synthèse

Le leader narrateur
Savoir recourir au "storytelling" pour développer son influence

T radition ancestrale, raconter

des histoires a été de tout
temps la principale façon de
transmettre des savoirs et des valeurs.
Les grands livres religieux - Bible, Torah,
et en créant une cohérence entre les
divers éléments qui la composent.

"Raconter des histoires" a souvent

Didier Avril, série Storytelling
Nos sources
Cette synthèse s’appuie en particulier
sur les publications citées ci-dessous
et présentées en dernière page.
Le storytelling en action,
Olivier Clodong, Georges Chétochine,
Les Editions d’Organisation, 2010,
183 pages.
Les sept règles du storytelling,
John Sadowsky, Loïck Roche,
éd. Pearson Village Mondial, 2009,
163 pages.
The Story Factor, Annette Simmons,
éd. Basic Books 2006, 320 pages.
Coran, etc. - transmettent depuis des
siècles des valeurs et une vision du mon-
de au travers d’une série d’histoires.
Les grandes idées des philosophes grecs
- au premier rang desquels Socrate -
nous ont été léguées dans toute leur
subtilité grâce à de fabuleux conteurs
d’histoires tels que Platon. Les contes
et légendes transmettent nos croyances
et nos valeurs, tout comme l’histoire
du soir racontée par le grand-père
qui borde son petit-fils… Nietzsche
montrait qu’un groupe définit son
identité autour de ses propres histoires.
De fait, dans une entreprise, la culture
se forme avant tout par le biais des anec-
dotes et événements racontés et répétés
inlassablement par ses salariés…
Et pour cause ! Raconter une histoire
est le mode de communication le plus
en phase avec la façon dont s’organise
notre pensée, expliquent les spécialistes.
En effet, ce sont les observations
auxquelles nous donnons un sens que
nous inscrivons le plus fortement dans
notre mémoire. Or l’histoire crée du
sens, en mettant en scène des faits
une connotation négative. Certains
stigmatisent une technique de manipu-
lation, voire une prise de pouvoir par
l’imaginaire au détriment de la raison
et de l’intelligence. Dans l’univers
rationnel qu’est l’entreprise, le récit
a naturellement peu sa place. Seuls
quelques leaders osent tenir en haleine
un public le temps de lui conter
l’histoire destinée à l’inspirer dura-
blement. La majorité des dirigeants et
managers préfèrent la structure rassu-
rante d’une présentation "Powerpoint"
logique et factuelle, menant naturel-
lement leur public à la conclusion
désirée.
Et pourtant… De plus en plus, chacun
sent qu’une approche purement
rationnelle ne suffit pas à influencer
durablement ses interlocuteurs. Dans
la continuité du marketing qui a donné
du sens à la marque en s’appuyant sur
des histoires scénarisées, de nombreux
leaders s’efforcent aujourd’hui de tirer
parti du pouvoir des histoires. Ainsi,
ce que l’on nomme aujourd’hui "com-
munication narrative" ou "storytelling"
revient sur le devant de la scène…

Dans cette synthèse… focus analyse focus

Argumentation logique Les clés de l’efficacité Dans quelles situations
et histoires : deux du storytelling faire appel à des histoires ?
outils d’influence
complémentaires

Le leader narrateur  manageris ©2010 – n° 187b 1

 focus

Argumentation logique et histoires :

deux outils d’influence complémentaires

L’enjeu
Le monde de l’entreprise est un univers essentiellement rationnel. Formés à l’analyse logique, maîtrisant
parfaitement les raisonnements sophistiqués, les dirigeants ont naturellement tendance à recourir à l’argumentation
lorsqu’ils s’efforcent de convaincre leurs interlocuteurs. En témoigne l’omniprésence des présentations
"Powerpoint" dans les conventions et autres comités de direction. Or ces discours structurés et clairement articulés
ne sont pas la seule voie pour emporter l’adhésion, loin de là ! Oser raconter des "histoires" est une approche que
bon nombre de dirigeants gagneraient à inclure dans leur panoplie d’outils d’influence.

Des bénéfices à comparer

Argumentation logique et histoires tirent leur efficacité de fonctionnements radicalement différents.

argumentation logique histoire

Emporte l’adhésion par la raison Emporte l’adhésion par l’émotion

•• Votre interlocuteur se plie à la logique et accède •• Votre interlocuteur s’engage car il est convaincu
)

à votre point de vue. "au fond de lui".

•• Sur la durée, il revient à son point de vue d’origine •• Pour transmettre le message à ses équipes, il doit
)

dès qu’il trouve un argument en faveur de sa position. s’approprier l’histoire pour la raconter de manière
authentique.

La démonstration a une unique conclusion L’auditeur tire ses propres conclusions

•• Vous maîtrisez le message. •• Votre interlocuteur adhère à la conclusion puisqu’il

)

s’agit de la sienne.
•• Si l’un des arguments paraît peu crédible ou mérite
••
)

d’être nuancé, votre interlocuteur risque de remettre Différentes interprétations d’une même histoire
)

en cause l’ensemble de la conclusion. sont possibles.

Simplifie pour se focaliser sur l’essentiel Présente les différentes facettes d’une situation

•• Votre interlocuteur comprend facilement •• Votre interlocuteur constate que vous avez compris
)
)

votre message. la situation dans sa complexité.

•• ••
La réalité est souvent plus complexe et subtile Le message n’est pas explicite. Votre interlocuteur
)
)

que l’argumentation ne le laisse supposer. Le message peut aboutir à des conclusions différentes de ce que
est rarement assez nuancé pour être totalement crédible. vous souhaitez communiquer.

Se mémorise facilement… à court terme Marque l’esprit

•• La mémoire sait où stocker les arguments logiques : •• Bien racontée, une histoire fait jaillir des émotions
)
)

la logique permet de les retrouver. qui facilitent sa mémorisation durable.

•• ••
Les arguments se mémorisent à court terme ; Une histoire est difficile à mémoriser dans tous
)
)

mais sans émotion associée, ils s’inscrivent mal ses détails. Il est alors difficile de la transmettre
dans la mémoire à long terme. à d’autres.

2 manageris ©2010 – n° 187b Le leader narrateur


Les clés de l’efficacité
du storytelling
S e lancer dans l’exercice de
"raconter une histoire" en contexte
professionnel est parfois bien
intimidant, tant cela semble être réservé
aux orateurs nés - à l’image de Martin
Luther King, Winston Churchill,
Charles de Gaulle, Jack Welch ou Barack
Obama… tous légendaires conteurs
d’histoires. Et pourtant, chacun d’entre
nous est capable de raconter à un enfant
une histoire qui captivera son attention
et dont il reparlera pendant des jours.
Chacun est capable
de raconter une histoire
qui influencera
efficacement son public.
Nous avons tous vécu des expériences
dont les enseignements pourraient
être utiles à d’autres. De même, tout
dirigeant se doit d’avoir une vision, des
valeurs, une stratégie, un plan d’action
pour atteindre ses objectifs… Bref,
nous avons tous à notre disposition le
matériau dont sont faites les histoires.
L’erreur est de croire que l’art de
conter des histoires vient spontané-
ment. Bien au contraire, les meilleu-
res histoires - celles qui semblent les
Cinq pratiques permettent
d’optimiser l’efficacité
d’une histoire…
Le leader narrateur
plus spontanées et naturelles - sont
souvent les mieux préparées. Ainsi,
Winston Churchill - l’un des plus
grands conteurs d’histoires de la vie
politique - était connu pour préparer
de façon quasi maniaque ses histoires,
pesant chaque mot, chaque détail,
chaque intonation, testant maintes fois
leur formulation auprès de ses proches.
Grâce à quoi ses histoires étaient de
celles qui galvanisaient les foules, et
dont on parle encore 50 ans plus tard !
L’efficacité d’une histoire se travaille
donc, et suppose d’y consacrer de réels
efforts, en visant trois objectifs :
Retenir l’attention
Une histoire ne fonctionne que si
elle suscite une écoute attentive de
l’auditeur : c’est la condition pour
que celui-ci s’y projette et fasse le lien
avec sa propre situation. Une histoire
devenue légende en Union Soviétique
est celle du mineur Alekseï Stakha-
nov, qui avait atteint quatorze fois la
norme d’extraction de charbon lors
d’un concours. Tous les patrons d’usi-
nes racontaient cette histoire avec
emphase et émotion… L’histoire
enthousiasmait, au point qu’il n’était
nul besoin de préciser qu’on attendait
désormais de chacun des mineurs de se
surpasser à l’image de Stakhanov.
1 Préparer des histoires authentiques
2 Ancrer son histoire dans la réalité
3 Chercher à susciter des émotions
4 Impliquer son public dans l’histoire
5 Répéter inlassablement son l’histoire
analyse
Marquer durablement
Pour être efficace, une histoire doit
entrer dans la légende - même s’il
ne s’agit que de la légende de votre
équipe – et être racontée par ceux qui
l’ont entendue. C’est ainsi qu’ils se
l’approprient et qu’elle parvient à in-
fluencer leurs comportements. Chez
Apple, les nombreuses histoires concer-
nant les débuts de Steve Jobs continuent
de circuler dans les couloirs. Chacun
connait l’histoire du développement
du premier Apple dans un garage, par
des équipes qui se voyaient comme des
"pirates" prêts à se battre jusqu’au bout
dans un monde hostile à leurs idées…
Susciter la confiance
La frontière entre influence et
manipulation est toujours ténue. Pour
exercer son pouvoir d’influence sans
susciter de rejet, une histoire doit
inspirer confiance en son narrateur.
Barack Obama a excellé dans cet
exercice lors de sa campagne présiden-
tielle en 2008. Les nombreuses histoires
qu’il a racontées sur sa famille - la
maladie de sa mère et ses difficultés
avec le système de santé, les origines
africaines de son père, etc. - ont forte-
ment contribué à lui gagner la confiance
du public.
 manageris ©2010 – n° 187b 3

Check-list
Pour identifier les histoires qui vous
ressemblent, engagez-vous dans un
voyage intérieur :
• Quels ont été les hauts de votre vie ?
A quels moments avez-vous fait preuve
d’une grande énergie ? Qu’est ce
qui vous motivait particulièrement ?
Par quoi étiez-vous guidé ?
• A l’inverse, quels souvenirs négatifs
vous ont marqués ? Qu’en avez-vous
appris ? Ces expériences ont-elles
contribué à forger vos valeurs ?
Ont-elles changé vos comportements ?
• Certaines rencontres ont-elles
été déterminantes pour vous ?
Qu’est-ce qui vous a frappé chez ces
personnes ? Qu’ont-elles fait - en bien
ou en mal – qui vous ait fait évoluer ?
• Quelles histoires vous a-t-on racontées
qui ont eu une forte portée pour vous ?
Auxquelles de vos valeurs faisaient-
elles référence ?
D’après Les sept règles du storytelling,
John Sadowsky, Loïck Roche,
éd. Pearson Village Mondial, 2009.
"Les leaders les plus efficaces commencent par se regarder dans un miroir. "
Noel Tichy, The Leadership Engine
A retenir
Pour être marquante, une histoire
doit être simple, mais étoffée de
suffisamment
de détails pour que votre interlocuteur
ait l’impression de la vivre réellement :
• Personnalisez vos histoires. Donnez
le nom du personnage principal,
décrivez les traits marquants de son
aspect physique, faites connaître sa
personnalité… Donnez l’impression à
vos interlocuteurs qu’ils le connaissent !
• Prenez le temps de "planter le
décor". Votre interlocuteur doit pouvoir
visualiser la scène. Donnez des détails :
où la scène s’est-elle passée ? quel
temps faisait-il ? que faisiez-vous là ?
• Faites appel à tous les sens. Votre
interlocuteur doit être immergé dans
votre récit. Décrivez les couleurs,
les odeurs, les bruits, une sensation…
• Veillez néanmoins à faire simple.
Il vous faut trouver l’équilibre entre
être suffisamment spécifique pour être
marquant, mais pas trop long pour ne
pas lasser votre auditoire.
4 manageris ©2010 – n° 187b
1re clé du succès
Préparer des histoires authentiques
Quelle que soit l’histoire que vous Pour cela, un exercice d’introspection
racontez, celle-ci révèle en partie qui est très utile. Les auteurs de Les sept
vous êtes. Vous l’avez choisie. C’est règles du storytelling recommandent
donc qu’elle est importante pour vous. de se poser systématiquement trois
Les valeurs ou la vision qu’elle transmet questions : Qui êtes-vous ? Que repré-
sont les vôtres et celles que vous voulez sentez-vous ? Quelle empreinte voulez-
partager. vous laisser sur votre entreprise et plus
Pour être crédible, il est essentiel que généralement sur le monde ? Ainsi,
vous soyez parfaitement à l’aise avec Michael Dell raconte régulièrement à
son contenu, de façon ses interlocuteurs com-
à pouvoir la raconter Votre histoire doit ment, dès son enfance,
avec passion. Si vous sonner juste et vous il discutait "opportu-
n’y croyez pas vraiment, "ressembler". nités commerciales" à
votre langage non ver- table avec ses parents.
bal - attitude, gestes, ton de la voix - sera Et comment, à l’âge de 12 ans, il a fait
presque inévitablement en décalage avec sa première expérience du commerce
le contenu du récit. Vos interlocuteurs ne en lançant un catalogue de timbres
manqueraient pas de le percevoir, et de permettant aux collectionneurs d’éviter
douter de votre sincérité. de passer par un commissaire-priseur.
La première étape pour devenir un Cette histoire communique mieux que
bon conteur d’histoires est de vous n’importe quelle explication sa convic-
constituer un répertoire d’histoires tion forte que la désintermédiation est la
auxquelles vous croyez et qui transmet- voie de l’avenir. Et contribue à sa crédibi-
tent les valeurs qui vous sont chères. lité comme génie précoce du commerce.
2e clé du succès
Ancrer son histoire dans la réalité
L’efficacité d’une histoire tient à ce mangé pendant un an, chaque jour, des
qu’elle permet à son auditeur ou son sandwiches à la moutarde. Une telle
lecteur de s’y projeter, de se mettre à histoire a une portée bien plus grande
la place des protagonistes pour vivre que n’importe quelle démonstration
par procuration la situation, ressentir abstraite ! En témoigne la réponse
leurs émotions, et tirer par lui-même les laconique d’un supporter à qui on
leçons de cette expérience. demandait pourquoi il était venu
Pour y parvenir, il est important de soutenir Barack Obama : "Je suis ici à
personnaliser l’histoire, autour des cause d’Ashley".
personnages for ts, Pour permettre cette
distinctifs, nomina- L’histoire doit être projection, les détails,
tifs. Ainsi, pour faire suffisamment précise en particulier visuels
passer ses idées sur la et détaillée pour que sa et sensoriels, sont
réforme du système de réalité semble évidente. essent i el s. A i n s i ,
santé américain, Barack l’ histoire d’A shley
Obama a beaucoup raconté l’histoire pourra être accompagnée d’une photo
d’Ashley, une petite fille de 9 ans dont de son visage volontaire, ou la rencon-
la mère, atteinte de cancer, avait été tre décrite avec précision : "Lorsque
licenciée et s’était retrouvée en faillite j’ai rencontré Ashley, elle était petite
personnelle. Ashley avait réussi à et frêle dans sa robe rouge, mais ses
convaincre sa mère que le plat qu’elle yeux et sa bouche trahissaient toute sa
préférait était le sandwich à la moutarde détermination". L’auditeur pourra ain-
et aux cornichons… ce qu’elle avait pu si visualiser la scène et donc mieux la
trouver de moins cher. Elle avait donc ressentir et la mémoriser.
Le leader narrateur
3e clé du succès
Chercher à susciter des émotions Exemple
Plus qu’un message explicite, une cheur déséquilibre la vie et demande une Introduction d’un discours plaidant pour
histoire laisse des émotions. C’est de réaction." le remplacement d’une route :
là qu’elle tient son efficacité, car les La façon de narrer l’histoire est "Je suis venu par la route de la corniche
émotions ont un impact bien plus tout aussi fondamentale. Offrir à son ce matin. J’avais ma fille de 4 ans, Sarah,
durable que n’importe public des émotions avec moi. Je l’ai attachée bien serrée sur
quel argument rationnel. demande de s’exposer son siège : je savais que cette route était
Une histoire influence
dangereuse. Je roulais prudemment,
Ainsi un récit est durablement en montrant ses propres
quand une voiture est arrivée en face de
puissant s’il contient parce qu’elle provoque émotions, ses faibles-
nous… J’ai repensé en flash aux milliers
du mer veilleux , de des émotions. ses, ses angoisses, pour
de morts sur la route chaque année.
l’épopée, de la surprise, pouvoir les faire partager A ceux qui étaient morts à cet endroit
du combat, de la difficulté... c’est-à-dire à son auditoire. Il faut ainsi parler avec précis. Sans compter les blessés !
des événements qui déclenchent des passion, en modulant son ton, la force Comme vous le voyez, Sarah et moi avons
émotions. Le scénariste Robert McKee de sa voix, son rythme. Il est préférable survécu… Cette fois, le conducteur n’était
conseille dans l’article Storytelling that d’utiliser des phrases simples, brèves, pas saoul…. Cette fois, le conducteur était
Moves People de concevoir son histoire telles que sont formulées les pensées, attentif… Un jour viendrons-nous grossir
comme un scenario de film : "Une et raconter l’histoire non pas de façon les statistiques de cette route ?"
histoire exprime comment et pourquoi une chronologique, mais en y insérant ses Adapté de "The Power of Storytelling",
vie change", dit-il. "Un incident déclen- propres pensées et émotions. IESE Insight, avr./juin 2005.

"Ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire."

Voltaire, Dictionnaire philosophique.

4 clé du succès
e

Impliquer son public dans l’histoire A retenir

Pour qu’elle l’influence en pro- Kroc s’est arrêté dans un restaurant Pour que vos interlocuteurs s’approprient
fondeur, votre interlocuteur doit McDonald’s car il pouvait voir de- votre histoire, impliquez-les :
"s’approprier" votre histoire. Elle agit puis la route les ordures amoncelées • Utilisez un langage inclusif. Décrivez
ainsi comme s’il avait lui-même vécu sur le parking. Des gobelets de milk- chaque chose comme étant un
l’expérience que vous relatez. Plus vous shake vides, des boîtes "happy meal", engagement partagé.
parviendrez à raconter des serviettes en papier • N’enfermez pas vos interlocuteurs
dans une histoire trop ficelée.
votre histoire de façon L’histoire est d’autant tapissaient l’endroit.
En particulier, laissez-leur la liberté
interactive, mieux vous plus efficace qu’elle fait Kroc est entré et a
de tirer leurs propres conclusions.
obtiendrez une telle participer son auditeur, appelé le manager du
• Invitez vos interlocuteurs à réagir.
adhésion. qui se l’approprie ainsi. restaurant et lui a dit Offrir à vos interlocuteurs la possibilité
De même, laissez simplement : "nous d’intervenir dans votre histoire
vos interlocuteurs tirer par eux- avons beaucoup de travail à faire : nous ne les aidera à se l’approprier.
mêmes leurs conclusions, faute de voulons pas d’ordures sur nos sites". Tout le • Respectez leur temps. Les meilleures
quoi, ils risquent de se sentir mani- monde s’est mis au travail… y compris histoires sont des histoires courtes :
pulés. Sandra Morgan raconte dans le Kroc ! L’histoire est d’autant plus l’attention est active tout au long
Journal of Management Development efficace qu’elle s’arrête ici : chacun de l’histoire, elles peuvent être
l’histoire de Ray Kroc, alors patron de continue à réfléchir pour en tirer mémorisées, et racontées à d’autres…
McDonald. Passant à Chicago, activement les enseignements. et ainsi devenir l’histoire de ceux
qui les transmettent.

Invitez vos interlocuteurs à réagir

Même si la réponse est évidente, répondre à une question place
N’hésitez pas à recourir à des questions rhétoriques vos interlocuteurs dans l'histoire.
Ex : Et vous pensez qu'il a accepté ? Et vous, qu'auriez-vous fait ?

Si vous laissez un silence dans votre récit, vos interlocuteurs auront

Faites des pauses
tendance à le combler et donc à s’y impliquer.

Si votre public s’exclame, rit, soupire, applaudit, retient son souffle…

N’interrompez pas les manifestations d’émotions
écoutez-le, et attendez qu’il soit prêt pour reprendre votre histoire.

Faites un aparté pour tenir compte d’une réaction de votre public ;

Acceptez de perdre la maîtrise complète de votre histoire
ajustez le cas échéant le déroulement de votre histoire.

Le leader narrateur  manageris ©2010 – n° 187b 5


Check-list
Préparer une histoire consiste à définir
la trame autour de laquelle il sera
possible de développer plus ou moins
longuement l’histoire :
• Mettez en place l’environnement.
- Où se passe l’histoire ?
A quelle période ?
- Qui en sont les protagonistes ? sement raconte: "Lors-
Qu’ont-ils de remarquable qui pourrait
retenir l’attention ?
- Quel rôle y jouez-vous ?
• Clarifiez la structure de l’histoire.
- Quelle est la situation de départ ?
- Quel est l’événement marquant
susceptible de créer des émotions ?
- Comment l’histoire se finit-elle ?
• Réfléchissez au rythme.
- Sur quels aspects est-il nécessaire
de vous étendre ?
- Que pouvez-vous au contraire et en tenir compte pour l’ajuster. De
supprimer de l’histoire ou raconter plus, nous la revivons aussi, ce qui est histoire selon différentes modalités -
plus rapidement ?
- Quelles sont les transitions mentaires, que nous pourrons injecter ou en demandant à un observateur
importantes ?
5e clé du succès
Répéter inlassablement son histoire
Les bons conteurs d’histoires, à journal. Ce travail permet d’explorer
l’instar de Winston Churchill ou Jack sans cesse de nouvelles pistes d’histoires
Welch, répètent inlassablement les à tester auprès de votre entourage avant
mêmes histoires, et travaillent dur à de les développer. Il permet aussi, en
les affiner pour optimiser leur impact. écrivant sous forme de langage parlé,
Dans l’article de la Harvard Business de travailler avec une grande précision
Review The Four Truths of the Storyteller, le choix des mots, des détails senso-
un banquier d’investis- riels, des articulations,
des pauses à prévoir.
Les narrateurs les plus
que nous aidons une naturels sont ceux qui L’objectif d’un tel script
entreprise à s’introduire ont le mieux préparé n’est pas de figer le
en bourse, nous voyons leurs histoires. d i scour s, b ien au
le PDG et son équipe contraire : en étant clair
présenter leur histoire 10, 20, quelque- sur ce qui constitue la trame essentielle
fois 30 fois ! Et généralement, chaque de son histoire, le narrateur pourra plus
récit est meilleur que le précédent." facilement s’en éloigner temporaire-
En effet, lorsque nous racontons ment pour tenir compte des réactions
une histoire, nous pouvons guetter les de son auditoire, et sera ainsi d’autant
réactions de ceux qui la reçoivent, plus naturel.
De la même façon, répéter son
une source d’enseignements complé- devant une glace, en s’enregistrant,
dans notre prochain récit. Le travail de ses réactions - est la meilleure façon
répétition et de développement de ses d’acquérir un style naturel. Une
qualités de conteurs d’histoire est donc pratique intense permet en effet que
un travail itératif et permanent. la technique d’expression devienne
Les auteurs du livre Les sept règles du un réflexe et non un choix conscient,
storytelling recommandent de travailler pour un impact bien plus efficace.
par écrit, comme l’on tiendrait un

Quatre domaines de préparation

Cherchez la passion en vous Ecoutez votre public

Avant toute chose, concentrez-vous sur les émotions que vous
ressentez à l’évocation de cette histoire.
Qu’est-ce que vous souhaitez transmettre ? Quels sont les mots
et les détails particulièrement évocateurs pour vous ?
Assurez-vous que votre histoire a une portée pour d’autres
que vous.
Pour cela, vous pouvez la tester sur un public non acquis.
En fonction de ses réactions, vous pourrez alors affiner votre
récit : l’articulation de votre scénario, le choix des mots,
la description des personnages et du contexte, etc.

Préparez une trame Exercez-vous à moduler votre histoire

Pour qu’une histoire "fonctionne", vous devez définir ses
invariants, c’est-à-dire la colonne vertébrale qui permettra à
toutes les personnes qui l’entendront, quelle que soit sa forme,
d’avoir entendu la même histoire.
Imaginez que vous devez raconter votre histoire dans un
ascenseur, lors d’un dîner, à un parfait inconnu, à un membre
de votre équipe, etc.
Pratiquer régulièrement cette gymnastique vous permettra de
raconter votre histoire dans n’importe quel contexte.

6 manageris ©2010 – n° 187b Le leader narrateur

 focus

Dans quelles situations

faire appel à des histoires ?

L’enjeu
Raconter une histoire est parfois bien plus efficace qu’une argumentation pour influencer ses interlocuteurs.
Ce qu’on retient d’un discours, plus que le message formulé, ce sont souvent les anecdotes choisies pour illustrer
ce message. Comme le fameux rêve de Martin Luther King, ou l’histoire de la grenouille qui ne se rend pas compte
qu’on l’ébouillante utilisée par Al Gore dans son documentaire "Une vérité qui dérange". Encore faut-il n’y recourir
qu’à bon escient pour éviter de lasser son auditoire…

Quelques situations où une histoire est supérieure à l’argumentation

Le storytelling est particulièrement utile pour répondre à trois grands enjeux.

Asseoir
sa crédibilité
Pour être écouté, vous devez
inspirer confiance.
Or la confiance se construit
normalement sur la durée,
lorsque l’expérience montre
que vous agissez selon vos dires.
Une histoire peut vous aider à
accélérer ce processus en faisant
office de "concentré d’expérience".
• Ayez toujours prête une histoire qui montre quelle sorte de personne
vous êtes.
Ex : Plutôt qu’affirmer "je suis quelqu’un d’humain", vous pouvez raconter
un choix difficile que vous avez eu à faire en tant que manager et comment
vous en avez géré l’aspect humain.
Jack Welch quant à lui racontait avec moult détails comment sa mère lui avait
inculqué la persévérance dès sa petite enfance.
• Sachez illustrer vos intentions par des histoires.
Ex : Plutôt que dire "je veux réussir", qui laisse de nombreuses interprétations
possibles, raconter l’histoire d’une personne que vous admirez et qui a réussi
selon vos critères permettra de bien faire comprendre vos intentions, et de
mieux les faire accepter.

Transmettre • Utilisez des histoires pour transférer les savoir-faire.

l’implicite
Certaines idées sont trop complexes
ou abstraites pour être simplement
"expliquées" de façon logique.
Une histoire est alors très utile
car elle ne prétend pas couvrir
l’étendue du sujet – ce qui serait
impossible – mais en illustre
de façon frappante un aspect
particulier… A votre interlocuteur
d’en déduire le reste du message !
Ex : Le transporteur de colis UPS regorge d’histoires d’employés
qui ont fait des pieds et des mains pour livrer leurs clients à temps
dans les situations les plus complexes. Cela permet de montrer à chacun
quels types d’initiatives sont possibles et attendues d’eux pour respecter
la promesse faite au client.
• Présentez votre vision sous forme d’histoire.
Ex : Un responsable de la Banque Mondiale a réussi à faire de l’enjeu de l’accès
à l’information une priorité en racontant l’histoire d’un travailleur social qui,
dans un petit village de Zambie, avait trouvé sur le web comment prévenir
et traiter la malaria. "C’est ce que nous voulons pour tous !" concluait-il…

Désamorcer • Exprimez vos messages moins brutalement par le biais

le conflit
Lorsqu’on souhaite influencer
quelqu’un, il est normal de
rencontrer une certaine résistance.
Une histoire permet de présenter
toutes les facettes d’une situation.
Vous pourrez ainsi montrer que
vous comprenez le point de vue
de votre interlocuteur et réduire
ainsi sa résistance.
d’une histoire.
Ex : Plutôt que d’exiger de vos collaborateurs une attitude de plus grande
coopération, incitez-les à changer en vous appuyant sur une histoire
comme celle de la NASA où les cloisonnements ont été à l’origine
de la catastrophe de Challenger.
• Sortez de la logique d’affrontement grâce à une histoire.
Ex : Lorsque deux parties sont en opposition, il ne sert parfois à rien
d’argumenter car chacune campera sur sa position. Une histoire peut aider
à les amener, sans agressivité, à prendre conscience des enjeux plus larges.

Le leader narrateur  manageris ©2010 – n° 187b 7

 POUR EN SAVOIR PLUS

Notre sélection
Pour retrouver les meilleures idées sur ce sujet, nous vous recommandons les publications
suivantes :
Pour aller plus loin
Pour approfondir ce sujet :
Le storytelling en action
Olivier Clodong, Georges Chétochine, Les Editions d’Organisation, 2010.
• Exercer son influence
Olivier Clodong et Georges Chétochine décortiquent dans cet ouvrage les mécanismes (Synthèse Manageris n° 124a)
qui font du storytelling un outil d’influence si efficace. S’appuyant sur de multiples Mieux comprendre les mécanismes de
exemples issus de la sphère politique (Barack Obama, George Bush, Abdoulaye pouvoir et d’influence dans l’organisation.
Wade au Senegal, Marc Ravalomanana à Madagascar), de l’univers des marques
• Les ressorts de la manipulation
(Chanel, World of Warcraft, Twilight), du monde de l’entreprise (Danone, 3M, IBM,
(Livre et synthèse Manageris n° 128b)
HSBC), des grandes causes humanitaires (défense des animaux, microcrédit, etc.),
Comprendre les mécanismes
les auteurs identifient les leviers sur lesquels nous pouvons jouer pour influencer de la manipulation pour mieux en maîtriser
notre entourage grâce à des histoires habilement racontées. les impacts.
Les deux premières parties, qui développent une longue série de cas réels très détaillés, font la preuve
• Les clés de la persuasion
de l’efficacité incommensurable du storytelling tout en expliquant les phénomènes à l’œuvre. Les
(Synthèse Manageris n° 171b)
auteurs enchaînent dans une troisième partie sur une boîte à outils peu structurée, mais dans laquelle
Adapter sa stratégie de persuasion au style
le dirigeant pourra piocher à volonté pour améliorer ses compétences de conteur d’histoires.
de décision de son interlocuteur.
Un livre à lire plus pour ses exemples, extrêmement vivants et bien racontés, que pour ses
conclusions explicites… • Le leadership au-delà des mots
(Synthèse Manageris n° 176b)
Renforcer son effet d’entraînement sur les
Les sept règles du storytelling autres grâce au langage non verbal.
John Sadowsky, Loïck Roche, éd. Pearson Village Mondial, 2009.
Livre outil par excellence, issu de l’expérience de coaching de leaders de ses auteurs,
ce livre part de la conviction que chacun, et en particulier chaque dirigeant, peut
et doit développer ses compétences de conteur d’histoires. L’argument est bien
posé en première partie, et "vendu" au travers d’histoires (Dell, Apple) qui ne
manqueront pas de vous inspirer et d’éveiller en vous la curiosité de lire la suite.
S’en suivent sept règles d’or - chacune faisant l’objet d’un chapitre - pour devenir un
bon conteur d’histoires même lorsque l’on ne se sent pas un conteur né. A retenir :
commencez par un travail d’introspection pour découvrir des histoires "qui vous ressemblent" et
inspirent confiance en vous ; apprenez à "lâcher prise" pour laisser votre interlocuteur s’approprier
votre histoire et en tirer lui-même ses propres conclusions ; personnalisez vos histoires et donnez
suffisamment de détails pour les ancrer dans la réalité. Et surtout, faites simple !
Une fois lu cet ouvrage, il ne vous restera plus qu’à oser parfois renoncer à vos présentations
PowerPoint structurées et vous lancer dans la narration…

The Story Factor

Annette Simmons, éd. Basic Books 2006, 320 pages.
Ce court ouvrage diffère de la littérature traditionnelle sur le management. L’auteur MANAGERIS
veut montrer comment une histoire est un outil d’influence bien plus efficace que 28, rue des Petites Écuries
l’argumentation logique. Elle applique donc ce principe à la lettre. Point ici de 75010 Paris
démonstration structurée ou de liste de conseils, c’est par des histoires qu’Annette
Tél. : 01 53 24 39 39
Simmons nous fait part de son point de vue. A nous de conclure si nous voulons
Fax : 01 53 24 39 30
appliquer ses idées ! Un livre agréable à lire, et qui ouvre un nouveau regard sur le
travail d’influence de tout manager ou leader.
E-mail : info@manageris.com
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Et aussi… Abonnement à Manageris (1 an)

Nous nous sommes aussi appuyés sur les sources suivantes : Classique 690 € HT
(22 synthèses "papier")

• The Power of Storytelling, Brian Leggett, IESE Insight, avr./juin 2005. Executive 850 € HT
Partager l’information et le savoir grâce au storytelling. (22 synthèses "papier + web")
• Telling Tales, Stephen Denning, Harvard Business Review, mai 2004. Gold (accès à la base complète 1 850 € HT
Quelles histoires raconter et comment le faire pour faire évoluer les comportements de ses des synthèses)
interlocuteurs ?
• Real Leaders Don’t Do PowerPoint: How to Sell Yourself and Your Ideas, Ventes au numéro
Christopher Witt, Dale Fetherling, éd. Crown Business, 2009.
Une évaluation humoristique des compétences d’expression en public des dirigeants. Abonnés Non abonnés
• Storytelling that Moves People, A conversation with Screenwriting Coach Robert McKee,
Synthèse 33 € HT 66 € HT
Bronwyn Fryer, Harvard Business Review, juin 2006.
Comment faire d’une histoire un véritable outil d’influence ? Numéro 66 € HT 132 € HT
• The Four Truths of the Storyteller, Peter Guber, Harvard Business Review, déc. 2007. Droits de diffusion et tarifs groupés :
Les quatre piliers de l’authenticité d’une histoire. nous consulter.

8 manageris ©2010 – n° 187b Le leader narrateur