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All content following this page was uploaded by Ahmed El Hassani on 13 October 2017.
Cliché : H. Ouanaimi.
Le Maroc, paradis des géologues
patrimoine géologique
Mech Irdane
Contexte et intérêt pour la sauvegarde
Le jbel portant le même nom, englobe le GSSP (Glo-
du patrimoine géologique bal Stratotype Section and Point) après recommandation
Pour donner envie de protéger, il faut d’abord fai- de la SDS en séminaire (1991) puis ratification par IUGS en
re connaître le patrimoine. Le Maroc, comme on peut le lire 1994 (Walliser et al., 1995). Le jbel Mech Irdane est une
sur les cartes géologiques, est parmi les pays qui couvrent structure synclinale située dans la partie SE du Tafilalt à
112 de manière la plus complète, l’histoire géologique du 12 km au SW de la ville de Rissani. Comme partout ailleurs
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dans le Tafilalt, la coupe peut être entamée dès les niveaux partie centrale de la zone varcus, et avec la séquence de cal-
calcaires à Scyphocrinites, caractérisant, dans l’Anti Atlas, caires fins noduleux, caractéristiques de la partie supé-
la limite Silurien - Dévonien (Photo 1). rieure comprenant les genres Maenioceras, notamment le
La partie Dévonien inférieur est très bien repré- M. terebratum et Pharciceras amplexum. Les calcaires à
sentée et riche en fossiles (Goniatites notamment) : les cal- Pharciceras, qui coïncident avec l'ancienne zone à lunuli-
caires à Mimagoniantites avec le groupe des Anetoceras, costa du Dévonien supérieur, sont absents dans cette cou-
dont Nowakia cancellata, apparaît dans la transition pe. Au dessus de cette lacune, affleurent les calcaires à
calcaires-schistes noirs du Dalejien. Manticoceras dans un faciès crinoïdique.
Au jbel Mech Irdane, les calcaires eiféliens sont très Quelques exemples d’affleurements
fossilifère, avec d’abondants trilobites, des pélécypodes du à intérêts scientifique et géo-touristiques
groupe « Panenka », des orthocône céphalopodes et des
goniatites, en particulier Subanarcestes et Cabrieroceras, On ne peut pas parler du Tafilalt sans avoir en
mais aussi Werneroceras, Fidélites, Agoniatites. mémoire les merveilleux affleurements dévoniens et leur
richesse en fossiles qui font le trésor des bazars et le bon-
La limite Eifélien-Givétien est située au niveau du
heur des visiteurs/collectionneurs.Vu l’énorme variété et
banc 117, limite attestée aussi bien par des méthodes
la richesse des coupes géologiques, nous ne donnons ici
paléontologiques (Walliser et al., 1995) que magnéto-stra- que quelques exemples de ce riche patrimoine naturel
tigraphiques (Ellwood et al., 2011). marocain, telles les séries stratigraphiques du jbel
Le Givétien montre une large séquence de calcaires Boutchrafine, du jbel Amelane et de Ouidane Chebbi à
noduleux et lamellaires avec deux niveaux de pumilio6 la frontière avec l’Algérie et les mud-mounds de Hamar
(provoquées par les tsunamis) situés à la base et dans la Lakhdad (Photos 2 à 5).
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L’analyse de la coupe géologique du Jbel Amelane nom que l’on donne localement au couscoussier tradi-
(voir Photo 2), située à 25 km au SO d’Erfoud, très facile- tionnel qui décrit parfaitement la morphologie de ces édi-
ment accessible par la route goudronnée allant à Msissi fices : conique, à base subcirculaire et sommet pointu pour
et Alnif, permet de suivre une série complète depuis la la majorité d’entre eux. Ils sont au nombre de 46, étalés sur
fin du Silurien jusqu’au Famennien où l’on observe (au 7km en direction E-W et dont la hauteur est comprise entre
bord de la route goudronnée) de longs orthocères et des 3 et 45 m avec des pentes variables de 15 à 60°, mais géné-
goniatites de grandes tailles qu’on retrouve dans les bazars ralement plus fortes vers le Nord.
du Tafilalt (tables d’Erfoud : Photo 6). Cette coupe pré- Ces structures constituent un exemple classique
sente plusieurs curiosités géologiques, mais l’évènement de monticules de boue en eau profonde (démontré par
Kellwasser (KW event)7 reste le plus important dans la l’absence d’algues vertes) liés à l’hydrothermalisme. Elles
région par ses deux niveaux inférieur et supérieur. ont été créées par des éruptions volcaniques sous-marines
Le jbel Bou Tchrafine (voir Photo 3) et le jbel Ame- au Dévonien inférieur. Ces infiltrations hydrothermales
lane sont des témoins d’une période géologique complè- ont persisté pendant une longue période, depuis la fin du
te pour tout le Dévonien, ce qui leur vaut d’être visités Praguien jusqu’au début du Frasnien. La réactivation des
par de nombreuses équipes de géologues de divers pays. processus magmatiques vers la fin de l’Emsien a permis
Les affleurements situés dans la partie orientale du la formation de structure en dômes du complexe volca-
Tafilalt, à Ouidane Chebbi (voir Photo 4), montrent éga- nique, recouvrant des strates sédimentaires, et en consé-
lement une coupe complète du Dévonien avec le passage quence création d’un réseau de failles. Ces failles servent
au Tournaisien (Carbonifère). Les terrains crétacés et néo- alors de conduits pour les fluides chauds qui migrent sur
gènes de la Hamada du Guir sont en discordance angulaire le fond marin. Les données géochimiques suggèrent que
sur le Paléozoïque. les carbonates des monticules de boue se sont formés
par un mélange de fluides hydrothermaux et l'eau de mer
L’une des curiosités géologiques majeures du patri-
(Belka et al., 2015).
moine litho-stratigraphique marocain reste manifestement
les monticules dévoniens de Hamar Lakhdad dans le Tafila- L'un des traits caractéristiques de ces monticules
let, à l’Est d’Erfoud (voir Photos 5) qui sont visités chaque de boue est la présence d'un grand nombre de cavités qui
année tant par les scientifiques que par les touristes. sont des fragments de plus grands espaces libres. À l'ori-
gine, ils constituent un système complexe de fissures, de
Ces structures, assez particulières, ont été décrites
cheminées et d’espaces ouverts remplis de sédiments
dès le début du siècle dernier par Nicolas Menchikoff, géo-
laminés micritiques à grains fins et à ciments de calcite.
logue pétrolier franco-russe, comme une accumulation
Bien que les phases de leur formation ne corresponde
d’origine récifale (Roch, 1934), divers termes ayant été
qu’à une courte période (une seule zone de conodontes),
utilisés par la suite par nombre d’auteurs :
ces monticules sont restés un lieu d'activité animale inten-
protubérances ou bulles pleines (Roch, 1934) ; se. En effet, les parties supérieures de ces structures, offrant
curieux pitons récifaux (Massa et al., 1965) ; une meilleure circulation des eaux, ont été colonisées par
formations récifales du Dévonien inférieur (Hollard, des communautés diverses de Coraux tabulés, de Bivalves,
1963) ; de Crinoïdes, et de Brachiopodes. Les cavités et les fissures,
récifs du Dévonien inférieur (Hollard, 1974, Michard,
1976) ;
mud mounds (Gendrot, 1974 ; Brachert et al., 1992, Hüss-
ner, 1994, Belka, 1998) ;
buildups, reef-mounds ou mud mounds (Tönebohn,
1991) ;
venues hydrothermales localisées au droit du massif
magmatique de Hmar Lakhdad (Mounji et al., 1996,
Belka, 1998) ;
monticules de boue (Belka et al., 2015).
Il s’agit en fait d’accumulations de carbonate du
Dévonien, affleurant dans la partie est de l'Anti-Atlas (Tafi- Photo 4. Le passage Dévonien-Carbonifère à Ouidane Chebbi (partie est
114 lalt), connues sous le nom des monticules « Kess-Kess », du Tafilalt) (Photo : El Hassani).
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Et hors site
Les collections des musées peuvent servir à
l’éducation relative à la conservation du patrimoine envi-
ronnemental (au niveau des écoles) en permettant de
conserver une partie de ce patrimoine. Mais, dans l’état
actuel, au vu de la rareté des musées, des magasins
(bazars) se sont développés un peu partout au Maroc,
particulièrement dans la région du Tafilalt (Erfoud,
Rissani, Alnif, Ouarzazate, …). Ces édifices offrent de jolis
spécimens mis à la vente, bien qu’une bonne partie ait
été façonnée d’une manière peu conventionnelle (voir
Photo 5. Vue générale des mud-mounds (au nombre de 48) dévoniens de photo 6, à droite).
Hamar lakhdad (kess-kess) et différents aspects de ces mud-mounds en 3D
et en coupes (Photo : El Hassani). Cependant, dans le Tafilalt, de petits musées ont
été également élaborés par des particuliers : on peut y
admirer tant la richesse de la région que celles d’autres
régions grâce à l’exposition de pièces rares, de valeurs
scientifiques inestimables telles des copies de dino-
saures, de reptiles et de poissons du plateau des phos-
phates (de Khouribga) ou des météorites de tailles et
types différents. L’un des plus importants se situe au
cœur d’une des principales palmeraies entre Erfoud et
Rissani dans une bâtisse traditionnelle montrant, à
l’extérieur, une emblématique copie de dinosaure. Ce
musée comprend une partie exposition et une partie
Photo 6. Exposition de fossiles dans un Bazar à Erfoud (Photo : El Hassani). magasin de vente. Les espèces rares sont jalousement
gardées. Son objectif est de vulgariser ce type de pro-
anciennes voies de migration de fluides, sont devenues le duits en le rapprochant d’un public large et diversifié
lieu de développement du biotope,avant d’être remplies par (écoliers, touristes, scientifiques).
des sédiments. En outre, ces cavités ont été visitées pério-
Dans le Tafilalt, le commerce des fossiles est une
diquement par des centaines de trilobites (Scutellum,
source de revenu pérenne appréciable pour bon nombre
Harpes) qu’on retrouve actuellement à l’état fossile.
de familles et permet d’attirer des touristes (dont des
Cet environnement fait de cette région un lieu excep- scientifiques). La mise au jour de la réalisation de pièces
tionnel dans le monde,méritant d’être conservé et protégé. mises en vente nécessitent un travail acharné par des
équipes de spécialistes (de fortune), pendant plusieurs
La protection de ce patrimoine jours, voire plusieurs semaines, pour dégager un trilobite,
un crinoïde ou une goniatite.
géologique doit être envisagée
Cette richesse en fossiles et minéraux est menacée
de surexploitation ; seul prime ici, en effet, le prix de ven-
D’abord sur site
te alors que la valeur scientifique est trop souvent laissée
La création de réserves naturelles ou géo-parcs, de côté. Et pourtant, le Tafilalt figure dans le réseau mon-
permettra d’interdire la collecte d’échantillons à des fins dial des réserves de biosphère de l’UNESCO ! Il s’inscrit donc
autres que scientifiques, de valoriser des sites géologiques dans la convention de 1970 concernant les mesures à
par la création d’itinéraires guidés (qu’on peut tirer des prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'ex-
excellents documents des Notes et Mémoires du Service portation et le transfert illicites de biens culturels qui cite
Géologique du Maroc), et la réalisation de panneaux expli- dans son article premier (paragraphe a) les fossiles com-
catifs à fixer sur les géo-sites, en organisant des confé- me biens naturels à protéger. Cette convention a été rati-
rences grand public, en confectionnant et en mettant en fiée par le Maroc en février 2003, mais pour le moment,
vente des moulages (à buts éducatif et économique),et en aucune action sérieuse pour la protection de ce patri-
réalisant des films documentaires. moine n’est visible.
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Cliché : H. Ouanaimi.
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