Vous êtes sur la page 1sur 33

CONSTANTIN ET LA FONDATION DE CONSTANTINOPLE

Author(s): Louis Bréhier


Source: Revue Historique, T. 119, Fasc. 2 (1915), pp. 241-272
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40942242
Accessed: 05-01-2016 15:49 UTC

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/
info/about/policies/terms.jsp

JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content
in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship.
For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Historique.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
CONSTANTIN
ET LA

FONDATION DE CONSTANTINOPLE

Quelsmotifs ontpu pousserConstantin à déserter l'ancienne


Romeetà rompre avec un passé que la tradition alors admise
faisaitremonter à 1,077ans? Comment a-t-ilpu abandonner ou
plus exactement dédoubler officiellementla ville qui étaiten
théorie, nonla capitale,maisla maîtresse, la villesouveraine de
l'empire,« la têtede l'univers, la villeimpériale de la puissance
romaine»*, « la ville-reine »2, ainsi que l'appellentles con-
temporains?
Desexplications variéesetparfois contradictoires ontétépro-
poséespourdécouvrir les raisonsqui ontpu pousserConstantin
à accomplir un acte presquerévolutionnaire et d'uneportéesi
considérable. Parmi les chroniqueurs, Zosimeest le seul qui
répondeà cettequestion.Païen attardéau ve siècleet hostileà
la mémoire de Constantin, il chercheà donnerà ses actes les
motifs les plusmesquins.D'aprèslui, Constantin quittaRome
parcequ'il s'y sentait Un
impopulaire. jour de fête solennelle
où l'arméedevaitmonterau Capitole,l'empereur défendit la
cérémonie en termesironiques« et,parce méprisinjurieuxde
la religion,il s'attirala hainedu sénatet du peuple.Commeil
ne pouvaitplussupporter les plaintesqui éclataientcontrelui
de toutesparts,il résolutde chercherune ville qui égalât
Romeen majestéet où il pûtétablirle siègede son empire»3.
Il estinutiled'insister surle caractèreun peu puérilde cette
allégation: nousdironsbientôt quelcas il fauten faire.
1. Eusèbe, Vita Constant., I, 26 : « x^v too tcccvtòçxeçaXriv,tyjç'Pwjj.aEwvocpxfi;
t™ ÔacnXetWav itóXiv.» Id., I, 33, 39, 40; III, 7, 47.
2. Eusèbe, Vita Constant, IV, 63, 69 : « t^v ßa<riXtöatcóXiv.»
3. Zosime, II, 30.
Rev. Histor. CXIX. 2e fasc. 16

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
242 LOUISBRÉHIER.
Parmiles historiens modernes, Gibbonest un de ceux qui
ontrecherché avec le plus de pénétration les motifsdétermi-
nantsde Constantin, et nousverronsqu'en finde compteson
explication, sansavoirunelargeursuffisante, estd'accordavec
les faits. Il montred'abordque l'empereurn'avait aucune
raisonde resterattachéà Rome.« La patriedes Césarsn'ins-
piraitque de l'indifférence à un princeguerrier, né surlesrives
du Danube,élevédansles coursou dansles arméesd'Asieet
revêtude la pourpre parles légionsde Bretagne.» Mais,selon
lui, le choixde Constantinople est dû surtoutà des considéra-
tionsstratégiques. « Dans le choixd'unesituation avantageuse,
il préférales confinsde l'Europeet de l'Asie pour en imposer
avec une puissantearméeaux barbaresqui habitententrele
Danubeetle Tanaïsetpouréclairerde plusprèsla conduitedu
roi de Perse... Telles étaientlès vues de Dioclétienquand il
avaitchoisiet embellile séjourde Nicomédie.Maisla mémoire
de Dioclétienétaitjustement odieuseau protecteur de l'Eglise
et Constantin n'étaitpas insensible à l'ambitionde fonderune
villequi pûtperpétuer la gloirede sonnom1.»
Duruy, tout en faisant la partdes motifs et straté-
militaires
giques,paraît avoir subi l'influence du témoignage Zosime.
de
« Unecourasiatique», dit-il,« eûtétémalà l'aise au milieudes
souvenirsqu'éveillaient les nomsdu sénat,du peupleromain
et du Forum,et puis un princechrétienne pouvaithabiter
parmitous ces templesen face du Capitoleoù Jupitersié-
geait toujours2.» Dans son Histoireanciennede l'Église,
MgrDuchesnea développédes considérations du mêmeordre.
D'aprèslui, Constantin voulaitavanttout avoirune capitale
«
chrétienne ». Romeétaittropattachéeaux souvenirsdu paga-
nisme.« II avait dû constaterque les vieux cultesétaient
encoretropvivantspourqu'il fûtaisé de les déracinerou d'en
faireabstraction. Sur le Bosphore, il auraitles mainslibres3.»
La raisonreligieuseparaîten sommeavoirles préférences
des modernes et l'on n'estpas peu surprisde voirreparaître
dans leurs explicationsl'influencede la Fausse Donation.
DomLeclercqprêteainsi à Constantin le plan machiavélique
1. Gibbon,Décadence et chute de l'empire romain, trad. Buchón, eh. xvii.
2. Duruy, Histoire des Romains. Paris, t. VII, 1885,p. 202.
3. Duchesne, Histoire ancienne de VÉglise, t. II, 1907,p. 85.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
DE CONSTANTINOPLE. 243
ET LA FONDATION
CONSTANTIN
d'avoirabandonnéRomeafind'y laisserle pape « en qui il
paraîtavoirvu toutensemble etselonl'occurrence un déléguéet
un collègue» libred'y menerla luttecontrele paganisme.
« Plus ou moinsrapidement, ceci tueraitcela, suivantle
de
degré vigueur et d'habiletéqu'y apporteraient les papes1.»
Ce seraitdoncpourlaisserRomedevenir unecapitalereligieuse
que Constantin l'auraitabandonnée. Il estinutiled'insister sur
le véritableanachronisme qui enlèvetoutcrédità cetteexpli-
cation.
Tellessontles diversesraisonspar lesquelleson a essayéde
justifierla fondation de Constantinople, mais la plupartde
leursauteursse sont contentésd'affirmations d'un caractère
assez généralet n'ontpas cherchéà réunirles preuvesde ce
qu'ilsavançaient.Unequestionaussiimportante pourl'histoire
universelle estdoncaujourd'hui encorepresqueentière etilplane
toujours une certaine obscurité surles motifs qui ont déterminé
la volontéimpériale.N'est-ilpas possiblede dissiperquelque
peuces ténèbres et de rechercher dansla conduite deConstantin
l'explicationde cet événement? C'estce que l'examenimpartial
des circonstances au milieudesquellesfut fondéeConstan-
tinopleva nousapprendre.

I.
Il n'estpas inutilede remarquer d'abordqu'avantsoninstal-
lationà Constantinople en 330, Constantin n'a jamaisadopté
de résidencefixeet que pendantvingt-quatre ans il a vécu en
empereurerrant.Lorsqu'ilest proclaméempereurpar les
légionsde son père à York en juillet306, le régimede la
tetrarchieest toujoursen vigueuret, depuis293, quatre
gouvernements impériaux sontinstallésà Nicomédie, Sirmium,
Milan,Trêves,sansqu'aucuneatteinted'ailleursait été portée
aux institutions traditionnellesde Romequi est restéela ville
impériale.Trêvesest doncla première résidencedu nouveau
Césaret,aprèssonexpédition contreles FrancsetlesAlamans,
il y célèbreles « Ludi Alamannici» (octobre306). C'est à
l'atelierde Trêvesque sont émisesses premières monnaies.
1. Dom Leclercq, Dictionnaire d'archéologie chrètienneì pubi, par Dom
Cabrol,articleByzance.Paris,1910,t. II (1), col. 1373.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
•244 LOUIS BRÉHIER.

C'est encore à Trêves qu'il épouse la fillede MaximienHercule


(31 mars 307), et, en juillet 310, après sa lutte victorieuse
contreson beau-père,il fait célébreren sa présencel'anniver-
saire de la fondation de cette ville1. Puis la lutte contre
Maxence l'entraîneen Italie; après la victoiredu Pont-Milvius,
il entreà Rome (29 octobre312) et y séjournejusqu'en jan-
vier 3132. L'entrevue de Milan avec Licinius se prolongeen
févrieret mars 313, puis de mars à juillet, il dirigeune expé-
ditioncontreles Francs et célèbre de nouveau à Trêves des
<c Ludi Francici »3. L'année 314 est occupée par la guerre
contreLicinius jusqu'en octobre. Quelques mois après sa vic-
toire, Constantinfait son entrée à Rome le 18 juillet 315,
y célèbre ses Decennalia le 25 juillet et part le 27 septembre
pour un voyage d'inspectionsur le Danube4. On le retrouve
à Trêves au début de 316, puis il passe successivementà
Vienne (avril-mai), à Arles (août) et quitte la Gaule en
octobre 316. En novembre, il est à Milan5. Le 1er mars
317, à Sardique en Mésie, il élève au rang de César ses
fils Crispus et Constantin,ainsi que le fils de Licinius6. Il
regagnel'Italie en 318 et séjourneà Aquilée, mais il passe en
Pannonie et en Mésie presque toutel'année 319 et une partie
de l'année 320. En 322, il dirige une campagne contre les
Sarmateset ramèneses prisonniersà Bologne,puisla lutteavec
Licinius devenueinévitablele retientdéfinitivement en Orient.
C'est à Thessalonique,où il faitcreuserun port7,qu'il organise
uneflotte contreson rivalfinde 323. Il rassembleaussi des navires
au Pirée etfaitun séjourà Athènes(janvier324), puis,aprèsêtre
revenusuccessivementà Sirmiumet à Thessalonique,il envahit
la Thrace et commencela guerrecontreLicinius. On peut dire
que, depuisson départde Trêves en 316, il n'a pas eu de rési-
dence attitrée;mais, à part de courtes apparitionsen Italie, il
n'a cessé de séjournerdans la péninsuledes Balkans, soit dans
la régiondu Danube, soit en Macédoine et en Grèce. Il semble

1. J. Maurice,Numismatiqueconstantinienne.Paris, 1908,1. 1, p. lvjii-lix.


2. Ibid., t. I, p. lxxiv-lxxix.
3. Ibid.%t. I. p. xgii-xciii.
4. Ibid.. t. I, p. xcix-cii.
5. Ibid., t. I, p. cm-civ.
6. Ibid., t. I, p. cv-cvi.
7. Tafrali,Topographiede Thessalonique. Paris, 1913,p. 15-20.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
DE CONSTANTINOPLE. 245
ET LA FONDATION
CONSTANTIN
doncbienque le partageacceptéen314 n'aitétédanssa pensée
que provisoire et quela conquêtedesrichesprovincesd'Orient
abandonnéesà Liciniusait été depuiscetteépoquel'objetde
ses préoccupations.
Bienplus,il paraîtvraisemblable qu'au moment où il quitta
la Gaule, Constantin avait déjà formé le projetd'établirsa
résidence définitive des
dansla péninsule Balkans,à portéedes
frontières du Danube.S'il ne songeaitpas encoreà Byzance,
qui appartenait d'ailleursà Licinius,il eutun moment l'inten-
tionde placersa capitaleà Sardique,c'est-à-dire surl'emplace-
mentde la ville actuellede Sofia,au centredu haut bassin
lacustrequi commande les principales routesde la péninsuleet
auquel la trouée de l'Isker ouvre un débouché versle Danube1.
Le faitestaffirmé par le continuateur de Dion Cassius2,d'après
lequelConstantin aimaità répéterqu'il n'auraitd'autreRome
que Sardique.Or, c'est en 317 que Constantinséjourneà
Sardiqueety élèveses filsau rangde César; ce futsans doute
à ce moment que la situation de cettevillelui parutoffrir les
avantagesqu'il cherchait poursa future capitale.
En un mot, avant la deuxièmeguerrecontreLicinius,
Constantin paraîtavoir abandonnél'Occidentsans retouret
l'idée de créer en Orient,à proximitéde la frontière du
Danube, une nouvelle capitale avaitdéjàgermé dans son esprit.
Et d'ailleursla rapiditéavec laquellese sontsuccédéles événe-
mentsmetcetteconclusion horsde doute.
L'histoirede la fondation de Constantinople est aujourd'hui
bien connue grâce aux belles études de numismatique de
M. JulesMaurice3.En outre,les découvertes papyrologiques
deM. Jouguet permettent d'apercevoir d'unemanière plusnette
encoreles relationsqui unissentla victoireremportée sur
Liciniusà la nouvellecréation.La plupartdes historiens en
effetavaientplacé en 323 la guerrecontreLicinius. Seul,
1. Le traitéde 314 n'avait laissé à Licinius d'autre provinceeuropéenneque
la Thrace.
2. Ta jiexà Atwva,i; (Müller, Fr. H. Gr., IV, 199) : UriKa>v<rcavrtvoceßov-
Xeúaraxorcpwxovev Sapôtx^ lAexayaYeîvxà Ôrj^ódia <piXwvxe x^v rcóXivèxefvyjv
auvsx&ç ëXeyev.« CH épi^ 'Pcú^yj SapSixirj èaxiv. »
3. Voir surtoutJ. Maurice, les Originesde Constantinople.Centenaire de
la Société des Antiquaires de France. Paris, 1904; Numismatique constanti-
nienne, 2 volumes,1908et 1911.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
246 LOUIS BRÉHIER.

O. Seeck, se fondantsur un témoignaged'Idace, avait


adopté324. Cetteconjecture est confirmée par un papyrusde
Théadelphie conservé au musée du Caire, qui montrequ'en
novembre de
324, l'Egyptevenait reconnaître Constantin. Or,
la bataillede Chrysopolis où sombrala fortune de Liciniusest
datée du 18 septembre. Il ne peut s'agir que du 18 sep-
tembre 324 et non323, car il est invraisemblable que l'Egypte
ait misplusd'unan à fairesa soumission1.
Dès lors,il estpossiblede serrerde prèsle moment où Cons-
tantinpritla résolution de fondersa nouvelleville.En effet,
ainsiquel'a démontréM. J.Maurice,lorsque,le 8novembre 324,
eutlieula cérémonie de l'élévationde ConstanceII au rangde
César, Constantinople était déjà fondée,puisque, dans la
harangueprononcée à cette occasion,le rhéteur Thémistius dit
«
que l'empereur donne en même la
temps pourpre à son fils
et
unenouvelleenceinteà sa ville»2. La suitedes faitsest donc
trèsnette.C'estle 3 juillet324 que Constantin metLiciniusen
fuiteà Andrinople. Pendantles moisdejuilletet d'août,Cons-
tantinassiègeet prendByzance,tandisque Crispusdétruit la
flotte de Licinius.Le 18 septembre 324, Liciniusest définiti-
vementvaincuen facede Byzance, à Chrysopolis (emplace-
mentactuelde Scutari).C'estentrecettedateetle 8 novembre
suivantque la créationde Constantinople a été décidéeet
entreprise. Dès la fin de l'année 324, l'atelier monétairede
Constantinople à sa
procédait première émission3.
Il sembledoncque la possessiondu Bosphoreait étéle prin-
cipal enjeu de cetteguerreet que la fondation de Constan-
tinoplesoitla conséquencedirectede la victoiresur Licinius.
C'est ainsi d'ailleursque l'Anonymede Valois présenteles
faits: « Constantin », dit-il,« donnason nomà Byzanceet
l'appelaConstantinople en mémoire de sa célèbrevictoire4.»
La rapidité avec laquelleConstantin pritcettedécisionmontre
bien que, lorsqu'ilattaqua Licinius,le plan de la nouvelle
1. Jouguet,En quelle année finit la guerreentre Constantin et Licinius,
Séances de l'Académiedes inscriptions,Bulletin, 1906,p. 231-236.
2. Thémistius,OraL, éd. Dindorf, p. 69. Cf. J. Maurice, les Origines de
Constantinople,p. 2.
3. J. Maurice,Numismatique constantinienne,t. II, p. 481 et suiv.
4. ExcerptaValesiana,dans les Monumenta Germaniae, Auclores annquis-
simi, t. IX, p. 10 : « Constantinusautem ex se ByzantiumConstantinopolim
nuncupavitobinsignisvictoriae[memoriam].»

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
ET LA FONDATION
CONSTANTIN DE CONSTANTINOPLE. 247
fondationétaitdéjàélaborédans son esprit.Ce futsans doute
dèsla findeTannée316, lorsqu'ilabandonnal'Occident, désor-
maispacifiéet protégécontreles incursionsgermaniques,qu'il
conçutle projetde transporter dansla péninsuledes Balkans,
à proximité de la valléedu Danube,le centreprincipalde ses
forces.Les faitsainsirapprochéspermettentde conclurequ'en
agissantainsi il obéissaitavant tout à des considérations
stratégigues.
II.

Pour essayerde mieuxpénétrerla pensée de Constantin,


il n'estpas inutilede rechercher exactement les caractères qui
distinguèrent la nouvellevilleà sonorigine.
Ce futd'abordune créationsystématique et qui futmenée
avec une rapiditéprodigieuse.Sans doutel'antiquecité de
Byzancefutenglobéedans l'enceinteque Constantin, d'après
un renseignement de Philostorgius,traçalui-même, une lance
à la main1; ellene devaitpourtant êtreque le noyaude la nou-
velleagglomération. Constantinfitrestaurersesmonuments dont
la plupartdataientde Septime-Sévère, qui avaitrebâtila ville
aprèsle terrible siègede 193. Mais surtoutde nouveauxquar-
tiers s'élevèrentsur un espace quadruplede la superficie
occupée par Byzance. Dès l'origine,Constantin, avec une
robusteconfiancedans l'avenirde sa fondation, assigna à la
ville toutl'espacelimitépar l'enceintethéodosienne, compre-
nantles septcollinesà l'imagede Rome,et diviséen quatorze
régions, dontuneau delàdela Corne-d'Or. Toutefois, le premier
murd'enceinte commencé en 324 englobaseulement les quatre
premières collineset unepartiede la cinquième, le Xerolophos;
l'espacelaissé en dehorsdesmursfutréservépourun dévelop-
pement futurque Constantin prévoyait grandiose.
Les mesures prisesparl'empereur pourassurerle succèsde
l'œuvrequ'il avait assuméemontrent assez quelleimportance
il y attachait.Les trésorsconquissur Liciniuset toutesles
ressourcesdont disposaitl'empire furent employéssans
compter,au point de causer des embarrasau fisc2.Pour
1. Philostoreius,Hist eccl., II, 9 fap. Photius, Bibliotheca).
2. Julien,Oratio I (coll.fceubner,p. 9). - J. Maurice,Numismatiquecons*
t. I, p. cliv.
tantinienne,

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
248 LOUIS BRÉHIER.

recruter deshommes de peine,on enrôla40,000Gothsfédérés,


qui furent cantonnés dans les quartierslaissés en dehorsde
l'enceinte1; le nombre desarchitectes et deschefsde chantiers
étantinsuffisant, on voitConstantin, en 334 encore,demander
par un rescritau préfetdu prétoire d'Occidentde lui envoyer
de jeunes architectes, auxquelsil promet,outreleursgages,
l'exemption des chargespoureux etleursparents2.
Pourembellir sa future résidence, Constantin dépouillasans
scrupule les autres villes de l'empire et les sanctuaires païens
les plus vénérés.Les chefs-d'œuvre de la statuairegrecque
vinrentornerles places publiquesou la terrassede l'Hippo-
dromesurlaquellefuttransporté le célèbretrépiedde Delphes
que l'on voit encore sur la place de l'Atmeidan3. De même,
pourpeupler la villeainsi construite de toutes pièces,desimmi-
grantsnombreux furent attirés,surtout Rome,maisausside
de
touteslesprovinces. Des notables romains reçurent en toutepro-
priété de spacieuses demeures construites aux fraisde l'Etat4et
l'organisation de l'annone sur le modèle de Rome ne tardapas
à attireruneplèbenombreuse5.
Les travauxinaugurés dansles troisderniers moisdel'année
324, probablement en octobre, durèrent environ dix ans.
Dès 325, les mursde l'enceintesortaient de terreet les prin-
cipauxédifices religieux et civilscommençaient à s'élever6.Ce
futsansdouteà ce moment que furent jetées fondations
les des
églisesSainte-Irène et des Saints- Apôtres, du Grand-Palais
impérial,du Forum,etc.. En 330, les travauxétaientassez
avancés pour que l'empereurpût procéderà l'inauguration
solennellequi coïncidaitavec la célébration de ses Tredecen-
nalia. Déjà à cettedate,l'impératrice Hélène,mèrede Cons-
tantin,avait été ensevelieaux Saints-Apôtres7. La fête
1. Jornandès,21.
2. Cod. Theod., XIII, 4, 1-2.
3. Saint Jérôme,Chronicon,331 : « Constantmopohs dedicatorpeneomnium
urbiumnuditate»; Eusèbe, Vita Constant, III, 54; Zosime, II, 31; Codinus,
Antiq. Constantin.(Banduri,Imperium orientale, I, 20-21).
4. Sozomène,H. E., II, 3; Antiq. Constantin.(Banduri,I, 40, 12); Eunapius,
Vitae sophist.,éd. Boissonade,p. 462.
5. Eunapius, Ibid.; Socrate, H. E., II, 13.
6. Socrate, H. E.y I, 16. Cf. Maurice, les origines ae Constantinople,
p. 290. §
7. Maurice,Numismatiqueconstantmienne,I, p. gxlix-gl.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
ET LA FONDATION
CONSTANTIN DE CONSTANTINOPLE. 249
de l'inaugurationfut célébréele 11 mai 330. Comme il
arrivedans nos expositions modernes,ce futsans douteau
milieudes chantiersencoreouvertset mal dissimulés que se
déroulacettefête.Mais la cour et le gouvernement impérial
s'installaient
déjà dansles bâtiments à peineconstruits. C'est
en 330 que le Consistoriumprincipis est fixéà Constanti-
nople,et la première loi datéede la nouvellecapitaleest du
16 juillet330*. D'aprèsun renseignement donnépar Julien,
les travauxfurent achevésà peuprèsen3342; mais,depuis330,
elleétaitdevenuela résidence habituelle de Constantin.
En se transportant ainsiavec sa couret son gouvernement
surlesrivagesdu Bosphore, Constantin avaitaccompliun acte
d'uneportéeconsidérable et d'un caractèrefranchement révo-
lutionnaire. La fondation de Constantinople marquaiten eflet
une véritableruptureentrel'empereur et l'ancienneRomeet
il étaitimpossiblede lui trouverun précédentquelconque.
C'était plus qu'un simple transfertde capitale. Lorsque
Dioclétienet ses collèguesde la tetrarchie avaientadoptépour
leursrésidences d'autresvillesque Rome,ils y avaientsimple-
mentorganiséleurcouret leuradministration. Les privilèges
de Romeétaientrestésintacts; elle avait gardé,à l'exclusion
desautrescapitales,son sénat,ses consuls,sonadministration
frumentaire, ses sacerdoces.Elle étaittoujours la villeimpériale
par excellence,alorsque les nouvellescapitalesn'étaientque
descentresadministratifs. On ne trouvedanscetteorganisation
aucunenouveauté juridique.
La créationde Constantin a un toutautrecaractère.Il n'a
pas touché aux privilèges Rome; il les a dédoublésen
de
les conférant à une autreville. C'est une nouvelleRomequ'il
a voulufonder et il y a eu désormais dansl'empiredeuxvilles
impériales exerçanten théorie la souveraineté surl'univers.
Tousles témoignages reviennent avec insistancesurl'inten-
tionbienmarquéede l'empereur qui voulaitégalersa ville à
l'ancienneRome.Zosimeditque Constantin, frappéde la situa-
tionde Byzance,résolutdel'agrandir en
pour faire« la capitale
1. Mommsenet Meyer,Codex Theodosianus, I, pars i, ccxxi; Seeck, Die
Zeit der Gesetze Constantins (Zeitschriftfür Rechtsgesch.,Rom. Abth.tX,
241); Maurice,les Originesde Constantinople,p. 288 et suiv.
2. Julien,Oratio I (coll. Teubner,p. 9).

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
250 LOUISBRÉHIER.
de l'univers », et il rapporte un oracleattribué à la sibylleEry-
thréequi prédisait cettefuture grandeur1. Socrate nousdonnece
détailimportant « qu'après avoir fait reconnaître Byzance
commel'égalede Romesouveraine, il changeasonnomen celui
de Constantinople et établitpar une loi qu'elle prendraitle
titrede secondeRome.Cetteloi, gravéesurune stèledepierre,
futexposéepubliquement à l'endroitappeléStrategion près de
sa statueéquestre»2. Sozomènedit de même: « II nomma
Constantinople la nouvelleRomeetla constituasouverainesur
tousceuxqui sontsujetsdes Romainsau nord,au midiet au
levant3.» D'aprèsPhilostorgius, Constantin qualifiasa villedu
titred' « almaRoma» etl'embellit de manièreà ce qu'elle pût
rivaliseravec « l'ancienneRome»4. Dans un rescritdaté de
334, Constantinople est appeléeà l'égal de Rome « la ville
éternelle Enfin,lorsquedans les concilesœcuméniques
»5. le
patriarche de Constantinople revendiquera d'abordla seconde
place dans la chrétienté, puis des honneurs égaux à ceux du
pape, son principalargumentsera que la ville dontil est le
pasteurest appelée« la nouvelleRome», égaleen dignitéà
l'ancienne6.
Le témoignage desmonnaies est encoreplus significatif, car
ellesnousdécouvrent sansambiguïté la théorieque Constantin
faitofficiellement prévaloir. Aussitôt aprèsl'inauguration solen-
nellede Constantinople, le 11 mai330, despiècessontfrappées
enl'honneur de l'ancienneet de la nouvelleRome,aussibienà
l'atelierde Romequ'à Constantinople7. Chacunedesdeuxvilles
estfigurée par un buste laure et casqué, couvertdu manteau
1. Zosime, II, 31.
2. Socrate, H. 2?., I, 16 : « xPYîtJLaT*^etv vójjkoexúpaxrev.»
Seuxépav 'Ptopnrçv
3. Sozomène, H. J?., Il, 3.
4. Philostorgius,H, E., II, 9.
5. Cod. Theod., XIII, 5, 7 : « Pro commoditateurbis quam aeternonomine,
iubenteDeo, donavimus.»
6. Concile de Constantinople, 381, canon 3 : Tòv (xévxotKwvcixavxivovTcóXeù);
euiffxoTTov I^siv xà wpeaßeta xìj; xtpjç {J.exàxòv xyjç ^(¿(xyjç eTuaxorcov,Sia xò
eîvat auxVjvvéav fPtó{i.riv - Concile de Chalcédoine,
(Mansi, Concilia, III, 560).
451, canon 28, rappelant le précédent : Ta fact7cpe<rßeiaa7cévetfj.av xô xr'ç vlaç
cPu>|Ar}ç àytíúxáxo) 8póva> euXoywcxptvavxeçxrjvßaatXeia xa' avyxXTJxa) xifjnqôeîdav
TCÓXiv xaî x&v t'dtovaTcoXauoudavTtpeffßeiwvxîj TCpecrßuxEpaßa<xiXi'8icPtú{j.Ti(Mansi,
Concilia, VII, 369).
7. J. Maurice,Numismatique constantinienne,t. I, p. 251, pl. XVIII, 14;
p. 253, pl. XVIII, 15; t. II, p. 518, pl. XV, 12; p. 521, p. 534.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
DE CONSTANTINOPLE. 251
ET LA FONDATION
CONSTANTIN

impérial ; maisce n'estpassansraison,commeonle verra,quele


bustedeConstantinople tientle sceptre, tandisqueceluideRome
estprivéde cet attribut1. Des piècesà la légende: CONSTAN-
TINOPOLIS avec une Victoireau reverssont fabriquéesà
Rome2;en revanche,despiècesà la légende: VRBS ROMA
avec, au revers,Romuluset Rémus allaités par la louve,
sortent de l'atelierde Constantinople3.
L'unionintimedesdeux citésest rendue, plus visibleencore
les
par pièceshybrides dont les coins sont empruntés aux deux
ateliers.Celuide Romea émisentre335 et 337 deuxtypesde
pièces offrant le mêmerevers,la louve allaitantRomuluset
Rémus, mais dont les droitsreprésentent tantôtle buste de
Constantinople, tantôtle buste de Rome4. Enfin,la fictiondu
transfert du « peupleromain» sur le Bosphoreest consacrée
d'une manièreéclatantepar les pièces émisesdans le seul
atelierdeConstantinople à l'effigie du POPVLVS ROMANVS,
figurépar un adolescent laureet drapéavec unecorned'abon-
danceattachéederrière lui (335-337)5.
Ce futévidemment pourjustifier cetteassimilationque Cons-
tantinvoulutpar tous les moyensattirerle plus possiblede
Romainspourpeuplersa nouvelleville6,et quelques-unsdes
membres des plus illustresfamillessénatoriales consentirent à
le suivresur le Bosphorecommepour mieux rattacherla
nouvelleRomeaux traditions de l'ancienne7.
A cettesituationhonorifique de premierordrecorrespon-
direnten outredes avantagesmatérielset des privilègesqui
avaient été jusque-là une propriétéexclusivede l'ancienne
Rome.Sans doute,l'assimilation nefutpasaussicomplète dèsle
débutqu'ellele devintsous les successeursde Constantin. Du
moins,par ses mesureslégislatives, l'empereur s'attacha-t-il
à
1. Parce que Constantinople est la résidencedu gouvernement impérial.
2. J. Maurice,t. I, p. 251 (330), p. 255 (333-335),p. 259 (335-337).
3. Ibid., t. II, p. 534, 537.
4. Ibid., t. I, p. 258-259.
5. Ibid., t. II, p. 536-537,pl. XVI, p. 11-12.
6. Patria Constantin.(Banduri, Imper, orient., I, 4) : MeXXow oív ó jiiyaç
otxrjdatríjv ttóXcvavxoö [xãXXov8è xoùç ePa)(jiatouçsic tò BuÇávxtov
KtoVffTocvTÎvoç
xaxaxpaxîjdat...
7. Lécrivain, le Sénat romain depuis Dioclêtien à Rome et à Constanti-
nople. Paris, 1888, p. 218. On cite les noms d'Olympius, Verus, Severus,
Urbicius,Callistratus,Florentius,Eubulus, Studius, Zoticus.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
252 LOUISBRÉHIER.
doterla nouvellevilled'unstatutjuridiqueaussisemblable que
possibleà celuide Romeetà y introduire la plupartdes institu-
tionsqui la distinguaient des autresvillesde l'empire.
Avant324, Byzance,qui avaitperdusonrangde villelibre
sous Septime-Sévère, étaitrattachéeà la provinced'Europe,
dontla métropole étaitHéraclée.Ce rangsecondaire ne pouvait
plus lui conveniret Constantin la plaça sous l'administration
d'unproconsul spécialauquel,en 359, Constancesubstituaun
« Praefectus Urbi», dontles pouvoirsfurentles mêmesque
ceux du préfet de Rome1.
La principaleinnovation juridiqueconsistaà distraire le
territoire de Constantinople du sol provincialpour en faire
légalement unmorceaudu sol italien.On ne possèdeplusl'édit
parlequel Constantin accordale <cius italicum> aux habitants
de la nouvelleRome,maiscetéditfutconfirmé par ses succes-
seursen 3702 et en 4213. Au pointde vue juridique,le sol de
Constantinople étaitdoncassimiléentièrement à celuideRome:
il cessaitde fairepartiedu territoire provincial et il enrésultait
pourses habitants l'immunité du tributfoncieret de la capi-
tation4.Sans doute,depuisDioclétien, l'Italieavaitétésoumise
au tributprovincial, maisle territoire de Romeavaitdû garder
l'immunité dontConstantinople reçutle bénéfice5.
Le prestigeincomparable qu'exerçaittoujoursl'ancienne
Romeprovenaitsurtoutdes vieillesinstitutions républicaines,
des magistratures et du sénat,restesbien amoindris/ mais
toujoursrespectés, d'un passé glorieux. Il était impossible
d'appelerRomeune ville qui n'auraitpas eu un sénatet des
consuls.Un des premiers soinsde Constantin futdoncd'insti-
tuerdansla nouvelleville un sénat à l'image celuide Rome.
de
D'après Sozomène,« il établit un autre grandconseilappelé
sénatet lui donnales mêmespouvoirset les mêmesfêtesmen-
suellesqui étaienten usage chez les anciens Romains»6.
1. Socrate,II, 41; Cod. Theod., I, 6, 1; Lécrivain, le Sénat, p. 219.
2. Cod. Theod., XIV, 13, 1.
3. Cod. Justinian,XI, 20, 1 : « ürDS Constantinopolitana non solum iuris
italici sed etiam ipsius Romaeveterisprerogativa laetetur.»
4. Jullian,Jus italicum (Daremberget Saglio, Diction. Anttq., t. III, i,
745-748).
5. Jullian,op. cit.
6. Sozomène,H. E., II, 3.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
ET LA FONDATION
CONSTANTIN DE CONSTANTINOPLE. 253

Cependant, il semblebienqu'il n'eutpas la hardiesse d'établir


une identitécomplète entre les deux assemblées. Un texte de
l'Anonymede Valois indiqueclairement que les sénateursde
Constantinople se trouvaient placés dans la hiérarchie après
cetixde Rome: « Ibi etiamsenatumconstituit secundiordinis:
clarosvocavit>!. Les sénateurs de Constantinople furent donc
simplement « clari> au lieu d'être « clarissimi » comme ceux
de Rome;maisla distinction ne dutpaspersister longtemps, et,
dans une de ses harangues,Thémistius remerciel'empereur
Constanced'avoiramélioréla situationdu sénat2.Pour rece-
voirla nouvelleassemblée, une somptueuse basiliquefutérigée
à l'estdu ForumAugustaeon, à côtédu palaisimpérial3.
En ce qui concerne le consulat,il semble bienqueConstantin
ait reculédevantle dédoublement qui aurait dû résulterlogi-
de
quement l'érectionde la nouvelleRome.Jusqu'àsa mort,
les consulsordinaires continuèrent à êtredésignésetà exercer
leursfonctions à Rome. Puis en 339, l'empereur Constance
pritle consulatà Constantinople, tandisque Constant le prenait
à Rome.Dès lors,tantôtle consulatfutpartagéentreles deux
capitales,tantôtles deux consulsfurentnommés alternative-
mentdans chacuned'elles.Ce futseulement à partirde 399
qu'ily eutrégulièrement un consuld'Orient etun consuld'Oc-
cident4.
Un desprivilèges les plusenviésde Romeétaitson adminis-
trationfrumentaire, dontl'organisation remontait à Auguste:
les « largitionesfrumentariae », qui avaient pris encoreplus
d'extensionau me siècleet portaient mêmesur le vin et les
vivres,distinguaient la plèberomainede celle des autresvilles
del'empire.Constantin instituaégalement l'annoneà Constan-
tinopleet les distributions de blé commencèrent le jour même
de l'inauguration,le 11 mai3305. D'aprèsSocrate,Constantin
fitdistribuerchaquejour80,000boisseauxde blé6et ainsiqu'à
1. Excerpta Valesiana,dans les Monumenta Germaniae, Auctoresantiquis-
simi, t. IX, p. 10.
2. Themist.,Orai.. III, éd. Dindorf; Lécrivain. le Sénat, d. 218.
3. Ebersolt,le Grand-Palais de Constantinople.Paris, 1910.p. 14-15.
4. G. Humbert,art. Consul, Daremberg et Saglio, II, 1, 1465; Goyau,
Chronologiede l'empireromain, p. 620.
5. Calendrierde Philocalus, C. /. Z., I, p. 342 et 394. Chron. pascale,
a. 332 {Pat. Gr., XCII, col. 712).
6. Socrate, H. E., II, 13.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
254 LOUISBREHIER.
Romedescorporations de « navicularii » furent instituéespour
allerchercherle bléen Syrieet en Egypte1.L'organisation de
l'annoneétaitle signematériel del'identitéque Constantin avait
vouluétablirentreles deuxvilles.
Enfin,pourcompléter la ressemblance, de mêmeque Rome,
Constantinople eutsoncirqueet ses associations sportives,ses
factions.Ce n'étaitpas là à vraidireun privilègeexclusifde
Rome, puisque des cirques existaientaussi dans les plus
grandesvillesde l'empire, à Trêves,à Carthage, à Antioche,à
Thessalonique, mais celuide la seconde Rome devait avoirune
importance particulière.Septime -Sévère avait déjà commencé
la construction de l'hippodrome de ByzancedontConstantin
décidal'achèvement. Ce futlui qui fitconstruire les gradins,
la
aménager spinamédiane,qui fut embellie à l'aide d'œuvres
d'artenlevéesaux temples et la
païens, ériger logeimpériale, le
Kathisma, véritablepalais qui communiquait directement avec
le Grand-Palais impérial2.
La divisiondu territoire assignéau développement futurde
la villeen quatorzerégions,la détermination dans cet espace
de sept collines,le nom de Capitoledonnéà l'une d'elles,
montrent jusqu'à quelleminutie presqueenfantine futpousséle
soucid'identifierlesdeuxvilles.En outre,la nouvelleRomeeut
à sa naissanceun avantagemarquésurl'ancienne: elle ne fut
pas seulement la villesouveraine,elle devintaussi en faitle
du
siège gouvernement impérialet la résidencedes principaux
fonctionnaires l'empire.La nouvelleRome eut donc sur
de
l'anciennela supériorité d'êtreà la foisla citéimpériale, souve-
rainethéorique la
de l'univers,eten mêmetemps capitalepoli-
tique,siègeréeldu gouvernement central.Dioclétienavait cru
pouvoirséparerles deux titres;les capitalesde la tetrarchie
avaientlaisséà Romesonrangde métropole de l'empire.Cons-
tantinople au contraire devient à la foisla métropole nouvelle
et la capitaledéfinitive. Afind'assurerà la majestéimpériale
un siègequi fûtdigned'elle,Constantin fitconstruire sur le
plateauqui domine la mer de Marmara un ensemble grandiose
1. Eunapius, Vie des sophistes, Mdesius, éd. Boissonade, p. 462; Cod.
Theod., XIII, 5, 7 (334).
2. Ebersolt,le Grand-Palais impérial, p. 13-14.Patria Constantin.(Ban-
duri,Imper, orient.,I, p. 4).

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
ET LA FONDATION
CONSTANTIN DE CONSTANTINOPLE. 255
de palais, véritablecitéinterdite au cœurde la grandeville,
dontlesjardinsmagnifiques s'inclinaientenpentedoucejusqu'à
la mer: le palais de Chalcé,destinéaux actes solennelsdu
gouvernement; Daphné,où se trouvaientles appartements
privésde l'empereur et de sa famille; la Magnaure,réservée
aux réceptions solennellesd'ambassadeurs1. Enfin,commepour
affirmer officiellement
la supérioritéde Constantinople, le buste
laureet couvertdumanteauimpérial la
qui représentait surles
monnaiesétaitreprésenté avec un sceptre;l'absencede cet
attribut surles figurationscontemporaines de l'ancienneRome
nousdécouvrela nuancede la penséeimpériale2. Les deux
villes sontégalement les métropoles de
historiques l'empire,
mais Constantinople en est aussi la capitalepolitiqueet le
sceptrequ'elletientà la mainreprésente la souverainetéimpé-
rialedontelle estle siège.

III.
La volontésystématique manifestéepar Constantin de créer
une nouvelleRomeest donchorsde doute.Aprèsavoiressayé
de déterminer le' statutjuridiquede la nouvellemétropole,
il est nécessairede rechercher quel futson régimeau point
de vue religieux.L'opinionde quelqueshistoriens, nousl'avons
vu, est que Constantin a voulu quitterla Rome des Césars,
citadelledu vieuxpaganisme,pourpouvoirédifier une Rome
chrétienne surle Bosphore.Il estdoncimportant pourapprécier
cetteconclusionde connaîtrela politiquereligieusede Cons-
tantindanssa nouvellecapitale.
S'il eût voulu pousserjusqu'au boutle parallélismeentre
l'ancienneetla nouvelleRome,Constantin eût dû établirdans
sa villelesantiquescollègesdeprêtres, pontifes,flamines,frères
arvales,saliens,vestales,dontl'existenceavaitpassé si long-
tempspourêtreliéeà cellede l'Étatromain.Onnevoitpasqu'il
en aitjamais eu la pensée,et pourtant la seuleabsencede ces
institutions devaitétablirune différence essentielleentreles
deuxcapitales.Cetteconduite s'explique d'ailleurs
suffisamment
1. Ebersolt,le Grand-Palais impérial, p. 14-16,49-50,68, 161-164.
2. J. Maurice,Numismatiqueconstantinienne,1. 1, p. 251-254; t. II, p. 520-
523. Cf. supra, p. 251.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
256 LOUIS BRÉHIER.

par les principesqu'il avaitadoptésdepuisla publication de


Fédit de Milan : sans vouloirpersécuterle paganisme,il
s'abstenaitdu moinsde toutce qui pouvaiten favoriser le
développement. Mais on s'est demandé si le désir de fuirle
spectacledes fêtesofficielles du paganisme,qui tenaient une
si grandeplace à Rome,ne Ta pas pousséau choixd'une
nouvellecapitaledontil pourraitfaireune Romechrétienne.
Persuadéde la difficulté qu'il rencontrerait à détruiredes
usages et des institutionsséculaires auxquels l'aristocratieséna-
torialegardaitun attachement inébranlable, il auraitpris la
résolution de chercher un terrainlibreoù il lui seraitpossible
de poursuivre sans opposition la nouvellepolitiquereligieuse
qu'il méditait.
Les éruditsse sontdiviséssur cettequestion,et ce qui fait
l'objetde leurscontroverses ce sontles deuxtextescontradic-
toiresd'Eusèbeet de Zosime.
D'une part,Eusèbe, après avoir parlé des églises et des
« martyria » dontConstantin embellitsa ville éponyme,dit
qu'il honora la mémoire des martyrs et qu'il consacrasa ville
« au dieu des martyrs », puis il ajoutequ' « inspirépar la
sagesse divine», il ordonnade purifierla ville de toute
idolâtrie » en interdisant d'honorer les idolesdansles temples,
de verserle sangdes victimessur les autels,d'accomplir des
sacrifices, de célébrer des solennités en l'honneur des dieux1.
Ce témoignage estconfirmé parceluide Sozomènequi va même
jusqu'àdireque presque tous les païensetlesjuifsde Constan-
tinoplese convertirent au christianisme et que la villefondée
au moment où se répandait la foichrétienne ne connutjamais
« niles autels,ni les templespaïens,ni les sacrifices », sauf
pendant le règneéphémère Julien2.De même,saintAugustin
affirme que Constantin fonda unevillequi fut« commela fille
deRome,maissans les temples, sansles statuesdesdémons»3.
Enfin,lorsqu'en341 ConstanceII romptavec la politique
de Téditde Milanet interdit danstoutl'Orient« la superstition
et les sacrifices insensés», il faitallusionà une loi de Cons-
tantinrelativeau mêmeobjet4.
1. Eusèbe, Vita Constantin^ III, 48-49.
2. Sozomène,JET. E., II, 3.
3. Saint Augustin,De civitateDei, V, 25.
4. Cod. Theod., XVI, 10, 2; cf. Maurice, Numismatique constanttmenne,
t. II, p. LXXI.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
ET LA FONDATIONDE CONSTANTINOPLE.
CONSTANTIN 257

D'autre part, Zosimeaffirme que Constantinéleva deux


templespaïensdans sa ville éponyme.Dans Tun, il plaça la
statuede la Mèredes Dieux « que les compagnons de Jason
avaientmiseautrefois sur la montagne de Dindymequi com-
mandela villede Gyzique; on ditqu'il gâta cettestatueparle
méprisqu'ilfaisaitdeschosessaintesen ôtantles deuxlionset
en changeant la posturedesmains(il en fituneorantetournée
versla ville).Il mitdansl'autretemplela statuede la Fortune
de Rome»*.
Contrece témoignageformel,l'affirmation de Sozomène,
tropintéressé à exagérer le zèle de Constantin pourle christia-
nisme, ne saurait prévaloir. Reste l'interdictiondes cérémonies
païennesque le témoignage de Zosime passe sous silence,mais
n'exclutnullement : les templesn'ontpas étéfermés, seulement
les cérémonies du culteetles liturgies solennellesontétéprohi-
béesdansla villequiétaitla résidence de l'empereur. Ces textes
ne sont donc pas inconciliables, et celui de Zosimeprouve
suffisamment qu'à l'origine dumoins,Constantinople n'a pas eu
le caractèred'unevilleexclusivement chrétienne. Un examen
impartial desfaitsne peutque confirmer cetteconclusion.
On remarquera d'abordque ce n'estpas le passé chrétien de
Byzancequi pu a déterminer le choix de Constantin. Il n'y a
aucuncompteà tenirde la légendeapostoliquede saintAndré
qui apparaîtseulement au viesiècle2et ce n'estpas avantla fin
du 11esièclequ'il est questiond'unecommunauté chrétienne à
Byzance3 : son importance paraît avoir été minime et les hagio-
graphesconstatentque le nombredes martyrspropresà
Byzanceest excessivement restreint4; la plupartdes saints
vénérésplus tard à Constantinople sontdes étrangersdont
les reliquesontcommencé à êtreintroduites sous le règnede
Constance.Il semblemêmeque le premier évêquede Byzance
dontl'existencene fasse aucun doutesoit Métrophane, et il
exerçases pouvoirsde 306 à 3145. Au moment de la fondation
1. Zosime, II, 31.
2. Dom Leclercq, Dictionnaire d'archéologie chrétienne.Art. Byzance, II,
1, col. 1364-1365.
3. Tertullien,Ad Scapulam, 3 ; Philosophoumena, VII, 35.
4. Delehaye, Saints de Thrace et de Mésie (Analecta Bollandiana, 1912,
p. 236-237).
5. Dom Leclercq, op. cit., 1368, 1398.
REV. HlSTOR. CXIX. 2e FASC. 17

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
258 LOUIS BREHIER.

de Constantinople, le christianisme tenaitdoncpeu de placeà


Byzance et, en se plaçant point vue religieux,n'importe
au de
laquelle des grandesmétropoles de l'Orient,Antioche, Alexan-
drie,Thessalonique, pu eût offrir à Constantin un terrain plus
favorable ; à plus forteraisonle passé chrétien de Byzancene
pouvaitêtrecomparéà celuide Rome; c'estlà que Constantin
auraitdû rester,s'il eût été vraiment préoccupéde fairede sa
résidence unemétropole chrétienne.
Au débutdu ivesiècle,Byzancenousapparaîtau contraire
commeune ville toutepaïenne,et plusieursdes sanctuaires
qu'ellepossédaitfurent restaurésou embellisaux fraisde l'em-
pereur. Bien plus, les actes deConstantin nousmontrent danssa
politique religieuse une certaine hésitation, un caractèrequelque
peu équivoquequi s'accordeassez malavec l'inspiration exclu-
sivement chrétienne que voudraient lui donner Eusèbe et Sozo-
mène.
Il n'estpas douteuxtoutd'abordque les templespaïensde
l'ancienneByzance n'aientété conservés,et l'auteurde la
« PatriaConstantinoupoleos » rédigéeà la findu xe siècle en
citeun assez grandnombredontle souvenirs'étaitconservé.
Un templede Zeus,construit sous Numériendans le quartier
où s'éleva plustardSaint-Mamas, ne futdémolique dans la
deuxièmeannéedu règnede Zenon,en 475*. Le faubourgde
Daphnidevaitsonnomà la statuedeDaphnéapportée de Rome,
de
auprès laquelle un
était oracle ; au mois de les
janvier, magis-
tratsvenaienty recevoirune couronne de lauriers2.Un temple
païens'élevaitsurl'emplacement de l'égliseSainte-Irène3. Le
quartierde Psamathiaseraitainsi appelé d'une idole adorée
autrefois par les païenset que les chrétiens traitaientde men-
teuse,^Fe^aTivóç4. Quelques-unsde ces templesfurentmême
restaurés,nous l'avons vu, par ordrede Constantin.Aux
exemples citésparZosime,il fautajouterle templedesDioscures
dontparleHésychiusde Miletet donton conservalongtemps
les statues5. Il estmêmeprobable, commele supposeM. J.Mau-

1. Banduri,Imperium orientale, I, 58.


2. Ibid., I. 9.
3. fínd., I, 31.
4. Ibid., I, 48.
5. Hésychiusde Milet,IV, 4 (Müller,Fr. hist,gr., IV, p. 1491).

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
DE CONSTANTINOPLE. 259
ET LA FONDATION
CONSTANTIN

rice,que le templede la Fortunede Rome,'Pú^ç Tù/tq, fut


construit à cette époque,tandisque celui de la Fortunede
Byzance,qui existaitdéjà,futsimplement restauré1. Sansdoute,
ces allégoriesde la Fortuneavaientun caractèreabstraitqui
les rendaientmoinschoquantespour des chrétiensque les
anciennesdivinités de l'Olympe: elles n'en constituaient pas
moinsune fidélité à la tradition païenneet il est remarquable
que Constantinn'ait pas songé à s'en affranchir. Les deux
Tychésde Romeet de Constantinople sontreprésentées en effet
plusieursfoissurles monnaies, celle de Romesous la figure
d'unefemmecasquée,assise sur un bouclieret tenantavec le
sceptre le globedumondesurmonté d'unevictoire, cellede Cons-
tantinople, conforme au typehellénistique, avec sa couronne tou-
reléeet sa corned'abondance2. D'après la « Patria », une statue
de la Tychéapportéede RomeparConstantin auraitétéplacée
par lui au-dessus du palaiset détruiteparl'empereur Maurice3.
D'autrepart,suivantunetradition conservéepar la Chronique
pascale,on célébraen 328 des sacrifices nonsanglants, « 0uatav
ávaCfiiaxTov», en l'honneur de la Tychéde Constantinople, qui
reçutà l'égal de Romele nommystique d"AvOoDaa (Florentia)4.
Ce détailestconfirmé parJeanLydos,d'aprèslequelConstanti-
nopleeutles troisnomsqueportait Rome: Amor,Flora,Roma5.
Il est impossible de méconnaître le caractèreofficiel de ces
manifestations et il y a là plus qu'une simpletolérance.Au
moment où il fondasa villeéponyme, Constantin ne songeapas
à se dispenser des riteset des pratiquesqui devaientprésider,
suivantune tradition trèsancienne,à la fondation des cités
nouvelles6. S'il avaiteu la volontéferme de donnerà Constan-
tinople un caractère exclusivement chrétien, il eûtcertainement
agi d'autre manière.
On a cruquelquefois que cetteconduiteavaitobéià des con-
sidérations et
politiques qu'il avait vouluménagerles païens
encorenombreux, en particulier dansl'aristocratie sénatoriale.
1. J. Maurice,Numismatiaue constantinienne.t. IL d. lxxvtii *t 525-59«.
2. J. Maurice,ibid., t. II, p. 520-527;Strzygowski,Die Tychevon Konstan-
tinopel {Analecta Graecensia. Graz. 1893Í.
3. Banduri,Imper, orient.,I, 9.
4. Chron. pascale, a. 328 (Pat. Gr., XCII, col. 709).
5. JeanLydos,De Mensuris,IV, 50 (nom mystique,sacerdotalet politique).
6. Cf. Fustel de Coulanges,la Cité antique, p. 153-154.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
260 LOUISBRÉHIER.
Tout ce que nous savons de son caractèreparaîtdémentircette
opinion; la puissance formidableet incontestéedont il dispo-
sait depuis la chute de Licinius eût rendu toute opposition
impossible.Lorsqu'il a cru devoir prendredes mesuresdéfavo-
rables au paganisme,aucune considérationne Ta arrêtéet il ne
paraîtavoirrencontréaucune résistance.S'il a permisces mani-
festationspaïennes dans la ville qu'il fondait,c'est qu'il ne les
désapprouvaitpas. M. J. Maurice a émis l'hypothèseque jus-
qu'à l'inaugurationde la ville en 330 ce furentle sénat nou-
vellementcréé et les hauts fonctionnairesen grande partie
païens qui eurentla haute mainsur les travauxet dirigèrentla
restaurationdes templespaïens : à partirde 330, au contraire,
l'empereuret la cour s'installentà Constantinople, le christia-
nisme devientla religion officielleet c'est alors que le culte
païen est interditsur le territoire
de la ville1.
Il est exact qu'à partirde 330 la répulsion de Constantin
pourle paganismeest allée en s'accentuant,mais est-ilpossible
de croire qu'un hommeaussi actif, qu'un prince aussi autori-
taire, qu'un croyantaussi convaincu se soit désintéresséà ce
point du régime religieux qui allait régner dans la nouvelle
Rome? Ne vaut-il pas mieux chercherdans l'évolutionde la
penséereligieusede l'empereurl'explicationde ce changement
d'attitudeà l'égard du paganisme?
On a aujourd'huila preuve certaine qu'avant son adhésion
publiqueau christianisme qui suivitla batailledu Pont-Milvius,
en octobre312, Constantinpratiquaitle cultedu Soleil qui s'était
répandudans l'empireau niesiècle et avait un caractèrede syn-
crétismephilosophique2.CommeM. J. Mauricel'a montré,cette
religionétait ceÙe de ConstanceChloreet, lorsqueles panégy-
ristesde Constantinprétendirent rattacherà Claude II l'origine
de sa famille,le Soleil, <ctuus Apollo »3 fut présentépar eux
commele dieu patrimonialde lá dynastiedes secondsFlaviens.
La nouvelledynastiesolairefutglorifiée commeprenantla place
des dynastiesjovienne et héracléennede la tetrarchie.Cette
religion,qui était probablementcelle de son enfance,Constan-
tiny demeuralongtempsfidèleet, mêmeaprès qu'il eut témoi-

1. J. Maurice,Numismatiqueconstantinienne,t. II,'p. lxxviii-lxxix.


2. J. Maurice,Ibid., t. Il, p. xx et suiv.
3. Paneg., VII, 21.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
ET LA FONDATION
CONSTANTIN DE CONSTANTINOPLE. 261

gné publiquement sa vénérationpourle christianisme, il ne


l'abandonna pas entièrement.
Il n'estpasinutilederappeler queConstantin a reçule baptême
seulement à la veilledesa mort, en337. Il a doncdifféré volontaire-
mentsoninitiation au christianisme, parcequ'en réalité ce n'est
pas dès le premier jourqu'ily a adhéré tout entier. Autant qu'on
peuten juger,mêmeaprès312, il sembleavoir conservéson
respectpourle cultedu Soleil; puis,sous l'influence du chris-
le
tianisme, caractère de ses croyances s'est lentement modifié
jusqu'aujouroù ellesontfinipar se confondre avec les dogmes
chrétiens. Un certainnombrede témoignages nouspermettent
de suivrecetteévolution.Commel'a montréM. Pichón,dans
le panégyrique prononcé aprèsl'éditde Milan,ce n'est,plusle
Soleil qui protègeConstantin, mais une puissanceproviden-
tielled'uncaractère abstraitqui n'estpas le Dieu deschrétiens
et admetau-dessous d'elledes dieuxinférieurs, sortesde génies
attachésau commun deshommes. Dans le panégyrique suivant
prononcépar le rhéteur la
Nazaire, croyance au Dieu unique
estencoremieuxmarquéeet les traitsempruntés à la mytholo-
gie apparaissent commedesornements littéraires1. Le dieudont
il est questiondans ces discoursparaîtbienêtrele mêmeque
celui qui est invoquédansle textede l'éditde Milan2ou sur
l'inscription de l'arc de triomphe de Constantin érigéà Rome
en 315 3.
La foi dans cetteprovidencedivinedontil a éprouvéles
bienfaits paraîtêtre à ce momentle fondement mêmede la
religionpersonnelle de Constantin ; mais cette religionest
déjà en train de perdre son caractère abstrait et philoso-
phique. Dès octobre 312, Constantin fait graverle mono-
gramme du Christ sur les boucliers de ses soldats et ce seulfait
implique une adhésion formelle au christianisme4. Bienplus,le
1ermars317, à l'occasionde l'élévationde Crispuset de Cons-
tantinII au rangde César,l'empereur inaugureson étendard
1. Pichón,la Politiquereligieusede Constantin¿après les Panegyrici
latini. Séances de l'Académiedes inscriptions.Bulletin. 1906, p. 294 et suiv.
2. Lactance, De Mortibuspersecutorum,48; Eusèbe, H. E., X, 5.
3. C. /. L., t. VI, n* 1139, c instinctudivinitatis». Cf. Paneg., IX, « divino
monitusinstinctu».
4. Lactance, De Mortibus persecutorum, 44-45; Maurice, Numismatique
constantinienne,t. I, p. lxxiv.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
262 LOUIS BREBIER.

particulier, le labarum,dontla hampese termine parle mono-


gramme1, et à partirde cettedate les signeschrétiens appa-
raissentsurles monnaies2.
Ce sontlà des faitsincontestables. D'autresfaitsnon moins
bienétablisdémontrent qu'enacceptantces nouvelles croyances,
l'empereur renonçapas toutde suiteà sa vénération
ne pourle
Soleil. L'édit de 321 sur l'observationdu repos dominical
ordonnede cesserle travail« le jour vénérabledu Soleil »3.
Détailplus caractéristique encore,des signes chrétiens,la
croixgrecquepar exemple,figurent sur des monnaiesdédiées
« SoliInvictoCorniti »4. Surune monnaiede l'atelierde Tarra-
gonefrappéeen 313 en l'honneur de l'entrevuede Constantin
et de Liciniusà Milan(FELIX ADVENTVS AVGG NN), la
tête radiéedu Soleilapparaîtau droit,conjuguéeavec celle
de Constantin;sur le bouclierque tientl'empereur, le char
du Soleil est représentéau-dessusdu buste de l'Océan. La
légende: INVICTVS CONSTANTINVSMAX AVG montre
l'épithèteclassiquedu Soleilappliquéeà l'empereur dontla per-
sonnese confond avecla sienne5.
Par uneanalyseremarquable desmonnaiesconstantiniennes,
M. J. Mauriceest parvenuà démontrer que la présencede
signeschrétiens au revers de certaines monnaies à symboles
païensest due à l'initiative de fonctionnaires subalternes qui
trouvaient dans ces marquesun moyencommodede distin-
guerle travailde différentes équipesd'ouvriers graveurs.En ce
qui concerneau contrairel'effigie impériale, aucunefantaisie
individuelle, aucunealtération n'étaittolérée6.Les monnaiesde
Tarragonequi identifient l'empereur avec la divinitédu Soleil
sontdoncbienl'expression de la volontéimpériale.
officielle
Bien plus,il est impossible de ne pas établirun rapproche-
1. Maurice,Numismatique constantinienne,t. II, p. lix.
2. A l'atelier de Tarragone dès 314 (Maurice, Ibid., t. I, p. xxxi; t. II,
p. 249), à Rome, 317-320(Maurice, t. I, p. xxxm). A Siscia, le monogramme
est représentéen 317-320 sur le casque impérial (Maurice, t. II, p. 331 et
suiv.). __
3. Cod. Just.,Ill, xii, 3; Cod. Theod., 11,8, 18. Voir la discussionde Mau-
rice sur la déformation possible de la pensée impériale,Numismatique cons-
tantinienne,t. II, p. LXI-LXII.
4. Maurice, Numismatiqueconstanttnienne,t. il, p. ¿w-zvd (larragone,
313-317).
5. Maurice,Ibid., t. II, p. 236-242; cf. Babelon,Mélanges Boissier.
6. J. Maurice, Ibid., t. II, p. xciv-cix.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
ET LA FONDATIONDE CONSTANTINOPLE.
CONSTANTIN 263

mententreles piècessi curieusesde Tarragoneet la statuedu


Soleil,à la têteradiée,qui futélevéeen 3281à Constantinople
sur la colonnede porphyre2 placée au centredu Forumde
Constantin. Cettestatuecolossale d'Apollon-Hélios était en
bronzedoré; de la maindroiteelletenaitunelance,de la main
gaucheun globede bronzequi futpeut-être surmonté d'une
croix3.Un tremblement de terrela renversaen 1106 et elle se
brisa; la têterestéeintactefutportéeau palais impérialoù
Tzetzèsla vit4.Il est assez remarquable qu'Eusèbe,préoccupé
d'écrireun panégyrique où Constantin devientun héroschré-
tien,ne parlepas de ce monument. Philostorgius,qui écrivait
au ve siècle,mentionne la statueplacéesurla colonnede por-
phyreet il ressortde sontémoignage qu'ellereprésentaitCons-
tantinlui-même5. L'identification entrel'empereur et le soleil
étaitdoncla mêmeque celledesmonnaies de Tarragone.Cons-
tantinse confondait avec le dieututélairede sa dynastie et ce
futparceque cettestatueétaitcenséereprésenter l'empereur
que les habitantsde Constantinople, mêmechrétiens, au direde
Philostorgius, qui raconte le faitavec indignation,brûlèrent de
l'encens,allumèrent descierges et se prosternèrentdevant elle6.
Pour ne laisseraucun doute,on avait,suivantun auteurdu
xesiècle,Leo Grammaticus, gravésurle piédestall'inscription :
KwvŒTavTtvq) 'HXíou
XccpicovTi Bixtqv, « A Constantin brillantcomme
le soleil »7. Enfin,suivantd'autressourcespostérieures, on
renferma à l'intérieurdu piédestaldes reliques,tantpaïennes
que chrétiennes,la statuedu Palladiumapportéede l'an-
cienne Rome à côté des paniersde la Multiplication des
pains. Sans doute,M. J. Mauricea émis l'hypothèseque
ce monument avait dû êtredédiéà l'empereurpar le sénat
de Constantinople avantl'inauguration dela ville8,maisaucun
destémoignages que nous sur
possédons cettestatuene nousa
conservéd'inscription rappelant ce rôledu sénat.Bien au con-
1. Date donnéepar la Chroniquepascale, a. 328 (Pat. Gr., XCII, 709).
2. La colonneentièrementcalcinée est connue aujourd'hui sous le nom de
« colonnebrûlée ».
3. NicéphoreCallistès,VII, 49.
4. Tzetzès, Chiliade, VIII, 329 et suiv.
5. Philostorgius,H. E.. II, 18.
6. Ibid.
7. Leo Grammatic.(Byzant. de Bonn), p. 87* Les inscriptionsde Constan-
tin à Constantinopleétaientcependanten latin.
8. J. Maurice,Numismatiqueconstantinienne,t. II, p. xlvi-xlvii.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
264 LOUISBREMER.

traire,l'identitéqu'onrelèveentrel'inspiration donttémoigne la
statued'Hélioset celle des monnaiesde 313 sembleindiquer
que nous noustrouvonsici en facede la penséeimpériale. Il
paraîtd'ailleursinadmissible que Constantin se soit désintéressé
entièrement de l'ornementation du Forumdestinéà porterson
nom.
Le monument de Constantinople nousmontre doncque,même
après avoir accepté le christianisme, l'empereur n'avaitpas
renoncéà l'attribut tout païen qui étaiten quelquesortela
représentation concrètede sa dynastie.Le soleil avait cessé
d'êtrepourlui unedivinitétutélaire, maisson effigie avaitpris
unevaleuren quelquesorteallégoriqueet servaità glorifier la
et
dynastieà laquelleil se rattachait qu'il avait la volonté de
perpétuer surle trônedesCésars.Cesvuespolitiques expliquent
la présencedans la nouvelleRomed'unestatuede Constantin-
Hélios; peut-êtrefaut-il admettreaussi que ce monument
témoigne d'uncertainattachement aux doctrines astrologiques.
On peut rappelerà ce sujet certainsfaits caractéristiques
dontla « Patria » a conservéle souvenir.Aux thermesde
Constantin, on avait construitsept loges (èv(%aç) en l'hon-
neurdes sept planèteset douzeportiquescorrespondant aux
douzemois*.On voyaitautrefoisdevantSainte-Sophie trois
cent quarante -sept statuespaïennes dont on attribuaitla
réunionà Constantin et dontplusieursavaientun caractère
astronomique; il y avait entreautresun Zodiaquefigurépar
douze statueset Yon avait conservéla tradition qu'avantde
fondersa ville,Constantin en avait faittirer l'horoscopepar
desastrologues2.
Ainsil'élémentpaïena tenudansla fondation de Constanti-
nople une place assez importante. La plupart des historiens ont
faitla parttropbelleà Eusèbeen acceptantson témoignage
sansrestriction. Il neparaîtpasdu toutqu'enfondant une nou-
velle Rome,Constantin ait voulu systématiquement en faire
une ville plus chrétienne que les autres villes de l'empire. Il
s'est contentéd'y appliquerles principesqui régissaient l'en-
semblede sa politique religieuse.
1. Banduri,Imper, orient.,Í, 3.
2. Patria Constantin. (Banduri, Imper, orient., I, 3); Preger, dans ia
de
ByzantinischeZeitschrift,t. XI, p. 164 et suiv. (compte-rendude l'ouvrage
Maas, Ânalecta sacra et profana).

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
CONSTANTIN ET LA FONDATION DE CONSTANTINOPLE. 265

Or, c'estun faitincontestable qu'après330, annéede l'inau-


guration de la ces
ville, principes se sontquelquepeu modifiés.
C'esten effet à partirde ce moment que l'attachement de Cons-
tantinau christianisme et
est devenuplus étroit que sa désaf-
fectiondu paganisme a commencé à se manifester par des actes
significatifs, qui ne sont pas tous particuliers à Constanti-
nople. Ce fut sans doute alorsqu'il prononça l'interdiction du
culte païen et des sacrificesdans la ville, et l'on a rappro-
ché avec raisoncettemesurede celle qu'il avaitpriseen 327
lorsqu'ilpermit aux habitants d'Hispellum (Ombrie)d'éleverun
temple en l'honneur de la gens Flavia, à condition qu'il n'yfut
accompli aucun acte cultuel, mais qu'il servît seulement à des
jeux et des réjouissances De
populaires1. même, il est exact que
deségliseset des « martyria » s'élevèrent à Constantinople, que
des statuesd'un caractèrechrétien, tellesque celles du Bon
Pasteur ou de Daniel entreles lions,décorèrent les places
publiques, que la statuedu Christfutélevéeà l'entréedu palais
de Chalcéet qu'unegrandecroixgemméefutsuspendueà la
voûted'unesalle de Daphné2.De même,dans le vestibulede
Chalcéune peinturemontrait Constantin la croixsurle front
et transperçant de sa lance un dragon,dontla signification
étaitclaire3,et la mêmeallégoriefiguresur des monnaiesde
l'atelierde Constantinople4.
Il s'en fautde beaucoupd'ailleursque ces manifestations de
christianisme soientspécialesà Constantinople. Le nombredes
églisesfondéespar Constantin danssa nouvellevillene paraît
pas trèsconsidérable ; plustardon lui en attribua, sans aucune
preuve,un trèsgrandnombre, maisSocraten'enciteque deux:
Sainte-Irène et les Saints-Apôtres ; celle-ciétaiten réalitéun
mausolée5. On peuty ajouterl'églisedu Seigneur enfermée dans
l'enceintedu palais6et peut-être aussi plusieurschapellesou
1. Maurice,Numismatique constantinienne,t. I, p. cxlv.
2. Eusèbe, H. E.9 III, 48-49. Sur les colonnes crucigèresattribuéesà Cons-
tantindans le poème de Constantinle Rhodien,voirRev. des étudesgrecques,
1896,p. 74.
3. Eusèbe, H. E., III, 49.
4. Maurice,Numismatiqueconstantinienne,t. I, p. cxlv.
5. Socrate, H. E., I, 16. 11est admis aujourd'hui que l'église Sainte-Sophie
futfondéepar Constance.
6. Ebersolt,le Grand-Palais impérial, p. 38 et suiv.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
266 LOUISBRÉHIER.

martyria, élevésen mémoire des saints.Il estfacilede voirque


desfondations aussiimportantes ontétéfaitesparConstantin à
Rome1,à Antioche, à Jérusalem et que des emblèmes .chrétiens
furent exposéssurles placespubliquesdanstoutesles villesde
l'empire.Enfin,la multiplication des signeschrétiens sur les
monnaies ne constitue pasune particularité de l'atelierde Cons-
tantinople, etTon trouvemêmesur une piècefrappée Romeà
entre324 et326 uneallégorietrèsclairede la défaitedu paga-
nisme2. En unmot,Constantinople necommença à prendre l'as-
pectd'unevillechrétienne qu'au moment où le mêmechange-
mentse produisait danstoutl'empire. Sonstatut religieux nedif-
féradeceluidesautresvillesque parl'interdiction de l'exercice
ducultepaïen,mesurequi s'expliqueparleséjourde l'empereur
et sa politiquede plusen plusagressiveà l'égarddu paganisme
et qui estd'ailleursanalogueà cellequi futpriseen 327 à His-
pellum.Il semblebienque, s'il avaitété dans les intentions de
Constantin d'opposer une nouvelle Rome exclusivement chré-
tienneà la Romepaïenned'autrefois, sonactioncontrele paga-
nismeeûtétéplus énergique dèsle début.

IV.
Cetteanalysedes conditions danslesquellesfutfondéeCons-
tantinoplenous apprendseulementque Constantineut la
volontéde créeren Orientunevillequi occupâtdans l'empire
la mêmesituation hiérarchique que Romeet lui devîntmême
supérieure par la résidence de la cour impériale.Cettecréa-
tiondevaitêtredéjà décidéeau moment où s'engageala guerre
contreLicinius,puisquequelquessemainess'écoulèrent seule-
mententrela victoirede Chrysopolis etla fondation officiellede
la nouvelleville.De 306 à 316, Constantinavaitrégnéexclusi-
vement en Occidentet Trêvesavaitété dansl'intervalle de ses
campagnes sa principalerésidence;puis de 316 à il
324, avait
parcouru les provincesde son domaine,sans se fixernullepart,
maisse rapprochant des
toujours pays du Danube et de l'Orient.
1. Sur les fondationsà Rome, voir Lib. Pontificate, éd. Duchesne,I, 172,
178-182.
2. Maurice,Numismatique constantinienne,t. I, p. 246-248.Aux pieds de
l'empereurune panthèreaccablée baisse la tête. La panthère,symbolediony-
siaque, représentaitle paganismetout entier.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
DE CONSTANTINOPLE. 267
ET LA FONDATION
CONSTANTIN
Sa victoiresurLiciniuslui permitenfind'accomplir le dessein
qu'il paraît avoir médité depuislongtemps. Il fonda une ville
qui reçuttousles droits et les de
privilèges Rome,maisqui ne
futau pointde vuereligieux ni pluschrétienne, ni pluspaïenne
que les autresvillesde l'empire.
Il sembledoncbienque des considérations d'ordrereligieux
n'ontexercéaucuneinfluence sur la décisionde l'empereur.
L'idéequ'il auraitabandonnéRomepourlaisserle pape libre
de menerla luttecontreles païensest un simpleanachronisme
où reparaîtla doctrine de la Fausse Donation.Le désirde fuir
desRomains,que sa politique
l'hostilité religieuseauraitirrité,
affirmé par le seul ne
Zosime, paraîtpas une explication bien
meilleure.Il fautd'abordremarquer que Romen'a jamaisétéla
résidencepermanente de Constantin ; il seraitdoncinexactde
direqu'ill'a désertée,puisquedepuisDioclétien elleavaitcessé
d'êtrele siège du gouvernement impérial. Il n'y fiten réalité
que troisséjourspendantlesquelsil reçutdu sénatde nombreux
témoignages d'adulation. Il y entrepourla première foisaprès
la victoiredu Pont-Milvius (27 octobre et
312) y demeure jus-
qu'enjanvier313. Le sénatlui dédiele templeélevéen l'hon-
neurde Romulus,filsde Maxence,lui offresa statueen or,lui
donnele titrede « principal Auguste» ; c'est à ce moment que
Constantin manifeste publiquement son adhésionau christia-
nismeet ilometdecélébrer lesJeuxSéculaires; enjanvier313,
il célèbrepar des jeux la prisede possessionde son troisième
consulat1.
Constantin revientune deuxièmefoisà Romeaprès sa pre-
mièrevictoire surLiciniusety séjournedu 17 juilletau 27 sep-
tembre315. Il y célèbreses « decennalia» par anticipation
d'unan etreçoitdu sénatla dédicaced'unarc detriomphe dont
l'inscription commémore sa victoire sur le tyran et l'attribueà
l'intervention de la divinité « instinctu divinitatis»2.
LorsqueConstantin reparutà Romepourla troisième foisen
326, Constantinople étaitdéjà fondée,ses travauxétaienten
pleineactivitéet l'on ne voitpas que les Romainsen aient
témoignéouvertement du déplaisir.Le 25 juillet,l'empereur
célébrases « vicennalia» au milieude grandesfêtes,maisce
1. Maurice,Numismatiqueconstantinienne,t. I, p. lxxxv-lxxxix.
2. Maurice,Ibid., t. I, p. oci.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
268 LOUISBRÉHIER.
futpendantce séjourqu'eutlieu la tragédiedomestique qui se
terminapar le supplicede Crispuset de Fausta. Constantin
quittaRome1pourn'yplusrevenirversle 25 septembre.
On voitdoncd'unepartque Constantin n'a faità Romeque
des apparitions assez courteset qu'il ne paraîtavoirjamais eu
la penséede s'y établir;d'autrepart,ses rapportsavec les
Romains,dontil attiraun certainnombreà Constantinople,
paraissentavoirété corrects. Il fitéleverau Forumla somp-
tueusebasiliquedonton voitencoreles restesgrandioses.Il
semblemêmeavoiracquisà Romeune certainepopularité : dès
que la nouvelle de sa mort y fut connue en 337, les thermes,
les marchés, les théâtresse fermèrent aussitôtettoutela ville
prit le deuil
; partout on entendait son éloge,on promenait en
grande vénération ses images ainsi que des tableaux peints où
il étaitreprésenté planantau-dessusdes nuages.Les Romains
demandaient mêmeà grandscris qu'il fûtensevelià Rome2.
Cetteexplosionde douleurpopulairemontreassez qu'aucun
malentendu n'existaitentreConstantin et les Romains; elle
enlèvetouteautorité à l'affirmation de Zosime.
En réalité,le motif qui détermina Constantin à transporter la
puissanceromainesurles rivesdu Bosphore a des causesplus
profondes qu'unemesquineblessured'amour-propre. La fonda-
tionde Constantinople n'estque la conséquence logiquede tout
le développement de
historique l'empire romain ; elleétaitjusti-
fiéeà la foispar desraisonspolitiques et militaires.
Dès sonorigine,l'empire romaineutle caractèred'undouble
étatdontl'imagefutla doublechancellerie instituée parAuguste
sousla direction de 1' « ab epistulislatinis» et de 1' « ab epis-
tulisgraecis». D'unepart,l'Italie,les paysneufsdel'Occident,
l'Afrique,la partieouestdela péninsule desBalkans,lesrégions
des Alpesorientales et du Danubeformèrent le domainede la
latinité,tandisque l'Orientrestacelui de l'hellénisme. La con-
quêtede l'Orientparles Romainsne futque la substitution de
leurpouvoiraux monarchies fortement organiséespar les suc-
cesseursd'Alexandre. Nonseulement les Romainsrespectèrent
les institutionsséculairesqu'ilstrouvèrent en Egypte,en Syrie
ou en Asiemineure, maisils prirent à leurcomptel'œuvredes
1. Maurice,Numismatiqueconstantinienne,t. I, p. cxxxviii-cxl.
2. Eusèbe, Vita Constant.,IV, 69.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
DE CONSTANTINOPLE. 269
ET LA FONDATION
CONSTANTIN

Diadoques ; ils devinrentles protecteurset les propagateursde


l'hellénisme.Lorsqu'Auguste fondala monarchieen la dégui-
sant sous des fictionsjuridiques, ce compromis,si bien adapté
au génie romain,resta inintelligiblepourles populationsorien-
tales. Dès le début de l'empire,les Césars ne furentpour elles
que les successeurs légitimesde leurs vieilles dynasties, des
Ptolémées,des Séleucides, des Attalides1;ils leurprodiguèrent,
dans leurs inscriptionshonorifiques, les mêmestitresde Soter,
Evergète, ßaatXeuc, empruntésà la chancellerie des
Ssoxó^yjç,
Diadoques; ils leur prêtèrentles mêmes sermentsde fidélitéet
leur rendirentle mêmeculte qu'à leurs anciens rois.
De leur côté, les Romains n'entreprirent jamais de porter
atteinteà la culturesavantequ'ils trouvaienten Orient.Le latin
n'y fitjamais aucun progrèset le droitromainlui-mêmes'adapta
aux exigences des coutumesorientales2.Bien plus, les Romains
devinrenttributairesde cette civilisationgréco-orientale.Les
empereursempruntèrentà l'Orient ses conceptions monar-
chiques et son organisation administrative.Dans tous les
domaines,juridique,artistique,littéraire,religieux,l'influence
de l'Orient hellénique fut prépondérantedans l'empire pen-
dant les troispremierssiècles de l'ère chrétienne.Il fautd'ail-
leurs se souvenirqu'à partl'Italie et l'Afrique,l'Occidentétait
composéde pays entièrement neufs,sortantà peine de la bar-
barie et gagnés récemment à la vie urbaine et à la civilisation.
En facede ces jeunes provinces,encoremalexploitées,qu'étaient
la Gaule, l'Espagne ou la Bretagne,l'Orient,pays des traditions
séculaires,de la richessefabuleuseet des cités géantes,faisait
un peu le mêmeeffetque la vieille Europe en face de la jeune
Amériqueau commencement du xixe siècle. Au point de vue
économique comme au point vue moral,l'Orient était pour
de
l'empirela terrevraimentfécondequi lui fournissaitdes res-
sourcesinépuisables.Son importancevitale pour le développe-
mentfuturde l'étatromainse manifestasi clairementà ses débuts
que l'idée d'accomplirla révolutionréaliséepar Constantinparaît
avoir traverséun momentla pensée de JulesCésar3et, quelques

1. L. Bréhier, la Conception du pouvoir impérial en Orientpendant les


troispremierssiècles de Vére chrétienne(Rev. histor.,t. XCV, p. 75-79).
2. Ainsi que 1a montréP. Collinet,Etudes historiquessur le droit de Jus-
tinien. Paris, 1912 (voir Rev. histor.,t. CXVII, p. 85-87).
3. Suétone, Caesar, 79; cf. Horace, Carm., III, 3.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
270 LOUIS BRÉHIER.

annéesplus tard,Antoineentreprit de fonder,au bénéficede


Gléopâtre, un véritableempire d'Orient. La possession del'Orient
une
étaitpourl'empire nécessitési importante qu'unegrande
partiede sesforces futtoujours occupéeà défendre sesfrontières
contreles menacesdesPartheset plustarddesPerses.
Or,au coursdu inesiècle,cettedisproportion entreles pays
neufsd'Occidentet la vieille civilisationorientales'accrut
encore.Les invasionsgermaniques bouleversèrent lesprovinces
d'Occident.La Gaule,l'Espagne,l'Italiedu Nordfurentpar-
couruespar des bandesd'envahisseurs qui pillèrent les villes
sansdéfense etmassacrèrent lespopulations. Unemisèrehorrible
succédaà la prospérité de l'époquedes Antonins: le pays se
dépeupla et les grandesvillesd'autrefois devinrent de petites
citésresserrées entredes muraillesexiguës.Les empereurs de
la findu iiiesiècleparvinrent sans douteà rétablirl'ordreet à
fairerégnerde nouveaula paix romaine, maisdès ce moment
l'immigration germanique commença à comblerles videsde la
population. En facede l'Occidentdévasté,l'Orientétaitresté
presqueintact: seulesla péninsuledes Balkanset la Grèce
avaienteu à souffrir des incursionsdes Goths;mais l'Asie
mineure, la Syrieetl'Egypte,dontle solavaitétéadmirablement
mis en valeur par un travailséculaire,formaient plus que
jamaisla partiela plusricheetla plusprospère de l'empire.On
comprend que, dansla luttequ'ils avaiententreprise contreles
barbares, l'Orient aittenu dans les des
préoccupations empereurs
uneplaceprépondérante, et ce n'étaitpas sansdesseinque des
quatrecapitalesde la tetrarchie Dioclétiens'étaitréservéecelle
de l'Orient,Nicomédie.
Ce sontces considérations qui durentavoirle plus de poids
sur l'espritde l'hommed'étatqu'étaitConstantin. En créant
une nouvelleRomeen Orient,il ne fitque consacrerd'une
manière juridiqueun état de faitqui remontait aux origines
mêmesde l'empire.Il évitade choisirpourson nouvelétablis-
sementune de ces grandesvilles cosmopolites, Antiocheou
Alexandrie, dont les traditionsétaienttropanciennespour
qu'ellespussentoffrir l'imaged'unenouvelleRome.Il songea
un momentà releverTroie, l'ancêtremythiquede la race
romaine1, et nousavonsvu que la situation de Sardiquearrêta
1. Sozomène,H. E., II, 3; Zosime, II, 30.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
ET LA FONDATION
CONSTANTIN DE CONSTANTINOPLE. 271
aussisa pensée.En définitive, il choisitunmoyen terme: frappé
desavantagesadmirables de toutesortequ'offrait la positionde
Byzance,il résolutde prendrecetteville d'étenduemédiocre
commela base de sonétablissement et il l'absorbadans sa nou-
velle Rome.On chercherait en vain dans l'histoirel'exemple
d'unecréationd'uncaractère aussioriginalet aussi personnel.
La nouvellecité futvéritablement « sa ville »4, sa nouvelle
Romeet sa capitaleen mêmetemps.
Maisdansle choixde cettesituation, Constantin obéitaussi
assurément à desconsidérations militaires, et ce n'est pasparun
simple hasard la de
que position Constantinople trouvala se
meilleure dansla luttequel'empire soutenait contre lesbarbares.
Au débutdu ivesiècle,sesfrontières étaientmenacées surtoutde
trois côtés : sur le Rhin,les Francs et les Alamanscher-
chaientà pénétrer en Gaule; dansla valléedu Danubeet surla
merNoire,les Gothsetles Sarmatesétaientun dangerpourla
péninsuledesBalkanset l'Asiemineure;enfin, enOrient,l'em-
pireperse,qui avaitdûsubirle traitéde297, n'avaitpasrenoncé
à son plan de conquérirla Syrieet l'Egypte.Au milieude
ces troisdangers,la situation de Constantinople étaitparticuliè-
rement favorable, commepointde concentration des forcesde
l'empire. Située à l'entrée du elle
Bosphore, pouvait* arrêter
toutesles incursions maritimes des Gothset des peuplesde la
Crimée ; la proximité de la valléedu Danubepermettait depéné-
trerau cœurde la barbarie et de
germanique prendre quelque en
sortelesbarbares à revers; enfin, à l'abridesatteintes desPerses,
Constantinople formait en faced'eux un excellentposted'ob-
servation.Lorsqu'ilrésidaità Trêves,Constantin avait défi-
nitivement assuréla frontière du côté des Francs et des Ala-
mans.Cetteœuvreétaitachevéeen 316, au moment oùil quitta
la Gaule. Son établissement à Constantinople lui permitde
prendre uneoffensive semblable contreles barbaresduDanube.
En 327, pendantla construction de sa nouvelleville,il inspecte
cettefrontière etla réorganise solidement. A peineinstallédans
sa capitale,en 332, il faitattaquerles Gothset les Sarmates,
leurinflige unedéfaitedécisiveetles prendau servicede l'em-
pire comme lètesou commeauxiliaires2.
1. Voir les expressionssignificatives
d'Eusèbe, Vita Constant, III, 48 : xijv
otÙToGTtóXiv; III, 54 : tyí; SaaiXéwç uóXecoç, fi ßaciXetoc ¿ti covuutoc ttóXic.
2. Maurice, Numismatique constantinienne, t. I, p. cxlh-cxliii, glvii-
clvhi.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions
272 LOUIS BRÉHIER. - LA FONDATION DE CONSTANTINOPLE.

Ainsile caractèrede la créationde Constantinople nous


apparaît bien net. Elle est le fait d'un homme d'étatà l'es-
pritréaliste a
qui comprisque les provinces d'Orient étaient
la partievitalede l'empireet qu'unenouvelleRomecrééesur
le Bosphore pouvaiten devenirle réduitsuprême, la forteresse
inébranlable.Cettefondation estdoncentièrement indépendante
de ses préoccupations religieuses : seulesdesconsidérationspoli-
tiquesetmilitaires l'ontdéterminée. Les critiquesdesanciens
commedesmodernes ne lui ontpas étéménagées.Il suffit pour
Constantin
justifier de rappeler le rôlequ'eutConstantinople au
moyenâge et comment elle à
parvint perpétuer pendant mille
de l'empireromainaboliesen Occident;de
ans les traditions
plus,ce que son fondateur ne pouvaitprévoir, ellefuten face
de toutesles barbaries la citadellede l'hellénisme et contribua
ainsià sauverce que la civilisation antiqueavait produitde
meilleur.
Louis Brèhier.

This content downloaded from 128.174.141.166 on Tue, 05 Jan 2016 15:49:28 UTC
All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Vous aimerez peut-être aussi