîtrise du sens comme Vérité. C'est à partir de ce refus
que Barthes a cru pouvoir "définir" la nature des "objets" qui en-
traient en jeu dans tout véritable essai :
Les gestes de l'idée : le sujet lacanien (par exemple) ne lui fait pas
penser à la ville de Tokyo, mais Tokyo lui fait penser au sujet la-
canien (...); la philosophie n'est plus alors qu'une réserve d'ima-
ges particulières, de fictions idéelles (il emprunte des objets, non
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Works Cited
Barthes, Roland. Roland Barthes par Roland Barthes. Paris: Seuil, 1975.
—. Sade, Fourier, Loyola. Paris: Seuil, 1964.
—. Le plaisir du texte. Paris: Seuil, 1973.
—. Roland Barthes par Roland Barthes. Paris: Seuil, 1975.
—. Fragments d'un discours amoureux. Paris: Seuil, 1977.
Genot, Gérard. "'L'Adieu d'Ophélie', Pour une sémiologie de l'hétérotopie". Revue d'esthé-
tique 3-4. Paris: 10/18, 1978.
Mouillaud, Geneviève. "Les essais de Jean-Luc Godard". La pensée 122 (Août 1965).
Tel quel. 47 (Automne 1971).
Notes
1. Cf. G. Genot, "'L'Adieu d'Ophélie', pour une sémiologie de l'hétérotopie", Revue
d'Esthétique, # 3-4,1978, 10/18.
2. Cf. Geneviève Mouillaud, "Les essais de Jean-Luc Godard", in La Pensée, # 122, Août
1965, p. 116.
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