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1~’ L’ÉTUDE DE CAS AU SERVICE DE LA RECHERCHE i!/L
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“1:4 INTRODUCTION damentalesdecettetechniquedevouloirrendrecomp-
te de phénomènes qui se manifestent dans des contex-
tes qui évoluent. L’étude de cas cherche alors à faire
L’étude de cas est une méthode largement utilisée pour apparaîtrelatrajectoiresuivieparlesphénomènesétu-
des fins d’enseienement tant dans les universités sue diés afin d’en relever les particularités. C’est une autre ;_i
kr dans les ce”tres”de formation, plus spécialement dans de ses caractéristiques de chercher à décrire la com- 1”
\,3 le domaine des sciences administratives. Ce procédé plexitéd’unesituationafind’éclairerlesliensmultiples ,;
“1 peut aussi être d’un apport précieux en recherche et il et dynamiques qui unissent les divers éléments. Sou- pi
1’; a dë fait été régulièrement utilisé en sociologie, en venten recherche lesexigencesdecontrôleobligentà li
Itll anthropologie et en sciences politiques. Cependant, le réduirelenombred’élémentsconsidérés.AvecI’étude II
i:: sujet est relativement peu traité dans la littérature scien- de cas, on s’efforce de faire l’inverse; on l’utilise pré-
tifique. Cet article propose une revue de l’étude de cas cisément en vue d’entrer sur cette scène de la com-
outil de recherche, principalement dans la plexité pour en saisir les éléments et les processus les
de la recherche qualitative. plus déterminants.

L’étude de cas consiste donc à rapporter une situation


réelle, prise dans son contexte, et à l’analyser pour
;* découvrir comment se manifestent et évoluent les phé-
1. CERNONS LE SUJET nomènes auxquels le chercheur s’intéresse. Un des
11
Ii intérêts de l’étude de cas consiste alors à fournir une
!Y:
situation où l’on peut observer le jeu d’un grand nom- 11
11 YIN (1984) présente l’étude de cas comme « une en-
bre de facteurs interagissant ensemble, ce qui permet F$
FJ quête empirique qui étudie un phénomène contempo-
de rendre compte de la complexité et de la richesse des 11
;? rai” dans SO” contexte de vie réelle, où les limites entre
situations comportant des interactions humaines, et de
11 le phénomène et le contexte ne sont pas nettement
faire état des significations que leur attribuent les ac-
“j évidentes, et dans laquelle des sources d’information
teurs concernés.
multiples sont utilisées » (p. 23). LESSARD-HEBERT et
i i al. (1990), s’inspirant entre autres de DE BRUYNE et al.,
HUBERMAN et MILES (19911, de même que YIN b/
expliquent qu’il s’agit d’un mode d’investigation parti-
(19841, traitent l’étude de cas comme une catégorie “1
1 culièrement ouvert aux caractéristiques du monde réel. spécifique. MUCCHIELLI (1991~) pour sa part l’insère
STAKE (1994) précise qu’un cas : <g est un système P
parmi les techniques d’analyses situationnelles, ce à ;;,I
Intégré » ; ses composantes n’ont pas à bien fonction-
quoi “qus souscrivons car, comme l’explique STAKE :,,!
ner ; elles sont comme on les trouve dans la réalité.
(1994), « le cas est d’un intérêt secondaire ; il joue un 1;
id Au&me”t dit, un cas n’a pas à être un exemple de
rôle de support, facilitant notre compréhension de F*,
il quélque chose ou un modèle à suivre ; c’est d’abord et
>., quelque chose d’autre » (p. 237). Le cas sous étude i’i
LT:, avant tout un système comportant ses propres dynami-
fournit en fait un site d’observation permettant de dé- /;!
‘{ ques qui demandent à être explicitées et qui feront
couvrir et de suivre à la trace des processus particuliers, :’
l’objet d’une recherche méthodique.
mais il est lui-même accessoire. C’est un prétexte, ou
vue sous l’angle de la recherche, l’étude de cas plutôt une occasioti pour observer, analyser des dyna- ,,
est.« une technique particulière de cueillette, de miqurs et en extraire des conclusions susceptibles $
en forme et de traitement de l’information qui d’enrichir l’univers des connaissances. Ce serait exces- 1.1
à rendre compte du caractère évolutif et sif d’élever ce procédé au rang de méthode de recher- \;
complexe des phénomènes concernant un systPme che. Comme le suggère MUCCHIELLI, c’est l’une des ‘1
soci.al comportant ses propres dynamiques » (COL- techniques disponibles pour faire de l’analyse situa- 11 ,<;
1996). C’est l’une des caractéristiques fon- tionnelle.

Recherche en soins infirmiers N” 50 -Septembre 1997


2. RECHERCHE QUALITATIVE 1991 ; ‘COLLERETTE, 19951, qui cherche à saisir les
ET RECHERCHE QUANTITATIVE phénotiènes réels vécus en situation, avec l’intention
de formuler des théories ou des modèles permettant
d’intwpréter (saisir le sens) des phénomènes, et d’en
YIN (1984) explique que l’étude de cas peut servir prédire éventuellement le cours. La démarche induc-
autant dans le cadre de recherches quantitatives que de tive consiste à travailler à partir d’observations tirées
recherches qualitatives. Lorsqu’utilisée dans un con- d’utie ou plusieurs situations pour graduellement for-
texte de recherches quantitatives, on cherche’à consti- maliser les données obtenues et évoluer vers une théo-
tuer une sorte d’échantillon de plusieurs cas,qui de- rie..Elle cherche donc à faire émerger la connaissance
viennent autant de sujets qui feront Ikhjet de à partir de la réalité. Elle s’utilise principalement dans
comparaisons pour faire apparaître les constantes et les les situations où un travail de déblayage sur un sujet
différences entre eux. La logique de ce type de kcher- donné n’a pas déjà été réalisé, ou encore pour les cas
che suppose que le traitement des informations pour où un premier effort de modélisation n’a pas déjà été
chacun des cas aura été fait à partir d’une grille stand- fait. La -démarche déductive pour sa part consiste à
ardisée, qui rendra les données comparables, avec passer d’une représentation théorique à une vérifica-
moins d’égard pour les éléments originaux qui échap- tion sur un cas particulier, pour ensuite revenir sur la
peraient à cette grille. Cette approche a entre autres été représentation théorique et l’améliorer, et ainsi de
utilisée pour comparer les pratiques d’agriculteurs suite. Elle cherche donc à vérifier la qualité d’une
américains (ROGERS, 1983). élaboration théorique tout en respectant la complexité
et la fluidité des phénomènes dans leur contexte natu-
Dans les recherches quantitatives, on est probablement rel, et,en tenant compte de leurs significations pour les
à la limite de la définition d’une étude de cas. En effet, acteurs.
le chercheur est moins attentif aux phénomènes spéci-
fiques, évolutifs et complexes de la situation; II met son L’étude de cas peut emprunter autant la forme induc-
tive que la forme déductive. Elle peut servir à faire
observation au service de l’accumulation d’informa-
émerger des phénomènes, leur évolution et la significa-
tions qui pourront ensuite être compilées et comparées.
tion qu’ils ont pour les acteurs concernés, tout comme
L’étude de cas constitue alors principalement une stra-
tégie de cueillette et d’organisation des données brutes, elle peut servir à vérifier si une élaboration théorique
rend compte adéquatement des phénomènes présents
l’analyse devant porter principalement sur les données
dans diverses situations.
agrégées. Dans ces situations, les critères de validité
qui sont appliqués sont ceux de la tradition positiviste,
ce qui peut rendre les choses difficiles car le contrôle
des divers facteurs agissant sur les situations peut s’avé-
rer impossible, la validité de l’échantillon peut être
mise en doute facilement et les possibilités de traite- 3. UNE TECHNIQUE SCIENTIFIQUE ?
ment statistique des données peuvent être limitées.

C’est sans doute dans la pratique de la recherche qua- Lorsqu’elle est utilisée dans le cadre d’une recherche
litatiwque l’on peut le mieux tirer profit des propriétés quantitative, la technique de l’étude de cas doit se
de l’étude de cas. Mentionnons quelques traits distinc- conformer aux exigences de rigueur, de contrôle et de
tifs de la recherche qualitative pour mieux mettre en reproductivité du positivisme scientifique pour que les
lumière la contribution que peut y apporter la techni- résultats.obtenus soient jugés crédibles. Dans le con-
que de l’étude de cas. VAN DE VEN et ROGERS (1988), texte, d’une recherche qualitative, la situation est un
se référant à EISENBERG (1986), disent que « la ques- peu plus complexe. Comme la tradition scientifique est
tion centrale dans la recherche qualitative est la signi- dominée par le positivisme, il faut souvent faire une
fication ». MUCCHIELLI (1991) ajoute que «‘cette acti- démonstration serrée de la rigueur de la méthodologie
vité d’analyse se fait sans grille de lecture a priori des suivie pour établir la valeur des conclusions tirées. En
phénomènes. On recherche des « formes », des « ré- plus, il faut faire valoir que la recherche qualitative
currences », un « sens global »... Cette n recherche s’évalue avec des critères différents de la recherche
sans filet » constitue le caractère le plus spécifique des quantitative parce qu’elle s’inscrit dans un paradigme
analyses qualitatives ». de recherche différent, ayant sa propre épistémologie.

Les méthodes qualitatives se caractérisent par une dé- Le positivisme scientifique a créé l’impression large-
marche tantôt inductive (MICCHIELLI, 1991 b), tantôt ment répandue que l’expérimentation contrôlée cons-
déductive ou confirmative (HUBERMAN et MILES, titue la seule véritable méthode de production du sa-
L’ÉTUDE DE CAS AU SERVICE DE LA RECHERCHE

voir (KUHN, 1970), et a du même coup établi une sorte conforme aux exigences de la recherche qualitative
de nonne dans le milieu de la recherche, voulant que (MUCCHIELLI, i 991 c).
les méthodes quantitatives soient les seules valides. II
se trouve de plus en plus de spécialistes pour contester
cette croyance (MUCCHIELLI, 1991~ ; ~m4uRhws,
1987 ; MORIN, 1990) et proposer d’autres concep-
tions. Nous n’entrerons pas dans le coeur de ce débat ; 4. À QUOI SERT L’ÉTUDE DE CAS ?
rions nous limiterons à poser comme postulat que I’ac-
cès au savoir peut emprunter des voies diverses, et que
chacune comporte ses facteurs de contingence. Si les L’étude de cas s’avère particulièrement utile dans les
méthodes quantitatives sont particulièrement indi- situations où l’on veut éclairer les comment et les
quées dans certaines circonstances, les méthodes qua- pourquoi des phénomènes, dans les situations où les
litatives le sont tout autant dans d’autres. De surcroît, chercheurs ont peu de contrôle sur les événements
dans le domaine des sciences humaines et sociales, les étudiés, et dans les situations où l’attention est dirigée
approches quantitatives et qualitatives peuvent sans vers des phénomènes contemporains dans un contexte
doute cohabiter et se complêter dans un même pro- de vie réelle (YIN, 1984 ; EISENHARDT, 1989 ;
gramme de recherche, que ce soit à différents stades SMELTZER et ZENER, 1992). Comme le dit YIN (1984),
d’une recherche ou pour examiner un objet sous des l’étude de cas est appropriée lorsque l’on s’intéresse
angles variés. Ces deux grandes approches relèvent davantage aux liens dans le temps qui unissent des
d’une épistémologie différente et permettent en consé- éléments, qu’aux fréquences ou aux incidences, et cela
quence d’accéder à des ordres de connaissance diffé- plus spécialement lorsque les liens sont trop complexes
rents, tout aussi réels et importants. L’enjeu n’est pas de pour des stratégies d’enquêtes ou des stratégies expéri-
déterminer si l’une ou l’autre est valide, mais bien de mentales.
circonscrire leurs criteres de validité à l’intérieur même
de leur paradigme. L’étude de cas est utile aussi pour tirer des apprentissa-
ges d’événements qui se produisent rarement, comme
Dans le domaine de la recherche qualitative, on ne par exemple étudier l’efficacité d’une procédure d’ur-
peut pas juger de la valeur d’une étude de cas avec des gence pour le personnel infirmier dans le cas d’un
critères de validité statistique comme on le fait en incendie d’un hôpital. C’est une situation très rare qui
recherche quantitative. Comme le dit YIN (19841, et se prêterait mal à un traitement par échantillon. Par
cette conception est partagée par d’autres auteurs, < les contre, une étude attentive d’une reconstitution précise
études de cas, comme les expérimentations, peuvent permettrait d’apprendre des choses fort utiles, ce qui
être généralisables à des propositions théoriques et non n’empêcherait pas le recours à des données quantjtati-
à des populations ou des univers. En ce sens, l’étude de ves pour décrire certains aspects de la situation. Etant
cas, comme l’expérience, ne représente pas un échan- par définition réalisée à posteriori l’étude de cas, serait
tillon, et le but de l’investigateur est d’enrichir et de particulièrement pertinente ici.
généraliser des théories (généralisation analytique) et
non d’énumérer des fréquences (généralisation statisti- On peut également y recourir pour des situations qui
que) » (p. 21). sans être rares, semblent particulièrement riches en
informations. La fameuse étude de cas réalisée par
STAKE (1994) note que si on aborde l’étude de cas sur ALLISON (1971) sur le processus décisionnel ayant
une base de représentativité, son intérêt épistémologi- entouré la tentative d’invasion de la Baie de Cochons à
que semble faible, mais que si on l’aborde sous un Cuba illustre bien cette utilisation de l’étude de cas. À
angle qualitatif, on peut « apprendre des choses impor- titre d’exemple, prenons la question de recherche sui-
tantes à partir d’à peu près n’importe quel cas. le vante : comment s’opère le processus décisionnel chez
potentiel d’apprentissage est un critère différent de la une infirmière aux prises avec des demandes simulta-
représentativité et parfois supérieur » fp. 243). Ainsi nées de soins provenant de plusieurs patients en état de
une des qualités de l’étude de cas est de fournir des trauma ? Cette situation n’est pas vraiment rare. II est
éléments nouveaux sur un sujet, qui pourront enrichir toutefois difficile d’obtenir des informations à son sujet
ou nuancer une théorie. La question de la représentati- car il s’agit de processus internes chez l’acteur. La
vité perd alors de son sens au profit de la question de technique de l’étude de cas, avec la collaboration de
la qualité du cas lui-même pour l’enrichissement qu’on l’acteur, permettrait de reconstituer le processus suivi
peut en tirer dans le processus de construction d’une pour le scénariser et le documenter. Dans une appro-
théorie (EISENHARDT, 1989). II faut par ailleurs s’assu- che inductive, on pourrait procéder avec plusieurs étu-
rer que le travail de préparation et d’analyse du cas se des de cas et les comparer pour détecter les récurrences
et établir si une modélisation est possible. Dans une la scknce. Par exemple, un médecin étudie les carac-
approche déductive, on pourrait comparer un modèle téristiques d’une maladie rare chez un patient.
prédictif de l’efficacité d’un modèle de prise de déci-
L’étude de cas instrumentale traite d’une situation qui
sion, avec les résultats des diverses études de’tas pour
compprte un grand nombre de traits typiques par rap-
valider ou invalider le modèle, ou encore!6 modifier
port à l’objet d’étude, fournissant une occasion d’étude
en vue de le parfaire.
à potentiel élevé. Par exemple, une infirmière choisit
Quelle approche serait la plus efficace pour une equipe d’étudier le processus de récupération post-opératoire
de soin ayant à transiger avec un patient et sa famille chez un patient pour qui le pronostic était sombre, mais
récemment arrivés du tiers-monde ? Le rec&~rs à une qui montre une grande détermination à recouvrer ses
standardisation a priori serait peu efficace dans une capacités. L’auteur a réalisé en 1995 une étude de cas
telle situation. Non seulement on perdrait de vue les de type instrumentale dans un établissement pour ma-
aspects dynamiques de la relation, mais en plus il serait lades chroniques ; la situation décrite et analysée a
difficile de rendre compte des significations de la situa- permis d’examiner dans un même site la plupart des
tion tant pour le personnel infirmier que pour le patient phénomènes habituellement présents lors d’un effort
et sa famille, qui ne partagent pas les mêmes référents de changement dans une organisation. STAKE estime
culturels. L’étude de cas, constituée après des entrevue que l’étude de cas instrumentale est particulièrement
avec les acteurs en cause et après observation, permet- indiquée dans les situations où le chercheur veut illus-
trait de mettre en lumière l’évolution de la relation, les trer des phénomènes préalablement définis dans un
incidents critiques ayant influencé son cours, la contri- modèle théorique, ce qui était notre cas.
bution des schèmes culturels dans la progression des
L’étude de cas de type multiple consiste à identifier des
interactions, l’influence des attentes respectives à
phénomènes récurrents parmi un certain nombre de
l’égard des rôles et des statuts, et ainsi de suite. Le
situations. Par exemple, une équipe de recherche étu-
chercheur devrait sans doute constituer plusieurs étu-
die la dynamique interactionnelle de plusieurs familles
des de cas pour enrichir progressivement son modèle
qui comptent un jeune enfant atteint d’un cancer.
ou encore pour tester celui qu’il aurait préalablement
élaboré. YIN (1984) aborde les choses sous un angle différent. II
distingue entre des études de cas uniques et des études
Complexité des phénomènes, souci pour les processus
de cas multiples. L’étude de cas multiples est du même
évolutifs, recherche des significations pour les acteurs,
type que celle définie par STAKE alors que l’étude de
reconstitution de scénarios, rareté d’un phénomène,
cas unique quant à elle regroupe les types intrinsèque
difficulté à objectiver ou standardiser l’information,
et instrumental. L’étude de cas unique suppose une
sont autant de motifs qui justifient le recours à l’étude
analyse en profondeur des divers aspects d’une situa-
de cas comme technique de recherche. tion pour en faire apparaître le5 éléments significatifs et
Bien que cette technique puisse à première vue sem- les liens qui les unissent, dans un effort pour saisir la
bler facile à utiliser à cause de son aspect anecdotique, dynamique particulière de cette situation. Une « raison
le critère de facilité ne doit pas être celui qui amène à qui justifie l’usage d’une étude de cas unique, c’est
la choisir. En effet, malgré les apparences, elle est lorsqu’elle représente un cas-type permettant de tester
complexe et demande beaucoup de temps, la narration une théorie bien formulée. (...) Pour confirmer, mettre
elle-même ne représentant qu’une toute petite partie à l’épreuve ou enrichir la théorie, il peut se trouver un
du travail, bien qu’elle exige une sélection minutieuse cas rencontrant toutes les conditions permettant de le
et structurée de l’information. faire. » (YIN, 1984, p. 43). La recherche que l’auteur a
réalisée dans un établissement pour malades chroni-
ques’correspond exactement à cette description ; il a
voulu tester les propositions d’un modèle théorique
5. LES TYPES D’ÉTUDES DE CAS préliminaire et les enrichir.

Selon STAKE (19941, on peut classer les études de cas


en trois catégories : intrinsèques, instrumentales et 6. COMMENT PRÉPARER
multiples. UNE ETUDE DE CAS 1
L’étude de cas intrinsèque porte sur un cas ayant un
caractère unique ou très rare, ou encore difficile d’ac- De façon concrète, on peut distinguer trois grands
cès pour la science, et susceptible de permettre de stades dans la production d’une étude de cas : I’élabo-
découvrir des choses qui ne sont pas déjà connues de ration du cadre général de la recherche, la cueillette
des informations et la mise en forme du cas, l’analyse siste à recourir à une logique de “patternmatching”,
du cas. Une telle logique compare des phénomènes empiri-
ques avec des phénomènes prédits (ou avec des prédic-
Au niveau du cadre général, YIN (1984) estime que le tions alternatives) » (p: 103). La stratégie inductive de
plan de recherche devrait comporter cinq composantes son côté consiste à induire un modèle théorique à partir
indispensables, qui sont typiques d’une recherche qua-
des phénomènes récurrents qui apparaissent.
litative bien faite (MUCCHIELLI, 1991~) : une question
de recherche, ses propositions (s’il en est), son (ses) Pour illustrer la démarche de préparation d’une étude
unité(s) d’analyse, la logique qui relie les données aux de cas, nous allons utiliser la situation fictive suivante :
propositions, et les critères pour interpréter les observa- une chercheuse en soins infirmiers dans un centre de
tions b (p. 29). cardiologie veut connaître les besoins de soutien du
milieu naturel éprouvés par les personnes ayant survé-
Pour la cueillette de l’information, YIN explique que les
cu à une attaque cardiaque, et elle veut le faire à l’aide
informations requises pour préparer une étude de cas
proviennent habituellement de six sources : des docu- de l’étude de cas.
ments, des archives, des entrevues, l’observation di- Pour préparer le cadre de sa recherche :
recte, l’observation participante et des objets physi-
ques. Le chercheur doit s’obliger à recourir à plusieurs - elle devrait préciser sa question de recherche ; par
sources d’information pour s’assurer d’avoir couvert exemple <t dans les trois mois suivant une attaque car-
l’objet d’analyse sous divers angles (principe de trian- diaque, quels comportements de la famille immédiate
gulation). (conjoint et enfants) du patient lui fournissent un sou-
La mise en forme du cas lui-même pose le problème tien qu’il recherche ? » ;
particulier de la sélection des informations à retenir.
- elle devrait formuler un cadre théorique et des
HUBERMAN et MILES (1991) suggèrent de bien clari-
propositions. Celles-ci devraient découler d’une revue
fier le sujet à étudier afin d’être capable de ne retenir
que les informations qui y sont liées. Ils suggèrent aussi de la~littérature sur le sujet et prendre la forme d’hypo-
de procéder avec une matrice dont la forme sera con- thèses formelles, ou d’énoncés descriptifs. S’il s’agit
Fue pour les besoins spécifiques du cas, permettant d’un sujet peu documenté, elle devra en faire état, et
ainsi de bien cibler les caractéristiques que l’on désire alors soit utiliser une approche inductive pour faire
étudier. En d’autres termes, il faut bien définir l’angle apparaître un premier modèle, soit élaborer un modèle
par lequel on veut examiner la situation et structurer la théorique provisoire dérivé des connaissances traitant
présentation d’une manière qui rende intelligible le de questions semblables ;
type de phénomènes auxquels on s’intéresse. Ils expli- - elle devrait cerner son unité d’analyse, c’est-à-dire
quent que l’on trouve dans une étude de casdeux
préciser et circonscrire l’objet de son étude. Par exem-
niveaux de compréhension. Le premier niveau porte
sur la narration de la situation étudiée dans le cas ; on ple, elle étudiera la problématique des hommes mariés
de plus de 40 ans ayant des enfants et qui en sont à leur
devrait pouvoir y suivre aisément l’évolution des évé-
nements et trouver les éléments pertinents pour en premier incident cardiaque. Elle pourrait ici établir si
saisir les divers aspects. L’autre niveau, d’un ordre elle utilisera l’étude de cas unique ou multiple. Imagi-
d’abstraction supérieur, porte sur les significations. II nons que cette chercheuse aurait choisi l’étude de cas
inclut l’analyse et l’explication du cas ; le lecteur doit multiple afin d’avoir accès à diverses variantes sur le
pouvoir saisir les liens de causalité circulaire entre les sujet. Elle devra aussi préciser les types d’informations
évenements qui sont présentés. Traitant plus spécifi- qu’elle recueillera pour étudier le phénomène ;
quement du niveau descriptif et citant BERNARD - elle devrait expliquer en quoi les informations
(1988), ils disent qu’il s’agit de « rendre des choses
qu’elle veut recueillir et analyser sont pertinentes et
compliquées compréhensibles (...) » (p. 432). Ajoutons
suffisantes pour alimenter son sujet d’étude. Elle devrait
que la narration de la situation et de son évolution doit
être faite à partir du point de vue des acteurs et celui du à cette occasion déterminer les sources d’informations
narrateur. qu’elle compte utiliser. II faudrait sûrement qu’elle
conduise des entrevues avec les patients ainsi que
En ce qui concerne l’analyse du cas, YIN (1984) expli- quelques membres de leurs familles. Elle devrait con-
que que l’on peut recourir à une stratégie inductive ou sulter les notes au dossier du médecin traitant pour voir
à une stratégie déductive. La stratégie déductive con- l’évolution du patient. Elle pourrait observer la dynami-
siste à s’appuyer sur des propositions théoriques à que familiale afin d’en documenter les éléments parti-
vérifier : « une des stratégies les plus souhaitables con- culiers, etc. ;
- elle devrait spécifier les critères qu’elle utilisera La prépwation du cas expose le chercheur à une sélec-
pour analyser les informations recueillies et leur don- tivité inconsciente s’il n’y prête garde. Si la préparation
ner un sens, du cas permet de relever des aspects qui seront source
Imaginons qu’elle a décidé d’étudier six situations dif- d’apprentissage, en même temps la sélection et le trai-
férentes. Elle devrait recueillir les mêmes types.d%for- tement qui sont faits de l’information sur la situation
découlent déjà d’un apprentissage sur cette situation,
mations sur chaque situation pour ensuite rédiger cha-
cune des histoires de cas. Si chacun des casdevrait lequel risque de voiler des aspects qui ne sont pas
rapporter la même sorte d’information, la narration de conformes aux croyances à priori du chercheur. II faut
chacun devrait par ailleurs faire apparaître les traits donc être prudent et s’assurer d’avoir bien rapporté la
particuliers de chaque situation. En d’autres termes; situation. telle qu’elle a été vécue par les acteurs con-
chaque cas devrait être écrit pour rendre compte de sa cernés.
dynamique propre. Ainsi, la chercheuse devrait rappor- Pour la préparation du cas, nous proposons trois règles
ter les situations et les événements critiques témoignant
fondamentales et minimales qui devraient être respec-
des besoins des patients par rapport à leur famille,
tées par le chercheur rigoureux, soucieux d’une rédac-
d’une part en décrivant les dynamiques familiales et
tion qui respecte la réalité des acteurs. D’une part, le
d’autre part en montrant leur évolution dans le temps. chercheur doit recourir à la triangulation (ZAMANOU
Pour être validée, chaque narration devrait être relue
et GLASER, 1989 ; ZAJC, 1989 ; YIN, 1984 ; HUBER-
par les acteurs concernés, c’est-à-dire les patients de
MAN et MILES, 1991) et donc utiliser plusieurs sources
même que les membres de leur famille.
d’information. D’autre part, il doit constituer une ban-
Chaque cas devrait ensuite faire l’objet d’une analyse que d’informations à laquelle quiconque peut retour-
spécifique. La grille d’analyse devrait contenir les indi- ner au besoin ; il s’agit d’une sorte de fichier primaire
cateurs identifiés dans le cadre de la recherche et être où sont colligées toutes les notes et données permettant
la même pour les six cas. II faudrait néanmoins que la de remonter aux sources. Enfin, il doit soumettre son
grille autorise l’ajout d’informations nouvelles appa- texte à des acteurs avant vécu la situation afin qu’ils
raissant en cours d’analyse. Dans le cas d’une appro- repèrent les erreurs, ‘les biais, et afin qu’ils puissent
che inductive, l’analyse devrait entre autres servir à enrichir ,des aspects qui seraient négligés
repérer les phénomènes récurrents et leur évolution. (SCHATZMAN et STRAUSS, 1973 ; HUBERMAN et
Une façon de faire serait de les quantifier à l’aide d’une MILES, 1991).
matrice ; une autre serait de les disséquer au fur et à
mesure de leur apparition pour en expliciter le sens et En ce qui concerne l’analyse du cas, il n’existe pas
en saisir les mécanismes. Une fois l’analyse de chaque vraiment de méthode formelle et chaque chercheur
cas terminée et les phénomènes dominants isolés, il doit développer son propre style. Sur le plan des prin-
resterait à comparer les six analyses pour voir quelles cipes, on doit se rabattre sur les deux stratégies propo-
constances apparaissent, pour ensuite en tirer des pro- sées par YIN. Ainsi dans le cas d’une approche déduc-
positions théoriques. Une variante consisterait à con- tive on doit s’appuyer sur des propositions théoriques à
fronter ces constances avec le modèle préliminaire vérifier en utilisant une logique d’appariement ; on
déjà élaboré pour en établir la qualité prédictive et compare méthodiquement les phénomènes empiriques
pour le corriger au besoin. avec les phénomènes prédits. Dans le cas d’une appro-
che inductive, on étudie minutieusement les situations
Dans le cas d’une approche déductive, l’analyse de- observées pour induire un modèle théorique à partir
vrait comporter une comparaison méthodique des phé- des phénomènes récurrents. YIN note que l’on peut
nomènes apparaissant dans chaque cas avec les propo-
coder les informations recueillies pour en faire un trai-
sitions du modèle théorique provisoire afin d’établir tement statistique et tenter de faire apparaître des ten-
celles qui sont fondées, afin d’enrichir ou de modifier dances, mais il reconnaît que c’est une approche limi-
celles qui le nécessitent, et afin d’en retrancher ou d’en tée, qui entre autres fait perdre la perspective globale
ajouter pour rendre justice à la situation. du cas, l’une des richesses de la recherche qualitative,

HUBERMAN et MILES (1991) de leur côté suggèrent de


7. QUELQUES RÈGLES se doter de matrices pour organiser l’information de
façon méthodique et ainsi accroître la rigueur dans
Plusieurs éléments peuvent introduire de la distorsion l’analyse ; en fait, c’est un moyen d’éviter d’errer au gré
aux divers stades de la préparation d’une étude de cas, des fantaisies de l’analyste. Ils recommandent de cons-
et c’est pourquoi le chercheur doit s’imposer des règles truire la grille d’analyse après la rédaction du cas afin
qui garantiront la rigueur de sa démarche, d’éviter le risque d’une trop grande sélectivité a priori
dans la rédaction. Dans une recherche de type déduc- Toutefois, avant de se lancer dans l’aventure d’une
tive, la grille devrait être assez structurée pour faciliter étude de cas, il faut s’assurer d’avoir accès à toutes les
l’appariement des informations, mais devrait aussi pré- informations requises pour documenter la situation. II
voir la possibilité d’ajouter des catégories pour rendre faut aussi savoir faire preuve de persévérance car il
compte de phénomènes qui n’avaient pas été anticipés. s’agit d’un travail long qui demande beaucoup de mi-
Dans une recherche de type inductive, la grille devrait nutie et qui suppose le traitement de beaucoup d’infor-
être construite au fur et à mesure que progresse I’ana- mation. La cueillette de l’information est exigeante, la
lyse, en regroupant les éléments observés, afin de faire rédaction du cas est une opération délicate et son
émerger la théorie graduellement. analyse demande beaucoup de soin.

Au-delà des moyens eux-mêmes, il faut insister sur


l’importance que le chercheur se dote d’outils d’ana-
lyse qui le contraindront à s’attarder aux éléments
significatifs de la situation, à ne pas négliger des élé- BIBLIOGRAPHIE
ments importants, et à ne pas s’écarter des significa-
tions que la situation a pour les acteurs.
ALLISON (C.T.) (1971). - Essence of Decision : Fx-
Nous reprenons une mise en garde très importante plaining the Cuban M i s s i l e Crisis. Boston, Liffle-
formulée par YIN (1984). La généralisation, à partir Brown.
d’une étude de cas, ne doit pas être automatique :
« une théorie doit être testée par la reproduction des COLLERETTE (P.) (1996). - In Dictionnaire des métho-
résultats dans un second et même un troisième voisi- des qualiratives en sciences humaines et sociales. Sous
nage (site) où la théorie est présumée reproduire les la direction de Alex Mucchielli. Armand Colin, Paris.
mêmes résultats » (p, 40). En conséquence, lorsque
l’on travaille avec un cas unique pour tester une théo- COLLERETTE (PJ (1995). - Les enjeux communica-
rionnels de /a gestion d ‘un changement dans une
rie, il faut éviter une généralisation hâtive. On doit
organisation. Thèse de doctorat. Montpellier, Universi-
plutôt considérer le résultat comme un modèle provi-
soire qui demande à être vérifié à nouveau dans d’au- té Paul Valéry.
tres situations avant d’espérer pouvoir le généraliser. DESLAURIERS (J.P.) (1987). - Les méthodes de /a
recherche qualitative. Québec, Presses de l’Université
II ne faut pas faire jouer à l’étude de cas le rôle de du Québec.
révélateur absolu du réel ; c’est une technique qui
permet, par un jeu d’itérations entre la réalité et la EISENBERG (E.M.) (1984). - Ambiguity as Strategy in
théorie, de formaliser et d’enrichir un modèle théori- Organizational Communication. CommunicaTion Mo-
que, et ce n’est qu’après plusieurs applications de ce nographs, Vol. 51, September 1984, p. 227-242.
modèle, lorsqu’il s’est stabilisé, que l’on peut espérer
proposer une certaine généralisation théorique. EISENHARDT (R.M.) (1989). - Building Theories from
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Si la technique de l’étude de cas permet de s’approcher volurion. Chicago, University of Chicago Press.
de la fluidité et de la complexité des situations humai-
nes et sociales, il est indispensable qu’elle soit utilisée LESSARD-HÉBERT CM.), COYETTE CG.), BOUTIN CG.)
de façon très méthodique et très rigoureuse pour pro- (1990). - Recherche qualitative : fondements et prati-
duire des résultats crédibles. C’est là le défi que cette ques. Montréal, Editions Agence d’Arc.
technique pose au chercheur. S’il sait le relever, il MORIN CE.1 (1990). - Inrroduction à /a pensée com-
disposera d’un outil précieux pour produire des con- plexe. Paris, ESF éditeur.
naissances nouvelles ou révisées, et c’est un outil qui
présente d’excellentes qualités pédagogiques pour la MUCCHIELLI (A.) (1991). - Les situations de commu-
diffusion de ces connaissances. nication. Éditions Eyrolles.
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Recherche en soins infirmiers N” 50 - Septembre 1997

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