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All content following this page was uploaded by Mohamed Ikram Nasr on 14 April 2019.
Auteurs
Hicham Sebti
Professeur-Chercheur en Contrôle de
Gestion, Co-directeur d'Euromed Fès
Business School, Université Euro-
Méditerranéenne de Fès - UEMF
On peut relever deux spécificités majeures à cette compagne de boycott. La première est que la
contestation sociale a dépassé le champ politique pour investir le champ économique. La seconde est
que, contrairement aux mouvements de contestation récents au Maroc comme le Hirak du Rif en 2016,
le boycott a largement emporté l’adhésion des classes moyennes et moyennes supérieures composées de
professions libérales, de cadres et de patrons de TPE et PME.
Comment expliquer alors le soutien massif au mouvement de boycott de ces catégories sociales,
généralement réputées « pro entreprises et business » ?
La première explication est que les classes moyennes subissent une baisse conséquente de leur pouvoir
d’achat. En effet, le rapport 2018 des « indicateurs sociaux du Maroc » du Haut-Commissariat au Plan
fait clairement état de la dégradation du pouvoir d’achat des classes moyennes. Plusieurs indicateurs
soutiennent ce constat, parmi lesquels une hausse de l’indice de pauvreté subjective atteignant 37,7 % et
une hausse du pessimisme des ménages de la classe moyenne quant à leur capacité à épargner.
Cependant, l’argument du pouvoir d’achat seul ne suffit à expliquer ni le recours au boycott comme
forme de contestation, ni le choix des entreprises visées.
Une seconde explication est que ces catégories sociales expriment par là une revendication de justice
sociale, un désaveu d’un modèle de développement économique et une opposition à la financiarisation
non contrôlée des grandes entreprises.
Contestation d’un modèle financiarisé
Qu’en est-il pour l’économie et les entreprises marocaines ? Durant la dernière décennie, le poids de
l’industrie financière a connu un accroissement sans précédent au Maroc, principalement porté par la
libéralisation du secteur de l’intermédiation bancaire. Le taux de bancarisation a été multiplié par trois
depuis le début des années 2000 et la place financière de Casablanca est devenue le premier centre
financier africain devant Johannesburg.
À tort ou à raison, les membres des classes moyennes et moyennes supérieures ont le sentiment que ce
développement ne leur profite pas. Chez les dirigeants de TPE et PME, le sentiment que le système
financier sert d’abord les intérêts des banques elles-mêmes et des grandes entreprises, au détriment des
entrepreneurs et des artisans est tenace.
Les entreprises industrielles, notamment celles visées par le boycott, sont perçues comme fortement
financiarisées. Premièrement, ces entreprises ont développé un discours tourné vers la performance
financière et la valeur actionnariale. Ce discours est d’autant plus visible que, les actionnaires-dirigeants
de ces entreprises sont des personnalités exposées médiatiquement du fait de leur poids économique et
politique dans le pays. C’est en particulier le cas pour les dirigeants de Sidi Ali et d’Afriquia,
respectivement femme la plus influente et première fortune du pays selon le magazine Forbes. Pour une
large frange de la société marocaine, cette nouvelle élite des affaires s’enrichit au-delà de ce qui est
moralement acceptable.
C’est en réaction à ces évolutions que le mouvement « Moukatioun » traduit une rupture entre le peuple
et les élites économiques en adoptant « une posture de défiance envers les grandes entreprises accusées
de « s’enrichir sur le dos des citoyens » (Middle East Eye). Cette contestation de la financiarisation de
l’économie est un leitmotiv commun aux mouvements sociaux dans plusieurs pays d’Afrique du Nord.
En Tunisie, les manifestations, actes de blocage et appels au boycott se sont multipliés depuis la
révolution de 2011, avec une remise en cause du modèle de développement économique et du rôle des
grandes entreprises perçues comme étant plus concernées par la génération de profits que par leur
impact social.
Est-il temps de repenser le rôle des entreprises ?
La réaction de Danone au mouvement de boycott est sans doute emblématique de cette évolution. Pour
endiguer la chute des ventes (moins 19 % du chiffre d’affaires au 1er semestre 2018) et des résultats
financiers (moins 50 % d’excédent brute d’exploitation), Danone a dépêché au Maroc son PDG
Emmanuel Faber.
Décrivant le boycott comme un « message fort », le PDG de Danone annonce travailler à « un nouveau
modèle équitable et pérenne » pour les producteurs, les petits distributeurs et les consommateurs. Il a
déclaré vouloir s’inspirer de ce qui se passe en France avec le label « C’est qui le patron ? », où les prix
sont fixés par les consommateurs. Ainsi, le groupe laitier va vendre sa gamme de lait frais pasteurisé à
prix coûtant.
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