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LE COMMENTAIRE

COMPOSÉ
ET LA DISSERTATION
en lettres à l’université

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LE COMMENTAIRE
COMPOSÉ
ET LA DISSERTATION
en lettres à l’université
Johan Faerber
Christine Marcandier

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Illustration de couverture : © Fotolia.com – Natalya
Conception de maquette intérieure et couverture : Yves Tremblay
Mise en page : PCA

© Armand Colin, 2017


Armand Colin est une marque de
Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
www.armand-colin.com
ISBN 978-2-200-61465-2

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Sommaire

Présentation de l’ouvrage 11

Partie 1 Comment construire son argumentation

1 Qu’est-ce qu’argumenter à l’écrit ? 17

1.1 Définir l’argumentation dans le cadre des épreuves écrites 17

1.2 Énoncer et articuler ses arguments 18


2.1. Première règle argumentative : l’élocution 19
2.2.Deuxième règle argumentative : l’invention 22
2.3.Troisième règle argumentative : la disposition 27

2 Construire un paragraphe argumentatif 31

2.1 Au brouillon 31
1.1. Étape 1 : La formulation de l’idée-directrice et sa définition 32
1.2. Étape n° 2 : la formulation de l’idée-argument 35
1.3. Étape n° 3 : la recherche de l’exemple et la formulation
de son commentaire 41
1.4. Étape n° 4 : la conclusion-transition 46
1.5. Ultime étape au brouillon : le schéma argumentatif 49

2.2 L’étape de la rédaction définitive 51


2.1. La rigueur dans l’exposition des idées 52
2.2.La sobriété du style 53

3 Élaborer un plan 59
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

3.1 Élaborer le plan du commentaire de texte 60

3.2 Élaborer le plan de la dissertation 62

Partie 2 Composer son commentaire

1 Le travail préparatoire du commentaire 67

1.1 Le travail préparatoire du commentaire 68


1.1. L’étape préliminaire : la lecture du paratexte 68
1.2. Première lecture : la lecture cursive du texte 70

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Sommaire

1.3. Deuxième lecture : la lecture méthodique 72


1.4. Troisième lecture : la lecture détaillée 75

2 Comment construire son commentaire ? 77

2.1 Élaborer l’introduction et la conclusion 84


1.1. L’introduction du commentaire 84
1.2. Méthode de la conclusion 86

2.2 Rédiger son commentaire 87


2.1. Soigner la mise en page 87
2.2.Privilégier des phrases brèves 88
2.3.Employer un vocabulaire concis 88
2.4.Introduire les exemples 88
2.5. Éviter les plans apparents 88

3 Commenter un extrait de roman 89

3.1 Connaissance générique 89

3.2 Connaissance critique 90

3.3 Commentaire n° 1 91
3.1. Le contexte historique et biographique de l’œuvre 92
3.2.La lecture cursive de l’extrait 93
3.3.La lecture méthodique de l’extrait 96
3.4.La lecture détaillée 97
3.4 Commentaire n° 2 99
4.1. Introduction 100
4.2. Premier axe de lecture 100
4.3. Deuxième axe de lecture 101
4.4. Troisième axe de lecture 102

4 Commenter un texte de théâtre 105

4.1 Connaissance générique 105

4.2 Connaissance critique 106


2.1. Le découpage actantiel 106
2.2.Le vocabulaire dramatique 106

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Sommaire

4.3 Commentaire n° 3 107


3.1. Le contexte historique et biographique de l’œuvre 111
3.2.La lecture cursive de l’extrait 111
3.4.La lecture méthodique de l’extrait 114
3.8. La lecture détaillée 115

4.4 Commentaire n° 4 117


4.1. Introduction 118
4.2. Premier axe de lecture 118
4.3. Deuxième axe de lecture 119
4.4. Troisième axe de lecture 120

5 Commenter une poésie 123

5.1 Connaissance générique 123

5.2 Connaissance critique 124


2.1. Les formes poétiques 124
2.2.Les règles de versification 124

5.3 Commentaire n° 5 125


3.1. La lecture cursive de l’extrait 126
3.2.La lecture méthodique de l’extrait 128
3.3.La lecture détaillée 130

5.4 Commentaire n° 6 132


4.1. Introduction 132
4.2. Premier axe de lecture 133
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

4.3. Deuxième axe de lecture 134


4.4. Troisième axe de lecture 135
4.5. Conclusion 136

Partie 3 Composer sa dissertation


1 Le travail préparatoire de la dissertation 141

1.1 Une culture littéraire et générale 142

1.2 L’invention argumentative 142

1.3 La disposition démonstrative 143

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Sommaire

1.4 Au brouillon 144


4.1. De l’analyse du sujet à l’élaboration du plan 144

2 Comment construire sa dissertation ? 149

2.1 La réfutation de la thèse 150

2.2 La reformulation de la thèse 152

2.3 La recherche des exemples 153

2.4 La recherche de la problématique 155

2.5 Élaborer l’introduction et la conclusion


de la dissertation 157
5.1. L’introduction de la dissertation 157

2.6 Méthode de la conclusion 159

2.7 Rédiger sa dissertation 160


7.1. Les règles principales de rédaction sont au nombre de cinq 160

3 Disserter sur le roman 163

3.1 Dissertation n° 1 163

3.2 De l’analyse du sujet à l’élaboration du plan 163


2.1. Lecture contextuelle du sujet 163
2.2.Lecture stylistique du sujet 164
2.3.Lecture rhétorique du sujet 164
2.4.Recherche des arguments 164

3.3 Dissertation n° 2 169


3.1. Étape 1 : de l’analyse du sujet à l’élaboration du plan 169

3.4 Dissertation n° 3 175

4 Disserter sur le théâtre 181

4.1 Dissertation n° 4 181


1.1. Étape 1 : de l’analyse du sujet à l’élaboration du plan 181

4.2 Dissertation n° 5 189


2.1. Remarques liminaires 189

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Sommaire

5 Disserter sur la poésie 199

5.1 De l’analyse du sujet à l’élaboration du plan 199


1.1. Lecture contextuelle du sujet 199
1.2. Lecture stylistique du sujet 199
1.3. Lecture rhétorique du sujet 200
1.4. Axe problématique 200

5.2 Dissertation n° 7 204


© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

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Présentation
de l’ouvrage

L
e présent ouvrage entend donner les méthodes des épreuves écrites en
Lettres à l’université. Il s’agit en effet d’œuvrer à l’élaboration du com-
mentaire de texte et de la dissertation en livrant, pas à pas, les étapes clefs
qui fondent chacun de ces deux exercices. Commenter et disserter exigent des
qualités d’organisation méthodologique qui, tant au brouillon que lors de la
rédaction définitive, doivent être appréhendées avec rigueur en une série de
procédures ordonnées et distinctes.
De fait, s’adressant à l’étudiant aussi bien issu des études secondaires que
préparant les concours de l’enseignement, il s’agit de proposer, exercice par
exercice, un véritable manuel de méthode qui permette de posséder à terme
un ensemble de bases solides. Chaque épreuve nécessite une double compé-
tence que chaque méthode permettra de mettre durablement en œuvre : tout
d’abord, une compétence analytique est exigée qui s’occupe aussi bien des
textes à commenter que des sujets dissertatifs à discuter. Une compétence
argumentative est enfin requise qui permette de construire son discours dans
un souci démonstratif. Analyser et argumenter s’imposent comme les clefs de
la réussite aux exercices.
Par conséquent, l’ouvrage s’organise en 3 parties :
– Construire son argumentation
– Composer son commentaire
– Composer sa dissertation
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Dans la première partie, il s’agit de proposer une méthodologie trans-


versale qui s’occupe de récapituler et de mettre en mouvement les qualités
indispensables au commentaire et à la dissertation. Argumenter et savoir
construire un raisonnement sont au fondement des exercices mais sont bien
trop souvent négligés par les étudiants. Il convient d’y consacrer le premier
moment méthodologique de manière à assurer construction et pertinence
à tout raisonnement. Ici sont dévoilées aussi bien dans le travail prépara-
toire que dans la présentation finale de l’épreuve les règles fondatrices de la
construction d’un argument. Est exposée, également, l’élaboration logique
et démonstrative d’un paragraphe argumentatif et le rôle déterminant joué
par les exemples sollicités dans chaque réflexion, notamment sous la forme
synthétique d’un schéma argumentatif. Enfin, une fois les arguments mis en

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La dissertation et le commentaire composé en lettres à l’université Présentation de l’ouvrage

évidence, cette partie s’occupe de l’élaboration du plan et de la pertinence de


ses articulations qui se distribuent en parties et sous-parties.
Dans la deuxième partie, se donne à lire la méthode du commentaire du
texte qui se décompose en deux grandes étapes : en premier lieu, l’analyse du
texte au brouillon selon les grilles de lecture technique afin de mettre en œuvre
une interprétation qui devra être problématisée dans le devoir. Il convient,
étape par étape, de mettre au point une lecture de l’extrait proposé à l’étude
qui en saisisse tous les enjeux textuels et critiques. Enfin, sont dévoilées la
procédure et l’organisation de la rédaction définitive du commentaire. Ladite
rédaction doit ainsi mettre en œuvre un plan composé et ordonné ayant pour
visée une lecture progressive et logiquement argumentée du texte.
La troisième et dernière partie est, quant à elle, consacrée à la composi-
tion de la dissertation littéraire générale. La méthode s’articule également ici
en deux moments distincts : tout d’abord, l’analyse du sujet, notamment en
fonction de sa formulation et la recherche active des arguments et de leur
articulation logique dans un souci démonstratif. La seconde étape s’occupe,
quant à elle, de mettre en œuvre dans la rédaction définitive le mouvement de
discussion du sujet selon les trois étapes qu’en constituent son explication, la
mise en évidence de ses limites et, enfin, sa reformulation dans le cadre d’un
débat élargi.
Chacune des parties, enfin, présente les impératifs méthodologiques de
chaque épreuve en les accompagnant par des exemples explicités et com-
mentés. De fait, la première partie sur l’argumentation explique, avec para-
graphes argumentatifs intégralement rédigés à l’appui, chaque étape de la
recherche des idées. Enfin, pour la méthode de chaque épreuve écrite, six com-
mentaires de texte puis sept dissertations succèdent à l’exposé des méthodes.
Ils sont présentés selon une double procédure : pour chaque exercice, trois
d’entre eux voient leur travail préparatoire au brouillon détaillé et sont suivis
par trois d’entre eux intégralement rédigés.
Vous trouverez en ligne une anthologie de textes commentés et
des commentaires de notions à l’adresse : http://armand-colin/ean/
9782200614652.
On ne saurait prétendre ici épuiser l’ensemble des sujets possibles propres
à chaque épreuve écrite mais tout du moins aura-t-on essayé d’offrir une
réduction substantielle des difficultés, jugées à tort intimidantes, propres à
ces exercices à l’indéniable fécondité et richesse intellectuelles.

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Partie 1
Comment
construire son
argumentation ?

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Qu’allons-nous étudier dans cette partie ?

C
ette première partie entend poser les fondements des deux exercices que
sont le commentaire de texte et la dissertation littéraire en examinant en
premier lieu la construction de l’argumentation. Avant de s’intéresser dans
le détail à chaque méthode spécifique (voir Parties 2 et 3), il convient ici de décou-
vrir étape par étape ce en quoi consiste argumenter à l’écrit, qu’il s’agisse d’inter-
préter un texte ou de débattre d’une question donnée.
Trois étapes seront ainsi suivies dans cette première partie :
1. La première consiste à prendre connaissance des règles indispensables à l’élabo-
ration argumentative en dévoilant comment énoncer une thèse, comment en
développer l’idée directrice et comment organiser son propos de la manière la
plus efficace possible.
2. La deuxième étape propose, quant à elle, d’appliquer les règles précédemment
vues dans la construction d’un paragraphe argumentatif à l’aide d’un schéma qui
permet, au brouillon, de synthétiser la formulation des idées et des exemples.
3. La troisième et dernière étape entend, enfin, élaborer et organiser le plan selon
les consignes spécifiques à chacun des exercices universitaires.
Chacune de ces trois étapes se construit dans un double mouvement : à l’énoncé
premier des règles correspond systématiquement et immédiatement son applica-
tion dans un exemple concret, textes de commentaire et sujets de dissertation
à l’appui, et cela afin que l’étudiant puisse immédiatement saisir les implications
méthodologiques.

SOMMAIRE
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

1 Qu’est-ce qu’argumenter à l’écrit ?............................................... 17

2 Construire un paragraphe argumentatif ..................................... 31

3 Élaborer un plan ............................................................................... 59

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Chapitre

Qu’est-ce qu’argumenter 1
à l’écrit ?
Se préparer au commentaire de texte et à la dissertation littéraire générale revient,
en premier lieu, à maîtriser une compétence essentielle : savoir argumenter.
De fait, qu’il s’agisse d’expliquer un texte ou de développer ou contester un sujet
soumis à réflexion, la difficulté conjointe des deux exercices se concentre autour
d’un seul et unique enjeu, celui qui consiste à savoir proposer une argumentation
puis à savoir la mettre en œuvre. Convaincre et persuader s’imposent ainsi
comme les objectifs inhérents à tout acte argumentatif dans la mesure
où il s’agit d’offrir une parole qui permette à la fois de déployer son propos,
de l’expliquer et de susciter in fine l’adhésion du lecteur.

PLAN

1 Définir l’argumentation dans le cadre des épreuves écrites


2 Énoncer et articuler ses arguments

1 Définir l’argumentation dans le cadre des épreuves écrites


Argumenter s’impose comme une compétence indispensable. C’est le socle de tout
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devoir. Dans la dissertation mais aussi bien au cœur du commentaire de texte,


savoir argumenter s’affirme comme la colonne vertébrale du propos car, dans la
dissertation, il s’agit, tout d’abord, de s’emparer de la question posée, d’en analyser
les ressorts discursifs afin de pouvoir à son tour, après l’explication et la problé-
matisation du propos, articuler son propre propos argumenté. On l’oublie hélas
trop souvent mais il en va également de même pour le commentaire qui, afin de
mettre en place une lecture du texte à étudier, doit semblablement élaborer un
propos reposant sur une composition et un développement fermement argumenté
et rigoureusement articulé.
À ce titre, qu’il s’agisse de la dissertation et du commentaire, argumenter dans le
cadre de l’épreuve écrite à l’université répond d’un seul verbe : démontrer. Mais que
faut-il exactement entendre par « argumenter » et, partant, « démontrer » ? Comment

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

définir l’argumentation comme démonstration et comment en faire le cœur


de la méthode de ces deux épreuves ?
L’argumentation constitue une technique transversale aux deux exer-
cices qui fournissent dans les chapitres suivants l’essentiel de notre propos.
Commenter et disserter doivent être appréhendés comme deux exercices
certes différents mais chacun d’eux se doit de savoir construire une démons-
tration pour emporter l’adhésion du lecteur.
On pourrait ainsi définir, premièrement, l’argumentation comme la
défense d’une thèse qui se développe en arguments eux-mêmes appuyés par
des exemples précis et commentés. L’argumentation répond dès lors de l’ar-
ticulation d’un discours explicatif qui prend le temps d’exposer un point de
vue, de l’affirmer et de le confirmer par autant de preuves grâce auxquelles la
thèse est défendue et s’impose.
L’argumentation relève alors d’une technique double qui consiste d’une
part à formuler les arguments et d’autre part à savoir les agencer et les dis-
poser afin de valoriser au mieux son propos.

2 Énoncer et articuler ses arguments


Argumenter revient ainsi savoir tout d’abord énoncer une thèse. On peut,
tout d’abord, définir la thèse comme l’idée directrice qui guide l’ensemble
du propos qui sera par la suite déployé. Disserter consiste à dégager une thèse
du sujet qui doit s’affronter à l’analyse et à la formulation d’un propos articulé
qui conduit à la nuancer ou à l’énoncer différemment. Commenter un texte
consiste également à formuler une thèse sous la forme d’une série de pistes
interprétatives qui fourniront autant d’axes de lecture permettant de guider
un raisonnement sur le texte à étudier.
À ce titre, fondement même de toute réflexion construite et propre à être
défendue, la thèse constitue l’élément premier de toute construction argu-
mentative, en définissant et en posant les termes mêmes de la réflexion et
en permettant par la suite tout développement. La thèse ou idée directrice
à défendre doit ainsi répondre d’un certain nombre d’impératifs afin d’être
lisible dans le propos et visible dans l’architecture du devoir. Disserter et com-
menter réclament donc trois étapes indispensables capables de venir déter-
miner la qualité d’un argument et incidemment en décider.
Ces trois étapes proviennent d’un héritage de la rhétorique antique qui,
depuis Aristote et Quintilien notamment, ont toujours cherché à organiser
l’argumentation et son énonciation selon des procédures encore en vigueur
aujourd’hui. Il peut ainsi être productif de les reprendre afin d’élaborer le propos
des différentes épreuves écrites à l’université. De fait, nombre de traités durant

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Chapitre 1 Qu’est-ce qu’argumenter à l’écrit ?

l’Antiquité divisaient les tâches de l’orateur selon un certain nombre d’étapes


dont trois principales qu’il s’agit ici de suivre, à savoir l’élocution (elocutio en
latin), l’invention (inventio en latin) et enfin la disposition (dispositio en latin).

2.1. Première règle argumentative : l’élocution


Une thèse doit tout d’abord être énoncée avec clarté pour se révéler effi-
cace. De fait, aucune idée directrice ne peut s’énoncer dans la confusion et
l’approximation. Si cet impératif peut se révéler simple, il n’en demeure pas
moins une nécessité sur laquelle se fonde la réussite de tout commentaire et
de toute dissertation, les techniques d’expression constituant la clef absolue
du devoir.
Cette première règle argumentative correspond dans les traités de rhéto-
rique antique à l’étape clef de l’élocution qui se définit comme l’ensemble des
techniques propres à l’écriture d’un raisonnement afin d’en offrir la plus
grande efficacité énonciative. S’exprimer avec clarté exige ainsi deux qualités
élocutoires qui doivent immédiatement transparaître à la lecture de la thèse :
rigueur du vocabulaire et de la syntaxe en sont les maîtres mots.
En effet, il s’agit en premier lieu de privilégier une syntaxe simple, maî-
trisée et efficace. Plus le propos se ramasse en une phrase brève, avec une
seule subordonnée, plus il se révélera efficace et apparaîtra comme convain-
cant pour le lecteur. Le but est de rendre sa phrase transparente, de donner
uniquement l’idée au détriment de toute confusion ou d’énonciations plus
complexes qui peuvent évidemment être produites mais uniquement dans le
cours d’une réflexion déjà engagée sur la base d’un propos efficace.
Si la syntaxe se doit d’être claire, le vocabulaire qui doit servir le propos se doit
lui aussi d’être pleinement maîtrisé et ne pas recourir à des termes complexes
qui feraient écran à la lecture. Les termes techniques nécessaires au propos ne
doivent pas servir en soi d’arguments : il faut toujours les expliquer, les définir
d’emblée de manière à ce que le propos soit intelligible à la première lecture.
Choisir le mot juste revient à être précis afin de ne pas alourdir sa pensée et de
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

ne pas la déformer. On évitera ainsi le recours aux approximations ou aux péri-


phrases qui dilatent le propos en le rendant d’un abord moins aisé.
Syntaxe et vocabulaire doivent s’unir dans un sens de la rigueur qui consiste
à offrir à la thèse une qualité didactique : aisément compréhensible, elle doit
pouvoir être transmise et expliquée. Une bonne thèse, clairement énoncée
comme le disait déjà Nicolas Boileau dans son art poétique, permet de poser
les fondements d’une démonstration facile à suivre. Il convient donc d’être
résolument pédagogique dans son énoncé pour être compris de tous car toute
thèse s’énonce en ayant clairement à l’esprit le destinataire du discours. À ce
titre, il faut toujours garder à l’idée qu’il s’agit de communiquer, de trans-
mettre et de partager ses idées afin de les ouvrir à une possible discussion. Il
est donc absolument nécessaire d’être le plus intelligible possible.

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

EXEMPLE : COMMENTAIRE
THÉRAMÈNE.

À peine nous sortions des portes de Trézène,


Il était sur son char ; ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés ;
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ;
5 Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes ;
Ses superbes coursiers qu’on voyait autrefois
Pleins d’une ardeur si noble obéir à sa voix,
L’œil morne maintenant, et la tête baissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
10 Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs en ce moment a troublé le repos ;
Et du sein de la terre une voix formidable
Répond en gémissant à ce cri redoutable.
Jusqu’au fond de nos cœurs notre sang s’est glacé ;
15 Des coursiers attentifs le crin s’est hérissé.
Cependant sur le dos de la plaine liquide,
S’élève à gros bouillons une montagne humide ;
L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d’écume, un monstre furieux.
20 Son front large est armé de cornes menaçantes ;
Tout son corps est couvert d’écailles jaunissantes,
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux ;
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
25 Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage ;
La terre s’en émeut, l’air en est infecté ;
Le flot qui l’apporta recule épouvanté.
Tout fuit ; et sans s’armer d’un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
30 Hippolyte lui seul, digne fils d’un héros,
Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,
Pousse au monstre, et d’un dard lancé d’une main sûre,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.

Jean Racine, Phèdre, Acte V, scène 1, 1677 ●

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Chapitre 1 Qu’est-ce qu’argumenter à l’écrit ?

Commenter revient toujours à rendre son propos aisément compréhen-


sible pour ceux qui se saisissent du devoir. Si le texte présente des difficultés
et sollicite notamment l’usage de termes techniques, il faut paradoxalement
procéder avec d’autant plus de précautions et d’explications afin de rendre sa
démonstration accessible et, partant, efficace. Ici la tirade de Théramène, le
précepteur d’Hippolyte, se fait le messager d’une terrible nouvelle : condamné
par son père, Thésée, qui le croit coupable d’une passion incestueuse à l’égard
de Phèdre, sa belle-mère, Hippolyte meurt sous les coups d’un monstre marin
invoqué par la colère paternelle. Ayant lieu hors scène, cette mort est l’objet
d’un récit très circonstancié et détaillé de la part du précepteur. Il s’agit de ce
qu’on nomme en rhétorique une hypotypose.
L’erreur consisterait ici à faire de ce terme rhétorique le cœur même du rai-
sonnement. Il s’agit bien plutôt de ne pas en constituer l’aboutissement mais de
l’offrir comme le levier et l’outil d’une interprétation plus générale. La difficulté
et la rareté d’un tel terme ainsi que la fascination que le signifiant peut exercer
ne doivent pas détourner la formulation de l’idée directrice d’un élément cen-
tral : il faut absolument définir ce qu’est l’hypotypose et non pas l’asséner afin
de ne pas rendre son propos jargonnant. L’hypotypose consiste en une figure
du discours qui s’attache à peindre les choses de manière si vive qu’on a le sen-
timent de les avoir sous les yeux. Cette figure repose sur un certain réalisme et
un sens évident du spectaculaire qui convoque force détails et précisions de
manière à ce que l’auditeur du récit puisse se représenter la scène évoquée. Le
but est de créer des images vives et impressionnantes à la fois pour les per-
sonnages présents sur scène et pour les spectateurs : l’horreur devient un enjeu
didactique et moral pour enseigner au père son erreur.
Développer le sens d’hypotypose et être précis, en maîtriser les implications
permet logiquement au propos de se déployer et de s’énoncer clairement.

EXEMPLE Dissertation

© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

www.armand-colin.com
À la fin d’À la recherche du temps perdu, le romancier Marcel Proust offre cette réflexion : « La
vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue,
c’est la littérature. » Ressource
numérique
Vous commenterez ce point de vue en illustrant votre développement à l’aide d’exemples précis.
Textes
supplémentaires
Simple en apparence, ce sujet de dissertation exige pourtant paradoxalement
une précision lexicale dans la formulation de la thèse à défendre car il convient
de souligner sans attendre le soin porté au vocabulaire employé. En effet, dans les
dernières lignes de sa somme romanesque où Marcel, le Narrateur, retrouve le
temps d’une matinée chez la Princesse de Guermantes son enfance et ses souve-
nirs disparus, Proust développe conjointement une théorie sur l’art et la littérature

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

en particulier. Reclus, coupé du monde, Proust opère ici un paradoxe esthétique


complet, renversant les perspectives depuis une saisie baroque : selon lui, la vie ne
vaut la peine d’être vécue que si elle est éclairée par la littérature et inversement
la littérature constitue en soi-même la seule et unique vie qui mérite d’être vécue.
Proust entérine ici une séparation entre la vie de l’auteur et la vie de l’œuvre, consa-
crant à la fois l’inutilité de la lecture biographique d’une œuvre et clamant inci-
demment combien la vie de l’œuvre est d’une richesse autonome et plus que vive.
On comprendra combien pour maîtriser le sujet il convient avant toute
chose de définir clairement le mot « vie » qui prend ici deux sens : il renvoie
tout d’abord à la somme d’événements vécus qui compose une existence mais
il se pare d’un second sens qui teinte la citation de Proust d’une couleur par-
ticulière. « Vie » signifie aussi la vie de l’œuvre, à savoir la richesse des inter-
prétations qu’elle suscite par son économie interne. « Vie » renvoie donc à
un principe d’autonomie de la littérature, aussi proustien que parfaitement
moderne, héritage en cela du romantisme allemand.
On mesure donc l’importance d’une précision et d’une rigueur dans l’usage
des termes pour espérer être compris et atteindre à l’efficacité attendue.

2.2. Deuxième règle argumentative : l’invention


La deuxième règle impérative de toute argumentation consiste à savoir articuler
logiquement son propos : démonstration et déduction sont les maîtres mots.
De fait, après avoir énoncé clairement sa thèse, il s’agit dans la dissertation
comme dans l’argumentation de savoir la déployer afin d’emporter l’adhésion
de celui qui lit le devoir en question. Une thèse ne trouve sa validité que dans
sa possibilité d’être développée. Une thèse qui ne parvient pas à être déve-
loppée n’est pas une thèse : si une thèse sans développement figure dans une dis-
sertation, elle demeure une simple opinion indémontrable ; de la même façon,
si elle figure dans un commentaire, elle demeure une intuition de lecture qu’au-
cune analyse technique ne viendrait appuyer. Il s’agit là de l’étape de ce que la
rhétorique antique nomme l’invention qui consiste à rechercher les arguments
et les idées ainsi que les liens logiques qui les articulent les uns aux autres.
Aussi bien dans le commentaire que dans la dissertation, la thèse doit ainsi
toujours pouvoir donner naissance à un raisonnement, à savoir l’articulation
rigoureuse d’une expression logique. Dans cette étape de l’invention, le propos
doit être construit autour de règles logiques qui le rendent là encore lisible et
convaincant. Sans articulation ni cheville, le propos demeure un catalogue
d’idées : même si ces dernières se révèlent justes, elles ne peuvent être prises en
compte car tout propos se doit d’être l’objet d’une démonstration. Il ne faut
jamais affirmer : il faut toujours confirmer, infirmer, démontrer. Qu’il s’agisse
de la dissertation ou du commentaire, toute argumentation doit prendre appui
sur des impératifs logiques qui permettent d’expliquer son propos. La qualité
première d’un raisonnement est d’être ordonné de manière à pouvoir partir de

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Chapitre 1 Qu’est-ce qu’argumenter à l’écrit ?

ce qui est connu pour progresser vers une pensée moins évidente et plus riche.
En ce sens, tout raisonnement est à la fois démonstratif (on démontre une
idée directrice première) et déductif (on raisonne en déduisant).
Démonstration et déduction constituent donc les deux opérations logiques
premières et indispensables de l’invention. Elles permettent de construire et
de régler son propos afin de lui donner la puissance argumentative nécessaire.

A/Démontrer se définit comme cette opération logique par laquelle il s’agit, à


partir d’une idée directrice première admise comme vraie, d’offrir un raisonne-
ment qui tend à prouver par une suite d’enchaînements logiques la vérité de sa
conclusion. D’une rigueur scientifique et mathématique, la démonstration argu-
mentative se doit de partir d’une idée intégralement prouvée et rendue irréfutable
par le raisonnement mis en œuvre. Sans démonstration, toute idée est condamnée à
demeurer une simple opinion, c’est-à-dire une idée anecdotique et sans ampleur.

EXEMPLE : COMMENTAIRE
Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu’on vient des quais, on trouve le passage du
Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de
Seine. Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus ; il est pavé de dalles
jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre ; le vitrage qui le couvre,
5 coupé à angle droit, est noir de crasse.
Par les beaux jours d’été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre
tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage. Par les vilains jours
d’hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles
gluantes, de la nuit salie et ignoble.
10 À gauche, se creusent des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper
des souffles froids de caveau. Il y a là des bouquinistes, des marchands de jouets d’en-
fant, des cartonniers, dont les étalages gris de poussière dorment vaguement dans
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

l’ombre ; les vitrines, faites de petits carreaux, moirent étrangement les marchandises
de reflets verdâtres ; au-delà, derrière les étalages, les boutiques pleines de ténèbres
15 sont autant de trous lugubres dans lesquels s’agitent des formes bizarres.
À droite, sur toute la longueur du passage, s’étend une muraille contre laquelle les
boutiquiers d’en face ont plaqué d’étroites armoires ; des objets sans nom, des mar-
chandises oubliées là depuis vingt ans s’y étalent le long de minces planches peintes
d’une horrible couleur brune. Une marchande de bijoux faux s’est établie dans une
20 des armoires ; elle y vend des bagues de quinze sous, délicatement posées sur un lit de
velours bleu, au fond d’une boîte en acajou.
Au-dessus du vitrage, la muraille monte, noire, grossièrement crépie, comme cou-
verte d’une lèpre et toute couturée de cicatrices.
Émile Zola, Thérèse Raquin, Chapitre I, 1867 ●

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

Dans le cas du commentaire, on ne peut avancer une idée-directrice sans la


démontrer car cette dernière demande toujours à être expliquée et appuyée.
Ainsi, étudiant l’incipit de Thérèse Raquin d’Émile Zola, roman de 1867, il
apparaît maladroit voire impossible d’affirmer d’emblée qu’il s’agit d’un
texte répondant du registre fantastique, que s’y dessinent des figures mons-
trueuses qui annoncent la tragédie finale sans rien ajouter d’autre non plus
que démontrer.
Pour construire son propos et le rendre ainsi convaincant, il faut bien
plutôt procéder par étapes : montrer en premier lieu que la description du
passage du Pont-Neuf obéit à une rhétorique réaliste par son souci marqué
du détail. Les effets de réel qui structurent l’ensemble de la description s’at-
tachent par ailleurs comme bien souvent depuis la description de la pension
Vauquer dans Le Père Goriot (1834) à rendre compte de la saleté des lieux,
la saleté s’imposant comme un marqueur de vraisemblance. Plus le lieu se
caractérise par la saleté, plus le roman ne cachera rien de la vérité même la
moins reluisante et la plus nue.
Au cœur de cette insistance presque emphatique sur la crasse, Zola met en
scène un passage de Paris totalement déserté, abandonné de tout homme et
peu enclin à attirer les clients. Chaque notation devient l’occasion de mon-
trer un lieu comme hanté. Mentionnant « un caveau », « un souffle froid » ou
encore « des figures bizarres », le lieu paraît spectral et hanté de forces sur-
naturelles qui pointent vers le réalisme mythique et fantastique que Zola
se plaît à déployer pour mettre en intrigue son texte et inviter le lecteur à
poursuivre son exploration. C’est donc au terme d’une démonstration rigou-
reuse et logique que la qualité fantastique du texte peut être affirmée : pour en
convaincre chacun, un raisonnement s’impose donc.

EXEMPLE Dissertation
www.armand-colin.com ▼
En vous appuyant sur des exemples précis, vous commenterez ce jugement du dramaturge
Eugène Ionesco : « La littérature empêche les hommes d’être indifférents aux hommes. »
Ressource
numérique
Textes S’agissant à présent de la dissertation, la même rigueur démonstrative
supplémentaires doit être également scrupuleusement observée. En effet, lorsqu’Eugène
Ionesco affirme que la littérature empêche les hommes d’être indifférents
aux hommes, l’idée directrice ne peut se limiter à une formulation telle que :
« Eugène Ionesco défend une vision profondément humaniste de la littéra-
ture. » Cette affirmation, pour ne pas demeurer une opinion sans fondement,
appelle immédiatement à être démontrée.
De fait, il s’agit tout d’abord de montrer en quoi précisément l’ensemble de
sa déclaration repose sur un dénigrement ostentatoire d’une certaine vocation

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Chapitre 1 Qu’est-ce qu’argumenter à l’écrit ?

esthétisante de la littérature qui, parfois, s’enferme dans un « art pour l’art ». Loin
de répondre d’une telle vocation autoréférentielle où l’œuvre se serait comme
d’elle-même coupée du monde par un formalisme excessif, Ionesco privilégie
au contraire, contre toute attente, un humanisme que l’on pourrait qualifier de
traditionnel. Pour Ionesco, en effet, écrire ne revient pas à écrire pour écrire
dans un élan formaliste mais à ouvrir l’homme à l’homme, en renouvelant la
vision de l’humanité. Portée par une vocation à dire le monde et à le faire voir,
l’écriture doit s’attacher à peindre un univers qui interpelle l’homme. Il y a une
vocation presque vocative de la littérature, à savoir une apostrophe permanente
de la littérature qui occupe non seulement un rôle humaniste mais politique : il
s’agit de mettre en œuvre parfois jusqu’à l’utopie un monde autre.
Un tel raisonnement ouvre alors à une possibilité de développement à la
condition, comme on le voit, de ne pas demeurer une simple affirmation.
Chaque propos doit être démontré, c’est-à-dire fermement prouvé.

B/Déduire. De la même manière qu’il s’agit de démontrer, chaque argu-


mentation doit, dans un mouvement conjoint, proposer un raisonnement
qui repose sur une base déductive. Expliquer, c’est déduire. Expliquer,
c’est conduire. Expliquer, c’est dire combien une idée doit se déduire d’une
autre pour pouvoir s’enchaîner et se réclamer d’elle. Déduire revient donc à
construire un propos fondé sur un acte logique rigoureux.
Aussi bien dans le commentaire que dans la dissertation, l’opération logique
qu’est la déduction se présente comme ce principe de raisonnement qui va du
général au particulier. Lorsque l’on pose ainsi une idée-directrice en ouverture
de son devoir, il faut ensuite parvenir à organiser logiquement son propos de
manière à conduire des principes affirmés jusqu’à leurs conséquences.

EXEMPLE : COMMENTAIRE www.armand-colin.com


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La Cour du Lion

Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître Ressource


De quelles nations le Ciel l’avait fait maître. numérique
Il manda donc par députés Textes
supplémentaires
Ses vassaux de toute nature,
5 Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L’écrit portait
Qu’un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l’ouverture
10 Devait être un fort grand festin,

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

Suivi des tours de Fagotin.


Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
15 Quel Louvre ! Un vrai charnier, dont l’odeur se porta
D’abord au nez des gens. L’Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L’envoya chez Pluton faire le dégoûté.
20 Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif il loua la colère
Et la griffe du Prince, et l’antre, et cette odeur :
Il n’était ambre, il n’était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
25 Eut un mauvais succès, et fut encore punie.
Ce Monseigneur du Lion-là
Fut parent de Caligula.
Le Renard étant proche : Or çà, lui dit le Sire,
Que sens-tu ? Dis-le-moi : parle sans déguiser.
30 L’autre aussitôt de s’excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref, il s’en tire.

Ceci vous sert d’enseignement :


Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
35 Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand. ●

S’agissant du commentaire, quand il convient par exemple d’identifier une


figure de style, on ne peut procéder dans le raisonnement que par déduc-
tions successives et additives. Ainsi, si dans « La Cour du Lion » de Jean de La
Fontaine, l’on affirme que chaque animal est affecté d’une personnification,
encore s’agit-il de le démontrer et de le déduire. En effet, une fois la person-
nification affirmée, il faut en premier lieu procéder par déduction. Cette per-
sonnification caractérise aussi bien le lion, l’ours, le renard ou encore le singe
car une personnification se définit par le transfert de qualités humaines à des
animaux ou des objets.
Ici chaque animal emprunte à l’homme, tout d’abord, ses qualités discur-
sives puisque chacun d’entre eux est doué de paroles et dialogue avec le roi

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Chapitre 1 Qu’est-ce qu’argumenter à l’écrit ?

Lion. Le second élément qui permet d’appuyer par déduction qu’il s’agit bel et
bien d’une personnification consiste à affirmer ensuite que ces animaux sont
animés par une gestuelle proprement humaine en les conduisant à mener une
vie urbaine et civilisée où ils dînent notamment à la cour du roi. C’est donc
par déduction et conjonction de différents indices textuels que la thèse selon
laquelle la personnification caractérise les animaux peut être soutenue.

EXEMPLE Dissertation
▼ www.armand-colin.com
Vous commenterez cette réflexion du critique de cinéma Serge Daney : « Le théâtre, c’est la
société ; le cinéma, le monde. » (Serge Daney, Itinéraire d’un ciné-fils, 1990)
Ressource
numérique
En ce qui concerne la dissertation, une même logique déductive doit sem- Textes
blablement œuvrer aux raisonnements de façon à affirmer à la fois leur jus- supplémentaires
tesse et leur force argumentative. Ainsi, à se saisir de l’affirmation du critique
de cinéma Serge Daney selon laquelle le théâtre serait la société et le cinéma
le monde, on peut notamment affirmer que Daney dénigre ici violemment le
théâtre, qu’il en récuse la portée et la puissance artistique. Une telle vue cri-
tique ne peut procéder que d’un raisonnement déductif que l’argumentation
dissertative aura à charge de mettre en lumière.
Effectivement, en examinant la citation et en revenant sur son articulation,
on remarque que Serge Daney procède par un jeu d’oppositions : le cinéma
s’oppose ici au théâtre selon ce que chacun représente. Une connotation néga-
tive s’attache à « société » par comparaison à « monde » résolument mélioratif
car le terme ici employé en balancier avec « société » suppose immédiate-
ment une plus grande ouverture, une plus grande respiration, un éveil à un
univers autre. Le cinéma se voit valorisé dans le même temps que le théâtre
est déprécié. Une telle idée ne peut être développée qu’à la condition, on le
voit, de répondre dans le devoir d’un raisonnement déductif qui permet d’en
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

asseoir la justesse argumentative.

2.3. Troisième règle argumentative : la disposition


Enfin, la troisième règle impérative de toute argumentation consiste à savoir
disposer les arguments de son propos : progression et hiérarchisation des
idées sont les maîtres mots. Cette ultime règle première permettant de com-
mencer à élaborer son propos consiste, après sa rigueur lexicale et syntaxique
ainsi que son caractère démonstratif et déductif, à proposer une argumenta-
tion qui réponde d’un mouvement organisationnel précis. Il s’agit de l’étape
clef que la rhétorique antique avait pour habitude de nommer la disposition
et pour coutume de définir comme l’art d’ordonner les arguments selon un
ordre précis.

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

De fait, loin de s’apparenter à un catalogue disparate et confus d’idées,


il s’agit dans cette dernière étape d’offrir à l’argumentation une stricte hié-
rarchisation des idées qui doivent être développés. On ne construit pas son
argumentation au hasard dans la mesure où il convient de toujours savoir
classer ses idées en débutant par l’argument le plus évident pour cheminer
avec ordre et par paliers progressifs vers l’idée la plus complexe et la plus
difficile à faire admettre.
En effet, il ne faut pas procéder anarchiquement non plus qu’avec préci-
pitation dans la sélection des arguments qui fourniront le corps du dévelop-
pement et développeront le mouvement démonstratif du propos. Même si
l’idée la plus complexe est souvent la plus séduisante et la plus inattendue,
capable d’étonner le lecteur par son originalité ou sa force intellectuelle, il
ne faut cependant pas brûler les étapes. Ouvrir le propos sur une idée trop
complexe rompt immédiatement la dynamique argumentative qui doit être
au cœur des préoccupations de l’étudiant. Il ne s’agit pas d’opposer d’em-
blée un mur à celui qui lit mais, en hiérarchisant les idées, de les faire pro-
gresser graduellement en difficulté de façon à pouvoir petit à petit offrir un
raisonnement qui va s’étoffant et se complexifiant. L’idée la plus complexe
doit constituer le point d’orgue du raisonnement et la conclusion écla-
tante de la démonstration. En ce sens, argumenter répond plus que jamais
d’un principe didactique qui entend rendre le propos aussi bien lisible que
convaincant.

EXEMPLE : COMMENTAIRE
Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur
d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilo-
mètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il
ne voyait même pas le sol noir, et il n’avait la sensation de l’immense horizon plat que
5 par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d’avoir
balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d’arbre ne tachait le ciel,
le pavé se déroulait avec la rectitude d’une jetée, au milieu de l’embrun aveuglant des
ténèbres.
L’homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d’un pas
10 allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours.
Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le ser-
rait contre ses flancs, tantôt d’un coude, tantôt de l’autre, pour glisser au fond de
ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d’est
faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans
15 gîte, l’espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure,
il avançait ainsi, lorsque sur la gauche, à deux kilomètres de Montsou, il aperçut
des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D’abord, il

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Chapitre 1 Qu’est-ce qu’argumenter à l’écrit ?

hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer


un instant les mains.
20 Un chemin creux s’enfonçait. Tout disparut. L’homme avait à droite une palis-
sade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée ; tandis qu’un talus
d’herbe s’élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d’une vision de village aux
toitures basses et uniformes. Il fit environ deux cents pas. Brusquement, à un coude
du chemin, les feux reparurent près de lui, sans qu’il comprît davantage comment
25 ils brûlaient si haut dans le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses. Mais, au ras du
sol, un autre spectacle venait de l’arrêter. C’était une masse lourde, un tas écrasé
de constructions, d’où se dressait la silhouette d’une cheminée d’usine ; de rares
lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues
dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de
30 tréteaux gigantesques ; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée,
une seule voix montait, la respiration grosse et longue d’un échappement de vapeur,
qu’on ne voyait point.
Alors, l’homme reconnut une fosse.

Émile Zola, Germinal, 1885, Première partie, chapitre 1, incipit ●

Dans un commentaire, on ne peut ouvrir le raisonnement par une idée


trop ardue qui risquerait à la fois de surprendre le lecteur ou dans le pire
des cas de rendre le propos incompréhensible. Ainsi, s’agissant par exemple
du commentaire de l’incipit de Germinal (voir p. 91), on prendra soin de
pas ouvrir son développement par l’idée selon laquelle Zola met en scène ici,
de manière réflexive, l’acte d’écrire lui-même en faisant naître son person-
nage sous nos yeux dans une tempête prénatale. On comprend aisément à ce
simple énoncé combien l’argument, pour juste qu’il soit, demeure obscur et
trop abrupt.
Il faut au contraire commencer par montrer en quoi le texte, sous des
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

dehors réalistes et naturalistes, porte en lui et dès son titre une métaphore
de la naissance et de la germination. Elle se développe en premier lieu par
la mention référentielle de la période de l’année à laquelle débute l’histoire,
à savoir le mois de mars. Elle s’affirme encore davantage par l’utilisation de
la focalisation externe qui laisse le personnage sans nom et dans une épais-
seur de mystère donnant l’impression qu’il naît sous nos yeux. Enfin, par la
mention d’une nuit d’encre et par la suggestion d’images de procréation dans
le décor, cet incipit rejoue son propre début en livrant une mise en scène de
l’acte d’écrire même.

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

EXEMPLE Dissertation

Vous apprécierez cette définition de la littérature que donne le critique Roland Barthes : « La
Littérature est comme le phosphore : elle brille le plus au moment où elle va mourir. » (Roland
Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, 1953).

De la même manière, raisonner sur un sujet de dissertation et déployer sa


réflexion implique de hiérarchiser ses arguments afin de ne pas non plus pro-
poser ici d’emblée un argument qui se révèle trop complexe. À analyser, par
exemple, le sujet qui, avec Barthes, invite à s’interroger sur la mort de la litté-
rature, il convient en premier lieu de remarquer que l’idée clef selon laquelle
la littérature serait toujours remise à une mort sans cesse différée d’elle-même
paraît trop complexe et surtout trop peu explicite. Pour comprendre cet argu-
ment, il faut créer les conditions d’une explication, c’est-à-dire d’un chemi-
nement dans la pensée que seule l’argumentation organisée et hiérarchisée
autorise.
En effet, avant de dévoiler un tel argument, le propos peut avantageusement
s’ouvrir sur le paradoxe que constitue la citation de Barthes : la Littérature
est un moment paradoxal entre couronnement et destruction où quand,
par exemple, le roman triomphe, ceci n’annonce en vérité que sa prochaine
disparition. Il y a ici un raisonnement hérité d’une esthétique romantique
digne de Hegel qui veut que lorsqu’un art atteint son apogée, ce soit aussi le
moment où il décline irréversiblement, ne pouvant pas aller au-delà de son
propre sommet. Irréversiblement, à la manière d’une fatalité, l’art ne sombre
pas seulement : il meurt. Il ne peut trouver de continuateur tant l’héritage et le
modèle sont trop pesants et intimidants.
Pourtant, à cette vision sombre, vient répondre chez Barthes une idée qui
dépasse le romantisme et appartient davantage à la modernité, celle d’une
mort à laquelle on peut surseoir. À ce titre, la mort de la littérature dont parle
Barthes ici est toujours une mort rejouée, une mort différée, une mort qui
menace le roman, le théâtre et la poésie mais qui, de fait, n’advient jamais
mais demeure un principe dynamique proprement moderne : la négativité.
Construit pas à pas, le raisonnement acquiert ici toute sa lisibilité et son
efficacité en posant les arguments selon leur degré de difficulté. Argumenter
consiste à ne pas uniquement avoir des idées mais à savoir les agencer et les
disposer.

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Chapitre

Construire un paragraphe 2
argumentatif
La réussite du commentaire et de la dissertation passe conjointement par
l’élaboration patiente d’une argumentation qui répond d’une construction
rigoureuse. En effet, pour être convaincante et emporter l’adhésion,
l’argumentation de ces deux épreuves écrites doit obéir à la mise en place
d’un développement qui ne peut se faire ou au fil de la plume selon les idées qui
viendraient alors à l’esprit mais se doit d’obéir à une méthode procédant étape par
étape. Il faut ainsi tout d’abord distinguer deux moments dans cette élaboration
même : en premier lieu les différentes étapes au brouillon et enfin la rédaction
au propre. Chacun de ces moments requiert une méthodologie particulière.

PLAN

1 Au brouillon
2 L’étape de la rédaction définitive

A
u brouillon comme dans la rédaction définitive, l’ordre d’un raisonnement
efficace et clair est immuable. Il répond de la construction d’un paragraphe
argumentatif qui s’impose comme le noyau discursif de tout devoir. Un
paragraphe argumentatif se propose toujours d’offrir une thèse dont il s’agit de
démontrer et d’éprouver la justesse. Ce paragraphe, on le verra, servira de fonde-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

ment pour élaborer aussi bien une sous-partie qu’une partie entière de n’importe
quel développement qu’il s’agisse là du commentaire ou de la dissertation.
Il s’agira ici d’en présenter, en premier lieu, la méthode au brouillon selon notam-
ment un schéma argumentatif qui en synthétise les étapes les plus remarquables
puis sa mise en œuvre lors de la rédaction.

1 Au brouillon
De fait, au brouillon, le développement se structure autour de quatre étapes argu-
mentatives qui fournissent un moment clef de chaque devoir. Chacune de ces étapes

31

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

permettent au propos de se déployer dans un paragraphe argumentatif. Pour ce


faire, il faut ainsi proposer en premier lieu une idée-directrice qui, elle-même, doit
être impérativement définie pour être saisie. Une fois cette idée posée et définie,
elle doit prendre appui elle-même sur deux idées-arguments, elles-mêmes respec-
tivement soutenues par deux exemples impérativement commentés.

1.1. Étape 1 : La formulation de l’idée-directrice et sa définition


L’idée-directrice constitue l’énonciation claire, limpide et efficace en début
de tout paragraphe argumentatif de l’idée principale et de l’axe probléma-
tique qui guideront l’ensemble du propos. Poser l’idée qui servira de guide
à l’ensemble du développement aussi bien dans le commentaire que dans
la dissertation permet de donner une colonne vertébrale au propos : il est
l’axiome qui pose le fondement de toute la démonstration. Le but sera d’en
démontrer la justesse et ne pas le laisser ainsi demeurer à l’état d’intuition de
lecture ou encore de simple opinion sans conséquence non plus que fonde-
ment. Ainsi que son nom l’indique sans ambiguïté, l’idée-directrice donne
la direction à suivre pour l’ensemble du développement qu’elle présente
aussi bien qu’elle annonce si bien qu’à ce titre un paragraphe argumentatif
ne doit se concevoir que comme l’expansion de ce noyau premier. En ce sens,
l’idée-directrice se distingue des autres idées en ce qu’il s’agit avant tout d’une
idée qui demande à être développée, c’est-à-dire expliquée et dépliée dans
toute sa richesse. C’est pourquoi une idée qui ne peut être l’objet d’un raison-
nement appuyé par différents arguments qui approfondissent la réflexion en
l’explicitant ne constitue ainsi pas à ce titre une idée-directrice.
Le second temps de mise en œuvre de toute idée-directrice consiste en
une définition immédiate et précise de l’ensemble des notions, procédés ou
termes mis en jeu dans ladite idée-directrice. Cette définition doit poser notam-
ment les limites d’un débat, clarifier l’usage d’un procédé ou encore expliciter
ce qui vient d’être dit afin qu’après lecture de l’idée-directrice et de sa définition
aucune ambiguïté ne subsiste. La formulation de la définition doit donc s’établir
dans l’esprit même de toute définition, à savoir observer un ton didactique et
explicatif qui permette de procéder avec ordre, méthode et rigueur.
L’idée-directrice et sa définition prennent cependant une forme différente
qu’il s’agisse d’une part du commentaire, d’autre part de la dissertation.

Dans le commentaire
En effet, dans le commentaire, l’idée-directrice qui guide et oriente une sous-
partie ou une partie du développement se présente sous la forme d’un axe de
lecture. Il s’agit là d’une piste interprétative du texte à étudier qui se présente
toujours sous la forme d’une hypothèse de lecture que la partie ou la sous-
partie demandent à vérifier et enfin à valider.

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

Pour asseoir sa force de persuasion, l’idée-directrice doit, lors de l’étape


du brouillon, répondre des critères éprouvés plus haut d’élocution (voir
p.  31) : elle doit être clairement formulée, déployée avec efficacité et perti-
nence dans une syntaxe maîtrisée. Il ne faut pas d’emblée énoncer une idée
dans des termes trop ardus ou qui réclameraient immédiatement de trop lon-
gues explications. Ainsi l’idée-directrice est-elle ramassée en autant de mots
qui doivent avant tout veiller à la mesure et à la parcimonie.
La définition, quant à elle, vient expliquer et expliciter les termes clefs mis en jeu
dans l’idée-directrice. Si l’idée-directrice s’attache à montrer l’importance d’une
figure de style, il s’agira alors de concentrer cette étape sur la définition même
du procédé de manière à offrir un propos rigoureusement assis et de montrer
au lecteur que le sens des termes mis en jeu sont maîtrisés. De la même manière,
si un procédé est en jeu, il doit être immédiatement défini pour une meilleure
lisibilité et efficacité du propos. Il s’agit à chaque fois de poser des bornes à la
réflexion en lui offrant une assise scientifique qui sollicite un savoir conceptuel
et définitionnel. La définition fournit un certain nombre de traits caractéris-
tiques aux notions à étudier, traits caractéristiques qui pourront être réinvestis
et développés dans chaque idée-argument qui découlera, en toute logique, de la
définition posée d’emblée. La définition s’impose donc comme une étape fonda-
mentale qu’il ne s’agit nullement de négliger tant elle a pour but de fixer les enjeux
argumentatifs et interprétatifs de l’ensemble du paragraphe.

EXEMPLE D’IDÉE-DIRECTRICE ET DE SA DÉFINITION


« La Cour du Lion » de Jean La Fontaine (voir texte p. 25)
L’idée-directrice pourrait s’occuper, par exemple, de démontrer en quoi « La Cour
du Lion » se présente comme un apologue. Cette simple formulation doit aussitôt
s’accompagner de la définition du terme « apologue » de manière à pouvoir fixer
immédiatement une problématisation technique et notionnelle du propos.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Le plus efficace consiste à donner au brouillon une définition synthétique qui


pointe généralement deux traits distinctifs de la notion à circonscrire afin de pou-
voir par la suite déployer ces deux caractéristiques dans le développement.
Ainsi l’apologue pourrait se définir comme une double articulation, celle d’un
récit qui comporte une morale, à savoir l’alliance narrative et discursive de ce qui
permet de convaincre en racontant.
On aurait donc au brouillon :
Idée directrice : « La Cour du Lion » → Un apologue
Définition : Un apologue → Récit qui cherche à convaincre
→ Divertir et instruire

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

Dans la dissertation
Dans l’exercice dissertatif, l’idée-directrice guide et oriente semblablement
une partie ou une sous-partie du développement. Alors que le commentaire
offre l’idée-directrice comme une piste de lecture, la dissertation installe, quant
à elle, l’idée-directrice comme une thèse qu’il faudra développer tout au long
du propos. En effet, chaque paragraphe argumentatif pose en son commence-
ment l’idée principale qui fera l’objet des débats et permettra incidemment de
les orienter. Il s’agit ici pour l’idée-directrice de poser clairement et simplement
le nœud du problème en ouvrant les termes de la discussion qui suivra.
À ce titre, l’idée-directrice se doit d’affirmer une position dans l’explication ou
la polémique qui résultent de l’analyse du sujet. Poser immédiatement la thèse
permet ainsi de problématiser le paragraphe et d’en ordonner le sens démons-
tratif sous la forme d’une hypothèse à vérifier. Le but même du paragraphe
consiste à asseoir cette idée pour la prouver et en démontrer la justesse à l’aide
d’autant d’arguments qui en découlent et d’exemples précis et détaillés qui l’ap-
puient. Trois catégories d’idées-directrices peuvent se faire jour selon la partie du
développement abordée ou selon les nécessités interprétatives du sujet :

→ L’idée-directrice peut expliquer et analyser le sujet en déployant la thèse


qu’il contient. L’idée-directrice déploie alors, comme dans le commentaire, une
hypothèse de lecture du sujet qui ressortit de l’explication de texte. Il s’agit de mettre
à nu les axes argumentatifs du sujet et d’en offrir d’emblée une vue problématisée.

→ L’idée-directrice peut également se proposer d’être une contre-argumentation


du sujet qu’il s’agit de contredire, de dévoiler dans ses failles et ses manques.
L’idée-directrice prend alors l’allure d’une réfutation dont la thèse est diamétralement
opposée aux propositions argumentatives du sujet.

→ L’idée-directrice peut également se proposer de nuancer une autre idée-


directrice, d’y répondre en la réarticulant en d’autres termes. De la même manière,
il s’agit là encore d’offrir une thèse synthétique aussi ramassée qu’efficace possible.

Chacune de ces différentes idées-directrices qui président aux développe-


ments dissertatifs doit impérativement être suivie d’une définition. Chaque
définition dissertative est une reprise terme à terme des éléments déployés
dans l’idée-directrice de manière à ce que l’ensemble soit clairement établi
sur une base conceptuelle et notionnelle solide. Ainsi si l’idée-directrice doit
s’interroger sur le rôle de la métonymie chez Marcel Proust et déterminer si
cette figure est le moteur du souvenir chez le romancier d’À la recherche du
temps perdu, il faut impérativement définir ce qui est entendu par « métonymie »
ici afin de pas commettre d’erreur : la métonymie y est entendue rhétorique-
ment comme la partie pour le tout, la madeleine pour l’enfance, le pavé disjoint

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

pour une partie de tous les souvenirs par exemple. La définition figure donc une
étape-clef pour ouvrir une réflexion qui, plus que jamais, doit répondre d’une
efficacité et d’une précision qui en font à la fois le prix et la richesse.

EXEMPLE D’IDÉE-DIRECTRICE ET DE SA DÉFINITION


Sujet : Serge Daney (p. 27)
L’idée-directrice consisterait, notamment ici, à expliquer la citation de Serge
Daney en en soulignant la ferme opposition sinon l’antithèse qui articule le rapport
que Daney instaure entre le cinéma d’une part et le théâtre d’autre part. Selon lui, le
cinéma porte une vision plus large et plus libre, plus riche en un sens, des représen-
tations de l’homme dans le monde. Il en fait par le mot « monde » un synonyme de
liberté qui s’oppose implicitement à la question de la « société » mise en scène au
théâtre, qui devient ici un art saisi péjorativement.
L’idée-directrice pourrait ensuite prendre appui sur une définition qui viendrait
expliciter ce que Daney entend donc précisément par « société » et « monde » en
les tenant donc en opposition. Critique de cinéma, Daney instaure un dépassement
des questions et possibilités de représentations théâtrales qu’il juge étriquées par
rapport au cinéma, synonyme d’ouverture et de libération de toute contrainte.
On aurait donc au brouillon :
Idée-directrice : pour Daney, le cinéma → une libération par rapport au théâtre
Définition : cinéma → ouverture, liberté à la différence du théâtre → société,
limitation de la représentation

1.2. Étape n° 2 : la formulation de l’idée-argument


La deuxième étape clef de la réussite dès le brouillon d’un commentaire et
d’une dissertation en passe par la formulation de l’idée-argument. Une
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

idée-argument est, ainsi que sa dénomination l’indique, une idée qui vient
appuyer et expliciter l’idée-directrice. De fait, il s’agit alors d’expliquer en
quoi l’idée-directrice est juste et en quoi elle se justifie : l’idée-argument
devient donc l’outil premier de la démonstration dans le devoir et permet de
construire avec méthode et rigueur le raisonnement.
Élément indispensable du développement, l’idée-argument doit impérati-
vement répondre de trois critères afin de pouvoir asseoir l’idée-directrice :

→ L’idée-argument doit découler de l’idée-directrice qu’elle appuie et permet


de mieux comprendre. En aucun cas, l’idée-argument ne peut se présenter
comme une idée qui ne découlerait pas de la problématisation générale engagée
dans le paragraphe argumentatif en question.

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

→ L’idée-argument doit, ensuite, obligatoirement opérer à partir de l’une


des caractéristiques soulevées dans la définition afin de l’approfondir, de
la déployer et de la faire parfaitement saisir dans sa complexité. Chaque idée-
argument doit se comprendre aussi bien comme une explication que comme
une explicitation de l’idée-directrice.

→ L’idée-argument doit, enfin, s’envisager comme une preuve de ce que


l’idée-directrice avance. Il s’agit d’appuyer ce qui a été précédemment énoncé
et de concevoir chaque argument qui se déploie comme une raison et une
justification de la problématisation générale engagée dans le paragraphe. Il faut
ici convaincre plus que jamais et emporter l’adhésion de celui qui lit.

Le nombre d’idées-arguments peut être variable selon les paragraphes à


élaborer : deux ou trois idées-arguments permettent au propos d’asseoir son
mouvement démonstratif selon, à la fois, la nécessité argumentative engagée
dans la problématisation mais aussi les différentes caractéristiques notion-
nelles engagées par la définition. À l’intérieur du paragraphe argumentatif, la
distribution des idées-argumentatives ne se fait pas de manière énumérative,
comme un catalogue d’idées mais doit répondre immédiatement d’un mou-
vement d’articulation logique : plus que jamais, il s’agit de démontrer.
En ce sens, chaque idée-argument doit donc s’articuler et se distribuer selon ce
que le paragraphe cherche à expliquer, prouver, affirmer ou encore infirmer. Les
articulations logiques entre chaque idée-argument peuvent être de trois natures :

→ Le premier lien logique d’une idée-argument à l’autre peut, tout d’abord, être
un lien d’articulation logique dit chronologique ou additif : il faut expliciter les
arguments en les énonçant comme autant de raisons. Les connecteurs logiques
peuvent alors être : tout d’abord, ensuite, enfin ; en premier lieu, en deuxième lieu,
en dernier lieu ; d’une part, d’autre part ; Pour commencer, en outre, en définitive.
Cette articulation logique est, de loin, la plus répandue dans le commentaire
et la dissertation car elle est la plus même de détailler et d’expliciter de quoi
se compose l’idée-directrice qu’elle justifie en deux ou trois temps, à savoir
en deux ou trois idées-arguments.
→ Le second lien logique d’une idée-argument à l’autre peut, ensuite, être un
lien d’articulation logique dit consécutif : il faut expliquer les arguments en
montrant leurs liens de cause à conséquence. Les connecteurs logiques ont alors
à charge de montrer l’articulation qui peut se déduire d’un argument à l’autre,
d’une caractéristique à l’autre de la définition. En voici quelques-uns : dès lors, en
conséquence, par conséquent, c’est pourquoi, de sorte que, si bien que, partant, donc,
aussi, ainsi. Cette articulation logique permet de montrer comment un argument
découle d’un autre en soulignant tous les liens de consécution et d’enchaînement
causal. Plus que jamais, il s’agit d’expliquer et d’expliciter.

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

→ Le troisième et dernier lien logique d’une idée-argument à l’autre peut,


enfin, être un lien d’articulation logique dit concessif : il s’agit ici d’expliquer
comment chaque argument s’articule non en s’enchaînant mais en
induisant un mouvement de concession. Le but ici est d’œuvrer à une
nuance argumentative dans le propos qui soulève de lui-même les éventuelles
restrictions à apporter au propos. Voici quelques-uns de ces liens logiques de la
concession : au contraire, en revanche, alors que, quand.
Cette articulation logique cherche avant tout à œuvrer à une articulation du
contraste, qui permet de nuancer sans contredire. En effet, il est fortement
recommandé de ne pas proposer une contre-argumentation ou une réfutation à
l’intérieur du même paragraphe argumentatif : il faut expliquer l’idée-directrice
et non pas la contredire sinon la nier radicalement. La réfutation pourra
s’articuler dans un second temps, celui d’un autre paragraphe argumentatif
dont la visée démonstrative globale consistera non plus à nuancer mais alors à
contredire frontalement.

Dans le commentaire
L’idée-argument dans le commentaire se présente toujours comme une
explicitation de l’axe de lecture premier que constitue l’idée-directrice. Elle
procède ainsi toujours en deux temps : il s’agit, tout d’abord, de donner une
première justification notionnelle et textuelle de l’hypothèse de lecture qui
structure le paragraphe. Il s’agit, enfin, d’expliquer littéralement pourquoi la
notion avancée constitue un élément déterminant du texte étudié.
À ce titre, l’idée-argument du commentaire de texte se présente toujours
invariablement comme l’analyse de la piste de lecture. Le plus souvent, un
procédé appuyant l’hypothèse de lecture problématisée dans l’idée-directrice
peut servir d’argument afin notamment de démontrer combien ladite hypo-
thèse se voit fondée en l’éprouvant dans la lecture fouillée du texte même.
L’idée-argument possède alors une qualité technique, empruntant le plus
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

souvent à une grille de lecture stylistique, pragmatique, poétique ou encore


rhétorique (voir p.  73). L’idée-argument permet d’affirmer d’emblée une
rigueur scientifique dans la saisie du texte à étudier.
S’agissant de l’articulation d’une idée-argument l’autre, le commentaire de
texte s’organise généralement autour des liens logiques additifs : il s’agit, le
plus souvent, effectivement d’affirmer point par point, preuves à l’appui des
caractéristiques formelles et techniques développées dans la définition pre-
mière du propos. On trouve également l’articulation logique fondée sur le
consécutif quand, de fait, une caractéristique technique ne vient pas unique-
ment s’additionner à une autre pour forger une notion mais quand un constat
textuel premier est à l’origine d’un autre, et vaut ainsi pour une classique rela-
tion de cause à conséquence. Enfin, la liaison logique concessive permet,

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

quant à elle, de dynamiser le propos en restituant le lien analytique qui


existe dans l’articulation notamment d’une notion présupposant une défini-
tion qui ne s’admet pas avec évidence.

EXEMPLE D’IDÉES-ARGUMENTS
« La Cour du Lion » de Jean La Fontaine (voir texte p. 25)
L’idée-directrice consiste à mettre en évidence en quoi « La Cour du Lion » de La
Fontaine constitue un apologue. La définition proposée articulait deux traits distinc-
tifs majeurs : en premier lieu, divertir et ensuite instruire puisqu’il s’agit avant tout
d’un récit qui cherche à convaincre.
La mise en lumière de ces deux caractéristiques définitionnelles fournit les deux
idées-arguments qui expliciteront en toute logique l’idée-directrice et lui permettront
d’être démontrée et ainsi confirmée dans sa justesse. La première idée-argument
devra donc poser l’idée selon laquelle l’apologue se présente comme un récit. Il s’agira
dès lors d’en redonner la définition et d’en présenter les caractéristiques essentielles
permettant après vérification et lecture de confirmer qu’il s’agit bel et bien d’un récit.
Les caractéristiques en question seront la présentation d’une histoire divisée selon un
schéma narratif ternaire (situation initiale/péripéties/situation finale) qui s’appuie sur
des personnages dont l’action s’inscrit dans un cadre spatio-temporel donné.
À ce premier critère du récit vient correspondre un second avancé par la défi-
nition, à savoir la puissance de conviction suscitée par le récit. Un lien logique
peut s’établir entre les deux critères soit selon la logique additive (tout d’abord et
ensuite) ou la logique consécutive (c’est une histoire qui implique un discours). Il
s’agit ici, en effet, de la morale qui répond ici d’un désir d’instruire le lecteur car la
morale tire une leçon de l’histoire présentée. Elle s’articule sur un discours dont les
marques énonciatives constituent autant d’éléments à mettre en valeur dans l’ana-
lyse, à savoir le discours adressé à une deuxième personne, un présent gnomique dit
de vérité générale et un souci d’instruire celui qui lit.

On aurait donc au brouillon :


Idée-argument 1 : tout d’abord un Récit → une histoire (schéma ternaire) avec
personnages et cadre spatio-temporel → Visée du récit : divertir
Idée-argument 2 : ensuite un Discours → une morale avec un discours à la deux-
ième personne, présent gnomique → Visée du discours : instruire

Dans la dissertation
L’idée-argument dans la dissertation se présente toujours comme un déve-
loppement précis et méthodique de l’idée-directrice. Elle procède ainsi
tout d’abord en un approfondissement de la thèse posée en ouverture du

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

paragraphe : il s’agit d’expliquer et de déployer les idées qui peuvent être


déduites de la problématisation première. Chaque idée-argument vient
donc à la fois prouver et appuyer ce qui a été dit de manière à construire
un raisonnement sur autant de bases solides : il s’agit d’une arbores-
cence argumentative qui permet au propos d’emporter l’adhésion de
celui qui lit. Toute dissertation construit son développement grâce à des
idées-arguments obéissant à un large et profond mouvement déductif issu
de l’idée-directrice : à ce titre, chaque idée-argument est une hypo-idée de
la thèse.
Plus encore que dans le commentaire, l’enchaînement logique des idées-
arguments entre elles est la clef de la rigueur démonstrative de la dissertation.
Articuler son propos revient à parvenir à saisir les enjeux des débats ouverts
par l’analyse du sujet dont l’idée-directrice vient dévoiler un des axes. Chaque
idée-argument ne peut alors s’ordonner logiquement à une autre qu’en fonc-
tion d’une visée discursive globale du paragraphe. Trois liaisons logiques se
dessinent là encore :

→ L’idée-argument peut s’ordonner chronologiquement ou additivement à


une autre idée-argument : c’est le cas d’une idée-directrice à déployer en deux
temps qui s’enchaînent comme une conjugaison d’autant de traits distinctifs.
Un tel enchaînement logique peut notamment s’employer lorsque l’idée-
directrice se donne comme une notion qu’il s’agit proprement de définir.
Cela peut être le cas d’une dissertation qui mettrait en œuvre la question
du mouvement littéraire de l’humanisme : une partie qui y serait consacrée
devrait le définir en deux idées-arguments comme autant de caractéristiques
définitionnelles dudit mouvement.
→ L’idée-argument peut s’ordonner également à une autre dans le cadre d’une
liaison logique consécutive. C’est sans doute l’articulation démonstrative la
plus répandue dans la dissertation tant il s’agit toujours de déduire une idée
d’une autre et d’expliquer une idée-directrice afin de parvenir à montrer comment
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

l’une peut entraîner l’apparition de l’autre selon une chaîne de causes et de


conséquences. Avancer un argument revient ici à en impliquer un autre qui en
découle : la consécution fait partie ainsi du mouvement explicatif inhérent au
propos dissertatif.
→ L’idée-argument peut enfin s’agencer à une autre selon les modalités
logiques de la concession. Cette dernière liaison logique joue un rôle
prépondérant dans l’articulation des différents arguments d’un paragraphe
dissertatif dans la mesure où les liens logiques mis en jeu sont ceux qui
permettent à une discussion de s’établir. Or disserter consiste comme son
étymologie l’indique à discuter, à s’inscrire dans un débat au cœur duquel
il convient de prendre parti et donc de discuter sur le mode concessif des
arguments mis en jeu dans le mouvement démonstratif.

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

EXEMPLE D’IDÉES-ARGUMENTS

Sujet : Serge Daney (p. 27)


L’idée-directrice consiste ici à mettre en évidence en quoi dans sa réflexion
le critique de cinéma Serge Daney oppose diamétralement sinon violemment
ces deux arts de la représentation que sont le théâtre et le cinéma. La défini-
tion proposée articulait dans son mouvement conceptuel une antithèse entre le
théâtre conçu comme analyse de la société et le cinéma conçu comme ouverture
au monde.
La mise en œuvre dans le mouvement dissertatif de ces deux caractéristiques
définitionnelles s’articulera précisément autour de la question de leur antithèse et
incidemment selon des liens logiques qui relèvent de la concession. En effet, une fois
posée l’idée-argument selon laquelle le théâtre est synonyme de société, il s’agit de
montrer qu’en revanche le cinéma se voit valorisé par la même opération démons-
trative.
Ainsi la première idée-argument à développer consiste-t-elle en une formulation
du jugement d’appréciation sociologique de Daney sur le théâtre. Pour lui, l’art dra-
matique repose sur une vision purement sociale des hommes, où mettre en scène
revient à s’interroger sur les rouages de la société. La scène n’y est pas le lieu d’un
déploiement herméneutique autre que déterminé et condamné à des sujets répé-
titifs et datés. Car, à suivre son raisonnement, le théâtre est non un lieu d’ouver-
ture mais un lieu de privations, de limitations successives et presque un art dépassé,
moribond.
Cependant, cette première idée-argument doit s’articuler à la seconde qui
en découle et qui vient la nuancer sur le mode de l’antithèse : il s’agit ici d’op-
poser le cinéma au théâtre. Tout ce que le théâtre ne permet pas semble être
rendu possible par le cinéma. Le rapport est inversé : le cinéma est loué comme
un art de l’ouverture, de la liberté sinon de la libération de tous les carcans. Si
le théâtre évoquait la société, il était aussi un art social alors que le cinéma se
donne au-delà de la société, dans une jouissance et une redécouverte de l’exis-
tence. Il y a ici une vision presque rimbaldienne pour le grand voyageur qu’a été
Serge Daney.

On aurait donc au brouillon :

Idée-argument 1 : tout d’abord une vision négative du théâtre → un art de la


société et un art social, un art de la restriction et de la fermeture → Théâtre art
daté et dépassé dans sa vision de l’homme.
Idée-argument 2 : en revanche valorisation et éloge du cinéma → un art de l’ou-
verture, de la liberté et de la libération → art de la redécouverte de l’homme et
de l’existence → Vision rimbaldienne d’un voyage artistique et existentiel

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

1.3. Étape n° 3 : la recherche de l’exemple et la formulation


de son commentaire
La troisième étape clef de la réussite d’un commentaire et d’une dissertation
dès la phase du brouillon consiste en la recherche de l’exemple et la formula-
tion de son commentaire. En effet, chaque idée-argument ne peut s’avancer
seule démonstrativement mais, comme dans un jeu d’emboîtements et de
poupées russes, le propos argumentatif doit toujours prouver et justifier
les idées avancées : si les idées-arguments sont les justifications de l’idée-di-
rectrice, les exemples permettent en revanche d’asseoir et de prouver la jus-
tesse de ce que les différentes idées-arguments avancent. Il est impossible
de construire un commentaire ou une dissertation sans fournir le moindre
exemple tant, à la vérité, l’exemple fournit le terreau même de toute inter-
prétation et de toute idée. On ne peut ainsi imaginer un commentaire sans
une partie de l’extrait précisément et textuellement commenté.
De la même manière, il apparaît inenvisageable de présenter un rai-
sonnement dissertatif sans l’appuyer d’un exemple qui permet de mieux
se représenter l’idée développée. Car, contrairement aux préjugés, ce qui
fait la justesse et la force d’un argument, c’est précisément de pouvoir être
prouvé par un exemple. Tout naît de l’exemple : le commentaire puise ses
problématisations de l’analyse et l’observation du texte et doit être assis,
en retour, sur un exemple tiré du texte ; la dissertation, quant à elle, part à
son tour d’une réflexion sur un exemple pour en tirer une loi plus générale
avant de revenir par l’exemple à la justesse même de sa problématisation
ainsi assurée.
Ainsi, loin d’être décoratif, tout exemple doit ancrer le propos dans le
concret en évitant un caractère trop général, fâcheusement approximatif et
beaucoup trop théorique. La sollicitation de l’exemple assure donc au raison-
nement une assise concrète qui, pour ce faire, se doit toujours de trouver une
double caractéristique :
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

→ Chaque exemple doit être absolument précis et détaillé. On ne peut se


contenter d’être vague ou même implicite. Afin de se repérer avec plus d’aisance
par la suite, il faut observer même lors de la phase de brouillon un souci
d’exactitude et d’exhaustivité. Plus l’exemple sera précis, plus l’idée-argument
se montrera convaincante et prendra tout son sens.
→ Chaque exemple se doit d’être développé. On ne peut là encore se contenter
d’être allusif ou de donner des pistes indicatives. Il faut savoir ainsi développer
son exemple de manière à lui donner la surface argumentative nécessaire pour
qu’il puisse être convaincant. Au brouillon, on prendra la peine d’énumérer sous
forme de listes les différents éléments qui donnent à l’exemple une fois rédigé
sa pleine lisibilité.

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

L’exemple incarne donc le point central de la démonstration dont il éprouve à


la fois la solidité et la justesse argumentative. Il ne peut cependant être énoncé
sans être commenté. De fait, le commentaire de l’exemple s’impose également
comme un élément fondamental dans la mesure où il se doit de dégager à son
tour une idée qui se fait double :
→ Le commentaire vient synthétiser une réflexion sur l’exemple et expliciter
à nouveau l’idée-argument que ledit exemple est censé illustrer.
→ Le commentaire vient annoncer l’idée-argument suivante et doit donc
également offrir une possibilité de transition : le commentaire a pour vocation
d’annoncer l’idée suivante qui doit comme en découler naturellement, presque
à la manière d’une évidence.

Dans le commentaire
L’exemple dans le commentaire se présente toujours invariablement comme
une citation. En effet, pour permettre au propos de se développer et de trouver
une assise concrète, l’exemple sera toujours un extrait du texte, de longueur
variable, qui fera l’objet d’une analyse et d’un incident commentaire. La
citation sera toujours placée entre guillemets pour être aisément identifiable
et ne sera pas d’une longueur trop importante : il s’agit d’analyser le texte et
non de le recopier. On prendra toujours soin, dès le brouillon, d’avoir préa-
lablement numéroté les lignes du texte et d’indiquer les lignes de la citation
entre guillemets. Si d’aventure la citation excédait trois lignes dans le texte, on
coupera la citation en choisissant d’en recopier soigneusement le début et la
fin en plaçant entre chacune de ces bornes le signe typographique de conven-
tion […] marquant la coupure.
La citation qui a donc valeur d’exemple doit révéler un procédé, doit com-
porter une figure repérable et exige en conséquence d’être choisie avec perti-
nence : il ne faut inclure que ce qui sert le propos et ainsi ne jamais perdre de vue
qu’il s’agit avant tout, même dans l’étape de l’exemple, d’une démonstration.
C’est par ailleurs pourquoi il convient absolument d’analyser dans le détail,
avec force outils techniques et procédés, chacune des citations convoquées
dans le devoir. Une citation ne peut demeurer à titre décoratif : il ne suffit pas
en effet de dire qu’elle illustre parfaitement ce qu’entend l’idée-argument car
il faut, bien plutôt, montrer et démontrer en quoi elle l’illustre et devient un
élément indispensable au raisonnement lui-même. La citation, comme tout
exemple, fait progresser le raisonnement et fournit même d’autres possibles
arguments à l’intérieur desquels le commentaire doit puiser pour orienter
vers l’idée-argument suivante.

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

L’EXEMPLE ET LE COMMENTAIRE D’EXEMPLE


« La Cour du Lion » de Jean La Fontaine (voir texte p. 25)
Les exemples à trouver s’agissant de « La Cour du Lion » de La Fontaine
sont doubles. Il faut, en effet, illustrer, appuyer et prouver la justesse des deux
idées-arguments énoncées. À ce titre, trouver des exemples consiste en un repé-
rage textuel précis qui tient compte pour chaque argument de l’analyse tech-
nique à fournir dans le commentaire. Il faut partir d’un relevé pratiqué dans le
texte même afin de pouvoir dégager ce qui va servir à chacune des idées-argu-
ments et les classer selon les procédés et les analyses textuelles et poétiques
engagées.
Pour ce qui concerne l’idée-argument première qui s’attache à montrer que l’apo-
logue articule en premier lieu un récit, il faut donc repérer l’ensemble des marques
du récit précédemment énoncées pour asseoir la démonstration. On prendra ainsi
soin, tout d’abord, de dégager la structure du schéma narratif ternaire et d’en mar-
quer les bornes en numérotant les vers. Ensuite, pour ce qui est des personnages,
on prendra soin cette fois d’identifier les personnages selon les personnifications
pratiquées et de choisir un personnage comme exemple, comme le Roi pour plus de
commodité démonstrative. L’ensemble de ces traits notionnels concourt à asseoir
la définition mentionnée précédemment du récit.
Pour ce qui se rapporte à présent à la seconde idée-directrice, il s’agit cette fois
de repérer quels sont les éléments textuels autorisant à parler d’un discours. La der-
nière strophe qui ne coïncide pas avec la situation finale mais se poursuit une fois
l’histoire achevée doit être repérée précisément. Un registre didactique doit être
dégagé qu’accompagnent les marques là encore du discours comme le « vous » ou
encore l’usage du présent gnomique ou présent de vérité générale qui doit être pré-
cisément relevé et ainsi illustré.
L’ensemble de ces exemples doit être enfin commenté pour permettre à la fois
de synthétiser et d’offrir une transition argumentative. L’exemple de la première
idée-argument peut être commenté comme le désir affirmé de La Fontaine de
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

divertir son lecteur, commentaire qui peut s’articuler immédiatement à la deuxième


idée qui vient le nuancer en affirmant qu’il s’agit en la conclusion de la fable d’un
discours. Instruire serait ainsi la visée ultime de la fable et le commentaire qui s’im-
pose pour clore le raisonnement.

On aurait donc au brouillon :


Exemple de l’idée-argument 1 : un récit → une histoire avec schéma ternaire :
Situation initiale : v. 1-v. 14 ; Péripéties : v. 15-v. 29 ; Situation finale : v. 30-v. 32/
→ Personnages avec personnification : Le Lion, attitude humaine : verbes « Il
manda donc » (v. 3) ou « En son Louvre il les invita » (v. 14)
Commentaire → Visée du récit : divertir

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

Exemple de l’idée-argument 2 : un discours → la strophe finale y est consa-


crée (v. 33-v. 36) → C’est une morale avec un discours à la deuxième personne
(« Vous », v. 33) assortie d’un présent gnomique « Ne soyez » (v. 34) → mise en
place d’un registre didactique.
Commentaire → Visée du discours : instruire

Dans la dissertation
L’exemple dans la dissertation consiste à mettre en lumière l’idée-argument
en l’illustrant concrètement et précisément. Chaque exemple d’un raisonne-
ment dissertatif cherche ainsi à convoquer une œuvre ou plusieurs œuvres
littéraires de manière détaillée. Il s’agit de dépasser la simple allusion et de
ne jamais demeurer dans un propos allusif pour que l’exemple puisse être
convaincant. Il faut donc que l’exemple soit explicité, expliqué et parfois large-
ment développé afin que l’idée-argument soit vérifiée et parvienne à prendre
tout son sens dans toutes ses nuances. On ne devra donc convoquer dans le
propos que des exemples absolument maîtrisés et connus : une connaissance
imprécise nuira inévitablement à la démonstration et au mouvement général
du paragraphe argumentatif.
Parce qu’ils ne doivent être en aucun cas décoratifs, les différents exemples
sollicités doivent donc se confondre avec l’argumentation qu’ils viennent
servir et appuyer. Pour solliciter un exemple, il convient de citer précisé-
ment le titre, son auteur, de mentionner la date de parution de l’œuvre en
question si elle revient en mémoire et de proposer d’emblée de donner la
raison pour laquelle l’œuvre peut venir illustrer l’idée-argument. Il faut par
la suite présenter brièvement l’œuvre dans sa globalité actantielle notamment
et poursuivre le développement selon l’idée-argument qui doit être défendue
et vérifiée dans l’œuvre en question : c’est ici la fonction du commentaire
qui, comme pour l’interprétation d’un texte, doit annoncer également
l’idée-argument suivante et se donner comme une transition articulant
l’ensemble du propos.
Enfin, afin de montrer également une connaissance approfondie de la
littérature, notamment française, on prendra avant tout soin de ne pas
solliciter les œuvres les plus attendues. S’il convient, d’évidence, de maî-
triser notamment des romans paradigmatiques comme La Princesse de
Clèves de madame de La Fayette ou encore L’Étranger de Camus, il appa-
raît en revanche bien plus pertinent de valoriser sa culture personnelle
en choisissant délibérément des œuvres moins en lumière mais tout aussi
efficaces dans les mouvements démonstratifs engagés. Ainsi, afin d’illus-
trer par exemple un propos analytique sur la question de l’écriture réaliste,
plutôt que de convoquer Le Père Goriot d’Honoré de Balzac, on sollicitera

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

avec privilège un roman tel que Germinie Lacerteux de Jules et Edmond de


Goncourt (1865) qui constitue, à maints égards, un exemple plus riche et
plus complexe notamment de la paradoxale « écriture artiste » à l’œuvre au
cœur du réalisme.

L’EXEMPLE ET LE COMMENTAIRE D’EXEMPLE

Sujet : Serge Daney (p. 27)


L’exemple et son commentaire dans cette dissertation s’établissent sur une
double recherche qui consiste à trouver comment illustrer les deux idées-arguments.
Chacune d’elle opère dans un domaine artistique différent : la première convoque
une culture strictement littéraire puisqu’il s’agit d’évoquer le théâtre tandis que la
seconde offre la véritable difficulté du sujet, à savoir convoquer une culture cinéma-
tographique qu’il s’agit de comparer et d’articuler systématiquement à l’art drama-
tique. La seconde difficulté vient également du traitement de l’exemple en soi qui
doit fuir expressément toute généralité, toute abstraction, toute théorisation dont
les éminents dangers sont avant tout le flou et le vague qui en résulteraient pour la
conduite démonstrative.
À ce titre, pour une pertinence et une efficacité dont doit se nourrir l’argument,
il convient ici de choisir des exemples précis et détaillés qui n’évoquent pas l’art
théâtral ni l’art dramatique de manière globale mais prélever, au contraire et avec
force, dans chacun des domaines convoqués une œuvre en particulier dont il s’agira
de déployer le questionnement afin de l’articuler à l’idée-argument en question.
L’exactitude fournira la qualité de l’exemple mais aussi de l’argumentation qui
démontrera, de fait, sa pertinence.
En premier lieu, s’agissant de l’idée-argument s’attachant au théâtre, on pourra
convoquer une pièce de Molière puisque Daney y fait lui-même référence dans
l’entretien dont est tirée la réflexion qui nous occupe. De fait, en se saisissant par
exemple, du Tartuffe (1669), on pourra en présentant cette comédie en cinq actes
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

et en vers, montrer en quoi l’histoire d’Orgon, personnage de cour tombé sous la


domination de Tartuffe, faux dévot, imposteur et manipulateur s’impose comme
une satire sociale du siècle de Louis XIV dans son rapport hypocrite et mensonger
à la religion. La flatterie et la flagornerie qui animent la cour se voient ici condam-
nées mais le propos de Molière répond d’une restriction propre à l’art théâtral selon
Daney : il s’agit d’une seule et unique question, ancrée socialement et historique-
ment dans le temps. D’autre part, le dispositif théâtral qui convoque un lieu unique
tout au long des cinq actes témoigne de manière flagrante d’une absence d’ouver-
ture : tout se concentre sur une pièce, sur un homme et non sur le monde. Les murs
du théâtre ne tombent pas.
En second lieu, s’agissant cette fois de l’idée-argument s’occupant du cinéma, il
convient de convoquer un film précis en parfaite adéquation avec l’idée d’ouverture

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

et de libération par laquelle Daney définit le septième art et l’oppose radicalement


au théâtre. Ainsi un film tel que La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock (1959) qui
présente l’histoire de Roger Thornhill, publicitaire new-yorkais interprété par Cary
Grant aux prises avec une histoire d’espionnage qui le dépasse ne subit aucun cadre
restrictif. Si l’histoire se déroule dans les États-Unis de l’après Seconde Guerre
mondiale et semble s’attacher uniquement au milieu des espions et des agents
secrets, ce film opère doublement dans l’ouverture du monde supposée par Daney
dans l’art cinématographique : tout d’abord, il expose, au-delà du théâtre, une véri-
table odyssée géographique et visuelle dans l’ensemble des États-Unis traversés ici
sur le mode du film d’espionnage. Au décor peint du théâtre, le cinéma oppose la
matière même du monde, de manière référentielle. Au-delà de cette vue littérale
sur le monde lui-même, le second aspect d’ouverture au monde perçu par Daney
se concrétise dans ce cinéma par la vision du personnage lui-même. Alors que le
théâtre s’intéresse à des personnages socialement déterminés comme le dévot
ou l’homme de cour, le cinéma s’attaque ici à l’homme du commun, à l’homme
banal qui, tout à coup, s’expose à une aventure extraordinaire : comme ici avec
le complot des agents secrets qui le dépasse totalement. L’aventure proposée est
délibérément universelle et va au-delà de tout clivage social. Le cinéma n’a pas de
frontières.
On aurait donc au brouillon :
Exemple de l’idée-argument 1 : tout d’abord une vision négative du théâtre
→ satire sociale : Tartuffe de Molière (1669) : caractères du dévot et de l’homme
de cour sous Louis XIV : socialement et historiquement déterminés.
Commentaire : Théâtre art restrictif → murs du théâtre.
Exemple de l’idée-argument 2 : en revanche valorisation et éloge du cinéma
→ un art de l’ouverture : La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock (1959) : Roger
Thornhill, homme du commun avec aventures extraordinaires → Odyssée amé-
ricaine : ouverture référentielle maximale.
Commentaire : Cinéma art de la redécouverte de l’homme → sans frontière.

1.4. Étape n° 4 : la conclusion-transition


Au brouillon, la préparation d’un paragraphe argumentatif s’achève par la
mise au point finale d’une rapide conclusion qui s’articule en deux moments
clefs :

Il s’agit, tout d’abord, d’affirmer le mouvement démonstratif qui a guidé et


structuré l’ensemble du paragraphe. L’idée-directrice doit ici être validée au
terme d’un bilan argumentatif : le but est de confirmer la pertinence et la
justesse des idées défendues tout au long du propos.

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

Le second moment consiste enfin à présenter une transition avec l’idée-


directrice suivante. La conclusion n’a pas pour but unique de clore le propos
mais, au contraire, de le relancer et ainsi de l’articuler avec l’argumentation
à venir dans le prochain paragraphe, qu’il s’agisse d’une partie ou d’une sous-
partie. À cet égard, la conclusion, parce qu’elle pose les fondements de l’idée-
directrice suivante, constitue une cheville argumentative centrale dans tout
mouvement démonstratif fondé sur une argumentation déductive.

Dans le commentaire
La conclusion-transition s’établit ici selon les deux étapes clefs du bilan et du
relais de l’idée-argument suivante. La conclusion propose ainsi, tout d’abord,
de reprendre le mouvement interprétatif global du texte à commenter en
affirmant la pertinence de l’hypothèse de lecture avancée en ouverture par
l’idée-directrice. Le bilan pourra ainsi réarticuler, en manière de rappel, les
idées-arguments majeures même si le propos devra prendre garde de ne pas
résumer intégralement le propos qui vient juste d’être exposé.
La transition se fera, quant à elle, de manière là encore déductive en
cédant la place à l’idée-directrice suivante qui sera juste annoncée et non pas
expliquée. Le paragraphe argumentatif qui s’y enchaînera aura ainsi à charge
d’exposer la nouvelle hypothèse de lecture. On prendra enfin garde à ne pas
analyser ici de nouvelles citations ou encore à énoncer de nouveaux arguments
qui nécessiteraient un développement. Au brouillon, la conclusion-transition
se doit d’être brève : quelques mots clefs là encore suffisent amplement.

EXEMPLE DE CONCLUSION-TRANSITION
Jean de La Fontaine, « La Cour du Lion » (p. 25)
Pour ce qui est de « La Cour du Lion », la conclusion-transition établit dans un pre-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

mier moment le bilan de lecture de la première piste de lecture qu’offre la saisie défi-
nitionnelle de l’apologue. Parce que le mouvement démonstratif s’achève notamment
sur la mise en évidence des conditions énonciatives de la morale sur les courtisans, la
deuxième idée-directrice devra immédiatement être annoncée pour souligner l’effet
de consécution et de démonstration qui guide l’interprétation générale du texte :
l’apologue offre, en effet, une peinture à la fois tragique et satirique de l’autoritarisme
royal. La conclusion-transition se doit de l’annoncer en ces termes clairs et concis.

On aurait donc au brouillon :


Conclusion : Bilan : un apologue avec récit et morale articulés
Transition : peinture tragique et satirique de l’autoritarisme royal

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

Dans la dissertation
Au brouillon, la conclusion-transition s’organise de la même manière sur la
double articulation d’un bilan argumentatif et d’un mouvement de relance
du débat et du questionnement par l’annonce de l’idée-directrice suivante. Le
bilan s’accomplit ici en rassemblant les traits argumentatifs majeurs qui ont
été développés tout au long du paragraphe : il s’agit là encore d’en éprouver
la justesse et de confirmer que le mouvement démonstratif est parvenu à son
terme.
Le second moment consiste en une ouverture et une incidente transi-
tion qui annonce la thèse qui sera proposée puis défendue dans le paragraphe
argumentatif suivant. Il ne convient pas ici de se lancer immédiatement dans
un développement mais d’offrir un aperçu articulé à l’idée-directrice qui
vient ici achever son argumentation. Il apparaît enfin inutile de mentionner
notamment même à titre indicatif des titres d’œuvres qui seront convoquées
comme exemples dans le paragraphe immédiatement à venir : le propos doit
être resserré sur la stricte argumentation de manière à garder à l’esprit le
mouvement démonstratif qui doit l’emporter sur toute autre prérogative.

EXEMPLE DE CONCLUSION-TRANSITION

Sujet : Serge Daney (p. 27)


En ce qui concerne la réflexion de Daney, la conclusion-transition du projet dis-
sertatif engagé doit, en premier lieu, établir le bilan argumentatif de l’idée-direc-
trice. En effet, Daney défend ici l’idée radicale selon laquelle le cinéma incarne une
libération esthétique et existentielle par rapport à l’art théâtral limité sinon étriqué.
L’antithèse des deux arts vient à structurer son propos : il convient d’en faire men-
tion de manière à la fois à le rappeler mais à en confirmer la pertinence au lecteur.
Cette première hypothèse vérifiée, il faut à présent annoncer la deuxième idée-di-
rectrice qui découlera directement de l’examen de la thèse même de Daney : il s’agit
ici de nuancer son propos qui manque volontairement certains aspects du théâtre. Le
deuxième mouvement argumentatif s’occupera donc de réhabiliter l’art théâtral en
démontrant combien il n’est pas qu’uniquement social et combien la vision de Daney
est violemment restrictive. Le but de cette conclusion-transition est d’assurer, sur le
plan argumentatif, les conditions d’un débat engagé par la première idée-directrice.

On aurait donc au brouillon :


Conclusion : Bilan : une dévalorisation du théâtre et un éloge du cinéma, art de
la libération
Transition : Vision restrictive du théâtre, trop limité : le théâtre peut parler du
monde ?

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

1.5. Ultime étape au brouillon : le schéma argumentatif


Les épreuves écrites du commentaire et de la dissertation engagent de com-
plexes et méticuleux mouvements démonstratifs qui doivent demeurer claire-
ment saisis et exposés tout au long de chacune des étapes au brouillon. Parce
que les étapes sont nombreuses, il convient, afin de maintenir une efficacité
certaine, de rassembler l’ensemble des différentes parties mises en évidence
sous la forme d’un schéma argumentatif. Ce schéma consiste à synthétiser
les étapes majeures déjà mises en évidence et à les offrir en un seul coup d’œil
lors des différentes étapes de rédaction. Constitué comme précédemment
d’une série de mots-clefs, la rédaction n’en sera que plus aisée et méthodique
comme si le schéma argumentatif constituait un mode d’emploi argumen-
tatif à suivre à la lettre pour construire son devoir.
Voici ainsi le schéma argumentatif à établir au brouillon pour chaque
partie :

Idée
Définition
directrice

Car

Tout d’abord Ensuite


En définitive
Idée-argument Idée-argument
Exemple Exemple Idée directrice
sous la forme sous la forme Idée de la partie
d’une citation d’une citation directrice suivante
Commentaire Commentaire
de l’exemple de l’exemple
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Qu’il s’agisse du commentaire ou de la dissertation, ce schéma argumen-


tatif s’applique semblablement au brouillon. Seules diffèrent les chevilles d’en-
chaînement logique selon la démonstration engagée. On peut ainsi obtenir les
schémas argumentatifs suivants selon les deux sujets étudiés dans cette partie.

Schéma argumentatif pour le commentaire de « La Cour du Lion »


de Jean de La Fontaine (voir p. 50)
Il convient ici de reprendre l’ensemble des propositions développées sous
forme de mots-clefs. Le schéma présente une synthèse qui rend compte de ce
premier axe de lecture portant sur la définition même de l’apologue à l’œuvre
dans ce texte.

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

Idée directrice
« La Cour du Lion » → Un apologue
Définition
Un apologue → Récit qui cherche à convaincre
→ Divertir et instruire
Car
Tout d’abord Ensuite
Idée-argument Idée-argument
un Récit → une histoire un Discours → une morale avec
(schéma ternaire) avec personnages un discours à la deuxième personne,
et cadre spatio-temporel présent gnomique
Exemple Exemple
→ une histoire avec schéma ternaire : → la strophe finale y est consacrée
Situation initiale : v. 1-14 ; (v. 33-36)
Péripéties : v. 15-29 ; → C’est une morale avec un discours
Situation finale : v. 30-32 à la deuxième personne (« Vous », v. 33)
→ Personnages avec personnification : assortie d’un présent gnomique (v. 34)
Le Lion, attitude humaine : → mise en place d’un registre
verbe « il manda donc » (v. 3) didactique
Commentaire → Visée du récit : divertir
Commentaire Commentaire
→ Visée du récit : divertir → Visée du discours : instruire
En définitive
Idée directrice
Conclusion : Bilan : un apologue avec récit et morale articulés
Idée directrice de la partie suivante
Transition : peinture tragique et satirique de l’autoritarisme royal

Schéma argumentatif pour la dissertation portant sur le sujet


sur Serge Daney (voir p. 27)
Le schéma argumentatif ci-dessous condense l’ensemble des propositions
développées sous forme de mots-clefs. Le schéma offre une ressaisie rapide
et efficace des principales articulations argumentatives mises en œuvre.
L’articulation d’une idée-argument à l’autre s’effectue ici au moyen du lien
logique « en revanche » qui doit d’emblée figurer au brouillon.

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

Idée directrice
pour Daney, le cinéma → une libération par rapport au théâtre
Définition
cinéma → ouverture, liberté à la différence du théâtre → société,
limitation de la représentation
Car
Tout d’abord En revanche
Idée-argument Idée-argument
une vision négative du théâtre valorisation et éloge du cinéma
→ un art de la société et un art social, → un art de l’ouverture, de la liberté
un art de la restriction et de la fermeture et de la libération
→ Théâtre art daté et dépassé → art de la redécouverte de l’homme
dans sa vision de l’homme et de l’existence
→ Vision rimbaldienne d’un voyage
artistique et existentiel
Exemple Exemple
→ satire sociale : Tartuffe de Molière → un art de l’ouverture : La Mort
(1669) : caractères du dévot aux trousses d’Alfred Hitchcock (1959) :
et de l’homme de cour sous Louis XIV : Roger Thornhill, homme du commun
socialement et historiquement avec aventures extraordinaires
déterminés → Odyssée américaine : ouverture
référentielle maximale
Commentaire Commentaire
Théâtre art restrictif èmurs du théâtre Cinéma art de la redécouverte
de l’homme sans frontière
En définitive
Idée directrice
Conclusion : Bilan : une dévalorisation du théâtre et un éloge du cinéma,
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

art de la libération
Idée directrice de la partie suivante
Transition : Vision restrictive du théâtre, trop limité :
le théâtre peut parler du monde ?

2 L’étape de la rédaction définitive


Il s’agit ici de la mise en œuvre concrète et complète de ce que la rhétorique
nomme l’élocution, à savoir l’ensemble des techniques relatives à l’écriture
d’une argumentation. Si les règles d’argumentation et d’agencement des idées

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

ont été strictement suivies au brouillon, seule l’étape de la rédaction défini-


tive au propre assure la réussite de l’épreuve. À ce titre, la rédaction comme
toute élocution en rhétorique doit faire l’objet d’une attention particulière
tant l’expression écrite témoigne toujours de la mise en ordre et de l’effica-
cité des idées développées. Une idée mal formulée au cœur d’un paragraphe
mal rédigé condamnera, en dépit de la justesse de l’idée, l’ensemble du propos
à l’échec : il ne pourra en aucun cas convaincre.
Aux règles élémentaires divulguées plus haut s’agissant de l’élocution mini-
male à observer au brouillon, viennent s’ajouter, dans la rédaction, d’autres
règles qui permettent d’assurer au propos développé sa lisibilité et sa viabilité.
Si l’exactitude lexicale et la maîtrise syntaxique s’imposent là encore comme
les caractéristiques premières d’un propos rigoureux, deux autres règles
régissent l’élocution argumentative quand il s’agit d’entrer dans la phase
rédactionnelle à proprement parler :

2.1. La rigueur dans l’exposition des idées


Un devoir réussi doit témoigner avant tout d’une rédaction maîtrisée qui sait
exposer avec ordre et méthode son propos et l’ensemble des thèses défen-
dues. Rédiger à partir d’un brouillon aussi formalisé et rigoureux que le schéma
argumentatif ne doit pas autoriser n’importe quel type de phrase : il faut là
encore redoubler de vigilance et d’attention dans la présentation des arguments.
Toute phrase qui ouvre un paragraphe argumentatif se construit donc sur
un ordre d’exposition par lequel tous les éléments mentionnés dans le schéma
argumentatif doivent être mis en œuvre. La première phrase doit d’emblée
poser les enjeux.
☛ Attention ! On peut décomposer de la sorte cet ordre d’exposition argu-
mentatif pour le commentaire tout d’abord :

Mentionner l’extrait ou le texte + donner le nom de l’auteur comme le sujet


de la première phrase + exposer l’idée-directrice

EXEMPLE 1 : « LA COUR DU LION » DE JEAN DE LA FONTAINE


Dans « La Cour du Lion », Jean de La Fontaine propose, sous la forme d’une fable,
un apologue qui se propose de dépeindre et critiquer la vie de cour sous Louis XIV. ●

S’agissant de la dissertation, l’ordre et la méthode d’exposition répondent des


mêmes impératifs qui rendent visibles sans attendre la thèse défendue.
Mentionner l’objet du débat + donner le nom de l’auteur de la citation comme
le sujet de la première phrase + exposer la thèse

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

EXEMPLE 2 : SUJET SUR SERGE DANEY

Au cœur de sa réflexion sur les rapports du cinéma aux autres arts, Serge Daney
avance que le cinéma constitue un art libération au regard du théâtre, forcément
plus étriqué et incidemment limité. ●

Le reste du paragraphe argumentatif répond du même souci de rigueur et


déploie une articulation logique qui permet de saisir aisément le mouve-
ment démonstratif. Aussi bien pour ce qui concerne le commentaire comme
la dissertation, on prendra soin d’introduire la définition par la locution
adverbiale « en effet » ou encore par l’adverbe « effectivement » ou tout autre
lien induisant un développement. Il s’agit à chaque fois de marquer techni-
quement les étapes du raisonnement de manière à en rendre la conduite et
la lecture aisées.
De la même façon, l’exposition de chaque idée-argument obéit à de
semblables procédures logiques puisque chacune se doit de s’ouvrir et
de s’articuler avec les chevilles démonstratives fixées dans le schéma argu-
mentatif. « Tout d’abord », « ensuite » et « enfin » permettent de fixer une
articulation aussi bien logique que chronologique pour ventiler un propos
conceptuel organisé en traits distinctifs : ils sont les marqueurs d’un chemi-
nement logique au même titre que « en revanche » ou « par conséquent » vus
plus haut (voir p. 50).
S’agissant enfin de la rédaction de l’exemple, elle se révèle aussi primor-
diale que délicate. Il faut toujours introduire les exemples par une phrase
rédigée si bien que des formules telles que « Par exemple : » suivie de la
citation notamment dans le commentaire sont à proscrire absolument. On
aura recours ici à des formules qui, là encore, auront à charge d’introduire
l’exemple comme notamment « on citera ici pour mémoire » ou « Que l’on
se reporte notamment aux lignes… afin d’y lire précisément l’écho de cette
proposition ». Autant de formules qui permettent aux exemples de ne déci-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

dément plus être décoratifs mais de trouver au sein de l’argumentation leur


pleine place démonstrative.

2.2. La sobriété du style


Le second critère élocutoire à respecter dans la phase finale de rédaction
consiste à observer une certaine sobriété dans le style. Si le niveau de
langue doit être courant sinon soutenu et la maîtrise syntaxique effective, il
convient ainsi tout d’abord d’éviter ainsi tout risque de relâchement, de
formules familières ou rapides. Il convient également de renoncer à toute
facilité qui consisterait à adopter un style journalistique ou médiatique pro-
cédant par approximations ou autres formules. Le style du devoir doit être

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

avant toute chose au service du propos défendu. Comme l’avançait Gérard


Genette lorsqu’il évoquait l’exercice de la dissertation, il s’agit d’observer
un « degré zéro de l’écriture », à savoir, reprenant ici la formule consacrée
de Roland Barthes, une parole qui cherche à s’effacer derrière ce qui doit
être dit et démontré. Seule l’idée doit être visible, seule l’idée doit être
lisible.
Le commentaire comme la dissertation ne se donnent comme littéraires
que par leurs objets et non en soi : il ne s’agit pas de confondre ici l’élégance et
l’invention de l’écriture de l’essayiste avec l’efficacité et la logique méthodique
que ces exercices doivent avant tout mettre en œuvre. Si être sobre stylisti-
quement ne veut pas forcément dire renoncer à toute originalité en matière
de style, on prendra cependant garde à ne pas venir surnourrir son propos
par excès d’élégance ou par pur jeu rhétorique d’un style qui plairait, par
facilité, à se regarder écrire. Il convient donc de renoncer à l’emphase, à un
ton pédant nourri de termes jargonnants qui ne se verraient jamais expliqués
et aux effets lyriques d’une phrase qui, à terme, ne finirait plus par ne signifier
qu’elle-même. L’idéal de l’épreuve écrite serait alors paradoxalement et idéa-
lement à chercher du côté d’un non-style qui privilégierait avant tout l’infor-
matif et le démonstratif.
On mesure combien une telle visée peut être illusoire tant la subjectivité
habite toute énonciation mais il n’en demeure pas moins que tendre vers une
objectivité scientifique du propos vient à indiscutablement renforcer la
puissance argumentative du raisonnement. Rédiger consiste alors à trans-
mettre avec efficacité un message au plus grand nombre et à observer un ton
didactique en gardant toujours présent à l’esprit que celui qui lit doit être
intégralement accompagné dans sa découverte du sujet, qu’il ne s’agit jamais
en rédigeant de raisonner par sous-entendus ou remarques allusives, que
le régime implicite doit être quitté et que l’ensemble du propos doit être un
exposé explicite.
Munis de ces deux critères élocutoires que sont la rigueur d’exposition et
la sobriété stylistique, on pourra dès lors procéder à la rédaction et la mise en
œuvre de chacun des schémas argumentatifs précédemment élaborés.

EXEMPLE 1 : « LA COUR DU LION » DE JEAN DE LA FONTAINE

Dans « La Cour du Lion », Jean de La Fontaine propose, sous la forme d’une fable,
un apologue qui entend dépeindre et critiquer dans le même mouvement la vie de
cour sous Louis XIV. De fait, un apologue répond toujours d’une double visée qui
se concentre sur l’élaboration d’un récit qui, par son histoire, cherche à convaincre.
Fruit d’une argumentation indirecte, la fable de La Fontaine œuvre non seulement
par l’histoire qu’elle offre à divertir mais par-dessus tout à instruire les hommes et à
participer à leur éducation tant intellectuelle que morale.

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

En effet, « La Cour du Lion » se présente, tout d’abord, comme un récit, à savoir


une histoire articulant une action, qui elle-même se déploie depuis autant de per-
sonnages ancrés dans un cadre spatio-temporel déterminé ou tout du moins assi-
gnable. L’argument de la fable peut aisément se résumer à la situation actantielle
suivante qui, par sa simplicité, rappelle combien la fable est destinée conjointement
aux enfants et aux adultes : le roi Lion convoque en son Louvre l’ensemble des sei-
gneurs qui forment son royaume. Ces derniers, horrifiés, découvrent « un véritable
charnier » au cœur même de la demeure royale qui répand une terrible odeur. Le
déploiement de l’histoire s’établit, comme pour tout récit, selon la logique éprouvée
d’un schéma ternaire narratif se divisant en trois étapes majeures, aisément repé-
rables ici : il y a, ainsi, en premier lieu, la mise en place d’une situation initiale par
laquelle l’action est posée. Elle va ici du vers 1 au vers 14 qui dépeignent le per-
sonnage du roi et la convocation au Louvre. Les vers 15 à 29 proposent quant à
eux de mettre en place les péripéties qui consacrent notamment la découverte du
charnier ainsi que les morts successives de l’Ours et du Singe. Enfin les vers 30 à 32
offrent la situation finale de l’histoire par laquelle elle parvient à son dénouement
et à sa résolution : par sa ruse, le renard est sauvé. À ce premier critère narratif vient
s’adjoindre la nécessité de faire porter l’histoire par autant de personnages qui, ici,
comme dans nombre de fables de La Fontaine, se trouvent être autant d’animaux :
chacun répond de la figure de la personnification qui consiste à attribuer à des ani-
maux des qualités humaines. Qu’il s’agisse du Lion, de l’Ours, du Singe ou encore du
Renard, chacun d’eux obéit à une série d’actions humaines et est caractérisée par
un évident anthropomorphisme tant le Lion mande, l’Ours se bouche la narine ou
le Singe loue la colère. L’ensemble de ces animaux se voit ainsi notamment caracté-
risé depuis une personnification procédant d’une l’expression lexicalisée et familière
attachée culturellement à ces animaux : comme dans la sagesse populaire, le lion est
« le roi des animaux », l’ours est désagréable car « mal léché », le singe est « malin »
et le renard est « rusé ». Enfin, chaque animal agit dans un cadre spatio-temporel
qui, comme dans tout récit, installe l’histoire : ici, si le temps semble être celui du
« il était une fois » du conte et se révèle donc aussi bien indéterminé que soumis au
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

registre merveilleux qui autorise notamment la personnification, l’espace est claire-


ment posé dans le palais royal d’alors, le Louvre de Louis XIV. Une telle précision et
un tel ancrage référentiel précis ne peuvent manquer d’étonner dans une fable mais
témoignent à nul autre pareil de ce que ce récit, s’il a pour évident but de divertir son
lecteur, articule comme tout apologue une autre visée : instruire, notamment sur le
règne autoritaire du monarque d’alors.
En effet, ne se contentant pas d’offrir une narration des mésaventures succes-
sives des courtisans devant un roi cruel et sans pitié, « La Cour du Lion » déploie
en parfait apologue un second moment où l’histoire contée devient l’objet d’un
discours qui va en reprendre l’argument afin d’en tirer une leçon. À observer le
découpage pratiqué plus haut à l’occasion du schéma ternaire, il est important,
semble-t-il, de faire remarquer que la situation finale ne s’achève pas avec le

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

poème : subsiste, de fait, une strophe finale qui ne participe pas de l’histoire et
de son récit. Cet ultime ensemble de quatre vers ou quatrain doit se lire comme
la morale de l’histoire qui s’affirme depuis des conditions énonciatives diamétra-
lement opposées à celle du reste de la fable : ici la deuxième personne du pluriel
est privilégiée (« vous ») de manière à s’adresser directement au lecteur et lui sug-
gérer un enseignement de l’histoire contée. À ce titre, les temps verbaux, loin de
répondre du passé narratif, obéissent à la logique discursive puisque c’est un pré-
sent de vérité générale ou présent gnomique qui en caractérise l’usage. On peut,
de ce fait, relever quelques « Ne soyez », « si vous voulez » ou encore « tâchez ».
Les verbes mis en œuvre pointent sans ambiguïté vers une leçon à formuler
comme le premier vers l’indique : « Ceci vous sert d’enseignement ». Cette ultime
strophe, comme dans tout apologue, met donc en place un registre didactique qui
invite le lecteur à se ressaisir de l’histoire qu’il vient de lire non comme un simple
divertissement mais comme l’occasion inespérée d’un enseignement, d’une leçon
à tirer et à méditer sur le comportement des courtisans et du roi. Un mouvement
rétrospectif de lecture ou rétrolecture se met en place par le registre didactique
de la morale qui suggère donc que le récit ne devait se lire que comme une argu-
mentation indirecte ou un récit qui, passé au filtre d’un raisonnement déductif,
se hisse au rang d’une histoire exemplaire, c’est-à-dire digne d’être un exemplum
au sens latin, une histoire dont on peut tirer une instruction ou tout du moins un
conseil. Ici la leçon est sans appel : « répondre en Normand », à savoir ne dire ni
oui ni non à l’enseigne du renard, revient à donner un conseil de prudence au sein
d’une vie de cour marquée par une violence aussi inouïe qu’arbitraire. Instruire les
hommes, telle est la devise du fabuliste.
En définitive, « La Cour du Lion » déploie donc un double mouvement aussi bien
narratif que discursif faisant, dans une logique propre à l’apologue, de l’histoire de
l’autoritarisme sauvage du roi Lion l’occasion d’une leçon instructive sur la violence
à la cour. Violence qui répond, pour La Fontaine, d’un double enjeu textuel, à la fois
critique et satirique qu’il s’agit à présent d’envisager plus avant. ●

EXEMPLE 2 : SUJET SUR SERGE DANEY

Au cœur des entretiens intitulés Itinéraire d’un ciné-fils où il expose sa réflexion


sur les rapports du cinéma aux autres, Serge Daney avance l’idée selon laquelle le
cinéma constitue un art de la libération au regard notamment du théâtre qu’il juge
moins libre et incidemment plus limité. De fait, la vision du cinéma suggérée ici par
Daney ne peut se comprendre qu’articulée à une antithèse radicale, violente et sans
concession qui la fait s’adosser à une dépréciation de l’art dramatique : selon lui,
le théâtre représente un art reposant sur la limitation et la restriction alors que le
cinéma, qu’il valorise et qu’il défend avec force, incarne, au regard de la modernité,
une ouverture inouïe des possibles qui rejette le théâtre dans une saisie obsolète de
la réalité.

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Chapitre 2 Construire un paragraphe argumentatif

En effet, le premier mouvement de la réflexion de Serge Daney consiste, tout


d’abord, à définir le théâtre par la négative et à en proposer un blâme critique qui
s’appuie essentiellement et implicitement sur deux critères : l’un textuel, l’autre his-
torique. Selon Daney, l’art dramatique serait un art social et un art de la société qui
ne reposerait que sur un but textuel non seulement avoué mais sans cesse clamé :
offrir une critique de la société de son époque, en saisir les défauts et les montrer au
spectateur. La critique théâtrale devient alors l’enjeu d’une satire pour Daney dans
laquelle les travers d’une société sont aussi bien exhibés que moqués, ce qui renvoie
incidemment à l’idée critique communément admise selon laquelle le théâtre serait
l’art social par excellence tant parce qu’il est joué devant un public qu’il est éga-
lement l’occasion d’offrir à ce même public un miroir des mœurs de son temps. Si
Daney évoque Molière à l’occasion de sa réflexion, sans doute peut-on illustrer cette
lecture négative et dépréciative du théâtre par Tartuffe, comédie de Molière en cinq
actes jouée en 1669. Elle présente l’ensemble du déploiement critique condamné
par Daney dans la mesure où elle met en scène Orgon, homme de cour, qui vit sous
l’emprise de Tartuffe, faux dévot et imposteur qui le manipule pour obtenir sans
peine et jusqu’au ridicule ce qu’il désire. Tartuffe s’impose alors comme une satire
sociale du siècle de Louis XIV notamment dans le rapport à la fois mensonger, inté-
ressé et largement hypocrite que les courtisans entretiennent avec la religion. La
flatterie et la flagornerie qui innervent la vie de cour font l’objet d’une véhémente et
comique condamnation, montrant combien le théâtre s’occupe depuis la scène non
d’une scène domestique et intime mais de la vie publique de son époque. Cependant,
pour Daney, une telle pièce subit une incidente et flagrante restriction qui ressortit à
l’art dramatique : la question évoquée des faux dévots se révèle ancrée socialement
et limitée historiquement dans la mesure où elle n’appartient, en vérité, qu’au siècle
de Louis XIV. À cette critique fondatrice viennent s’ajouter pour Daney les condi-
tions matérielles de la représentation théâtrales qui, limitées, renvoient en fait à un
dispositif étroit, contraignant et là encore limité : répondant comme chez Molière
d’une unité de lieu, la représentation par ses conditions scéniques condamne le
théâtre à une absence totale d’ouverture référentielle : tout ne se passe que dans
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

une pièce close n’ouvrant jamais sur le monde. Les murs du théâtre sont un enclos
qui ne peut être libératoire.
À cette première considération négative du théâtre vient s’adjoindre, en
revanche, un éloge consacré à l’art cinématographique qui doit se lire et se voir
comme l’antithèse résolue de toute forme de théâtre. Ainsi, pour Serge Daney, le
cinéma en incarne l’exact contraire tant il doit se voir littéralement comme un art
de l’ouverture et de l’infini, à savoir un art qui sait s’offrir et offrir le monde, en livrer
les moindres secrets et les moindres contrées. Sa vision du cinéma procède ainsi
d’une libération matérielle et historique : là où le théâtre est ancré physiquement
dans un lieu et historiquement dans l’époque qu’il dépeint, le cinéma révèle, quant
à lui, une puissance qui permet au spectateur, hors de tous les murs du théâtre,
d’apercevoir le monde dans sa richesse à la manière d’une odyssée. Le cinéma joue

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

le rôle d’un éveil référentiel et culturel : il s’agit pour l’homme de dépasser l’étroi-
tesse de la société de son époque pour se libérer à la fois d’une vision trop étriquée
et accéder à une culture autre. Là où le théâtre ne joue que de la répétition et de
l’enfermement, dérobant tout horizon possible, le cinéma se montre un parfait art
de l’altérité, de la découverte, des frontières repoussées où tout homme ordinaire
peut s’y découvrir, au contact du monde lui-même, autre et parfois extraordinaire.
On comprend alors mieux la passion de Daney pour le cinéma d’Alfred Hitchcock,
notamment pour La Mort aux trousses (1959), film qui offre les aventures d’un publi-
citaire américain Roger Thornhill interprété par Cary Grant se retrouvant, malgré lui,
au cœur d’une obscure et angoissante affaire d’espionnage qui va le conduire à sil-
lonner tous les États-Unis. Si l’histoire se déroule sur le territoire américain, dans un
lieu certes vaste mais géographiquement ancré et si historiquement le film a pour
cadre l’après Seconde Guerre mondiale, ce film procède pourtant de l’ouverture
du monde et sur le monde réclamée par Serge Daney dans la mesure où, au-delà
de toute limite du théâtre, le monde est présenté dans une odyssée référentielle
sans limite. Littéralement, à l’instar du personnage principal, le spectateur voyage
et découvre des paysages inédits. Au décor feint du théâtre s’oppose la matière
même du monde. Mais ce qui favorise précisément l’ouverture cinématographique
pour Daney consiste en fait dans le personnage de Roger Thornhill qui, même s’il
est socialement déterminé, ne fait pas jouer sa classe sociale, la rend nulle tant il
s’agit pour Hitchcock, à la différence de Molière qui veut représenter des carac-
tères, de mettre en scène l’homme du commun qui se retrouve exposé à une aven-
ture extraordinaire et impossible. Délibérément universelle, l’histoire présentée au
cinéma dépasse toute catégorisation sociale. Le cinéma n’a pas de frontières : il fait
voir le monde comme le désirait, dans un élan proche de Rimbaud, le grand voya-
geur qu’était Serge Daney.
En définitive, dans cette antithèse opposant sans retour théâtre et cinéma, Daney
cherche avant tout à ouvrir les yeux du spectateur sur la richesse d’un septième art
qui se présente comme un champ infini du possible, socialement et historiquement
libérés. Pourtant sans doute est-ce restreindre trop violemment le champ d’ac-
tion du théâtre, le réduire puisque le théâtre franchit les siècles, à commencer par
Molière. S’agit-il d’un art plus ouvert que Daney ne le prétend ? ●

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Chapitre

Élaborer un plan 3
L’ultime moment de la construction de l’argumentation consiste à savoir
élaborer un plan. Il s’agit de l’étape fondamentale de ce que la rhétorique antique
nommait la disposition (dispositio en latin), à savoir l’art d’agencer et d’ordonner
les arguments selon un plan. En effet, après avoir mis en évidence chaque idée-
directrice et les avoir articulées en autant de paragraphes argumentatifs, il convient
de proposer, en vue des épreuves écrites, un plan qui permettra de les organiser.

PLAN

1 Élaborer le plan du commentaire de texte


2 Élaborer le plan de la dissertation

O
n peut ainsi définir un plan comme le mouvement de composition qui
permet de défendre une thèse sous la forme d’une démonstration dont la
conduite argumentative est toujours progressive. Qu’il s’agisse du com-
mentaire de texte ou de la dissertation, cette organisation relève d’un double souci
méthodologique :

1. Le plan consiste à agencer les idées-directrices entre elles de manière à former


un mouvement démonstratif et déductif dont la lisibilité est assurée par un souci
de cohérence logique. De fait, si à chaque paragraphe, les idées-directrices étaient
démontrées, appuyées et prouvées par autant d’idées-arguments et d’exemples, le
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

plan reprend à une échelle supérieure (macro-argumentative) ce souci d’organisation et


d’agencement. Chaque idée-directrice forme ainsi une partie distincte qui s’enchaîne à une
autre idée-directrice sous la forme également d’une partie distincte. Cet enchaînement
démonstratif s’effectue là encore selon le double souci de la cohérence logique et de
la progression dans la difficulté argumentative. On partira ainsi d’une première partie
aux constats liminaires pour cheminer, étape par étape, vers une deuxième partie plus
complexe pour achever sur une troisième partie au degré de difficulté le plus aigu.
2. À ce souci premier de la progression déductive vient répondre ensuite l’exigence
d’une problématisation. Démontrer consiste à savoir répondre à une question posée en
introduction dont chaque partie fournit la réponse développée et articulée. Il s’agit de
déployer la problématique en trois parties qui, au terme du raisonnement, trouvera dans
la conclusion sa résolution ainsi étayée. Un plan ne s’élabore donc qu’au regard d’une

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

réponse à apporter à la problématique et de ce qu’il faut incidemment chercher


à démontrer tout au long du propos. En ce sens, la conclusion et la réponse
qu’elle porte aimantent l’ensemble du mouvement démonstratif aussi bien du
commentaire que de la dissertation : si l’argumentation ne sait ainsi pas ce qu’elle
cherche à démontrer non plus que prouver, le propos ne peut alors consister qu’en
une énumération peut-être pertinente mais sans colonne vertébrale.

Tout plan et donc toute dispositio et recherche de plan doivent se concen-


trer sur la mise en évidence d’un raisonnement en trois étapes. On peut
produire un commentaire et une dissertation efficaces en deux parties mais il
est bon, pour le déploiement et l’articulation du raisonnement, de privilégier
un plan en trois parties. Il permet toujours, pour le commentaire, de saisir
le plus d’enjeux possibles du texte, notamment de pouvoir faire varier les
grilles de lecture techniques afin de proposer une interprétation aussi convain-
cante que riche. S’agissant de la dissertation, le mouvement démonstratif en
trois parties lève immédiatement le danger du plan binaire qui consisterait
à soutenir une thèse dans une première partie et le contraire exact de cette
même thèse dans une seconde partie, le plan consistant alors en un caricatural
et schizophrène thèse/antithèse absolument indéfendable intellectuellement.
On ne peut ainsi dire et se contredire : il faut construire une pensée articulée
dans chacune des épreuves écrites selon des modalités précises.
Si les règles fondamentales de la recherche d’un plan et de son élabora-
tion répondent des mêmes exigences dans un exercice comme dans l’autre, le
commentaire de texte et la dissertation réclament, cependant, des méthodes
particulières et spécifiques pour leur élaboration démonstrative respective.
On ne raisonne pas de la même manière dans un commentaire et dans une
dissertation.

1 Élaborer le plan du commentaire de texte


Un commentaire de texte s’élabore, de manière générale, en trois parties qui,
chacune, permettent d’asseoir un mouvement global d’analyse du texte.
La démonstration propose donc d’emblée une piste interprétative probléma-
tisée que le propos aura à charge de démontrer et d’appuyer dans chacune
des parties. Il s’agira alors en conclusion d’avoir réussi à développer un rai-
sonnement argumenté permettant de convaincre de la pertinence de cette
interprétation première du texte.
Un commentaire de texte se construit alors selon un mouvement d’ap-
profondissement d’une interprétation première en choisissant de faire de
chaque partie une manière de faire progresser le raisonnement. À partir des

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Chapitre 3 Élaborer un plan

différentes grilles de lecture mises en place, le plan du commentaire se construit


selon un double mouvement argumentatif : vertical et concentrique.
Un plan de commentaire est toujours guidé par un mouvement vertical :
il doit forer dans la matière du texte et creuser les intuitions premières. Mais
ce premier mouvement doit également se faire concentrique, à savoir à
chaque fois se resserrer autour de l’enjeu principal du texte. Le mouvement
vertical et concentrique exige alors un plan qui progresse en s’enfonçant
dans la difficulté en trois étapes :

→ Première partie : le commentaire se saisit de l’aspect le plus général du texte


et de son caractère le plus évident. Si le propos se fait large, il doit cependant
immédiatement caractériser le texte. Cette caractérisation relève d’une précision
générique, technique et stylistique. Au terme de cette partie, le commentaire doit
avoir posé les fondements de son raisonnement.
→ Deuxième partie : le commentaire part ici des considérations génériques et
textuelles premières pour les approfondir. Il s’agit ici d’entrer encore plus avant
dans la spécificité du texte qu’elle soit thématique, stylistique ou rhétorique.
Articulée déductivement à la première partie, cette nouvelle partie choisit de se
concentrer délibérément sur un aspect plus restreint de la lecture du texte qui
apparaît comme paradigmatique de la démarche de l’auteur ou de l’interprétation
finale à suggérer.
→ Troisième partie : le commentaire propose enfin ici, après des analyses
génériques et rhétoriques, de s’intéresser à ce qui fonde l’écriture du texte. Qu’il
s’agisse d’une analyse stylistique ou poétique, cette ultime partie aura à charge de
mettre en évidence l’aspect le plus dérobé et moins accessible du texte, celui qui ne
peut être perçu qu’au terme d’une lecture méthodique procédant étape par étape.
Cette troisième partie, de loin la plus complexe dans le raisonnement, apporte la
pierre finale à l’édifice et permet de valider l’hypothèse première de lecture. Elle
scelle le mouvement démonstratif pour en éprouver la pertinence et la rigueur.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

On obtient donc le mouvement démonstratif vertical et concentrique qui suit :

Première partie
Caractérisation du texte
Deuxième partie
Approfondissement thématique, rhétorique et stylistique
Troisième partie
Mise en évidence de la spécificité du texte

Vertical et concentrique à la fois dans son approfondissement et dans sa


saisie de la difficulté d’analyse, on parlera du plan du commentaire aussi

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Partie 1 Comment construire son argumentation ?

comme d’un plan en entonnoir : il s’agit de partir de l’aspect le plus large


pour aller vers des interprétations plus restrictives.

2 Élaborer le plan de la dissertation


Une dissertation s’élabore, de manière générale, en trois parties qui, cha-
cune, permettent d’asseoir un mouvement global de raisonnement à partir
d’une thèse proposée. La démonstration qui s’élabore progressivement arti-
cule donc, selon différentes étapes, les termes d’un débat au cœur même du
devoir qui répond d’une démarche à la fois déductive et délibérative puisqu’il
s’agit d’expliquer une thèse puis de la discuter. La dissertation doit parvenir
ainsi en conclusion à proposer la mise en évidence des qualités de la thèse
défendue par le sujet puis ses évidents manques qui aboutissent, en toute
logique, à une reformulation du sujet.
Le mouvement démonstratif du plan dissertatif répond d’une figure de
rhétorique : la synchorèse. On définit la synchorèse comme ce mouvement
démonstratif en trois étapes : il s’agit, tout d’abord, de poser une thèse afin
de l’expliquer et d’en déployer tous les présupposés et autres sous-entendus.
Le deuxième mouvement de la synchorèse en vient à chercher ce qui dans
la thèse première peut être contesté et remis en question de manière plus
ou moins radicale. Enfin, le troisième et dernier temps de la synchorèse est
consacré à nuancer la thèse et à en proposer, à l’aide des restrictions apportées
dans le deuxième mouvement, une reformulation de la thèse première.
La synchorèse répond ainsi d’un mouvement argumentatif qui est exacte-
ment celui de la dissertation et qui peut se structurer autour d’articulations
logiques que voici partie par partie :

→ Première partie : il s’agit d’expliquer la thèse posée par le sujet. Cette partie
a donc à charge de déployer tous les présupposés du sujet et de donner à lire
l’ensemble des arguments sous-tendus par ledit texte. Cette partie correspond
à l’explication positive du sujet à la manière d’une explication de texte.
→ Deuxième partie : il s’agit ici de contester la thèse développée afin de
montrer quelles sont ses limites et dans quelle mesure elle se fait restrictive du
sujet abordé. C’est le caractère incomplet de la thèse qui doit être souligné et
mis en évidence en une série d’idées-arguments qui dévoile chacun comment
la thèse peut être contestée. Cette partie doit imposer les nuances à apporter
et ne doit surtout pas réfuter la thèse. Le risque serait de fournir une réfutation
uniquement fondée sur un propos construit comme une antithèse de la thèse
précédente. Il s’agit ici toujours d’articuler son propos et non de se contredire :
les arguments doivent être ainsi modérés et nuancés.

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Chapitre 3 Élaborer un plan

→ Troisième partie : l’ultime moment du raisonnement consiste non à fournir


une synthèse comme on l’entend souvent dire mais à proposer bien plutôt
une reformulation du sujet. Celle-ci est double : elle doit, en premier lieu, tenir
compte des explications fournies sur les présupposés de la thèse mais aussi tenir
compte, en second lieu, des nuances et limites de cette même thèse. À partir
des restrictions apportées, il s’agit de proposer une thèse nuancée qui reprend
le sujet pour le reformuler au terme du débat qui vient de s’achever.

On peut décomposer ainsi les articulations partie par partie de la disserta-


tion selon la chaîne logique que met en œuvre toute synchorèse : OUI (affir-
mation de la thèse) MAIS (discussion de la thèse) PLUTÔT (reformulation
de la thèse).
Voici le schéma synthétique de l’élaboration du plan qui peut ainsi en
découler :

Première partie
« OUI »
Affirmation et exposition de la thèse
Deuxième partie
« MAIS »
Discussion des limites et manques de la thèse
Troisième partie
« PLUTÔT »
Reformulation de la thèse

La synchorèse qui procède toujours en trois étapes prouve bel et bien dans
son mouvement démonstratif tout en nuances combien la dissertation révèle
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

être avant tout un art de la discussion.


Après avoir mis en évidence les techniques communes et indispensables
au commentaire de texte et à la dissertation, il s’agit à présent d’envisager de
manière plus spécifique les méthodes respectives de chacune des épreuves
écrites envisagées.

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Partie 2
Composer
son
commentaire

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Qu’allons-nous étudier dans cette partie ?

C
ette deuxième partie entend poser les fondements méthodologiques de
l’exercice du commentaire de texte. Il s’agit ici de découvrir étape par étape
comment s’élabore à l’écrit, du brouillon jusqu’à la rédaction définitive, l’in-
terprétation organisée, raisonnée et composée d’un texte.
Trois étapes majeures seront ainsi suivies :
1. La première se propose de dévoiler le travail préparatoire du commentaire au
brouillon. Commenter un texte consiste ainsi à appliquer tout d’abord diffé-
rentes grilles de lecture pour dégager des pistes d’interprétation. Chaque grille
de lecture est ici expliquée, détaillée et appuyée par des exemples commentés
et développés.
2. La deuxième étape s’occupe, de la construction du commentaire une fois les
différentes lectures effectuées. De l’introduction jusqu’à la conclusion en pas-
sant par le développement et ses articulations logiques, toutes les procédures
démonstratives pour construire son interprétation sont présentées. Des conseils
sont enfin donnés pour soigner et rendre efficace son expression lors de la rédac-
tion de l’exercice.
3. L’ultime étape consiste enfin à donner des exemples de commentaires de textes
de différents genres. Sont ainsi proposés deux commentaires d’extraits de roman,
deux commentaires sur un texte de théâtre, et deux commentaires de poème.

SOMMAIRE

1 Le travail préparatoire du commentaire ...................................... 67

2 Comment construire son commentaire ? ................................... 77


© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

3 Commenter un extrait de roman..................................................89

4 Commenter un texte de théâtre................................................. 105

5 Commenter une poésie ................................................................ 123

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Chapitre

Le travail préparatoire 1
du commentaire
Le commentaire composé se présente, en premier lieu, comme une lecture
organisée visant à produire l’interprétation d’un texte. L’étape clef en est
bien évidemment la lecture qui consiste ici à dégager le sens du texte,
à en percevoir les articulations et à offrir une première saisie aussi bien globale
que détaillée de ses structures saillantes comme de ses arcanes
les plus secrètes. Lire consiste à déplier et déployer le sens comme le rappelait
précisément Roland Barthes au seuil de S/Z (1970) quand il soulignait
qu’étymologiquement, expliquer venait du latin déplier : entrer dans
les plis du texte pour les mettre à plat comme on étale une carte, comme
on cartographie un lieu.

PLAN

Le travail préparatoire du commentaire

À
l’instar de son étymologie latine (« commentarius ») qui renvoie à un registre
organisé de notes, le commentaire de texte se divise ainsi, avec rigueur,
en plusieurs étapes organisées dont la plus saillante, parce que liminaire,
consiste en la découverte du texte qui ouvre à un nécessaire travail prépara-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

toire au brouillon. Qui dit brouillon ne doit pas pour autant signifier anarchie
et confusion : la réussite d’un commentaire tient à l’application étape par étape,
palier par palier, d’une lecture qui, dès les premiers instants, est guidée par un
intense mouvement de recherche lui-même obéissant à différentes grilles de
lectures disciplinaires. Lire consiste immédiatement à écrire son interprétation et
à la consigner de manière éparse en premier lieu puis de manière de plus en plus
rédigée en s’enfonçant progressivement dans la signification textuelle et dans la
complexité herméneutique.

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Partie 2 Composer son commentaire

1 Le travail préparatoire du commentaire


Au brouillon, le nécessaire travail préparatoire s’organise, tout d’abord  autour
de trois étapes différentes qui, chacune, correspondent à trois types de lec-
ture qu’il s’agit de pratiquer sur l’extrait. Le but est d’obtenir au terme de
trois balayages successifs du texte une interprétation qui procède à une ana-
lyse allant de la simple observation factuelle de l’extrait jusqu’à l’analyse
stylistique et structurelle de l’extrait proposé.
Par ses modalités différentes, chacune de ces lectures cherche à appro-
cher le texte par cercles concentriques dans le double but à la fois de varier
les approches afin de ne rien omettre de la richesse du texte et d’élargir le
spectre du questionnement en passant de la première impression de lecture
à une interprétation étayée et argumentée.
Voici ainsi les trois lectures comme autant de strates du questionnement et
de l’interprétation dont procède tout commentaire :

→ La lecture cursive : il s’agit de parcourir le texte pour déchiffrer globalement


le sens et en offrir une première saisie raisonnée.
→ La lecture méthodique : il s’agit de lire le texte en le soumettant cette fois
systématiquement à des outils d’analyse.
→ La lecture détaillée : il s’agit d’œuvrer cette fois à une lecture linéaire qui,
s’appuyant sur les deux premières lectures, cherche à élaborer dans le détail, en
observant attentivement le texte, une interprétation définitive.

Ces trois lectures, aussi diverses et efficaces soient-elles, doivent cependant


être précédées d’une étape préliminaire indispensable à toute hypothèse de
lecture : la connaissance du paratexte.

1.1. L’étape préliminaire : la lecture du paratexte


Si elle paraît évidente, la lecture du paratexte demeure une étape obliga-
toire et bien souvent trop négligée dans l’élaboration du commentaire et
sa recherche herméneutique. Elle recèle pourtant bien souvent des éléments
déterminants permettant de guider d’emblée vers l’interprétation des
textes et pouvant aider à orienter la lecture de manière décisive. Le paratexte,
comme l’affirmait Gérard Genette lorsqu’il en forgea la notion en 1987,
concerne avant tout les informations dispensées autour du texte. Elles divul-
guent le nom de l’auteur, le titre et le sous-titre de l’œuvre, le chapitre, l’acte,
la section de l’ouvrage dont est issu ledit extrait.
Voici un exemple de mentions paratextuelles figurant souvent en fin de
texte :

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Chapitre 1 Le travail préparatoire du commentaire

PIERRE CORNEILLE, MÉDÉE, ACTE I, SCÈNE 1, 1635

Les mentions paratextuelles pouvant ici aider à la lecture se divisent essentielle-


ment en deux catégories majeures :

Le genre de l’œuvre
La mention paratextuelle du genre de l’œuvre consiste ici à identifier si le texte
relève du roman, de la poésie, du théâtre ou bien de l’essai. Identifier le genre d’une
œuvre permet d’acquérir des réflexes herméneutiques qui obligent à solliciter pour
chaque genre un arsenal stylistique et poétique spécifique : on n’étudie pas de
la même manière un monologue de théâtral et un poème. Ainsi, s’agissant du
paratexte donné ici, les mentions de « Acte I, scène 1 » renseignent sans attendre
sur la nature théâtrale du texte envisagé et sur le segment de texte à étudier : en
effet, au théâtre, l’acte I scène 1 correspond à la scène d’exposition, à savoir la scène
inaugurale d’un pièce qui répond d’un certain nombre d’invariants dramaturgiques
qu’il convient d’étudier sans attendre. Le paratexte oblige alors à des conduites ana-
lytiques sollicitant systématiquement des savoirs précis.

Les contexte historique et biographique de l’œuvre


De la même manière, les mentions paratextuelles du nom et du prénom de l’au-
teur ainsi que du titre de l’œuvre accompagnée ici dans l’exemple d’une date de
publication achèvent de renseigner le lecteur avec force et précision dans ses
premières hypothèses d’analyse.
Tout d’abord, les noms et prénoms de l’auteur permettent d’offrir des pistes
de lecture en confirmant ou en infirmant des horizons d’attente suscités par la
simple mention du nom. En littérature, un auteur est moins qu’un homme qu’une
œuvre : le nom ouvre non à une biographie mais à une bibliographie et une biblio-
thèque. Chaque auteur se reconnaît et s’identifie à ses thèmes de prédilection, à ses
tournures favorites et à son style qui définissent son identité littéraire. S’il ne s’agit
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

pas d’appliquer aveuglément et indifféremment ce que l’on connaît d’un auteur sur
n’importe lequel de ses textes, il convient néanmoins de se servir de sa connaissance
textuelle pour la confirmer ou venir l’infirmer. La connaissance de l’auteur vient
ainsi œuvrer aux premières hypothèses de lecture possibles.
Dans l’exemple donné plus haut, la mention de « Pierre Corneille » permet immé-
diatement d’orienter la lecture vers l’analyse d’une tragédie. Le nom de Corneille
reste en effet attaché dans l’histoire de la littérature au 17e siècle théâtral français
au règne de la tragédie dont Corneille a pu contribuer à forger la grandeur. Les hypo-
thèses de lecture s’orienteront ainsi d’emblée vers des pistes tragiques et cherche-
ront à vérifier les règles de la tragédie ou à les invalider.
Enfin, le titre de l’œuvre souvent assorti de la date de publication fournit l’ul-
time information paratextuelle permettant de forger des orientations premières

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Partie 2 Composer son commentaire

dans l’analyse. Une œuvre peut être ainsi liée à un contexte historique dont elle
ne sort pas indemne et qu’elle cherche à interroger au cœur même de son écriture.
Ainsi Lorenzaccio d’Alfred de Musset, paru en 1834, met-il en scène une conspira-
tion contre Laurent de Médicis dans la Florence de 1537 non sans faire référence
aux Trois Glorieuses de juillet 1830 qui ont ébranlé la France de la Restauration et
l’esprit révolutionnaire du jeune Musset. L’information historique et incidemment
biographique peut servir ultérieurement d’outil d’analyse pour affiner les enjeux
à la fois culturels et politiques d’un extrait à étudier.
S’agissant de l’exemple de Corneille, le titre Médée assortie de la date de
1635 permet d’œuvrer sans attendre à une hypothèse double : en premier lieu, le
titre fait explicitement référence à une héroïne de la mythologie grecque et ins-
talle la pièce de Corneille dans la perspective dramaturgique d’une tragédie. La
lecture du texte viendra confirmer ou réfuter cette piste qui, de fait, sera à inter-
roger puisque l’échange entre Jason et Pollux reprend de manière paradoxale
les codes de la comédie dont Corneille fut, avec Le Menteur notamment, l’un
des représentants les plus accomplis. La mention ici de la date doit enfin retenir
toute l’attention du lecteur car il s’agit d’une pièce écrite deux ans avant le
triomphe du Cid et de la célèbre bataille autour de cette tragi-comédie. Médée
préfigure-t-elle les audaces stylistiques de Corneille dans Le Cid ou s’agit-il
d’une tragédie qui répond d’une dramaturgie au déroulé moins éclaté, moins
baroque ?
On voit donc combien la saisie paratextuelle première se donne comme une
porte d’entrée à une problématisation liminaire et spontanée du texte qu’il
s’agira, par des lectures plus approfondies, de venir affirmer ou réfuter. ●

1.2. Première lecture : la lecture cursive du texte


Après l’inaugurale saisie des informations paratextuelles qui fournissent un
premier terreau interprétatif, il s’agit de parcourir cette fois le texte dans son
intégralité et de le lire ainsi, muni déjà des pistes évoquées, pour en déchif-
frer et défricher globalement le sens. Le but de cette lecture cursive est de
permettre d’offrir très rapidement une première saisie raisonnée et générale
du texte, orientant le commentaire à venir. Déchiffrer, situer et repérer : tels
sont les trois éléments clefs qui animent la lecture cursive et doivent ainsi
guider le lecteur pour qui il s’agit, à terme, de commencer à s’orienter vers
une interprétation, tout aussi provisoire soit-elle.
En ce sens, quel que soit le texte, la lecture cursive doit toujours se présenter
comme une lecture résolument pragmatique, à savoir qui, avec méthode
et discipline, doit interroger le texte de manière pratique à la fois dans sa struc-
ture, son organisation et plus globalement dans sa construction d’ensemble. Il
s’agit d’aboutir au terme de cette première lecture à une véritable cartographie
du texte sur laquelle les deux autres lectures pourront se fonder.

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Chapitre 1 Le travail préparatoire du commentaire

La lecture cursive s’articule autour de trois étapes majeures :


1. La saisie lexicale : loin d’être une étape anodine même si beaucoup la négligent,
il s’agit d’un repérage lexical qui vise à éclaircir toute difficulté grammaticale et
résoudre tout problème de vocabulaire. Le but en est simple : la lecture ne doit
buter sur aucun élément pour que la compréhension soit la plus efficace possible.
2. Interroger le découpage du texte et sa situation dans l’œuvre : étudier
un texte, c’est repérer également de prime abord quel en est le découpage et
pourquoi il a été découpé de cette manière. De ce découpage dépend le plus
souvent le sens ultime à dégager du texte si bien que cette étape est l’une des
plus déterminantes de l’analyse.
Situer l’œuvre dépend en grande partie du genre de l’œuvre. À chaque genre
correspond une méthode précise :
→ Si l’extrait relève d’un roman : il convient dans une œuvre qui repose le plus
souvent sur une intrigue de localiser avec le plus d’exactitude possible d’où est
extrait le passage proposé à l’étude. La dynamique narrative détermine ainsi
le choix du passage qui ne prend pas le même sens s’il s’agit d’un incipit ou
d’un explicit, s’il s’agit d’une péripétie ou d’un bouleversement, s’il s’agit d’une
description ou d’une narration. De ce repérage dépend également la convocation
d’outils d’analyse critique.
→ Si l’extrait relève d’une poésie : la poésie est souvent incluse, tout d’abord,
dans un recueil plus large où elle occupe une place qui lui donne sens et qu’il
s’agit ici d’interroger. Une fois la place identifiée, il convient de s’interroger
sur la forme poétique employée et voir à quel mouvement littéraire elle peut
appartenir mais aussi à quel siècle. Chaque forme poétique possède son histoire
qui fournit ainsi des éléments là encore critiques pour la saisie du texte.
→ Si l’extrait relève du théâtre : une pièce de théâtre, parce qu’elle repose
sur le déploiement d’une intrigue, répond aussi d’une dynamique selon
laquelle analyser une scène d’exposition ou une scène de dénouement fait
différer l’approche envisagée. Il faut également s’intéresser aux articulations
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du discours dramatiques et identifier le type de réplique face auquel le lecteur


se trouve confronté : s’agit-il d’un monologue ou d’une tirade ? S’agit-il
d’une stichomythie ? À ces questions techniques vient s’ajouter une question
générique : le théâtre est un genre double, qui passe du texte à la scène et va
à la rencontre directe du public. En ce sens, il faut toujours s’interroger sur les
conditions matérielles de la représentation telles qu’elles sont suggérées dans le
texte. Le spectateur occupe dans le commentaire la même place que le lecteur.
→ Si l’extrait relève d’un essai : dans un essai ou texte argumentatif, il
conviendra enfin de mettre en évidence la structure argumentative du texte et
montrer quelles sont les différentes étapes du raisonnement. Ici aussi un savoir
rhétorique est sollicité qui identifie les arguments majeurs dans la stratégie
polémique de défense ou d’attaque d’une thèse. Il faut relever et identifier la

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Partie 2 Composer son commentaire

part des arguments par exemple d’autorité, la place des exemples et les différents
genres de l’éloquence convoqués par l’orateur ou l’essayiste.
3. Repérez la construction et la composition d’ensemble du texte : il s’agit
de repérer la composition globale du texte et d’en saisir le mouvement intime.
Chaque texte progresse à sa manière et il est important avant d’initier une
lecture plus technique de s’assurer d’avoir bien saisi la manière dont il peut
être découpé en différentes parties et de saisir ainsi son plan. Le repérage
de la composition peut être par ailleurs une information technique servant
dans les étapes ultérieures à la mise en œuvre d’une lecture détaillée mais
également dans l’introduction au commentaire pour y souligner le mouvement
d’ensemble.

1.3. Deuxième lecture : la lecture méthodique


Cette deuxième lecture, qui suit immédiatement le repérage d’ensemble, vise
à établir à la fois formellement et méthodiquement l’analyse du texte en le
soumettant à des investigations d’ordre rhétorique, stylistique et poétique.
Le texte doit ainsi faire l’objet d’une interrogation systématique à partir d’ou-
tils qui eux-mêmes interrogent le texte et qu’inversement le texte interroge.
Après la cartographie première, il s’agit d’entrer dans une analyse géologique
du texte pour en tirer toutes les richesses.
Il faut ici d’organiser sa lecture avec méthode selon les différents outils
sollicités. On n’interroge pas de la même manière avec des outils rhétoriques
qu’avec des outils linguistiques car ces disciplines abordent chacune les textes
selon des angles très différents et ne s’intéressent pas en conséquence aux
mêmes strates textuelles. Aucune de ces lectures ne doit à l’évidence appa-
raître comme exclusive mais doit, pour une plus grande générosité dans la
germination herméneutique, faire l’objet de recoupements et de croisements
afin de saisir au mieux la richesse du texte et le déploiement le plus large de
sa spécificité.
Enfin, il ne s’agit jamais par la lecture méthodique de mettre en lumière
les outils à l’œuvre dans les textes pour aboutir à la distinction fond/vs/
forme : en aucun cas, il ne faut séparer le fond de la forme. L’identification
d’un outil linguistique, stylistique ou encore rhétorique doit être mise au ser-
vice de l’interprétation du texte qui articule toujours et dans le même temps le
fond et la forme pour les rendre indistincts et indémêlables. L’outil technique
ne constitue alors jamais un argument herméneutique en soi : il est au sens
le plus prosaïque un outil qui permet de construire l’édifice du commentaire.
On distinguerait donc ici avec privilège trois types de lectures métho-
diques selon trois différents questionnements : la lecture stylistique ; la lec-
ture poétique ; la lecture rhétorique.

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Chapitre 1 Le travail préparatoire du commentaire

La lecture stylistique
Cette première lecture méthodique du texte vise à isoler certains aspects
qui paraissent ne pouvoir être interrogé qu’au moyen d’outils stylistiques.
Comme son nom l’indique, la stylistique s’occupe des particularités de l’écri-
ture d’un texte et vise à souligner, par le style et ses inflexions, le rapport
intime et neuf de l’écrivain à la langue. Si Buffon pouvait clamer que « le style,
c’est l’homme », Michael Riffaterre œuvre, à la fin du 20e siècle, à la consti-
tution scientifique de la stylistique comme cette discipline qui s’enquiert des
textes comme autant de « messages qui portent l’empreinte du locuteur ». À
ce titre, s’il ne s’agit pas à l’évidence de recourir à l’ensemble de l’arsenal sty-
listique, mais selon les genres convoqués, de solliciter ce qui va pouvoir se
révéler pertinent dans l’étude desdits textes. Ainsi, afin d’analyser la question
de savoir qui parle dans un roman, on pourra utilement s’appuyer sur une
stylistique de l’énonciation, soumettre le texte à la question de l’articulation
qu’il pratique entre récit et discours selon les distinctions d’Émile Benveniste
reprises par Dominique Maingueneau.
Les incipits de L’Assommoir d’Émile Zola (1877) et de L’Étranger d’Albert www.armand-colin.com
Camus (1942) ne sont pas seulement éloignés dans l’histoire littéraire mais,
de fait, s’opposent énonciativement. Zola a ainsi recours à l’énoncé historique
dominé par l’utilisation du « elle », pronom supposé objectif pour présenter Ressource
scientifiquement et de manière naturaliste l’univers effondré de Gervaise, son numérique
héroïne, alors que Camus use d’un énoncé discursif dominé par l’utilisation Textes
du « je », foyer subjectif qui deviendra le cœur problématique d’une écriture supplémentaires
blanche comme la désignera Roland Barthes.
Cependant, une mise en garde s’impose ici d’emblée qui invite à ne pas
faire de l’outil stylistique l’objet même de la recherche interprétative :
mettre en évidence l’utilisation par exemple d’un jeu entre la scène et la salle
à partir de la double destination théâtrale ne constitue qu’une étape dans la
quête interprétative. Il ne s’agit pas d’en faire l’aboutissement du commen-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

taire mais uniquement l’un des outils permettant d’ouvrir à une saisie plus
large du texte sur laquelle il pourra formellement prendre appui. Le dévoile-
ment du procédé littéraire – ici stylistique – ne s’offre jamais comme la finalité
ultime du commentaire mais comme l’un des moyens de construire l’inter-
prétation du texte et d’œuvrer à sa problématisation.

La lecture poétique
La deuxième lecture méthodique s’attaque à une saisie poétique du texte
qui viendra approfondir la saisie stylistique et énonciative précédemment
envisagée. Ainsi que son nom en porte la trace, la poétique s’occupe depuis
Aristote qui en est le fondateur de l’étude des formes littéraires et en particu-
lier l’étude des formes à l’œuvre dans les textes eux-mêmes. À l’instar de la

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Partie 2 Composer son commentaire

lecture stylistique du texte, la lecture poétique sera ici sollicitée en fonction


de chaque genre envisagé, convoquant selon le roman, le théâtre, la poésie et
l’essai différents outils opératoires.
Par exemple, l’étude d’un texte romanesque convoque avec privilège les
outils de la narratologie forgés naguère par Gérard Genette dans Figures
III (1972) notamment. On ne saurait alors analyser par exemple l’incipit de
Germinal d’Émile Zola (1885) en se dispensant de la question des focalisa-
tions et notamment du jeu que l’auteur établit pour permettre au lecteur
d’entrer dans l’histoire d’Étienne Lantier. Le passage se construit ainsi sur le
glissement de la focalisation externe qui en domine les premiers paragraphes
pour passer ensuite, une fois l’identité du personnage d’Étienne dévoilée, à
une focalisation interne qui guidera, depuis son point de vue, la narration
jusqu’à son terme. Ce glissement de focalisation permet à Zola de présenter
d’abord Étienne comme un personnage mystérieux, aux accents mythiques,
presque prophétiques, dans un décor d’apocalypse et de désastre pour finir
par en faire un ouvrier qui vient chercher du travail. La double focalisation
renseigne alors sans attendre sur la double dimension du personnage, à la fois
mineur saisi dans sa dimension strictement naturaliste mais aussi porte-éten-
dard révolutionnaire à la fougue épique et mythique. On mesure là encore
combien la mention des outils poétiques ne peut se borner au simple relevé
mais se doit d’être toujours réinvestie dans une interprétation plus large du
texte lui-même.

La lecture rhétorique
La lecture rhétorique vient compléter la lecture poétique précédemment envi-
sagée puisque rhétorique et poétique sont depuis Aristote étroitement mêlées.
Mais il s’agira ici bien plutôt d’offrir le texte à une lecture qui cherchera à
fournir un repérage précis et raisonné des différentes figures de style qui
viennent innerver le texte en s’écartant de l’usage ordinaire de la langue pour
venir donner une expressivité particulière au propos. Ces figures du discours
se répartissent en cinq grandes catégories que sont les figures d’analogie, les
figures de substitution, les figures d’opposition, les figures d’omission et,
enfin, les figures d’amplification et d’insistance.
Sans doute se révèle ici avec encore plus d’acuité que précédemment l’écueil
qui consiste à se concentrer uniquement sur le simple unique relevé des figures de
style et de ne faire du commentaire que l’expression de ce relevé. Chaque figure
ne surgit pas dans le texte pour elle-même : elle ne vient ici que servir une vision
de l’auteur, une proposition esthétique, une saisie du monde. L’identification
de la figure de style, si elle s’offre comme la saisie la plus évidente notamment au
sortir du cycle secondaire, doit faire l’objet d’un usage parcimonieux. Produire
alors un catalogue de figures de style se révèle inutile si les figures ne sont pas
elles-mêmes reprises dans une lecture synthétique du texte.

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Chapitre 1 Le travail préparatoire du commentaire

À ce titre, on peut se saisir de la tirade de Théramène dans Phèdre de


Jean Racine (1677) au cœur de laquelle le précepteur d’Hippolyte rapporte la
mort du jeune homme déchiré par un monstre marin venu venger son père,
Thésée, offensé par sa supposée liaison avec Phèdre, sa belle-mère. En des
termes violents et expressifs, Théramène décrit avec force précision la mort
terrible et sans pareille du jeune Hippolyte, Racine usant ici d’une hypoty-
pose, à savoir cette figure qui, selon les termes de Pierre Fontanier, consiste
« à peindre les choses de manière si précise qu’on a l’impression de les avoir
sous les yeux. » L’hypotypose ne donne ici aucun argument en soi mais doit
appuyer l’esthétique plus large du tableau qui guide l’ensemble du passage.
Elle doit s’orienter vers la mise en exergue de la fonction dramaturgique du
hors scène et du jeu sur ce qui doit être représenté et ne peut être représenté
sur scène au nom des règles de l’exitus horribilis de l’esthétique classique
théâtrale.
La figure de rhétorique est et doit toujours demeurer au service de
l’interprétation.

1.4. Troisième lecture : la lecture détaillée


Après les lectures cursives et méthodiques qui se sont déjà offertes comme
un efficace balisage du texte, la lecture détaillée s’attachera enfin, en manière
de dernière étape, à une lecture linéaire qui cherchera à élaborer dans le
détail, en observant attentivement le texte, une interprétation définitive.
S’appuyant sur les considérations et hypothèses nées des lectures cursives et
méthodiques, cette lecture détaillée cherche à valider et à approfondir ce que
les saisies paratextuelles, lexicales, stylistiques, poétiques et rhétoriques ont
pu laisser apercevoir.
Dans le sillage de l’explication littéraire, la lecture détaillée se donne
comme une lecture linéaire qui prend le texte phrase par phrase, vers par
vers, réplique par réplique, pour le soumettre à la question. Comme toute
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lecture linéaire, il s’agit de segmenter le texte pour le confronter à un triple


questionnement qui, aux macro-hypothèses, vient apporter l’assise des
micro-considérations :

1. Une étude syntaxique : il s’agit ici de considérer les types de phrases, leur
construction, leur articulation et plus généralement la manière dont elles
s’enchaînent les unes aux autres. La syntaxe offre à tout texte un déploiement
original qui permet à l’écrivain d’affirmer sa vision des choses selon les structures
choisies. Au-delà de la simple observation grammaticale, l’effet de sens joue
encore ici un rôle herméneutique déterminant. Il conviendra également d’être
particulièrement attentif à l’étude des verbes, au temps, aux modes : tout est
choix, tout devient style.

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Partie 2 Composer son commentaire

2. Une étude rythmique : il s’agit ici d’étudier la longueur des phrases et l’effet
qui est désiré par l’écrivain. Si une telle question s’impose avec l’étude de la
poésie en passant le vers au crible de la métrique et de l’étude prosodique,
une telle considération s’impose aussi pour les textes en prose qui, à leur tour,
usent d’un rythme pour venir appuyer et souligner une situation actantielle
notamment. L’étude du rythme peut être utilement complétée ici par l’étude
des sonorités du texte notamment l’ensemble de ce qui relève du jeu des
sonorités comme les paronomases, allitérations et assonances.
3. Une étude pragmatique : en apparence la plus évidente et la plus simple,
l’étude pragmatique ne consiste pas simplement à faire l’inventaire des
différents discours mis en jeu dans un texte. Il s’agit par l’observation des prises
de paroles, de leur mise en scène ou leur absence de distinguer entre discours
direct, discours indirect ou encore discours indirect libre. Chaque discours
possède un effet, qu’il s’agisse des célèbres passages en discours indirect libre
de Madame Bovary de Gustave Flaubert (1857) où, derrière la voix de Madame
Bovary, se fait entendre la voix endoxale de la bêtise ou encore dans un essai où
le discours indirect libre peut être un discours soit attaqué soit défendu.

Au terme de ces trois différentes lectures qui viennent cartographier le


texte, le commentaire doit à présent s’orienter vers la mise au propre des idées,
étape nécessaire dans le travail préparatoire qui culmine dans la recherche
d’un plan détaillé assorti d’une problématique générale.

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Chapitre

Comment construire 2
son commentaire ?
PLAN

1 Élaborer l’introduction et la conclusion


2 Rédiger son commentaire

À
partir des différentes lectures menées comme autant d’enquêtes sur le texte
et ses différentes strates, il s’agit d’organiser l’ensemble des remarques
relevées lors de l’étape du brouillon. Comme l’indique son nom, le com-
mentaire composé procède avant tout d’une composition qui indique combien le
développement de l’interprétation doit procéder depuis un plan organisé selon
différentes parties articulées entre elles afin de déployer une vision synthé-
tique dudit texte.
Au brouillon, il s’agit cependant de ne pas commettre un certain nombre d’er-
reurs qui pourraient compromettre la réussite du devoir en manquant d’efficacité.
Voici la liste des cinq contresens de méthode à éviter absolument :

1. Le plan-personnage :
La tentation est grande parfois devant la difficulté évidente de certains extraits de
romans ou de pièces de théâtre d’offrir un plan dont chaque partie serait consacrée à
un personnage de l’extrait en question. Ce type de plan est à strictement abolir car tout
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plan doit à chacune de ses parties brasser l’intégralité du texte même pour en donner une
interprétation globale. Il faut éviter une telle logique de l’émiettement argumentatif.

2. Le plan fond-forme :
Là encore, la tentation est grande d’articuler le plan selon deux catégories d’observations,
à savoir tout d’abord classer l’ensemble des remarques qui regardent les thématiques
évoquées dans le texte dans une première partie. La seconde partie consisterait alors à
rassembler les procédés et les figures de styles précédemment relevés au brouillon. Un
tel plan procède d’un contresens de méthode tant, en fait, il est impossible de séparer le
fond de la forme, ce qui est dit de la manière dont le texte l’exprime car la visée ultime
de tout commentaire consiste précisément à interpréter cette articulation entre fond
et forme, et non à les séparer artificiellement.

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Partie 2 Composer son commentaire

3. Le plan linéaire
Cette troisième possible erreur consiste à soumettre son développement au
mouvement du texte et à calquer son plan sur le plan de l’extrait. Il ne s’agit ici en
rien d’un plan obéissant à un mouvement de composition exigé par la méthode du
commentaire tant suivre le texte revient en fait à proposer un plan linéaire. Il ne faut
ainsi pas confondre commentaire de texte qui répond toujours d’un plan articulé et
explication littéraire qui suit le mouvement du texte dans une étude linéaire de détail.

4. Le plan catalogue
Ce quatrième contresens consiste cette fois à élaborer un plan qui ressaisit
les observations formulées au brouillon sans chercher à les organiser et à les
hiérarchiser dans leur degré de complexité et dans leur variété d’interprétation.
Le plan consiste à offrir alors un catalogue disparate de remarques souvent
techniques sans aucune articulation logique ni progression démonstrative. Là où
un raisonnement permettant de cerner les enjeux du texte doit guider le propos,
ce plan catalogue offre un inventaire sans problématisation aucune. Le relevé de
procédés n’est qu’une étape du brouillon.

5. Le plan impressif
Ce cinquième et ultime contresens consiste enfin à présenter un plan écrit au
fil de la plume, sans décision problématique qui en organise le mouvement
en amont. Suite juxtaposée de différentes impressions de lecture, ce plan qui
n’en est pas un n’articule jamais différents moments d’une démonstration par
laquelle une interprétation du texte s’éprouve. Le désordre domine le propos
quand l’organisation et l’articulation logiques doivent primer.

Composer son commentaire répond alors d’une organisation de plan qui


doit le plus souvent reposer sur trois caractéristiques fondatrices d’un plan
composé et argumenté
Tout plan doit tout d’abord obéir à une articulation logique, claire et
ordonnée. Les idées ne doivent jamais se présenter de manière confuse mais
s’enchaîner les unes aux autres selon des liens logiques qui rendent compte
d’un raisonnement. Chaque raisonnement doit donc se marquer par le
recours à des locutions adverbiales telles que « Tout d’abord », « ensuite » et
« enfin » de manière à dessiner une ligne logique pour rendre le propos le plus
lisible et le plus efficace possible.
Tout plan doit, ensuite, se soumettre à un mouvement démonstratif qui
s’ordonne à une problématique clairement formulée et identifiée. Interpréter
revient à démontrer, à savoir proposer une hypothèse que le devoir a à charge de
prouver par une série d’arguments et d’exemples précis et commentés à chaque

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Chapitre 2 Comment construire son commentaire ?

fois. Un commentaire composé doit observer une rigueur scientifique dans son
souci démonstratif : interpréter, c’est chercher à convaincre.
Tout plan doit, enfin, s’organiser de manière rigoureuse en classant et
hiérarchisant les arguments et les hypothèses de lecture selon une pro-
gression qui procède de l’idée la plus simple pour aboutir, en fin de devoir,
à l’idée la plus complexe. Même si l’idée la plus sophistiquée constitue le
plus souvent l’idée la plus attractive car la plus originale dans l’interpréta-
tion, un commentaire composé ne peut s’ouvrir sur ladite idée car il s’agit
d’une part de ne pas dévoiler trop rapidement le cœur du propos. Mais,
d’autre part, il s’agit de ne pas asséner d’emblée au correcteur une idée
trop complexe qui ne pourrait être immédiatement comprise. Il s’agit de
ménager la lecture en proposant une interprétation procédant par étapes
successives et construites de manière à emporter l’adhésion dudit lecteur.

À partir de ces trois lois présidant toute construction argumentative,


l’élaboration du plan d’un commentaire composé doit proposer une interpré-
tation logique qui obéit à deux fondatrices et essentielles que voici :

Règle no 1 : Construire un plan en quatre étapes argumentatives majeures


Chaque plan de commentaire doit se composer d’un mouvement argumen-
tatif articulé en deux ou trois grandes parties procédant elles-mêmes d’idées
directrices différentes pour chaque partie.
Chaque partie obéit toujours au même fonctionnement argumentatif et
peut se décomposer ainsi en quatre temps principaux qui sont ceux de tout
raisonnement auquel le commentaire composé ne fait pas exception.
– Premier temps : idée directrice et définition de la grande partie
Ainsi, toute grande partie du commentaire s’ouvre sur une idée directrice
qui se présente comme un axe de lecture qui sera expliqué et démontré
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

tout au long de ladite partie. La formulation doit en être concise et la plus


simple possible.
Cet axe de lecture s’affirme ainsi comme une hypothèse qu’il faut immé-
diatement développer en s’appuyant sur une définition précise des termes
et autres procédés mis en jeu dans l’idée directrice qui vient d’être for-
mulée. Il s’agit d’emblée d’offrir un propos clair et efficace qui permet au
lecteur de se repérer aisément dans la conduite du devoir.
– Second temps : l’idée-argument de chaque sous-partie
Cette idée directrice doit ensuite être développée et appuyée par deux ou
trois sous-parties qui chacune repose sur une idée-argument devant elle-
même répondre d’un développement précis et ordonné. Articulées entre
elles par autant de liens logiques progressifs, les différentes idées-arguments

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Partie 2 Composer son commentaire

de chaque partie creusent l’idée directrice pour venir l’appuyer et démon-


trer la justesse de l’hypothèse de lecture initiale.
Pour atteindre à plus d’efficacité encore, chaque idée-argument peut s’ap-
puyer sur un procédé en particulier qui porte en soi un axe majeur de
l’hypothèse de lecture à démontrer. En ce sens, la formulation de l’idée-
argument peut reposer là encore sur une définition d’un procédé.
– Troisième temps : l’exemple et son commentaire
Le troisième moment de l’argumentation de chaque sous-partie consiste
à prouver, par un exemple précis prélevé dans le texte, combien l’hypo-
thèse avancée dans l’idée-argument se justifie. Chaque exemple doit être
introduit de manière rédigée et non sous forme de catalogue ou de simple
relevé et doit être à son tour développé. Il s’agit en effet de prendre chaque
citation afin d’en proposer une lecture active, à savoir une analyse de détail
qui explicite les enjeux textuels qui y sont à l’œuvre.
– Quatrième et dernier temps : la conclusion et la transition
L’ultime moment de l’argumentation de chaque partie repose sur la conclu-
sion qui répond ici d’un double mouvement. Il s’agit de pouvoir redonner
l’idée directrice de départ afin de prouver que, par les arguments avancés
dans la partie, elle a été bel et bien démontrée. Enfin il s’agit d’offrir une
transition avec la partie suivante et d’articuler le propos pour montrer sa
progression et sa composition : ce quatrième moment de chaque partie se
clôt donc sur les prémices de la formulation de l’idée directrice de la partie
qui suit.
Pour plus d’efficacité, on évitera de trop rédiger au brouillon l’ensemble
des différentes parties mais on cherchera à organiser ses idées sous la forme
d’un schéma argumentatif pour chacune d’entre elles. Ce schéma permet
à la fois de synthétiser les idées clefs, de ne manquer aucune étape du rai-
sonnement et d’offrir, sous la forme de phrases très brèves ou encore de
mots-clefs pour plus de rapidité en vue de la rédaction, un récapitulatif du
raisonnement.

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Chapitre 2 Comment construire son commentaire ?

Voici ainsi le schéma argumentatif à établir au brouillon pour chaque


partie :

Idée
Définition
directrice

Car

Tout d’abord Ensuite


En définitive
Idée-argument Idée-argument
Exemple Exemple Idée directrice
sous la forme sous la forme Idée de la partie
d’une citation d’une citation directrice suivante
Commentaire Commentaire
de l’exemple de l’exemple

Ce schéma argumentatif permet ainsi d’organiser les idées collectées au


brouillon et d’offrir un guide précis et ordonné avec de passer à la rédac-
tion. Pour plus de clarté, on choisira dans la mesure du possible de rédiger un
schéma par feuille de brouillon pour gagner en rapidité et en sérénité lors de
l’étape finale de composition écrite.

Règle no 2 : Formuler les idées directrices de chacune des grandes parties


Il s’agit, à l’évidence, de l’une des étapes clefs de la réussite du devoir puisqu’elle
doit décider du titre des grandes parties à adopter et des idées directrices qui
vont guider le raisonnement lui-même, assurant au commentaire son mou-
vement interprétatif.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Une idée-directrice consiste toujours en un axe de lecture clairement iden-


tifiable qui permet d’ouvrir à un certain nombre de questions et d’aborder
les enjeux majeurs du texte à étudier. Sa formulation est étroitement liée à la
progression démonstrative du devoir et doit toujours en tenir compte si bien
que deux étapes majeures se dégagent ici pour élaborer les idées-directrices
présidant à chacune des parties.
➜ Trouver les idées directrices à partir du brouillon
Deux méthodes peuvent présider à l’identification et à la formulation des
idées directrices à partir des différentes lectures préliminaires formulées lors
de la découverte du texte.

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Partie 2 Composer son commentaire

Méthode 1 : du repérage à la problématique


La première méthode consiste à partir du relevé des différents procédés et
indices mis en lumière lors des approches successives de l’extrait proposé à
l’étude. Les différents éléments identifiés peuvent ainsi être d’ordre stylistique,
lexical, syntaxique, rhétorique, narratologique : il s’agit alors de les classer, de
les ordonner et de mesurer leur pertinence au regard de ce qu’ils permettent
d’exprimer de neuf et d’original s’agissant du texte.
Il s’agit donc de partir de l’observation ligne à ligne du texte des qualités
d’écriture inhérentes au texte étudié. La relecture du relevé doit aboutir à la
mise en évidence de traits textuels distinctifs. Une fois ce relevé effectué, il
s’agit d’opérer par recoupements, rapprochements et convergences entre les
différentes qualités observées du texte de manière à pouvoir les classer et les
organiser par répétition ou ressemblance. Le but est de parvenir, à terme, à
deux ou trois groupes d’idées similaires qui fourniront par la suite les idées
directrices guidant le commentaire composé.
Il s’agit enfin de procéder à la composition du mouvement général du plan à
partir de ces deux ou trois ensembles d’idées similaires et de les ordonner selon un
axe progressif, passant de l’idée d’une simple observation du texte jusqu’à son sens
le plus dérobé et le moins évident. On prendra ainsi toujours soin de procéder par
cercles concentriques en essayant de resserrer le plus possible le questionnement
de plus en plus vers des particularités du texte. On pourra aussi prendre le
modèle d’un plan en entonnoir partant d’observations générales et progressant
inexorablement vers des particularités infranchissables du texte lui-même.
Ainsi, ce classement des différents relevés qui répond d’un double mouvement
de repérage de ce qui peut faire sens et de ce qui offre dans le même temps une
synthèse interprétative peut s’effectuer au brouillon en bénéficiant de quelques
astuces pratiques permettant de gagner du temps. On prendra en effet soin
d’organiser son brouillon page par page en isolant sur chacune d’elle au fur et à
mesure de la lecture les deux ou trois groupes d’idées communes pour avoir au
terme dudit relevé une feuille déjà prête pour chaque partie. Enfin, sur chacune
des pages obtenues, on prendra soin de surligner chaque groupe d’idées pouvant
entrer dans la même sous-partie selon la même couleur. Il s’agit ici de gagner en
efficacité mais aussi en sérénité pour mieux visualiser physiquement ce qu’il faut
garder, regrouper ou laisser de côté.

☛ Attention ! toutes les remarques inventoriées durant les différentes lec-


tures du brouillon ne peuvent pas venir se loger dans le plan et le mouvement
démonstratif. Il faut parfois abandonner certaines remarques qui, même si elles
peuvent être séduisantes, demeurent trop lacunaires, trop isolées ou relèvent
trop d’une intuition qu’un examen technique peine à prouver sinon étayer.

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Chapitre 2 Comment construire son commentaire ?

Méthode 2 : des hypothèses de lecture à leur démonstration


La seconde méthode permettant de formuler les idées directrices repose
sur les hypothèses de lecture venues à la découverte du texte et l’ensemble
des impressions de lecture plus généralement générées par l’extrait. Ces
hypothèses et impressions doivent devenir le terreau d’une interrogation
méthodique qu’il s’agit d’organiser en fonction des différents procédés
relevés et de leurs effets dans le texte. Chaque impression devient un enjeu de
lecture à partir du moment où l’impression peut être étayée puis démontrée
par des éléments techniques et précis : il s’agit ici de mettre en évidence une
formule du texte sur laquelle bâtir son raisonnement.
On peut définir cette technique dite de la « formule » comme un moyen
pratique afin de procéder à une synthèse efficace de différents enjeux du
texte et une manière habile d’opérer, autant que faire se peut, une articulation
logique entre différents aspects du texte. La formule du texte pourrait ainsi
se définir comme une expression assez courte qui, de manière laconique,
synthétiserait en une phrase le plus souvent les traits d’écriture principaux du
texte. Le but consiste à préciser les premières impressions de lecture pour les
élever à des caractéristiques générales qu’une analyse précise et technique
aura à charge de pouvoir vérifier.
Afin de dégager ladite formule du texte qui sera au fondement du devoir,
il convient d’opérer un balayage de l’extrait à étudier afin de recouper
entre elles différentes informations : le genre du texte, son appartenance
à un mouvement littéraire, son thème majeur, son registre dominant, ses
registres secondaires et leur articulation. Le but est de parvenir à une formule
souvent condensée en une phrase qui met en évidence les visées de l’auteur
et leur effectuation dans le texte en question. Plus la formule rassemble
des caractéristiques simples et efficaces, plus la formule pourra servir de
fondement à la composition du plan et à son développement approfondi.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

En voici un exemple à partir du quatrième tableau de Roberto Zucco de


Bernard-Marie Koltès (1990) qui met en scène la pute affolée qui rapporte
l’assassinat par Zucco de l’inspecteur mélancolique. Voici la formule qui vient
synthétiser le passage selon les critères précédemment énoncés :

Une tirade théâtrale qui, sous la forme d’un récit fantastique, vient
rapporter l’événement advenu hors scène du meurtre de l’inspecteur
mélancolique par un Roberto Zucco devenu comparable à un Ange de
l’Apocalypse.
Cette formule résume en une phrase l’essentiel des caractéristiques du
passage et permet de commencer à construire un raisonnement : le passage

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Partie 2 Composer son commentaire

présente un récit sous la forme d’une tirade ; le récit rapporte un événement


hors scène, celui du meurtre ; ce récit obéit au registre fantastique ; le meurtre
est accompli par un personnage hors normes, Zucco qui se dérobe à la scène,
d’où ce récit rapporté ; Zucco est une présence surnaturelle comparable à
l’ange de l’Apocalypse qui apporte la mort.
Une telle formulation du noyau interprétatif du texte peut ainsi servir
de base pour sérier et identifier les enjeux du texte en ouvrant à un certain
nombre de questions qui organisent là encore le raisonnement, le systéma-
tisent et le stimulent.
On peut, poursuivant l’exemple de formule forgée à partir de Roberto Zucco
de Koltès, poser les questions suivantes : Quelles sont les caractéristiques d’une
tirade ? Ne peut-on pas parler d’un monologue bien plutôt ? Pourquoi utiliser
le registre fantastique ? En quoi Zucco est-il un être surnaturel ? À rebours de
son image d’assassin, pourquoi l’usage du fantastique contribue-t-il à faire de
Zucco ici une figure héroïque ? Pourquoi sème-t-il la mort ? Pourquoi l’ins-
pecteur vit cet assassinat comme un soulagement ?
Enfin, on perçoit combien ces deux méthodes peuvent se combiner de
manière à toujours obtenir un plan qui brasse l’ensemble des enjeux du texte
et déploie l’interprétation.

1 Élaborer l’introduction et la conclusion


Une fois le développement construit et son mouvement validé, et avant sa
rédaction, il convient de rédiger au brouillon introduction et conclusion de
manière à débuter l’écriture du commentaire en toute confiance.

1.1. L’introduction du commentaire


L’introduction est un des éléments clefs du devoir : elle est la carte de visite
de l’ensemble du propos et sa bande-annonce tant elle doit présenter et fixer
les enjeux principaux du commentaire en affirmant d’emblée du candidat la
maîtrise et la connaissance du texte.
Toute introduction s’établit en un paragraphe qui ne doit pas excéder une
vingtaine de lignes afin de ne pas anticiper sur le développement et ouvrir à
l’ensemble des questions comme autant de pistes suggestives qui alimente-
ront le devoir.

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Chapitre 2 Comment construire son commentaire ?

L’introduction se décompose ainsi en six étapes majeures :

1. Présentation de l’auteur
Il s’agit de le présenter avec, si possible, ses dates de naissance et de mort.
Cette présentation passe également par une caractérisation globale de son
œuvre selon le genre pratiqué, le mouvement littéraire auquel l’auteur peut
appartenir.

2. Présentation de l’œuvre
Il s’agit de présenter l’œuvre en question dont est tiré l’extrait et au besoin s’il
s’agit d’un roman ou d’une pièce de théâtre, d’en fixer les enjeux actantiels.

3. Présentation de l’extrait et sa situation dans l’œuvre


Il s’agit ici de poser l’argument dramatique de l’extrait et de savoir le resituer,
si besoin, dans l’œuvre afin d’ouvrir au plus large questionnement. Il faut
offrir d’emblée l’essentiel des enjeux qui détermineront le commentaire qui
va suivre.

4. Présentation de la problématique sous la forme d’une question


La problématique doit toujours être présentée sous la forme d’une question à
laquelle en fait l’intégralité du devoir se doit de répondre, chaque partie étant
une idée visant à affirmer l’hypothèse de départ fixée ici. La question permet en
outre de dynamiser le propos et de l’articuler avec plus de facilité.

5. Explication de la problématique
Il s’agit là de justifier la problématique et, au besoin, de l’expliciter surtout
lorsqu’elle peut comporter des termes techniques. On prendra toujours soin de
les définir autant que faire se peut de manière à proposer une introduction à la
fois complète et prospective.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Trouver la problématique relève de l’exercice le plus synthétique du devoir et


devient l’étape ultime de la mise en perspective des relevés du brouillon. La
problématique consiste toujours à mettre en intrigue le devoir en proposant une
question qui vient donc interroger la singularité du texte et l’articuler autour
d’un enjeu textuel et esthétique.

6. Présentation du plan
L’introduction s’achève sur cette sixième étape clef, absolument indispensable
car elle découle de la présentation et de l’explication de la problématique.
L’annonce du plan permet de construire la lisibilité du propos qui sera tenu tout
au long du commentaire et de dévoiler quelle composition l’organise et ainsi le
détermine.

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Partie 2 Composer son commentaire

On prendra toujours soin de rédiger l’introduction à la fin du brouillon et


d’annoncer les parties qui composent le devoir. L’introduction a toujours valeur
de guide dans votre commentaire et permet au lecteur de se repérer afin, par
ailleurs, qu’il n’hésite pas à revenir quand il le souhaite à votre annonce de plan
en introduction pour savoir où il en est de l’avancée de votre raisonnement.

1.2. Méthode de la conclusion


À la différence de l’introduction, la conclusion se doit d’être brève pour refléter à
la fois l’efficacité et l’énergie du propos. Elle se doit d’être élégante et soignée car
elle demeure le dernier élément que le correcteur aura à l’esprit lorsqu’il viendra
à terminer la lecture de la copie. Sa position est ainsi déterminante et doit faire
l’objet de la plus grande attention en étant rédigée au préalable au brouillon lors
d’une épreuve afin d’éviter toute précipitation de dernière minute.
D’une longueur maximale de huit à dix lignes pour ne pas trop diluer
le propos, la conclusion d’un commentaire composé obéit à trois étapes
majeures :

1. La récapitulation du devoir
La conclusion doit tout d’abord proposer de manière synthétique et brève une
récapitulation de l’essentiel du propos formulé dans le devoir. Il s’agit là de
retracer le parcours interprétatif qui court depuis la première partie et vient
s’achever dans la dernière. Il apparaît évidemment inutile ici de résumer le devoir
avec force détails puisque sa lecture vient d’être effectuée. C’est bien plutôt
l’occasion d’accentuer certaines idées directrices et certaines idées arguments
qui méritent de trouver la pleine lumière de la fin pour valoriser au mieux votre
propos et sa construction logique.

2. La réponse à la problématique
Posée en introduction sous la forme d’une question, la problématique doit
trouver ici sa réponse sur laquelle s’est par ailleurs appuyée la formulation du
devoir. La réponse trouve ici la confirmation d’une piste interprétative que la
problématique a à charge de déployer. Répondre à la problématique est une
étape indispensable qui doit être particulièrement soignée car elle est le dernier
moment démonstratif du devoir, celui où se vérifie la pertinence des intuitions
posées en introduction.

3. L’ouverture finale
Il faut clore le devoir afin d’en relancer le questionnement mais aussi le
foisonnement au moyen d’une ouverture et d’un élargissement du propos qui
peut prendre trois formes principales. La première consiste à opérer une ouverture
sur une autre œuvre du même auteur ou sur un autre passage du même livre de

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Chapitre 2 Comment construire son commentaire ?

manière à tisser un ensemble de comparaisons ou le suggérer à la faveur de


ce mouvement conclusif. La deuxième ouverture possible propose, quant à
elle, d’ouvrir une œuvre aux mêmes enjeux ou tout du moins à la configuration
textuelle voisine ou parente mais émanant d’un autre auteur qui se voit
ainsi rapproché de l’extrait étudié, qui lui-même voit son questionnement
incidemment relancé et élargi. La troisième et ultime ouverture s’intéresse,
quant à elle, à un autre mouvement littéraire qui pourrait se rapprocher des
préoccupations de l’auteur.
Il s’agit par ces différents types d’ouverture d’offrir en dernière instance de
lecture une richesse culturelle qui permet de témoigner à la fois de la complexité
du texte étudié et des perspectives qu’il peut suggérer.

2 Rédiger son commentaire


Comme toute épreuve écrite littéraire, le soin apporté à la rédaction demeure
fondamental et doit l’objet d’une attention soutenue.
Les règles principales de rédaction sont au nombre de cinq :

2.1. Soigner la mise en page


La première concerne la présentation et la mise en page du commentaire
composé. Trop de commentaires présentent leur développement d’un
bloc impavide qui ne permet pas de cerner au premier coup d’œil les dif-
férentes parties et chacune des sous-parties. Or la présentation d’un devoir
doit s’imposer en premier lieu par la typographie. À ce titre, les sauts de
lignes entre les parties et les paragraphes constituent une absolue nécessité
à la fois visuelle et intellectuelle pour permettre au lecteur un repérage aisé
des différentes articulations. On choisira le système suivant pour plus de
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

commodité :
– des alinéas chaque fois que l’on débute une nouvelle étape du dévelop-
pement d’une partie, à savoir lorsque l’on passe de l’idée-directrice et sa
définition à la formulation de l’idée-argument, puis de l’idée-argument à
l’exemple et à son commentaire et enfin pour marquer le changement de
sous-partie ;
– on choisira de procéder à un saut de ligne chaque fois qu’il s’agit de passer
d’une sous-partie à sa transition afin de la mettre en valeur ;
– on choisira enfin de placer trois astérisques entre l’introduction et la première
sous-partie, ensuite entre chaque sous-partie et finalement avant la conclu-
sion de manière à bien délimiter chaque grande étape du commentaire.

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Partie 2 Composer son commentaire

2.2. Privilégier des phrases brèves


Pour vous assurer d’une parfaite maîtrise syntaxique sans nourrir votre com-
mentaire de faute de grammaire, il est conseillé de privilégier dans votre
rédaction des phrases plutôt brèves. Claires et souvent plus percutantes, ces
phrases assurent une efficacité qui permet à votre propos d’être encore plus
convaincant sans se perdre parfois dans des phrases parfois méandreuses qui
délitent l’argumentation.

2.3. Employer un vocabulaire concis


À ce titre également, ne multipliez pas les termes complexes : ils ne valent pas
pour un argument. Vous devez pour chaque procédé employé en proposer
la définition de manière à rendre votre propos toujours fluide et didactique.
C’est pourquoi vous ne devez jamais pratiquer de sous-entendus ou évoquer
un certain nombre d’éléments de manière implicite : vous devez toujours faire
comme si votre lecteur ne connaissait absolument rien du texte dont vous
parlez. Vous avez à charge de l’expliquer, c’est-à-dire d’en déplier toutes les
subtilités afin qu’au terme de la lecture du commentaire, ledit texte n’ait plus
aucun secret pour le lecteur de votre commentaire.

2.4. Introduire les exemples


Enfin, rappelons une nouvelle fois ici qu’il est important d’introduire chaque
exemple et chaque citation de manière rédigée en variant les formules.
L’élégance du propos ainsi que la fluidité de la démonstration s’en trouveront
naturellement renforcées. S’agissant des citations elles-mêmes, veillez à ne
citer que des phrases n’excédant pas trois lignes maximum dans votre devoir
afin de ne pas diluer votre propos et perdre le lecteur. Renseignez toujours les
numéros de ligne après la citation entre parenthèses. Enfin si le passage cité
est trop long, veillez à reproduire les premiers mots et les derniers mots avec
le signe […] pour indiquer la coupure sans oublier de renvoyer au numéro
de ligne.

2.5. Éviter les plans apparents


Si les titres des différentes parties peuvent apparaître au brouillon afin de faci-
liter le repérage du texte, il est en revanche formellement déconseillé sinon
interdit de les faire figurer sur la copie à la manière d’un plan détaillé dont
chaque partie serait explicitée par sa rédaction. Vous devez recourir à une
expression claire et efficace qui vous assure à la lecture de votre idée-direc-
trice la compréhension immédiate par le lecteur de vos différentes parties
puis sous-parties.

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Chapitre

Commenter un extrait 3
de roman
Commenter un extrait de roman suppose, comme pour chaque genre,
de se munir d’une double connaissance afin de pouvoir opérer une lecture
pertinente : à la fois générique et critique. Il s’agit ici non de produire
une impossible approche exhaustive mais de suggérer des pistes premières
qu’il conviendra d’approfondir.

PLAN

1 Connaissance générique
2 Connaissance critique
3 Commentaire n° 1
4 Commentaire n° 2

1 Connaissance générique
De fait, le commentaire d’un texte romanesque suppose, tout d’abord, une
approche générique spécifique qui procède depuis l’histoire même du genre et
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

intime ainsi à l’étudiant quelques réflexes analytiques. Le mot « Roman » naît


ainsi au 12e siècle et renvoie à la langue romane et donc vulgaire qui se parle
en opposition au latin. Progressivement, tout au long du Moyen Âge, le terme
désigne toute œuvre d’imagination écrite en langue vulgaire, rassemblant ainsi
les contes et autres mythes fondés sur la fiction. À la Renaissance, « roman » ren-
voie à un récit en prose en français répondant d’une histoire mettant en scène des
personnages dans un cadre spatio-temporel déterminé et répondant d’un schéma
narratif et actantiel. Mais le roman pâtit d’une mauvaise image : issu de la langue
vulgaire et populaire, il demeure un genre bas, réservé alors au simple divertisse-
ment et sans solidité intellectuelle. Genre bâtard car mêlant dialogue de théâtre,
récit épique et aventures galantes, le roman ne trouvera ses lettres de noblesse que
progressivement.

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Partie 2 Composer son commentaire

Il faut attendre les 19e, 20e et 21e siècles pour voir le roman s’imposer comme
le genre premier, devenant parfois même le synonyme de littérature. Si le phi-
losophe Hegel déclare dès le début du 19e siècle que le roman est devenu « la
moderne épopée », il convient de remarquer qu’il s’agit, de fait, du siècle où
le roman devient dominant à travers des figures telles qu’Honoré de Balzac,
Stendhal, Flaubert, Zola, Maupassant, autant d’auteurs proches du réalisme
et du naturalisme mais aussi Hugo, figure même du romantisme français.
Le roman devient une puissance narrative d’évocation qui prend en charge
notamment sociologiquement une exploration des nouvelles réalités politiques,
économiques et sociales après la Révolution française. Viennent ensuite, au
20e siècle, les entreprises solitaires et définitives de Proust, Céline, Malraux et
Aragon qui ouvrent la voix aux remises en cause de tout récit par le mouvement
du « Nouveau Roman » dans les années 1950 avec Robbe-Grillet, Butor, Duras,
Beckett, Simon et Sarraute. Le roman n’est plus un genre dénigré : il devient,
contre toute attente, un hypergenre qui occupe l’essentiel de l’attention critique.

2 Connaissance critique
À cette histoire du roman correspond également une histoire de son analyse
critique. Étudier le roman réclame des grilles de lecture spécifiques qui tiennent
compte de l’identité et des particularités d’écriture du roman. L’attention à l’écri-
ture des textes romanesques en passe ainsi par une approche poétique et plus pré-
cisément narratologique et énonciative. Il convient ainsi de mobiliser un ensemble
d’outils critiques qui pourront directement traiter de la qualité générique du texte
et, d’emblée, pouvoir problématiser une interprétation à la fois en la suscitant et
lui permettant d’offrir une assise rigoureuse et scientifique à l’analyse.

Voici quelques outils critiques permettant d’œuvrer à une lecture organisée :

Outils narratologiques
Hérités de Figures III de Gérard Genette, les concepts suivants permettent de
s’attaquer aux modalités mêmes du récit et de son déploiement narratif. Citons
parmi les outils les plus utiles :

Les types de texte


Il faut toujours identifier d’emblée à quel type de texte appartient l’extrait à
commenter et l’analyser en fonction. S’agit-il ainsi d’une narration et, si oui,
de quelle narration : rétrospective (passé), prospective (futur) ou simultanée
(présent) ? S’agit-il d’une description et, si oui, de quelle description : lieu
(topographie), personnage (portrait) ? Et s’il s’agit d’un portrait, est-il physique
(prosopographie) ou moral (éthopée) ?

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Chapitre 3 Commenter un extrait de roman

La focalisation
Il s’agit du point de vue adopté dans le texte par le narrateur. S’agit-il d’une
focalisation externe où le narrateur en sait moins le personnage ? S’agit-il
d’une focalisation interne où le narrateur en sait autant que le personnage ? Ou
s’agit-il d’une focalisation zéro où le narrateur en sait plus que le personnage ?

Outils énonciatifs
Une étude de l’énonciation s’organise toujours autour de la distinction : récit
(avec les marques des temps du passé et la troisième personne pour sujet) et
discours (avec les marques des temps du présent et la première et deuxième
personne pour sujet.). Récit et discours s’opposent ainsi pour permettre ensuite
de distinguer les différents types de discours qui guident la narration et les
dialogues : discours direct, discours indirect et discours indirect libre.
Autant de pistes de lectures qu’il s’agit de mettre en œuvre ici en s’intéressant à un
segment textuel emblématique du roman : l’incipit, à savoir le début de tout roman.

3 Commentaire n° 1

ÉMILE ZOLA, GERMINAL, 1885,


PREMIÈRE PARTIE, CHAPITRE 1, INCIPIT
Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur
d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilo-
mètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il
ne voyait même pas le sol noir, et il n’avait la sensation de l’immense horizon plat que
5 par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d’avoir
balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d’arbre ne tachait le ciel,
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

le pavé se déroulait avec la rectitude d’une jetée, au milieu de l’embrun aveuglant des
ténèbres.
L’homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d’un pas allongé,
10 grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit
paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre
ses flancs, tantôt d’un coude, tantôt de l’autre, pour glisser au fond de ses poches les
deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d’est faisaient saigner.
Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le
15 froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque
sur la gauche, à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers
brûlant au plein air, et comme suspendus. D’abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne
put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.

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Partie 2 Composer son commentaire

Un chemin creux s’enfonçait. Tout disparut. L’homme avait à droite une palissade,
20 quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée ; tandis qu’un talus d’herbe
s’élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d’une vision de village aux toitures basses
et uniformes. Il fit environ deux cents pas. Brusquement, à un coude du chemin, les feux
reparurent près de lui, sans qu’il comprît davantage comment ils brûlaient si haut dans
le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses. Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait
25 de l’arrêter. C’était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d’où se dressait la
silhouette d’une cheminée d’usine ; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq
ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis
alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques ; et, de cette apparition fantas-
tique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue
30 d’un échappement de vapeur, qu’on ne voyait point.
Alors, l’homme reconnut une fosse. ●

Il convient en premier lieu de s’interroger sur le genre de l’œuvre :


➜ L’extrait renvoie ici comme il est indiqué en paratexte à Germinal, un roman
d’Émile Zola qui fait partie de sa somme romanesque intitulée Les Rougon-
Macquart qui entend étudier et raconter conjointement le destin de la famille
Rougon-Macquart sous le Second Empire (1852-1870). Treizième tome de la
série, Germinal raconte l’histoire d’Étienne Lantier, fils de Gervaise Macquart et
de son amant, Auguste Lantier, qui arrive ici dans le nord de la France après avoir
été renvoyé de son précédent emploi pour avoir giflé son patron. À la recherche
d’un nouveau travail, le jeune homme, aux idées révolutionnaires, rencontre ici le
monde violent et terrible de fatigue des mines de charbon. Il y trouvera un emploi
et mènera rapidement ses camarades dans une grève contre leur employeur qui
se soldera par un cinglant échec.

3.1. Le contexte historique et biographique de l’œuvre


Le second temps de cet examen préliminaire du texte consiste à s’intéresser de
manière méthodique aux contextes historique et biographique de l’œuvre, et,
en particulier, de l’extrait à commenter.
S’agissant de Germinal, il convient, en premier lieu, de rappeler combien le
contexte historique est déterminant pour saisir à la fois la puissance évocatrice de
l’œuvre et son indéniable dimension politique. Cette dernière apparaît immédia-
tement dès le titre, Germinal qui désigne un mois du calendrier révolutionnaire,
celui de l’éclosion de la nature aux mois du printemps. La portée est double :
Germinal renvoie ainsi à la dimension révolutionnaire héritée de 1789 du per-
sonnage d’Étienne qui sera à l’origine d’une grève très violente qui réclame des
droits pour les mineurs ; Germinal renvoie aussi au printemps, à la germination

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Chapitre 3 Commenter un extrait de roman

métaphorique d’un peuple révolutionnaire qui viendra renverser le capitalisme.


L’incipit évoque par ailleurs symboliquement une naissance, celle du personnage
et du roman à eux-mêmes comme nous le verrons par la suite.
À cette mention du calendrier révolutionnaire vient s’ajouter le contexte
historique même dans lequel l’action du roman s’installe, à savoir la France
du Second Empire dont Zola dépeint les affres et les méandres dans sa suite
romanesque. Pour Zola, le règne de Napoléon se caractérise aussi bien par
la corruption financière que par la violence exercée sur les prolétaires alors
totalement aliénés par leur travail, et laissés sans aucune défense syndicale ni
juridique, entièrement soumis à une rentabilité aveugle et meurtrière. Alors
que nombre de romans des Rougon-Macquart dépeignent l’univers et les
travers de la bourgeoisie, Germinal s’inscrit dans la droite et naturelle filia-
tion de L’Assommoir qui narrait la déchéance inexorable de Gervaise, la mère
d’Étienne et se fait roman du monde ouvrier sous le Second Empire.
À l’ensemble de ces informations viennent s’ajouter deux éléments biogra-
phiques émanant de la vie d’Émile Zola qui permettent également d’orienter
la lecture de l’extrait :
– la première concerne les convictions politiques de Zola qui appartiennent au
progressisme et au socialisme. Mettre en scène le monde des mineurs renvoie
pour lui à une double tâche politique : montrer de manière réaliste et détaillée
la vie sans merci de ces travailleurs livrés jour et nuit à leurs tâches ; choisir
précisément les mineurs et leur travail souterrain ingrat afin, symboliquement,
de souligner combien le peuple à venir, celui des prolétaires qui se soulèveront,
surgiront de terre pour trouver la lumière de la paix et du bonheur ;
– la seconde concerne, cette fois, la manière de travailler de Zola qui ne com-
posait pas, par souci de réalisme et de vraisemblance, ses romans au hasard.
Chacun d’eux est le fruit d’une patiente enquête s’informant avec minutie du
milieu dans lequel l’intrigue de ses romans entendait prendre place. C’est ainsi
qu’avant de composer ses œuvres, Zola rassemblait nombre de notes prépara-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

toires, notamment, s’agissant de Germinal, des conditions de vie très difficiles


des mineurs du nord de la France. Un tel souci d’exactitude se concrétise dans
le texte par un déploiement actantiel qui évoque le travail des mineurs mais
aussi par la richesse lexicale et ses particularismes qui renvoient notamment
aux noms des outils spécifiques au travail minier. Le réalisme devient la clef
du souci descriptif, de sa vraisemblance et de son exhaustivité.

3.2. La lecture cursive de l’extrait


Il s’agit ici de proposer une lecture qui offre une première saisie raisonnée et
systématique de l’extrait analysé dans son intégralité. Trois saisies du texte
s’offrent dans cette phase de brouillon : interroger le lexique du texte, la
situation de l’extrait dans l’œuvre et enfin sa composition d’ensemble.

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Partie 2 Composer son commentaire

– Saisie lexicale : s’intéresser au lexique utilisé par Zola dans cet incipit
permet immédiatement d’offrir du texte une double saisie des métaphores
et images à l’œuvre. En effet, dès la fin du premier paragraphe, il est fait
mention dans ce paysage pourtant de « plaine rase » et de « champs de bet-
terave » d’une tempête maritime alors même que la mer semble loin. Les
termes « embrun » ou encore « jetée » renvoient explicitement au lexique
maritime qui ne peut que surprendre. Zola cherche à décrire ici une tem-
pête qui dépasse le cadre référentiel : est-ce le déchaînement à venir des
ouvriers qui y ici symbolisé ? La seconde image à déduire de l’étude lexicale
s’intéresse quant à elle au vocabulaire du printemps : la mention notam-
ment du « mois de mars » renvoie sans détours au titre, Germinal mois du
calendrier révolutionnaire qui recouvre précisément le mois de mars et la
période de germination de la nature. Ce lexique du printemps s’accom-
pagne aussi du vocabulaire de l’apparition quand la mine surgit au détour
d’un talus : sans doute faudrait-il dire ici que le texte porte une double
naissance : celle d’un bientôt printemps et celle du récit à lui-même où la
mine apparaît aux yeux d’Étienne au moment même où elle naît pour le
lecteur.
– Interroger la situation de l’extrait dans l’œuvre : cette saisie renseignée
du texte doit s’accompagner d’un premier repérage textuel qui iden-
tifie dans quelle partie il se situe. Par les mentions de « Chapitre I » et de
« Première partie », l’extrait s’assimile à ce qu’il convient de nommer un
incipit, à savoir un début de roman qui autorise à une double analyse pou-
vant guider le commentaire :

Le premier élément inhérent à l’incipit consiste à se saisir des cinq questions


propres à toute entrée en matière romanesque de manière à dégager des pistes
interprétatives. Tout incipit répond de 5 questions fondatrices :

1. Qui ?
Quels sont les personnages représentés ? Quels sont leurs noms et prénoms ?
Parvient-on à les identifier ?

2. Où ?
Il s’agit de la première question s’intéressant au cadre spatio-temporel. Le lieu
est-il nommé ? Peut-on parler d’une topographie ? La description est-elle précise ?
Comment s’organise-t-elle ?

3. Quand ?
Il s’agit du second volet du cadre spatio-temporel. Une date apparaît-elle dans le
texte ? Si oui, est-elle précise ? En quoi la précision fait-elle sens ?

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Chapitre 3 Commenter un extrait de roman

4. Quoi ?
Que fait le personnage ? Quelles sont ses principales actions ?

5. Comment ?
De quelle manière est caractérisé le personnage ? Comment sont décrits ses faits
et gestes ?

Répondre à ces cinq questions offre l’occasion de saisir à la fois la trame


narrative du texte et, dans les réponses formulées, de comprendre la visée
première du romancier. Ici, l’essentiel des questions trouve une réponse pré-
cise et détaillée, à l’exception d’une seule : celle, fondamentale, de l’identité
du personnage. Le laisser dans l’anonymat, sans même que le lecteur sache
son prénom, permet à la fois d’entourer ledit personnage d’un mystère, de le
rendre insaisissable mais également de ménager l’intérêt du lecteur qui sera
ainsi désireux de mieux connaître le futur protagoniste.
Tout incipit passe un pacte de lecture avec celui qui le découvre et installe
par son déploiement narratif un certain nombre d’horizons d’attente à la fois
narratifs et esthétiques. Ici la multiplication des précisions tant sur le lieu que
sur l’habillement du personnage renvoie au mouvement naturaliste dont Zola
était le chef de file, à savoir un mouvement littéraire et culturel qui, dans le
prolongement du réalisme, entendait introduire dans le roman, notamment
dans la présentation des personnages, la méthode des sciences humaines et
sociales appliquée à la médecine par Claude Bernard. L’incipit dévoile ainsi
une écriture soucieuse du détail et des mentions notamment de classe sociale
du personnage d’ouvrier d’Étienne présenté comme tel d’emblée.
La particularité d’un incipit réaliste et naturaliste est que l’incipit répond
aux cinq questions mentionnées précédemment avant même que le lecteur
n’ait eu le temps de se les poser. Il y répond par ailleurs avec un rare souci du
détail qui renvoie plus largement à la question de la vraisemblance : plus les
descriptions se révéleront précises, plus l’histoire racontée sera digne de foi
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

et renverra à une enquête méthodique et rigoureuse de la part du romancier.


– Composition d’ensemble du texte. Les trois paragraphes qui composent
ce texte présentent une action simple et première, celle d’un homme qui,
cheminant dans la nuit, à la manifeste recherche d’un emploi, arrive devant
une mine de charbon où il demandera du travail. Cette progression dans
la nuit à la recherche d’un lieu n’est pas anodine : parce qu’il s’agit d’un
dur et âpre cheminement en raison des conditions climatiques, de la faim
et de la fatigue qui tenaillent le personnage, ce parcours prend résolument
une allure mythique qui emprunte au schéma fondateur de la quête dans
le mythe et le conte populaire. Le personnage, anonyme, prend alors des
accents mythiques lui-même sinon bibliques : est-il l’envoyé, l’élu ? S’agit-il
d’un prophète ? Symboliquement, le texte de Zola est riche d’implications.

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Partie 2 Composer son commentaire

3.3. La lecture méthodique de l’extrait


La lecture méthodique de l’extrait entend, comme nouvelle et décisive étape
du commentaire, proposer au brouillon toujours une nouvelle triple lecture
du texte selon des grilles de lecture techniques. Un triple questionnement
systématique s’intéresse à l’extrait en le scrutant successivement du point de
vue stylistique, poétique et enfin rhétorique. Le but est de parvenir à dégager
des pistes interprétatives qui, adjointes aux précédentes, viendront fournir
autant de clefs pour la lecture détaillée finale.

Lecture stylistique
La lecture stylistique s’attache ici à identifier les qualités énonciatives, propre-
ment linguistiques du texte. Cet incipit relève de ce qu’Émile Benveniste et
Gérard Genette à sa suite ont pu qualifier de récit, à savoir un texte qui, pré-
sentant des événements racontés au passé et à l’aoriste, s’organise autour de la
troisième personne, ici le « il » de l’homme inconnu. Opposé au discours, plus
subjectif et oral, le récit proprement historique tel que le pratique Zola répond
d’un désir d’objectivité devant la présentation des faits qui structureront l’in-
trigue de son roman. Un tel désir d’objectivité renvoie aux choix esthétiques
de Zola qui, par son naturalisme, entend proposer une saisie scientifique et
scrupuleusement exacte du réel à la manière d’une expérience médicale dont
chaque personnage est le cas clinique.

Lecture poétique
La lecture poétique favorise ici le recours aux outils narratologiques tels qu’ils
ont pu être mis en évidence par Gérard Genette dans Figures III (1972). Il
y distingue notamment sous le terme de « focalisation » la manière dont un
texte narratif organise le récit selon un point de vue déterminé. Ici Zola pri-
vilégie la focalisation externe, à savoir un narrateur qui en sait moins que
le personnage qu’il met en scène. Le fait, notamment, de ne pas connaître
son nom et de le découvrir en même temps et en quelque sorte que le lecteur
montre que le narrateur en sait donc moins que le personnage. Il s’agit ici
d’un effet dramatique propre aux incipits du réalisme et du naturalisme qui
ménagent un effet de surprise et de découverte mais qui aussi, présentant pro-
gressivement le personnage, témoignent d’un effort de vraisemblance.

Lecture rhétorique
Cette ultime lecture consiste à sonder le texte selon la grille des figures de style
qu’il sollicite et qu’il déploie. Il s’agit ici de repérer des figures notables dont
le développement se fait à l’échelle macro-structurale du texte, c’est-à-dire
notamment la métaphore. La plus importante a déjà pu être aperçue plus

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Chapitre 3 Commenter un extrait de roman

haut s’agissant de l’étonnante tempête maritime qui paraît se déchaîner


au milieu de cette plaine rase. Une image plus souterraine, comme la mine,
reprend aussi la question de la naissance : le paysage semble se sexualiser pour
évoquer un acte de procréation : « un chemin creux s’enfonçait » ; « une fosse ».
Ici il s’agit de suggérer une naissance du roman à lui-même, ce qu’autorise à
croire également une comparaison, celle, initiale, d’une nuit « d’une épais-
seur d’encre ». L’encre renvoie sans ambiguïté à celle de l’écrivain au travail :
la tempête est celle de la création de l’auteur à l’œuvre.

3.4. La lecture détaillée


Il s’agira ici de proposer une lecture détaillée du texte, paragraphe par para-
graphe, ligne à ligne, dans une linéarité scrupuleuse en croisant ainsi au cœur
des remarques qui seront formulées les approches syntaxiques, rythmiques
et pragmatiques. Au terme d’un examen général, trois groupes de remarques
se dégagent qui peuvent constituer autant de fondements à la réflexion et
l’interprétation :

Le texte se distingue en premier lieu par son souci réaliste et plus particu-
lièrement naturaliste. Il s’agit pour Zola de décrire ici le nord de la France de
manière méthodique et vraisemblable. Dans cette topographie qui désigne tou- www.armand-colin.com
jours une description de lieu, le souci du détail et de la précision s’organise de
deux manières : à la fois dans la divulgation de noms de lieux « Marchiennes »,
« Montsou » qui ancrent d’emblée l’action dans le Nord de la France, et ensuite Ressource
avec les effets de réel tels quel les nommait Roland Barthes, à savoir ces détails numérique
inutiles et contingents qui peuvent être interchangeables sans que, pourtant, l’his- Textes
toire contée en soit affectée. Ici les effets de réel abondent qui s’occupent du pay- supplémentaires

sage pour l’ancrer dans l’exactitude référentielle du nord de la France et de la mine


comme notamment « champs de betteraves » ou encore « les échappements de
vapeur ».
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Le texte présente depuis une focalisation externe la présentation du pro-


tagoniste, Étienne, qui ici demeure un homme sans identité. Sa première pré-
sentation s’effectue comme toujours chez Zola sur une base sociologique et
plus particulièrement sociale : « tête vide d’ouvrier » l’installe immédiatement
socialement. À ceci vient s’ajouter une double caractérisation d’ordre là encore
réaliste et naturaliste puisqu’Étienne est historiquement un ouvrier itinérant. Il
s’agit ici d’une pratique courante d’un ouvrier qui va de ville en ville pour trouver
du travail.
La seconde caractérisation renvoie à une donnée sociale par où l’on apprend
d’emblée que le personnage vit dans une extrême misère, un très grand dénuement.
À l’hostilité d’un paysage et de conditions climatiques très violentes et dures vient
répondre une détresse sociale du personnage. Le registre pathétique détermine ce

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Partie 2 Composer son commentaire

premier portrait parcellaire mais surgit néanmoins un registre épique qui renvoie à
l’endurance du personnage dans une telle hostilité géographique et climatique : sans
doute faut-il alors considérer la surprenante mention surprenante de « tête vide
d’ouvrier » comme un indice textuel clef et une antiphrase : sa tête au contraire,
bien remplie et nourrie d’idées révolutionnaire, emportera le roman et les mineurs
dans une épopée populaire.
Enfin l’ultime groupe de remarques concerne le décor dans ce qui dépasse le
réalisme et le naturalisme et s’en offre comme le paradoxe textuel. Le paysage
nocturne se présente de l’aveu même du texte qui en fait mention comme un
décor fantastique. De fait, l’arrivée progressive d’Étienne devant la mine, le spec-
tacle qui l’y arrête fournit la matière d’une description proprement fabuleuse
entre énigme et terreur pour le personnage qui ne sait de quoi il s’agit. Loin de se
limiter à un quelconque réalisme, l’écriture de Zola s’emporte, de manière épique
et fantastique, vers la description d’une mine conçue comme un monstre fabu-
leux et dévorant. Le texte glisse alors vers une vision mythique du paysage par où
Étienne, solitaire et sans nom, semble arriver dans cet univers désolé à la manière
d’un prophète, celui prêt à guider les hommes asservis vers la grève et leur inci-
dente libération.
Ce caractère fantastique s’accompagne aussi d’une nuit problématique du
strict point de vue de la vraisemblance. En effet, si le passage consiste en la des-
cription d’un paysage nocturne d’une rare intensité (« sans étoiles », « il ne voyait
même pas le sol noir »), cette nuit plus noire que noire pose d’emblée un pro-
blème de vraisemblance : comment le narrateur peut-il décrire ce que le person-
nage lui-même ne voit pas ? S’agit-il pour Zola d’affirmer d’emblée un narrateur
tout-puissant ou plutôt de manière inouïe de souligner combien le roman sou-
ligne son caractère artificiel, combien le roman s’affirme roman ? Ne parle-t-on
pas d’une nuit « d’une épaisseur d’encre », à savoir l’encre du romancier pour
écrire son histoire ? Et si cet incipit mettait en scène métaphoriquement la nais-
sance de l’œuvre à elle-même, d’un personnage qui naît sous nos yeux, qui trouve
progressivement son nom, d’une tempête prénatale d’où il finit par naître pour
germer et faire germer sur cette terre désolée l’idée même de justice et de révo-
lution sociales ? ●

La formule qui peut être déduite du texte serait la suivante : un incipit natu-
raliste qui offre le récit d’un ouvrier en quête de travail dans un paysage du nord
hostile et qui est peut-être le prophète mythique d’une révolution à venir.
De là peut aisément se déduire une problématique qui vient articuler la
tension présente au cœur du texte à savoir l’articulation entre réalisme d’une
part et souffle mythique d’autre part. La question à poser répondrait alors de
la formulation suivante : en quoi cet incipit présentant de manière réaliste
l’arrivée d’Étienne à la mine s’offre à la vérité comme le récit d’une tempête
mythique et prophétique ?

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Chapitre 3 Commenter un extrait de roman

De là le plan suivant peut alors être envisagé.

Plan du commentaire :
1. Un incipit naturaliste ?
a. Effets de réel et vraisemblance géographique
b. L’exhaustivité naturaliste

2. Un personnage énigmatique
a. Une caractérisation sociale et sociologique
b. Un prophète ?

3. Une tempête fantastique et mythique


a. Une tempête fantastique
b. Une naissance mythique et textuelle ? ●

4 Commentaire n° 2

TANGUY VIEL, L’ABSOLUE PERFECTION DU CRIME,


PROLOGUE, MINUIT 2001
L’écran de télévision au-dessus du comptoir, relié à une caméra à l’extérieur pour qu’on
voie qui entre, souvent par ennui ou réflexe je le regardais d’un œil lointain, et c’était à peine
si la couleur des cheveux ou la peau de celui qui sonnait dehors, à peine si je les notais à tra-
vers l’écran. Mais ce jour de septembre, cette même télévision au programme unique de la
5 rue, à travers cette même poisse enfumée et lourde et malodorante, le hasard a voulu que
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

mon regard s’y fixât pour le voir arriver, lui, Marin, trois ans plus tard, le même.
Ce soir-là était un soir normal, tourbillon normal, ivresse normale, ombres, verres
vides. Il n’y a pas eu un silence général, ni même une baisse du volume sonore, mais
des mouvements d’yeux et de nuques, et les conversations ont continué. À voix basse à
10 quelques tables peut-être on parlerait de lui, mais on chuchoterait.
On s’est observés un instant de nos quatre yeux fixes, nos silhouettes figées, puis on
s’est embrassés. Trois ans, il a quand même dit, et tu n’es jamais venu me voir en prison.
Il y a eu un silence. C’est que les gens comme toi, j’ai répondu, on n’a pas envie de les
voir en cage. On s’est étreints à nouveau, deux cognacs simultanément posés devant
15 nous, on a trinqué.
J’ai imaginé le goût de l’alcool dans sa bouche, la saveur à part qu’il en tirait quand
même son verre vide il semblait l’honorer, et il levait la main vers le serveur, me

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Partie 2 Composer son commentaire

demandait d’un clin d’œil si j’en reprenais un : toujours dire oui, pensais-je, ce soir-là
spécialement, parce qu’on ne refuse rien à un homme qui sort de prison. Plusieurs fois
20 il a passé son bras dans mon dos, posé sa main solide sur mon épaule, et il me sou-
riait. Quand on aurait voulu discuter, on n’aurait pas pu vraiment, tellement la musique
forte, et mon tremblement intérieur. ●

Il s’agira ici de produire un commentaire cette fois intégralement rédigé de


manière à saisir comment doivent s’agencer et se développer les idées.

4.1. Introduction
Né en 1973, Tanguy Viel s’impose sans doute comme l’une des figures les
plus remarquables de la littérature française contemporaine. Héritière des
recherches formelles du Nouveau Roman mais également cinéphile, son
œuvre, inaugurée en 1998 par la parution du Black Note, installe sans attendre
un univers romanesque où l’exigence d’écriture le dispute à un goût de l’in-
trigue nourri des plus grands films hollywoodiens. En 2001 paraît son troi-
sième roman L’Absolue perfection du crime racontant l’histoire de Marin,
mafieux breton qui désire réaliser « le casse du siècle » : le cambriolage du
casino le soir de la Saint Sylvestre mais rien ne se déroulera comme prévu.
L’extrait présenté ici est l’incipit du roman qui voit les deux protagonistes,
Marin et Pierre, se retrouver.
Une nuit de septembre, alors qu’il surveille l’entrée de la boîte à l’aide
d’une caméra, Pierre, le narrateur, voit entrer Marin. Libéré après trois ans de
détention, il vient revoir son ancien complice. Mais alors qu’ils sont en train
de fêter sa libération, Marin reproche à Pierre de l’avoir oublié durant tout ce
temps avant de commencer à le frapper. À la fois apeuré et fasciné, Pierre se
laisse faire sans mot dire.
Se présentant sous la forme d’un bref prologue, cet incipit pose déjà les
principales lignes dramatiques du récit. Concentré sur les rapports qui lient
Marin et Pierre, le passage se construit sur une série de paradoxes : les retrou-
vailles tournent à la rivalité, l’amitié fraternelle à la haine fratricide et le
cinéma s’impose comme la source d’inspiration majeure, loin de la littérature.

4.2. Premier axe de lecture

Une scène de retrouvailles ?


Ce prologue s’élabore autour d’un récit du retour du protagoniste même de
l’ensemble de l’intrigue : Marin. Comme toute scène de retrouvailles, le retour
doit être souligné dans le récit. Or, ici, paradoxalement, tous les personnages
présents font semblant de ne pas avoir remarqué ce retour.

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Chapitre 3 Commenter un extrait de roman

Un véritable retour ?
Loin de mettre en lumière son caractère exceptionnel, ce retour doit paraître
inaperçu : « Il n’y a pas eu un silence général, ni même une baisse du volume
sonore, mais des mouvements d’yeux et de nuques, et les conversations ont
continué. »
Contre toute attente, il n’y a pas vraiment de retour. Car ce retour répond à un
type particulier de retrouvailles, celle d’un détenu sa sortie de prison comme
le rappelle Marin : « Trois ans, il a quand même dit, et tu n’es jamais venu
me voir en prison. » La sortie de prison propose, en fait, d’annuler la notion
même de retrouvailles : le caïd qu’est Marin veut immédiatement retrouver sa
place parmi les vivants.

Des retrouvailles à l’affrontement


Pourtant, des retrouvailles semblent tout de même avoir lieu lorsque Pierre
étreint Marin : « On s’est observés un instant de nos quatre yeux fixes, nos
silhouettes figées, puis on s’est embrassés. »
En toute logique, les deux hommes trinquent au cognac mais chaque geste de
Marin ne semble pas répondre à la fraternité attendue. Une menace sourde s’ins-
talle entre les deux hommes et laisse présager que ces retrouvailles se concluront
par une bagarre ultime. En ce sens, Pierre éprouve une terreur qui se traduit dans
les descriptions de Marin les mentions de sa main qui lui servira peut-être à le
frapper : « il levait la main vers le serveur » ;
« il a passé son bras dans mon dos, posé sa main solide ».
Hors de toute communion propre à l’amitié, une logique de duel s’installe bien
qui œuvre à la peinture d’une fraternité impossible.

4.3. Deuxième axe de lecture


Un portrait de faux frères
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Ce prologue donne pour la première fois un portrait de Marin, et indirectement


dépeint les liens qui l’unissent à son jumeau sombre, Pierre. Semblant proches,
les deux personnages vont être, à la vérité, ici caractérisés par une distance
croissante. Contrairement aux apparences, aucune communication n’apparaît
possible : « Quand on aurait voulu discuter, on aurait pas pu vraiment ».
Ils se révéleront même antagonistes.

La figure du fort : Marin


La fraternité se place ainsi sous le signe de l’ambivalence car, d’emblée, tout
paraît les séparer. S’affirme, en premier lieu, une peinture de Marin qui
l’installe comme une figure forte et redoutable en soulignant son pouvoir

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Partie 2 Composer son commentaire

d’intimidation. Assis sur sa force physique, sa puissance psychologique


repose sur l’exercice de la parole et du silence. De fait, le corps de Marin
impose respect et fait silence autour de lui, marquant un indéniable res-
pect : « A voix basse à quelques tables peut-être on parlerait de lui, mais on
chuchoterait. »
Inversement, il prend la parole pour exercer par leur biais une terreur qui
assoit son autorité : « Il y a eu un silence. Trois ans, il a quand même dit, et tu
n’es jamais venu me voir en prison. » Il est le faux frère par excellence, celui
avec lequel l’on peut trinquer mais qui peut se révéler son pire ennemi l’ins-
tant qui suit. Puissance fantastique, il est une énigme dont l’opacité ne cessera
d’écraser Pierre, énigme représentée par son ambigu sourire.

La figure du faible : Pierre


Le prologue donne aussi pour la première fois également un portrait du per-
sonnage de Pierre. Sans attendre, il se pose comme l’envers négatif de Marin
dans le sens où sa parole est moins assurée et parfois ne se formule pas à voix
haute. Il est l’homme des pensées sombres qui trahissent un « tremblement
intérieur ».
C’est pourquoi il garde pour lui une telle phrase : « toujours dire oui, pen-
sais-je, ce soir-là spécialement, parce qu’on ne refuse rien à un homme qui
sort de prison. »
Profession de foi de sa faiblesse et sa soumission, cette phrase n’est que le
reflet de sa différence ultime d’avec Marin. Tout paraît les rassembler mais ce
ne sont que de nouveaux Abel et Caïn comme l’attestera leur bagarre finale.

4.4. Troisième axe de lecture

Une écriture cinématographique


Cependant, outre cette manifeste réécriture biblique, ces faux frères doivent
leur existence à autant de réminiscences cinématographiques car dès le pro-
logue, L’Absolue perfection du crime installe une atmosphère de film noir et
emprunte ses techniques à l’écriture filmique. La mention initiale de la « télé-
vision au programme unique de la rue »
renvoie métaphoriquement à une position de spectateur dont la culture
viendra nourrir le roman.

Un remake ?
Cinéphile épris de polars du cinéma américain des années 1950 notamment,
Tanguy Viel installe dès son prologue une série de références cinématogra-
phiques à partir desquelles le reste du récit va s’élaborer. Dans une logique

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Chapitre 3 Commenter un extrait de roman

du « remake » filmique, ce prologue réécrit en les condensant les liens qui


unissaient déjà les héros de L’Impasse de De Palma qui montrait un person-
nage sortant de prison retrouvant son meilleur ami devenu un traître. De tels
rapports sont encore mis en valeur par un décor de boîte de nuit avec son
« tourbillon normal, ivresse normale, ombres, verres vides » qui n’est pas sans
évoquer les clubs enfumés des films noirs.

Une bande-annonce ?
Véritable roman de cinéphile, L’Absolue perfection du crime construit, en fait,
son prologue sur le modèle de la bande-annonce. Tout ce qui est suggéré ici
fera l’objet d’un développement dans le reste du récit et amorce un certain
nombre d’enjeux autour desquels le roman s’écrira. De fait, l’univers mafieux,
le décor nocturne et la rivalité sans pareille entre les frères ennemis, entre
amitié et haine, prendront toute leur dimension par la suite mais sont donnés
là dans une logique panoramique propre à inciter le lecteur à la manière d’un
spectateur de salles obscures. Et, effectivement, cette scène d’un retour qui
ne veut pas apparaître comme tel ne cessera à son tour de faire retour tout
au long du récit pour finir par revenir avec éclat dans le duel final au soleil
couchant.
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Chapitre

Commenter un texte 4
de théâtre
À l’instar de chaque autre genre, commenter un texte de théâtre implique
une double connaissance, générique et critique, qui permet au candidat
de se munir de pistes d’interprétation et de grilles d’interprétation. Là encore,
il s’agit de trouver ici en préambule à tout commentaire quelques pistes
qui ne se veulent évidemment nullement exhaustives mais uniquement
une invitation à approfondir les outils sollicités.

PLAN

1 Connaissance générique
2 Connaissance critique
3 Commentaire n° 3
4 Commentaire n° 4

1 Connaissance générique
www.armand-colin.com
Né dans l’Antiquité grecque, le théâtre s’impose comme un genre qui, d’emblée,
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

tisse une relation entre un texte et son interprétation sur scène. Du grec « Théomaï »
qui signifie « ce qui est remarquable et mérite d’être vu », le théâtre s’impose avec Ressource
numérique
des figures comme Sophocle, Eschyle, Euripide ou encore Aristophane comme un
lieu de représentation jouant un rôle à la fois dans la vie religieuse et dans la vie Textes
supplémentaires
citoyenne grecque. Comme l’a mis en évidence Aristote dans sa Poétique qui offre la
première analyse de la tragédie, le théâtre, et en particulier la tragédie, articule l’imi-
tation d’une action (mimésis) à la purgation des passions du spectateur (catharsis) en
lui faisant éprouver crainte et pitié devant l’histoire des personnages mis en scène.
Si le théâtre latin puis notamment la farce au Moyen Âge prolongent l’art théâ-
tral, il faut cependant attendre les 16e et 17e siècles pour voir conjointement renaître
tragédie et comédie. Ainsi la littérature française se distingue-t-elle à l’âge classique
avec des dramaturges comme Corneille, Racine et Rotrou qui offrent chacun des

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Partie 2 Composer son commentaire

tragédies imitées notamment des Anciens. C’est la naissance de la tragédie


française codifiée par la règle des trois unités (lieu, action, temps) et les règles
de bienséance qui interdisent notamment la représentation des meurtres sur
scène. Parallèlement, inspiré de la commedia dell’arte, émerge le théâtre de
Molière qui multiplie les comédies notamment satiriques à l’évidente portée
sociale et contestatrice.
Après un 18e siècle marqué par les théâtres comiques et réflexifs de
Marivaux et Beaumarchais, le 19e siècle se caractérise par l’apparition sous
inspiration anglo-saxonne du drame romantique qui occasionne en 1830 la
célèbre bataille d’Hernani de Victor Hugo où s’affrontent classiques et roman-
tiques. Mélange de sublime et de grotesque, le drame romantique porté par
Musset et Vigny articule politique et poétique dans une vision renouvelée du
théâtre. Suit le 20e siècle avec notamment Paul Claudel, Jean Giraudoux, Jean
Genet, Samuel Beckett, Eugène Ionesco ou encore Bernard-Marie Koltès qui,
selon des modalités diverses, remet en cause et interroge le langage drama-
tique lui-même jusqu’à sa faillite et ses apories.

2 Connaissance critique
À cette histoire du théâtre correspondent des outils critiques qui permettent
de saisir et analyser le caractère spécifique du théâtre articulé entre le texte
et sa représentation, et devant être immédiatement appréhendé selon cette
double nature qui fait de chaque lecteur un spectateur et inversement. La poé-
tique du texte théâtral se divise donc en une connaissance de son organisation
actantielle et dans la maîtrise du vocabulaire du langage dramatique.

2.1. Le découpage actantiel


Cette première connaissance critique s’organise autour du découpage drama-
tique d’une pièce de théâtre et son inhérente organisation actantielle. De fait, il
s’agit ici pour l’étudiant de s’assurer en premier lieu de la maîtrise de l’articu-
lation des différents segments textuels : qu’est-ce qu’une scène d’exposition ?
Qu’est-ce qu’un coup de théâtre ? Comment se construit un dénouement ?
Comment se caractérisent textuellement les trois unités du théâtre classique ?

2.2. Le vocabulaire dramatique


À ces premiers repérages s’ajoute la maîtrise du vocabulaire dramatique qui
permet à l’étudiant d’identifier précisément les mécanismes du texte théâtral.
Il faudra ainsi distinguer le monologue de la tirade, distinguer les différentes
strates de didascalies, repérer le hors scène, les différents types de dialogues. À
ceci vient enfin s’ajouter la connaissance, héritée des études d’Anne Ubersfeld

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Chapitre 4 Commenter un texte de théâtre

dans les années 1970 et de Pierre Larthomas, de l’énonciation théâtrale avec


notamment les concepts de double destination du texte théâtral.
On trouvera ici deux commentaires de texte qui s’attachent au moment dra-
matique fondateur que constitue, pour chaque pièce, le lever du rideau sur la
scène d’exposition.

3 Commentaire n° 3

PIERRE CORNEILLE, MÉDÉE, 1635


ACTE I, SCÈNE PREMIÈRE
Pollux, Jason.
POLLUX.
Que je sens à la fois de surprise et de joie !
Se peut-il qu’en ces lieux enfin je vous revoie,
Que Pollux dans Corinthe ait rencontré Jason ?

JASON.
Vous n’y pouviez venir en meilleure saison ;
5 Et pour vous rendre encor l’âme plus étonnée,
Préparez-vous à voir mon second hyménée.

POLLUX.
Quoi ! Médée est donc morte, ami ?

JASON.
Quoi ! Médée est donc morte, ami ? Non, elle vit ;
Mais un objet plus beau la chasse de mon lit.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

POLLUX.
10 Dieux ! et que fera-t-elle ?

JASON.
Dieux ! et que fera-t-elle ? Et que fit Hypsipyle,
Que pousser les éclats d’un courroux inutile ?
Elle jeta des cris, elle versa des pleurs,
Elle me souhaita mille et mille malheurs ;
15 Dit que j’étais sans foi, sans cœur, sans conscience,
Et lasse de le dire, elle prit patience.
Médée en son malheur en pourra faire autant :
Qu’elle soupire, pleure, et me nomme inconstant ;

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Partie 2 Composer son commentaire

Je la quitte à regret, mais je n’ai point d’excuse


20 Contre un pouvoir plus fort qui me donne à Créuse.

POLLUX.
Créuse est donc l’objet qui vous vient d’enflammer ?
Je l’aurais deviné sans l’entendre nommer.
Jason ne fit jamais de communes maîtresses ;
Il est né seulement pour charmer les princesses,
25 Et haïrait l’amour, s’il avait sous sa loi
Rangé de moindres cœurs que des filles de roi.
Hypsipyle à Lemnos, sur le Phase Médée,
Et Créuse à Corinthe, autant vaut, possédée,
Font bien voir qu’en tous lieux, sans le secours de Mars,
30 Les sceptres sont acquis à ses moindres regards.

JASON.
Aussi je ne suis pas de ces amants vulgaires ;
J’accommode ma flamme au bien de mes affaires ;
Et sous quelque climat que me jette le sort,
Par maxime d’État je me fais cet effort.
35 Nous voulant à Lemnos rafraîchir dans la ville,
Qu’eussions-nous fait, Pollux, sans l’amour d’Hypsipyle ?
Et depuis à Colchos, que fit votre Jason,
Que cajoler Médée et gagner la toison ?
Alors, sans mon amour, qu’eût fait votre vaillance ?
40 Eût-elle du dragon trompé la vigilance ?
Ce peuple que la terre enfantait tout armé,
Qui de vous l’eût défait, si Jason n’eût aimé ?
Maintenant qu’un exil m’interdit ma patrie,
Créuse est le sujet de mon idolâtrie ;
45 Et j’ai trouvé l’adresse, en lui faisant la cour,
De relever mon sort sur les ailes d’Amour.

POLLUX.
Que parlez-vous d’exil ? La haine de Pélie…

JASON.
Me fait, tout mort qu’il est, fuir de sa Thessalie.

POLLUX.
Il est mort !

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Chapitre 4 Commenter un texte de théâtre

JASON.
50 Il est mort ! Écoutez, et vous saurez comment
Son trépas seul m’oblige à cet éloignement.
Après six ans passés, depuis notre voyage,
Dans les plus grands plaisirs qu’on goûte au mariage,
Mon père, tout caduc, émouvant ma pitié,
55 Je conjurai Médée, au nom de l’amitié…

POLLUX.
J’ai su comme son art, forçant les destinées,
Lui rendit la vigueur de ses jeunes années :
Ce fut, s’il m’en souvient, ici que je l’appris ;
D’où soudain un voyage en Asie entrepris
60 Fait que, nos deux séjours divisés par Neptune,
Je n’ai point su depuis quelle est votre fortune ;
Je n’en fais qu’arriver.

JASON.
Je n’en fais qu’arriver. Apprenez donc de moi
Le sujet qui m’oblige à lui manquer de foi.
65 Malgré l’aversion d’entre nos deux familles,
De mon tyran Pélie elle gagne les filles,
Et leur feint de ma part tant d’outrages reçus,
Que ces faibles esprits sont aisément déçus.
Elle fait amitié, leur promet des merveilles,
70 Du pouvoir de son art leur remplit les oreilles ;
Et pour mieux leur montrer comme il est infini,
Leur étale surtout mon père rajeuni.
Pour épreuve elle égorge un bélier à leurs vues,
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Le plonge en un bain d’eaux et d’herbes inconnues,


75 Lui forme un nouveau sang avec cette liqueur,
Et lui rend d’un agneau la taille et la vigueur.
Les sœurs crient miracle, et chacune ravie
Conçoit pour son vieux père une pareille envie,
Veut un effet pareil, le demande, et l’obtient ;
80 Mais chacune a son but. Cependant la nuit vient :
Médée, après le coup d’une si belle amorce,
Prépare de l’eau pure et des herbes sans force,
Redouble le sommeil des gardes et du roi :
La suite au seul récit me fait trembler d’effroi.

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85 À force de pitié ces filles inhumaines


De leur père endormi vont épuiser les veines :
Leur tendresse crédule, à grands coups de couteau,
Prodigue ce vieux sang, et fait place au nouveau ;
Le coup le plus mortel s’impute à grand service ;
90 On nomme piété ce cruel sacrifice ;
Et l’amour paternel qui fait agir leurs bras
Croirait commettre un crime à n’en commettre pas.
Médée est éloquente à leur donner courage :
Chacune toutefois tourne ailleurs son visage ;
95 Une secrète horreur condamne leur dessein,
Et refuse leurs yeux à conduire leur main.

POLLUX.
À me représenter ce tragique spectacle,
Qui fait un parricide et promet un miracle,
J’ai de l’horreur moi-même, et ne puis concevoir
100 Qu’un esprit jusque-là se laisse décevoir. ●

Il convient en premier lieu de s’interroger sur le genre de l’œuvre :


L’extrait renvoie ici comme il est indiqué en paratexte à Médée de Corneille,
pièce datant de 1635. Il ne s’agit pas ici de la tragédie la plus célèbre de
Corneille puisque juste après avoir été jouée, la pièce a été retirée de l’af-
fiche par un manque grandissant de succès alors même que son auteur
était auréolé de succès avec les récents Menteur et La Place royale, deux
comédies.
La particularité de cette tragédie quelque peu méconnue de Corneille réside
en ce qu’il s’agit de sa première écriture tragique, deux ans avant la querelle
et le triomphe du Cid en 1637, sa première et célèbre tragi-comédie. Loin
de répondre encore aux critères dramatiques interrogeant conjointement
toutes les règles d’unité qui porteront Le Cid, Médée procède par réécriture
de plusieurs tragédies antiques dont Médée était l’héroïne. De fait, reprenant
conjointement Euripide et Sénèque mais aussi bien Ovide, Corneille choisit
de composer une première tragédie en faisant de la mère infanticide mythique
sa première et terrible héroïne. À l’instar des Anciens, Corneille propose ici
de faire débuter la représentation du mythe à Corinthe, à savoir au moment
où, après l’avoir aidé à triompher du dragon notamment pour rapporter la
toison d’or et avoir eu deux enfants de leur union, Jason décide de se séparer
de Médée. La femme va alors laisser libre cours à sa colère, sa fureur et sa
vengeance.

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Chapitre 4 Commenter un texte de théâtre

3.1. Le contexte historique et biographique de l’œuvre


Le second temps de cet examen préliminaire du texte consiste à s’intéresser de
manière méthodique aux contextes historique et biographique de l’œuvre, et,
en particulier, de l’extrait à commenter.
S’agissant de Médée, il convient, en premier lieu, de voir à quel moment de sa
carrière dramatique Corneille se situe pour bien saisir à la fois les enjeux théâ-
traux et ouvrir autant de pistes interprétatives qu’il s’agira d’activer dès la lecture
de cette scène d’exposition. Si Médée constitue bel et bien sa première tragédie se
concluant notamment sur le suicide de Jason, force est de constater qu’un certain
nombre de traits textuels font hésiter sur la caractérisation à la fois du mouve-
ment littéraire dans laquelle ranger la pièce et sur son registre majeur.
De fait, à la suite des comédies dites baroques dont la miroitante Illusion
comique, Médée semble pareillement s’imposer comme une pièce aux accents
plus baroques que classiques. N’étant pas encore fixé, n’atteignant notam-
ment en France son plein épanouissement plus tardivement avec les tragédies
de Racine, le classicisme cède le pas à l’influence baroque puisque nombre de
scènes de cette pièce usent d’éléments baroques aisément reconnaissables comme
les scènes fantastiques mettant en jeu la magie de Médée la sorcière ou encore le
spectacle de la mort qui, loin d’être proposé hors scène et à rebours de tout exitus
horribilis, advient sur la scène elle-même. Mais sans doute faut-il voir s’agissant
de cette scène d’exposition un trait baroque qui va influencer le registre de la
pièce : si elle s’affirme par Médée et ses crimes terribles comme une tragédie ins-
pirant crainte et pitié, il semble en revanche qu’à considérer la figure notamment
de Jason telle qu’elle échange ici avec Jason, son ami, la pièce emprunte d’emblée
aux caractères de la comédie. Personnage instable et mouvant qui fait de Médée
une femme cocue et ainsi trompée, Jason n’a pas ici l’étoffe d’un héros mais d’un
séducteur volage digne des comédies les plus légères et renvoyant ici notamment
à Dom Juan, figure même de l’inconstance baroque.
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3.2. La lecture cursive de l’extrait


Il s’agit ici de proposer une lecture qui offre une première saisie raisonnée et
systématique de l’extrait analysé dans son intégralité. Trois saisies du texte
s’offrent dans cette phase de brouillon : interroger le lexique du texte, la situa-
tion de l’extrait dans l’œuvre et enfin sa composition d’ensemble.

Saisie lexicale
S’intéresser au lexique utilisé par Corneille dans cette scène d’exposition
permet de comprendre sans attendre pour le spectateur face à quel registre
il a à faire. La pièce s’affirme d’emblée lexicalement comme une tragédie par
l’usage d’un lexique mythologique.

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Partie 2 Composer son commentaire

Le lexique mythologique se fait ici double : il convoque en premier lieu


une onomastique de la mythologie grecque, à savoir un ensemble de prénoms
ici hérité de légendes de l’antiquité. On trouve ici Jason, Pollux et Médée
notamment qui permettent au spectateur de déduire qu’il s’agira du mythe
de Médée, la mère infanticide. Ensuite, ce lexique évoque une série d’actes
qui ressortissent d’un registre fantastique propre à la mythologie et ses actes
fabuleux. C’est le cas notamment lorsque Jason évoque le miracle du père
rajeuni. La sorcellerie de Médée renvoie à un univers mythique mais connote
également une dimension fantastique qui range bel et bien cette évocation
première de Médée du côté de l’esthétique baroque.

Interroger la situation de l’extrait dans l’œuvre


Cette saisie renseignée du texte doit s’accompagner d’un premier repérage tex-
tuel qui identifie dans quelle partie il se situe. Par les mentions de « Acte I » et
de « Scène première partie », l’extrait s’assimile à ce qu’il convient de nommer
une scène d’exposition, à savoir l’ouverture d’une pièce, ici une tragédie, qui
autorise à une double analyse pouvant guider le commentaire :
Le premier élément inhérent à une scène d’exposition consiste, à l’instar
d’un incipit pour un roman, à se saisir des cinq questions propres à toute
entrée en matière romanesque de manière à dégager des pistes interprétatives.

Toute scène d’exposition répond ainsi à 5 questions clef

1. Qui ?
Quels sont les personnages représentés sur scène ? Quels sont leurs noms et
prénoms ? Comment parvient-on à les identifier dans les différentes répliques ?

2. Où ?
Il s’agit de la première question s’intéressant au cadre spatio-temporel. Le lieu
est-il nommé dans les didascalies initiales ? Le lieu répond-t-il de la règle classique
des trois unités ?

3. Quand ?
Il s’agit du second volet du cadre spatio-temporel. Une date apparaît-elle dans
le texte ? La scène a-t-elle lieu dans l’Antiquité ? S’agit-il d’un mythe ? Le temps
répond-il de la règle classique des trois unités ?

4. Quoi ?
Que font les personnages ? Quelles sont leurs principales actions ? Sont-elles
toutes représentées sur scène ? S’agit-il d’une exposition in medias res, à savoir
une action commencée avant le lever du rideau ?

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Chapitre 4 Commenter un texte de théâtre

5. Comment ?
De quelle manière peut-on caractériser les personnages ? Relèvent-ils de la
comédie, de la tragédie ou bien encore du drame romantique notamment ?

Répondre à ces cinq questions permet un premier repérage actif de la trame


actantielle et dramaturgique du texte et, dans les réponses trouvées, de saisir
la visée première de Corneille. Ici, les réponses aux questions autorisent à
formuler immédiatement à quel genre appartient la pièce et selon quelle stra-
tégie dramaturgique se construit l’exposition déployée par Corneille.
De fait, deux points essentiels se distinguent ici qui, par leur caractère
formel, renvoient à la structuration de l’ensemble du passage :
– La scène d’exposition si elle met en scène des personnages mythologiques
comme Jason et Pollux procède en considérant notamment Pollux comme
ce que Corneille nomme lui-même dans « L’Examen » de la pièce « un per-
sonnage protatique », à savoir un personnage qui appartient à la protase,
l’exposition de la pièce, et qui, étranger au drame, se voit expliquer l’his-
toire à l’instar du spectateur. De fait, Pollux est bel et bien ce personnage
puisqu’il arrive devant Jason sans l’avoir vu depuis quelques six années,
s’enquiert des nouvelles et apprend du même coup ce qu’il advient de son
mariage avec Médée et de son heureuse rencontre avec Créuse.
– L’examen premier des caractères des personnages renvoie, ensuite, à une
caractérisation générique qui ressortit davantage de la comédie que de
la tragédie. Le personnage de Jason, volage, n’appartient absolument pas
ici à la grandeur d’âme réclamée par un héros. Ici, comme l’indique sans
attendre Pollux, Jason « accommode sa flamme au bien de ses affaires »,
(ligne) indiquant incidemment et violemment un opportunisme du per-
sonnage qui en favorise le caractère comique. D’emblée, cette exposition
expose, en lui ôtant toute grandeur tragique, la lâcheté de Jason.
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Composition d’ensemble du texte


Les 96 alexandrins qui composent l’ouverture de ce poème dramatique pré-
sentent le personnage de Médée de manière indirecte à travers les propos tenus
par Jason, son mari et Pollux l’ami de son mari. Si Médée peut apparaître cruelle
par les sortilèges mortifères qu’elle inflige à ses ennemis, le spectateur perçoit
rapidement combien Pollux, s’étonnant de la bassesse dont fait indéniablement
preuve Jason, prend la défense de Médée. L’image antique de la sorcière sangui-
naire et sans merci s’inverse radicalement chez Corneille : d’odieuse, la jeune
femme devient la sorcière blessée. Le registre pathétique vient à qualifier chacun
de ses gestes. Sa grandeur tragique se voit enfin renforcée par son absence de la
scène : objet d’un récit, elle l’est surtout de la rumeur.

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Partie 2 Composer son commentaire

3.3. La lecture méthodique de l’extrait


La lecture méthodique de cette scène d’exposition entend, comme nouvelle
et décisive étape du commentaire, proposer au brouillon une nouvelle triple
lecture du texte selon des grilles de lecture résolument techniques. Un triple
questionnement interroge l’extrait en le scrutant ainsi du triple point de vue
stylistique, poétique et rhétorique. La visée ultime consiste à trouver autant
d’éléments interprétatifs qui, adjoints aux précédents, viendront fournir
autant de clefs pour l’ultime lecture détaillée.

Lecture stylistique
La lecture stylistique peut convoquer ici la puissance énonciative et évocatrice
des récits croisés et conjoints de Jason et Pollux qui, tous deux, retracent les
exploits funestes de Médée. La scène d’exposition dévoile ainsi par le hors
scène et l’exitus horribilis un procédé très classique, celui qui consiste à rap-
peler ce qui s’est passé auparavant sans le représenter mais en le racontant au
moyen d’un récit répondant d’un schéma ternaire (situation initiale ; péripé-
ties ; situation finale). Porté par un registre délibérément fantastique mais
aussi épique, le récit des aventures de Médée pour venir à bout de ceux qui lui
résistent devient l’occasion à la fois de redouter Médée mais aussi de montrer
la part de sacrifice extraordinaire à laquelle elle a consenti dans son amour
aveugle du cynique Jason.

Lecture poétique
La lecture poétique convoque ici l’arsenal théorique du théâtre tel qu’Aris-
tote a pu le mettre en évidence dans sa Poétique. Interrogeant les tragé-
dies de Sophocle notamment, le philosophe en vient à formuler la fameuse
catharsis qui, en inspirant crainte et pitié au spectateur, doit le purger de
ses passions. Corneille paraît travailler précisément pour sa première tra-
gédie la question de la catharsis puisque Médée, dans la tradition antique,
était uniquement celle qui inspirait la crainte. Mu par un esprit baroque
qui aime jouer des paradoxes et des surprises, Corneille métamorphose
Médée en une flamboyante victime, la femme sorcière meurtrie qui,
blessée, ne sait plus comment faire pour se venger d’un mari volage qui
a bafoué son honneur. La catharsis se déploie donc en deux temps durant
cette scène d’exposition : le premier temps consiste à inspirer de la ter-
reur et de l’effroi au spectateur au conte des horreurs et autres atrocités
commises par Médée. Le second temps, qui joue de l’absence de la figure
théâtrale de Médée, consiste à inspirer de la pitié au spectateur. La terrible
sorcière est une femme bafouée, la victime d’un odieux mari qui la trompe
sans scrupule. Corneille procède ainsi à une défense pathétique et compas-
sionnelle de Médée.

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Chapitre 4 Commenter un texte de théâtre

Lecture rhétorique
Cette dernière lecture s’attache à dégager dans le texte les quelques figures
de style remarquables qui pourraient bien encore fournir autant d’appuis à
quelques axes de lecture. La figure la plus prégnante s’impose ici comme l’hy-
potypose, à savoir cette figure qui consiste à évoquer des événements avec
tant de précision et de détails qu’il s’agit de faire en sorte comme de les placer
sous les yeux. L’hypotypose prend toute sa puissance d’évocation et d’horreur
au récit que Jason et Pollux font des méfaits répétés de Médée : les actes mor-
tifères qu’en tant que sorcière elle perpètre doivent inspirer une horreur sans
nom au spectateur. Corneille veut souligner le caractère sanguinaire et sans
pitié de Médée afin que l’intrigue s’ouvre sur une vision d’horreur indiquant
implicitement combien la vengeance de Médée peut se révéler et se révélera
sans limite.
Le développement très circonstancié et pleinement détaillé de l’hypoty-
pose, notamment dans ses précisions les plus sanglantes, renvoie enfin au
goût baroque du spectacle de la mort. En effet, comme un écho au théâtre
gothique qui, à la fin du 16e siècle, mettait sur scène différents héros soumis à
la torture ou à autant de morts violentes, Corneille représente la mort comme
un spectacle d’horreur qui n’est qu’un avant-goût des morts terribles qui vont
nourrir l’intrigue de la pièce.

3.4. La lecture détaillée


Il s’agira ici d’offrir une lecture détaillée, réplique par réplique, vers par vers,
dans une linéarité du texte en croisant rigoureusement au cœur des remarques
qui seront formulées les approches syntaxiques, rythmiques et pragma-
tiques. Au terme d’un examen général du texte, trois groupes de remarques
se dégagent qui peuvent constituer autant de fondements à la réflexion et
l’interprétation :
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Une scène d’exposition


Le texte se distingue en premier lieu par sa qualité de scène d’exposition qui
offre d’emblée au spectateur la représentation du destin tragique de Médée.
À l’aide de Pollux, véritable personnage protatique, Jason expose ce qui,
depuis l’expédition des Argonautes, a pu, à la fois, le conduire à épouser
Médée puis, désormais, à s’en séparer. La scène d’exposition reprend un
certain nombre d’impératifs mythologiques liés aux figures des héros mais
en les inversant : Jason n’est ainsi plus le héros qu’il a pu être auparavant
mais se présente comme un mari volage et inconstant qui ne favorise en
rien l’admiration. Son héroïsme est mis à mal et questionné tout au long
de l’échange avec Pollux. À ce titre, en manière de transition entre les

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Partie 2 Composer son commentaire

comédies et les tragédies de Corneille, le personnage de Jason semble davan-


tage relever du caractère comique d’un personnage d’amoureux inconstant
hérité des comédies légères.

Une scène à l’éclat baroque ?


Cette scène d’exposition tragique offre ensuite un caractère baroque
tant elle paraît faire signe vers les caractéristiques les plus marquées de
cette esthétique. Si le caractère inconstant et mouvant de Jason rappelle
à l’évidence la figure clef de Dom Juan qui traverse l’ensemble du théâtre
baroque d’alors, force est de constater que deux éléments viennent éga-
lement se joindre à ce premier afin d’appuyer la puissance baroque de la
pièce. Cette scène d’exposition fait, en effet, la part belle d’emblée à des
évocations fantastiques. Par le biais d’une hypotypose appuyée de force
détails macabres, Corneille évoque la sorcellerie de Médée, sa puissance
mortifère mais aussi combien le personnage mythologique se détermine
par un registre fantastique. La mise en exergue de ce registre s’accom-
pagne d’un autre trait baroque sur lequel insiste cette scène première, à
savoir la question du spectacle de la mort. Là encore, l’hypotypose qui
évoque les épisodes hors scène revient avec force détails sur autant de
détails sanglants d’un meurtre. Le but est d’impressionner durablement
le spectateur qui doit être mis en garde sur la fureur sans limite d’un per-
sonnage prêt à tout.

Une héroïne entre crainte et pitié


Enfin le dernier groupe de remarques s’attache à la figure tragique de Médée.
Loin de susciter uniquement la terreur comme dans les tragédies antiques
qu’elle a pu inspirer, la Médée de Corneille se présente d’emblée parado-
xalement comme une victime impuissante et blessée. Suscitant la pitié et la
compassion d’un Pollux effrayé par le traitement que lui fait subir l’inhu-
main et cynique Jason, Médée devient ici une figure doublement tragique,
à la fois meurtrie par Jason mais aussi victime d’une passion sur laquelle sa
magie n’a aucune prise. Loin d’être une héroïne en constante furie, la Médée
de Corneille apparaît immédiatement dans cette scène d’exposition comme
un être fragile et perdu. C’est l’humanité de Médée qui intéresse Corneille :
il en fait l’intime matière de sa terrible tragédie. À rebours de toute cruauté,
Médée n’apparaît nullement ici comme un monstre : elle est une femme en
quête d’honneur et de justice jusqu’à la mort.
La formule qui peut être déduite du texte serait la suivante : une scène
d’exposition de tragédie qui, grâce au personnage protatique de Pollux,
offre le portrait indirect et violent de Médée, sorcière blessée et fragile
trompée par son mari inconstant, Jason.

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Chapitre 4 Commenter un texte de théâtre

De là peut aisément se déduire une problématique qui vient articuler la


tension présente au cœur du texte à savoir l’articulation entre tragédie d’une
part et baroque d’autre part. La question à poser répondrait alors de la formu-
lation suivante : en quoi cette scène d’exposition expose une figure parado-
xalement tragique et baroque de la cruelle Médée ?

Le plan suivant peut alors être envisagé :

Plan du commentaire :
I. Une scène d’exposition de tragédie ?
a. La dynamique protatique de la scène
b. Jason, personnage de comédie

II. Une scène aux éclats baroques


a. Une héroïne fantastique
b. Le terrible spectacle de la mort

III. Médée, une héroïne blessée


a. De Médée la redoutable à Médée la femme bafouée
b. Une victime pathétique de la passion ●

4 Commentaire n° 4
BERNARD-MARIE KOLTÈS, ROBERTO ZUCCO, 1990
PREMIER TABLEAU, « L’ÉVASION »
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Apparaît Zucco, marchant sur le faîte du toit.


DEUXIÈME GARDIEN – Non, rien du tout.
PREMIER GARDIEN – Moi non plus, mais j’ai l’idée de voir quelque chose.
DEUXIÈME GARDIEN – Je vois un type marchant sur le toit. Ce doit être un effet de notre
manque de sommeil.
5 PREMIER GARDIEN – Qu’est-ce qu’un type ferait sur le toit ? Tu as raison. On devrait de
temps en temps refermer les yeux sur notre univers intérieur.
DEUXIÈME GARDIEN – Je dirais même qu’on dirait Roberto Zucco, celui a été mis sous
écrou cet après-midi pour le meurtre de son père. Une bête féroce, une bête sauvage.
PREMIER GARDIEN – Roberto Zucco. Jamais entendu parler.
10 DEUXIÈME GARDIEN – Mais tu vois quelque chose, là, ou je suis le seul à voir ?

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Partie 2 Composer son commentaire

Zucco avance toujours, tranquillement, sur le toit.


PREMIER GARDIEN – J’ai l’idée que je vois quelque chose. Mais qu’est-ce que c’est ?
Zucco commence à disparaître derrière une cheminée.
DEUXIÈME GARDIEN – C’est un prisonnier qui s’évade.
15 Zucco a disparu.
PREMIER GARDIEN – Putain, tu as raison : c’est une évasion.
Coups de feu, projecteurs, sirènes. ●

Il s’agira ici de produire un commentaire cette fois intégralement rédigé de


manière à saisir comment doivent s’agencer et se développer les idées.

4.1. Introduction
Né en 1948 et mort prématurément en 1989, Bernard-Marie Koltès laisse der-
rière lui une œuvre dramatique caractérisée par un violent désir de renouvel-
lement de l’écriture théâtrale et par la volonté tout aussi farouche de contester
la société française. C’est à la croisée de ces deux aspirations qu’il écrit, au
crépuscule de sa vie, Roberto Zucco, pièce inspirée du fait divers sanglant des
années 1980, celle de Roberto Succo, psychopathe en fuite, tuant sans raison,
au hasard de sa folie et des gens qui ont la malchance de croiser son chemin.
Loin d’offrir une vision réaliste du fait divers, Koltès fait du criminel un être
fantastique, héros et martyr impossible d’une humanité perdue et veule qu’il
entend délivrer dès la première scène.
Dans le tableau I, deux gardiens discutent pendant leur ronde de nuit de
l’impossibilité de s’évader d’une prison aussi moderne et sophistiquée. Une
silhouette marchant sur les toits interrompt leur conversation. C’est Roberto
Zucco, arrête et incarcéré l’après-midi même pour le meurtre de son père, qui
est en train de s’évader sous le regard incrédule des deux gardiens.
Censée introduire Roberto Zucco, cette scène d’exposition est paradoxale
car le protagoniste se dérobe immédiatement. Zucco, à la manière d’un reve-
nant, n’apparaît que pour mieux disparaître. Présent uniquement le temps de
se rendre absent, il fait de la fuite son principal mode d’action, renversant les
enjeux de toute scène d’ouverture : spectral et fantastique, le tableau est une
présentation en creux d’un personnage aux allures de fantôme.

4.2. Premier axe de lecture


Une scène d’exposition spectrale
À l’instar de toute scène liminaire, ce premier tableau repose sur une expo-
sition chargée de mettre en lumière le héros. Or l’évasion de Zucco détourne

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Chapitre 4 Commenter un texte de théâtre

les principaux effets de l’exposition qui n’est plus qu’un fantôme de ce qu’elle
devrait être. Hantée par le dénouement et guidée par une logique de sous-ex-
position, cette scène pointe uniquement vers un personnage insaisissable
dominé par l’ombre et l’obscurité.

Un dénouement inaugural
Ce tableau présente l’essentiel des caractéristiques d’un dénouement, à com-
mencer par le cadre dans lequel l’action dramatique est inscrite comme il est
dit dans la didascalie : la nuit. Propice au tomber de rideau, l’heure nocturne
signale que l’intrigue touche à son terme, ce qu’indique également l’histoire
racontée. En effet, au lever du rideau, l’action semble déjà achevée puisque
Zucco a déjà tué son père et qu’il a été incarcéré. La conversation entre les
deux gardiens prend le ton d’un épilogue où ils dissertent de l’absence d’ac-
tion. Si bien que, dans un premier temps, ils ne perçoivent même pas l’éva-
sion de Zucco comme une action se déroulant effectivement, d’où l’usage du
conditionnel « je dirais » (l. 7). À l’orée de la pièce, tout est comme déjà joué,
ce qui n’est pas sans évoquer le processus propre à la tragédie.

Une logique de sous-exposition


Fondée sur un mouvement conclusif inattendu, cette scène répond à une
logique de sous-exposition. En effet, loin de mettre en lumière le héros, le
tableau I le rejette dans l’ombre, comme s’il était déjà mort. Invisible, impos-
sible à approcher, le personnage de Zucco ne peut être appréhendé que par la
discussion : les gardiens, qui l’aperçoivent sans l’apercevoir véritablement, ne
peuvent ainsi qu’en parler (l. 1-17). Zucco surgit d’emblée ici à l’image de ce
qu’il sera tout au long de la pièce : sur le mode du commentaire, de la rumeur
voire de la légende.

4.3. Deuxième axe de lecture


© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Un héros spectral
Insaisissable dans tous les sens possibles du terme, Zucco n’apparaît que pour
mieux disparaître et ne se rend présent que pour mieux fuir. Sans véritable
consistance et pourtant vivant, Roberto Zucco est un héros fantôme et un
personnage irréel, acteur d’une scène fantastique qui exhibe une puissance
surhumaine.

Une scène fantastique


Loin de souscrire à la logique réaliste du terrible fait divers dont il s’inspire,
Koltès dessine une scène d’exposition au caractère fantastique. Le cadre

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Partie 2 Composer son commentaire

nocturne pointe ainsi vers le surnaturel et le merveilleux à l’œuvre dans l’éva-


sion du personnage. Zone d’indistinctions et d’incertitudes, la nuit favorise
l’erreur des gardiens et devient la métaphore de leur aveuglement tant visuel
qu’intellectuel. La nuit renvoie aussi au monde des songes et des illusions :
les gardiens le disent bien qui évoquent Zucco par le terme d’« idée » (l. 12
et l. 17). Zucco est-il réellement présent ? Pareil à un mirage, le personnage
du criminel s’apparente dès lors à un esprit spectral, et cette nuit inaugurale
consacre l’avènement du royaume fantastique des spectres dont Zucco est la
figure centrale.

Une puissance surhumaine


Une autre caractéristique du personnage de Zucco – qui culminera dans l’ul-
time tableau aux accents d’apocalypse – apparaît dans cette scène d’exposi-
tion : la formidable puissance du personnage, qui confine au surhumain. À
suivre l’incrédulité des gardiens, il est humainement impossible de s’échapper
de la prison. Or Zucco parvient à s’évader. Il échappe donc au genre humain :
il est littéralement dégénéré. Dégénérescence doublement surnaturelle : d’une
part, la surnature renvoie à la sous-nature de l’animalité, puisque Zucco est
qualifié de « bête furieuse » (l. 8) ; d’autre part, elle renvoie à la surhumanité
d’un héros mythique dont les pouvoirs, bien qu’inférieurs à ceux des dieux,
excèdent ceux des hommes. Mû par une force fabuleuse et légendaire, à
mi-chemin entre l’animal et le héros, Roberto Zucco apparaît alors comme le
fantôme du surhomme nietzschéen, à savoir un homme qui, ayant renoncé
à la bassesse de l’humanité, en transgresse toutes les valeurs – ce que fera
notamment Zucco en détruisant sa famille tout entière.

4.4. Troisième axe de lecture


Les spectres de la réécriture
Fantôme de héros mythiques et du surhomme de Nietzsche, Roberto Zucco
s’inscrit dès le tableau I dans une généalogie littéraire peuplée du spectre des
écrivains qui hantaient Koltès. Nourrie de réécritures, la pièce est traversée
d’esprits qui s’emparent de ce centre vide et ce creux sombre qu’est Roberto
Zucco.

Le fantôme de Hamlet
Résonne dans ce tableau d’ouverture le souvenir de la scène première de
Hamlet (1600) de Shakespeare. Semblablement nocturne et mettant pareil-
lement en scène des gardiens occupés à converser, la scène shakespearienne
culmine dans l’apparition du fantôme du père de Hamlet assassiné il y a
peu. L’apparition finale de Zucco dans ce tableau I lui emprunte la puissance

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Chapitre 4 Commenter un texte de théâtre

spectrale et irréelle (l. 13-17). Le personnage se pare de la même force surna-


turelle qui, comme l’un des gardiens de Shakespeare en prend acte, le « rend,
comme l’air, invulnérable » (Hamlet, I, 1). Cependant, plus encore que le fan-
tôme de son père, c’est la figure de Hamlet qui pourchasse Zucco au point qu’il
apparaît comme une réincarnation du personnage de Shakespeare. Comme
Hamlet, Zucco est en proie à une mélancolie exacerbée : orphelin symbolique,
Roberto souffre d’être sur terre et aspire à un autre royaume qu’il ne parvient
pas à définir non plus que circonscrire. À l’image de Hamlet, rien ne saura le
sortir de sa solitude.

La hantise du théâtre
Autres réminiscences littéraires qui relèvent à nouveau du théâtre : tout
d’abord les dialogues inutiles, qu’échangent Vladimir et Estragon dans la
pièce de Beckett, En attendant Godot (1952). Ensuite, l’univers carcéral n’est
pas sans évoquer le décor d’une des premières pièces de Koltès, Combat de
nègres et de chiens, qui, sans véritablement mettre en scène un pénitencier, en
évoquait le spectre à travers un chantier de construction étroitement surveillé
et cerné de miradors. Enfin, la dernière réminiscence n’est plus uniquement
théâtrale mais poétique cette fois : Koltès fait de Zucco le double d’Arthur
Rimbaud (1854-1891). À l’instar du poète de « Départ », Zucco désire fuir la
société pour découvrir le monde et retrouver un état originel de fusion avec
la nature. Comme Rimbaud, qui devait renoncer à la poésie et à la littérature,
Zucco, semblablement révolté, va chercher à se libérer de la scène de théâtre,
métaphore de la société et cimetière peuplé de noirs fantômes.
Cette scène d’exposition fantôme dévoile la hantise d’un personnage de
théâtre voulant échapper à sa condition de personnage car, pour Rimbaud
comme pour Zucco, « la vraie vie est ailleurs. »
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Chapitre

Commenter 5
une poésie
À l’enseigne du roman et du théâtre, commenter un poème implique
une semblable double connaissance qui ressortit à la fois de l’exploration
générique et de la maîtrise de concepts critiques. Ici à nouveau il s’agit
de poser, avant tout commentaire, quelques pistes résolument non exhaustives
permettant d’analyser un poème ; elles doivent ainsi se lire comme autant
d’invitations à l’approfondissement.

PLAN

1 Connaissance générique
2 Connaissance critique
3 Commentaire n° 5
4 Commentaire n° 6

1 Connaissance générique
www.armand-colin.com
Née en Grèce antique, la poésie s’impose immédiatement comme un langage obéis-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

sant à un double rythme, musical car accompagné du son de la lyre, et prosodique


car reposant sur une organisation phonique savante et rimée. Du grec « poeïn » qui Ressource
numérique
signifie « création, œuvre », la poésie s’offre comme une création qui entend se dis-
tinguer du langage courant et usuel pour être réservé, en premier lieu, au récit épique Textes
supplémentaires
des grands épisodes mythiques. Mais très rapidement, si le vers caractérise sem-
blablement le théâtre, la poésie s’affirme en autant de formes fixes comme l’élégie
notamment pour venir raconter, à la première personne, les tourments et les affres
existentiels des poètes eux-mêmes.
S’il est moins aisé de tracer une histoire de la poésie en quelques brefs aperçus,
on pourra néanmoins retenir deux étapes déterminantes dans l’histoire de la poésie :
à commencer par la poésie du 16e siècle en France qui œuvre, dans le sillage de
Pétrarque et de la Renaissance italienne, à mettre en œuvre avec Marot, Ronsard

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Partie 2 Composer son commentaire

ou encore Du Bellay une poésie dont le lyrisme répond au formalisme du


sonnet. À ce premier moment correspondent les interrogations du 19e siècle
sur le genre poétique lui-même qui, après le verbe prophétique et romantique
de Victor Hugo, questionne avec Baudelaire les limites mêmes du sonnet
que le poète des Fleurs du mal (1857) reprend à son compte comme pour
l’épuiser. Dans son écho, Verlaine, Rimbaud puis Mallarmé interrogent à leur
tour l’identité même de tout poème depuis l’antiquité, à savoir le vers, sa pro-
sodie et sa métrique. C’est la naissance du vers libre et du poème en prose où
la poésie n’est plus soumise à l’exigence notamment de la rime et cherche à
épouser les mutations de la vie moderne.
Le même esprit, en quête de sens et quête de formes neuves, anime la poésie
du 20e siècle qui déconstruit le vers et le poème comme Apollinaire et à sa suite
le surréalisme emmené par André Breton, Paul Eluard et Philippe Soupault.
La poésie n’est plus forcément et paradoxalement synonyme de poème.

2 Connaissance critique
À cette histoire de la poésie correspondent des outils critiques indispensables
que l’étudiant se doit de maîtriser et qui se divisent essentiellement en deux
types : en premier lieu la connaissance des différentes formes poétiques fixes
et enfin la connaissance de la versification et autres règles de la prosodie.

2.1. Les formes poétiques


Afin de pouvoir interroger sans attendre un poème, il convient en premier
lieu de maîtriser l’ensemble des différentes formes poétiques fixes qui carac-
térisent l’ensemble de l’histoire du genre. Il faut ainsi connaître comment
se définissent notamment le sonnet, le rondeau, la complainte, le pantoum,
la ballade, l’ode, le virelai ou encore le lai. Chaque forme implique à la fois
un registre littéraire mais aussi une manière d’interroger la voix poétique
elle-même. Connaître ces formes poétiques revient à pouvoir se munir de
quelques premières pistes interprétatives.

2.2. Les règles de versification


De la même manière, l’unité fondatrice de tout poème est le vers qui répond
de règles prosodiques qu’il convient d’examiner afin de mettre en évidence
le travail du poète et ce qu’il entend signifier. Il convient ainsi de connaître
l’ensemble des différents vers de l’alexandrin jusqu’à l’octosyllabe de la même
manière qu’il s’agit de pouvoir reconnaître le type de strophes dont se com-
pose le poème. Dizain, sizain, quatrain, tercet ou encore distique doivent être
parfaitement connus.

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Chapitre 5 Commenter une poésie

Le travail sur la sonorité même doit enfin s’imposer comme un outil pour
asseoir son interprétation. Il convient à l’évidence de maîtriser les rimes croisées,
embrassées ou encore suivies mais aussi, outre les allitérations et les assonances,
la diérèse et la synérèse. Ces outils sont absolument indispensables s’agissant
même du vers libre ou du poème en prose puisque chacun en joue à sa manière.

Les deux commentaires proposés ici interrogent la modernité poétique à


travers en premier lieu la forme du sonnet chez Rimbaud et ensuite la ques-
tion du vers libre chez Apollinaire.

3 Commentaire n° 5
ARTHUR RIMBAUD, « MA BOHÈME », 1870
CAHIERS DE DOUAI
Ma Bohème

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;


Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse, et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

5 Mon unique culotte avait un large trou.


Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

10 Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes


De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur ! ●

Il convient en premier lieu de s’interroger sur la biographie et le contexte


de l’œuvre :
Le poème à commenter ici est de la plume d’Arthur Rimbaud, sans doute
l’un des poètes français du 19e siècle les plus marquants tant par la brièveté

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Partie 2 Composer son commentaire

que par l’incandescence de sa carrière poétique. En moins de cinq ans, entre


15 et 20 ans, ce jeune garçon à la précocité inouïe s’est imposé comme le
poète qui, à la suite de Charles Baudelaire et dans le sillage de Paul Verlaine
son contemporain a totalement, révolutionné la poésie, l’ouvrant à des
expériences sémantiques, prosodiques et formelles. Son parcours poétique
et biographique sont indéfectiblement liés, Rimbaud étant le poète de la
fugue et le poète qui n’a cessé de fuir, de muer l’ailleurs baudelairien en
nécessité vitale. Après une saison en enfer faite d’expériences de drogues
diverses, il est comme parvenu à expérimenter le silence au cœur de la
poésie, une fois la formule poétique trouvée comme une alchimie du verbe
du titre de l’un de ses poèmes. Sa poésie accomplie, Rimbaud a définitive-
ment cessé d’écrire, a voyagé, est devenu trafiquant d’armes en Afrique et
en Arabie Saoudite. Sa figure marquante et incomparable a fait de lui un
mythe poétique, celui que Verlaine, son compagnon, a qualifié de « poète
maudit » et dont « Ma Bohème », un de ses premiers poèmes, incarne
comme rarement.
Le poème met clairement en scène le poète, Rimbaud ici, qui traverse la
campagne à la recherche d’un idéal poétique. Ayant lui-même beaucoup
fugué dans son adolescence, il est fort probable que ce poème, strictement
autobiographique, a été écrit lors de l’une de ses fugues loin de son milieu
familial de Charleville dans lequel le jeune homme peinait à s’épanouir. « Ma
Bohème » se donne ainsi comme un poème qui fait le bilan d’un voyage, qui
s’en saisit pour témoigner de l’expérience du vagabondage du jeune homme.

3.1. La lecture cursive de l’extrait


Il s’agit ici de proposer une lecture qui offre une première saisie raisonnée et
systématique de l’extrait analysé dans son intégralité. Trois saisies du texte
s’offrent dans cette phase de brouillon : interroger le lexique du texte, la situa-
tion de l’extrait dans l’œuvre et enfin sa composition d’ensemble.

Saisie lexicale
Se pencher sur le lexique employé par Rimbaud dans ce poème permet
de saisir sans attendre la double caractéristique sur laquelle l’ensemble du
poème s’articule. En effet, dès les premiers vers, et tout au long du sonnet,
se développe le réseau lexical de ce qui relève de l’appréciation sensorielle.
L’ensemble des cinq sens sont ici sollicités comme autant de verbes de percep-
tion prédominants puisque le verbe d’action est unique : voyager avec toutes
ses variantes. Ainsi, la vue, le toucher, l’ouïe, le goût et l’odorat sont-ils en
permanence sollicités et déployés. Rimbaud écrira plus tard qu’il conçoit la
poésie comme « un dérèglement raisonné de tous les sens » dont ce poème
fournit sans doute la première ébauche.

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Chapitre 5 Commenter une poésie

Le second examen lexical conduit à considérer le caractère enfantin sinon


puéril de quelques expressions dont notamment « le doux frou-frou » (v. xx) :
s’il y a, à l’évidence le jeu phonique d’assonances et d’allitérations, c’est sans
doute pour mieux affirmer un caractère parodique de la poésie. De fait, il
s’agit ici de tourner en ridicule le goût poétique pour l’allitération elle-même,
relevant comme Rimbaud le dit par ailleurs de « la vieillerie poétique ».

Interroger la forme poétique


Cette saisie formelle première doit aboutir à l’identification de la forme du
poème. Ici il s’agit à l’évidence de la forme codifiée du sonnet. Historiquement,
le sonnet est né à la Renaissance sous la plume du poète florentin Pétrarque
qui en a donné la forme suivante : le sonnet est une forme poétique fixe de
14 alexandrins articulés en 4 strophes réparties en deux quatrains suivis de
deux tercets dont l’ultime vers, trait d’esprit sous la forme souvent d’un para-
doxe, se nomme une pointe. Réservé au chant de l’amoureux éconduit ou
malheureux, le sonnet a connu une fortune littéraire immense notamment en
France dès le 16e siècle avec Joachim Du Bellay ou encore Pierre de Ronsard.
Tombé en désuétude aux siècles suivants, le sonnet redevient une forme poé-
tique prisée au 19e siècle avec Charles Baudelaire qui écrit nombre des poèmes
composant Les Fleurs du Mal (1857) sous la forme de sonnets.
Reprendre alors en 1870 la forme du sonnet comme Rimbaud le fait ici
revient à travailler une forme connotée thématiquement, à savoir chanter les
amours d’un homme. L’examen lexical du poème indique, en effet, qu’une
large part du texte est dévolue aux élans amoureux de l’adolescent : « J’allais
sous le ciel, Muse, et j’étais ton féal ». L’amour ici devient un amour idéal et
poétique : il s’agit pour le jeune poète de se livrer à la muse inspiratrice de la
poésie qui saura guider sa plume vers la certitude de l’œuvre à accomplir.
L’amour, loin d’être physique, est pleinement poétique et littéraire : le jeune
homme veut trouver l’inspiration.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Mais cette forme du sonnet est également reprise pour figurer et suggérer
la passion adolescente pour la nature. Présentée et décrite ici sous la forme des
« étoiles au ciel » et des « bons soirs de septembre », la nature s’affirme comme
une constante de l’univers rimbaldien qui est géographiquement et symboli-
quement divisé en deux espaces : la ville, hostile, car symbole de la société et
de son aliénation bourgeoise que le poète doit fuit pour exister ; la campagne
et plus largement la nature débarrassée de tout homme où le poète peut entrer
en contact direct avec le monde et sa matière. « Ma bohème » choisit alors le
sonnet pour clamer cet amour de la nature par lequel le destin poétique du
jeune homme peut s’accomplir pleinement à la fois sensuellement et littérai-
rement, le sonnet s’achevant dans sa pointe sur le mot-clef de « cœur », cœur
amoureux même de tout sonnet.

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Partie 2 Composer son commentaire

Composition d’ensemble du texte


Ce sonnet présente une action simple qui guide l’ensemble du poème : il
s’agit d’un jeune homme qui part à l’aventure, et erre dans la campagne.
Le titre « Ma bohème » indique d’emblée le sens d’une action qui vient à
ajouter à la question du déplacement et du voyage, celle de l’errance et la
flânerie. Si la question de la flânerie et plus largement de la promenade sont
à l’honneur depuis Les Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques
Rousseau et les poésies de Baudelaire, force est de reconnaître que l’er-
rance chez Rimbaud devient l’occasion d’un voyage qui dépasse le simple
dépaysement géographique. Déployé ici sur les deux quatrains puis les
deux tercets, le déplacement de Rimbaud passe du voyage au vagabondage
en prenant les accents du schéma fondateur et mythique de la quête, à la
fois existentielle et artistique.
De fait, tous les verbes autorisent ici à dessiner un mouvement qui va du
déplacement à l’arrêt et à la stase. Le poète cherche à savoir qui il est, à se
retrouver au cœur de la nature pour mieux la connaître sensoriellement et
en produire une œuvre poétique. La qualité artistique de cette quête s’origine
ainsi dans le titre même du sonnet, « Ma Bohème » qui convoque l’image bau-
delairienne des bohémiens qui, pour le poète des Fleurs du Mal, constituent
un peuple d’une double qualité : à la fois voyageur mais aussi et plus pro-
fondément artiste. C’est sous ce double signe que se range le jeune poète de
« Ma Bohème » qui fait d’emblée ici du voyage l’indépassable synonyme d’une
quête à la fois existentielle et poétique. Le parcours rimbaldien se fait alors
pleinement baudelairien : la quête n’est pas celle, horizontale, du déplacement
que suppose le voyage mais résolument verticale : celle qui cherche non pas
l’élévation vers le ciel comme chez Baudelaire mais intérieure, qui s’enfonce
en soi pour y découvrir l’inconnu, jusqu’à la folie, jusqu’au silence.

3.2. La lecture méthodique de l’extrait


La lecture méthodique de l’extrait entend, comme nouvelle et décisive étape
du commentaire, proposer au brouillon toujours une triple lecture du texte
selon de nouvelles grilles de lecture cette fois résolument plus techniques.
Un questionnement systématique triple s’intéresse alors à l’extrait en le
scrutant successivement du point de vue stylistique, poétique et enfin rhé-
torique. Il s’agit ici de dégager avec efficace des pistes interprétatives qui,
adjointes aux précédentes, viendront fournir autant de clefs pour la lecture
détaillée finale.

Lecture stylistique
La lecture stylistique première à pratiquer ici consiste à identifier les moda-
lités d’énonciation du poème. De manière générale ce sonnet répond, en

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Chapitre 5 Commenter une poésie

termes linguistiques, du discours, à savoir un discours à la première personne


dominé par une subjectivité qui s’y exprime. Ce sonnet, par cette qualité dis-
cursive, rejoint la connotation amoureuse de cette forme poétique pratiquée
depuis Pétrarque. Mais ici la confession passionnée cède la place à un récit
au passé qui vient s’y conjuguer, celui du vagabondage dans la nature. La
conjonction discursive et narrative favorise le schéma mythique de la quête
mis en évidence précédemment et vient en confirmer la synonymie effective
entre voyage et quête artistique.

Lecture poétique
La lecture poétique permet de dévoiler ici un aspect du poème non identifié
jusqu’alors : sa puissance parodique. Empruntant aux analyses poétiques de
Gérard Genette dans Palimpsestes (1982), il s’agit de montrer en quoi « Ma
Bohème » se fait parodie, c’est-à-dire réécriture sur le mode comique et iro-
nique, de certains clichés de l’écriture romantique.
De fait, si le sonnet emprunte aux thématiques de l’amour et de la pas-
sion, Rimbaud choisit dès le sous-titre de « fantaisie » de favoriser une lecture
ludique sinon parodique de son poème. Voyageant et vagabondant, le jeune
poète s’éprend de manière romantique de la nature mais cet amour passionné
est mis à distance par un certain ridicule : le dénuement poétique est traité ici
de manière comique : la figure romantique du poète pauvre devient l’occa-
sion de moqueries (« Mon unique culotte avait un large trou »). À cette blague
presque de potache vient s’ajouter un jeu proprement poétique sur les sono-
rités d’une platitude délibérée soulignant là encore le ridicule des sonorités
et autres exclamations romantiques : « Oh la la ! Que d’amours splendides j’ai
rêvées ! » ou encore « Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou. » La poésie
romantique saisie dans ses clichés (amour, rapport à la nature) devient ridi-
cule. Les jeux de mots par ailleurs se multiplient et appuient ce mouvement
parodique qui vient à dénigrer la poésie romantique que Rimbaud qualifie
par ailleurs d’« horriblement fadasse ». On peut en relever deux : « comme des
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

lyres » qui peut s’entendre phonétiquement comme « délires » afin de sou-


ligner la mièvre folie passionnelle : « Muse » est à rapprocher d’« idéal » qui
signifie ici « usé », comme si « Muse » devait s’entendre surtout comme ce qui
« m’use ».

Lecture rhétorique
Cette dernière grille de lecture consiste à identifier les figures de style qui
permettent au sonnet de convoquer une puissance d’évocation. La figure
majeure de ce sonnet est la métalepse qui consiste à mettre en jeu dans un
texte la figure même du poète et son intervention au cœur du poème. De fait,
ici le poème est en vérité un poème du poème tant s’y déploie un langage

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Partie 2 Composer son commentaire

métalinguistique, à savoir une parole qui utilise les termes critiques mêmes
dont chacun use pour commenter tout poème. On peut ainsi relever un lexique
de critique de la poésie comme notamment « Muse », « rimes », « lyres » ou
encore « pied » qui constitue une des mesures de la prosodie latine. La poésie
se fait dès lors métaleptique dans la mesure où il s’agit pour Rimbaud de
souligner ici combien son sonnet figure une parodie délibérément fantaisiste
de la poésie romantique pour y renoncer, montrer combien elle est vaine et
combien il entend la refonder dans un rapport nouveau et encore inédit à la
nature, à la parole et à ses silences.

3.3. La lecture détaillée


Il s’agira ici de proposer une lecture détaillée, strophe par strophe, vers par
vers, dans une linéarité scrupuleuse du texte en croisant ainsi au cœur des
remarques qui seront formulées les approches syntaxiques, rythmiques
et pragmatiques. Au terme d’un examen général du texte, trois groupes de
remarques se dégagent qui peuvent constituer autant de fondements à la
réflexion et l’interprétation :
Ce sonnet se distingue tout d’abord par son évocation du voyage et en
particulier de la fugue. Hymne à la liberté et à la libération adolescente
loin de la pesanteur bourgeoise et de l’aliénation des villes, « Ma Bohème »
évoque un vagabondage dans la nature qui prend des allures de quête à
la fois existentielle, mythique et artistique. Loin de souscrire aux clichés
de la poésie romantique et de se ranger comme un simple héritage de
la poésie déjà voyageuse de Baudelaire, le jeune Rimbaud opère ici une
quête qui en passe par un contact renouvelé à la nature appréhendée dans
une saisie purement sensorielle mais aussi, inspiré par la figure des bohé-
miens, une quête artistique désirant quitter les clichés de la poésie d’alors.
Si elle débute par l’horizontalité du voyage, la quête rimbaldienne devient
une quête verticale et purement intérieure par laquelle il s’agit pour le
poète de trouver en soi et dans son intimité des zones neuves et inouïes
d’inconnu.
Ce poème qui se veut volontairement simple et délibérément naïf
amorce ensuite un tournant premier dans l’œuvre brève et intense de
Rimbaud qui aboutira sous peu à ce qu’il nommera l’expérience du Voyant
portée par « le dérèglement raisonné de tous les sens. » Le poème se struc-
ture ainsi lexicalement sur le déploiement de l’ensemble des cinq sens per-
mettant au poète de se lancer dans l’exploration de la nature. Goût, ouïe,
odorat, toucher et vision dominent ainsi un poème qui décide nettement
d’œuvrer non à une connaissance intellectuelle du monde mais à son expé-
rience pleine et neuve. Loin de tout cliché, le poème entend abandonner
les sentiers battus de la connaissance pour délibérément s’installer dans

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Chapitre 5 Commenter une poésie

l’appréciation sensuelle du monde, sa grande et lente redécouverte. Pour


Rimbaud, il faut débarrasser le monde des clichés bourgeois, fuguer non
seulement pour fuir sa famille mais, plus profondément, pour retrouver un
lien premier à la nature que seul l’exercice des sens autorise. Le contact doit
être aussi bien immédiat que direct : la sensualité active devient la morale
d’écriture du poète.
Le sonnet de Rimbaud se joue enfin de l’ensemble des clichés de ce que
Rimbaud nomme alors « la vieillerie poétique ». De fait, il s’agit pour lui à
la fois de mettre en scène sa fugue et son départ dans la joie de la nature
qui s’oppose à l’hostilité sociale de la ville et de son étouffante bourgeoisie.
Mais refuser l’horreur bourgeoise consiste également pour lui à en refuser
le mode d’expression poétique dont le romantisme constitue pour lui
l’une des occurrences. Un mouvement de contestation sociale est à l’ori-
gine du geste artistique de Rimbaud qui prend précisément la forme ici
d’un poème sur le poème en premier lieu. Ainsi, usant d’une métalepse,
Rimbaud convoque un lexique critique et métalinguistique sur la poésie :
la poésie est l’objet du poème lui-même. Mais il ne s’agit en rien d’une
poésie venant à clamer, par la forme du sonnet, un amour de la poésie
pour la poésie. Au contraire, le travail poétique de Rimbaud s’attache ici à
déconstruire les clichés romantiques pour les déconsidérer ironiquement
et en souligner les limites. Le second mouvement de ce poème du poème
consiste alors à proposer une parodie de la poésie romantique et de l’en-
semble de ses clichés. Phonétiquement et sémantiquement, Rimbaud en
vient à se moquer de la muse, des lyres et de l’amour pour la nature que
les poètes romantiques ont comme sanctifié. Il faut, selon lui, s’asseoir
« au bord des routes », à l’écart pour recommencer un poème neuf que son
œuvre se proposera de déplier.
La formule qui peut être déduite du texte serait la suivante : un sonnet
qui, loin des villes bourgeoises, choisit la fugue et l’errance pour quitter
les clichés de la poésie romantique ici parodiés et retrouver la sensualité
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

du monde.
De là peut aisément se déduire une problématique qui vient articuler la
tension présente au cœur du texte à savoir l’articulation entre romantisme
d’une part et voyance d’autre part. La question à poser répondrait alors de
la formulation suivante : en quoi ce sonnet, en parodiant la poésie roman-
tique, propose-t-il un voyage sensuel vers une nouvelle poésie ?

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Partie 2 Composer son commentaire

De là le plan suivant peut alors être envisagé :

Plan du commentaire :
I. Une fugue hors des sentiers battus
a. Du voyage à l’errance loin des villes
b. Une bohème artistique contre la pesanteur bourgeoise

II. Une redécouverte sensuelle du monde


a. Un voyage existentiel et sensuel
b. Contre la « vieillerie poétique »

III. Un poème sur la poésie


a. Une parodie de la poésie romantique
b. Un sonnet pour une nouvelle poésie ●

4 Commentaire n° 6
APOLLINAIRE, « CHANTRE », ALCOOLS, 1913
Chantre
Et l’unique cordeau des trompettes marines ●

Il s’agira ici de produire un commentaire cette fois intégralement rédigé de


manière à saisir comment doivent s’agencer et se développer les idées.

4.1. Introduction

Situer le passage
Né en 1880 et mort en 1918, Guillaume Apollinaire s’impose sans doute parmi
l’un des poètes les plus marquants du début du xxe siècle. Marqué à la fois
par une époque qui voit vivre les derniers mais ardents feux du Symbolisme
et par un temps épris de modernité rutilante qu’exprime le Futurisme d’un
Marinetti notamment, Apollinaire, homme d’art, propose avec Alcools publié
en 1913, à la veille d’un premier conflit mondial qui l’emportera, un recueil
qui saura être à la rencontre inouïe d’une poésie à la fois en quête de renou-
veau mais indéfectiblement liée à un passé impossible à rédimer. À ce titre,
« Chantre », poème constitué d’un unique vers, peut apparaître comme la

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Chapitre 5 Commenter une poésie

formule paradigmatique sinon synthétique de la poésie d’Apollinaire qui, au


cœur d’un recueil à l’organisation cubiste et diffractée, vient surgir comme
l’exemple même d’une modernité sans retour.
Mais s’agit-il bien d’une poésie qui, tant par la forme que par sa puissance
à révoquer le lyrisme, saura être l’exemple même d’une modernité inouïe ?
Ne faut-il pas bien plutôt y voir au contraire pour Apollinaire l’occasion de
montrer combien son poème, aussi futuriste soit-il, se fracture d’une tonalité
mélancolique qui paradoxalement convoque une part de tradition poétique
aussi bien louée qu’irrévocable ?

4.2. Premier axe de lecture

Un poème d’un seul vers


Ce poème convoque d’emblée, par la surprise qu’il provoque à sa lecture, une
question d’ordre formelle : s’agit-il d’un vers unique ? s’agit-il véritablement
d’un poème ? Ou s’agit-il bien plutôt d’un poème consistant en un vers unique ?
Afin de répondre à ces questions, il conviendra en premier lieu d’examiner en
quoi il s’agit d’un monostique qui attire l’attention sur le poème d’un poème.

Un monostique
Vers unique ou poème ? La question ne manque pas d’être posée à la lecture
de « Chantre ». Il s’agit ici à la vérité d’une strophe d’un seul vers désigné sous
le terme de monostique : le poème qui s’affirme comme tel puisque organisé
autour du titre « Chantre » comporte ainsi un unique alexandrin à la régularité
classique, à savoir répondant d’une césure à l’hémistiche. Mais Apollinaire
joue ici délibérément, comme pour venir la questionner et la rendre problé-
matique, de la frontière formelle entre poème et vers. Peut-on considérer un
vers unique comme un poème ou s’agit-il d’un vers qui ne parvient pas à être
un poème et à se développer en d’autres vers puis strophes ? Comment le qua-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

lifier ? La question demeure presque indécidable sauf à le qualifier de zone, à


savoir d’espace indistinct d’hésitation à l’instar de « Zone », poème inaugural
du recueil même.

Un vers sur la poésie ?


Outre la question formelle qui pointe vers une problématisation générique,
l’examen du vers en lui-même semble à son tour ouvrir à une question qui
appuie davantage encore la thématisation du poème par lui-même. De fait,
cet unique vers semble avoir pour sujet la poésie elle-même comme par un
jeu réflexif dont la modernité en littérature a su faire l’un de ses traits les plus
remarquables. L’unique cordeau évoqué ici renvoie à la corde des maçons

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Partie 2 Composer son commentaire

employée pour tracer des lignes droites : l’idée suggérée est que ce vers unique
est à son tour une ligne droite qui construit le poème. Cette thématique poé-
tique est annoncée dès le titre par le terme même de « chantre » qui renvoie à
la personne qui chante les offices religieux mais qui qualifie plus généralement
un poète. Le cordeau évoque alors la corde de la lyre poétique, musique elle-
même évoquée dans le terme de « trompettes » en fin de vers. L’élément mari-
time final est par ailleurs, par jeu phonétique, contenu dans le terme même de
« cordeau » qui peut aussi bien s’entendre comme un « corps d’eau ». Unique,
ce vers prend surtout des résonances multiples.

4.3. Deuxième axe de lecture


Un vers libre ?
Ce vers unique, s’il évoque une poésie qui prend le travail poétique du chant
et de sa musicalité pour sujet même, convoque comme nous commencions
à l’apercevoir un pan de la modernité notamment dans l’usage de ce vers
unique même. Peut-on le considérer comme un vers libre et si oui, à quelles
conditions ? À cette légitime question formelle et partant esthétique vient
s’adjoindre celle de la position du sujet poétique dans le vers lui-même qui se
voit également sous un jour plus que moderne.

Un vers moderne
Ce vers unique, solitaire et valant pour tout poème et toute strophe, s’affirme
sans doute comme la formule la plus achevée du vers libre. De fait, à l’instar de
Rimbaud qu’Apollinaire admirait et dans le sillage plus large du symbolisme,
ce vers repose sur une double caractérisation relevant du vers libre. En pre-
mier lieu, il appuie l’image surprenante du cordeau des trompettes marines
par la suppression systématique de toute ponctuation. Le vers ne se clôt ainsi
pas sur un point final, demeurant ouvert et peut-être inachevé. De surcroît,
l’absence de ponctuation à l’intérieur du vers lui-même, sans virgule aucune,
témoigne d’une lecture moderne qui se veut mobile, ludique, toujours en per-
pétuelle relance. Ensuite, second trait du vers libre, Apollinaire ne respecte
nullement ici la versification traditionnelle puisque le vers demeure unique :
il ne rime, littéralement, à rien, demeurant solitaire. Sans doute est-il à ce titre
le vers le plus libre de l’histoire de la modernité : libéré de toute strophe, libéré
de tout autre vers, libéré du poème lui-même.

Un poème sans sujet ?


Au-delà de la question du vers libre se pose sans doute aucun une autre ques-
tion propre à la modernité que retravaille et déploie par ailleurs l’ensemble
d’Alcools et qui trouve cet hyper-vers libre en quelque sorte, une acuité toute

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Chapitre 5 Commenter une poésie

particulière : le lyrisme. Empêché, contrarié sinon revisité dans l’ensemble du


recueil, il est ici en l’espace d’un vers tout simplement nié. Fidèle à Rimbaud,
la disparition de toute figure locutoire, de tout chantre s’exprimant à la pre-
mière personne renvoie au souci d’une poésie objective capable de dire le
monde avec la distance critique nécessaire afin de rendre compte des muta-
tions du monde moderne lui-même. Ici, aucun poète ne prend la parole en
dépit d’un titre qui laissait pourtant augurer du contraire. Pourtant le poème
ne paraît pas délaisser la tradition pour autant.

4.4. Troisième axe de lecture

Un beau vers : entre modernité et tradition poétique ?


Cependant, outre cette manifeste modernité, ce monostique, si rutilant et
novateur soit-il formellement, ne fait peut-être en vérité signe que vers un
renouvellement de la tradition qui, par ailleurs, est au cœur d’Alcools. Ne
s’agit-il ainsi pas ici de considérer « Chantre » comme le fruit d’un savant
héritage poétique ?

Un beau vers ?
Monostique et vers libre, ce vers unique de « Chantre » ne manque décidément
pas de faire question puisqu’il paraît peut-être, en fait, davantage ressortir de
ce que l’on nomme traditionnellement un beau vers que d’une quelconque
aventure formelle futuriste. En effet, unique et solitaire, ce vers semble être
posé ici comme une citation, comme un vers à admirer, presque indépas-
sable de sobriété et de clarté. Unique, ce vers est isolé typographiquement
comme le sont les beaux vers qui doivent retenir l’attention si bien que ce vers
peut alors être l’objet d’une hypothèse : s’agit-il peut-être d’une citation d’un
poème dont il serait le vers d’excellence ? Mais il s’agit d’une tradition blessée,
d’une tradition boiteuse car l’alexandrin est boiteux, consiste en 13 syllabes.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

La tradition irrégulière renvoie ici à celle de la musique poétique impaire de


Verlaine.

Un poème mélancolique ?
Ce vers à la beauté blessée et boiteuse, s’il convoque formellement Verlaine,
le convoque aussi peut-être lyriquement. Absente, la figure du poète est peut-
être paradoxalement et précisément présente dans cette absence, depuis sans
doute la verlainienne disparition mélancolique de tout sujet poétique capable
de s’exprimer. Synthèse comme Verlaine de la tradition et de la modernité,
ce vers unique porte en lui une mélancolie romantique au cœur de l’image
marine qu’il suscite : préfigurant le cycle des « Rhénanes » qui convoque

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Partie 2 Composer son commentaire

l’imaginaire romantique du Rhin, « Chantre » se tient comme la préface soli-


taire et active d’un romantisme comme fragmenté et ruiné, ne comportant
qu’un seul vers comme rescapé de la tradition.

4.5. Conclusion
En définitive, « Chantre » sous les dehors d’un monostique à l’éclatante et
radicale modernité offre d’Apollinaire une image plus contrastée, riche et
nuancée, à savoir celle d’un homme faisant d’un vers libre et ivre de liberté
un hommage appuyé à la tradition classique du beau vers. Pour Apollinaire,
la liberté n’est peut-être possible qu’au prix d’une seule règle : connaître la
tradition pour mieux s’en affranchir et se tourner vers la modernité et sa soif
de futur.

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Partie 3
Composer
sa dissertation

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Qu’allons-nous étudier dans cette partie ?

C
ette troisième et dernière partie veut poser les fondements méthodolo-
giques de la dissertation littéraire. Exercice redouté à tort, la dissertation
est expliquée ici étape par étape, du brouillon jusqu’à la rédaction afin de
montrer comment s’élabore à l’écrit une discussion argumentée et raisonnée
autour d’un sujet.
Trois étapes majeures seront ainsi suivies dans cette troisième partie :
1. La première entend montrer le nécessaire travail préparatoire de la dissertation au
brouillon. Discuter d’un sujet et l’analyser requiert une culture littéraire et géné-
rale qui doit permettre de trouver les arguments nécessaires au débat. Il s’agit
dans un triple mouvement argumentatif d’expliquer, de nuancer et de reformuler.
2. La deuxième étape de l’exercice dissertatif s’occupe, quant à elle, de la construc-
tion du devoir après l’analyse du sujet. Sont expliquées ici en détails et avec
force exemples concrets la réfutation de la thèse et la reformulation du sujet
ainsi que la manière de les articuler dans un plan démonstratif.
3. L’ultime étape consiste enfin à donner des exemples de dissertation selon les dif-
férents genres. Sont ainsi proposés trois dissertations sur le roman, deux disserta-
tions sur le théâtre, et deux dissertations sur la poésie. Les exemples d’application
sont de deux ordres : tout d’abord, le sujet à discuter est donné, détaillé dans ses
procédures au brouillon et enfin un plan est proposé. Une autre série d’exemples
propose également de rédiger intégralement la dissertation.

SOMMAIRE

1 Le travail préparatoire de la dissertation .................................... 141


© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

2 Comment construire sa dissertation ? ....................................... 149


3 Disserter sur le roman .................................................................. 163
4 Disserter sur le théâtre ................................................................. 181
5 Disserter sur la poésie................................................................... 199

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Chapitre

Le travail préparatoire 1
de la dissertation
La dissertation littéraire générale se présente, en premier lieu, comme
une réflexion argumentée et ordonnée autour d’un sujet qu’il s’agit
à la fois d’expliquer et de discuter. Issue d’une longue tradition universitaire
et apparue plus précisément au 19e siècle dans les études de lettres, aussi bien
dans les cursus classiques que modernes, la dissertation s’est progressivement
imposée comme l’exercice argumentatif par excellence dans la mesure
où il s’agit de soutenir un raisonnement répondant à une problématique
articulant des thèses successivement examinées.

PLAN

1 Une culture littéraire et générale


2 L’invention argumentative
3 La disposition démonstrative
4 Au brouillon

D
e fait, issu du latin dissertare qui signifie « exposer une discussion » mais égale-
ment de disserere signifiant « enchaîner logiquement les raisonnements », dis-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

serter consiste en une épreuve écrite dans laquelle il s’agit d’installer les termes
d’un débat autrefois appelé également autrefois une dispute. Le principe argumen-
tatif de la dissertation consiste donc en une discussion dans le sens le plus rhétorique
du terme, à savoir proposer une thèse qui sera amenée à être littéralement discutée.
Il s’agit ainsi en avançant des arguments de pointer les limites de cette thèse première
et de la réarticuler ainsi à d’autres arguments qui viendront la nuancer sinon la contre-
dire. À ce titre, la visée ultime d’une dissertation consiste à ouvrir un débat en restituant
d’une part l’ensemble des problématiques dont la thèse est issue et à laquelle elle s’arti-
cule et, d’autre part, d’œuvrer à une réflexion générale sur la littérature.
Ainsi disserter s’impose comme un exercice méta-argumentatif par lequel il s’agit
à la fois d’analyser une argumentation et de proposer une contre-argumentation
articulée et raisonnée. Une telle entreprise intellectuelle qui en effraie plus d’un par

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Partie 3 Composer sa dissertation

ce caractère rhétorique aigu se doit de reposer sur trois compétences dis-


tinctes mises en œuvre aussi bien lors du travail préliminaire au brouillon
que lors du travail de rédaction définitif :

1 Une culture littéraire et générale


Il apparaît difficile voire impossible de se lancer dans une réflexion argu-
mentée sur un sujet littéraire sans convoquer une culture littéraire et générale
appropriée. Connaître quelques exemples précis ne peut ici suffire dans la
mesure où la culture littéraire se donne comme le levier nécessaire pour saisir
tous les enjeux d’un sujet donné.
La culture littéraire et générale assume deux fonctions dans le travail dis-
sertatif : elle permet, en premier lieu, de savoir resituer et replacer le sujet et la
thèse soutenue dans un contexte historique et intellectuel donné. Une thèse
ne s’énonce ainsi jamais seule : elle est le témoin d’un débat plus large dans
lequel elle prend place à titre de réponse, d’attaque ou de défense. Ignorer par
exemple qu’en 1827, au moment où Victor Hugo écrit dans la préface de son
drame Cromwell il s’agit de « mettre un bonnet rouge au vieux dictionnaire »,
Victor Hugo s’affirme plus que jamais romantique revient à manquer la part
politique essentielle de cette réflexion. Il convient donc de maîtriser l’histoire de
la littérature, c’est-à-dire celle non seulement des auteurs mais des mouvements
littéraires et culturels à partir de laquelle cette même histoire s’articule.
De la même manière, la culture littéraire apparaît comme absolument indispen-
sable dans l’exercice de recherche des exemples. En effet, il apparaît impossible de
mener un raisonnement et une démonstration sans pouvoir l’illustrer avec préci-
sion et force car analyser les arguments et les agencer ne suffit pas : il faut encore
en démontrer la pertinence par des exemples qui fonctionnent comme autant
de preuves. L’idée ne sera efficace et pertinente qu’à la condition d’être illustrée
par un exemple développé et incidemment maîtrisé. S’agissant, notamment, de la
réflexion énoncée plus haut par Victor Hugo sur la langue française qu’il entend
révolutionner, il convient d’illustrer un tel propos par l’exemple d’un drame
romantique de Victor Hugo comme Hernani par exemple afin de s’en saisir pour
y montrer les révolutions à la fois lexicales, prosodiques et dramaturgiques que
Hugo fait subir au théâtre français. L’idée analysée n’en aura que plus de force.

2 L’invention argumentative
Disserter consiste à analyser des arguments mais également à en proposer
afin de trouver les limites d’un propos défendu et de pouvoir, par la suite,
le reformuler dans une nouvelle thèse plus nuancée et, partant, défendable.

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Chapitre 1 Le travail préparatoire de la dissertation

L’étape de recherche des arguments que la rhétorique antique depuis Aristote


et Quintilien nomme l’invention (inventio en latin) prend ici son plein sens.
En effet, considérée comme l’étape première de toute élaboration discursive,
l’invention dans la dissertation, si elle consiste dans la recherche active des
idées et des arguments, se divise en deux moments clefs : le premier consiste à
mettre en évidence les idées et arguments contenus dans le sujet à analyser.
À ce titre, la réflexion ne doit jamais partir au hasard dans sa recherche mais
s’organiser depuis les idées-directrices défendues dans la réflexion qui occa-
sionne le sujet. La première phase de recherche des arguments ne consiste
ainsi pas en une invention argumentative à proprement parler : il ne faut rien
inventer mais au contraire retrouver les idées dont le sujet procède et les res-
tituer comme fondement du raisonnement.
Le second moment de l’invention argumentative s’appuie sur ce premier
moment et met ici véritablement en œuvre la part inventive de la recherche
des idées puisqu’il s’agit, après l’analyse de la thèse et de ses soubassements
théoriques, de présenter une réfutation qui puisse à la fois nuancer la thèse
et en pointer donc les limites. Il s’agit ici de sélectionner des arguments qui
répondent exactement aux manques de la thèse précédemment analysée et
doivent s’articuler à l’ensemble dans un mouvement démonstratif rigoureux
et logiquement enchaîné.

3 La disposition démonstrative
Enfin, l’ultime compétence requise pour la dissertation est la disposition argu-
mentative. Intervenant après la recherche des idées, la disposition incarne ce
moment rhétorique qui, depuis l’Antiquité grecque et latine, consiste dans
la recherche d’un plan, à savoir l’agencement dynamique d’arguments en
fonction d’une démonstration à mener et d’une thèse à contester.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Le mouvement démonstratif s’articule en trois étapes majeures qui four-


nissent ainsi le plan : l’exposé de la thèse à analyser puis discuter. Ce premier
moment résulte d’une analyse précise du sujet dont il s’agit de restituer les
idées et les enjeux sous-jacents. À ce premier moment d’exposition problé-
matique succède un deuxième moment centré, quant à lui, sur la réfutation
dissertative : il s’agit d’opposer à la thèse ses failles et lacunes par laquelle elle
formule le sujet en vérité de manière incomplète et omet volontairement pour
les besoins de sa thèse propre certains aspects du sujet qu’il ne faut pas passer
sous silence. Enfin, le troisième et dernier moment démonstratif choisit de
reformuler le sujet et la thèse initiale en tenant compte des nuances formu-
lées qui permettent ainsi de réorienter le questionnement et de l’ouvrir sur
des perspectives à la fois neuves et résolument fécondes.

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Partie 3 Composer sa dissertation

La disposition argumentative s’impose comme la clef de la réussite de


l’exercice tant il s’agit de montrer combien l’argumentation est à la fois saisie
et logiquement articulée.
La mise en œuvre de ces trois compétences se répartit en deux étapes dis-
tinctes dans l’élaboration de la dissertation, à savoir, en premier lieu, l’étape du
brouillon et enfin celle de la rédaction définitive au propre. En plus des compé-
tences requises, chaque étape requiert un certain nombre de procédures que voici.

4 Au brouillon

4.1. De l’analyse du sujet à l’élaboration du plan


L’étape du brouillon dissertatif consiste dans la première prise de contact
avec le sujet jusqu’à la mise en évidence d’un plan qui, une fois défini,
ne demande plus qu’à être rédigé. Tout travail au brouillon exige alors un
important travail préparatoire qui se divise essentiellement en deux tâches
distinctes : l’analyse du sujet et l’élaboration du plan.

L’analyse du sujet
Il s’agit de la première étape par laquelle le candidat se saisit du sujet et doit
aborder la thèse qui y est développée. Il existe trois grands types de formu-
lation de sujets qui, chacun, mettent en œuvre un questionnement spécifique
et des compétences argumentatives particulières :

1. Le sujet sous forme de phrase nominale : « Le lecteur de romans »


2. Le sujet sous forme d’une question : « Un roman n’est-il que l’histoire d’un
personnage ? »
3. La citation d’un critique ou d’un écrivain : « En vous appuyant sur des exemples
précis vous commenterez ce jugement du critique littéraire Roland Barthes
dans Le Degré zéro de l’écriture : « Le Roman est une Mort ; il fait de la vie un destin,
du souvenir un acte utile, et de la durée un temps dirigé et significatif. »

Si chacun des sujets procède d’une formulation différente, ces libellés exi-
gent tous le même geste méthodologique, mais à des degrés divers cepen-
dant : l’analyse du sujet. On ne peut ainsi se lancer dans l’exercice dissertatif
sans s’arrêter longuement et profondément sur le sujet et être particulière-
ment attentif à sa formulation qui se révèle le plus souvent déterminante.
L’argumentation et l’élaboration démonstrative en dépendent absolument
dans la mesure où cette première étape doit aboutir à la mise en évidence de
la thèse défendue et étroitement suggérée par le sujet.

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Chapitre 1 Le travail préparatoire de la dissertation

En ce sens, l’analyse du sujet ne peut se contenter de balayer sommaire-


ment les libellés, en particulier en ce qui concerne la troisième formulation
qui offre le plus souvent de larges citations méritant une analyse plus affirmée.
L’analyse d’un sujet de dissertation doit être une véritable explication de
texte qui emprunte parfois, au brouillon, à la méthode du commentaire de
manière à parvenir, au terme de la lecture systématique du sujet, à dégager
une thèse. Il faut, à ce titre, solliciter un certain nombre de grilles de lecture
pour parvenir à faire émerger une thèse et l’ensemble de ses présupposés. On
pourra ainsi aborder chacun des sujets, en fonction de leur libellé, selon trois
lectures possibles qui valent comme autant d’approches différentes mais
complémentaires car il s’agit à chaque fois de délimiter le sujet et de le cir-
conscrire avec netteté afin d’éviter d’emblée tout hors sujet possible :

Une lecture contextuelle du sujet


C’est la première et nécessaire lecture de tout sujet. Elle procède de la culture
générale et historique du candidat dans la mesure où il s’agit de restituer
le contexte où la thèse se développe. Les clefs contextuelles d’un sujet per-
mettent de resituer l’idée défendue par le sujet dans un débat au cœur duquel
la thèse s’articule. Toute contextualisation permet de clarifier la prise de posi-
tion et de dessiner une ligne argumentative qui viendra immanquablement
nourrir la réflexion sinon l’orienter.
Connaître le contexte historique et culturel d’un sujet permet d’éviter par-
fois de lourds contresens sur un sujet et de parvenir à trouver d’emblée une
problématisation efficace et pertinente.
Exemple : sujet n° 1 : « Le lecteur de romans » est un sujet qui paraît être,
au premier abord, sans attaches historiques. Lapidaire, sa formulation pointe
pourtant vers deux éléments historiques et culturels qu’il s’agit de mettre à
nu : en premier lieu, elle pointe vers l’exclusivité accordée à certains à la lec-
ture de romans. Cette exclusivité qui semble être ici masculine a pour ici un
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

implicite historique : on parlait avec dédain jusqu’au 18e siècle des lectrices de
romans car le roman était un genre inconséquent intellectuellement, l’expres-
sion de la galanterie féminine. La masculinisation entraine un autre implicite
historique qui fournit l’axe typologique du sujet : la lectrice est devenue un
lecteur et le roman a acquis ses lettres de noblesse intellectuelle notamment
au 19e siècle à l’âge d’or du roman avec notamment Balzac, Flaubert et Zola.

Une lecture stylistique du sujet


Cette deuxième lecture s’attache cette fois plus strictement aux sujets de littéra-
ture générale formulés avec une citation. L’approche stylistique permet en effet
d’opérer une véritable explication de texte du sujet en le considérant comme
l’objet d’un commentaire à part entière. Ainsi, parvenir à identifier autant de

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Partie 3 Composer sa dissertation

procédés littéraires et de figures de style au cœur d’une argumentation permet


d’offrir à la fois autant de pistes pertinentes pour la mise en évidence de la
thèse, autant d’éléments stylistiques qui démontrent combien l’argumentation
constitue une écriture à part entière capable de servir ladite argumentation.
L’identification d’un procédé pourra ainsi servir d’argument dans l’ana-
lyse de la thèse et montrer combien l’auteur se sert de différents éléments
textuels pour venir appuyer son propos qui se verra ainsi renforcé.
Exemple : sujet n° 2 : la réflexion de Roland Barthes, par son ampleur, jus-
tifie une analyse proprement textuelle, notamment stylistique, dans la mesure
où il convient de saisir le mouvement même de l’argumentation par les figures
de style mises en jeu. Ainsi le Roman est-il l’objet dans le propos de Roland
Barthes d’une métaphore : il est le synonyme de la mort qui devient une puis-
sance majuscule, presque fantastique, comme si cette majuscule renvoyait
à une personnification. La mort devient l’élément central de la réflexion de
Barthes puisque tout s’organise narrativement autour d’elle. Le rythme ter-
naire du mouvement explicatif que la phrase induit souligne la métamor-
phose que suppose la mort comme identité et visée ultime du récit.
Chaque roman devient donc un récit aimanté par la fin et qui implique
une lecture rétrospective où chaque événement se pare d’une fonction nar-
rative : la vie devient lisible comme un destin guidé par les dieux, le souvenir
devient un événement en soi qui s’offre à la réinterprétation d’une existence
et le temps lui-même n’est plus qu’une collection d’instants qui doivent servir
une vision plus large de l’existence. Si elle montre le rôle prépondérant de
la métaphore, l’analyse textuelle permet en dernier lieu de montrer que les
exemples du souvenir choisis par Barthes renvoient, de manière connotée,
à Marcel Proust et à l’usage qu’il fait du récit rétrospectif. L’art narratif et le
roman selon Marcel Proust sont au centre ainsi de ce sujet.

Une lecture rhétorique du sujet


Enfin la troisième et dernière lecture du sujet consiste à asseoir les analyses
contextuelles et textuelles précédentes par une saisie proprement rhétorique
du sujet. Il convient cette fois d’analyser le sujet de manière argumentative en
envisageant les articulations logiques, la disposition des arguments et l’inven-
tion démonstrative qui y sont à l’œuvre.
Le but est ainsi double : en premier lieu, une analyse des fonctionnements
rhétoriques et de l’arsenal argumentatif permettra de mettre en évidence la
thèse et ses assises intellectuelles. Mais, en second lieu, une telle analyse doit
permettre de mettre en évidence les arguments attaqués explicitement et
implicitement : l’analyse rhétorique s’oriente déjà vers le déploiement de la
réfutation et de la contre-argumentation pour permettre au propos de trouver
sa résonance démonstrative.

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Chapitre 1 Le travail préparatoire de la dissertation

Exemple : sujet n° 3 : la question posée ouvre immédiatement à un certain


nombre de présupposés argumentatifs que l’analyse doit mettre en lumière
afin de pouvoir articuler le raisonnement et laisser apercevoir ce qui per-
mettra de construire la réfutation ou tout du moins de nuancer ladite thèse.
La thèse est mise en évidence en envisageant le sujet comme une proposi-
tion affirmative : le roman n’est l’histoire que d’un personnage. Ceci signifie
que le roman ne doit s’appréhender en vérité que comme le récit des aven-
tures du personnage qui en constitue l’identité même. Un roman ne raconte-
rait alors qu’une histoire et ne vaudrait que pour cette histoire. Ce serait à la
fois donc son identité, sa valeur et son unique intérêt. Le modèle de ce type de
proposition critique relève là encore du roman du 19e siècle appartenant au
mouvement littéraire dit réaliste ou encore naturaliste qui consiste, en affir-
mant dès le titre le nom et prénom du personnage et en construisant son
récit sur le trajet biographique du personnage comme, par exemple, Eugénie
Grandet d’Honoré de Balzac.
Cependant, saisir ce premier aspect du sujet doit conjointement se faire
avec la mise en évidence de la thèse implicitement attaquée dans le sujet : si
la question posée ici offre une vision réaliste du roman uniquement construit
sur un personnage, il convient de dégager la thèse incidemment attaquée ou
tout du moins invalidée pour manque de pertinence. Cette thèse, moderne,
soutient au contraire que le roman n’est pas l’écriture d’une histoire guidée
par un personnage mais bien plutôt l’histoire d’une écriture. Soutenir que
le roman ne vaut que pour les aventures d’un personnage revient à omettre
la part d’écriture et d’attention de l’écrivain pour la forme : l’écriture n’est
jamais transparente, elle fait l’objet d’une attention soutenue et peut, notam-
ment dans le mouvement littéraire du « Nouveau Roman » des années 1950,
devenir l’enjeu même du récit. Le personnage perd notamment son identité
et n’est plus guidé par aucune histoire aisément lisible, et cela au profit d’une
attention délibérément portée sur la forme du récit : l’écriture devient un
actant à part entière du récit soulignant la difficulté de tout créateur devant
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

son œuvre.

Le tableau synoptique de la thèse défendue et la thèse combattue


Au terme de cette lecture rhétorique qui vient prolonger et asseoir les ana-
lyses des lectures historique et stylistique précédemment menées, il convient
au brouillon d’inventorier, comme un point d’étape, l’ensemble des argu-
ments et contre-arguments mis en lumière. On privilégiera la mise au net
synthétique de ces trois lectures sous la forme d’un tableau synoptique
divisé en deux colonnes : la première, de gauche, retrace les idées-arguments
majeures de la thèse ; la seconde, à droite, les idées-arguments de la thèse
attaquée.

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Partie 3 Composer sa dissertation

En voici un exemple à partir du sujet n° 1 :

Thèse défendue Thèse attaquée


Un roman Un roman ne se limite pas à une histoire :
n’est que l’histoire d’un personnage il va au-delà de l’histoire contée
Écriture d’une aventure Aventure d’une écriture
Privilège accordé à la succession Privilège accordé à l’écriture qui devient
des aventures : on ne lit un roman l’enjeu premier du récit : l’écriture est
que pour connaître l’histoire. un actant dont on suit le processus créatif.
Modèle historique Modèle historique
le roman réaliste du 19e siècle construit Le « Nouveau Roman » des années 1950
sur le parcours biographique construit sur les aventures formelles
d’un protagoniste du récit
Réflexion de Jean Ricardou

Ce tableau synoptique offre ainsi en un coup d’œil à la fois la thèse


défendue, ses idées-arguments et ses présupposés historiques mais aussi la
thèse attaquée implicitement, et révèle la part polémique du sujet lui-même
puisque tout sujet de dissertation s’inscrit dans un débat qu’il s’agit de systé-
matiquement contextualiser.
Cet important travail d’analyse argumentatif au brouillon ne doit cepen-
dant pas s’achever ici : mettre en lumière la thèse attaquée ne fournit abso-
lument pas la réfutation sur laquelle peut s’établir la deuxième partie de la
dissertation qui doit toujours ouvrir la discussion et la remise en cause des
éléments interrogés dans le premier mouvement réflexif. De fait, exposer
comme ici la thèse attaquée permet de venir nourrir le propos pour montrer
dans la mise en évidence de la thèse de quoi cette dernière se nourrit, com-
ment elle s’élabore et contre quelle vision historiquement déterminée elle agit
et réagit.
Un tel tableau fournit l’étape première dans la saisie argumentative des
fondements du sujet et permet également de servir de levier méthodologique
pour l’étape suivante : la recherche des arguments pour venir nourrir la dis-
cussion même.

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Chapitre

Comment construire 2
sa dissertation ?
Tout mouvement dissertatif doit se construire, dès le brouillon, comme
un véritable débat dans lequel il s’agit de fournir des arguments permettant
de réagir face à une thèse défendue. Le modèle même de la discussion qui fonde
la dissertation impose ainsi dans la préparation du brouillon de rechercher
des arguments qui doivent s’articuler en deux temps distincts à la thèse avancée :
– Le premier temps de la recherche des arguments doit s’orienter, tout
d’abord, vers la réfutation.
– Le second temps est consacré, une fois la réfutation mise au net, à la recherche
d’une reformulation de la thèse initiale.

PLAN

1 La réfutation de la thèse
2 La reformulation de la thèse
3 La recherche des exemples
4 La recherche de la problématique
5 Élaborer l’introduction et la conclusion de la dissertation
6 Méthode de la conclusion
7 Rédiger sa dissertation
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E
n ce sens, d’emblée, le brouillon ne part pas à l’aventure mais procède avec
rigueur à la formulation du plan tripartite et de son mouvement démonstratif
répondant de la synchorèse (voir p.  62), à savoir ce raisonnement en trois
temps qui affirme une thèse, vient la nuancer puis, dans un dernier moment, en
vient à la reformuler selon les contradictions soulevées.
Il s’agit avant toute chose d’éviter ici les raisonnements et, par conséquent, les
plans binaires fondés sur l’antithèse de la thèse défendue, immédiatement contredite
et niée. Il faut rester cohérent et s’orienter vers la nuance : on ne peut pas soutenir
une idée et immédiatement ensuite son contraire, sous peine d’incohérence et plus

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Partie 3 Composer sa dissertation

largement d’inconséquence. De la même manière, le mouvement dissertatif


général ne peut être résumé dans la célèbre formule « thèse – antithèse –
synthèse » dans la mesure où le dernier moment du raisonnement n’établit
en rien la synthèse des deux premiers volets du raisonnement mais cherche
au contraire à les dépasser en reformulant la thèse. Le plan dit dialectique
est donc une caricature de raisonnement qu’il s’agit d’éviter absolument en
observant les deux étapes comme suit.

1 La réfutation de la thèse
Ce deuxième moment de la recherche des idées et par conséquent du plan
doit là aussi obéir à une stricte rigueur méthodologique pour éviter toute
facilité et tout raisonnement caricatural. De fait, il s’agit ici de trouver à la
fois l’idée-directrice qui guidera la deuxième partie de la discussion et d’y
adjoindre les idées-arguments qui sauront l’appuyer comme l’étayer.
D’emblée, afin d’être féconde, la réfutation ne doit ainsi pas s’entendre
comme une stricte contre-argumentation qui contredirait pied à pied, argu-
ment par argument chacune des idées avancées dans le premier mouvement
de réflexion. La mesure doit s’imposer comme le maître mot de la recherche
des idées sous peine de sombrer dans une argumentation sans nuance qui ne
tient pas compte des subtilités et de la richesse de la formulation de la thèse.
L’antithèse doit être évitée à tout prix sous peine d’invalider toute tenta-
tive démonstrative et de réduire le propos à une somme de contradictions
indépassables.
Il ne faut ainsi pas reprendre tels quels les arguments mis en lumière dans
le tableau synoptique classé dans la colonne de la thèse attaquée. Au contraire,
il faut repartir de leur formulation pour parvenir, grâce à eux, à percevoir
quels sont les manques de la thèse avancée : il s’agit de les réarticuler dans un
propos plus large. La question à se poser pour dynamiser la recherche pour-
rait donc être la suivante : quelles sont les limites de la thèse défendue ? Il
faut toujours se représenter la dissertation comme une arène polémique au
cœur de laquelle un débat doit être aussi bien restitué qu’activé et dépassé.
Il s’agit donc de trouver les manques et les limites de la thèse, à savoir
ce qui est, intentionnellement, passé sous silence dans la formulation de la
thèse même pour les besoins de la démonstration car toute thèse est par-
tiale et donc partielle. Il faut toujours écarter certains aspects d’une question
pour mieux en défendre d’autres et imposer son point de vue de manière plus
convaincante. C’est à la mise en évidence de cette part manquante et volon-
tairement omise du raisonnement que cette étape et partant la deuxième
partie qui se met en place doit activement travailler. Il s’agit, en quelque

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Chapitre 2 Comment construire sa dissertation ?

sorte, de rééquilibrer le propos en le contrebalançant depuis ce qu’il tend


à réfuter.
On évitera donc, s’agissant par exemple du sujet n° 2, de prendre comme
idée-directrice un lapidaire : « le roman ne raconte pas l’histoire d’un person-
nage ». L’idée énoncée ici de manière affirmative et lapidaire manque parfai-
tement de subtilité et ne permet, par l’antithèse qu’elle clame au regard de
ce qui a été précédemment défendu, aucune articulation possible. Il s’agit là
d’une absence totale de réfutation : c’est une négation du sujet qui n’autorise
en aucun cas à développer plus avant. Doit être discutée la vision du roman
et sa visée narrative.
Il faut, dès lors et au contraire, tenter de privilégier autant que faire se
peut une articulation à la thèse sur le monde concessif : « le roman ne raconte
cependant pas que l’histoire d’un personnage ». Il s’agit, par l’introduction du
« cependant » de souligner d’emblée le caractère restrictif de la thèse et de sa
formulation. Un roman ne raconte ainsi pas que le trajet biographique d’un
personnage : de fait, il peut articuler une vision du monde singulière comme
formuler la critique de la société et servir à révéler une vision morale sinon
politique du monde. Enfin, le roman peut choisir délibérément de mettre de
côté l’histoire du personnage pour montrer combien l’écriture peut se révéler
être un actant et raconter le processus créatif du roman lui-même : le roman
du roman même.
On mesure ici combien les idées énoncées dans la thèse attaquée sont
réinvesties plus largement dans un souci démonstratif où elles jouent le rôle
actif du contrepoint au raisonnement premier. Elles sont autant de réponses
nuancées aux affirmations premières, et cela à la manière donc d’un débat
qui s’installe entre deux parties et deux intervenants aux vues divergentes.
La dissertation ne consiste alors pas à faire s’affronter des idées entre elles
mais à les confronter.

On obtient de la sorte une idée-directrice qui se divise elle-même en deux


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idées-arguments venant l’appuyer comme suit :

Idée-directrice de la réfutation
Le roman ne raconte cependant pas que l’histoire d’un personnage
Idée-argument 1
Le roman peut articuler une vision singulière du monde comme la critique
de la société et porter une vision morale et politique du monde
Idée-argument 2
Le roman peut choisir de mettre de côté l’histoire du personnage
pour montrer combien l’écriture peut se révéler être un actant et raconter
le processus créatif du roman lui-même

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Partie 3 Composer sa dissertation

Une fois cette étape accomplie, il convient déjà de réfléchir à des exemples
qui pourront être déployés dans la phase finale de mise au propre et d’articu-
lation du plan. Cette dernière devra être effectuée lorsque l’ultime phase de
recherche des arguments au brouillon sera accomplie, à savoir la reformula-
tion de la thèse.

2 La reformulation de la thèse
Cette dernière étape de recherche des arguments au brouillon se concentre
sur le troisième mouvement articulatoire du raisonnement à mettre en
œuvre dans la dissertation. Il s’agit ici de parvenir à la reformulation de la
thèse initiale en prenant soin d’y intégrer les nuances aperçues et dévelop-
pées dans le deuxième moment de réflexion que constitue la réfutation. On
prendra immédiatement garde à ne pas sombrer là encore dans la caricature
argumentative du plan dit dialectique qui installe toujours le troisième pan
de réflexion comme ce moment où la discussion en vient à la synthèse des
deux premiers mouvements de discussion. Reformuler la thèse ne revient
ainsi donc pas à une formulation de compromis où, après avoir pesé le pour
et le contre, la démonstration aurait à charge de réconcilier hypothétique-
ment les deux partis qui se seraient affrontés précédemment. Offrir une syn-
thèse condamne le propos à ne plus être démonstratif mais à répondre d’une
logique de la réconciliation : à aucun moment, il ne faut dans la discussion
revenir sur ce qui a été dit comme pour corriger le propos. La démonstration
doit progresser logiquement si bien que la proposition de reformulation
procède d’un souci de repositionnement du débat et de clarification de ses
termes.
En ce sens, le travail de reformulation du sujet n’entend pas amender les
termes dans lesquels la thèse a été initialement proférée mais propose, au
contraire, de réarticuler dynamiquement le propos en fonction des nuances
qui ont été apportées et ainsi de tempérer et de mesurer la formulation de la
thèse. Ce travail de reformulation doit ainsi articuler la justesse de la thèse
première en la réévaluant à l’aune des limites et manques qui exigent ainsi
une formule argumentative autre.
La question qui peut permettre d’aider à interroger l’ensemble de ce qui a
déjà pu être avancé serait : comment reformuler la thèse pour la dépasser ? Ce
double mouvement de reformulation et de dépassement de la thèse fournit la
dynamique démonstrative héritée là encore du mouvement de synchorèse à
l’œuvre dans l’élaboration dissertative : là où le deuxième moment de la réfu-
tation appelait à la concession et à la nuance, il convient ici de proposer une
alternative à la thèse : un « bien plutôt » qui succède au « cependant » de la
réfutation. Toute reformulation offre une mise en perspective du sujet.

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Chapitre 2 Comment construire sa dissertation ?

S’agissant notamment de l’exemple fourni par le sujet n° 2, l’ultime moment


de recherche des idées en passe par la reformulation qui propose, incidem-
ment, d’envisager la question évoquée sous un autre angle. Le premier mou-
vement posait que le roman n’était que l’histoire d’un personnage tandis que
la réfutation conduisait à considérer que le roman ne pouvait se limiter à une
vision si étroite et qu’il ne s’agissait pas uniquement des aventures d’un per-
sonnage mais que le roman pouvait s’appréhender également comme l’écri-
ture d’une aventure ou encore comme une critique de la société.
Cette dernière étape du raisonnement doit conduire à la mise en lumière
de l’idée-directrice selon laquelle le roman se présente comme une puissance
plurielle, polysémique et polymorphe qui, parce qu’il est un genre impur ou
hyper-genre, offre différentes saisies possibles. Une première idée-argument
pourrait ainsi affirmer combien le roman est une puissance formelle qui peut
faire tenir à égalité toutes les visées : se concentrer sur le personnage et l’écri-
ture n’est pas antinomique puisque l’un ne peut pas aller sans l’autre. Enfin, la
seconde idée-argument tend à mettre en lumière non la visée de l’auteur mais
le désir du lecteur qui est l’auteur second du roman et trouve ce qu’il veut y
chercher, dans une visée à la fois éthique et morale.

Idée-directrice de la reformulation
Le roman se présente comme une puissance plurielle,
polysémique et polymorphe qui offre différentes lectures possibles
Idée-argument 1
Le roman est une puissance formelle qui peut faire tenir à égalité toutes les visées :
personnage et écriture ne sont pas antinomiques
Idée-argument 2
Le lecteur de roman apparaît comme un auteur secondant l’auteur
et choisissant moralement et éthiquement la visée qu’il souhaite voir
à l’œuvre dans le récit
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La reformulation consiste ici bel et bien en une mise en perspective


nuancée de la thèse qui se voit conjointement élargie et approfondie dans son
questionnement.

3 La recherche des exemples


Vient enfin le dernier moment au brouillon de la réflexion dissertative : la
recherche des exemples. Loin d’être une étape anodine, la mise en évidence
des exemples fournit une large part du travail préparatoire dans la mesure où,
dans la dissertation, l’exemple occupe une double fonction :

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Partie 3 Composer sa dissertation

– L’exemple fonctionne toujours comme une preuve au regard de l’idée-


argument. Il ne s’agit pas ici d’illustrer uniquement mais de démontrer à
chaque fois combien l’idée défendue est fondée et justifiée dans la construc-
tion démonstrative de l’ensemble du propos. Un argument ne prouvera
ainsi jamais sa pertinence en lui-même mais uniquement s’il trouve à être
illustré par un exemple qui, à la fois, le fait vivre et permet d’en prolonger
et d’en relancer le questionnement.
– L’exemple doit enfin toujours avoir une valeur argumentative. En ce
sens, présenter un exemple ne consiste pas uniquement à offrir, notam-
ment, le résumé d’un roman ou l’argument d’une pièce de théâtre. À cette
nécessaire mais brève présentation doit s’adjoindre un commentaire qui
articule l’exemple à l’idée-argument devant y être appliquée et exempli-
fiée. L’exemple devient un pivot argumentatif essentiel et fondateur : il
nourrit la réflexion et relance la discussion.
Deux critères permettent ensuite de sélectionner l’exemple au cœur
d’une culture littéraire qui se doit d’être riche et ouverte :
– L’exemple se doit toujours d’être le plus précis possible. Un exemple
vague ne sera jamais convaincant car plus il est détaillé, plus il permet
d’entrer plus avant dans l’argument et d’asseoir plus globalement le rai-
sonnement. On prendra ainsi soin de n’évoquer que des œuvres connues
de soi et ne pas procéder par approximations. Un exemple dans un
raisonnement dissertatif doit toujours indiquer le titre de l’œuvre, son
auteur, en porter l’argument actantiel, sa contextualisation et y adjoindre
ensuite une articulation qui étaye le propos en analysant le texte
précisément.
– L’exemple doit toujours faire l’objet d’un développement conséquent.
Il ne s’agit ni d’une brève allusion ni d’une référence implicite et décora-
tive. L’exemple doit faire l’objet d’un traitement scientifique à part entière.
Sans qu’il soit pour autant disproportionné au regard de l’idée-argument,
l’exemple doit pouvoir se faire l’exposé de l’ensemble des traits pertinents
et logiques qui le rattache à ladite idée à démontrer.

Voici s’agissant du sujet n° 2 une recherche d’exemples concernant la réfu-


tation de la thèse :
Les exemples sollicités ici doivent impérativement à l’idée-directrice selon
laquelle le roman ne répond pas uniquement de l’histoire d’un personnage.
Il faudra donc chercher des exemples qui, s’ils comportent des personnages,
mettent délibérément l’accent sur d’autres aspects revendiqués par leurs
auteurs.

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Chapitre 2 Comment construire sa dissertation ?

Idée-directrice de la réfutation
Le roman ne raconte cependant pas que l’histoire d’un personnage
Idée-argument 1
Le roman peut articuler une vision singulière du monde comme la critique
de la société et porter une vision morale et politique du monde

Exemple
La Condition humaine d’André Malraux (1933)
L’auteur y défend une vision humaniste de l’homme : l’histoire se fait l’expression
d’une vision du monde dont chaque personnage devient l’allégorie
Idée-argument 2
Le roman peut choisir de mettre de côté l’histoire du personnage
pour montrer combien l’écriture peut se révéler être un actant et raconter
le processus créatif du roman lui-même

Exemple
Les Faux-Monnayeurs d’André Gide (1925)
L’auteur met en scène le personnage d’Edouard X…, romancier qui cherche à écrire
un roman intitulé Les Faux-Monnayeurs et met en scène les affres de la création

4 La recherche de la problématique
On saisit combien, parvenu au terme du travail préparatoire du brouillon, à la
différence du commentaire, la dissertation ne nécessite aucune étape sup-
plémentaire de composition du plan. En effet, si le cheminement méthodo-
logique est scrupuleusement respecté, le plan en trois parties s’est imposé de
lui-même dans ses articulations logiques et sa visée démonstrative. Expliquer
la thèse, la nuancer et la reformuler fournissent ainsi les trois grandes parties
de la dissertation qui, néanmoins, nécessitent une problématisation générale
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

qui ne peut surgir qu’à la fin du travail.


La problématique de la dissertation opère toujours comme une mise en
perspective des enjeux notamment génériques qui se dessinent à l’horizon
du sujet. Elle ouvre à un questionnement qui permet à l’ensemble du rai-
sonnement de se déployer et de trouver son ampleur argumentative. Elle se
présentera toujours sous la forme d’une question qui met en exergue sa capa-
cité à construire a posteriori le raisonnement comme son incidente réponse
articulée en trois moments.
Aux trois types de formulations vus plus haut correspondent des degrés
différents de recherche de la problématique. Pour le sujet qui se propose
comme une phrase nominale, il faut impérativement articuler une question

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Partie 3 Composer sa dissertation

permettant ainsi de mieux saisir les enjeux implicites. Par exemple, le sujet
n° 1 portant sur « Le lecteur de romans » peut mettre en œuvre une probléma-
tisation prenant la forme interrogative suivante : quels sont les buts recher-
chés par un lecteur de romans ?
De manière radicalement différente, la deuxième formulation qui procède
par interrogation offre déjà une qualité de questionnement qu’il ne faut pas
redoubler mais qu’il s’agit, d’emblée, de réarticuler. Répéter la question posée
comme problématique ne suffit donc pas pour espérer construire sa réflexion.
S’agissant ainsi du sujet n° 2 sur le roman ne dépeignant que le parcours du
personnage, il ne convient pas d’en reproduire la question : il s’agit de l’enri-
chir d’une problématisation. On proposera bien plutôt : peut-on considérer
que le roman se limite à présenter les aventures d’un personnage ? Ne peut-on
y voir d’autres visées aussi bien formelles que morales ?
Enfin, de manière semblable, la troisième et dernière formulation exige
une problématisation qui, à son tour, ne saurait s’imposer qu’au terme de
l’analyse du sujet, de ses lectures successives et enfin de la recherche argu-
mentative. La problématisation se révèle ici hautement indispensable dans
la mesure où la citation exige absolument d’être mise en intrigue par une
question qui, à la fois, délimite sans attendre le sujet et le dynamise dans une
perspective démonstrative. Ainsi le sujet n° 3 proposant une réflexion de
Barthes ouvre-t-il sur une problématisation qui cherche à articuler et dyna-
miser les liens entre le roman et la lecture rétrospective des événements qu’il
raconte. On aurait donc la problématique suivante : en quoi la réflexion de
Barthes propose-t-elle de faire de tout roman un récit qui installe de tout évé-
nement une lecture à la fois rétrospective et obligatoirement utilitariste ? En
ce sens, le roman répond-il toujours infailliblement d’une logique narrative
fonctionnelle ?
Une fois la problématisation fixée, on peut classer selon chaque partie les
idées-directrices et les idées-arguments afférentes dans un schéma argu-
mentatif global qui permet d’avoir une vue synthétique. Au nombre de
trois pour chacune des parties, ces schémas permettent d’avoir une vision
claire et efficace de ce qui doit être rédigé au propre. On prendra soin
d’articuler, enfin, chacune des parties à l’aide d’une conclusion-transition
finale qui, comme son intitulé l’indique, rassemble à la fois les fruits de la
réflexion et permet d’introduire tout en l’articulant le reste de la démons-
tration à venir.

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Chapitre 2 Comment construire sa dissertation ?

Voici ainsi le schéma argumentatif à établir au brouillon pour chaque


partie :

Idée
Définition
directrice

Car

Tout d’abord Ensuite


En définitive
Idée-argument 1 Idée-argument 2
Exemple Exemple Idée directrice
sous la forme sous la forme Idée de la partie
d’une citation d’une citation directrice suivante
Commentaire Commentaire
de l’exemple de l’exemple

5 Élaborer l’introduction et la conclusion de la dissertation


Une fois le développement mis en place et articulé selon la synchorèse rhéto-
rique, et avant de se lancer dans la rédaction définitive, il faut rédiger intro-
duction et conclusion de façon à aborder de manière solide la dissertation.

5.1. L’introduction de la dissertation


L’introduction s’impose comme l’un des éléments clefs du devoir : elle ins-
talle d’emblée l’ensemble des enjeux et permet de fournir un aperçu des capa-
cités dissertatives du candidat. Il doit y montrer sans attendre son sens de la
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

construction argumentative, son souci de l’exactitude et de la rigueur et sa


capacité à problématiser à partir d’un sujet donné.
Toute introduction consiste alors en un paragraphe d’une trentaine de
lignes qui déploie les axes du développement et ouvre à la discussion qui
nourrira le devoir.

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Partie 3 Composer sa dissertation

L’introduction se décompose ainsi en cinq étapes majeures :

1. Présentation, délimitation et contextualisation du débat


Cette première étape consiste à présenter le sujet en le circonscrivant et en le plaçant
dans les termes d’un débat. Il s’agit ainsi d’en contextualiser les termes de manière
à ce que le sujet soit d’ emblée articulé avec des enjeux aussi bien esthétiques
qu’historiques. Une telle présentation doit éviter le piège de la généralité et ne
pas recourir à des formules vagues qui découragent immédiatement toute lecture
comme « De tout temps, les hommes ont écrit des romans ».
Il convient donc d’attaquer sur une contextualisation culturelle précise qui, par
exemple, s’agissant du sujet n° 3 invitant à discuter une réflexion de Roland
Barthes, nécessite de situer avec précision le débat. On pourra de la sorte
ouvrir par une formule telle que : « En 1953, dans Le Degré zéro de l’écriture, son
premier essai appelé à connaître un retentissement critique sans précédent, le
jeune Roland Barthes se propose de saisir ce qui fait le trait textuel essentiel du
roman en défendant une vision aussi radicale que neuve de l’art d’écrire. »

2. Présentation du sujet
Il s’agit de présenter ici immédiatement le sujet lorsqu’il prend notamment
la forme d’une citation qui doit être restituée. Si la citation excède plus de
trois lignes, on prendra en revanche soin d’en sélectionner les passages les plus
déterminants mis en exergue lors des analyses au brouillon et d’en offrir ainsi un
aperçu significatif.

3. Présentation de la problématique sous la forme d’une question


La problématique doit toujours prendre la forme d’une question à laquelle
en fait l’intégralité du devoir répond en trois parties distinctes. La question
problématique permet en effet de mettre en intrigue le propos et de lui offrir la
dynamique argumentative nécessaire. Tout sujet doit s’inscrire dans un débat
et une discussion que la problématisation initiale se doit d’articuler.

4. Explication de la problématique
Il s’agit ici de prolonger sans attendre les questionnements soulevés par la
problématique et, au besoin, d’apporter un éclaircissement notamment sur des
enjeux techniques qui s’y dévoileraient. On prendra toujours soin de les définir
autant que faire se peut de manière à proposer une introduction à la fois complète
et prospective.

5. Annonce du plan
L’introduction se clôt sur cette ultime étape majeure car elle procède de la
présentation et de l’explication de la problématique. L’annonce du plan permet
de construire la lisibilité du propos et de dévoiler les choix argumentatifs de la
démonstration en insistant sur les chevilles argumentatives. On ne peut offrir
un devoir sans annonce du plan : il sert de guide et de repère pour la lecture.

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Chapitre 2 Comment construire sa dissertation ?

6 Méthode de la conclusion
Au contraire de l’introduction, la conclusion s’impose comme un para-
graphe à la fois plus bref et plus énergique. Si l’écriture doit en être soignée
puisque ce seront les dernières phrases du devoir lues par le correcteur, elle
doit également rassembler l’essentiel du raisonnement pour en retracer, briè-
vement, le chemin et ouvrir sur des questions autres.
Répondant généralement d’une dizaine de lignes au maximum, la conclu-
sion dissertative se distingue par trois étapes majeures :

1. La synthèse argumentative du devoir


La conclusion offre de manière synthétique une récapitulation du propos
formulé dans ses grandes lignes. Il apparaît évidemment vain ici de résumer
l’ensemble du devoir car la force d’une conclusion vient de sa brièveté et de son
efficacité. La conclusion prendra cependant soin d’accentuer les articulations
logiques de la synchorèse pour bien en faire saisir le mouvement et démontrer
ainsi encore que le plan dialectique ne prévaut pas ici.

2. La réponse à la problématique
Déployée dès l’introduction sous la forme d’une question, la problématique
trouve enfin ici sa réponse. Il s’agit donc après avoir redéployé la synchorèse
d’en justifier le mouvement concessif et nuancé par une réponse claire au
débat posé en ouverture du devoir.

3. L’ouverture finale
Il s’agit de terminer la dissertation en en relançant le questionnement au
moyen d’une ouverture dont la vocation première est d’élargir le propos. On
pourra envisager trois manières de clôturer son propos en l’élargissant afin
de souligner la richesse culturelle mise en œuvre et à souligner incidemment
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

combien le sujet est riche de perspectives critiques.


La première ouverture consiste à convoquer une autre œuvre critique de l’auteur
soumis au questionnement sous la forme de citation. La deuxième relance
possible du questionnement peut se faire également en convoquant un autre
genre ou un autre problème générique qui aurait pu être évoqué lors du devoir
et réclamerait un devoir en soi. La troisième et ultime ouverture s’intéresse,
quant à elle, à la formulation d’une citation d’un auteur qui se rapproche des
préoccupations du devoir.

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Partie 3 Composer sa dissertation

7 Rédiger sa dissertation
Comme toute épreuve écrite littéraire, le soin apporté à la rédaction demeure
fondamental et doit l’objet d’une attention soutenue.

7.1. Les règles principales de rédaction sont au nombre de cinq :

Soigner la mise en page


La première concerne la présentation et la mise en page de la dissertation.
Nombre de dissertations présentent leur développement d’un bloc impavide
qui ne permet pas de cerner au premier coup d’œil les différentes parties et
chacune des sous-parties. Or la présentation d’un devoir doit s’imposer en
premier lieu par la typographie. À ce titre, les sauts de lignes entre les parties
et les paragraphes constituent une absolue nécessité à la fois visuelle et intel-
lectuelle pour permettre au lecteur un repérage aisé des différentes articula-
tions. On choisira le système suivant pour plus de commodité :
– des alinéas chaque fois que l’on débute une nouvelle étape du développement
d’une partie, à savoir lorsque l’on passe de l’idée-directrice et de sa définition
à la formulation de l’idée-argument, puis de l’idée-argument à l’exemple et à
son commentaire et enfin pour marquer le changement de sous-partie ;
– on choisira de procéder à un saut de ligne chaque fois qu’il s’agit de passer
d’une sous-partie à sa transition afin de la mettre en valeur ;
– on choisira enfin de placer trois astérisques entre l’introduction et la
première sous-partie et ensuite entre chaque sous-partie et finalement
avant la conclusion de manière à bien délimiter chaque grande étape du
commentaire.

Privilégier des phrases brèves


Pour vous assurer d’une parfaite maîtrise syntaxique sans nourrir votre dis-
sertation de faute de grammaire, il est conseillé de privilégier dans votre
rédaction des phrases plutôt brèves. Claires et souvent plus percutantes, ces
phrases assurent une efficacité qui permet à votre propos d’être encore plus
convaincant sans se perdre parfois dans des phrases parfois méandreuses qui
délitent l’argumentation.

Employer un vocabulaire concis


À ce titre également, ne multipliez pas les termes complexes : ils ne valent pas
pour un argument. Vous devez pour chaque procédé employé ou terme cri-
tique mis en lumière en proposer la définition de manière à rendre votre propos

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Chapitre 2 Comment construire sa dissertation ?

toujours fluide et didactique. C’est pourquoi vous ne devez jamais pratiquer de


sous-entendus ou évoquer un certain nombre d’éléments de manière implicite :
vous devez toujours faire comme si votre lecteur ne connaissait absolument
rien du débat que vous évoquez. Vous avez à charge de l’expliquer, c’est-à-dire
d’en déplier toutes les subtilités, les ramifications polémiques afin qu’au terme
de la lecture de votre dissertation, le débat critique auquel votre propos entend
prendre part n’ait plus aucun secret pour votre lecteur.

Introduire les exemples


Enfin, rappelons une nouvelle fois ici qu’il est important d’introduire chaque
exemple et chaque citation de manière rédigée en variant les formules.
L’élégance du propos ainsi que la fluidité de la démonstration s’en trouveront
naturellement renforcées. S’agissant des citations elles-mêmes, veillez à ne
citer que des phrases n’excédant pas trois lignes maximum dans votre devoir
afin de ne pas diluer votre propos et perdre le lecteur.

Éviter les plans apparents


Si les titres des différentes parties peuvent apparaître au brouillon afin de faci-
liter votre repérage, il est en revanche formellement déconseillé sinon interdit
de les faire figurer sur la copie à la manière d’un plan détaillé dont chaque
partie serait explicitée par sa rédaction. Vous devez recourir à une expression
claire et efficace qui vous assure à la lecture de votre idée-directrice la compré-
hension immédiate par le lecteur de vos différentes parties puis sous-parties.
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Chapitre

Disserter 3
sur le roman
PLAN

1 Dissertation n° 1
2 De l’analyse du sujet à l’élaboration du plan
3 Dissertation n° 2
4 Dissertation n° 3

1 Dissertation n° 1

Un critique contemporain, Albert Beghin, remarquant que l’on dit volontiers d’un roman que
« c’est comme dans la vie », affirme que « les personnages d’une œuvre ne ressemblent pas
davantage à la réalité qu’à des habitants d’un songe ». ●

2 De l’analyse du sujet à l’élaboration du plan


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2.1. Lecture contextuelle du sujet


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Rien ne spécifie un genre littéraire particulier dans ce sujet. Le terme employé est Ressource
vaste, « œuvre », pouvant se rapporter au roman comme au théâtre, voire à la poésie, numérique
si l’on considère qu’un recueil construit tout autant une figure de l’écrivain – le « je » Textes
de Gaspard de la Nuit (1842), par exemple, qui n’est pas simplement celui d’Aloysius supplémentaires

Bertrand, ou cette identité d’outre-tombe dans le « journal d’une âme » que sont
Les Contemplations (1856) pour Victor Hugo. Les exemples pourront donc être
empruntés à l’ensemble du champ littéraire, sans distinction de siècle ou de genre,
quand bien même la première partie de l’énoncé désignait le roman (c’est pourquoi
il sera admis que la majorité des exemples fassent référence à des romans). De fait la
notion pivot est davantage ici celle de personnage.

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Partie 3 Composer sa dissertation

2.2. Lecture stylistique du sujet


La citation articule deux modes d’énonciation :
– le jugement général que porte le public (« on »), la communauté des lec-
teurs, sur une œuvre, une affirmation sans nuance et essentialiste (« c’est
comme dans la vie »)
– et son renversement critique : non, ce n’est pas comme dans la vie, rétorque
Albert Beghin, « les personnages d’une œuvre ne ressemblent pas davan-
tage à la réalité qu’à des habitants d’un songe », soit ni à l’un ni à l’autre.
L’énoncé, dans sa seconde partie, repose sur une énonciation disjonctive,
un « ni l’un ni l’autre », ni ressembler à la réalité ni ressembler aux habitants
d’un songe.
Dès la lecture stylistique du sujet apparaît la nécessité, pour élaborer le
problème sur lequel reposeront plan et développement, de ne pas réduire arti-
ficiellement cette disjonction, énoncée comme constitutive de la définition du
personnage, voire de l’œuvre littéraire.

2.3. Lecture rhétorique du sujet


La citation offre donc un contrepoint sur une opinion courante, un resserre-
ment du point de vue, articulant un paradoxe quant à la notion de person-
nage (et par extension quant à la notion de fiction). Une figure construite par
une œuvre (i.e. le personnage) est prise dans un entre-deux, entre réalisme
concerté et fiction consciente. C’est dans ce nœud que peut être compris le
sens de la citation et c’est à partir de lui que pourra être élaboré l’axe argu-
mentatif de la dissertation, le déployant sans totalement le réduire : l’effet de
réalité des personnages (que constate tout lecteur, comme le souligne la pre-
mière partie de la citation) naît de la maîtrise de la fiction (ce que le critique
peut démontrer).

2.4. Recherche des arguments


Il semble ici totalement vain de tenter de réfuter l’idée selon laquelle le per-
sonnage d’une œuvre ne serait pas construit dans un pli entre réel et fiction :
– qu’il s’agisse de son élaboration par l’écrivain quand il s’inspire de per-
sonnes réelles, de personnages attestés de l’Histoire, voire de l’actualité ;
quand il construit des types comme ont pu le faire Balzac ou Zola ; quand il
offre aux lecteurs non pas seulement une surface de projection ou d’iden-
tification mais un « miroir », ce terme complexe par lequel Stendhal définit
le roman dans Le Rouge et le Noir (1830), « ce miroir qu’on promène le
long d’un chemin », soit l’image et reflet du réel, non le réel dans une stricte
mimesis.

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Chapitre 3 Disserter sur le roman

☛ Attention ! D’ailleurs la petite ville de Verrières, présentée comme réelle


dans les premières pages du livre, est une invention de l’auteur – une apostille
finale au roman le précise, elle est l’image de toute petite ville de province. Et
si Julien Sorel est inspiré de deux protagonistes de faits divers, dont Stendhal a
lu l’histoire dans les journaux du temps (Antoine Berthet et Adrien Lafargue),
il n’en demeure pas moins une création stendhalienne.
– Qu’il s’agisse de la réception de l’œuvre par un lecteur : tout lecteur sait per-
tinemment que lorsqu’il lit la Vie de Rancé sous la plume de Chateaubriand
(1844), celle de Rimbaud le fils chez Pierre Michon (1991) ou celle de Nico,
chanteuse du Velvet Undergroud, dans Vous n’étiez pas là d’Alban Lefranc
(2009), il n’en tient pas moins un livre dans ses mains et que tout ce qui
est écrit du personnage n’est pas frappé du sceau de l’authenticité ; Le lec-
teur sait que François Ier dans Le Roi s’amuse de Victor Hugo (1832) est
un personnage textuel, en attente de son interprétation par un comédien,
puis incarné sur scène par un acteur qui donnera l’illusion d’être Le Cid ou
Roberto Zucco dans une autre représentation.
De fait, le personnage est par essence au croisement du vrai et du faux, du
réel et de la fiction, d’autant plus vrai qu’il est faux.
L’œuvre n’est pas la reproduction mimétique de la vie : quand Zola écrit
dans la préface de L’Assommoir (1877) que ce livre est « le premier roman sur
le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple », cette vérité passe par
la fiction, les personnages du cycle romanesque des Rougon-Macquart ont
beau être inspirés d’êtres réels (on sait le soin documentaire que Zola portait
à la préparation de ses romans), ils n’en demeurent pas moins fictionnels ;
Colette Becker commentant le dossier préparatoire de L’Assommoir souligne
que s’il comporte 962 pages dont 453 de documents,
Zola ne se veut pas l’esclave de cette documentation. (….) Chez lui, la
fiction l’emporte toujours sur la mimesis.
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Étienne n’est pas mineur, il est la représentation complexe d’un groupe


social, d’un contexte historique et politique. C’est d’ailleurs ce qu’induit la
suite de la citation d’Albert Beghin (qui a été coupée dans l’énoncé), « la
Clytemnestre d’Eschyle, Don Quichotte […] sont “vrais” parce qu’ils ne sont
pas comme nous, pauvres êtres sans valeur exemplaire et symbolique ». Balzac
l’écrit dans Le Chef-d’œuvre inconnu (1831) :

La mission de l’art n’est pas de copier la nature mais de l’exprimer.

Comme le note Christine Montalbetti dans son étude de la notion de per-


sonnage (Le Personnage, G/F, 2003), nous ne saurons jamais « à quoi ressem-
blait le grand-oncle d’Emma Bovary » ou si le narrateur de La Télévision de

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Partie 3 Composer sa dissertation

Jean-Philippe Toussaint (1997) finira par écrire son livre sur Le Titien. Les
personnages, plus encore que les êtres vivants, nous sont présentés depuis
des pans de passé inconnus et leur avenir demeure bien souvent inexpliqué,
« l’ontologie des mondes fictionnels » n’est pas celle de nos existences, elle
est caractérisée par une incomplétude fondamentale, volontaire et constitu-
tive. Si l’on se réfère aux personnages reparaissants de Balzac, force est de
constater qu’il est rare, pour un lecteur, de connaître aussi bien la vie fiction-
nelle d’un personnage que celle d’Eugène de Rastignac, par exemple, que l’on
voit évoluer au cours de son existence, de sa découverte de la capitale depuis
la pension Vauquer dans Le Père Goriot (1835) jusqu’à son assomption poli-
tique (il deviendra ministre, comte et pair de France).
Pour autant, cette vie tissée par l’ensemble de la Comédie Humaine demeure
lacunaire, trouée, parfois contradictoire, elle est romanesque et non réelle.
Comme l’écrit Thomas Pavel dans Univers de la fiction (Seuil, 1998), le texte
littéraire, même aussi tentaculaire que celui de Balzac, ne rend compte que
d’une partie de l’univers fictionnel qu’il postule, « les textes réels ne sont que des
représentations fragmentaires de leurs Magna Opera ». Pour autant le lecteur a
l’illusion de connaître la vie de Rastignac, celle de Julien Sorel dans le Rouge et le
Noir ou ce qui a fait de Rimbaud un voyant chez Pierre Michon. Là est la force
de la fiction : nous faire croire à l’hypothèse qu’est le personnage, véritable fil
conducteur de l’œuvre, celui qui relie tous les épisodes du roman ou les scènes
d’une pièce de théâtre, nous donner l’illusion de son existence, le temps de la
lecture. Même dans les textes qui semblent les plus réalistes le personnage n’en
demeure pas moins une fonction, une forme d’analogon, ce que Vincent Jouve
nomme l’effet-personnage (PUF, 1998) : le personnage renforce l’effet mimé-
tique, il est ce par quoi un investissement affectif du lecteur est possible. Pour
autant, cet univers réel auquel le lecteur feint de croire est une construction tex-
tuelle. On pourrait citer ici aussi bien le paradoxe énoncé par Boris Vian dans la
Préface de L’Écume des jours (1947) – « L’histoire est entièrement vraie puisque
je l’ai imaginée d’un bout à l’autre » – que celui de Régis Jauffret en ouverture
de La Ballade de Rikers Island (2014) pourtant inspiré d’un fait d’actualité ayant
défrayé la chronique, « le roman c’est la réalité augmentée ».
Un autre aspect intéressant soulevé par le sujet est celui du degré de réa-
lité du personnage : certains personnages sont créés de toute pièce par l’écri-
vain. Nulle trace dans les annales ou les registres d’État civil de Don Quichotte
(Cervantès) ou de Jacques le Fataliste (Diderot), pas plus que de Frédéric
Moreau (Flaubert). D’autres personnages semblent directement tirés de « la
vie » (pour reprendre le terme qu’Albert Beghin emploie dans la première partie
du sujet), comme Napoléon chez Stendhal, Richelieu chez Vigny ou Balzac, et
l’on pourrait lister ici nombre de protagonistes du roman historique (voir la
dissertation n° 2, p. 169 à 174). Souvent les romanciers apparient personnages
fictionnels et figures attestées : Lucien de Rubempré croise Benjamin Constant

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Chapitre 3 Disserter sur le roman

dans Illusions perdues de Balzac (1837-1843), Bonacieux dialogue (longtemps


sans le savoir) avec Richelieu dans La Jeunesse des Trois Mousquetaires, pièce de
Dumas (1844). Ces scènes se donnent à lire comme un jeu métaleptique entre
réel et fiction, la mise en abyme de l’illusion sur laquelle repose la réception de
l’œuvre littéraire : ainsi dans la fameuse scène de la bataille de Waterloo chez
Stendhal (La Chartreuse de Parme), rencontre ratée de Fabrice del Dungo avec
son héros de toujours, Napoléon, qui demeurera un songe et une fiction. Dans
un roman, une pièce de théâtre, voire un poème, c’est le nom du personnage qui
vient dire sa référentialité : Napoléon, Richelieu, Benjamin Constant ont existé
contrairement à Bonacieux, Fabrice del Dungo ou Lucien de Rubempré. Mais
en dehors de ce nom qui atteste d’une vie hors texte, les actions et discours du
personnage référentiel sont fictionnels, pris dans la trame de l’œuvre littéraire,
soumis à une représentation. Un exemple à valeur d’argument pourrait être
utilisé pour illustrer ce propos : Régis Jauffret commence Claustria (2009), récit
librement inspiré d’un fait divers (l’affaire Josef Fritzl), par un court paragraphe
énonçant que « ce livre est une œuvre de fiction », « ce livre n’est autre qu’un
roman, fruit de la création de son auteur ». L’affirmation a de quoi surprendre
alors que les principaux éléments du livre (le récit, sa durée, les protagonistes
de l’affaire, le procès du criminel) sont attestés. Mais Régis Jauffret change le
nom des victimes et situe son roman dans une uchronie (tout débute en 2055,
bien après l’affaire). Par ailleurs, comme il l’écrit, « les propos, intentions, senti-
ments ou caractères prêtés aux personnages relèvent de l’imaginaire de l’auteur.
Ils ne reflètent en aucune façon ceux de personnes existantes. Ils sont utilisés
de manière purement fictionnelle, et ne sauraient être considérés comme étant
vrais ». Cette déclaration d’intention sonne comme une mise en garde adressée
aux lecteurs, elle est aussi la formulation de la disjonction propre à toute œuvre
littéraire, entre réel et fiction, vraie parce que fausse, soit le paradoxe même que
l’énoncé de la dissertation requiert d’explorer.
Au croisement du réel et de la fiction, ni à l’image de la « vie » ni « habitant
des songes », se trouve enfin le personnage très particulier des autobiographies
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

– on sait depuis Philippe Lejeune qu’il y a alors une stricte identité auteur/
narrateur/personnage – et autofictions ou le personnage des biofictions ou
vies imaginaires : le personnage vit ou a vécu, il a une existence attestée, mais
la trame de cette vie est soumise au prisme d’une recomposition, c’est le Je
suis l’autre de Gérard Macé (2007), commentant cette altérité dans l’identité
à partir de cette phrase de Gérard de Nerval en titre, annonçant bien sûr celle
de Rimbaud, le fameux « je est un autre » (ces questions sont plus précisément
abordées dans le sujet de dissertation n° 3, p. 175 à 179).
Enfin, et l’on aborde ici le dernier point problématique soulevé par le sujet,
certains personnages ont une dimension métatextuelle. Le personnage est un
faux-semblant, « un vivant sans entrailles » comme l’écrivait Paul Valéry. Il
ne répond pas, en ce sens, à une essence vériste, il figure et incarne un certain

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Partie 3 Composer sa dissertation

nombre d’interrogations sur le statut de la fiction, le rapport au réel, selon


une large tradition du roman excentrique (Daniel Sangsue), également appelé
roman parodique, anti-roman ou méta-roman, que l’on pense à Don Quichotte
(Cervantès), au Tristram Shandy de Sterne, à Jacques le Fataliste (Diderot), au
Roi de Bohème et ses sept châteaux de Nodier, ou, plus près de nous à Si par
une nuit d’hiver d’Italo Calvino. Dans ces romans, les personnages sont de
toute évidence des questionnements du récit, la mise en abyme des tensions
de l’œuvre. Mais l’on pense également aux personnages de lecteurs de roman
(Emma Bovary en étant l’exemple canonique, mais l’on pourrait aussi citer
le Pharsamon de Diderot, lecteur de romans de chevalerie), aux personnages
d’artistes (écrivains, peintres, sculpteurs, etc.), à toutes ces formes d’un méta-
discours fictionnel qui peut passer, en partie, par le protagoniste de l’œuvre.
En somme, ces deux strates de la « vie » et du « songe », pour reprendre les
termes du sujet – le terme de « songe » n’étant pas sans rappeler le titre de la
pièce de Calderón (La Vie est un songe, 1635) – soit l’articulation du réel et
de la fiction dans la figure textuelle du personnage, ne sont pas opposables,
comme l’a d’ailleurs montré Jean-Marie Schaeffer dans Pourquoi la fiction ?
(1999) : pour le lecteur, la « situation d’immersion fictionnelle » repose sur la
présence conjointe d’une forme de projection dans l’illusion référentielle et le
savoir, (in)conscient, que tout ceci demeure une représentation. « Dans le cas
de l’immersion fictionnelle, je sais en quelque sorte par définition – c’est-à-dire
par le simple fait du contrat de feintise ludique partagée – que j’ai affaire à un
semblant ». Comme l’écrit Javier Certas dans Le Point aveugle (2016), la litté-
rature est « une supercherie consentie », « elle s’occupe de la réalité à travers la
représentation de la réalité ».

Le plan suivant peut dès alors être envisagé :

I. L’œuvre littéraire, tension entre « réalité » et « songe »


a. Entre invention et reportage, la fictionnalisation de « petits faits vrais », le réa-
lisme comme synthèse du réel.
b. Auto- et biofictions, « je est l’autre », le récit de soi comme invention.

II. Le personnage, support de « l’immersion fictionnelle »


a. Une représentation fragmentaire et symbolique de la vie
b. Le personnage, principe textuel et fil conducteur narratif

III. La littérature est une « réalité augmentée »


a. Personnages et œuvres métafictionnelles
b. La lecture, une « supercherie consentie ». ●

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Chapitre 3 Disserter sur le roman

3 Dissertation n° 2

Dans un article consacré au roman historique (Revue d’Histoire Littéraire de la


France, mars-juin 1975, p. 256-257), Claude Duchet écrit :
« Ce n’est pas l’Histoire que l’on doit chercher dans le roman, mais des détails ».
En quoi les romans historiques que vous avez étudiés vous paraissent-ils de nature
à répondre à cette définition ? ●

3.1. Étape 1 : de l’analyse du sujet à l’élaboration du plan www.armand-colin.com

Lecture contextuelle du sujet


Ressource
L’énoncé repose sur l’analyse d’un microgenre, le roman historique, apparu numérique
au début du xixe siècle en France, sous l’influence revendiquée du roman
Textes
scottien. Les sujets de dissertation proposés à l’université sont souvent liés à supplémentaires
un corpus précis, étudié en cours. Supposons ici qu’il s’agit de trois romans
historiques de la période romantique :
Cinq Mars d’Alfred de Vigny (1826), souvent considéré comme le premier
roman historique français, sous-titré Une conspiration sous Louis XIII. Dans
ce récit, Vigny place au premier plan un héros méconnu de l’Histoire, Henri
d’Effiat de Cinq-Mars, favori du roi Louis XIII, condamné à mort en 1642
pour avoir conspiré contre Richelieu.
Chronique du règne de Charles IX de Prosper Mérimée (1829), retour sur
les guerres de religion et le récit de l’année 1572, à travers la lutte de deux
frères, Bernard et Georges de Mergy, l’un protestant, l’autre converti au
catholicisme.
Enfin, La Reine Margot d’Alexandre Dumas (1845), dont on connaît l’adap-
tation cinématographique par Patrice Chéreau (1994), roman qui débute par
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

le mariage de la reine avec le futur Henri IV, union qui ne suffira pas à stopper
le bain de sang des guerres de religion, puisque la Saint-Barthélemy a lieu
quelques heures après les noces.
Ainsi le corpus déploie le genre romantique du roman historique de ses
origines (Cinq-Mars) à son évolution vers le roman de cape et d’épée et le
roman feuilleton (La Reine Margot est d’abord publié dans La Presse entre
le 25 décembre 1844 et le 5 avril 1845 ; c’est par ailleurs le premier volume
de la trilogie des Valois, suivi de La Dame de Monsoreau et Les Quarante-
Cinq). C’est un corpus pourtant homogène puisque chacun des récits repose
sur une même interrogation sur la place de la violence dans l’Histoire, sur
une réflexion quant aux origines de la Révolution française, par la confron-
tation du passé (les guerres de religion chez Mérimée et Dumas, le règne de

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Partie 3 Composer sa dissertation

Louis XIII et l’importance politique de Richelieu chez Vigny) et du présent.


L’Histoire y est un cadre distrayant comme une grille de lecture politique et
esthétique.

La difficulté du développement sera de mener conjointement l’étude


« large » d’un genre et de précises lectures conjointes des trois romans, sans
nier leurs nuances.

Lecture stylistique du sujet


La difficulté majeure de l’énoncé repose sur une notion pivot : le détail,
un terme qui a plusieurs sens. Il peut désigner un élément accessoire, de
peu d’importance (c’est le sens courant du mot) comme l’élément cen-
tral d’un ensemble, celui autour duquel se déploie le récit. C’est là son
sens littéraire et pictural, si l’on pense, en particulier, aux réflexions de
Baudelaire dans le Peintre de la vie moderne, montrant que le spectateur
du tableau est un traducteur des détails, de « l’émeute des détails », c’est
en lui qu’ils trouvent un écho. L’idée est la même chez Barthes dans son
analyse du punctum en photographie (La Chambre claire, 1980) ou chez
Daniel Arasse (Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture,
1992) : c’est le détail qui attire le regard du spectateur, c’est à lui qu’il
revient de concentrer l’intention de l’œuvre. Le détail est donc un élément
fondamental du roman, en particulier historique, en ce qu’il questionne le
rapport du réel et de la fiction.

Cette définition du détail peut-elle être retrouvée dans les trois œuvres qui
seront le socle de notre réflexion ? Cette perspective est-elle envisagée dans
les préfaces des romans de Vigny, Mérimée et Dumas, ou dans les passages
métadiscursifs des romans ?

Dans ses « Réflexions sur la vérité dans l’art », préface de Cinq-Mars, Vigny
écrit que « la grandeur d’une œuvre est dans l’ensemble des idées et des sen-
timents d’un homme, et non pas dans le genre qui leur sert de forme ». Il dit
chercher « dans les récits, des exemples », au sens d’exemplum, fait marquant,
emblème et emploie trois fois le mot « détails », pour souligner combien il
faut, pour « connaître tout le vrai de chaque siècle, être imbu profondément
de son ensemble et de ses détails ».
Mérimée souligne dans la préface de la Chronique du règne de Charles IX
l’importance du petit fait vrai et de l’anecdote, terme quasi synonyme de
« détail » dans son sens littéraire et pictural (l’anecdote est le « bref récit
d’un fait curieux, parfois historique, révélateur d’un détail signifiant »). Les

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Chapitre 3 Disserter sur le roman

anecdotes ou détails sont donc pour l’écrivain tout sauf des épisodes insigni-
fiants ou accessoires.
Dumas s’attache enfin à une fresque, campée dans ses moindres parti-
cularités. Les détails sont chez lui, comme chez Vigny ou Mérimée, liés aux
mœurs (vocabulaire, vêtements, us et coutumes, décors), l’écrivain accorde
une importance toute particulière à des faits en apparence anecdotiques,
accessoires, voire anachroniques (ces anachronismes étant, chez lui, non
pas seulement des négligences liées à une rapidité certaine de composition,
voire à un travail d’équipe, mais une manière de souligner certains faits – ils
détonnent, seront donc remarqués par le lecteur –, voire de rapprocher deux
moments historiques, le passé des guerres de religion comme miroir d’un
présent post-révolutionnaire).

Lecture rhétorique du sujet


L’énoncé semble laisser un large champ à l’analyse, via la question posée
(« vous paraissent-ils ») qui introduit un doute quant à la possible adéquation
de la citation aux romans historiques étudiés et souligne en tout cas qu’il s’agit
d’une hypothèse critique. Pourtant Claude Duchet propose bien une « défini-
tion », il cherche une essence du roman historique, énonce un paradigme qui
puisse servir de modèle cohérent et constitutif au genre. Et sa proposition,
si elle semble autoritaire (« ce que l’on doit chercher », devoir étant un verbe
d’obligation), repose cependant sur un paradoxe : ce n’est pas l’Histoire qu’il
faut chercher dans le roman historique…
Une première interrogation portera sur ce « on » au centre de l’énoncé : qui
est-il ? Est-ce le lecteur inscrit, comme dans le chapitre VIII de la Chronique
du règne de Charles IX de Mérimée, cette longue digression parodique et
métadiscursive, intitulée « Dialogue entre le lecteur et l’auteur » ? Est-ce le lec-
teur supposé (le public au sens large comme les lecteurs critiques, spécialistes
du genre) ? De fait, le roman historique est ici envisagé du côté de sa récep-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

tion. La lecture se voit définie comme une recherche, une quête d’indices (les
détails). La valeur du roman historique est dans cette recherche, non pas seu-
lement dans le divertissement qu’il propose. Cependant, peut-on envisager le
roman historique seulement sous l’angle de sa réception ? Les détails, qu’ils
soient accessoires, signifiants, anachroniques, symboliques, sont voulus par
l’écrivain. À quoi lui servent-ils ?
On pourra de ce fait se demander si ce n’est pas justement par le détail
que se différencient deux récits d’une même période, que Dumas se distingue
de Mérimée ou de Vigny dans sa représentation des guerres de religion, que
Dumas ou Mérimée impriment leur marque singulière aux personnages réfé-
rentiels ou aux faits historiques attestés. Chacun de ces romans repose sur
l’idée que l’Histoire est une trame de hasards, de coïncidences, de « détails ».

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Partie 3 Composer sa dissertation

C’est, par exemple, le goût de Charles IX pour la chasse, souligné par Mérimée
comme par Dumas, qui, via la même anecdote, la même scène soit le même
« détail », mettent en place une analogie possible entre l’animal traqué et le
« parpaillot ». Mais cette anecdote n’a pas le même poids chez les deux auteurs.
Le portrait du roi est peu fouillé chez Mérimée, il n’est pas essentiel à l’intrigue
et surtout contraire à ses principes de composition : mettre des anonymes sur
le devant de la scène. Au contraire, chez Dumas, la chasse est non seulement
révélatrice du goût pour le sang de tous les enfants de Catherine de Médicis
mais essentielle à l’intrigue : Charles est sauvé par Henri lors d’une chasse (ce
qui vaut à Henri la protection du roi), Charles ne peut s’empêcher de dérober
un livre de vénerie chez Henri et il meurt à sa place. Ainsi un « détail » explique
une mort comme un changement de dynastie. Le choix des anecdotes déter-
mine donc un certain rapport à l’Histoire et une certaine poétique du roman.
De là peut se déduire une problématique qui découle naturellement de la
mise en évidence de l’importance littéraire du « détail » comme du paradoxe
constitutif de l’énoncé : Claude Duchet, a contrario des définitions habituelles,
invite à chercher autre chose que l’Histoire dans le roman historique. Dans
cette alliance complexe et contradictoire que sont la fiction et le discours, le
respect d’une chronologie établie et la part d’invention du roman, quelle place
donner aux détails que Claude Duchet juge essentiels à la définition d’une
essence du genre du roman historique ? Les détails sont-ils ce qui fait l’His-
toire ou ce qui structure le romanesque et lui donne un sens ?

Le plan suivant peut dès alors être envisagé :

I. L’Importance de l’Histoire
D’amples tableaux et fresques. Les romans historiques mettent en scène une foule
de personnages, des temporalités larges, une multiplicité de lieux et de décors
(intimes ou extérieurs). Ce sont des reconstitutions historiques, qui brassent par ail-
leurs une multiplicité de sources, de documents (d’ailleurs exhibés aussi bien dans le
cours du roman qu’en postface de Cinq-Mars avec les « Notes et documents histo-
riques d’Alfred de Vigny »). En ce sens, les auteurs ne sont pas libres de mener leurs
intrigues à leur guise : l’action est soumise à une Histoire attestée. S’il est possible de
prendre des libertés avec elle (les épisodes de Loudun ou de La Rochelle chez Vigny
dont les dates sont déplacées), les dénouements sont inscrits, certaines péripéties
obligées, l’action des personnages comme l’intrigue sont en quelque sorte dictées
par les sources mêmes de la diégèse, une authenticité doit être respectée, du moins
une certaine vraisemblance. Le lecteur connaît l’Histoire qui va lui être contée, d’ail-
leurs il ne se prive pas de protester dans la Chronique du règne de Charles IX, au
chapitre VIII, quand il prend conscience qu’il ne croisera pas les grands personnages

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Chapitre 3 Disserter sur le roman

qu’il attend, mais, lui rétorque Mérimée, « vous les connaissez mieux que moi. Je vais
vous parler de mon ami Mergy. Ah ! Je m’aperçois que je ne trouverai pas dans votre
roman ce que j’y cherchais. Je le crains ».
En effet, « la grande route pour tout faiseur de romans » historiques n’intéresse
pas Vigny, Mérimée ou Dumas qui préfèrent les chemins de traverse et la représenta-
tion d’une autre forme d’Histoire, plus méconnue.
Vie privée et dessous de l’Histoire. On connaît le « petit cours d’Histoire » cynique
que donne Vautrin sous les traits de l’abbé Carlos Herrera à Lucien de Rubempré, à la fin
d’Illusions perdues, distinguant « deux Histoires : l’Histoire officielle, menteuse, qu’on
enseigne, l’Histoire ad usum delphini ; puis l’Histoire secrète, où sont les véritables
causes des événements, une Histoire honteuse ». Ce passage balzacien est un commen-
taire du rapport de certains écrivains de son époque à la science historique, d’un regard
qui se veut différent. Il s’agit de montrer ses dessous peu reluisants (les crimes, les bas-
sesses des Grands de ce monde, la manière dont la vie privée a pu influer sur le cours de
l’Histoire des nations), ce que cache l’histoire officielle et/ou hagiographique.

II. L’Histoire par les détails


Le petit fait vrai. Ce sont ces petits faits vrais, ces détails anecdotiques, accessoires
voire anachroniques qui font le sel de l’Histoire, pour Vigny, Mérimée ou Dumas.
C’est le procès d’Urbain Grandier dans Cinq-Mars, le poids d’un mignon du roi sur
la destinée d’une nation ; c’est la statue de la Vierge brisée lors de la révolution et
remplacée par une figure de plâtre chez Mérimée, ou une aubépine qui refleurit chez
Dumas ; c’est le cure-dents de Coligny, « parpaillot » à la chasse de Charles IX ; c’est
par des détails que Dumas reconstitue la scène des noces dans l’ouverture opératique
de La Reine Margot, le cramoisi des tentures annonçant les massacres à venir et la
Saint-Barthélemy. Ces microéléments du récit servent le pittoresque, sont l’ancrage
de la reconstitution historique, ils portent aussi la valeur d’étude de mœurs de ces
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

romans (vocabulaire, costumes, décors).


Ces détails sont en effet l’ancrage d’une lecture orientée de l’Histoire. Ils servent
la construction du sens, d’une argumentation, en particulier chez Vigny en quête
d’une cause politique et historique à la fin de la grandeur de la noblesse (et la voit
dans l’action néfaste d’un Richelieu). C’est là leur valeur politique et symbolique.
Et ils sont aussi un principe esthétique de composition. C’est par les détails incon-
grus ou violents que les romans de Vigny, Mérimée et Dumas s’inscrivent dans une
poétique du sublime propre au romantisme mais aussi que le lecteur comprend si le
rapport de l’écrivain à l’Histoire est sérieux ou ironique, direct ou oblique. Les détails
permettent donc d’articuler Histoire et fiction. Ils sont vecteur de romanesque : c’est
par eux que les romans se différencient, la fatalité s’exprime dans des détails, qui

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Partie 3 Composer sa dissertation

font sens a posteriori. En somme, ils soutiennent l’intérêt du roman historique. Si le


lecteur connaît la trame et le dénouement de l’histoire, il méconnaît l’intrigue dans
ses détails qui sont en quelque sorte l’espace d’exercice de la liberté du romancier.

III. Le détail emblème


Aucun de ces détails n’est donc anodin, bien au contraire, chacun est l’articulation
du référent et du signifiant (Barthes), au point que Pécuchet, personnage de Flaubert
qui vouait un culte à Dumas pour son sens des détails est bien désappointé quand il
découvre qu’il a été berné par l’écrivain : « Pécuchet consultait la Biographie univer-
selle – et il entreprit de réviser Dumas au point de vue de la science.
L’auteur, dans les Deux Diane, se trompe de dates. Le mariage du dauphin François
eut lieu le 15 octobre 1548, et non le 22 mars 1549. Comment sait-il (voir Le Page du Duc
de Savoie) que Catherine de Médicis, après la mort de son époux, voulait recommencer
la guerre ? Il est peu probable qu’on ait couronné le duc d’Anjou, la nuit, dans une église,
épisode qui agrémente La Dame de Montsoreau. La Reine Margot, principalement,
fourmille d’erreurs. Le duc de Nevers n’était pas absent. Il opina au Conseil avant la Saint-
Barthélemy, et Henri de Navarre ne suivit pas la procession quatre jours après. Henri
lIl ne revint pas de Pologne aussi vite. D’ailleurs, combien de rengaines ! Le miracle de
l’aubépine, le balcon de Charles IX, les gants empoisonnés de Jeanne d’Albret ; Pécuchet
n’eut plus confiance en Dumas ». C’est bien dans les détails que le lecteur cherche des
indices et vérifie la conformité du roman à l’Histoire, comme le montre ironiquement cet
extrait de Bouvard et Pécuchet (1881) qui interroge le rapport entre vérité romanesque
et authenticité historique. Si le détail est faux, Pécuchet refuse de lire.
C’est donc bien au lecteur qu’il revient d’être le traducteur des détails. La lecture
de tout roman historique se voit même définie par Claude Duchet comme une recherche,
presque policière, en tout cas indicielle, de détails. C’est ce type de lecture que mènent les
lecteurs de Vigny, Mérimée et Dumas mais aussi des écrivains eux-mêmes, compulsant les
archives pour nourrir leurs propres intrigues. Marcel Schwob l’écrira de ses Vies imaginaires
(1896), ses portraits sont construits depuis des détails signifiants, des « brisures singulières
et inimitables », toutes « ces choses » sur lesquelles sur « les histoires restent muettes ».
Mérimée l’écrivait dans la préface de sa Chronique, « je n’aime dans l’histoire que les anec-
dotes, et parmi les anecdotes je préfère celles où l’imagine trouver une peinture vraie des
mœurs et des caractères à une époque donnée ». Le verbe « imaginer » qu’emploie Mérimée
est fondamental, alors même que l’écrivain suggère chercher dans ces détails une vérité his-
torique. Là (dans le détail) est l’articulation du roman à l’histoire.
Loin d’être accessoire, le détail est donc bien un emblème, l’anecdote un exemplum.
C’est par le détail que l’Histoire est romanesque, et, de manière complémentaire, que le
roman atteint cette vérité supérieure de l’Art que Vigny définit dans la préface de Cinq-
Mars. En ce sens il est essentiel à la composition de l’œuvre comme à sa réception. ●

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Chapitre 3 Disserter sur le roman

4 Dissertation n° 3

Gilbert Gadoffre écrit à propos des Regrets (Du Bellay et le sacré, 1977) qu’il « faut
voir dans la personne qui dit je […] un masque, une création poétique dont le rôle est
de médiatiser les sensations et d’orienter un discours ».
Vous commenterez cette citation en appuyant votre démonstration sur des exemples
puisés dans des « romans du je », autobiographies et autofictions. ●

Il s’agira de produire une dissertation cette fois entièrement rédigée de


manière à saisir comment doivent s’agencer et se développer les idées.
Les différentes parties et sous-parties ne sont indiquées que pour vous
guider dans votre apprentissage. Rappelons qu’elles ne doivent pas apparaître
dans le travail rédigé.

Introduction
Le « je » d’une œuvre littéraire ne s’offre jamais dans une présence pleine et immé-
diate. Comme le souligne Gilbert Gadoffre dans un essai sur Du Bellay et le sacré,
la première personne grammaticale recouvre deux « je », le moi biographique et
« une personne qui dit je », définie par le critique comme « un masque, une création
poétique dont le rôle est de médiatiser les sensations et d’orienter un discours ». Le
terme de « masque » ici employé renvoie, dans son étymologie grecque, au théâtre,
au jeu de l’acteur, il appartient au même champ sémantique que le mot « rôle ». Le
texte autobiographique serait en ce sens un discours et non pas seulement un récit, il
n’est pas un document objectif ou une narration neutre et directe mais une construc-
tion orientée qui « médiatise », une « création poétique ». Autobiographies comme
autofictions répondraient à une poétisation du moi comme du réel ou de l’histoire,
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

selon un art du discontinu, proprement poétique et en opposition à l’art du continu


qui caractérise le romanesque, selon la distinction établie par Michel Butor dans
Répertoire II (1964). Le « je » ainsi construit et médiatisé ne serait donc plus celui
d’une identité civile et biographique mais celui d’un personnage, d’une figure, opé-
rante dans le discours, c’est ainsi qu’il « faut » la « voir » et la lire, comme l’indique
Gilbert Gadoffre. Faut-il voir dans le « je » des textes biographiques un « masque »,
supposant que la sincérité et l’objectivité ne sont pas les valeurs cardinales de ce
type de récit ? Vérité et transparence affichées ne sont-elles que des ruses ou n’est-ce
pas par une subjectivité poussée à son paroxysme et une conscience pleine des obs-
tacles inhérents à toute volonté de transparence qu’autobiographies et autofictions,
de confessions intimes, deviennent des œuvres littéraires ?

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Partie 3 Composer sa dissertation

I. Toute autobiographie fonctionne, Philippe Lejeune l’a montré, sur une stricte iden-
tité auteur/narrateur/personnage, tous désignés par le même je, et un pacte, plus
ou moins implicite, adressé au lecteur, qui pose les principes d’un récit de soi, dans une
volonté certaine de transparence. « C’est moi que je peins », déclare Montaigne dans
le paragraphe liminaire des Essais ; « Je veux montrer à mes semblables un homme
dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi », poursuit Rousseau
dans ses Confessions, pour ne citer que deux des textes canoniques du « je ». Bien sûr
ce moi se dédouble, entre moi écrivant et moi écrit, moi présent et moi passé que le
récit tente de retrouver. Pour autant, l’écriture autobiographique repose sur l’idée
que ce moi, unifiant des facettes parfois complexes voire contradictoires, peut être
saisi dans une forme d’unité.
Cependant, méfiance et soupçon sont nécessaires, comme le souligne Gadoffre :
ce je unifié serait un « masque » et une « création poétique ». Le je autobiographique
serait donc moins un pronom personnel, renvoyant à une personne réelle qu’un
statut (un masque) et une fonction, support et surface d’une création, ce qui confère
à ce « je » un statut immédiatement problématique puisqu’il va à l’encontre de la
conception traditionnelle de l’autobiographie comme de déclarations d’intentions
de beaucoup d’écrivains. Mais sans doute cette affirmation permet-elle de com-
prendre comment sont composées (dans tous les sens du terme) ces œuvres autobio-
graphiques, au-delà de leur seule fonction de transposition d’un vécu. Le terme de
« masque » ne doit pas être considéré comme dépréciatif, il induit au contraire que la
sincérité n’est pas la valeur cardinale d’une œuvre autobiographique.
Pourtant, comment justifier une telle lecture quand le narrateur-personnage est
implicitement ou explicitement identifié avec l’auteur ? « Je » désigne alors l’individu
dont le nom est indiqué sur la couverture du livre et qui est doué d’une existence
extra-textuelle. Mais, à la lumière de l’affirmation de Gadoffre, nous comprenons
que le vrai Rousseau serait celui qu’il donne lui-même à voir dans Les Confessions. En
ce sens, s’écrire reviendrait certes à se montrer sous un certain angle, mais en retrou-
vant une vérité, en allant contre les erreurs communes, en se choisissant un visage,
un profil. Le masque porté n’est plus alors synonyme de duperie ou d’hypocrisie, mais
de quête d’une identité manquée par le monde extérieur, avilie, comme l’écrivait
d’ailleurs Rousseau dans sa première Rêverie : « les voilà donc étrangers, inconnus,
nuls enfin pour moi puisqu’ils l’ont voulu. Mais moi, détaché d’eux et de tout, que
suis-je moi-même ? Voilà ce qui me reste à chercher ». Écrire Les Confessions, c’est
répondre au libelle anonyme accusant l’auteur de L’Emile ou l’éducation d’avoir
abandonné ses enfants, c’est expliquer qui l’on est : « Je n’ai rien tu de mauvais, rien
ajouté de bon ; et s’il m’est arrivé d’employer quelque ornement indifférent, ce n’a
jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire. J’ai
pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l’être, jamais ce que je savais être faux.

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Chapitre 3 Disserter sur le roman

Je me suis montré tel que je fus : méprisable et vil quand je l’ai été ; bon, généreux,
sublime, quand je l’ai été ». Et qu’après un seul dise « s’il l’ose : je fus meilleur que cet
homme-là » ! (Les Confessions). De même, dans Les Regrets, Du Bellay refusait tout
faux-semblant, tout masque qui donnerait une stature ou une grandeur à son livre
(« Et de plus braves noms ne les veux déguiser/Que de papiers journaulx, ou bien de
commentaires ») comme à son auteur (« Ton Du Bellay n’est plus : ce n’est plus qu’une
souche »). Se faisant, il ose se montrer en poète impuissant, exilé et gémissant, s’op-
posant à la figure du poète reconnu et glorieux, Ronsard. Mais composer cette image
de soi impose une distanciation et un processus de reconstruction, conscient.

Nombreuses sont les ruses, parfois inconscientes mais souvent présentes, des
auteurs pour nous donner d’eux-mêmes une vision poétisée voire idéalisée, et les
décrypter appartient au travail critique comme au plaisir de lecture de l’autobiogra-
phie. Ainsi les écrivains distinguent souvent le sujet de l’énonciation (leur je passé) du
sujet de l’énoncé (leur je présent)… Chateaubriand distingue ainsi sa tête brune de sa
tête chenue, Jean-Paul Sartre, dans Les Mots, décompose le processus d’un apprentis-
sage souvent douloureux : « J’ai changé. Je raconterai plus tard quels acides ont rongé
les transparences déformantes qui m’enveloppaient, quand et comment j’ai fait l’ap-
prentissage de la violence, découvert ma laideur – qui fut pendant longtemps mon
principe négatif, la chaux vive où l’enfant merveilleux s’est dissous – par quelle raison
je fus amené à penser systématiquement contre moi-même au point de mesurer l’évi-
dence d’une idée au déplaisir qu’elle me causait. L’illusion rétrospective est en miettes ;
martyre, salut, immortalité, tout se délabre, l’édifice tombe en ruine ».
Cependant, la citation de Gadoffre permet de mettre en lumière l’ambiguïté fon-
damentale des deux « je ». Ce n’est pas seulement le « je » passé qui est recomposé,
du fait d’oublis, de trous de mémoire, d’une nostalgie, mais aussi le « je » présent, la
figure du mémorialiste, de l’écrivain, de l’autobiographe. Ainsi lorsque Rousseau écrit
dans Les Confessions, « je veux montrer un homme dans toute la vérité de sa nature ;
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

et cet homme ce sera moi », cet homme c’est le moi passé venant expliquer le moi pré-
sent, tout est lié. Les épisodes de l’enfance, de la jeunesse et de l’âge adulte doivent
tous venir confirmer une vérité unique, des principes qui eux-mêmes illustrent une phi-
losophie, rendent un parcours cohérent. Le principe est le même dans Les Mémoires
d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir : le titre intrigue, Beauvoir n’est plus
une jeune fille, de fait le titre fonctionne comme une antiphrase : Simone de Beauvoir
décrit le processus par lequel elle s’est détachée de cette image de jeune fille rangée,
imposée par son milieu et sa famille. À la fin du livre, elle peut écrire que « cette belle
histoire qui était ma vie, elle devenait fausse à mesure que je la racontais ».
« Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple ». Le « je » inaugural des
Confessions est autant celui d’un homme que d’un écrivain. Le « je » sert de creuset

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Partie 3 Composer sa dissertation

au texte, il va l’envahir. Il s’agit bien ici d’une « entreprise », Rousseau recrée moins
son passé qu’il ne procède à une création littéraire. Le « je » n’existe que dans et par
cette écriture, cette œuvre. L’écrivain qui dit « je » compose un texte, un « je » qui le
médiatise et l’illustre et en ce sens le mot « masque » employé par Gadoffre doit être
pris dans son acception purement théâtrale. Le « je » joue un rôle, il est mis en scène : il
s’agit d’une exhibition de soi, sur une scène à la fois intime et publique. Une telle entre-
prise, qu’elle soit rousseauiste ou non, est donc inséparable d’une composition, celle
de l’œuvre comme celle du moi. L’image inaugurale et originaire informe (au sens de
« donner forme à ») le texte de bout en bout.

Le sens du terme « création poétique » se précise. De fait, toute autobiographie


répond à un genre et passe par des moments obligés, des stéréotypes narratifs, des
motifs attendus permettant de s’inscrire dans un certain type de récit comme de
le reformuler et renouveler. En ce sens la poétique dépasse la simple transcription
biographique. Il en est ainsi de l’autoportrait : inaugural chez Michel Leiris, photo-
graphique chez Breton, scriptural chez tant d’autres, il n’en demeure pas moins le
récit de la naissance d’une vocation d’écrivain. Et ce mythe (au sens de récit) originel
peut-être médiatisé par d’autres figures, en un processus du « je est un autre » : c’est
Pierre Michon cherchant chez Rimbaud le mystère de la naissance de tout génie lit-
téraire (Rimbaud le fils, 1991), c’est Gérard Macé explorant la figure de Gérard de
Nerval pour mieux se trouver (Je suis l’autre, 2007) ; c’est le principe fondateur de
la collection « l’un et l’autre » fondée par J.B. Pontalis chez Gallimard, « Des vies,
mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les récrée (…). L’un et
l’autre : l’auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre le portrait d’un
autre et l’autoportrait, où placer la frontière ? ». Ces vies imaginaires, projection de
soi dans une figure autre, à la fois masque et révélateur, sont la reconnaissance de la
part mystificatrice de toute quête de soi. Tout « je » est une création poétique.
Ainsi la représentation de l’écrivain et la construction d’une figure d’auteur
déterminent l’organisation de l’œuvre comme chacun de ses moments décisifs.
Tout est réécrit, recomposé ou arrangé en fonction d’une image à laisser au lecteur.
Breton, entre 1928 et 1962, corrige Nadja malgré les principes surréalistes énoncés
dans l’Avant-Dire, supprime des épisodes gênants, annote. Leiris revient sur L’Âge
d’homme (1939) et le commente doublement, par la « préface » De la littéra-
ture considérée comme une tauromachie (1945) et les notes finales ; son entre-
prise autobiographique, sans cesse recommencée et poursuivie (Biffures, Fourbis,
Fibrilles, Frêle bruit), ne connaît pas de fin, elle est tout ensemble un récit de soi et
la composition d’un massif autofictif, pour une part romanesque, une Règle du jeu
entre continu et discontinu. Écrire Nadja est pour Breton une manière de redéfinir les
principes du surréalisme, énoncés quelques années plus tôt dans le Manifeste. Avant

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Chapitre 3 Disserter sur le roman

lui, Rousseau illustrait par Les Confessions le mythe des origines, développé en 1755
dans Le Discours sur l’origine de l’inégalité, ou ses principes éducatifs de L’Émile
(1762). Sartre dans Les Mots (1964) reprend des éléments de L’Être et le Néant
(1943), ou Qu’est-ce que la littérature ? (1947). Dans Enfance (1983), Nathalie
Sarraute retrouve des techniques littéraires (la sous-conversation et l’oralisation)
propres à ses fictions, comme Le Planétarium (1959). En ce sens le « je », masque et
création poétique, est la figuration de principes littéraires, la défense et illustration
d’une œuvre en quelque sorte.

Conclusion
En somme, la phrase de Gadoffre ne remet pas en cause l’authenticité des écrivains,
qu’ils affichent eux-mêmes comme une règle d’écriture. Elle ne revient pas non plus
à souligner l’obstacle inhérent à toute entreprise de récit de soi, sa transparence
impossible, comme l’avait montré Jean Starobinski des Confessions de Rousseau.
Elle n’est pas non plus le simple constat d’un « ce qu’on dit de soi est toujours poésie »
énoncé par Renan dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse. De fait, elle restitue
aux romans du je leur ambition et leur réelle portée : il s’agit de ressaisir un être, de
le (re) composer, non seulement pour donner un sens aux éléments disparates d’une
vie mais surtout pour faire œuvre, pour figurer, par le « je » même de leur auteur, les
principes de composition et de création d’un univers littéraire. ●
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Chapitre

Disserter 4
sur le théâtre
PLAN

1 Dissertation n° 4
2 Dissertation n° 5

1 Dissertation n° 4
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Dans la préface de Marie Tudor (1833), Victor Hugo écrit :

« Le drame selon le XIXe siècle (…), c’est tout regardé à la fois sous toutes ces faces. S’il y Ressource
numérique
avait un homme aujourd’hui qui pût réaliser le drame comme nous le comprenons, ce drame
serait le cœur humain, la tête humaine, la volonté humaine ; ce serait le passé ressuscité au Textes
supplémentaires
profit du présent ; ce serait l’histoire que nos pères ont faite, confrontée avec l’histoire que
nous faisons ; ce serait le mélange sur la scène de tout ce qui est mêlé dans la vie ».
En quoi cette affirmation de Victor Hugo vous paraît-elle de nature à rendre compte de l’am-
bition du drame romantique ? ●

1.1. Étape 1 : de l’analyse du sujet à l’élaboration du plan


© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Lecture contextuelle du sujet


Victor Hugo définit l’ambition du drame romantique, tel que lui-même l’a théorisé
et mis en œuvre, dans un contexte culturel et littéraire particulier : la révolution scé-
nique et dramaturgique du drame romantique, la lutte contre le néo-classicisme, les
batailles mémorables (comme celle d’Hernani, le 25 février 1830).
L’énoncé précise une date, 1833, soit la représentation de Marie Tudor, au théâtre
de la Porte-Saint-Martin (Paris) le 6 novembre 1833, quelques mois après Lucrèce
Borgia (février 1833). Marie Tudor est un drame romantique en prose et en trois
tableaux. L’intrigue est empruntée à l’Histoire, mettant en scène la reine Marie
Tudor et l’ambassadeur de Charles Quint, Simon Renard. Les autres personnages
sont fictifs.

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Partie 3 Composer sa dissertation

L’intrigue se situe à Londres en 1553, Marie Tudor, reine catholique


d’Angleterre, tombe amoureuse de l’aventurier Fabiano Fabiani, une his-
toire impossible, contre laquelle lutte Simon Renard qui doit, lui, préparer
le mariage de la reine avec Philippe, fils de Charles Quint et prince des
Espagnes. Dans l’Avertissement de la pièce, Victor Hugo explicite le choix de
cette intrigue en partie construite depuis l’Histoire : « Il y a deux manières de
passionner la foule au théâtre : par le grand et par le vrai. Le grand prend les
masses, le vrai saisit l’individu » et il se réclame tout autant de Corneille que
de Shakespeare. Marie Tudor n’est pas seulement un personnage historique,
elle est reine et femme, « Grande comme reine. Vraie comme femme ».
Dans la préface de la pièce, Victor Hugo énonce une ambition pour le théâtre.
Ce texte visant un avenir de la scène, il faudra se demander si Hugo considère que
les premières pièces romantiques – les siennes, comme Cromwell (1827), Marion
de Lorme (1829), Hernani (1830) ou Le Roi s’amuse (1832) mais aussi celles de ses
contemporains, comme Alexandre Dumas (Henri III et sa cour, 1829 ou La Tour
de Nesle, 1832) – n’ont pas encore réalisé cette ambition et n’ont valeur que d’at-
taques des résistances néo-classiques. La citation datant de 1833 et définissant un
avenir de la dramaturgie, elle semble signifier qu’Hernani (1830) n’a pas rempli
encore ce cahier des charges aux yeux de son auteur. En revanche, Lorenzaccio de
Musset (1834) et Chatterton de Vigny (1835) sont postérieurs, peut-être ces pièces
sont-elles plus en adéquation avec cette volonté affichée, quand bien même elle est
signée Hugo. La réflexion devra prendre en compte ces questions de chronologie.

Lecture stylistique du sujet


Une analyse textuelle du sujet confirme la valeur performative de cet énoncé
hugolien. Les modes verbaux utilisés jouant de conditionnels et subjonctifs
passés – « s’il y avait un homme aujourd’hui qui pût réaliser le drame comme
nous le comprenons », « ce serait » en anaphore – soulignent qu’il s’agit d’un
souhait, d’une hypothèse ou, comme le synthétise l’énoncé lui-même, d’une
ambition, non encore réalisée.
Cette ambition peut être qualifiée de totale : il s’agit pour Hugo d’em-
brasser les temporalités (passé et présent, « l’histoire que nos pères ont faite,
confrontée avec l’histoire que nous faisons »), de porter un « tout » sur scène,
de faire du théâtre le miroir de la vie humaine, un « mélange » (ce qu’appuie la
répétition, « le mélange sur la scène de tout ce qui est mêlé dans la vie ») soit,
tout ensemble « le cœur humain, la tête humaine, la volonté humaine », avec
cette triple mention, à valeur de soulignement, du même adjectif.

Lecture rhétorique du sujet


La citation hugolienne a valeur de manifeste. Chaque nouvelle préface est
pour l’écrivain une manière de reprendre et déployer sa pensée du drame

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Chapitre 4 Disserter sur le théâtre

romantique énoncée en 1827 dans la Préface de Cromwell. Il faudra donc


aussi se demander si la citation offerte à la réflexion est une définition du
drame romantique, à valeur générale donc, ou la définition du drame roman-
tique tel qu’il est envisagé par l’un de ses principaux théoriciens, Hugo. Là
est l’ambiguïté de la formulation « du drame tel que nous le comprenons »,
est-ce un nous de majesté, désignant Victor Hugo, ou celui d’une génération
qui n’a eu de cesse de porter une révolution théâtrale, de Stendhal (Racine et
Shakespeare) à Musset, en passant par Vigny (Lettre à Lord***, sur la soirée du
24 octobre 1829, préface du More de Venise) et Dumas ? Mais quelle que soit
la figure énonciative de cette phrase, elle offre la définition du « drame selon
le xixe siècle », donc si Hugo est-ce « nous » de majesté, il se pose ainsi en chef
de file du romantisme au théâtre.
La citation donnée au commentaire est une définition sous forme assertive
(« le drame (…) c’est ») et redondante : « tout », « à la fois », « sous toutes ses
faces », soit une énonciation mimétique de son idée. Hugo suppose que le
drame propose une vue d’ensemble (« tout »), dans ses détails, dans la com-
plexité de cet ensemble (« sous toutes ces faces »), en maintenant ces détails
dans une volonté de totalité (« à la fois »). Il s’agit non pas seulement de
regarder (ce que dirait un « tout voir ») mais de représenter (« tout regardé ») :
la scène est une distanciation et une représentation, par la mise en regard,
en question. Mais quel dramaturge sera capable de mener à bien une entre-
prise aussi totale ? ce sera « un homme », écrit Hugo, soit non seulement un
écrivain, un homme de lettres et dramaturge, mais un individu, appartenant
à l’humanité qu’il représente, ayant comme elle un « cœur », une « tête », une
« volonté ».
Ce sont ces trois termes qui doivent dès lors focaliser l’analyse : cœur et
tête, soit la dualité romantique de l’âme et du corps, de la raison et de la pas-
sion, de la sensibilité et d’une intellectualisation des événements. Comme le
théâtre tragique, le drame romantique s’articule sur des dilemmes sans réso-
lution (amour et politique, cœur et raison) mais le héros romantique est inca-
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pable de se ressaisir, de trancher dans le nœud tragique. Là est le drame de sa


volonté, troisième terme de la liste hugolienne, cette disjonction ontologique
entre ce que l’on voudrait être et ce que l’on doit se contenter d’être. Si toutes
les pièces romantiques semblent en effet construites sur une telle triade actan-
tielle, des nuances s’imposent selon les intrigues et les drames représentés.
L’autre grand principe énoncé dans cette citation est celui de la représen-
tation de l’Histoire, « le passé ressuscité au profit du présent » – « ressuscité »
soit rendu vivant, « au profit du présent », soit dans sa valeur d’enseignement,
le passé est une leçon pour le présent, selon un principe de « confrontation »
(soit à la fois de comparaison et d’opposition) : « l’histoire que nos pères ont
faite confrontée avec l’histoire que nous faisons ». Il s’agit d’une action (agere,
faire, agir), celle de tirer profit des erreurs du passé pour ne pas les reproduire,

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Partie 3 Composer sa dissertation

mais aussi savoir reconnaître la grandeur d’un héritage héroïque. On perçoit


ici la valeur politique du théâtre selon Hugo : il est un enseignement et une
leçon, une « tribune », il est pleinement dans la cité, en lien avec la vie poli-
tique et sociale, c’est le « mélange sur scène de ce qui est mêlé dans la vie ».
C’est à partir de ces analyses, qui illustrent la complexité comme l’étendue
du sujet, qu’un axe argumentatif pourra être énoncé. La définition du drame
par Hugo est celle d’un genre à l’ambition immense, voire démesurée :
– être le reflet d’un ordre du monde, de bouleversements historiques comme
humains (c’est là son ambition thématique, son sujet),
– représenter sur scène la complexité de la vie (ambition esthétique, sa
manière),
– faire de cette représentation un enseignement (ambition politique, sa
portée).

D’où le plan possible :

I. Un théâtre de l’Histoire

II. Un théâtre de l’homme

III. Un théâtre de la totalité ●

Nous illustrerons notre propos à partir de trois pièces principales : Hernani


(Hugo), Lorenzaccio (Musset) et Chatterton (Vigny), supposant qu’il s’agit de
celles étudiées en cours.

I. Un théâtre de l’Histoire
Nous partirons de la formation de Hugo, double, « le passé ressuscité au profit du pré-
sent », « l’histoire que nos pères ont faite confrontée avec l’histoire que nous faisons ».

Des chroniques : Dans Hernani (1830), Lorenzaccio (1834) et Chatterton (1835),


l’action n’est pas contemporaine de la représentation, chaque pièce renvoie à un
passé plus ou moins récent (1519, 1537 et 1770). La distance temporelle est d’autant
plus symbolique qu’elle est soulignée par une distanciation géographique (Espagne,
Italie, Angleterre). Vigny, à travers l’histoire d’un poète martyr, interroge la société
industrielle anglaise (cf. en particulier l’Acte I, scène 2 avec John Bell et le groupe
d’ouvriers) ; Hugo revient dans Hernani sur le couronnement de Charles Quint et la
chronologie de la pièce s’articule autour de l’élection à l’acte IV, selon un « avant »
et un « après ». Lorenzaccio est une chronique florentine, autour de la famille de

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Chapitre 4 Disserter sur le théâtre

Médicis, avec les opposants au régime ducal, selon un ancrage à la fois politique,
économique (les bourgeois, les marchands) et social (le peuple étant exclu du pou-
voir). Il s’agit, pour Hugo, Musset et Vigny, de rendre l’histoire de manière vivante,
de l’incarner, mais aussi de figurer, à travers un certain nombre d’anachronismes (le
chocolat, la limonade, le banquet patriotique ou le bonnet phrygien), des liens pos-
sibles entre le passé représenté et le XIXe siècle.
Paris en 1830 : des chroniques du temps présent. Les drames ménagent des liens
constants entre deux histoires et deux époques. On est bien loin du pittoresque et de la
couleur locale souvent accolés à l’esthétique romantique. Le propos est autre, énoncé
par Hugo dans la préface d’Hernani, en des termes proches de ceux de la préface de
Marie Tudor : « après tant de grandes choses que nos pères ont faites, et que nous
avons vues, nous voilà sortis de la vieille forme sociale ». Confronter deux moments,
c’est à la fois les mettre en parallèle et en opposition. Évoquer la révolution industrielle
anglaise, antérieure à celle de la France, c’est évidemment pour Vigny, une manière
de commenter le temps présent. La représentation du meurtre d’un duc (Alexandre de
Médicis chez Musset) ou d’un attentat contre la personne royale (Charles Quint chez
Hugo) évoque ipso facto, pour le public de l’époque, 1789, 1793 et la décollation du
roi, ou les attentats contre Louis-Philippe. La question de la succession au trône est cen-
trale, avec des hommes de pouvoir qui sont pour certains des modèles (Charles Quint)
ou des contre-modèles (Côme après Alexandre de Médicis comme Louis-Philippe après
Charles X). Les révolutions populaires avortent et sont confisquées par le pouvoir en
place, comme celle de juillet 1830. La Florence de Musset comme l’Espagne de Hugo
ont une dimension symbolique. Il s’agit moins pour les dramaturges de représenter une
période précise que d’interroger le sens de l’Histoire.

Écrire l’histoire de l’Histoire, interroger son sens. On peut rapprocher la cita-


tion de Marie Tudor d’une remarque de Victor Hugo dans la préface de Cromwell,
« le poète doit feuilleter les siècles, interroger les chroniques », et d’une autre dans
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

Hernani : « Jeunes gens, ayons bon courage ! Si rude qu’on veuille nous faire le présent,
l’avenir sera beau. (…) En révolution, tout mouvement fait avancer ». La temporalité
des pièces dépasse bien la seule confrontation du XVIe ou du XVIIIe siècles avec le XIXe.
Lorenzaccio commente d’ailleurs l’histoire antique, Brutus et Plutarque. L’histoire est
un cycle (le personnage de Musset se rêve en « Brutus moderne », Chatterton se com-
pare à Caton et il est possible de se demander si elle progresse : le combat a-t-il encore
un sens, peut-on changer le cours de l’histoire ? Oui, si les écrivains montrent l’homme
tel qu’il est et non sa version idéalisée et héroïsée. Comme l’énonce Musset en III, 3,
« le tort des livres et des historiens est de nous montrer [les hommes] différents de ce
qu’ils sont ». C’est pour aller contre cette image faussée que le drame ne doit pas se
contenter de représenter l’Histoire mais l’homme dans et par l’Histoire.

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Partie 3 Composer sa dissertation

II. Un théâtre de l’homme


L’homme est la notion centrale de la citation : « nos pères », « nous », triple répéti-
tion de l’adjectif « humain ». L’homme est celui qui agit, qui est au centre de l’action
(sens grec du mot drame), comme Hernani cette « force qui va ».

Tous les hommes sur le théâtre : une comédie humaine. Le drame romantique
place l’individu au centre de la représentation, en rupture avec les dieux, demi-dieux,
héros et mythes du théâtre antique comme de la scène classique. C’est désormais
l’histoire quotidienne et presque ordinaire, retranscrite à travers le prisme de sensi-
bilités différentes. Florence est représentée dans les différentes couches sociales qui
la composent, du palais ducal aux marchés, de la noblesse au peuple, tous s’expri-
ment. C’est une histoire privée (le ménage des Bell dans Chatterton, les Médicis ou
les Strozzi dans Lorenzaccio) et sociale (les ouvriers de Chatterton, les marchands et
bourgeois de Lorenzaccio). Les auteurs apparient vision totalisante et sens du détail
(voir la dissertation n° 2, p. 169 à 174). L’Histoire n’est en rien un cadre abstrait ou
une réalité stylisée mais elle est rendue dans sa profondeur humaine. « L’homme »,
c’est à la fois une collectivité et des individus.
Un théâtre de l’être. Il s’agit de représenter la vérité et non un idéal, c’est le grand
combat du drame romantique contre les convenances et règles classiques. Il revient
de dire l’homme vrai soit l’homme dans sa part grotesque, avec la laideur et le mal qui
entrent dans sa composition, et non le héros monolithique de la scène classique dont
tête et volonté parvenaient à dominer le coeur (selon la définition romantique, qui, pour
lutter contre un héritage, le juge sans nuance). Chaque intrigue romantique dévoile les
sentiments les plus intimes des personnages – cf. l’importance quantitative des mono-
logues, en particulier dans Lorenzaccio –, d’êtres en pleine confusion, voire aux limites
de la folie. Hugo, Musset et Vigny s’attachent à dire la complexité de leurs personnages,
leurs contradictions, puisque tête, cœur et volonté entrent en conflit. C’est le choix
impossible entre raison d’État et raison privée pour Hernani, qui sera incapable de faire
montre de volonté au moment d’être fidèle à son serment. C’est Chatterton qui, par
amour pour Kitty, est prêt à renoncer à ses exigences poétiques. C’est Philippe Strozzi
pris entre sa tête (lui intimant que l’action est nécessaire) et son cœur (à la mort de sa
fille Louise, il abandonne toute lutte et s’enfuit). Dans les drames romantiques, repré-
senter à la fois le cœur, la tête et la volonté, c’est en déployer le conflit insoluble.
Un théâtre du déchirement intérieur. Les personnages principaux des trois
pièces font montre d’un héroïsme problématique. Ils sont en lutte constante contre le
monde mais aussi contre une part d’eux-mêmes qu’ils ne parviennent pas à maîtriser.
Chatterton est un personnage romantique par anticipation, comme Lorenzaccio,
en proie au mal du siècle, à la mélancolie et au désenchantement. Comme le dit
Beckford à Chatterton (III, 6), « votre histoire est celle de mille jeunes gens », celle

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Chapitre 4 Disserter sur le théâtre

du jeune poète Charles Dovalle tué à vingt ans que Vigny évoque dans la préface
de sa pièce, celle des jeunes gens romantiques, de René à Octave. Lorenzaccio en
est sans doute la figuration la plus achevée : comme Chatterton ou Hernani, il est
à la fois tout et son contraire, volontaire (il saura tuer), il est aussi velléitaire (il
retarde, hésite et doute), il est homme de réflexion (de tête) et sous la menace de
la folie ; il est homme de cœur – « Je suis rongé d’une tristesse auprès de laquelle la
nuit la plus sombre est une lumière éblouissante », III, 3) – et de débauche. Peindre
l’homme, c’est donc aussi dire ses facettes les plus noires, dévoiler les dessous les
plus sombres, les interdits et tabous. On comprend dès lors pourquoi Hugo, dans
la préface de Marie Tudor, lie homme et Histoire : pour dire l’un comme l’autre il
faut en passer par l’exposition des envers. Ce n’est qu’à ce prix que le drame pourra
réaliser son ambition de totalité.

III. Un théâtre de la totalité


« Tout regardé à la fois sur toutes ses faces »

Tout voir, tout savoir, tout dire : le drame romantique représente le jour comme la
nuit, les espaces publics comme privés, des scènes auxquelles il devrait être impos-
sibles d’assister (les monologues, les audiences privées, meurtres et agonies), il
fait fi des unités de temps, de lieux et d’action, l’intrigue englobe passé, présent
et avenir, scène et hors scène (les bannis, dans Lorenzaccio, en I, 6). La métaphore
de la robe, à l’acte III, scène 3 de Lorenzaccio, s’offre comme la métalepse de ce
regard panoptique : « tous les masques tombaient devant mon regard ; l’humanité
souleva sa robe, et me montra, comme à un adepte d’elle, sa monstrueuse nudité »
(on pourrait également citer ici toutes une série de métaphores et images, la cloche
de verre, etc.). Tout voir, c’est tout englober et ne rien cacher, mais aussi tout
voir simultanément, savoir tout contenir, lier. Ainsi dans Chatterton, à l’acte III,
scènes 5 et 6, Vigny représente-t-il tout ensemble la suffisance de Beckford, le
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

désespoir de Kitty Bell et de Chatterton, l’angoisse du Quaker et la bêtise ou l’in-


conscience des Lords. Dans Lorenzaccio, des scènes se déroulent simultanément,
d’autres rapprochent des événements séparés par de longues années. La drama-
turgie romantique repose sur une double mouvement (qui n’est qu’en apparence
contradictoire) de fragmentation et de complexification. La totalité s’obtient par
addition de détails, voire de contrastes et contradictions, mais ce qui semble ne
rien vouloir exclure repose pourtant sur une recomposition, qui est à la fois un
éclairage et une prise de position.
Une totale démystification : le drame romantique ne respecte rien, ni les
règles théâtrales et les convenances, ni les grands hommes de l’Histoire (Charles
Quint est un libertin), ni l’homme. Montrer la laideur, la débauche, confronter la

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Partie 3 Composer sa dissertation

décadence du présent à un héroïsme passé, c’est aussi revendiquer une rupture


et en faire le levier de renouvellements esthétiques. Le mélange, la démesure, le
chaos sont une esthétique : représenter autrement l’homme et l’Histoire revient
à refonder le théâtre. Le drame romantique s’adresse à un public, c’est « tout
regardé » pour être donné à voir, mettre en lumière l’éternelle répétition, la farce
de l’Histoire, les mêmes événements qui se reproduisent sous une forme grotesque
et dégradée, voire parodique (voir la dissertation no 5, p. 189 à 197) – ce que la
mise en scène de Lorenzaccio par Georges Lavaudant a remarquablement symbo-
lisé en faisant jouer Alexandre et Côme de Médicis par le même acteur : le meurtre
du duc n’a servi à rien, le carnaval continue. Le constat semble noir et sans espoir.
Mais le théâtre, par la représentation, est mise à distance du réel, et, dans son
adresse à un public, une tribune.
Le théâtre est une tribune : Vigny dénonce l’oppression de la femme comme du
poète, de tous les êtres de cœur et de pensée par le profit triomphant. Le constat de
Musset dans Lorenzaccio peut sembler particulièrement amer et désespéré : l’his-
toire est un cercle vicieux, le héros échoue et son corps est jeté dans la lagune, c’est
le triomphe du mal, de la corruption et du cynisme incarné par le cardinal Cibo. Mais
il faut distinguer l’intrigue de la portée de la pièce : si dans les trois drames, les héros
meurent, écrasés par un combat qui les dépasse, l’art (avec les figures d’artistes de la
préface d’Hernani, Tebaldeo dans Lorenzaccio ou Chatterton) est un espoir. Chacune
des pièces interroge sa place dans la cité. L’artiste y est lucide et sans opportunisme :
plutôt que de renoncer à son idéal, Chatterton choisit de mourir, donnant un sens poli-
tique à son acte. Lorenzo, autre figure de l’artiste romantique, préfère perdre sa vie que
fuir : rien ne pourra le faire renoncer à sa lucidité, pas même un échec programmé. À
travers ces personnages, c’est le mensonge de certains livres que dénoncent ces pièces :
le drame romantique sera cynique, complexe et contradictoire, total. Il n’offre pas for-
cément de réponses mais soulève les voiles et montre les coulisses, afin que le public,
face à cette scène nouvelle, observe avec lucidité et conscience cette vie représentée
qui est la sienne, ses espoirs comme ses désillusions et ses échecs.

Le drame romantique est donc bien un théâtre de la totalité, confrontant le passé


et le présent, l’homme et le monde, selon une triple complexité, historique, humaine
et formelle, répondant à une ambition tout autant thématique que politique et
esthétique. La définition du drame par Victor Hugo, dans la préface de Marie Tudor,
disait une ambition. Or, à lire Hernani, Lorenzaccio ou Chatterton, force est de
constater que chaque pièce répond, au moins en partie, à cette totalité impossible,
mais sans doute Lorenzaccio plus qu’une autre, concrétisant toutes les aspirations
romantiques, parce que Musset, ne destinant pas sa pièce à la représentation, s’était
affranchi des contraintes scéniques de son époque. ●

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Chapitre 4 Disserter sur le théâtre

2 Dissertation n° 5
Commentez, en regard d’Hernani et de Ruy Blas, cette affirmation d’Anne Ubersfeld :

« Le grotesque (...) n’est nullement, comme on croit généralement, le simple


mélange du comique et du tragique, pas même la présence de la mort (comme le
veut Bakhtine), mais la mise en question nécessairement humoristique de l’unité et
de la permanence du moi, dont les incohérences, les contradictions internes, si elles
ne font pas rire, provoquent à la fois le sourire et la compassion ». ●

Il s’agira de produire une dissertation cette fois entièrement rédigée de


manière à saisir comment doivent s’agencer et se développer les idées.
Les différentes parties et sous-parties ne sont indiquées que pour vous
guider dans votre apprentissage. Rappelons qu’elles ne doivent pas apparaître
dans le travail rédigé.

2.1. Remarques liminaires


L’énoncé repose sur la connaissance précise de deux pièces du répertoire
hugolien comme sur une notion centrale et délicate : le grotesque. Il n’est pas
synonyme du comique, ou alors en tant que type de comique très particulier,
grimaçant, faisant intervenir la laideur, l’indignité, un mélange qu’une cita-
tion de Ruy Blas met en lumière (III, 5, v. 1409-1410) :
« Vraiment ! vous vous prenez au sérieux, mon maître.
C’est bouffon. (…) »
Le grotesque est un sérieux dans le comique, un effet de retournement
permanent, de carnavalisation ou le surgissement de l’infirmité de la nature
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

humaine, de son aspect difforme ou de son insignifiance. Dans la définition


d’Anne Ubersfeld, grande spécialiste du théâtre romantique et de l’œuvre
hugolienne, le grotesque est cherché dans l’individu, il repose sur l’identité
problématique et scindée du personnage ou sa conscience d’une dispropor-
tion, énoncée par exemple dans la fameuse déclaration d’amour de Ruy Blas à
la reine, « ver de terre amoureux d’une étoile ».
Anne Ubersfeld montre que le grotesque n’est qu’accessoirement comique.
Il est bien plutôt le soulignement d’une blessure et d’une plainte, d’une ina-
déquation du moi au monde et à lui-même, la figuration de contradictions
et d’incohérences. Il est enfin le signe de l’absurdité de l’existence. Ainsi les
rodomontades de don César sont pour une part cocasses mais elles traduisent
aussi le désarroi d’une noblesse qui se désagrège. C’est en ce sens que le

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Partie 3 Composer sa dissertation

grotesque est « mise en question nécessairement humoristique », il n’est pas


drôle mais ironique, il est une forme de witz, saisie par l’esprit d’un certain
rapport à soi et au monde.
Il faudra enfin, comme le fait la citation, prendre en compte la réception
des pièces : elles suscitent la compassion du spectateur, non pas le rire mais le
sourire, soit une forme de connivence, de partage. Elles visent, plus générale-
ment, une remise en question des certitudes et des valeurs, une subversion de
l’horizon d’attente du spectateur.

Introduction
Le drame romantique a fait l’effet d’une création monstrueuse, surtout aux yeux de
spectateurs ou critiques férus de classicisme. Ainsi le journal Le Drapeau blanc a-t-il
pu écrire, à propos d’Hernani : « ce chef d’œuvre de l’absurde, rêve d’un cerveau
délirant, a obtenu un succès de frénésie ; on aurait dit que tous les fous, échappés
de leur loge, s’étaient rassemblés au Théâtre-Français ». De fait, l’intrusion du gro-
tesque dans le drame, qu’il s’agisse d’Hernani ou de Ruy Blas, dans son composite
de difforme et de dérisoire, d’extravagance verbale et de bouffonnerie, avait de quoi
dérouter, comme le rappelle Anne Ubersfeld dans sa définition de la notion de gro-
tesque, qui « n’est nullement, comme on croit généralement, le simple mélange du
comique et du tragique, pas même la présence de la mort (comme le veut Bakhtine),
mais la mise en question nécessairement humoristique de l’unité et de la perma-
nence du moi, dont les incohérences, les contradictions internes, si elles ne font pas
rire, provoquent à la fois le sourire et la compassion ».
Le grotesque est une dissonance, il introduit une faille dans la représentation de
l’être et du monde, propre à provoquer une réception autre de la part du spectateur
du drame. À partir de la définition du grotesque proposée par Anne Ubersfeld à la
suite de Bakhtine, nous montrerons d’abord que le grotesque repose sur le mélange
des genres, source d’une beauté autre. Puis qu’il est remise en question profonde du
moi et du monde, « nécessairement humoristique », rappel et conscience de la vanité
fondamentale de l’existence et de l’Histoire, ressaisie en esthétique. Car le grotesque
est aussi une profonde refonte de la réception du théâtre, un appel à un public autre,
dont il s’agit de provoquer le « sourire » et la « compassion », qu’il faut mener à une
prise de conscience esthétique et politique nouvelle.

Le mélange des genres propre au grotesque


A. Hernani comme Ruy Blas reposent sur une alternance de scènes tragiques et
d’épisodes bouffons. Cette variété de tons et de registres a pour fonction première de
ne pas lasser le spectateur, comme l’illustre l’acte IV de Ruy Blas. La déploration de
Ruy Blas (« – C’est fini. Me voilà retombé ! De si haut !/ Si bas ! », IV, 1, v. 1516-1517)

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Chapitre 4 Disserter sur le théâtre

est suivie de la chute, bien réelle, et comique de Don César à la scène 2. « Effaré,
essoufflé, décoiffé, étourdi, avec une expression joyeuse et inquiète en même
temps », il tombe de la cheminée et s’amuse, en une intervention qui est comme une
parenthèse ironique et spéculaire dans le drame :
« Pardon ! ne faites pas attention, je passe.
Vous parliez entre vous. Continuez de grâce.
J’entre un peu brusquement, messieurs, j’en suis fâché » (IV, 2, v. 1569-1571).
Cette intervention, forme de théâtre dans le théâtre (« j’entre ») se donne à lire
comme une parodie des répliques précédentes de Ruy Blas, pris dans un « rêve » et
un « songe ». Hugo nous fait passer, sans transition, du tragique à la farce. Le gro-
tesque n’est pas seulement l’attribut de certains personnages ou rôles (Don César
dans l’exemple cité précédemment) ou la tonalité de certaines scènes. Victor Hugo
a rappelé, dans la Préface de Cromwell, son idéal d’union intime et nécessaire du
comique et du tragique pour faire jaillir une vérité et une esthétique de ce rappro-
chement fécond. Il souhaite voir sur scène « le grotesque allié au sublime, la comédie
fondue dans la tragédie ». Ces deux éléments font en effet partie de la nature de
l’homme, de son essence. Le drame, dans sa part d’adéquation au réel, se doit donc
de les faire coexister. La préface de Ruy Blas le rappelle à maintes reprises : « les deux
électricités opposées de la comédie et de la tragédie se rencontrent et l’étincelle qui
en jaillit, c’est le drame ! » ; « le drame est la troisième grande forme de l’art, compre-
nant, enserrant et fécondant les deux premières ». Il faut par le drame, donner à com-
prendre, soit dans la polysémie du verbe, faire tenir ensemble pour donner à penser.
Hugo est ainsi fasciné par les grands hommes qui révèlent leur part d’humanité
ordinaire (Don Carlos/Charles Quint), « les hommes de génie, si grands qu’ils soient,
ont toujours en eux leur bête qui parodie leur intelligence. C’est par là qu’ils touchent
à l’humanité, c’est par là qu’ils sont dramatiques ». « Du sublime au ridicule il n’y a
qu’un pas, disait Napoléon, quand il faut convaincu d’être homme ; et cet éclair d’une
âme de feu qui s’entrouvre illumine à la fois l’art et l’histoire, ce cri d’angoisse est le
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

résumé du drame de la vie ». Ruy Blas en est l’illustration exemplaire. Le grotesque


le traverse, est présent dans ses répliques, dans la trajectoire même de sa vie au sein
du drame, il est le surgissement du dérisoire et du tragique au cœur des aspects les
plus grandioses de l’existence. C’est le rappel douloureux de notre finitude. Le gro-
tesque n’est donc en rien réductible au comique ou au bouffon. Il n’est pas non plus
une alternance du risible et du sublime. Il est la vérité ultime du drame romantique,
où réside l’essence de l’existence humaine, voire le sens de l’Histoire. « C’est donc
une des suprêmes beautés du drame que le grotesque. Il n’en est pas seulement une
convenance, il en est souvent une nécessité ». Il est comme une fatalité attachée à
notre nature, nul ne peut prétendre l’éviter, quelle que soit sa position sociale. « Il
s’infiltre partout, car de même que les plus vulgaires ont maintes fois leur accès de

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Partie 3 Composer sa dissertation

sublime, les plus élevés paient fréquemment tribut au trivial et au ridicule ». Le gro-
tesque est donc comme une loi d’inversion ou de rééquilibrage. « Grâce à lui, point
d’impressions monotones. Tantôt il jette du rire, tantôt de l’horreur dans la tragédie ».

B. Le moi du héros romantique se voit (dé) construit à partir de ces éléments disso-
nants. Le drame est dévoilement des incertitudes en chacun. Comme l’écrit Anne
Ubersfeld, le grotesque est « mise en question (…) de l’unité et de la permanence
du moi », la mise en lumière de ses « incohérences » et « contradictions ». Le gro-
tesque est la traduction scénique, dramatique, du déchirement intérieur de l’homme.
Le doute du héros romantique – contrairement au doute du héros tragique, ressaisi,
toujours dans la conscience de sa supériorité – intègre l’avilissement et la vulgarité.
Ruy Blas, pourtant reconnu (comme le montrent les mots mêmes de la Reine, « sois
fier, car le génie est ta couronne, à toi », v. 2575), laquais parvenu aux plus hautes
sphères de l’État, retombe dans sa condition première, comme si toute élévation véri-
table lui était interdite. Hugo attaque à travers son exemple la fixité des sociétés de
castes, restaurée en France, malgré les espoirs égalitaires soulevés par la Révolution.
Hernani incarne, plus encore, la fragmentation du moi, il est divisé, impossible à uni-
fier, toujours dans le doute, la contradiction, l’indécision, jusque dans la mort. La
scène resplendit des jeux baroques de l’apparence : l’indécision de l’être grotesque
se traduit en des mouvements constants d’inversion et de retournement. Lorsque Ruy
Blas semble s’être accompli (il dirige l’Espagne, a la certitude de l’amour de la reine),
il est « comme absorbé dans une contemplation angélique » :
« La reine m’aime ! ô Dieu ! c’est bien vrai, c’est moi-même !
Je suis plus que le roi puisque la reine m’aime !
Oh ! cela m’éblouit. Heureux, aimé, vainqueur ! »
Les répliques disent l’accomplissement, le fait que Ruy Blas s’est comme révélé
à lui-même, qu’il est dans la plénitude. Mais les failles se glissent dans les exclama-
tives, dans le « c’est bien vrai ». La certitude n’est que fugitivement et illusoirement
atteinte, don Salluste revient, qui plus est, là est le grotesque, là l’ironie mordante,
dans les propres habits de valet de Ruy Blas : « Il fallait du palais me procurer l’entrée./
Avec cet habit-là on arrive partout./ J’ai pris votre livrée et la trouve à mon goût ».
Les positions sociales s’inversent, mais seulement pour un temps. Le vêtement est le
signe de ce chatoiement baroque des apparences : Ruy Blas devient grand d’Espagne
en portant chapeau, manteau et épée. Il ne pourra cependant faire sien ce costume,
comme le métaphorise son habit de laquais sous son manteau noir, à l’acte V. De
même, Jean d’Aragon se travestit en Hernani, en bandit et banni, refuse l’épée noble
au profit du couteau et, en un mouvement inverse et paradoxalement totalement
similaire (c’est le chiasme des destinées d’Hernani et Ruy Blas), il ne pourra plus se
débarrasser de ce costume et de ce nom… Car le grotesque est, chez Hugo, signe

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Chapitre 4 Disserter sur le théâtre

d’une condition, humaine et sociale, en désaccord. Don Ruy Gomez l’illustre : il est
placé en porte à faux avec son siècle, il est inadapté, son code de l’honneur suranné.
On le voit en particulier à la scène 6 de l’acte V, l’honneur qu’il oppose aux suppli-
cations de Doña Sol est le signe non de ce code valeureux qui le mena, à l’acte I, à
protéger Hernani, ou à résister à Don Carlos (III, 6), mais bien un « jouet creux », un
« bibelot sonore », montrant un personnage en proie à la haine, à la jalousie, ridicule
dans une scène dramatique. Le grotesque est bien ici une ironie du tragique, une dis-
sonance, un système d’échos inversés.

C. Le jeu carnavalesque est « nécessairement » tragique, comme le souligne l’ad-


verbe que nous reprenons à Anne Ubersfeld, faisant signe vers une ananké. Les posi-
tions sociales semblent inversées, don Salluste, proscrit, ne peut revenir que par la
petite porte, mais son autorité sur Ruy Blas demeure. On n’efface pas ainsi ses ori-
gines. Il a par ailleurs une lettre pour l’attester. Don Salluste apparaît ainsi comme
une figure du destin qui manipule à son gré l’existence de Ruy Blas, la fait et la défait :
« Votre maître, selon le dessein qui l’émeut,
À son gré vous déguise, à son gré vous démasque.
Je vous ai fait seigneur. C’est un rôle fantasque,
– Pour l’instant. – Vous avez l’habillement complet.
Mais ne l’oubliez pas, vous êtes mon valet ».
C’est là le thème satanique du maître absolu qui dispose de sa créature. Ruy Blas
a fait un pacte avec le diable, comme Hernani avec Don Ruy Gomez. Mais à la diffé-
rence du Faust de Goethe, Ruy Blas n’offre pas sa jeunesse, mais l’élévation sociale,
son bonheur amoureux. C’est au moment où il découvre la vanité de son existence,
comme le dit Bakhtine, en incise dans la citation d’Anne Ubersfeld, que le person-
nage sent pointer la dérision grotesque. Don Carlos méditant sur le tombeau de
Charlemagne met en lumière la vanité de tout pouvoir humain devant la mort et la
dispersion de son vaste empire :
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« Taillez à larges pans un édifice immense !


Savez-vous ce qu’un jour il en reste ? O démence !
Cette pierre ! Et du titre et du nom triomphants ?
Quelques lettres à faire épeler des enfants ! » (Hernani, v. 1505-1508)
Il a l’intuition du caractère éphémère de toute chose, même la plus grandiose en
apparence. Pourtant Don Carlos ne se laisse pas aller à son découragement premier
et ancre son ambition dans le geste créateur d’un empire : « O ciel ! être ce qui com-
mence ! » (v. 1513), tout en ayant conscience de sa nature humaine, donc faillible et
dérisoire (« A ce faîte ! Y monter, sachant qu’on n’est qu’un homme ! »). La scène se
passe dans un tombeau, symboliquement, montrant que la mort est la mesure ultime
de la dualité humaine, géant dans ses actes et néant à l’échelle de l’éternité : « Car

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Partie 3 Composer sa dissertation

rien n’est ici-bas si grand que ton néant ! » (v. 1592). Le grotesque de l’existence, agi-
tation dérisoire et vaine, ne peut donc trouver un point de stabilité que dans la mort.
Cette conscience d’une fin relativise toute ambition, elle est le vecteur d’une luci-
dité de l’homme sur ses ridicules et ses infirmités. Face à l’Histoire, l’homme ne peut
opposer que sa tentative dérisoire et héroïque d’agir malgré tout.

II. Une ample (re) mise en question, forcément humoristique


Le grotesque est un processus de renversement et de questionnement, au-delà d’un
registre ou même d’une thématique. Il est le vecteur d’une interrogation ontolo-
gique, politique, métaphysique et esthétique.
Il est un lien indissoluble de l’humour et du tragique, c’est du rapport entre humour
et fatalité que naît le grotesque. Dans Ruy Blas, c’est le duo don Salluste/Don César
qui l’illustre, à travers deux rapports au monde totalement antithétiques, posés dès
la scène 2 de l’acte I, dans le contraste entre la fatalité incarnée par Don Salluste et
le « rire » figuré par Zafari/Don César. Or les deux personnages sont cousins, manière
d’inscrire la parenté de l’humour et de la fatalité. La dualité au sein des personnages
comme leur opposition duelle provoquent des sentiments ambivalents. Ainsi Don
Ruy Gomez est un personnage à la fois sombre et ridicule, selon un comique qui naît
d’une proximité avec la mort.
Le grotesque est donc bien le vecteur d’une distanciation : A la scène 5 de
l’acte III, Don Salluste humilie Ruy Blas, en un rappel, par le persiflage, de sa condi-
tion de valet. Les sarcasmes sont ceux du manipulateur renvoyant Ruy Blas à sa per-
sonnalité factice mais la marque d’une lucidité féroce quant à un personnage qui a
« oublié » ce qu’il est réellement. On ne peut commenter simplement les répliques
de Don Salluste, elles sont profondément ambiguës, le grotesque naît ici du rire cri-
tique, plus que de « l’humour », comme le souligne Anne Ubersfeld. La représen-
tation de la royauté fonctionne selon le même principe actantiel, contradictoire :
la dichotomie entre le roi qui s’amuse (Don Carlos) et l’empereur éclairé (Charles
Quint) dans Hernani illustre l’ambiguïté fondamentale de tout exercice du pouvoir.
Si l’on considère que Charles Quint est un modèle de puissance politique juste et
lucide, le saut historique que Ruy Blas permet d’opérer montre la vanité de tout
espoir : Charles II est un roi fantoche, grotesque au sens premier du terme, incapable
(le veut-il d’ailleurs ?) de lutter contre les seigneurs qui s’enrichissent sur le dos de
son pays, à l’agonie. Il est absent de la scène théâtrale, en fuite dans un espace du
dehors, un hors-scène.
Le grotesque se fait dès lors interrogation du sens de l’Histoire : chaque pièce
analyse des conduites et comportements contradictoires. Il n’est aucune synthèse
possible, sinon dans un sens plus général donné à la pièce, dans une interprétation
qui irait au-delà du chaos représenté ou des espoirs illusoires suscités par Don Carlos

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Chapitre 4 Disserter sur le théâtre

devenant Charles Quint par exemple. Le sens de l’Histoire est celui de la chute,
comme le montre le lien consubstantiel que Victor Hugo lui-même trace entre ses
deux drames. Hernani illustre un soleil qui se lève, Ruy Blas un soleil qui se couche.
Qu’il s’agisse de la destinée des nations ou de celle des individus (Hernani comme
Ruy Blas), tout espoir se solde par un échec, toute élévation se résout dans la chute.
Les destinées sont grotesques. Tout espoir est-il cependant perdu ? Non, mais il faut
aller au-delà, et voir une avancée possible de l’autre côté de la scène, du côté du
public, auquel Hugo s’adresse directement, en lequel il fonde ses espérances. Le gro-
tesque est alors le levier d’un enseignement et d’une élévation, d’une révolution tant
littéraire que politique, comme le martèle la préface d’Hernani.

III. La réception du grotesque : entre « sourire et compassion »


Le drame romantique se veut un renouvellement de la catharsis antique. Le gro-
tesque, comme mode d’écriture et de composition dramaturgiques, produit un
certain type d’effet sur le spectateur. Il ne s’agit pas des sentiments tranchés de la
tragédie (terreur et pitié) ou de la comédie (rire franc) mais de ce qu’Anne Uberfeld
nomme « sourire et compassion ». Il convient tout à la fois de souffrir avec et de
trouver une distance dans ce sourire. Il ne faut pas oublier que le théâtre hugolien,
les préfaces de nos drames le rappellent, vise à construire un public nouveau, une
figure « moderne » du spectateur, placé face à des situations et des personnages
équivoques, confronté à un sens complexe et ambigu, voire une scène vidée comme
le montre le dénouement d’Hernani. C’est un théâtre d’émotions, visant à pro-
duire rire et larmes, effroi et ridicule. Le spectateur est en mouvement, il ne peut
demeurer dans une réception univoque, ses sentiments sont mêlés. Le spectacle qui
lui est donné le force à réagir, à ne jamais rester dans une certitude ou une émotion.
L’ambiguïté fondamentale des situations de dialogue l’illustre. Bien souvent les per-
sonnages, sur scène, ne s’écoutent pas, ainsi Hernani et Doňa Sol, et le spectateur seul
goûte le caractère grotesque de ces monologues croisés et fermés sur eux-mêmes.
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Don César, à l’acte IV de Ruy Blas, faisant répéter son message ahurissant au page
« de qui vous savez pour qui vous savez » illustre de manière exemplaire le fait que
rien ne peut être pris au premier degré dans ces pièces, tout est susceptible d’être lu,
entendu, compris différemment. La double énonciation est un élément essentiel de
cette réception mouvante, dans la distanciation. Si un laquais peut être plus intègre
qu’un ministre, si les apparences sont trompeuses, les sens renversés, si les scènes les
plus tragiques deviennent drôles à force d’excès et de réécritures (comme le final
d’Hernani), nul doute que tout doit être pris avec distance, humour, une compassion
assortie d’un sourire.
Tout est donc fait pour que le spectateur ne se laisse pas duper par les apparences,
qu’il déchiffre les intrigues. Sa lucidité est aidée par le fait qu’il possède en général

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Partie 3 Composer sa dissertation

davantage d’informations que les personnages. Ainsi Hernani, en plein oubli, volon-
taire ou non, de son serment à Don Ruy Gomez croit-il en un bonheur possible à la
fin de l’acte IV. Le spectateur, lui, ne peut que sourire avec compassion, sachant que
le vieil homme tient à sa vengeance et qu’il ne faillira pas, lui, à sa promesse. De
même l’appréciation des personnages ne peut être uniforme ou univoque. Le cri-
minel ne provoque pas un simple rejet. Les actes les plus mauvais sont explicités
et rendent de ce fait tout sentiment tranché impossible. Le spectateur ne domine
pas les personnages représentés, il ne peut être dans une identification simple ou
une condamnation entière. Hernani est tout autant un personnage admirable que
lâche et même détestable ; les points de vue varient, les œuvres sont prises dans un
dialogisme empêchant toute interprétation hâtive ou univoque. Le héros hugolien,
juxtaposition composite de héros qui l’ont précédé (Roméo ou le Cid pour Hernani),
versatile, aux zones noires (Ruy Blas acceptant d’être manipulé, dans son illusion
de gloire et d’amour), acteur et allégorie en action, n’est ni dans la « permanence »
ni dans « l’unité » et interdit en ce sens une réception qui serait elle aussi dans la
permanence ou l’unité. Ainsi Ruy Blas est-il un personnage ou forme-t-il, avec Don
Salluste qui est en quelque sorte son double inversé, un monstre hybride, grotesque
– « (…) à nous deux,/ Monseigneur, nous faisons un assemblage infâme,/ J’ai l’habit
d’un laquais, et vous en avez l’âme », V, 3 –, menant à un théâtre nouveau, fondé
sur une dépersonnalisation, une désindividualisation, rendant toute identification
impossible ?
Il est donc dans ces pièces une forme d’absurdité, de néant, auxquels seuls l’hu-
mour et l’ironie – comme conscience de la vacuité des choses et des sens – permettent
de répondre. Don César incarne cette manière d’être au monde. Sa lucidité (voire son
cynisme) se traduit par un rire constant. Regardant « du spectacle d’hier [l’] affiche
déchirée », il se dit un « cœur éteint dont l’âme, hélas, s’est retirée » (I, 3), concluant :
« Je ne suis plus vivant, je n’ai plus rien d’humain/Je suis un être absurde, un mort qui
se réveille » (IV, 5). Son ironie est alors une forme de survie comme de combat contre
l’absurdité du monde et de sa condition… c’est aussi un ethos, un rapport politique
au monde, de dénonciation par le rire, de révélation des aspects grotesques d’un
monde et d’hommes déchus.

Conclusion
Les deux drames hugoliens sont donc bien une réflexion sur la parole, qui se vou-
drait acte et échoue bien souvent à devenir concrète. Mais il faut différencier la
parole représentée et la parole effective, celle de Hugo qui s’exprime dans ses
œuvres, affiche son ambiguïté apparente pour mieux guider le public – par l’émo-
tion, le rire, la compassion – sur le chemin d’une parole effective. Ainsi Hernani
est-il bien une « force qui va », comme Ruy Blas, non dans la diégèse, puisque toute

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Chapitre 4 Disserter sur le théâtre

action du personnage est vouée à l’échec, mais dans son rapport au public ; il est
une machine, une construction, bien souvent intertextuelle, saturée de référents,
au service d’une illustration et démonstration de la pensée hugolienne. En défini-
tive, ce que révèle et célèbre le grotesque, dans les drames hugoliens, c’est bien
la toute-puissance du verbe, dans sa capacité à dire, illustrer, démontrer, dans sa
puissance à prendre de la distance, à se révéler plus forte qu’un destin contraire,
par l’humour, l’ironie, signes d’une supériorité de l’homme, en dépit des appa-
rences ou d’une destinée tragique. Comme le montre Anne Ubersfeld, le grotesque
est une puissance de ressaisissement. ●

fin
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

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Chapitre

Disserter 5
sur la poésie
PLAN

1 De l’analyse du sujet à l’élaboration du plan


2 Dissertation n° 7

www.armand-colin.com

Selon André Breton, un poème doit être « une débâcle de l’intellect ». En vous appuyant sur
votre connaissance d’œuvres surréalistes comme d’autres recueils poétiques, vous direz en
Ressource
quoi cette affirmation est de nature à définir la poésie. ● numérique
Textes
supplémentaires
1 De l’analyse du sujet à l’élaboration du plan

1.1. Lecture contextuelle du sujet


La difficulté de ce sujet est liée, d’abord, à la référence soulignée au surréalisme et à
sa définition. Non seulement parce que la phrase citée est due à André Breton mais
parce que la question qui suit la citation mentionne une « connaissance d’œuvres sur-
réalistes ». Or cette affirmation d’André Breton est décontextualisée, rien ne précise où
et quand elle a été prononcée ou écrite (la connaissance précise du surréalisme peut
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

donc commencer par la mention de la référence manquante). De fait cette citation est
tronquée, elle devrait être : « un poème doit être une débâcle de l’intellect. Il ne peut être
autre chose », il a donc été fait le choix de gommer la seconde phrase, plus radicale. Par
ailleurs cette phrase ne devrait pas être rapportée au seul André Breton, Paul Eluard est
co-signataire de l’article du numéro 12 de La Révolution surréaliste (15 décembre 1929),
repris dans un volume de 1936 tiré à 115 exemplaires (avec un dessin de Salvador Dali)
et désormais présent dans les Œuvres complètes d’Eluard en Pléiade.

1.2. Lecture stylistique du sujet


« Un poème doit être une débâcle de l’intellect » est donc une phrase extraite d’un
article affirmant la nécessité, pour œuvrer à une révolution poétique, de se détourner
et plus encore de se démarquer d’une voix énonciative ayant fait autorité, celle de

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Partie 3 Composer sa dissertation

Paul Valéry qui avait, lui, écrit que la poésie est « une fête de l’Intellect » (Les
Nouvelles littéraires, 28 septembre 1929). L’énoncé est donc bien une déclara-
tion radicale, soulignant la révolte que prône la poétique surréaliste, contre
le classicisme rationaliste incarné ici par Valéry, hypotexte de la citation. Le
renversement de perspective passe par le choix de la minuscule sur le mot
« intellect » (il y avait une majuscule dans la citation de Paul Valéry) et par
celui du mot « débâcle » substitué à « fête », soit une négation terme à terme
ou comme l’écrit Breton dans une autre note, la volonté affirmée jusque dans
la syntaxe et le vocabulaire de « renverse< r > la vapeur poétique ». C’est par
l’antiphrase que s’énonce l’art poétique surréaliste.
Le terme de « débâcle » est extrêmement fort, renvoyant à une défaite mili-
taire totale, à la ruine d’une entreprise ou à la rupture des glaces, provoquant
des inondations. Le mot est d’ailleurs défini par Eluard et Breton dans la suite
de l’article, « débâcle : c’est un sauve-qui-peut, mais solennel, mais probant ;
image de ce qu’on devrait être, de l’état où les efforts ne comptent plus ». Le
mot renvoie donc à une notion de défaite ou plus précisément de mise en
échec, à cette idée que toute activité intellectuelle doit être laissée en suspens.

1.3. Lecture rhétorique du sujet


La poésie ne naît pas d’un travail (comme chez Valéry) mais d’une dictée de
l’inconscient, d’une raison suspendue, de l’écriture automatique. S’opposent
donc ici deux conceptions de l’inspiration poétique, l’une liée au travail
(Valéry), l’autre à un refus de l’intellectualisation, passant par une forme de
transe ou d’instinct poétique (Breton).

1.4. Axe problématique


Le problème autour duquel le plan devra s’articuler est donc relativement simple :
d’abord expliciter la phrase de Breton, en montrant en quoi la poésie peut être
une « débâcle de l’intellect » soit la mise en suspens de la raison, en deux temps,
– du côté de l’inspiration poétique (en puisant des exemples dans les œuvres
surréalistes comme chez les poètes que le groupe a considérés comme des
précurseurs de ses propres manifestes)
– du côté de la lecture et du commentaire du genre poétique, dans leur
spécificité.
Puis la seconde partie relativisera cette débâcle de l’intellect, en montrant que
la poésie n’est pas seulement dictée de l’inconscient et refus de la raison : elle est
aussi un travail (une « fête de l’Intellect » comme l’écrivait Paul Valéry contesté par
Breton), une technique, supposant, pour être commentée de passer par la raison.
La dernière partie articulera cette opposition pour montrer que ces deux
conceptions ne sont qu’en apparence une contradiction.

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Chapitre 5 Disserter sur la poésie

Plan détaillé de la dissertation

I. La poésie, dans ce qui la fait naître comme dans ce qui la fait apprécier par un
lecteur, ne passe pas, pour les surréalistes, par la raison. « Dispersant gouvernail et
grappin » comme l’écrivait Rimbaud dans Le Bateau ivre, le poète demeure « insou-
cieux de tous les équipages ». C’est pourquoi le mouvement surréaliste, dans les dif-
férents Manifestes qui le fondent, fait le choix d’une tradition poétique particulière,
voyant en Nerval, Rimbaud, Lautréamont et Apollinaire (mais aussi les petits roman-
tiques français ou Lewis et Walpole) des précurseurs. Le créateur doit parvenir à une
forme de « surréalité », soit la « résolution future de ces deux états si contradictoires
que sont le rêve et la réalité ». C’est ainsi qu’est défini le surréalisme, « automa-
tisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par
écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la
pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoc-
cupation esthétique ou morale » (Manifeste du surréalisme, 1924). Les poètes, mais
aussi les écrivains, sculpteurs et peintres, composeront sous cette « dictée magique »
(Les Pas perdus, 1924), en état de rêve, d’hypnose, ils se livreront à des collages,
des cadavres exquis, ils recueilleront les données du rêve, du « hasard objectif », « en
l’absence de tout contrôle exercé par la raison ». C’est ainsi que Breton explicite le
recours à un « clavier affectif » dans L’Avant-dire de Nadja (1962), dans sa volonté
de retranscrire dans ce livre « battant comme une porte », « ce qui passe, dans les
limites de cette vie, d’une activité dont le champ véritable m’est tout à fait inconnu »,
se bornant, comme il le souligne lui-même, à se « souvenir sans effort », en parti-
culier de quelques-unes des expériences du groupe surréaliste : ainsi « l’époque que
ceux d’entre nous qui l’ont connue appellent l’époque des sommeils » avec Robert
Desnos qui, tandis qu’« il “dort” », « écrit » et « parle ». Breton raconte voir « son
crayon poser sur le papier, sans la moindre hésitation et avec une rapidité prodi-
gieuse, ces étonnantes équations poétiques » et pouvoir assurer « qu’elles ne pou-
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

vaient avoir été préparées de longue main » malgré leur « perfection technique ».
Le poète est « oracle », comme la pythie de Delphes, il vaticine et énonce, compose,
sans recours à la conscience ou la raison. Il « se fait voyant » comme l’écrit Rimbaud
dans sa fameuse lettre à Paul Demény, « par un long, immense et raisonné dérègle-
ment de tous les sens », « il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre
l’intelligence de ses visions, il les a vues ! ».
Ainsi le lecteur sera-t-il lui aussi confronté à des textes qui ne supposent pas, pour
être lus, d’être intellectualisés et soumis au crible de la raison ou de la logique. Ce type
de poésie, née du rêve et du vague, perce les « portes d’ivoires ou de corne qui nous
séparent du monde invisible » (Nerval, Aurélia, 1855) – qu’il s’agisse du sommeil, de
la déraison ou du spleen –, joue d’alliances de mots, de « rencontres » improbables

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Partie 3 Composer sa dissertation

(comme celle « fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un
parapluie », chez Lautréamont). C’est ce type de beauté que cherchent et prônent
les surréalistes, une beauté « convulsive » telle que la définissent aussi bien la fin de
Nadja que L’Amour fou de Breton, une beauté qui sidère, surprend, suspend tout
jugement rationnel.

II. Pourtant il serait vain de croire en une pure assomption de la poésie par suspension
de tout jugement ou de toute raison, telle une impulsion. Paul Valéry écrivait, lui,
que la poésie est « fête de l’Intellect », soit au contraire un travail, lent et patient,
lié à une connaissance des formes et des mètres, à une histoire de la poésie, que l’on
pense à la poésie strophique ou au système des rimes. La poésie est une fabrique pour
Valéry, un poiein au sens d’une création pensée, rationnelle et minutieuse, lucide et
consciente de ses effets. Paul Valéry définit lui-même le mot « fête » dans la suite de
ses notes : « fête c’est un jeu, mais solennel, mais réglé, mais significatif ». C’est donc
l’assomption de la règle et du sens. On rattachera à cette tradition L’Art de Théophile
Gautier :

« Oui, l’œuvre sort plus belle


D’une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.

Point de contraintes fausses !


Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.
(…)
Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant »

Mais aussi la poésie « rêve de pierre » d’un Baudelaire, la définition du poète


« penseur et ouvrier » d’un Théodore de Banville, tous ces artistes de la forme fixe, de
la contrainte ressaisie en liberté créatrice.
D’ailleurs un poème aussi libre en apparence que Chantre d’Apollinaire (voir le
commentaire composé, p. 132 à 136), ce vers unique et comme détaché de tout
poème, monostique sidérant dans son absolue singularité, ne s’inscrit pas moins dans
une tradition poétique, en tant qu’alexandrin (« Et l’unique cordeau des trompettes

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Chapitre 5 Disserter sur la poésie

marines ») pourtant entravé puisqu’aucun retour de rime ne vient le consacrer. C’est


l’absence de poème qui fonde la poésie de cette ligne, la modernité s’origine dans une
histoire des formes que connaît Apollinaire et qu’il récuse (cf. le « pardonnez-moi de
ne plus connaître l’ancien jeu des vers » dans Fiançailles, autre poème d’Alcools) :
cette trompette marine fait signe tout autant vers Le Bourgeois gentilhomme
de Molière (II, 1) que vers Autre éventail de Mallarmé ou le premier Calligramme
d’Apollinaire lui-même (« cordes faites de cris »).
L’argument pourrait également être articulé sur une lecture précise du Coucher
du soleil romantique de Baudelaire (Les Fleurs du mal, 1857) ou de Ma Bohème de
Rimbaud (voir le commentaire proposé p. 125 à 132), pour montrer comment le
poète use de la forme codifiée du sonnet pour mieux prolonger et renouveler un héri-
tage, certes assumé mais également mis à distance, selon la double valeur poétique
du tombeau. Rimbaud se livre à une parodie fantaisiste de la poésie romantique dans
son rapport à la Muse comme à la nature, construisant ainsi son dérèglement des
sens et des formes. Ainsi dans la provocation du vers solitaire d’Apollinaire comme
dans les réécritures baudelairiennes ou rimbaldiennes, la provocation n’est possible
que parce que l’Intellect du lecteur en fait une fête de l’esprit, une assomption à la
fois expérimentale et surchargée de références.

III. Ces deux conceptions de la poésie (« débâcle » ou « fête » de l’intellect, avec ou sans
majuscule sur ce mot) ne sont qu’en apparence contradictoires. Lorsqu’en 1927-1928
André Breton compose puis publie Nadja, selon des principes qu’il énonce lui-même
comme « anti-littéraires », il met en forme les principales revendications du groupe
surréaliste : écrire sous la dictée de ses émotions et souvenirs immédiats, refuser tout
principe de composition, laisser apparaître les « hasards objectifs » qui gouvernent son
existence. Pourtant, en 1962, il va reprendre, corriger et revoir nombre de passages
de son récit, niant ainsi les principes des Manifestes surréalistes. Est-il en contradic-
tion avec lui-même ? Non. De fait si Nadja ne répond plus aux exigences de l’écriture
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

automatique, Breton reste paradoxalement fidèle à la révolution prônée par le surréa-


lisme : libérer la poésie, et plus largement la création (littéraire comme artistique) de
toute contrainte, des règles et carcans qui la stérilisent. C’est ainsi que s’écrivent les
révolutions poétiques, qu’elles soient romantiques – « J’ai foulé le bon goût et l’ancien
vers françois/Sous mes pieds (…) » (Victor Hugo, « Réponse à un acte d’accusation »,
Les Contemplations, I, VII) – ou surréalistes (« je piétine la syntaxe parce qu’elle doit
être piétinée » (Aragon, Traité du style) : il s’agit toujours de symboliquement piétiner
l’ancien système, dans toute la valeur ironiquement poétique du terme « pieds ». Les
traditions sont mises à mal, prises en contrepoint – comme d’ailleurs dans la citation de
Breton et Eluard, inversion de celle de Valéry – pour que, comme l’écrit Joë Bousquet
dans Le Meneur de lune (1946), « se révèle la chair de ce qui ne peut être ruiné ».

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Partie 3 Composer sa dissertation

La poésie sera alors définie comme une « débâcle » volontaire, une assomption
de la forme au mépris d’un sens immédiat, pour mieux cultiver l’esprit critique des
lecteurs de l’œuvre. Les avant-gardes abondent en expériences de ce type, que l’on
pense aux jeux typographiques et textes imprimés de droite à gauche ou à ce numéro
de revue aux pages totalement vierges (Unu, 27/1930). Ce sont les poèmes ouverts
et volontairement inachevés de Denis Roche ou les pages trouées de blancs d’André
du Bouchet, entre autres exemples, supposant que le sens du texte passe par un lan-
gage qui n’est pas celui, codifié, de la langue sociale et ordinaire, que la communi-
cation est autre, non plus explicite mais implicite, ouverte, complexe. Pour autant,
la lecture de ces textes « informels » est la même, le flux né d’images et associations
libres s’adresse tout autant au « clavier affectif » du lecteur qu’à son intelligence et
à sa culture. ●

2 Dissertation n° 7
www.armand-colin.com
À un jeune poète qui lui demande conseil, Rilke répond : « si votre quotidien vous
paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète
Ressource pour appeler à vous ses richesses. Pour le créateur, rien n’est pauvre, il n’est pas de
numérique
lieux pauvres et indifférents ».
Textes
supplémentaires Vous commenterez cette citation à partir d’exemples précis tirés de vos lectures de
recueils poétiques. ●

Il s’agira de produire une dissertation cette fois entièrement rédigée de


manière à saisir comment doivent s’agencer et se développer les idées.
Les différentes parties et sous-parties ne sont indiquées que pour vous
guider dans votre apprentissage. Rappelons qu’elles ne doivent pas apparaître
dans le travail rédigé.

Introduction
La pratique poétique est inséparable d’une réflexion sur le travail du poète et sur
l’immensité de la création qu’il lui faut « sonder », « fouiller », pour « en rapporter
quelque richesse étrange », comme l’écrit Victor Hugo dans « La Pente de la rêverie »
(Feuilles d’automne, 1831). La réflexion de Rainer Maria Rilke dans ses Lettres à un
jeune poète semble proche de cette image. Comme il l’écrit, le 17 février 1903, à un
étudiant de 20 ans, Franz Xaver Kappus, « il n’est pas de lieux pauvres, indifférents »
pour le véritable créateur. Si le « quotidien » paraît « pauvre », c’est que celui qui le
contemple reste à sa surface, se contente de son apparence et n’est pas « assez poète

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Chapitre 5 Disserter sur la poésie

pour appeler à < lui > ses richesses ». Le poète est celui qui sait trouver au monde,
pauvre pour le vulgaire, une richesse digne des élus ; pour lui « rien n’est pauvre, il
n’est pas de lieux pauvres et indifférents ».
Rilke montre que la poésie est, paradoxalement, reconnaissance de lieux pauvres
dont elle sait s’inspirer. Mais le poète, conformément à l’étymologie du mot, est
aussi celui qui crée depuis ces espaces en apparence indifférents et sait les sublimer.
Le voyant, loin d’exclure le prosaïsme du quotidien, s’en nourrit et reconnaît la
richesse esthétique de ces « lieux pauvres et indifférents ». Ce mouvement de réver-
sibilité ou de conversion ne pourrait-il pas même être défini comme celui de la
modernité poétique ?

I. La poésie du quotidien
La poésie est ode à la création et louange de la nature. C’est la litanie qu’adresse
Leconte de Lisle à M*** en une « bluette » revendiquée, soit une poésie de circons-
tance, badine et sans prétention :
« Ma richesse, c’est la feuillée
Qu’argentent les pleurs du matin,
C’est le beau soir dans la vallée,
Dorant l’azur dans un ciel serein ;
Ma richesse, c’est l’eau qui chante […] ».
Il ne s’agit pas seulement de décrire mais de reconnaître la « richesse » des élé-
ments, d’une temporalité plate (du « matin » au « soir »). La poésie est chant du
monde. On retrouve cette vocation à la « bluette », à la célébration de la nature
quotidienne, cadre de l’enfance et de la jeunesse, dans les premiers livres des
Contemplations : ce sont des « choses » que célèbre Hugo, « l’herbe amoureuse » (II,
1), les « bigarreaux » (II, 7), « les petits oiseaux » (II, 9, je souligne l’adjectif). Lorsque
le poète se promène, rien ne lui est « indifférent », pour reprendre le terme de Rilke,
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

« Le poëte s’en va dans les champs ; il admire,


Il adore, il écoute en lui-même une lyre ;
Et, le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,
Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,
Celles qui des paons même éclipseraient les queues,
Les petites fleurs d’or, les petites fleurs bleues » (I, 2)
Comme il sait écouter et admirer, il voit « tout », aussi bien les fleurs somptueuses
qui rappellent des pierres précieuses (rubis) ou des oiseaux majestueux (paons) que
les « petites fleurs », boutons d’or ou myosotis. La poésie se doit donc de « prendre
à la prose un peu de son air familier » (I, 5), là est son « lieu », au sens le plus litté-
raire du terme, l’espace même de son chant, terme qu’emploie Hugo se promenant

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Partie 3 Composer sa dissertation

« le soir, à la campagne » – « le poëte en tout lieu/se sent chez lui » (I, 6), terme
que retrouve Rilke dans sa Lettre à un jeune poète. Cette vie au champ, propre au
créateur qui « marche devant lui » et sait goûter les richesses du monde, c’est voir le
« loriot », les « fauvettes », la « coccinelle », « l’araignée et l’ortie » et reconnaître la
beauté du « petit » et du « pauvre ». Cette prose du quotidien est aussi celle d’Apol-
linaire dans Alcools, celle de la nature rustique et simple (cycle des Rhénanes), mais
aussi celle de la grande ville ; dans Le Pont Mirabeau, la part terre-à-terre et si banale
d’une histoire d’amour non réciproque est rendue par le fleuve, une eau courante.
Le quotidien des poètes entre donc dans leur gamme poétique : des expériences les
plus communes (l’amour, le voyage…) aux plus dures (la mort de Léopoldine, au
centre des Contemplations), en passant par des états propres aux poètes engagés
(l’exil pour Hugo) ou en marge (la prison pour Verlaine ou Apollinaire). Que les sujets
poétiques semblent « pauvres » (non héroïques, quotidiens, banals) ou qu’ils soient
devenus pauvres (parce qu’ils sont désormais des clichés, des topoï, soit des lieux trop
rabattus), les créateurs s’en emparent et en célèbrent la beauté et la « richesse ».

Baudelaire dans Les Fleurs du mal, et plus particulièrement dans des textes comme
La Muse malade ou J’aime le souvenir de ses époques nues, oppose l’époque moderne,
malade et pauvre, à une Antiquité riche et pleine de santé. En somme la modernité poé-
tique serait associée à la reconnaissance esthétique d’un quotidien pauvre et malade.
On le voit en particulier dans l’évolution d’un Baudelaire dans la définition de sa beauté,
depuis La Beauté, sonnet régulier et parnassien qui célèbre une beauté de marbre et de
pierre, à L’Hymne à la beauté, poème irrégulier et singulier qui énonce une modernité
du beau, celui des Fleurs du mal. Zone, poème d’ouverture d’Alcools est, dès son titre,
est reconnaissance de ces lieux poétiques nouveaux :

« Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J’aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes »

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Chapitre 5 Disserter sur la poésie

Tout doit être dit, il faut reconnaître la poésie de ces lieux : non remarquables (il a
oublié le nom de la rue), non historiques (la rue est neuve), c’est la poésie d’un matin
quotidien (cf. « quatre fois par jours », « trois fois » : tout dit la routine, le répétitif,
rien n’est exceptionnel). Mais le lieu « pauvre » doit aussi être compris dans sa dimen-
sion sociale et politique : Apollinaire évoque aussi bien les directeurs que les ouvriers
(mis sur le même plan par l’absence de ponctuation ou de mot de liaison) ou les pros-
tituées et clochards. Hugo lui aussi célèbre ces « pauvres », ces « enfants dont pas un
seul ne rit » qui « s’en vont travailler quinze heures sous des meules » (Melancholia).
Comme le souligne Hugo dans Réponse à un acte d’accusation, pour dire ces lieux
pauvres auxquels la poésie doit désormais faire place, son vers sera roturier, il usera
de « mots, bien ou mal nés » sans distinction (Les Contemplations, I, 7) : « j’ai jeté
le vers noble aux chiens noirs de la prose », proclame-t-il. Car « qui délivre le mot,
délivre la pensée ». Regarder le quotidien pour le poète semble revenir à reconnaître
de nouveaux lieux à la poésie, d’autres sujets comme d’autres personnages.
Que l’on pense aux tableaux parisiens de Baudelaire dans Les Fleurs du mal ou Les
Petits poèmes en prose, au Parti pris des choses de Ponge, il s’agit bien pour le poète
de reconnaître que « tout a une âme » (Hugo, La bouche d’ombre), même les éléments
en apparence les plus indifférents. Forme moderne du De natura rerum de Lucrèce,
le recueil de Francis Ponge (1942) se veut une leçon de choses, le pépin de l’orange
« de la forme d’un minuscule citron », l’huître « de la grosseur d’un galet moyen »,
le « multisolaire » mimosa « comme un personnage de la comédie italienne, avec un
rien d’histrionisme saugrenu, poudré comme Pierrot » ou le pain qui « doit être dans
notre bouche moins objet de respect que de consommation ». La poésie est aussi une
assomption du banal, du quotidien, du pauvre, l’écrivain a le pouvoir, comme l’écrit
Baudelaire de transformer « la boue » en « or », il est cet alchimiste et ce voyant.

II. La fonction du poète : un voyant


Le poète convertit la pauvreté du monde en richesse poétique. L’impuissance, éprouvée
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

par le jeune poète qui demande conseil à Rilke, est certes le risque de la contempla-
tion du réel, comme le montre la série des Spleen de Baudelaire, quand « l’Angoisse
atroce, despotique,/ Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir ». Mais la détresse
et l’impuissance sont dépassées, surmontées, ressaisies en puissance de création. Dans
ces moments de débâcle intérieure, proche du renoncement, le poète se compare jus-
tement à des éléments concrets, à des lieux réels : « je suis un cimetière sous la lune »,
« je suis un vieux boudoir ». Le quotidien, pauvre, indifférent, est à l’image même de la
situation du poète. Mais celui-ci retourne sa malédiction en bénédiction, de même qu’il
retourne son impuissance en création. Il rend l’Horreur sympathique, titre d’un poème
des Fleurs du mal. Le pauvre est poétiquement fécond, le laid se voit transcendé en
beau, dans la poésie de Hugo, théoricien du sublime, comme chez Apollinaire, héritier

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Partie 3 Composer sa dissertation

de cette réversibilité, quand il écrit que les « becs de gaz pissent leur flamme » ou que
« les nuages coulaient comme un flux menstruel ». L’image est à la fois choquante et
parfaite, elle puise sa puissance dans le chevauchement des registres.

La poésie est décryptage des « forêts de symboles » (Baudelaire), recherche d’une


harmonie dans la création. C’est le sens du symbolisme, de la poésie verlainienne,
mais aussi des poèmes surréalistes. Le symbole permet le développement d’une
image associée à une idée. Ainsi l’albatros figure-t-il la condition du poète, ou la
chevelure associe-t-elle toutes les sensations, tous les espaces, « éblouissant rêve »
et « noir océan ». Le poème en prose, Un hémisphère dans une chevelure, amplifie
encore cette sensation : « […] Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je
sens ! tout ce que j’entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme
l’âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; […]
Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes
cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs ». Le poète
est ainsi un intermédiaire entre la création et l’homme, il est au centre d’un univers
dont il renvoie l’écho dans sa parole poétique et son « rythme profond, moule mys-
térieux,/ D’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux » (Hugo, pièce liminaire
des Feuilles d’automne) :

« Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal ;


Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore ! »

Le poète est un élu, un mage. Certains, comme Hugo ou Lamartine, donnent un


sens divin à ce terme, d’autres se détachent de toute pensée religieuse mais tous se
retrouvent dans cette fonction de phare, d’éclaireur, de voyant.
Comme l’écrit Hugo, dès la préface des Orientales (1829), « il n’y a en poésie, ni
bons ni mauvais sujets, mais de bons et de mauvais poètes. D’ailleurs tout est sujet ;
tout relève de l’art ; tout a droit de cité en poésie. Ne nous enquérons donc pas du motif
qui vous a fait prendre ce sujet, triste ou gai, horrible ou gracieux, éclatant ou sombre,
étrange ou simple, plutôt que cet autre. Examinons comment vous avez travaillé, non
sur quoi et pourquoi. […] L’art n’a que faire des lisières, des menottes et des bâillons ».
Des Illuminations de Rimbaud au surréalisme (cette capacité de voir un sur-réel),
des Calligrammes d’Apollinaire (donnant aux poèmes la forme d’objets quotidiens)
aux expérimentations poétiques les plus contemporaines, toujours il s’agit de faire du
poème le « miroir mystérieux du visible univers » (Hugo, Les Rayons et les Ombres,

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Chapitre 5 Disserter sur la poésie

1840 ou, comme l’écrit Rimbaud dans Une saison en enfer, « d’inventer de nouvelles
fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues ». La modernité est
à ce prix, invention permanente de nouveaux lieux, syntagmes et formes pour les dire.

III. La modernité
La modernité pourrait ainsi être définie comme une extension du domaine de la
poésie, dans et par un prosaïsme tout autant syntaxique que formel, visant à rendre
« la beauté plus belle » (Hugo, Les Contemplations). Baudelaire assigne la même
fonction à ses Petits Poèmes en prose, dont le parti pris est d’« appliquer à la des-
cription de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite, le procédé
qu’Aloysius Bertrand avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement
pittoresque ».
Le beau sera puisé jusque dans le plus bas, le plus plat, le plus laid en apparence,
la recherche formelle peut s’autoriser la célébration d’objets, de lieux en apparence
les plus opposés à une beauté plastique. La modernité d’un Baudelaire est dans ce
choix, dans cette richesse tirée, appelée depuis un quotidien pauvre et indifférent.
Tout peut devenir poésie : le Spleen, la malédiction du poète, le mal en l’homme, la
charogne, dans une quête incessante d’objets nouveaux à la création. Les Fleurs du
mal est ce voyage initiatique, cette quête, s’achevant en 1857 sur ces deux vers :
« Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! » (Le Voyage). Toute expérience,
même négative, est esthétisée par un vers savant et travaillé. C’est ce même « res-
sort » que souligne Guillaume Apollinaire dans une conférence sur L’Esprit nouveau,
en 1917 : « Il n’est pas besoin pour partir à la découverte de choisir à grand renfort de
règles, même édictées par le goût, un fait classé comme sublime. On peut partir d’un
fait quotidien : Un mouchoir qui tombe peut être pour le poète le levier avec lequel
il soulèvera tout un univers. (…) Les poètes ne sont pas seulement les hommes du
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

beau, ils sont encore et surtout les hommes du vrai, en tant qu’il permet de pénétrer
l’inconnu (…). Et qui oserait dire que, pour ceux qui sont dignes de la joie, ce qui est
nouveau ne soit pas beau ? »

Rien, pour l’esprit nouveau – c’est-à-dire tout poète en quête des richesses du
monde, même les plus « ineffables » et « invisibles », pour cette fois citer Hugo –, ne
doit être laissé à l’écart. Le quotidien, le « pauvre » a longtemps été rejeté par l’es-
thétique classique, ce qu’Apollinaire nomme le « grand renfort de règles (…) érigées
par le goût ». Or le « beau » tel que le concevaient les classiques – harmonieux, lié
aux convenances, à une idée élevée du beau – a été redéfini au XVIIIe siècle (Burke,
Kant, Schiller). Le « sublime » est une catégorie esthétique nouvelle qui permet

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Partie 3 Composer sa dissertation

d’apparier le haut et le bas, le beau et le laid, le prosaïque et le poétique. Élire le


« pauvre » en tant que « levier » et « ressort » de la création poétique revient d’abord
à choisir des sujets et des lieux jusque là délaissés, un inconnu. La poésie n’est pas
à l’écart du monde, elle dit le monde tel qu’il est, pauvre quand il est pauvre, beau
quand il l’est, et elle tend des ponts entre ce pauvre et ce beau. Le poète est un voyant
– qui sait déchiffrer les hiéroglyphes du monde, ce qui demeure invisible ou banal au
commun – et un « phare » : il transmet, aux lecteurs, ce regard et cet esprit nouveaux.

La modernité pourra donc être définie comme une exploration sans limite de l’ima-
ginaire. Comme l’écrit Rimbaud dans L’Alchimie du verbe, le poète pourra se vanter
« de posséder tous les paysages possibles », écrire « des silences, des nuits », noter
« l’inexprimable », fixer « des vertiges ». La poésie inaugure, avec les Illuminations
de Rimbaud (1872-74), une vision inédite de l’univers concret. Ce recueil est, selon
Claudel, une « décantation spirituelle des éléments de ce monde ». Le poète appelle
donc bien à lui les richesses du monde, mais les traduit dans un véritable éblouis-
sement verbal, il crée un autre univers, régi par la vision, les métamorphoses et les
effets synesthésiques. Qu’il s’agisse pour Rimbaud de décrire des Fleurs ou Les Ponts,
L’Aube ou la « pastorale sururbaine » des Ornières, sa poésie traduit une vision neuve
du quotidien, elle métamorphise le connu, les juments y sont noires mais aussi bleues.
En somme, comme le fait Rilke avec le jeune poète qui lui demande conseil, la fonction
du poète est de transmettre sa vision au lecteur, de changer son regard, de lui donner
à voir autrement. C’est le sens-même du poème liminaire des Contemplations : dans
une marine simple et banale, Hugo relève des symboles (« le navire, c’est l’homme »
etc.). Chaque notion abstraite est associée à un « lieu pauvre » (vent, bateau) qui la
figure, c’est-à-dire la rend à la fois concrète, accessible et visible.

Conclusion
La poésie semble donc bien cette opération de réversibilité, de mise en correspon-
dance ou sublimation qui permet d’affirmer, comme l’écrit Rilke, qu’il n’est pas de lieux
pauvres dès lors qu’un voyant s’empare du banal ou du quotidien, ou se joue de topoï
et lieux communs pour construire un art poétique nouveau. Rilke qui éduque un jeune
poète, s’adresse à un lecteur dont il est le phare ou le mage, comme Hugo le fut pour
Baudelaire ou Rimbaud pour les surréalistes. Car telle est bien l’essence de la poésie :
rendre perceptible l’invisible et l’ineffable, fussent-ils en apparence « pauvres ». ●

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INDEX

A D
Apollinaire, Guillaume 124–125, 132–134, Daney, Serge 27, 35, 40, 45–46, 48, 50–51, 53,
136, 201–203, 206–209 56–58
Aragon, Louis 90, 192, 203 De Palma, Brian 103
Arasse, Daniel 170 Diderot, Denis 166, 168
Aristophane 105 Du Bellay, Joachim 124, 127, 175, 177
Aristote 18, 73–74, 105, 143 Duchet, Claude 169, 171–172, 174
Dumas, Alexandre 167, 169–174, 182–183
B Duras, Marguerite 90

Balzac, Honoré de 44, 90, 145, 147, 164–167,


173 E
Banville, Théodore de 202 Eluard, Paul 124, 199–200, 203
Barthes, Roland 30, 54, 67, 73, 97, 144, 146, Eschyle 105, 165
156, 158, 170, 174 Euripide 105, 110
Baudelaire, Charles 124, 126–128, 130, 170,
202–203, 206–210
Beaumarchais, Pierre-Augustin de 106 F
Beauvoir, Simone de 177 Flaubert, Gustave 76, 90, 145, 166, 174
Becker, Colette 165
Beckett, Samuel 90, 106, 121 G
Beghin, Albert 163–166
Benveniste, Emile 73, 96 Gadoffre, Gilbert 175–179
Bertrand, Aloysius 163, 209 Genet, Jean 106
Boileau, Nicolas 19 Genette, Gérard 54, 68, 74, 90, 96, 129
Breton, André 124, 199, 203 Gide, André 155
Buffon, Georges-Louis de 73 Giraudoux, Jean 106
Butor, Michel 90, 175 Goncourt, Edmond et Jules 45
Grant, Cary 46, 58
C
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

H
Calderon, Pedro 168
Calvino, Italo 168 Hegel, Wilhem 30, 90
Camus, Albert 44, 73 Hitchcock, Alfred 46, 51, 58
Céline, Louis-Ferdinand 90 Hugo, Victor 90, 106, 124, 142, 163, 165,
Certas, Javier 168 181–197, 203–210
Cervantès, Miguel de 166, 168
Chateaubriand, François-René de 165, 177 I
Chéreau, Patrice 169
Ionesco, Eugène 24–25
Claudel, Paul 106, 210
Constant, Benjamin 166–167
Corneille, Pierre 69–70, 105, 107, 110–116, 182

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La dissertation et le commentaire composé en lettres à l’université Index

J P
Jauffret, Régis 166–167 Pavel, Thomas 166
Jouve, Vincent 166 Pétrarque 123, 127, 129
Ponge, Francis 207
K Pontalis, Jean-Bertrand 178
Proust, Marcel 21–22, 34, 90, 146
Koltès, Bernard-Marie 83–84, 106, 117–121

Q
L
Quintilien 18, 143
La Fayette, Madame de 44
La Fontaine, Jean de 26, 33, 38, 43, 47, 49,
52–56 R
Lavaudant, Georges 188 Racine, Jean 20, 75, 105, 111, 183
Lefranc, Alban 165 Renan, Ernest 179
Leiris, Michel 178 Ricardou, Jean 148
Lejeune, Philippe 167, 176 Riffaterre, Michael 73
Rilke, Rainer Maria 204–207, 210
M Rimbaud, Arthur 58, 121, 124–131, 134–135,
165–167, 178, 201, 203, 208–210
Macé, Gérard 167, 178
Robbe-Grillet, Alain 90
Maingueneau, Dominique 73
Ronsard, Pierre de 123, 127, 177
Mallarmé, Stéphane 124, 203
Rotrou, Jean 105
Malraux, André 90, 155
Rousseau, Jean-Jacques 128, 176–179
Marinetti, Filippo 132
Marivaux, Pierre de 106
Marot, Clément 123 S
Maupassant, Guy de 90 Sarraute, Nathalie 90, 179
Mérimée, Prosper 169–174 Sartre, Jean-Paul 177, 179
Michon, Pierre 165–166, 178 Schaeffer, Jean-Marie 168
Molière 45–46, 51, 57–58, 106, 203 Sénèque 110
Montaigne, Michel de 176 Simon, Claude 90
Montalbetti, Christine 165 Soupault, Philippe 124
Musset, Alfred de 70, 106, 182–188 Starobinski, Jean 179
Stendhal 90, 164–167, 183
N Sterne, Lawrence 168

Nerval, Gérard de 167, 178, 201


Nodier, Charles 168 T
Toussaint, Jean-Philippe 166
O
Ovide 110

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La dissertation et le commentaire composé en lettres à l’université Index

U
Ubersfeld, Anne 106, 189–190, 192–194, 197

V
Valéry, Paul 167, 200, 202–203
Verlaine, Paul 124, 126, 135, 206
Vian, Boris 166
Viel, Tanguy 99–102
Vigny, Alfred de 106, 166, 169–174, 182–188

Z
Zola, Émile 23–24, 29, 73–74, 90–98, 145,
164–165
© Armand Colin. Toute reproduction non autorisée est un délit

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Dépôt légal : mai 2017
Imprimé en Espagne par Unigraf S.L.

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