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Carrefours de la sociocritique / Présupposés et vertus de l'échange théorique transnational

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Présupposés et vertus de l'échange théorique transnational

Anna Boschetti

Première publication dans Texte, revue de critique et de théorie littéraire, no 45/46, 2009, pp.
153-168.

 1. Voir Wallerstein (Immanuel), The End of the World as We Know It: Social Science[...]

 2. Dogan (Mattei) et Pahre (Robert), Creative Marginality: Innovation at the Inter[...]

 3. Campbell (Norman Robert), What is Science, London, Methuen, 1921, p. 88 : « Il [...]

Le développement sans précédent des échanges internationaux a contribué, dans les dernières
décennies, à amorcer une remise en question des frontières entre les approches de l’histoire
culturelle et littéraire. On peut réagir en cherchant à défendre ces cloisonnements, mais ce
serait myope et stérile : l’histoire de la science montre que la plupart des divisions entre les
objets, les disciplines, les « écoles » ne sont pas fondées sur des raisons scientifiques, mais sur
des facteurs historiques et sociaux1. Elle montre, en outre, que l’innovation est souvent le fait
des positions en porte-à-faux entre traditions théoriques et disciplinaires différentes, du fait
que ces positions favorisent des attitudes critiques et euristiques 2. Elles favorisent, notamment,
le travail d’intégration des acquis qui constitue sans doute le principal ressort du progrès
cognitif : la plupart des propositions théoriques qui ont fait date étaient des systématisations
permettant de dépasser les contradictions ou les impasses des théories précédentes 3. Le
dialogue rationnel entre les chercheurs n’implique pas une moindre liberté quant aux choix
d’objet et aux démarches. Au contraire, la division spontanée du travail, résultant de la
différenciation des intérêts et des parcours intellectuels, constitue une des conditions de
possibilité de l’avancée des connaissances.

 4. Parmi les nombreux bilans de ce genre, on peut citer Espagne (Michel), « Sur le[...]

 5. Bassnett (Susan), Comparative Literature. A Critical Introduction, Oxford, Blac[...]

Mais toute recherche risque de rester enfermée dans la singularité du cas particulier ou de la
théorisation ad hoc, dont on ne saurait apprécier la valeur générale, si elle ne parvient à
instaurer avec les autres recherches en cours un rapport de contrôle croisé et d’échange, fondé
sur des présupposés épistémologiques partagés. Cette exigence est ressentie aujourd’hui avec
une force particulière dans le domaine de la littérature comparée, du fait que le rapide
élargissement de son champ d’investigation à l’échelle planétaire y a fait ressortir la disparate
des configurations à étudier et la faiblesse théorique des démarches utilisées. Nombre de
comparatistes éminents ont entrepris une interrogation radicale, allant parfois jusqu’à remettre
en question tous les attendus de leur discipline 4. « Today, comparative literature in one sense is
dead5 », déclarait il y a quinze ans Susann Bassnett, en posant la nécessité de redéfinir les
objets et les approches de la littérature comparée.

Les conditions d’un comparatisme réflexif

 6. Voir, par exemple, Balibar (Étienne)et Wallerstein (Immanuel), Race, Nation and[...]

 7. Moretti (Franco), Graphs, Maps, Trees, London, Verso, 2005.

 8. Spivak (Gayatri Chakravorty), Death of a Discipline, New York, Columbia Univers[...]

 9. Voir Lewis (Martin W.) et Wigen (Kären), The Myth of Continents: A Critique of [...]

 10. Wermer (Michael)et Zimmerman (Bénédicte) (dir.), De la comparaison à


l’histoire[...]

Cette crise est à première vue paradoxale, vu que la hausse de la demande institutionnelle
favorise l’implantation des études comparatives jusque dans les pays et les disciplines où elles
n’étaient quasiment pas représentées. En fait, le regard post-colonial a fait émerger les
principales limites idéologiques et théoriques des démarches traditionnelles 6. Dans Death of a
Discipline, Gayatri Chakravorty Spivak inclut dans son bilan négatif la plupart des tentatives de
renouvellement proposées dans le monde anglophone, car elle met en cause aussi bien la
politisation à laquelle ont souvent abouti les Cultural Studies, que le « distant reading » prôné
par Franco Moretti7, tout en reconnaissant les impasses des recherches identitaires qu’ont
entrepris les Postcolonial Studies et les Transnational Studies,dont elle est par ailleurs l’une des
figures marquantes8. Bien des auteurs sont allés jusqu’à rejeter le recours à la notion de
« comparaison », les uns la considérant comme inextricablement associée à une vision
nationaliste et impérialiste 9, les autres comme un instrument qui ne serait pas adapté à des
objets empiriques « historiquement situés et constitués de multiples dimensions, imbriquées
les unes dans les autres10 ».

 11. Durkheim (Émile), Les règles de la méthode sociologique, Paris, P.U.F., 2007, p[...]

 12. On peut trouver une critique des erreurs les plus communes des pratiques
compar[...]

En fait, ce qu’il faut mettre en cause, ce n’est pas la comparaison, mais la manière dont on la
conçoit et on la pratique, lorsqu’on la ramène à une opposition terme à terme, en oubliant que
les objets de la comparaison ne sont pas des essences, mais des processus. La comparaison est
un mouvement constitutif de toute opération de connaissance, et la réflexivité dans n’importe
quelle recherche implique de fait une perspective comparative, ainsi que le rappelait
Durkheim : « La sociologie comparée n’est pas une branche particulière de la sociologie; c’est la
sociologie même, en tant qu’elle cesse d’être purement descriptive et aspire à rendre compte
des faits11. ». Toute tentative de modélisation théorique risque d’universaliser un cas
particulier, si elle ne met à l’épreuve la généralité de ses hypothèses, en les appliquant à des
objets différents. Les erreurs que l’on reproche au comparatisme peuvent être ramenées à une
attitude de positivisme naïf, qui ne s’interroge pas sur les conditions de possibilité de la
connaissance concernant les objets historiques et sociaux. La croyance dans la transparence
des « faits » expose aux fausses évidences que véhiculent les prénotions du discours ordinaire
et à l’erreur objectiviste, consistant à ne pas tenir compte de ce que le rapport à l’objet doit à la
position et aux schèmes de perception et de classement de l’observateur. Les déboires de la
posture positiviste sont plus évidents lorsqu’on travaille à une grande échelle et l’on rapproche
des phénomènes relevant de processus historiques très différents, alors que la description d’un
objet temporellement et spatialement très circonscrit peut plus facilement passer pour une
analyse rigoureuse et exhaustive, même si ce type de recherche n’en est pas moins exposé aux
inconvénients d’une démarche ne questionnant pas suffisamment ses attendus 12.

 13. Bourdieu (Pierre), Chamboredon (Jean-Claude) et Passeron (Jean-Claude), Le


Méti[...]

 14. Ibid., p. 24.

La réflexion qu’a entamé à ce propos, il y a quarante ans, Le Métier de sociologue constitue un


apport précieux, en ce que ce livre a entrepris justement d’expliciter les préalables que les
différentes démarches doivent partager et respecter si elles veulent rendre possibles la
comparaison et le cumul des acquis. S’inscrivant dans le prolongement de la philosophie et de
l’histoire des sciences issues de la tradition néo-kantienne, cet ouvrage rappelle, contre
l’illusion du savoir immédiat, le primat épistémologique de la « raison » (la théorie) : « […] les
opérations de la pratique valent ce que vaut la théorie qui les fonde » car « seule une théorie
scientifique peut opposer aux sollicitations de la sociologie spontanée et aux fausses
systématisations de l’idéologie, la résistance organisée d’un corps systématique de concepts et
de relations défini autant par la cohérence de ce qu’il exclut que par la cohérence de ce qu’il
établit13. ». Une théorie scientifique se distingue du bricolage – qui procède de l’induction et
propose un « modèle » ad hoc, voire plusieurs « modèles », pour chaque phénomène – par son
pouvoir de rupture et de généralisation ainsi que par la rigueur du processus de validation,
exigeant des concaténations de preuves. Ainsi Le Métier de sociologue souligne la dimension
constructiviste de tout acte de connaissance, en posant le principe suivant lequel « le fait
scientifique est conquis, construit, constaté 14. ».

Le langage, du fait qu’il est le principal vecteur des catégories structurant la perception, a le
pouvoir de contribuer activement à façonner le monde social, en produisant des
représentations collectivement reconnues. La rupture avec les prénotions est, d’abord, rupture
avec des habitudes de langage. Il s’ensuit que l’analyse du langage et le travail d’historicisation,
qui reconstitue la genèse, les usages et les enjeux sociaux des catégories – aussi bien les
catégories des enquêtés que celles des enquêteurs – sont parmi les préalables les plus
indispensables à toute entreprise de recherche.

 15. Brunner (Otto), Conze (Werner) et Koselleck (Reinhart) (éd.), Geschichtliche Gr[...]

 16. Voir Ball (Terence), Farr (James) et Hanson (Russell L.) (dir.), Political Inno[...]

 17. Camic (Charles) et Gross (Neil), « The New Sociology of Ideas », dans The Black[...]

 18. Voir Charle (Christophe), « L’habitus scholastique et ses effets : à propos des[...]
Ce n’est pas un hasard si des chercheurs qui s’inspirent de ces principes épistémologiques
peuvent aujourd’hui dialoguer fructueusement avec les représentants des groupes divers qui
ont contribué à l’essor de l’histoire sociale des concepts, notamment la Begriffsgeschichte15,
l’ « École de Cambridge16 », la « New Sociology of Ideas » dont se réclament Charles Camic et
Neil Gross17. L’historicisation des concepts apparaît en effet comme le principal recours contre
la naturalisation des schèmes de perception produits par l’histoire : les confins géopolitiques,
disciplinaires, culturels ; les critères adoptés dans les périodisations ; des concepts généraux
tels que « littérature », « culture », « civilisation », « nation », « région » ; les concepts de
l’histoire littéraire et artistique : « classicisme », « baroque », « romantisme », « avant-garde »,
« modernité » ; les classements par genres : « épopée », « poésie », « drame », « roman18 »,
etc.

 19. La réflexion sur la temporalité est centrale dans le travail théorique de Pierr[...]

 20. Voir Koselleck (Reinhart), Le Futur passé. Contribution à la Sémantique des tem[...]

Du fait qu’elle appréhende chaque configuration comme le résultat d’un processus, la vision
constructiviste amène à refuser comme fausse l’alternative de la diachronie et de la synchronie
et à poser l’exigence de ne pas séparer l’analyse structurale et la reconstitution historique. Ainsi
que l’indique la notion de trajectoire, la théorie des champs implique une approche génétique
de toute réalité sociale. Il s’ensuit que des recherches sociologiques sur les structures de la
temporalité19 peuvent s’avérer très proches des analyses proposées par Reinhart Koselleck dans
Futur passé, montrant que la transition, à partir de la seconde moitié du xviiie siècle, d’une
conception de l’histoire comme pluralité de séries et de récits (Geschichten)àla notion d’un
processus unique (Geschichte), va de pair avec la découverte de la « non contemporanéité du
simultané », c’est-à-dire, en empruntant une expression de François Hartog qui désigne le
même phénomène, des décalages entre les « régimes d’historicité20 ». Par ailleurs, si l’histoire
des concepts apporte une contribution précieuse, en retraçant la diversité des « temps
historiques » et des visages de la « modernité » ou du « progrès », elle ne saurait expliquer ces
variations, qui ne sont pas anarchiques, sans prendre en compte de manière méthodique des
facteurs tels que les configurations des champs du pouvoir, les rapports de force et de
concurrence entre les marchés, la différenciation des champs de production, des formes de
capital et des enjeux, les positions et les trajectoires des individus et des groupes.

Mobilité et changement

Il n’est peut-être pas vain d’espérer que l’internationalisation de la recherche puisse, sous
certaines conditions, favoriser le dialogue rationnel entre ceux qui en reconnaissent l’exigence.
En effet, si des divergences importantes subsistent, il est possible toutefois de décerner des
processus d’échange et d’intégration en acte, concernant aussi bien la problématique que les
hypothèses.

 21. Voir Van Damme (Stéphane), « Comprendre les Cultural Studies : une approche
d’h[...]

 22. Ibid., p. 57.


Les Cultural Studies ont indéniablement fonctionné comme une « théorie frontière » qui, par
sa diffusion et par son flou, a favorisé le brassage des savoirs et des références, produisant « un
renouvellement des objets et des questionnements en matière d’analyse des pratiques
culturelles21 », ainsi qu’un décloisonnement des disciplines. Comme le remarque Stéphane Van
Damme, « en proposant de déplacer l’interrogation de la description monographique de sites
singuliers, de situations locales, pour analyser les circulations culturelles d’objets, de savoirs, de
métaphores, de groupes, d’identités, les Cultural Studies ont aussi contribué à faire émerger le
“paradigme de la mobilité” qui semble aujourd’hui traverser l’ensemble des sciences sociales 22
».

 23. Voir Williams (Raymond), Culture and Society, London, Chatto and Windus,1958 ;
[...]

 24. Voir Anderson (Benedict), Imagined Communities. Reflections on the Origin and
S[...]

Pour ce qui concerne l’étude de la littérature, les fondateurs des Cultural Studies ont eu le
mérite de rappeler que la « haute » culture a toujours dû quelque chose à la culture de masse
et à ses logiques, contre lesquelles elle se définissait, alors que bien des recherches littéraires
tendent à ne prendre en considération que les œuvres « haut de gamme23 ». Les études
postcoloniales ont contribué à faire émerger les processus de transformation qu’engendre
toujours la circulation des idées, des formes, des individus. Elles ont souligné, notamment, les
liens et les effets d’hybridation qui, par delà les frontières instituées, unissent les traditions
culturelles, ainsi que l’essentialisme et le nationalisme que peuvent véhiculer l’histoire littéraire
et la littérature comparée, fût-ce à travers un usage insuffisamment surveillé de notions à
première vue innocentes, comme celles de réception, diffusion, transfert, import-export,
échange. Par là ils ont ouvert la voie aux travaux qui, en reconstituant les origines des
nationalismes et les processus de construction des identités nationales, ont remis en cause le
cadre national encore prévalent dans les études littéraires 24.

 25. Voir Bourdieu (Pierre), « Du champ national au champ international », dans Les [...]

 26. Voir par exemple : Jurt (Joseph), « La littérature est-allemande, avant et aprè[...]

Même Les règles de l’art ne dépassaient pas ce cadre, en partie à cause du travail d’abstraction
et de simplification requis par une entreprise de fondation théorique. Mais, ainsi que Pierre
Bourdieu l’a explicitement posé par la suite, l’espace national doit être pensé dans une
perspective mondiale25. Les transferts qu’a subis entre-temps le concept de champ, exporté
souvent très loin de sa région d’origine et de ses premiers domaines d’application, ont
contribué à favoriser le questionnement, par les difficultés qu’ils ont fait surgir. L’analyse des
relations entre les champs et la comparaison de réalités très différentes ─ grandes capitales
centralisatrices, traditions polycentriques, nations confédérales, états plurilingues, processus
d’autonomisation régionaux, constellations de pays politiquement divisés partageant la même
langue ─ a fait ressortir l’exigence de prendre en considération les variations de niveau
imposées par les objets (du global au local, des centres aux périphéries, des capitales aux
provinces) ainsi que de reconstituer les tensions et les dynamiques engendrées par la diversité
des formations sociales, des inscriptions et des positions, outre que par la circulation des idées,
des œuvres et des personnes. La production culturelle de la RDA, par exemple, a pu être
analysée comme un sous-champ, avec ses spécificités, dont on n’aurait toutefois compris le
fonctionnement et la position internationale sans tenir compte de sa situation en porte-à-faux
entre deux ensembles plus vastes, les pays soviétiques, d’une part, les pays de langue
allemande, notamment la RFA, de l’autre 26.

 27. Bourdieu (Pierre), Science de la science et réflexivité, op. cit., p. 121.

 28. Voir Boyer (Robert), « L’anthropologie économique de Pierre Bourdieu », Actes


d[...]

 29. Voir Bourdieu (Pierre), La Distinction, Paris, Editions de Minuit, 1979, pp. 10[...]

 30. Bourdieu (Pierre), Sociologie de l’Algérie, Paris, P.U.F., 1961 ; Bourdieu (Pie[...]

 31. Voir Bourdieu (Pierre), Les Structures sociales de l’économie, op. cit., pp. 27[...]

Contrairement à une image superficielle, réduisant la pensée de Bourdieu à une théorie de la


reproduction sociale, dans son œuvre « l’analyse de la structure, la statique, et l’analyse du
changement, la dynamique, sont indissociables27. ». Ainsi a-t-il élaboré progressivement un
ensemble cohérent d’hypothèses concernant ce problème fondamental pour toute analyse
historique : les conditions de possibilités des crises et des transformations sociales 28. La
diversité des intérêts, des habitus et des points de vue engendre sans cesse des intersections,
des conflits et/ou des collusions. Les habitus peuvent être plus ou moins accordés avec l’ordre
social, plus ou moins susceptibles de s’adapter à un bouleversement de cet ordre 29, ou, dans le
cas du déplacement des agents (émigration, exil, déportation), à un ordre engendré par un
processus historique différent de celui où ils se sont formés 30 : l’un des facteurs des crises est le
malaise produit par la discordance entre les structures incorporées et les structures objectives.
Mais il faut également prendre en considération les transformations « morphologiques » dues
à des processus de croissance et de différenciation des producteurs et du marché, aussi bien
qu’aux progrès de la scolarisation : l’entrée de nouveaux agents est un facteur fondamental du
changement. Il y a, d’autre part, les transformations des rapports de force dans le champ du
pouvoir national et international, les rapports d’échange et de concurrence entre les champs,
la redéfinition permanente des frontières et des hiérarchies, la création de secteurs
nouveaux31.

Structure et interaction

 32. Blumer (Herbert), Symbolic Interactionism. Perspective and Method, Berkeley,


Un[...]

 33. Voir Degenne (Alain) et Forsé (Michel), Les Réseaux sociaux. Une analyse struct[...]

 34. Becker (Howard), Outsiders, Glencoe, Free Press-Macmillan Publishing Co., 1963.
[...]

 35. Voir Cusset (François), French Theory. Foucault, Derrida, Deleuze et Cie et les[...]

 36. Voir Latour (Bruno) et Woolgar (Steve), Laboratory Life: The Social Constructio[...]
Au niveau des présupposés théoriques – décrits de manière idéal-typique – l’opposition entre
les tendances interactionnistes (allant généralement de pair avec l’individualisme
méthodologique) et les démarches structuralistes ou holistes constitue un des clivages
fondamentaux. En fait il ne s’agit pas d’une division tranchée, mais d’une accentuation plus ou
moins nette et explicite. Parmi les positions tournées vers le premier pôle on peut citer
l’interactionnisme symbolique32, les approches qui s’inspirent de l’œuvre d’Erving Goffman, les
méthodes de network analysis, l’école de Chicago33. La plupart des études qui s’inscrivent dans
la mouvance des Cultural Studies ont vu une référence majeure dans l’œuvre de Howard
Becker et dans son ouvrage Outsiders34, souvent sans renier, dans leur éclectisme théorique, la
référence à Marx et/ou à Gramsci, ni renoncer (surtout aux Etats-Unis, à partir des années
1980) à intégrer des suggestions tirées d’auteurs français, tels que Lyotard, Derrida, Barthes,
Foucault, Deleuze et de Certeau 35. Ainsi l’interactionnisme prévaut dans des domaines
disciplinaires où Goffman, les Cultural Studies et la sémiotique ont exercé beaucoup
d’influence, comme la recherche anthropologique et ethnographique et les Science Studies,
notamment les Science and Technology Studies et la Actor-Network Theory36.

 37. Voir Marneffe (Daphnée de) et Denis (Benoît) (dir.), Les Réseaux littéraires, B[...]

 38. Bhabha (Homi K.), « DissemiNation: Time, Narrative, and the Margins of the
Mode[...]

 39. Said (Edward), Orientalism, New York, Pantheon Books, 1978.

Les outils de l’analyse des réseaux, opportunément précisés, peuvent être fructueusement
combinés avec la notion de champ dans les études d’histoire littéraire. La théorie des champs,
plus généralement, permet d’intégrer les acquis des approches interactionnistes, alors que
celles-ci ne sauraient par elles-mêmes constituer un modèle général d’explication des faits 37. Si
la sociologie depuis Marx et Durkheim a remis en question les démarches de ce type, c’est que
le monde social n’est pas une création continue : il est déjà là, lorsque les agents y font leur
entrée. Ses structures et ses modes de fonctionnement, institués et « objectivés » par toute
leur histoire, façonnent les catégories de perception des agents et définissent la possibilité, la
probabilité et la forme de leurs interactions. Ainsi, s’il faut tenir compte du « point de vue » du
« sujet », on ne saurait l’expliquer sans avoir préalablement appréhendé la structure de
l’espace où il est situé, et la position qu’il y occupe. Au contraire, des auteurs comme Homi
Bhabha et Arjun Appadurai, se réclamant de labels éloquents (e.g. « Connected History »,
« Shared History », « Entangled History »), dans leur souci de réhabilitation des cultures
dominées vont jusqu’à rejeter l’analyse des formes d’inégalité culturelle, sous prétexte qu’elle
contribuerait à renforcer, voire à produire les divisions 38. Mais, d’une part, la célébration des
vertus fécondantes du métissage ne permet d’expliquer ni comment et à quelles conditions il
devient possible, ni les formes qu’il prend ; de l’autre, il ne suffit pas d’ignorer les rapports de
force pour les abolir. Au contraire, la méconnaissance des rapports de domination inscrits dans
l’ordre culturel est justement une des conditions qui permettent à cette domination de
s’exercer, ainsi que l’a montré Edward Saïd dans Orientalism39.

 40. L’attention à la « global culture » et à ses effets sur le « local » a suscité [...]
Ainsi, s’il est vrai que toutes les frontières sont des produits de l’histoire, susceptibles d’être
sans cesse remis en question par les luttes dont ils sont l’enjeu, l’on ne saurait négliger de
reconstituer l’état de ces luttes et les effets que les frontières, plus ou moins instituées,
exercent sur la réalité, et d’abord dans les têtes. Ce n’est qu’en objectivant la complexité des
facteurs et des dynamiques caractérisant chaque configuration qu’il devient possible de
dépasser les affrontements aussi stériles qu’aveuglants entres prophéties indémontrables,
optimistes ou apocalyptiques, sur les effets de la mondialisation à l’échelle du « local » :
universalisme/particularisme, diversification/homogénéisation, autonomie/hétéronomie,
libération/domination40.

La spécificité du littéraire

 41. Wallerstein (Immanuel Maurice), Geopolitics and Geoculture : Essays on the


Chan[...]

 42. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Studies »,Poetics today, vol. XI, n° 1, 1990,[...]

La théorie des champs est plus proche d’autres démarches, partageant une vision structurale
agonistique des rapports sociaux41. Mais, par rapport à l’ensemble de ces approches, Bourdieu
a élaboré des outils analytiques permettant de mieux saisir la complexité de la réalité
empirique et la diversification des pratiques. En effet, les propriétés des pratiques culturelles et
des œuvres ne sauraient être expliquées en les ramenant directement aux rapports de force
économiques et politiques, ni à la vision du monde ou aux intérêts d’une classe ou d’un
groupe, ainsi que le faisait la tradition marxiste incarnée par György Lukács, Lucien Goldmann,
Frédéric Antal, Theodor Adorno. Le recours à la notion de « système » n’est pas non plus
satisfaisant, s’il revient à traiter l’ « espace des possibles » comme un organisme doté d’une
cohésion interne et autorégulé, sans prendre en considération de manière méthodique les
agents et leurs rapports de concurrence, orchestrés par les différences de position et d’habitus
que peut saisir une analyse microsociologique 42.

 43. Voir Danto (Arthur), « The Artworld », Journal of Philosophy, vol. LXI, 1964, p[...]

 44. La notion d’institution a été employée pour souligner la dimension sociale de l[...]

 45. Voir Boschetti (Anna), La Poésie partout. Apollinaire, « homme-époque », Paris,[...]

 46. Forgé par Roland Barthes et Julia Kristeva.

 47. Concept utilisé par Michel Foucault pour désigner l’ordre culturel, variable se[...]

La notion de champ constitue un apport fondamental, du point de vue de la sociocritique, ou,


autrement dit, d’une « science des œuvres ». Plus articulée que des notions comme Art
World43 et Institution littéraire 44, elle permet de rendre compte de la spécificité des faits
littéraires, à travers la reconstitution des relations entre l’ « externe » et l’ « interne », à tous
les niveaux : l’espace englobant, la structure et le fonctionnement du microcosme littéraire, les
propriétés des agents, des institutions et des groupes impliqués, les représentations et les
croyances, les possibles esthétiques – supports, genres, styles, procédés, thèmes – les
catégorie de perception et d’appréciation et leur genèse. Des travaux consacrés à Apollinaire et
à Mallarmé ont montré que les propriétés des œuvres poétiques à première vue les plus
autoréférentielles ne sauraient être éclairées sans les mettre en relation avec leurs multiples
inscriptions sociales45. Paradoxe apparent, l’annexion des Cultural Studies par les départements
américains de littérature a souvent abouti à une « textualisation » qui échoue à rendre compte
des choix formels et des lectures, du fait que, à l’encontre des pionniers britanniques, attentifs
aux conditions sociales de possibilité des œuvres, ces épigones se réfèrent à des concepts tels
que « intertextualité46 » et « épistème47 », excluant en ligne de principe l’attention aux
producteurs et au contexte de production.

 48. Voir Durkheim (Émile), « Représentations individuelles et Représentations colle[...]

 49. L’exemple de Pierre Bourdieu, qui dans les Règles de l’art a situé au XIXe sièc[...]

 50. L’exemple de Pierre Bourdieu, qui dans les Règles de l’art a situé au XIXe sièc[...]

 51. Lakatos (Imre), The Methodology of Scientific Research Programs, New York,
Cam[...]

Toutefois, dans la mesure où la notion de champ s’impose, le risque augmente qu’on la


naturalise, en oubliant que les hypothèses théoriques sont des artefacts, liés à la réalité par un
rapport d’analogie48. Il suffit de glisser du substantif à la substance pour tomber dans le
paralogisme ontologique, qui peut faire accéder à l’existence des choses qui n’existent pas, en
produisant des représentations collectivement perçues comme des réalités. On s’expose à ce
risque toutes les fois que l’on parle du champ littéraire comme d’une réalité empirique, dont
on pourrait dater avec précision le moment de la « genèse » ou de la « constitution49 »50. Ou
bien lorsqu’on se demande si telle ou telle configuration « est » un champ, alors que, pour
éviter les mauvaises constructions d’objets auxquelles peut amener l’ambiguïté lexicale, il
suffirait de formuler autrement le problème, en se demandant s’il y a des « effets de champ »
justifiant le recours à cette notion. La naturalisation conceptuelle peut, en outre, occulter le fait
que les « champs »/marchés divers (linguistiques, culturels, géopolitiques, religieux,
économiques) dans lesquels s’inscrivent les agents non seulement sont sans cesse redéfinis par
les luttes dont ils sont l’enjeu, mais ne se recoupent pas, s’articulent sur plusieurs niveaux et
peuvent, par ailleurs, exercer des effets différents suivant les manières dont ils sont perçus et
mis en relation. Ce n’est qu’en demeurant ouverte au questionnement naissant du dialogue
avec d’autres démarches et de la transposition dans des domaines toujours nouveaux qu’une
théorie peut rester « générative » (selon la définition de Imre Lakatos 51), ainsi que l’exige la
logique même de la recherche.

Université de Venise

Notes

1. Voir Wallerstein (Immanuel), The End of the World as We Know It: Social Science for the
Twenty-First Century, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1999. Cet ouvrage
remet en cause, notamment, la distinction entre l’histoire et les sciences sociales,
fondée sur l’idée d’une opposition entre l’étude du passé et l’étude du présent, entre la
description idéographique et la recherche de lois. Voir également Stichweh (Rudolf),
Zur Entstehung des modernen Systems wissenschaftlicher Disziplinen : Physik in
Deutschland 1740-1890, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1984 ; Ibid., « The Sociology of
Scientific Disciplines : on the Genesis and Stability of the Disciplinary Structure of
Modern Science », Science in Context, vol. 5, 1992, pp. 3-15 ; Lenoir (Timothy),
Instituting Science: The Cultural Production of Scientific Disciplines, Stanford University
Press, 1997 ; Heilbron (Johan), The Rise of Social Theory, Cambridge, Polity Press,
1995 ; Heilbron (Johan), Magnusson (Lars) et Wittrock (Björn) (dir.), The Rise of the
Social Sciences and the Formation of Modernity: Conceptual Change in Context, 1750-
1850, Dordrecht/Boston, Kluwer Academic Publishers, 1998 ; Bourdieu (Pierre),
Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir, 2001 ; Heilbron (Johan), « A
Regime of Disciplines: Toward an Historical Sociology of Disciplinary Knowledge », dans
The Dialogical Turn: New Roles for Sociology in the Postdisciplinary Age, sous la
direction de Charles Camic et Hans Joas, Chicago, Chicago University Press, 2003.↑

2. Dogan (Mattei) et Pahre (Robert), Creative Marginality: Innovation at the Intersection


of the Sciences, Boulder (CO), Westview, 1990.↑

3. Campbell (Norman Robert), What is Science, London, Methuen, 1921, p. 88 : « Il est


tout à fait exceptionnel qu’une nouvelle loi soit découverte ou suggérée par
l’expérimentation, l’observation et l’examen des résultats ; la plupart des progrès dans
la formulation de lois nouvelles résultent de l’invention de théories capables
d’expliquer des lois anciennes », cité dans Bourdieu (Pierre), Chamboredon (Jean-
Claude) et Passeron (Jean-Claude), Le Métier de sociologue. Préalables
épistémologiques, Paris/la Haye, Mouton éditeur, 1973, p. 87.↑

4. Parmi les nombreux bilans de ce genre, on peut citer Espagne (Michel), « Sur les limites
du comparatisme en histoire culturelle », Genèses, n° 17, 1994, pp. 112-121 ; Tötösy de
Zepetnek (Steven), Comparative Literature and Comparative Cultural Studies, West
Lafayette, Purdue University Press, 2003 ; Boldrini (Lucia), « Comparative Literature in
the Twenty-First Century : A View from Europe and the UK », Comparative Critical
Studies, vol. 3, n° 1-2, 2006, pp. 13-23. ↑

5. Bassnett (Susan), Comparative Literature. A Critical Introduction, Oxford, Blackwell,


1993, p. 47.↑

6. Voir, par exemple, Balibar (Étienne)et Wallerstein (Immanuel), Race, Nation and Class.
Ambiguous Identities, London, Verso, 1991 ; Anderson (Benedict), Imagined
Communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso,
1983 (édition revue en 1991) ; Cheah (Pheng) et Robbins (Bruce) (dir.), Cosmopolitics.
Thinking and Feeling beyond the Nation, Minneapolis, University of Minnesota Press,
1998. ↑

7. Moretti (Franco), Graphs, Maps, Trees, London, Verso, 2005. ↑

8. Spivak (Gayatri Chakravorty), Death of a Discipline, New York, Columbia University


Press, 2003. Pour une critique des limites du travail de réflexivité critique entrepris par
les cultural studies et les études postcoloniales, voir : Landrin (Xavier), « La
sémantique historique de la Weltliteratur : genèse conceptuelle et usages
disciplinaires », dans L’espace culturel transnational, sous la direction de Anna
Boschetti,Paris, Nouveau Monde éditions, 2009.↑

9. Voir Lewis (Martin W.) et Wigen (Kären), The Myth of Continents: A Critique of Meta-
Geography, Berkeley, University of California Press, 1997. Ainsi les tenants de la
« connected History », tout en s’appuyant sur l’analyse d’Anderson (Benedict), The
Spectre of Comparison: Nationalism, South East Asia and the World, London, Verso,
1998, lui reprochent de n’avoir pas mis en question la notion même de comparaison.
Voir Harotunian (Harry D.), « Ghostly Comparisons: Anderson’s Telescope »,
Diacritics,vol. XXIX, n° 4, 1999.↑

10. Wermer (Michael)et Zimmerman (Bénédicte) (dir.), De la comparaison à l’histoire


croisée,Paris, Seuil, coll. « Le genre humain », 2004, p. 17. ↑

11. Durkheim (Émile), Les règles de la méthode sociologique, Paris, P.U.F., 2007, p. 137.↑

12. On peut trouver une critique des erreurs les plus communes des pratiques
comparatives, et des exemples de démarche réflexive, dans Bourdieu (Pierre) et
Passeron (Jean-Claude), « La comparabilité des systèmes d’enseignement », dans
Éducation, développement et démocratie, sous la direction de Robert Castel et Jean-
Claude Passeron, Paris-La Haye, Ed. Mouton, 1967 ; Cahiers du centre de sociologie
européenne, n° 4, 1967, pp. 21-58 ; Schulteis (Franz), « Comme par raison −
comparaison n'est pas toujours raison. Pour une critique sociologique de l'usage social
de la comparaison interculturelle », Droit et société, n° 11-12, 1989, pp. 219-245 ;
Charle (Christophe), « L’histoire comparée des intellectuels en Europe. Quelques points
de méthode et propositions de recherche », dans Pour une histoire comparée des
intellectuels,sous la direction de Marie-Christine Granjon, Michel Trebitsch, Bruxelles,
Editions Complexe, 1998, pp. 39-59. Sur les problèmes de la méthode comparative
dans les sciences sociales, voir Frognier (Paul), « Logiques de l’explication
comparative », Revue internationale de politique comparée, vol. 1, 1994 ; Jucquois
(Guy) et Vielle (Christophe) (dir.), Le comparatisme dans les sciences de l’homme :
approches pluridisciplinaires, Bruxelles, De Boeck Université, 2000 ; Lallement (Michel)
et Spurk (Jan) (dir.), Stratégies de la comparaison internationale, Paris, CNRS éd.,
2003.↑

13. Bourdieu (Pierre), Chamboredon (Jean-Claude) et Passeron (Jean-Claude), Le Métier de


sociologue. Préalables épistémologiques, op. cit, p. 88.↑

14. Ibid., p. 24.↑

15. Brunner (Otto), Conze (Werner) et Koselleck (Reinhart) (éd.), Geschichtliche


Grundbegriffe : Historisches Lexikon zur politisch-sozialer Sprache in Deutschland,
Stuttgart, Klett-Cotta, 1972-1997, 8 vol. Pour ce qui concerne les rencontres entre les
deux approches, je pense notamment à deux exemples : le colloque organisée à l’ENS
de Lyon : Olivier Christin et R. Barat, « Cas d’espèces, cas d’écoles. Production nationale
et circulation internationale des concepts des sciences sociales », 6-8 mars 2008 ;
l’ouvrage Histoire des concepts & histoire sociale. Signifier, classer, représenter, xive-
xxie siècle, un recueil de textes rassemblés en hommage à Reinart Koselleck par
Bernard Lacroix et Xavier Landrin, à paraître.↑

16. Voir Ball (Terence), Farr (James) et Hanson (Russell L.) (dir.), Political Innovation and
Conceptual Change, Cambridge, Cambridge University Press, 1989 ; Skinner (Quentin),
« The Idea of a Cultural Lexicon », Visions of Politics, Vol. I: Regarding Method,
Cambridge, Cambridge University Press, 2002.↑

17. Camic (Charles) et Gross (Neil), « The New Sociology of Ideas », dans The Blackwell
Companion to Sociology, sous la direction de Judith R. Blau, Oxford, Blackwell, 2004.
Voir aussi Hauchecorne (Mathieu) et Ollion (Étienne), « What is the New Sociology of
Ideas? A Discussion with C. Camic and N. Gross », Transeo, n°1, janvier 2009, URL:
http://www.transeo-review.eu/What-is-the-new-sociology-of-Ideas.html.↑

18. Voir Charle (Christophe), « L’habitus scholastique et ses effets : à propos des
classifications littéraires et historiques », L’Inconscient académique, sous la direction de
Fabrice Clément, Franz Schultheis et Michel Berclaz, Genève/Zurich, Editions Seismo,
2006, pp. 67-87. Voir également : Landrin (Xavier), « La sémantique historique de la
Weltliteratur », op. cit.↑

19. La réflexion sur la temporalité est centrale dans le travail théorique de Pierre Bourdieu,
depuis ses travaux sur l’Algérie (voir notamment Bourdieu (Pierre), Algérie 60,
Structures économiques et structures temporelles, Paris, Minuit, 1977 ; Ibid.,
« Pratiques économiques et dispositions temporelles », Annexe publié dans Esquisse
d’une théorie de la pratique, Paris, Seuil, 2000, pp. 377-385 ; Ibid., « L’être social, le
temps et le sens de l’existence », dans Méditations pascaliennes, Paris, Seuil 1998,
pp. 245-288).↑

20. Voir Koselleck (Reinhart), Le Futur passé. Contribution à la Sémantique des temps
historique, Paris, éd. de l’EHESS, 1990 [1979] ; Ibid., L’expérience de l’histoire, op. cit. ;
Hartog (François), Régimes d’historicités. Présentisme et expériences du temps, Paris,
Seuil, 2003.↑

21. Voir Van Damme (Stéphane), « Comprendre les Cultural Studies : une approche
d’histoire des savoirs », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, vol. LI, n° 4, 2004,
p. 56.↑

22. Ibid., p. 57.↑

23. Voir Williams (Raymond), Culture and Society, London, Chatto and Windus,1958 ; Ibid.,
The Long Revolution, London, Chatto and Windus, 1961 ; Hoggart (Richard), The Uses
of Literacy. Aspects of Working Class Life, London, Chatto and Windus, 1957 ; Thomson
(Edward Palmer), The Making of the English Working Class, London, Victor Gallancz,
1963. Pierre Bourdieu a tenu compte de ces apports dans son essai « Le marché des
biens symboliques », L’année sociologique, vol. XXII, 1971, pp. 49-126. Parmi les
ouvrages qui relèvent de cette exigence voir Brewer (John), The Pleasures of the
Imagination. English Culture in the Eighteenth Century, New York, Farrar, Straus &
Giroux, 1997 ; Sassoon (Donald), The Culture of Europeans. 1800 to the Present,
London, Harper Collins, 2006.↑

24. Voir Anderson (Benedict), Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread
of Nationalism, op. cit. ; Löfgren (Orvar), « The Nationalization of Culture. National
Culture as Process », Ethnologica Europea, vol. XIX, n° 1, 1989, pp. 5–25 ; Espagne
(Michel) et Werner (Michael) (dir.), Philologiques III. Qu’est-ce qu’une littérature
nationale ? Approches pour une théorie interculturelle du champ littéraire, Paris,
Editions de la maison des sciences de l’homme, 1994 ; Thiesse (Anne-Marie), La
Création des identités nationales. Europe xviie siècle-xxe siècle, Paris, Seuil, 1999 ; Ibid.,
« Une littérature nationale universelle ? Reconfigurations de la littérature française au
xixe siècle », dans Intellektuelle Redlichkeit/Intégrité intellectuelle, sous la direction de
Michael Einfalt, Ursula Erzgräber, Ottmar Ette et Franziska Sick, Heidelberg,
Universitätsverlag Winter, 2005, pp. 397-408.↑

25. Voir Bourdieu (Pierre), « Du champ national au champ international », dans Les
Structures sociales de l’économie, Paris, Seuil, 2000, pp. 273-280.↑

26. Voir par exemple : Jurt (Joseph), « La littérature est-allemande, avant et après 1989 »,
dans Littératures et pouvoir symbolique, sous la direction de Mihaï-Dinu Gheorghiu et
Lucia Dragomir, Paris, MSH, 2005, pp. 76-86 ; Joch (Markus), « Zwei Staaten, zwei
Raüme, ein Feld. Die Positionnahmen im deutsch-deutschen Literaturstreit », dans
Positionskämpfe europäischer Intellektueller im 20. Jahrhundert, sous la direction de
Ingrid Gilcher-Holtley, Berlin, Akademie Verlag GmbH, 2006, pp. 363-367 ; Hänel-
Mesnard (Carola), « La littérature est-allemande entre hétéronomie et tentatives
d’autonomie », dans Champ littéraire et nation, sous la direction de Joseph Jurt,
Freiburg im Breisgau, Frankreich-Zentrum der Universitat Freiburg, 2007, pp. 111-131 ;
Maffeis (Stefania), Zwischen Wissenschaft und Politik. Transformationen der DDR-
Philosophie 1945-1993, Frankfurt/New York, Campus Verlag, 2007 ; Ibid., « Nietzsche
dans la RDA et dans l’Allemagne réunifiée : questions d’identité nationale et
européenne », Le commerce des idées philosophiques, sous la direction de Louis Pinto,
Paris, éditions du Croquant, 2009.↑

27. Bourdieu (Pierre), Science de la science et réflexivité, op. cit., p. 121.↑

28. Voir Boyer (Robert), « L’anthropologie économique de Pierre Bourdieu », Actes de la


recherche en sciences sociales, n° 150, 2003, pp. 65-78.↑

29. Voir Bourdieu (Pierre), La Distinction, Paris, Editions de Minuit, 1979, pp. 109-187 ;
Ibid., Homo Academicus, Paris, Minuit, 1984 ; Ibid., La Noblesse d’Etat, Paris,
Minuit,1989 ; Ibid., Le Bal des Célibataires. Crise de la société en Béarn, Paris, Seuil,
2002.↑

30. Bourdieu (Pierre), Sociologie de l’Algérie, Paris, P.U.F., 1961 ; Bourdieu (Pierre) et Sayad
(Abdelmayek), Le Déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris,
Editions de Minuit, 1964 ; sur ce dernier livre, voir Silverstein (Paul A.), « De
l’enracinement et du déracinement », Actes de la recherche en sciences sociales,
n° 150, pp. 27-34 ; Bourdieu (Pierre), Darbel (Alain), Rivet (Jean-Paul) et Seibel
(Claude), Travail et travailleurs en Algérie, Paris, Minuit, 1964 ; Bourdieu (Pierre),
« Making the Economic Habitus. Algerian Workers Revisited », Ethnography, vol. I, n° 1,
2000, pp. 17-41 (traduction française : « La fabrique de l’habitus économique », Actes
de la recherche en sciences sociales, n° 150, 2000, pp. 79-90.)↑

31. Voir Bourdieu (Pierre), Les Structures sociales de l’économie, op. cit., pp. 273-280.↑

32. Blumer (Herbert), Symbolic Interactionism. Perspective and Method, Berkeley,


University of California Press, 1969.↑

33. Voir Degenne (Alain) et Forsé (Michel), Les Réseaux sociaux. Une analyse structurale en
sociologie, Paris, Armand Colin, 1994.↑

34. Becker (Howard), Outsiders, Glencoe, Free Press-Macmillan Publishing Co., 1963. Sur
l’histoire des Cultural Studies, voir Mattelart (Armand) et Neveu (Érik), Introduction aux
Cultural Studies, Paris, La Découverte, 2003 et Van Damme (Stéphane), « Comprendre
les Cultural Studies : une approche d’histoire des savoirs », op. cit.↑

35. Voir Cusset (François), French Theory. Foucault, Derrida, Deleuze et Cie et les mutations
de la vie intellectuelle aux Etats-Unis, Paris, La Découverte, 2003.↑

36. Voir Latour (Bruno) et Woolgar (Steve), Laboratory Life: The Social Construction of
Scientific Facts, Beverly Hills, Sage Publications, 1979 ; Latour (Bruno), Science in
Action. How to Follow Scientists and Engineers Through Society, Milton Keynes, Open
University Press, 1987.↑

37. Voir Marneffe (Daphnée de) et Denis (Benoît) (dir.), Les Réseaux littéraires, Bruxelles,
Le CRI/CIEL, 2006 ; notamment les contributions de Gisèle Sapiro, « Réseaux,
institution(s) et champ », pp. 44-59, et Anna Boschetti, « De quoi parle-t-on lorsque
l’on parle de réseau ? », pp. 60-70.↑

38. Bhabha (Homi K.), « DissemiNation: Time, Narrative, and the Margins of the Modern
nation », dans Nation and Narration, sous la direction de Homi K. Bhabha, London,
Routledge, 1990; Appadurai (Arjun), « Putting Hierarchy in its Place », Cultural
Anthropology, vol. III, n° 1, 1988, p. 37 ; Ibid., Modernity at Large : Cultural Dimensions
of Globalization, Minneapolis, Minnesota University Press, 1996 ; Appiah (Kwame
Anthony), Cosmopolitanism : Ethics in a World of Strangers, New-York, WW Norton and
Company, 2006.↑

39. Said (Edward), Orientalism, New York, Pantheon Books, 1978.↑

40. L’attention à la « global culture » et à ses effets sur le « local » a suscité une littérature
très vaste. Parmi les ouvrages annonçant l’américanisation planétaire de la culture on
peut citer Ritzer (George), The McDonaldization of Society. An Investigation into the
Changing Character of Contemporary Social Life, Londres/Thousand Oaks, Sage/Fine
Forge Press, 1993. Parmi ceux qui soulignent les échanges à double sens entre centre
et périphérie et les processus de « créolisation » on peut citer Robertson (Roland),
Globalization. Social Theory and Global Culture, London, Sage, 1992. Pour d’autres, il
existe une diversité de cultures transnationales dont les centres ne sont pas seulement
en Europe et aux Etats-Unis mais également en Asie, en Amérique latine et en Afrique :
voir Appadurai (Arjun), « Disjuncture and Différence in the Global Cultural Economy »,
dans Global Culture. Nationalism, Globalization and Modernity, sous la direction de
Mike Featherstone, London, Sage, 1991, pp. 295-310. ↑

41. Wallerstein (Immanuel Maurice), Geopolitics and Geoculture : Essays on the Changing
World-System, Cambridge/Paris, Cambridge University Press/Editions de la Maison des
Sciences de l’Homme, 1991 ; Ibid., World-Systems Analysis. An Introduction, London
and Durham, Duke University Press, 2004 ; De Swaan (Abram), Words of the World :
the Global Language System, Cambridge, Blackwell Publishers, 2001 ;Laitin (David D.),
« What is a Language Community ? », American Journal of Political Science, n° 44,
1988, pp. 142-155 ; Schott (Thomas), « The World Scientific Community: Globality and
Globalization », Minerva, n° 29, 1991, pp. 440-462 ; Harvey (David), Spaces of Global
Capitalism. Towards a Theory of Uneven Geographical Development, London/New
York, Verso, 2006. ↑

42. Even-Zohar (Itamar), « Polysystem Studies »,Poetics today, vol. XI, n° 1, 1990, URL :
http://www.even-zohar.com ; Ibid., Papers in Culture Research, 2005, URL :
http://www.even-zohar.com ; Toury (Gideon), Descriptive Translation Studies and
Beyond, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins, 1995.↑

43. Voir Danto (Arthur), « The Artworld », Journal of Philosophy, vol. LXI, 1964, pp. 571-
584 ; Becker (Howard S.), « Art Worlds and Social Types », American Behavioural
Scientist, vol. XIX, n° 6, 1976, pp. 703-719↑

44. La notion d’institution a été employée pour souligner la dimension sociale de la


littérature. Toutefois ce concept ne saurait désigner tous les aspects de la réalité fluide,
très peu institutionnalisée, qu’est l’univers littéraire. Voir, notamment, Even-Zohar
(Itamar), « Polysystem Theory », Poetics Today, vol. I, n° 1-2, 1979, pp. 287-310 ; Dubois
(Jacques), L’Institution de la littérature. Introduction à une sociologie, Paris/Bruxelles,
Nathan/Labor, 1978 ; Sanders (Hans), Institution Literatur und Roman. Zur
Rekonstruktion der Literatur-soziologie, Frankfurt, Suhrkamp, 1981.↑

45. Voir Boschetti (Anna), La Poésie partout. Apollinaire, « homme-époque », Paris,


Éditions du Seuil, 2001 ; Durand (Pascal), Mallarmé. Du sens des formes au sens des
formalités, Paris, Éditions du Seuil, 2008.↑

46. Forgé par Roland Barthes et Julia Kristeva.↑

47. Concept utilisé par Michel Foucault pour désigner l’ordre culturel, variable selon les
époques.↑

48. Voir Durkheim (Émile), « Représentations individuelles et Représentations collectives »,


Revue de Métaphysique et de Morale, vol. VI, 1898, pp. 273-302 (repris dans
Sociologie et Philosophie, Paris, P.U.F., 1967, pp. 1-38).↑
49. L’exemple de Pierre Bourdieu, qui dans les Règles de l’art a situé au XIXe siècle la
genèse du champ littéraire, montre combien il est difficile d’échapper totalement à ces
« effets de réel », même pour les chercheurs qui ont consacré le plus d’attention à la
réflexion épistémologique et à l’exercice de la vigilance. Voir Boschetti (Anna),
« Réflexion sur le langage et réflexivité », dans Pierre Bourdieu, sociologue, sous la
direction de Louis Pinto, Gisèle Sapiro et Patrick Champagne, Paris, Fayard, 2004,
pp. 161-183. ↑

50. L’exemple de Pierre Bourdieu, qui dans les Règles de l’art a situé au XIXe siècle la
genèse du champ littéraire, montre combien il est difficile d’échapper totalement à ces
« effets de réel », même pour les chercheurs qui ont consacré le plus d’attention à la
réflexion épistémologique et à l’exercice de la vigilance. Voir Boschetti (Anna),
« Réflexion sur le langage et réflexivité », dans Pierre Bourdieu, sociologue, sous la
direction de Louis Pinto, Gisèle Sapiro et Patrick Champagne, Paris, Fayard, 2004,
pp. 161-183. ↑↑

51. Lakatos (Imre), The Methodology of Scientific Research Programs, New York,
Cambridge University Press, 1978.↑

Pour citer cet article :

Anna Boschetti, « Présupposés et vertus de l'échange théorique transnational », dans


Carrefours de la sociocritique, sous la direction d'Anthony Glinoer, site des ressources Socius,
URL : http://ressources-socius.info/index.php/reeditions/24-reeditions-de-livres/carrefours-de-
la-sociocritique/128-presupposes-et-vertus-de-l-echange-theorique-transnational, page
consultée le 03 mars 2020.

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