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1~’ L’ÉTUDE DE CAS AU SERVICE DE LA RECHERCHE i!/L
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“1:4 INTRODUCTION damentalesdecettetechniquedevouloirrendrecomp-
te de phénomènes qui se manifestent dans des contex-
tes qui évoluent. L’étude de cas cherche alors à faire
L’étude de cas est une méthode largement utilisée pour apparaîtrelatrajectoiresuivieparlesphénomènesétu-
des fins d’enseienement tant dans les universités sue diés afin d’en relever les particularités. C’est une autre ;_i
kr dans les ce”tres”de formation, plus spécialement dans de ses caractéristiques de chercher à décrire la com- 1”
\,3 le domaine des sciences administratives. Ce procédé plexitéd’unesituationafind’éclairerlesliensmultiples ,;
“1 peut aussi être d’un apport précieux en recherche et il et dynamiques qui unissent les divers éléments. Sou- pi
1’; a dë fait été régulièrement utilisé en sociologie, en venten recherche lesexigencesdecontrôleobligentà li
Itll anthropologie et en sciences politiques. Cependant, le réduirelenombred’élémentsconsidérés.AvecI’étude II
i:: sujet est relativement peu traité dans la littérature scien- de cas, on s’efforce de faire l’inverse; on l’utilise pré-
tifique. Cet article propose une revue de l’étude de cas cisément en vue d’entrer sur cette scène de la com-
outil de recherche, principalement dans la plexité pour en saisir les éléments et les processus les
de la recherche qualitative. plus déterminants.
C’est sans doute dans la pratique de la recherche qua- Lorsqu’elle est utilisée dans le cadre d’une recherche
litatiwque l’on peut le mieux tirer profit des propriétés quantitative, la technique de l’étude de cas doit se
de l’étude de cas. Mentionnons quelques traits distinc- conformer aux exigences de rigueur, de contrôle et de
tifs de la recherche qualitative pour mieux mettre en reproductivité du positivisme scientifique pour que les
lumière la contribution que peut y apporter la techni- résultats.obtenus soient jugés crédibles. Dans le con-
que de l’étude de cas. VAN DE VEN et ROGERS (1988), texte, d’une recherche qualitative, la situation est un
se référant à EISENBERG (1986), disent que « la ques- peu plus complexe. Comme la tradition scientifique est
tion centrale dans la recherche qualitative est la signi- dominée par le positivisme, il faut souvent faire une
fication ». MUCCHIELLI (1991) ajoute que «‘cette acti- démonstration serrée de la rigueur de la méthodologie
vité d’analyse se fait sans grille de lecture a priori des suivie pour établir la valeur des conclusions tirées. En
phénomènes. On recherche des « formes », des « ré- plus, il faut faire valoir que la recherche qualitative
currences », un « sens global »... Cette n recherche s’évalue avec des critères différents de la recherche
sans filet » constitue le caractère le plus spécifique des quantitative parce qu’elle s’inscrit dans un paradigme
analyses qualitatives ». de recherche différent, ayant sa propre épistémologie.
Les méthodes qualitatives se caractérisent par une dé- Le positivisme scientifique a créé l’impression large-
marche tantôt inductive (MICCHIELLI, 1991 b), tantôt ment répandue que l’expérimentation contrôlée cons-
déductive ou confirmative (HUBERMAN et MILES, titue la seule véritable méthode de production du sa-
L’ÉTUDE DE CAS AU SERVICE DE LA RECHERCHE
voir (KUHN, 1970), et a du même coup établi une sorte conforme aux exigences de la recherche qualitative
de nonne dans le milieu de la recherche, voulant que (MUCCHIELLI, i 991 c).
les méthodes quantitatives soient les seules valides. II
se trouve de plus en plus de spécialistes pour contester
cette croyance (MUCCHIELLI, 1991~ ; ~m4uRhws,
1987 ; MORIN, 1990) et proposer d’autres concep-
tions. Nous n’entrerons pas dans le coeur de ce débat ; 4. À QUOI SERT L’ÉTUDE DE CAS ?
rions nous limiterons à poser comme postulat que I’ac-
cès au savoir peut emprunter des voies diverses, et que
chacune comporte ses facteurs de contingence. Si les L’étude de cas s’avère particulièrement utile dans les
méthodes quantitatives sont particulièrement indi- situations où l’on veut éclairer les comment et les
quées dans certaines circonstances, les méthodes qua- pourquoi des phénomènes, dans les situations où les
litatives le sont tout autant dans d’autres. De surcroît, chercheurs ont peu de contrôle sur les événements
dans le domaine des sciences humaines et sociales, les étudiés, et dans les situations où l’attention est dirigée
approches quantitatives et qualitatives peuvent sans vers des phénomènes contemporains dans un contexte
doute cohabiter et se complêter dans un même pro- de vie réelle (YIN, 1984 ; EISENHARDT, 1989 ;
gramme de recherche, que ce soit à différents stades SMELTZER et ZENER, 1992). Comme le dit YIN (1984),
d’une recherche ou pour examiner un objet sous des l’étude de cas est appropriée lorsque l’on s’intéresse
angles variés. Ces deux grandes approches relèvent davantage aux liens dans le temps qui unissent des
d’une épistémologie différente et permettent en consé- éléments, qu’aux fréquences ou aux incidences, et cela
quence d’accéder à des ordres de connaissance diffé- plus spécialement lorsque les liens sont trop complexes
rents, tout aussi réels et importants. L’enjeu n’est pas de pour des stratégies d’enquêtes ou des stratégies expéri-
déterminer si l’une ou l’autre est valide, mais bien de mentales.
circonscrire leurs criteres de validité à l’intérieur même
de leur paradigme. L’étude de cas est utile aussi pour tirer des apprentissa-
ges d’événements qui se produisent rarement, comme
Dans le domaine de la recherche qualitative, on ne par exemple étudier l’efficacité d’une procédure d’ur-
peut pas juger de la valeur d’une étude de cas avec des gence pour le personnel infirmier dans le cas d’un
critères de validité statistique comme on le fait en incendie d’un hôpital. C’est une situation très rare qui
recherche quantitative. Comme le dit YIN (19841, et se prêterait mal à un traitement par échantillon. Par
cette conception est partagée par d’autres auteurs, < les contre, une étude attentive d’une reconstitution précise
études de cas, comme les expérimentations, peuvent permettrait d’apprendre des choses fort utiles, ce qui
être généralisables à des propositions théoriques et non n’empêcherait pas le recours à des données quantjtati-
à des populations ou des univers. En ce sens, l’étude de ves pour décrire certains aspects de la situation. Etant
cas, comme l’expérience, ne représente pas un échan- par définition réalisée à posteriori l’étude de cas, serait
tillon, et le but de l’investigateur est d’enrichir et de particulièrement pertinente ici.
généraliser des théories (généralisation analytique) et
non d’énumérer des fréquences (généralisation statisti- On peut également y recourir pour des situations qui
que) » (p. 21). sans être rares, semblent particulièrement riches en
informations. La fameuse étude de cas réalisée par
STAKE (1994) note que si on aborde l’étude de cas sur ALLISON (1971) sur le processus décisionnel ayant
une base de représentativité, son intérêt épistémologi- entouré la tentative d’invasion de la Baie de Cochons à
que semble faible, mais que si on l’aborde sous un Cuba illustre bien cette utilisation de l’étude de cas. À
angle qualitatif, on peut « apprendre des choses impor- titre d’exemple, prenons la question de recherche sui-
tantes à partir d’à peu près n’importe quel cas. le vante : comment s’opère le processus décisionnel chez
potentiel d’apprentissage est un critère différent de la une infirmière aux prises avec des demandes simulta-
représentativité et parfois supérieur » fp. 243). Ainsi nées de soins provenant de plusieurs patients en état de
une des qualités de l’étude de cas est de fournir des trauma ? Cette situation n’est pas vraiment rare. II est
éléments nouveaux sur un sujet, qui pourront enrichir toutefois difficile d’obtenir des informations à son sujet
ou nuancer une théorie. La question de la représentati- car il s’agit de processus internes chez l’acteur. La
vité perd alors de son sens au profit de la question de technique de l’étude de cas, avec la collaboration de
la qualité du cas lui-même pour l’enrichissement qu’on l’acteur, permettrait de reconstituer le processus suivi
peut en tirer dans le processus de construction d’une pour le scénariser et le documenter. Dans une appro-
théorie (EISENHARDT, 1989). II faut par ailleurs s’assu- che inductive, on pourrait procéder avec plusieurs étu-
rer que le travail de préparation et d’analyse du cas se des de cas et les comparer pour détecter les récurrences
et établir si une modélisation est possible. Dans une la scknce. Par exemple, un médecin étudie les carac-
approche déductive, on pourrait comparer un modèle téristiques d’une maladie rare chez un patient.
prédictif de l’efficacité d’un modèle de prise de déci-
L’étude de cas instrumentale traite d’une situation qui
sion, avec les résultats des diverses études de’tas pour
compprte un grand nombre de traits typiques par rap-
valider ou invalider le modèle, ou encore!6 modifier
port à l’objet d’étude, fournissant une occasion d’étude
en vue de le parfaire.
à potentiel élevé. Par exemple, une infirmière choisit
Quelle approche serait la plus efficace pour une equipe d’étudier le processus de récupération post-opératoire
de soin ayant à transiger avec un patient et sa famille chez un patient pour qui le pronostic était sombre, mais
récemment arrivés du tiers-monde ? Le rec&~rs à une qui montre une grande détermination à recouvrer ses
standardisation a priori serait peu efficace dans une capacités. L’auteur a réalisé en 1995 une étude de cas
telle situation. Non seulement on perdrait de vue les de type instrumentale dans un établissement pour ma-
aspects dynamiques de la relation, mais en plus il serait lades chroniques ; la situation décrite et analysée a
difficile de rendre compte des significations de la situa- permis d’examiner dans un même site la plupart des
tion tant pour le personnel infirmier que pour le patient phénomènes habituellement présents lors d’un effort
et sa famille, qui ne partagent pas les mêmes référents de changement dans une organisation. STAKE estime
culturels. L’étude de cas, constituée après des entrevue que l’étude de cas instrumentale est particulièrement
avec les acteurs en cause et après observation, permet- indiquée dans les situations où le chercheur veut illus-
trait de mettre en lumière l’évolution de la relation, les trer des phénomènes préalablement définis dans un
incidents critiques ayant influencé son cours, la contri- modèle théorique, ce qui était notre cas.
bution des schèmes culturels dans la progression des
L’étude de cas de type multiple consiste à identifier des
interactions, l’influence des attentes respectives à
phénomènes récurrents parmi un certain nombre de
l’égard des rôles et des statuts, et ainsi de suite. Le
situations. Par exemple, une équipe de recherche étu-
chercheur devrait sans doute constituer plusieurs étu-
die la dynamique interactionnelle de plusieurs familles
des de cas pour enrichir progressivement son modèle
qui comptent un jeune enfant atteint d’un cancer.
ou encore pour tester celui qu’il aurait préalablement
élaboré. YIN (1984) aborde les choses sous un angle différent. II
distingue entre des études de cas uniques et des études
Complexité des phénomènes, souci pour les processus
de cas multiples. L’étude de cas multiples est du même
évolutifs, recherche des significations pour les acteurs,
type que celle définie par STAKE alors que l’étude de
reconstitution de scénarios, rareté d’un phénomène,
cas unique quant à elle regroupe les types intrinsèque
difficulté à objectiver ou standardiser l’information,
et instrumental. L’étude de cas unique suppose une
sont autant de motifs qui justifient le recours à l’étude
analyse en profondeur des divers aspects d’une situa-
de cas comme technique de recherche. tion pour en faire apparaître le5 éléments significatifs et
Bien que cette technique puisse à première vue sem- les liens qui les unissent, dans un effort pour saisir la
bler facile à utiliser à cause de son aspect anecdotique, dynamique particulière de cette situation. Une « raison
le critère de facilité ne doit pas être celui qui amène à qui justifie l’usage d’une étude de cas unique, c’est
la choisir. En effet, malgré les apparences, elle est lorsqu’elle représente un cas-type permettant de tester
complexe et demande beaucoup de temps, la narration une théorie bien formulée. (...) Pour confirmer, mettre
elle-même ne représentant qu’une toute petite partie à l’épreuve ou enrichir la théorie, il peut se trouver un
du travail, bien qu’elle exige une sélection minutieuse cas rencontrant toutes les conditions permettant de le
et structurée de l’information. faire. » (YIN, 1984, p. 43). La recherche que l’auteur a
réalisée dans un établissement pour malades chroni-
ques’correspond exactement à cette description ; il a
voulu tester les propositions d’un modèle théorique
5. LES TYPES D’ÉTUDES DE CAS préliminaire et les enrichir.