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DU M ÊM E AUTEUR

A U X É D IT IO N S D U C E R F

Psychanalyse et relation pastorale, Études de théologie morale


autour du frère Albert Plé, o.p., coll. «Recherches morales»
(à paraître).
Sous la direction de
LAU R E N T LEM O IN E

VÉRITÉ ET DÉSIR
Expérience spirituelle
et expérience psychanalytique

F r a n ç o is e Baldé, R ic h a r d C a d o u x , F r a n c is C a p r o n ,
V é r o n iq u e D onard , N ic o l e F abre, G h is l a in L afo nt,
J e a n - B a p t is t e L e c u it , L aurent L e m o in e , A l a in Pa u lay ,
É r ic T . de C ler m o n t-T onnerre

Sciences humaines et religions

ESPACE

CATHERINE
DE SIENNE

LES EDITIONS DU CERF


w w w .e d itio n sd u ce rf.fr
PARIS

2010
46 LA VÉRITÉ GUÉRIT-ELLE?

de situations anciennes où le désir inconscient du patient s’est


trouvé dans une impasse. Entre autres choses, c’est ce qui
différencie la cure analytique d’un exercice spirituel.

L a sublim a tio n .

Cette question est un point essentiel dans ce dialogue avec


Pfister. Peut-être fa u t-il donner quelques précisions sur ce
concept très compliqué dont on continue de débattre abondam­
ment encore a u jo u rd ’hui. Freud lui-même n ’a jam ais écrit
l’article qu’il prévoyait dans la « Métapsychologie ». Cela dit,
il pose déjà les questions qui nous préoccupent toujours.
La sublim ation est un destin pulsionnel qui évite le refoule­
ment. « La sublimation désigne un processus qui concerne la
pulsion », d it Freud. Celle-ci « se dirige sur un autre but éloigné
de la satisfaction sexuelle ». Elle concerne la libido d ’objet mais
pas l’objet lui-m êm e1. Elle permet de satisfaire les exigences du
moi sans provoquer le refoulement. Le concept de sublimation
permet de rendre compte de l ’origine sexuelle - bien qu’éloignée
de la vie sexuelle comme telle - , de l ’élan créateur de l ’homme
dans ses réalisations culturelles. On peut donc comprendre
qu’elle est aussi une défense contre la force de l’énergie sexuelle.
Freud relie, par exemple, la question de « la sublimation de la
libido » à une «disposition érotique intense » 2 attestée selon lui
chez tous les fondateurs de religion ! Ce simple rappel - presque
simpliste ! - permet de comprendre pourquoi Freud parle de
sublim ation dans la religion et dans l ’éthique. Ajoutons que la
sublimation n’est pas une garantie de guérison. Sublimer ne
sauve pas forcément, ça ne protège pas. Mais, ce qui im porte ici,
c’est que l’origine est pulsionnelle.
La sublim ation n’annule pas les autres destins pulsionnels en
particulier le refoulement. Ainsi, dans L ’Homme Moïse et la
religion monothéiste, Freud soutiendra que religion et éthique se
fondent sur une lim ita tio n et un renoncement aux pulsions face
à une revendication érotique ou agressive.

1. Freud, «Pour introduire le narcissisme (1914)», dans La Vie sexuelle,


Paris, PUF, p. 98; Œuvres complètes. Psychanalyse, t. X II, Paris, PUF, 1969,
p. 237.
2. L20, 17 ju in 1910, p. 77.
QUAND FREUD DIALOGUE AVEC PFISTER 47

La position d ’incroyant revendiquée par Freud ne l’empêche


donc pas d’admettre qu’il peut se passer quelque chose dans la
relation d’aide telle que l’exerce Pfister et qu’une sublim ation y
est possible. Il trouve même que son ami a bien de la chance.
Cependant Freud pense que, pour Pfister, la demande de subli­
m ation est déjà im plicite chez les jeunes qu’il reçoit et en p a rti­
culier la sublim ation dans la religion. Mais, d it-il, si, dans la
psychanalyse, la sublim ation est une des issues recherchée, pour
autant chez ses patients, à lu i Freud, cette chance n’existe pas.
Et «les autres voies de la sublim ation qui nous tiennent lieu
de religion sont tro p pénibles1», c’est alors la recherche de la
satisfaction qui prévaut. De plus Freud ne peut, d it-il, rien
prom ettre de plus élevé et bien plus, rien de lui-même. En
fa it, il n ’est pas au cla ir non plus sur cette question de la
sublim ation. Que veut dire ici sublimer le transfert ou bien
demande de sublim ation ?
Pourtant, il me semble souhaitable de distinguer sublimation
et expérience spirituelle. La sublim ation y est un processus
psychique nécessaire mais peut-être aussi les autres destins
pulsionnels. La religion et l ’éthique sont des lieux où ce pro­
cessus peut se déployer. Religion et éthique peuvent être le lieu
d ’une expérience spirituelle mais ce n’est pas la sublim ation en
elle-même qui peut être cette expérience. Il y faut d ’autres
m édiations, entre autres, celles des réalisations culturelles
elles-mêmes. La sublim ation peut conduire à devenir peintre
ou écrivain... ou psychanalyste. C ’est la peinture et l’écriture
qui seront les lieux, ou non, d ’une possible expérience spiri­
tuelle, sans garantie. De plus, on ne peut en parler que dans
l ’après-coup, par surcroît. Même un exercice spirituel ne peut
garantir l ’avènement d ’une telle expérience.
Freud est un homme des Lumières. I l ne croit pas, donc exit
la religion. Lacan fera un pas de plus qui permettra que la
question puisse être posée autrement. Pour Lacan, lui-même
incroyant, de tra d itio n chrétienne, catholique, la religion fait
partie du réel. La religion triom phera parce qu’elle donne du
sens, d it-il. La psychanalyse d o it donc se soutenir seule ou bien
elle disparaîtra. Ce n ’est pas de s’opposer à la religion qui la
sauvera. Les critiques de Lacan sur la religion - souvent polé­
miques - sont très radicales. En réintroduisant la religion dans

I. L2, p. 47.
Collection « Psychanalyse et Religion »
dirigée par

Pa u l -L aurent A ssoun

Déjà paru :

Sigmund F r e u d , L ’A venir d ’une illu sio n , première édition


critique de Paul-Laurent Assoun, nouvelle traduction de Claire
Gillie, 2012.
O SKAR PFISTER

L’ILLUSION
D’UN AVENIR
Confrontation amicale
avec le professeur D r Sigmund Freud

É d itio n c ritiq u e
présentée et com m entée p a r
Pa u l - L a u r e n t A ssoun

N o u v e lle tra d u c tio n et glossaire p a r


C l a ir e G il l ie

Psychanalyse et religion

LES ÉDITIONS DU CERF


w w w .e d itio n s d u c e rf.fr
PARIS
48 LA VÉRITÉ GUÉRIT-ELLE?

le réel, il prend en compte les signifiants religieux et les rend


accessibles à l’analyse1. Dans la cure, tout ce qui peut se parler
a sa place. I l n’y a pas à trie r d’avance chez l ’analysant certes,
mais aussi et peut-être surtout chez l ’analyste, ce qui serait d’un
domaine supposé à part. Et cela ne m ontre-t-il pas aussi ce qui
distingue de façon structurelle une séance d’analyse d ’un entre­
tien spirituel. Ce n’est pas dévaloriser ledit entretien mais lui
accorder une autre valeur de vérité. I l vise autre chose. Chaque
pratique a sa logique propre.

L ’éthique.

L ’éthique tient une grande place dans les préoccupations de


Pfister qui souhaite en débattre avec Freud avec qui il est en
désaccord. Pfister qui se réjouit d ’avoir «bien interprété le rôle
de la psychanalyse en tant que soin des âmes ( Seelsorgerliche
M éthode)2 », répond à Freud que « la différence [éthique] entre
[sa] conception et la [sienne] n’est peut-être pas si grande que
p ourrait le faire supposer [son] état professionnel3». M ais pour
Freud la question est résolue. L ’éthique au sens où l’entend
Pfister lui est étrangère. « L ’éthique m ’est étrangère et vous êtes
pasteur d ’âmes ( Seelsorger). Je ne me casse pas trop la tête au
sujet du bien et du mal... S’il faut parler d ’une éthique, je
professe pour ma part un idéal élevé4... » Pfister ne cessera de
dire à Freud qu’il ne peut faire l’impasse sur l’éthique, ainsi :
« I l en va to u t autrement de l ’éducation, qui d o it incontes­
tablement avoir un sens éthique5.» Freud lui répondra que
«exiger de la science qu’elle établisse une éthique est déraison­
nable6 » car l ’éthique a à v o ir avec le vivre-ensemble. Pfister est
bien conscient que l ’éthique nécessite une conception du
monde. P ourtant, il ne peut comprendre que Freud mette
complètement l ’éthique en suspens dans son travail d’analyste.

1. Certains textes de Freud témoignent du fa it qu’il n’était pas sans


entendre les signifiants religieux.
2. Lettre du 18 février 1909, p. 49.
3. Ibid.
4. L41, p. 103.
5. Lettre du 19 ju ille t 1922, p. 134.
6. L86, 24 février 1928, p. 178.
QUAND FREUD DIALOGUE AVEC PFISTER 49

Sur cette question, Freud et Pfister se positionnent dès les


premières lettres. Freud reste analyste et entend le rester;
Pfister, consciemment ou non, reste pasteur quand il cherche
à rapprocher la psychanalyse et la cure d ’âmes. Cependant
nous dirions a u jo u rd ’hui qu ’ils soutiennent tous deux une
certaine «position éthique» qui dépend de leur désir à l ’un
et à l’a u tre 1. Freud invite Pfister à soutenir la sienne, par la
façon dont il se situe lui-même. La position de Pfister n’est
certainement pas non plus sans effet sur celle de Freud, trans­
fert oblige.
Quelle serait alors une éthique de la psychanalyse? Freud,
qui n’a jamais d it que lui-même ne respectait pas une certaine
éthique, considère qu’il n’y a pas d’éthique de la psychanalyse.
Pour lui, la psychanalyse n ’est pas une vision du monde et
ne peut donc fonder une éthique. La position de Freud peut
paraître rigide mais sa place de fo n d a te ur lu i impose de
défendre d ’abord la psychanalyse, jeune science dont il doit
encore faire accepter l ’existence. Cela d ’autant plus que la
résistance à la psychanalyse est interne à la psychanalyse elle-
même. Actuellement, avec le recul du temps, il est possible et
nécessaire de revenir d ’une autre façon sur ces questions. Il n ’y a
pas de souverain bien atteignable pour la psychanalyse. Cela
dit, il existe une exigence éthique au cœur de la psychanalyse et
sans doute une éthique qui y réponde. L ’éthique des psycha­
nalystes ne peut se définir qu ’en fonction de la conduite de la
cure. L ’éthique ne peut être la seule référence au risque d ’une
inflation qui mette à mal la scientificité de la psychanalyse et les
exigences techniques de la pratique. Cette éthique ne saurait
déboucher sur un savoir mais sa présence se m aintient sous la
forme de la question éthique. Pfister avait sans doute raison de
poser la question avec insistance, mais ni lui, ni Freud n ’étaient
en mesure de l’élaborer ainsi à cette époque. A u jo u rd ’hui, du
côté du pasteur, sans doute devra-t-il se confronter lui aussi à
ces questions dans le champ qui est le sien et avec ses propres
outils théoriques, y compris la théorie analytique en tant qu’elle
peut apporter quelques lumières sur le psychisme humain.

1. Le désir n'est pas comme tel un concept freudien. C ’est Lacan qui lui a
donné sa grande importance. Le passage de la pulsion au désir n’est pas
linéaire. Le désir est un rejeton - au sens d ’une greffe - du refoulement
originaire. C ’est le fantasme qui soutient le désir.
50 LA VÉRITÉ GUÉRIT-ELLE?

Freud ne condamne pas l’attitude de Pfister dans son exer­


cice de pasteur. Nous sommes dans un temps de fondation. Les
questions posées n’en sont qu ’à leurs balbutiements. L ’attitude
des deux amis est pourtant remarquable. Freud reste analyste
devant les efforts de Pfister pour faire admettre que malgré tout
il a bien le d ro it de rester pasteur, même quand il pense être
analyste. « Je sais bien mais quand même ! » I l en va, pour
Freud, de la crédibilité et de la vérité de la psychanalyse. Et
Pfister l ’a toujours admiré pour son amour de la recherche de
la v é rité 1.
Quand Freud publie L'A venir d'une illusion, Pfister y répond
par un long article: « L ’illusion d ’un avenir2», dans lequel il
défend la religion. Là non plus, il ne s’agit pas de condamner
Pfister mais de remarquer qu’il ne se situe pas sur le terrain de
l’analyse. Certes, c’est l ’opposition de Freud à la religion qui le
conduit à cela. Personne ne niera que son refus de la religion lui
a permis d ’entendre les fantasmes dans le discours de ses
patients et d’affirm er l ’originalité de la psychanalyse, exigence
sur laquelle il ne cédera jamais. Cette attitude tranchée de
Freud sur la religion amène souvent à sous-estimer sa pensée
sur la question. Son questionnement clinique ne saurait être
réduit simplement à cela. I l n’a pas négligé la demande sous-
jacente. Et malgré certaines de ses affirmations, il n’est pas ici
dans cette position destructrice qu’on lui a souvent reprochée
par rapport à la religion. I l semble en mesure de faire la diffé­
rence entre la place de l’analyste et celle du pasteur.
Freud déplace bien évidemment la question de la thérapeu­
tique. Pfister se rend bien compte que sa relation pastorale a des
effets thérapeutiques. Et Freud ne manque jamais de lu i rap­
peler ce qui fa it la spécificité de son travail d ’analyste. Repérer
des effets thérapeutiques dans d ’autres situations que celles
de l ’analyse est d’autant plus im portant qu’il convient de garder
à chaque pratique sa particularité. On ne saurait reprocher à
Pfister de ne pas p o u v o ir entendre la position freudienne.
C ’était un homme intelligen t. Son article « L ’illu sio n d ’un

1. Il le considérait comme chrétien à cause de cela ! (Sans doute selon cette


théologie de l’époque qui avait inventé les « chrétiens sans le savoir » pour
pouvoir penser le salut des infidèles.)
2. 1928, vo ir traduction dans Revue française de psychanalyse, 3/1977,
p. 503-546.
QUAND FREUD DIALOGUE AVEC PFISTER 51

avenir » défend la religion de façon très documentée mais n ’ap­


porte rien quant à la compréhension de la psychanalyse. Ce
temps n ’en est pas au débat constructif. D ’autant plus qu’il ne
s’agit pas de faire de compromis, ni chez Freud ni chez Pfister.

La pulsion.

Venons-en maintenant à cette pulsion en deçà de la subli­


mation, de l’éthique et de la religion, question de grande im por­
tance. C ’est une pierre d ’achoppement entre Freud et P fister1.
Celui-ci est très réticent sur le découpage en pulsions partielles
et plus tard sur la pulsion de m ort. De ce point de vue, son
jugement sur la sexualité infantile est symptomatique. C ’est
peut-être là que se dégage le plus leur divergence sur la théorie,
divergence qui, à mon sens, conditionne toutes les autres. Freud
lui répondra chaque fois par l’argument de la clinique.
A lors que Pfister lu i a fa it part de son désaccord sur la théorie
sexuelle, Freud lu i répond : « Q u’est-ce qui vous prend de
contester la fragmentation de la pulsion sexuelle en pulsions
partielles, alors que l ’analyse nous y contraint tous les jours?
[...] Ne voyez-vous pas que la pluralité de ces pulsions se réfère
à la pluralité des organes, lesquels sont tous érogènes... I l me
semble que vous cherchez la synthèse sans analyse préalable.
Dans la technique psychanalytique, il n’est point besoin d’un
travail spécial de synthèse; cela, l’individu s’en charge mieux
que nous 2. » La sexualité c’est notre Schibboleth 3, lu i dira-t-il, à
l’occasion d ’un problème institutionnel. Pfister est favorable
à une pulsion en soi qui rendrait compte d ’une tendance pro­
gressiste à pousser vers le haut. Il refuse l’idée que les pulsions
soient conservatrices. Il spiritualise la question. On est proche
de Jung. Cela m ontre aussi la position réservée de Pfister par
rapport à la sexualité infantile. I l refuse aussi d ’accorder un
statut de pulsion proprem ent dite à la pulsion de m ort. La
réponse de Freud est rem arquable: Il s’agit «de ce qui se
rapproche le plus de cette mystérieuse réalité existant en dehors
de nous. La pulsion de m ort n’est pas pour m oi un besoin du

1. Cette divergence ne concerne pas seulement Pfister !


2. L41, p. 103-104.
3. L45, 27 mai 1919, p. 113.
52 LA VÉRITÉ GUÉRIT-ELLE?

cœur ; elle m ’apparaît seulement comme une hypothèse inévi­


table pour des raisons à la fois biologiques et psychologiques.
C’est de là que découle to u t le reste. M on pessimisme me semble
donc être un résultat, l ’optimisme de mon adversaire, un pré­
supposé1.»
La pulsion, d it Freud, est un concept fondam ental, un
G rundbegriff. Lacan en fera un des quatre concepts fonda­
mentaux avec l ’inconscient, la répétition et le transfert. Tous
ces concepts destinés à rendre compte de la clinique ne la
distinguent-ils pas de la cure d ’âmes ou d ’un exercice spirituel ?
La pulsion est au fondem ent de la métapsychologie, ainsi
démarquée de la métaphysique. Cela devrait empêcher de spi­
ritualiser la psychanalyse et, par conséquent, la sublimation.
Psychanalyse et entretien spirituel n’ont pas le même fon­
dement. C ’est l ’enjeu de ce débat entre Freud et Pfister. En
avaient-ils conscience ? La question reste posée.
Si un dialogue est possible, aujourd’hui, entre ces deux pra­
ticiens que sont l ’analyste et le pasteur, ce sera au prix, pour
chacun, d ’élaborer et d ’accepter leurs différences fondamen­
tales, c’est-à-dire au sens où elles fondent chacune des deux
pratiques.
Il est possible alors de faire quelques propositions sur ce qui
peut rapprocher a u jo u rd ’hui analystes et pasteurs, cela de
façon paradoxale, dans leurs différences mêmes.
En prem ier lieu, le ra p p o rt aux textes fondateurs en tant
qu ’il est structurant et nécessaire pour chacun. Pour l ’ana­
lyste, d ’abord les textes freudiens. Certes ce n ’est pas un
« c a n o n » ! Ils sont constam m ent mis à l ’épreuve, repris,
relus, discutés... M ais c’est la découverte de l’inconscient qui
fonde la clinique. La pratique analytique se soutient toujours
de son ra p p o rt complexe p our ne pas dire com pliqué au fo n ­
dateur et à la théorie. Pour le pasteur, dans l ’entretien spiri­
tuel, le rapport aux Ecritures, et à la théologie, comment cela
fo n ctio n n e -t-il? Est-ce que l ’écoute d ’un pasteur peut être
indépendante de sa théologie, de sa manière de lire et d ’inter­
préter les Ecritures, et de sa spiritualité? S’il pense, comme
Pfister, que la psychanalyse peut lui être utile, c’est comme
moyen. Ce n’est pas la théorie analytique comme telle qui peut
fonder sa pratique.

1. L92, 7 février 1930, p. 191.


QUAND FREUD DIALOGUE AVEC PFISTER 53

Deuxièmement, ce que j ’appellerai la « position éthique » de


chacun. Pour l’analyste, ce sera du côté de ce que Lacan appelle
le désir-de-l’analyste, par définition inconscient. Pour le pas­
teur, de quel côté cela se jo u e -t-il ? Comment son désir est-il mis
à l ’épreuve lorsqu’il écoute ? Cette question de la demande a
une importance majeure. À qui s’adresse-elle quand c’est un
analyste qui l’écoute ou quand c’est un pasteur qui la reçoit ? A
tout le moins, il est souhaitable que l ’analyste ne se prenne pas
pour un directeur de conscience et le pasteur pour un analyste
surtout quand il pressent qu’il y a « une autre demande » dans le
discours de son interlocuteur. En ce point, Pfister ne fait pas
vraiment du concordisme. Il reste dépendant de son désir non
analysé d ’« aider les âmes », comme d ira it Ignace de Loyola,
avec tous les moyens dont il dispose y compris l’analyse. Il ne
lui a pas été possible d’analyser ce désir et ce qu’aurait im pliqué
pour lui d’être et de rester analyste. Dans « L ’illusion d ’un
avenir», Pfister se situe résolument en théologien et en croyant.
La position athée très marquée de Freud ne l’a sans doute pas
aidé à aller v o ir du côté de ce désir qui reste pris dans les
représentations religieuses de son idéal, aussi légitime soit-il.
Les circonstances font qu’il n’a pas pu analyser le religieux en
lui.
Enfin, pour conclure, un dernier point : le respect du sujet
humain, parlant et désirant, allant-devenant dans le génie de
son sexe, selon l ’expression de Françoise D olto. Certes, dans la
cure il s’agit du sujet de l’inconscient et le désir est lui-même
inconscient. Le lien est donc complexe. Pour autant dans notre
univers d’aujourd’hui marqué par une forte tendance à l ’effi­
cacité et au rendement, à la médicalisation et aux méthodes
comportementalistes qui ignorent le sujet de l’énonciation,
analystes et pasteurs n’ont-ils pas en commun, chacun à p a rtir
de sa position éthique particulière, cette préoccupation du sujet
en souffrance? N ’est-ce pas là que se pose la question de la
vérité du sujet?
34 IN TRO DUC TIO N / P.-L. ASSOUN

historique, Pfister, en son idéalisme irénique, ne pouvant et ne


voulant y voir qu’un malentendu ou une dégénérescence.
On comprend que Freud ne puisse s’accommoder, sur le fond
là encore, pour ce qui est de la psychanalyse, du rôle d’évangile
auxiliaire ou du moins de supplément d’âme inconscient. Elle est
condamnée en quelque sorte à déciller le regard des hommes sur la
part que prennent les illusions dans leur économie psychique.
C’est ce qui fait l’hétérogénéité des modes de jouissance intellec­
tuelle respectifs de Freud et de Pfister.

Jésus avec Freud : le désir pastoral

Ainsi Pister effectue-t-il une inscription de la psychanalyse


dans l’histoire des religions, comme pour surplomber le point
de vue freudien.
D ’ une part, on peut remarquer q u’il souligne, dès 1928,
l’apport de la religion d’A ton, instiguée par le pharaon Amen-
hotep IV devenu Achénaton, en sorte qu’il marque un jalon non
négligeable dans le cheminement freudien sur cette figure, entre
l’étude pionnière de Karl A braham 1et son grand développement
dans L ’homme Moïse et la religion monothéiste2.
D ’autre part, et surtout, il avance que Jésus a « pratiqué subti­
lement» (Jein treiben)... la psychanalyse! C’est qu’en fait Pfister
lui-même pratique «subtilement» l’apport freudien en symbiose
avec l’inspiration de Jésus. Il situe la pensée de Jésus comme une
psychanalyse subtile et « avant la lettre », donc « dans l’esprit ».
C’est le cœur même de son désir pastoral. 11joue indéniablement
de l’opposition entre l’am our « ca p ta tif» - issu des pulsions
égoïstes - et l’amour « o b la tif » - celui que le christianisme a
dégagé depuis Thomas d’Aquin au moins, le piétisme en étant
la forme épurée3. Ce qui s’exprime dans « la prière de Jésus», le
« N o tre Père» qui porte à l ’expression le «Commandement
d’A m our» qu’il met à contribution en une analyse serrée, de
façon à montrer qu’il surmonte le sadisme du surmoi religieux
prim itif. C’est pourquoi il met à la place du Sollen, du devoir

1. Karl A b r a h a m , Amenhotep IV ( Echnaton). Contribution psychanalytique à


l'étude de ta personnalité et du culte monothéiste d ’Aton, 1910.
2. Voir Noies 6 et 10, plus loin, p. 110 et 112.
3. Voir Noie 14, plus loin, p. 114-115.
L ’ILLU SIO N D ’ UN A V E N IR 35

kantien, l’amour du prochain comme primum movens anthropo­


logique, sur lequel Freud émettra peu après ses doutes fonda­
mentaux, dans Malaise dans la Culture. 11 va jusqu’à suggérer que
Jésus a inventé le « transfert » avant que Freud n’en fasse la pierre
angulaire et le levier de la praxis analytique1. Ce à quoi Freud fait
écho en gratifiant Pfister de la grâce de mener le patient du
transfert à Dieu, grâce qui lui est refusée...
On le voit, Pfister n’est pas loin de faire des «formes les plus
élaborées de la religion » un antidote à la « contrainte », qui serait
distinctive de ses formes les plus frustes et de sa préhistoire. Ce
faisant il prend une direction qui, il faut bien le dire, l’éloigne
implacablement de Freud, pour qui cette notion de « contrainte »
(Zwang) est inséparable de l’essence du religieux, en son origine
totémique - acquis définitif de son Totem et tabou. Corrélative­
ment, il relativise fortement, sans le réfuter, le « schéma du désir »
( Wunschschema) comme suffisant pour rendre compte de la
religion. La religion vraie suppose à ses yeux l’émancipation du
carcan de la pensée prim itive. Bref, ses «amendements» à la
théorie freudienne sont bien réfutatifs et dissidents par rapport
à son noyau, celui de la conception freudienne de la religion
comme «créature du désir» ( Wunschegebilde). A in si est-il
amené à faire l’éloge de cette théologie qui aurait su « se désem-
bourber» de ce marais des mirages illusoires. Au-delà de sa
sympathie envers Pfister, Freud ne pouvait y voir qu’un Münch-
hausen spirituel, qui réalise l’exploit quelque peu rocambolesque
de se tirer, par les cheveux d’une théologie rénovée, du marais de
l’aliénation religieuse !

Logos contre Logos

Les derniers mots de l’écrit de Pfister sont aussi pour marquer


une divergence majeure derrière ce que lui veut vo ir en un
incurable optimisme comme une «convergence» foncière, avec
un but commun. « Logos » s’entend chez Freud comme la Raison
- a u sens grec médié par l’ usage qu’en fait M u lta tu Ii2(non cité par

1. P.-L. ASSOUN, Leçons psychanalytiques sur le transfert, Economica, 2007.


2. Sur celle conceplion, nous renvoyons à L ’entendement freudien. Logos et
Anankè, Paris, Gallimard, 1984, « Introduction» et notre synthèse dans L'avenir
d ’une illusion, p. 240-243 et 244-245.
32 IN TRO DUC TIO N / P.-L. ASSOUN

pourtant qu’il le murmure ou le signifie à mots couverts - sauf à


renvoyer aux mots comme seul instrument de sa « libération ».

Eros et Agapè

II est un mot récidivant chez Pfister, qui donne chair à la vérité


tel qu’il l’entend, c’est le mot «am our». 11 le trouve dans les
Évangiles - il semble d’ailleurs avoir une prédilection pour le
premier, celui de Matthieu, à en juger par la prédominance de
ses références dans le présent texte et pour Saint Paul, présent en
soutien constant de son propos. On ne s’en étonnera évidemment
pas. Mais ce qu’il faut souligner, c’est le caractère original et
courageux de ce «pasteur d’âmes», au-delà de quelque incanta­
tion à l’Agapê ou à la Charité. Il cherche chez Freud et dans la
psychanalyse une conception anthropologique sans demi-
mesures, un réalisme libidinal, mais - c’est le « mais » décidé de
la foi - , il s’en sert pour épurer l’idéal - nommément religieux - de
ses formes morbides, de « l’univers morbide de la faute» selon
l’expression du psychanalyste français Hesnard vers la même
époque1. La psychanalyse est aux yeux de Pfister le meilleur
moyen de libérer... la religion de la gangue de symptômes qui
en hypothèque l’authenticité et l’avenir. Mais il ne se satisfait pas
de quelque solution de facilité pour réaliser cette opération. Ainsi
n’est-il nullement tenté de trouver abri dans le jungisme - auquel
il décoche dans sa correspondance avec Freud les sarcasmes les
plus cruellement efficaces (bien que, on l’a vu, Jung ait été son
médiateur avec Freud). Ce qu’il cherche, c’est une alliance avec
Freud, une « nouvelle alliance », redoublant la Bonne nouvelle
évangélique par l ’autre, moins « bonne » mais essentielle et arrai­
sonnante, de l’inconscient. Il estime que l’Évangile se trouve
requinqué plus qu’ébranlé par cette nouvelle de la division du
sujet par le sexuel... On notera au reste l’extrême discrétion de la
problématique de la sexualité dans le présent texte.
Seulement Freud produit, avec L ’avenir d ’une illusion, un
franchissement, «ligne rouge» de cette alliance. Non qu’il n’ait
rien dit dans ce texte à quoi l’ami pasteur n’eût pu s’attendre (il dit
d’emblée, on l ’a vu, que de ce point de vue l’écrit ne lui «apporte
aucune nouveauté »). Mais pour Pfister, on ne peut pas laisser dire

1. Angelo H esnard . L'univers morbide de la faute, 1949.


L ’ILLU SIO N D ’UN A V EN IR 33

« ça » - fût-ce au maître auquel le voue une admiration irrémis­


sible - sans y opposer un contre-discours et faire entendre une
autre voix. Et il le fait avec une netteté et parfois une violence du
propos - sur le fond, jamais sur la forme extérieure - qui fait de
ce texte, décidément apologétique en son genre, un moment
dramatique de la confrontation psychanalyse/religion. Au fil
de ses échanges épistolaires avec Freud, Pfister nous semble
avoir forgé un style en m iroir de celui de Freud : on y trouve
ces formules gnomiques, ces trouvailles stylistiques, heureuses ou
«ampoulées», comme si l’amitié intellectuelle avait forgé une
sorte de réciprocité identificatoire, en un effet boomerang.
Cette « autre voix », autre voie aussi, c’est celle de l’Amour.
Mais voilà la question : cet Am our-là n’est pas l’Eros freudien.
Il tient de l’Agapè. Et Pfister se sert de l’Eros, avec toutes les
ressources du réel inconscient, pour purifier son Agapè de ses
scories morbides. Cela permet d ’en situer la position : là
où Nygren, dans un ouvrage célèbre contemporain, opposera
l’Éros, l ’amour grec et l’Agapè, l ’amour chrétien1, Pfister se
sert de l’Eros, tel que la psychanalyse en dégage la portée, pour
tenter de le réconcilier avec l’Agapè ou plutôt le faire servir à sa
cause supérieure. En tant qu’analyste, il ne devrait avoir besoin
que de l’Eros ; en tant que pasteur, il fait fond sur l’Agapè ; enfin,
en tant qu’analyste chrétien ou chrétien analyste, il en pratique et
en accomplit l’ union. Bref, il dessine une voie de sortie par
rapport à ce qu’aurait de fatidique l’assignation de la religion
au règne de l’illusion. Il cherche dans la psychanalyse une anthro­
pologie réaliste, à la mesure de la complexité psychique, pour
revivifier la religion. Dire que « les représentations de Dieu et de
l’au-delà » sont « fréquemment peintes à l’aide des couleurs de la
palette du désir» ( Wunschpalette) ne justifie pas à ses yeux de les
en décolorer...
Il retrouve d’ailleurs ainsi le dépouillement d’une démarche
protestante, cherchant dans la lettre vive d’ un texte le retour au
réel de la foi vivante. Ainsi avoue-t-il être dans l’impossibilité
« d ’approuver la thèse selon laquelle la religion puisse être
ennemie de quelque chose ou de quelqu’un ». La religion telle
qu’il l’entend est assurément rétive à toute idée d’ une « guerre de
religions », alors que le fait est que celle-ci appartient à la réalité

1. Anders N ygren , Eros et Agape, 1930-1936, trad. fr. 1962, Éditions du Cerf,
2009.
U

Ese es el verdadero amor al prójim o: una


subversión del sujeto que va más allá del
amor como supuesto saber del bien del otro.
El sujeto pasa del amor al deseo como deseo
del Otro (genitivo subjetivo). Pero entonces
surge la pregunta sobre el deseo del Otro:
«Tú me dices esto, pero ¿qué quieres al de­
cirme esto?». Una cuestión fundamental:
«Te pregunto qué deseas al decirme esto; yo
no lo sé».
Ahora bien, lo que el psicoanálisis ha
deducido de la experiencia humana es que
no hay palabra capaz de responder a esta
pregunta dirigida al Otro. El enigma per­
manece; el lenguaje fracasa a la hora de
expresar el deseo del Otro. En efecto, das
Unbewussíe es la une-bévue, la metedura
de pata3, algo que se dice en un lapsus, allí
donde se mantiene lo Urverdrangt, la repre­
sión originaria, irreductible, sin vuelta atrás
e innombrable. Desde luego, no faltan las
palabras para expresar el amor: «Si te digo

3. Unbewustsein en alemán es el inconsciente. Lacan


busca una expresión que suena parecida en francés, / ’une-
bévue, que incluye la palabra bévue (que se puede traducir
como «metedura de pata») para decir que el inconsciente
se muestra en los tropiezos: lapsus, sueños, actos fallidos,
síntomas (N. del T.).

100
esto, es por tu bien». Pero el deseo es total­
mente distinto. Es lo que no capta el neuró­
tico cuando toma la petición del Otro como
expresión de un deseo.
¿Qué hacer ante esta naturaleza incom­
pleta de lo simbólico, ante esta im posibili­
dad del lenguaje? ¿Cómo no desesperamos
en la angustia del no saber acerca del deseo
del Otro? ¿Tenemos que refugiamos en la
huida y el rechazo de toda relación? Preci­
samente para responder a estas preguntas el
psicoanálisis ha optado por una ética distin­
ta de la del servicio de los bienes: la ética de
la ley del deseo.

U na ética distinta

Este acercamiento al deseo del Otro se


realiza en dos tiempos. En prim er lugar, por
los preliminares que instaura lo que Lacan
llamaba un «arte de bien decir», no de de­
cir el bien, sino un arte de la conversación,
donde la belleza del decir permite coloni­
zar y domesticar ese desconocido que es el
deseo del Otro. En efecto, el lugar del enig­
ma se vive muy a menudo como el del ho­
rror, allí donde se asientan, según Aristóte-

101
PHILIPPE JULIEN

PSIC O AN A LISIS
Y R E L IG IÓ N
Freud - Jung - Lacan

E D IC IO N E S SÍG U E M E
SALAM ANCA
2018
A l hablar del cristianismo, Lacan toma
del evangelio de san Mateo el enunciado de
dos mandamientos: el de amar a Dios y el
de amar al prójim o como a uno mismo (M t
22, 37-39). Y lo interpreta en el siguiente
sentido: «Lo que el cristianismo nos pro­
pone es un drama que encama literalmente
esta muerte de Dios».
Y puesto que Dios está muerto, «a partir
de ahora el único mandamiento es: ‘Ama­
rás a tu prójim o como a ti mismo’ ». Y aña­
de: «Los dos términos, la muerte de Dios
y el amor al prójim o, son históricamente
solidarios»1.
Así pues, ¿qué interpretación hay que dar
a este «único» mandamiento?

1. J. Lacan, Le Séminaire, leçon V II, L 'Éthique de la


psychanalyse, 227.

95
Prim era interpretación

Tradicionalmente, amar a alguien es «ve­


lie bonum aliqui», desearle el bien. Pero
¿qué bien? Amar al prójim o como a uno
mismo es identificarse con él; yo veo al otro
a mi imagen y mi Yo se ve en el otro. Por
eso, el bien que quiero para el otro no es
cualquier bien, sino el mismo bien que quie­
ro para mí. Así pues, yo amo al otro como
me amo a mí mismo.
Si profundizamos un poco, vemos que
esta identificación da lugar a tres vínculos
sociales: primero, con los miembros de la
fam ilia; después, con los de la nación; por
últim o, con la humanidad entera. Vínculos
que dicen relación con los bienes físicos, los
psicológicos y los sociales. De este modo
se establece lo que Lacan llama la ética del
servicio de los bienes, según el principio
de moderación, de mesura y de sabiduría:
ni demasiado, ni demasiado poco. Freud lo
denominaba principio de placer/displacer,
es decir, de evitación del displacer, que está
causado por el «demasiado» o por el «de­
masiado poco» placer. Es lo que llamamos
las leyes de la naturaleza.

96
Por consiguiente, el «yo quiero tu bien» se
basa en el «yo sé cuál es tu bien», puesto que
«te amo como a mí mismo». Y en nombre de
este saber someto al otro a mi voluntad: «Tú
debes obedecerme por tu bien». Esto puede
funcionar durante cierto tiempo; a veces, in­
cluso, durante mucho tiempo. Pero llega un
día en que se revela el lím ite del amor, lím ite
expresado en dos objeciones: una proceden­
te de mí mismo y otra del prójimo.
La primera la presentó muy brillante­
mente Freud en el quinto capítulo de su li­
bro Malestar en la cultura. Comentando el
precepto: «Amarás a tu prójim o como a ti
mismo», Freud llama la atención sobre un
punto clave: «M i amor es algo precioso, que
no tengo derecho a malgastar». El prójim o
debería merecerlo, pero a menudo no es así.
No solo me es ajeno, sino que además hay
en él una agresividad y una maldad que me­
recerían más bien mi odio. De este modo,
Freud constata amargamente el fracaso de
la cultura sobre este punto.
Pero a esta objeción se añade otra que
proviene del prójim o mismo, que rechaza mi
amor: «M i bien no es el que tú quieres para ti
mismo. Tú crees saber cuál es m i bien, pero

97
yo soy distinto de ti; luego ¡deja de imponer­
me tu amor!». Esta terrible objeción surge
un día con ira en la vida de una pareja, en la
vida profesional, en la vida política entre dos
naciones, o en la vida religiosa si el clérigo
cree saber cuál es el bien del laico.
En consecuencia, ambas objeciones se
unen en una misma revelación: hay una al-
teridad irreductible de ese que llamamos el
prójim o, que hace imposible poder identifi­
carse con él.

O tra interpretación

Una lectura diferente del único manda­


miento religioso se encuentra en un semi­
nario de Lacan que lleva por título La ética
del psicoanálisis (lecciones X IV y X V ). Lo
que está en juego es interpretar las expre­
siones «prójim o como a ti mismo» más allá
de una identificación entre la imagen del
otro y su propio Yo. ¿De qué manera? Amar
al prójim o es hacerse próximo a ese vacío,
a ese corazón en sí mismo, a esa alteridad
inquietante que es su propio inconsciente.
Freud escribió en 1919 un artículo titulado
Das Unheimliche, la extrañeza totalmente

98
íntima, la ex-timidad que es lo inconscien­
te reprimido y que reaparece con sorpresa y
estupefacción.
«Hazte próximo de esta extrañeza que
hay en ti mismo»: esto es amar al p ró ji­
mo como a ti mismo. En efecto, lo que el
psicoanálisis enseña contra la paranoia es
que todos somos responsables de nuestro
inconsciente: «Donde había Ello, debo lle­
gar a ser Yo» (Wo es war, so il ich werden).
Asum ir el propio inconsciente, yendo más
allá de las dos dimensiones de la imagen del
Yo, es reconocer en uno mismo una tercera
dimensión que asombra, una capacidad de
bien o de mal que se ha reprim ido y que hoy
reaparece: no hay represión sin una vuelta
desplazada de lo reprim ido. De este modo,
lo que el sujeto ha odiado en el otro por
su maldad, lo reconoce en sí mismo: «Eso
horrible y devastador que él o ella ha he­
cho, ¡yo soy totalmente capaz de hacerlo!».
Como decía Lacan a propósito de Sade, el
desafío es que uno se haga «lo bastante ve­
cino de su propia maldad como para encon­
trar allí a su prójim o»2.

2. J. Lacan, Écrits, Paris 1966, 789.

99
les, estas dos pasiones que son el miedo y la
piedad, pasiones que únicamente purifica el
arte de hablar bien de ellas, por ejemplo en
la tragedia. De este modo, la belleza vuel­
ve insensible al horror. Esta es la sublima­
ción. Sociológicamente, el amor cortés de
los trovadores fue la invención de este arte
del acercamiento que todo amante ha sabido
retomar a su manera en su vida privada, con
las puertas y las cortinas echadas.
Pero según la ley del deseo, este arte no
es sino un preámbulo que permite pasar a un
segundo momento: el de lo pulsional. Esto
es un descubrimiento freudiano. En efecto,
puesto que a la pregunta dirigida al Otro
acerca de su deseo no hay respuesta en la
palabra, solo queda una solución: responder
uno mismo. ¿De qué manera? A l identifi­
carse con el objeto de gozo del otro como
cuerpo, es decir, en el fantasma como sostén
del deseo, el sujeto se hace objeto de un plus
de gozo del cuerpo del otro (genitivo subje­
tivo). Dicho con otras palabras, en lugar de
una carencia en el lenguaje para responder,
el sujeto colma él mismo otra carencia en el
cuerpo del otro, carencia representada por
las cuatro aberturas corporales que son la

102
boca, el ano, la vista y el oído. Estas cuatro
fisuras en el otro hacen posible una relación
que el sujeto se arriesga a instaurar en él
mismo según las cuatro pulsiones:
-hacerse besar y absorber por la boca;
-hacerse eyectar por su ano;
-hacerse ver por su mirada;
-hacerse oír por su oído.

De este modo, tan solo el paso del amor


al deseo puede dar lugar a lo erótico y al
disfrute llamado sexual, con el riesgo que se
corre respecto del consentimiento del otro.
Esta es la consecuencia de la nueva inter­
pretación dada al precepto: «Ama a tu próji­
mo como a ti mismo», es decir, hazte próxi­
mo de ti mismo como sujeto que desea.

103

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