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LES CLASSIQUES DE DEMAIN

Author(s): Pierre-Louis Rey


Source: Revue d'Histoire littéraire de la France, 113e Année, No. 3, L'histoire littéraire face
à la création contemporaine (JUILLET-SEPTEMBRE 2013), pp. 513-525
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/45038244
Accessed: 04-04-2020 10:34 UTC

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Le colloque annuel de la Société d ' Histoire Littéraire de la France ,
présidée par Marc Fumaroli, de l'Académie française, s'est tenu le ven-
dredi 14 et le samedi 15 décembre 2012 à la Fondation Del Duca (10,
rue Alfred de Vigny, Paris, VILIe). Organisé par Pierre-Louis Rey, de
l'Université de la Sorbonne nouvelle, il était intitulé «L'histoire litté-
raire face à la création contemporaine ».

LES CLASSIQUES DE DEMAIN

Pierre-Louis Rey

Le sujet de ce colloque m'a été suggéré par Éric Férey qui, de 1999 à
2011, a mis en œuvre le numéro de Bibliographie de notre revue. Avec lui,
et plus récemment avec Marie Galvez qui lui a succédé, notre société a
réfléchi à la présentation qu'il conviendra un jour de donner, dans ce volume
annuel, à la littérature contemporaine. Faudra-t-il ouvrir une rubrique
« xxie siècle » qui, pour plusieurs années, serait vouée à la minceur ? Peut-
être devons-nous saisir l'occasion de remettre en cause l'arbitraire décou-

page en siècles. Mais si on choisit de délimiter une période dite plus large-
ment « contemporaine », à quelle date la fera-t-on débuter1 ? On peut
songer, par exemple, à 1980. Mais de nombreux écrivains, connus pour des
livres parus dans les années 1960 ou 70, continuent de publier aujourd'hui ;
à les maintenir dans le XXe siècle tandis que serait créée une « période
contemporaine », on occulterait leurs capacités de renouvellement.
Je suis reconnaissant à Éric Férey de m'avoir fourni quelques remarques
précieuses, dont je nourrirai ma communication. Je voudrais remercier éga-
lement tous les collègues qui ont accepté de participer à ce colloque. Ils
nous aideront à avancer sur les questions pratiques que la Société se pose,

1. À partir du « Hors-série 2008 » (qui recensait les publications de l'année 2007), la dernière
section de notre numéro de Bibliographie a été intitulée : « XXe siècle et littérature contempo-
raine ». À partir du « Hors-série 2012 » (année 2011), sur la couverture du volume a été indiqué
entre parenthèses : « xvic-xxie siècles ». Pour plus de détails, voir ci-dessous la communication de
Marie Galvez, pp. 597-605.

RHLF, 2013, n° 3, pp. 513-525

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mais surtout à réfléchir à un aspect de l'histoire littéraire dont la prése


tion du volume de Bibliographie est peut-être une pierre de touche.

SIÈCLES HISTORIQUES, SIÈCLES LITTÉRAIRES

Un « siècle » n'a pas toujours désigné une période de cent ans. S


Siècle d'or des Pays-Bas correspond approximativement au XVIIe, cel
l'Espagne couvre une période beaucoup plus indécise, et Voltaire ne cont
vient pas à 1' etymologie du terme (sœculum : époque, génération) quand
qualifie le règne du Roi- Soleil de « siècle de Louis XIV » et se réfère, da
l'introduction de son ouvrage, à trois autres « siècles » qui marquèr
l'histoire : celui de Philippe et d'Alexandre, celui de César et d'Aug
celui de la Renaissance. La magie du chiffre rond gagne du terrai
xixe siècle (« Ce siècle avait deux ans... »), mais les écrivains romant
donnent couramment l'appellation de « siècle » à la génération à laquelle
appartiennent. Elle s'impose plus nettement avec l'Exposition univer
de 1900 qui affiche comme thème : « le bilan d'un siècle ». L'entrée dans
xxie, enfin, a revêtu d'autant plus de solennité qu'elle inaugurait en mê
temps un nouveau millénaire.
On a le sentiment que dans l'histoire de la France moderne, les siè
ne commencent vraiment que vers la dixième année, et souvent à la qui
zième. 1515 : avènement de François Ier grâce à qui va s'épanou
Renaissance française. 1610 : assassinat de Henri IV, qui met fin à un rè
de tolérance religieuse. 1715 : mort de Louis XIV accompagnée d'un s
mécontentement qui aboutira à la Révolution. 1815 : Waterloo et le Con
de Vienne, qui modèle pour des décennies la carte de l'Europe. 1914 : ent
dans le xxe siècle avec la première grande guerre moderne. Nos amis br
niques feront observer que, dans la série des « 15 » décisifs, j'oub
« 1415 : Azincourt ». Leur objection ne serait pas recevable : les Fran
ont ensuite inversé la tendance et gagné la Guerre de Cent ans.
Quand j'étais lycéen, je m'émerveillais que la carrière de presque t
nos grands classiques se soumît, au contraire, au découpage de la s
des « Lagarde et Michard » (Bordas). À la frontière du xvie et du xvne s
cle, seuls Malherbe et Agrippa d' Aubigné jetaient le trouble. Le premie
été annexé au xvne siècle alors que la Consolation à M. Du Périer,
pièce la plus célèbre, date de 1598. Le second a connu un sort oppo
« Ce combattant du xvie siècle est un écrivain du xvne », écrivait Gusta
Lanson à propos de l'auteur des Tragiques ; on a préféré le situer da
siècle où il combattit. La fortune du duc de Saint-Simon, qui rédigea le
définitif de ses Mémoires entre 1739 et 1750, étonne davantage : « Pein
du règne de Louis XIV, il passe pour un auteur du xvne siècle », f

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observer le Dictionnaire des Littératures de langue


Beaumarchais, A. Couty et A. Rey (Bordas). Pour nous
« scolaires », Fontenelle, dont les lycéens d'un aut
au moins « La dent d'or », s'étend confortablement sur les xvne et
xviii6 siècles au prix d'une longévité hors du commun. On ne voit guère
que Fénelon pour se situer lui aussi au tournant des deux siècles, alors que
Boileau donne dès 1701 une nouvelle édition de ses œuvres et une Préface
à L ' Art poétique qui font figure de testament. Les écrivains représentatifs
du siècle des Lumières meurent tous avant ou pendant la Révolution ;
celle-ci, il est vrai, supprime quelques têtes qui risquaient de dépasser.
Chateaubriand et Mme de Staël ont fait leurs premières armes littéraires
dans les années 1790, mais on les considère comme des écrivains du
xixe siècle, de même que Senancour, dont les grands débuts datent de la
publication ďOberman en 1804. L'inscription de ce roman au titre du
xvnie siècle par un jury d'agrégation est apparue, voici quelques années,
comme une provocation à l'égard des traditionnelles catégories « séculaires ».
Pareillement, Claudel, Gide, Valéry et Proust ont eu beau publier quelques
ouvrages avant 1900, ils appartiennent au xxe siècle. L'inscription de Tête
d'or (1889), de Claudel, pour représenter le xixe siècle dans un autre
programme d'agrégation fut interprétée comme un nouveau défi. Il est
vrai que le concours de l'agrégation autant que l'attachement à la division
par siècles sont des spécificités françaises. Beaucoup de nos universités
comptant pour chaque siècle un seul enseignant de rang magistral (elles
recrutent un « seiziémiste » ou un « dix-septiémiste »), quand se pose la
question cruciale « qui traitera tel auteur en cours d'agrégation ? », tout
franchissement des frontières pose un problème aigu.
À supposer que des séries comparables aux « Lagarde et Michard »
s'imposent à nouveau d'ici quelques décennies, dans quel siècle seront
placés Michel Deguy, Yves Bonnefoy, Annie Ernaux, Jean-Marie Gustave
Le Clézio, Pascal Quignard, dont les premières œuvres ont été publiées il y
a quarante ou cinquante ans et qui continuent d'enrichir notre patrimoine
littéraire ? Notre perplexité vient-elle d'une simple conjoncture ? De l'al-
longement de la vie (la multiplication des centenaires causera un surcroît
d'embarras aux auteurs de manuels « séculaires ») ? Ou d'une difficulté
grandissante à opérer un tri parmi les écrivains vivants ?

JUGER DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE CONTEMPORAINE

Les grands événements historiques s'imposent sans risque d'erreur à la


conscience des historiens aussitôt qu'ils se produisent. On se trompe souvent,
au contraire, dès qu'on prétend hiérarchiser les œuvres artistiques et littéraires

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du présent. Écrire l'histoire de la poésie contemporaine vers le milieu


xixe siècle, c'était, sauf à faire preuve du non-conformisme d'un Baudelair
ou d'un Flaubert, ranger Béranger aux côtés de Hugo et de Lamartine.
Fanny, d'Ernest Feydeau, publiée en 1858, éclipsa aux yeux des critiques de
l'époque Madame Bovary, parue un an plus tôt. Ni Béranger, ni Erne
Feydeau, dont les œuvres répondaient à l'attente du public, ne compte
aujourd'hui parmi les « classiques » de notre littérature. Comme le fais
remarquer Sainte-Beuve, « en fait de classiques, les plus imprévus sont enco
les meilleurs et les plus grands2 ». Écrire l'histoire de la littérature contemp
raine, ce serait donc, si on ne se contente pas de dresser une nomenclature d
œuvres et de recenser les tirages, apprécier l'imprévu sans toutefois céder a
faciles effets auxquels risque d'aboutir le désir d'étonner.
Si l'historien doit s'abstenir d'aborder une époque où les hiérarchie
demeurent fragiles, à partir de quelle date s'imposera cette prudence ? Dan
la page de « Remerciements » qui clôt son Démon de la théorie, Antoi
Compagnon écrit : « Depuis la publication de La Troisième République d
lettres [1983], le reproche m'a souvent été fait d'avoir arrêté l'enquête
moment où elle devenait intéressante : on attendait la fin de l'histoire, un
Quatrième ou une Cinquième République des lettres3. » De toute histoi
qu'elle soit politique, économique ou artistique, le lecteur attend la fi
c'est-à-dire, pour le moins, le moment où il vit aujourd'hui. Le cas échéant
il souhaite entrevoir la suite. Comprendre le passé pour expliquer le présen
et anticiper sur l'avenir, disent parfois les historiens pour définir leur disc
pline. On s'aventure moins volontiers, sauf exceptions, à prédire ce q
deviendront la littérature ou la peinture que l'économie ou la configuratio
de la planète. Mais peut-être les historiens des autres disciplines devraient
ils s'inspirer de notre réserve.
L'histoire des lettres et celle des beaux-arts présentent cette spécificité
que, si les publications de livres, les créations de pièces ou d'œuvres
musicales, la première exposition d'un tableau offrent des jalons, on évalu
difficilement la durée des mouvements ou des écoles où ils s'inscrivent.
Pour nous en tenir à la littérature, on lit dans certains précis : « 1830 :
bataille à' Hernâni, débuts de l'essor du théâtre romantique. 1843 : chute
des Burgraves, fin du romantisme à la scène », comme on lirait dans
un précis d'histoire le début et la fin de la Grande Guerre. Les historiens du
théâtre savent quelle réalité complexe masquent ces repères. Hernâni
n'inaugure pas une période à la manière de Sarajevo ; à plus forte raison ne

2. Charles-Augustin Sainte-Beuve, « Qu'est-ce qu'un classique ? », Causeries du lundi, Paris,


Garnier, 1874-1876, t. Ill, p. 50.
3. Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie, Paris, Éditions du Seuil, « Points », 1998,
p. 313.

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sait-on jamais, en littérature, quand les choses finissent


riens ont légitimement commencé à écrire, dès les arm
1945, des histoires des deux guerres mondiales, même
sible d'en mesurer les conséquences. Mais à partir d
fondé à écrire une histoire du surréalisme ? Maurice B
après la guerre de « brillant fantôme » ; ce fantôme a
littérature. Et à peine proclame-t-on, à la fin des an
« nouveau roman » et en dresse-t-on un bilan que surg
veau roman ».

L'ENSEIGNEMENT FACE À LA CRÉATION CONTEMPORAINE

Les écrivains vivants n'occupent que depuis quelques décennies une


place importante dans les enseignements secondaire et supérieur. Il est
vrai que, vers la fin du xixe siècle déjà, le héros de Jean Santeuil , reflé-
tant l'expérience personnelle de Proust, étudie au lycée Condorcet des
auteurs contemporains comme Hugo et Leconte de Lisle, et il s'entretient
avec son professeur des mérites de Verlaine. Ce lycée parisien n'était
toutefois pas représentatif de l'ensemble des établissements français : les
sujets de baccalauréat de l'époque portaient en effet sur des auteurs
depuis longtemps confirmés. L'ignorance de la littérature contemporaine
ira croissant dans les programmes de littérature française du siècle
suivant. Au début des années 1950, une majorité de lycéens utilisaient la
série des Lagarde et Michard qui allait du Moyen Âge au xixe siècle,
mais celui du XXe siècle ne sera publié que plus tard ; pour un adolescent
tributaire de l'institution scolaire, l'expérience de la poésie s'arrêtait
alors, comme celle de Jean Santeuil, à l'œuvre de Verlaine. Et c'est en
1970 seulement qu'est publiée, chez Bordas, La Littérature en France
depuis 1945 , dont les auteurs (Jacques Bersani, Michel Autrand, Jacques
Lecarme et Bruno Vercier) écrivent en Préface : « Il fut un temps, qui
n'est pas si lointain, où les programmes se gardaient par principe de toucher
au monde contemporain. Ce temps est désormais révolu : nos élèves, nos
étudiants, nous-mêmes, n'acceptons plus d'être coupés du présent. » Un
signe de cette réticence s'aperçoit dans les fortunes différentes de deux
collections consacrées à des écrivains, de format et d'inspiration compa-
rables, fondées à la fin des années 1940 pour l'une, au tout début des
années 1950 pour l'autre. La première, « Écrivains de toujours », aux
éditions du Seuil, inaugure sans surprise son catalogue avec Victor Hugo
et le continue avec une liste de dix grands écrivains du passé où seuls
Colette (n° 5) et Giraudoux (n° 8) font figure d'intrus. La seconde,
intitulée « Classiques du xxe siècle », créée par le tout jeune Pierre de

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Boisdeffre aux Éditions Universitaires, débute en 1952 avec Camus (alo


âgé de trente-neuf ans) et se poursuit avec Malraux, Schweitzer, Péguy
Maurras, Maurois, Mauriac... Si je m'en remets à mon expérience per
sonnelle, seule la première collection était, sauf curiosité individuel
pratiquée par les lycéens. Malraux ou Mauriac étaient ignorés des pr
grammes, et si Camus fut, selon une expression d'un pamphlétaire qui
voulait désagréable, un « philosophe pour classes terminales », il ne
devint qu'ensuite. En classe de philosophie, quinze ans après la publica
tion du Mythe de Sisyphe , mais aussi de L ' Être et le Néant de Sartre ou
de La Phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty, c'est Bergso
qui, aux yeux des lycéens, illustrait la modernité. Une modernité hardie :
pour faire équilibre à la pensée de Platon ou à celle de Kant, c'est plutô
la figure de Théodule Ribot qui faisait référence dans le manuel d'Ar
mand Cuvillier. Dans l'enseignement supérieur, la coupure entre littér
ture classique ou moderne et littérature contemporaine s'est longtem
traduite par l'interdiction faite aux doctorants de déposer une thèse por-
tant sur un auteur vivant.
En littérature au moins, les interdits moraux contribuaient au maintien
des distances. Il aurait été difficile, dans la première moitié du xxe siècle,
d'aborder le roman contemporain en écartant Le Diable au corps (1923) de
Radiguet ou, de Mauriac, Le Fleuve de feu (1923) et Thérèse Desqueyroux
(1927). La Porte étroite (1909) ou La Symphonie pastorale (1920) n'auraient
choqué personne, mais les expliquer en censurant les révélations ultérieures
de Gide eût été une imposture. Et à supposer que Proust n'eût pas décou-
ragé par la longueur de ses phrases, pouvait-on inclure dans un manuel à
l'usage des lycéens des extraits ďA la recherche du temps perdu en cachant
que le roman entier aurait pu s'intituler Sodome et Gomorrhe ? Le Grand
Meaulnes (1913) d'Alain-Fournier est, en cette période, l'exemple rare
d'une œuvre romanesque qui n'a pas besoin d'une descente aux enfers pour
atteindre à la haute poésie. Si Madame Bovary et Les Fleurs du mal prirent
place sans scandale dans le Lagarde et Michard du xixe siècle, c'est que la
patine du temps avait fait son œuvre. Les « paradis artificiels » de Baudelaire
relevaient à l'évidence d'une autre époque.
Le courant s'est ensuite inversé. Les professeurs de lycée ont recouru à
des auteurs contemporains et à des « problématiques » d'actualité pour tenter
d'intéresser leurs élèves à la littérature. Annie Ernaux plutôt que Chateaubriand.
Et on ne sache pas que pèsent désormais beaucoup d'interdits moraux sur les
choix opérés par la majorité des enseignants. La vague a atteint l'enseigne-
ment supérieur, jusque dans les travaux de recherche de master ou de thèse.
Submergé, dans ma dernière année d'enseignement, par des demandes d'ins-
cription de maîtrise portant sur Le Clézio, j'ai pu m' expliquer ce phénomène
par l'inscription de deux de ses œuvres, trois années plus tôt, au programme

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de la première aimée de licence. Je suppose que les


programme avaient souhaité prolonger la curiosité légit
les élèves de terminale par l'étude de Mondo ou ďOn
(aujourd'hui masters) engendrant souvent des thèses, o
en cause, non l'intérêt évident de l'œuvre de Le Clézio,
peut-être inquiétante en faveur de la littérature contemp
« Panthéon » des littératures française et étrangère4
rial privilégié par le monde de l'université et de la cult
de la Pléiade a accompagné cette évolution. L'honneu
longtemps interdit aux auteurs vivants, à l'exceptio
avait imposé en faveur de son Journal une entorse
fallut de peu que Céline ne fut le premier à lui succéde
nissant ses deux premiers romans était en préparat
« Je serai décédé avant d'être pléiade », écrivait-il à
voyait juste : le volume fut publié en 1962, un an
auteurs vivants « pléiades », en se multipliant au c
décennies, ont écorné l'image d'un Panthéon des écr
de la collection offraient jadis, avec un appareil critiqu
sur lesquels travaillaient avec sérénité les historiens de
une petite partie de son catalogue, la Pléiade présente a
de la littérature qui s'écrit. Certains de ses volumes on
sés en collaboration avec l'auteur lui-même, soulevan
les lecteurs universitaires. Qu'un écrivain participe
cours critiques qui s'écrivent sur lui, quoi de plus
Bibliothèque de la Pléiade s'étant imposée comme un
on s'est étonné que des écrivains contribuent personne
de leur œuvre et, en choisissant le contenu et les va
risquent d'en infléchir notre appréciation5.
On notera au passage que la tradition de la collection
cation par siècles à laquelle nos études nous ont hab
sa couleur, et on ne voit guère qu'il y ait jamais eu lieu

4. Voir Joëlle Gleize et Philippe Roussin, « Avant-propos » à La B


Travail éditorial et valeur littéraire, Paris, Éditions des archives contem
5. Ainsi l'édition dépourvue de notes des Œuvres romanesques de
(1982), précédée d'un avant-propos de l'auteur et d'une chronologi
bibliographie établie par Yvon Bernier, soustrait-elle au lecteur la pre
rêve (1934), importante pour qui veut apprécier l'évolution de la roma
une « note » prévient, dans le volume des Œuvres de Claude Simon
Alastair B. Duncan avec la collaboration de Jean H. Dufy, que « le ch
Simon inclus dans la présente édition a été fait par l'écrivain lui-même
illustrent le parcours de son œuvre romanesque ». Ils illustrent plutôt
souhaitait qu'on interprétât son parcours.

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qui convenait à chacun des grands écrivains du passé6. La question se com-


pliquera quand la maison Gallimard attribuera une couleur aux écrivains du
xxie siècle et tranchera s'il faut en vêtir ceux dont les œuvres se répartissen
équitablement entre notre siècle et le précédent7.

LES HISTORIENS DE LA LITTÉRATURE ET LES AUTEURS VIVANTS

Ignorés par les programmes de l'enseignement secondaire, les auteurs


vivants n'en étaient pas moins pris en compte par les historiens de la litté-
rature. En 1894 paraît la première édition de Y Histoire de la littérature fran-
çaise de Gustave Lanson (Hachette), qui examine les productions de l'épo-
que. Dans l'Avertissement dont il fait précéder sa onzième édition, en 1909,
reconnaissant qu'il lui est de plus en plus difficile de « signaler toutes les
publications nouvelles qu'il est utile de connaître », Lanson renvoie ses lec-
teurs à un Manuel bibliographique de la littérature française moderne
(1500-1909), qu'il est sur le point d'achever. Une réédition non datée de son
Histoire est pourvue d'« appendices » dont l'un est consacré à Proust, qui
s'est révélé « à la veille de la guerre » ; « je ne sais », observe Lanson, « si
le grand public viendra jamais à Proust ; dès maintenant, il s'impose aux
écrivains ; il est dans l'histoire littéraire une date et une influence ». « Je
n'essaierai pas d'annoncer ce que sera la littérature de demain », ajoute-t-il
en Conclusion de cette réédition, probablement imprimée au tout début des
années 1920 puisqu'il y constate qu'au cubisme a succédé le dadaïsme.
Charles Gidel, auteur d'une Histoire de la littérature française depuis 1815
jusqu'à nos jours , publiée en 1891 chez Alphonse Lemerre, ne fait pas seu-
lement la part belle à des écrivains vivants confirmés, comme Verlaine,
Mallarmé, Zola et Paul Bourget : il offre un étonnant développement sur
Maurice Barres, âgé alors de vingt-neuf ans et à l'orée de son œuvre puis-
que paraît la même année le troisième volume du Culte du moi. À la diffé-
rence de Lanson, qui achève la Conclusion d'une des rééditions de son
Histoire par ces simples mots : « Ayons confiance », Gidel, après avoir
exprimé sa réprobation devant les excès du réalisme et du naturalisme, se

6. Les rares exceptions ne concernent pas ceux qu'il est convenu de considérer comme de
« grands classiques ». Au Journal (1887-1910) de Jules Renard a été logiquement attribué, en
fonction des dates indiquées sur la couverture, le vert du xixe siècle.
7. Le passage de cinquante à soixante-dix ans du délai imposé pour qu'un auteur tombe dans
le domaine public semble aller au rebours de cette évolution. S'il n'est pas nécessaire, pour qu'une
œuvre devienne un objet d'histoire, que se multiplient les éditions critiques qui lui sont consacrées,
cette diversité d'approches aide en effet l'historien de la littérature. Elle est désormais retardée.
Mais il se peut que cette extension contribue, ne serait-ce que symboliquement, à élargir notre
conception du « contemporain ». Ainsi l'œuvre d'Albert Camus attendra-t-elle l'année 2030 pour
être traitée autrement que les ouvrages qui paraissent aujourd'hui.

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montre tout aussi pessimiste face à la littérature de d


écrivains, dit-on, se tournent vers de nouveaux horiz
leur règle et leur loi. Pourquoi nous font-ils craindre d'a
ridicules nouveaux ? » Où l'historien tourne au prescripte
Colin est publiée en 1899, sous la direction de L. Petit
président de la Société d'histoire littéraire de la France,
langue et de la littérature française des origines à 1900.
de la littérature et de la pensée françaises contempor
Larousse en 1927 par Daniel Mornet, président de notre
de la Revue d'Histoire Littéraire de la France, elle inclut
son titre, les derniers ouvrages parus à cette date, et sa
étend l'enquête jusqu'à l'année 1934.
La place accordée à la littérature contemporaine dans les
ros de la RHLF retiendra normalement notre intérêt. Le
du Conseil d'administration de la Société était Gaston Bo
Lui succéda le 2 février 1895 Gaston Paris, médiéviste
1872 de la revue Romania. Quant à celui qu'on appelait
de la revue, Arthur Chuquet, il était agrégé d'allemand e
liste des relations franco-allemandes. Dans sa longue b
un seul ouvrage littéraire, un Stendhal-Beyle (1902) auqu
intérêt pour Napoléon. Si on en croit Philippe Berthier,
historien aurait été mieux inspiré de s'en tenir aux docu
qu'il commente fort bien, plutôt que de se mêler de juge
Un latiniste, un médiéviste, un historien spécialiste de l
se penche qu'à ses risques et périls sur un écrivain : o
RHLF ait eu, à l'origine, vocation à apprécier la littér
s'écrivait à l'époque.
Son premier numéro s'ouvre pourtant par un articl
intitulé « La comédie de mœurs contemporaine. Esquisse
genre ». Ce genre s'est constitué, selon René Doumi
1850. « La période qui s'ouvre alors est une des plus f
dans l'histoire de notre théâtre9. » Il est vrai que la quest
posée par l'auteur de l'étude est celle des origines du
chez Diderot, Scribe et surtout Alexandre Dumas fils. Eu
lifié d'« Homère d'une épopée bouffonne10 », en a été
moitié du siècle, le plus illustre représentant. Au reste, si
cette étude, c'est parce que, à ses yeux, « bien des signes

8. Philippe Berthier, Stendhal en miroir. Histoire du stendhalisme


Paris, Honoré Champion, 2007, p. 154.
9. Revue d'Histoire Littéraire de la France, année 1894, p. 1.
10. Ibid., p. 5.

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522 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

mouvement est arrivé à son terme. Le genre, tel qu'il a été exploité pendan
plus de trente années, est épuisé11 ». Ainsi cet article inaugural de la RHLF
se conforme-t-il à l'idée qu'il faut qu'un mouvement soit achevé pour deve
nir un objet historique (de même n'écrit-on pas l'histoire d'une guerre tan
que n'a pas été signé l'armistice). Les exemples du surréalisme ou du « nou-
veau roman » nous ont bien suggéré qu'il est imprudent, en littérature, de
fixer des termes, mais en l'occurrence, René Doumic ne s'est pas trompé. I
a attendu six ans après la mort de Labiche pour dresser le bilan du « genre »
dont celui-ci avait été le principal représentant. Et il est vrai que ceux qu'o
considère parfois hâtivement comme ses successeurs, Georges Courtelin
ou Georges Feydeau, s'illustreront moins grâce à un comique de mœurs que
de situation, s'inscrivant ainsi sur une autre page de l'histoire du théâtre.
Une autre étude de la RHLF de l'année 1894 attire notre attention :
signée de Virgile Rossel, elle s'intitule « Les poètes français du Canada
contemporain ». Quand, dans le rapport moral présenté l'an dernier à l'as-
semblée générale de notre société, j'ai justifié notre numéro consacré à
« L'histoire littéraire au Québec » en rappelant qu'en 1969 déjà, un numéro
de la RHLF affichait « Le Québec et sa littérature », j'ai oublié cet article
daté de l'année de naissance de la revue. À l'instar de l'étude consacrée à la
comédie de mœurs, il remonte aux racines historiques du sujet. Quant à sa
pertinence dans une revue dont le titre annonce la littérature de la « France »,
elle ne fait aucun doute aux yeux de Virgile Rossel. « En vérité, les
Canadiens-Français, qui sont aujourd'hui plus d'un million, constituent, au
milieu de l'agglomération anglo-saxonne une petite France, très originale et
très vivante, qui ne se laissera point "absorber ni amalgamer", pour parler
avec le Times 12 », annonce l'auteur en introduction, avant de conclure sa
très longue revue des poètes contemporains du pays par ces formules : « Ce
qu'il importait, c'était sans doute de montrer qu'au Canada, colonie anglaise
de par la politique et la géographie, pays français par l'intelligence et par le
cœur, - du moins dans les provinces de Québec et Montréal, - il existait une
poésie et des poètes dignes de trouver un chaud accueil dans la littérature et
auprès du public de la mère-patrie. » L'étude rend hommage pour finir à
Louis Frechette, poète né en 1835, auteur d'une Légende du peuple, « sans
contredit l'un des écrivains qui, dans les petites France étrangères, Belgique,
Suisse romande, Canada, ont ajouté le plus au trésor du génie français13 ».
Indépendamment de son aspect idéologique, cet article ouvre vers une pers-
pective à l'évidence historique : il s'agit d'évaluer jusqu'à quel point les
poètes canadiens contemporains enrichiront le patrimoine de la France.

11. Ibid., p. 1.
12. Ibid., p. 464.
13. Ibid., p. 485.

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LES CLASSIQUES DE DEMAIN 523

Dans les livraisons des deux premières années de l


deux études prolongent jusqu'à la période contemporain
de la France. Au plus quelques noms d'écrivains viva
décédés apparaissent-ils dans des notes ou dans la chron
que. Le recenseur d'un ouvrage de Georges Pellissier, Es
contemporaine, met l'accent sur l'œuvre romanesq
(1821-1890), qui a le mérite de nous détourner des «
il juge que « MM. Marcel Prévost et Paul Marguerit
d'être arrivés à cet âge où l'on a donné toute sa mes
encore du temps pour grandir et se mûrir 14 » ; ainsi la
elle aussi, incidemment, sur ce que seront les œuvres d
tient aux articles de la revue, les siècles sont alors d'au
tés qu'ils sont anciens et le Moyen Âge lui-même n
L. Petit de Julleville signe en effet, en 1895, une ét
Regnier, bailli d'Auxerre, poète du xve siècle ». La ques
de la littérature contemporaine dans la RHLF se posera
ment ou explicitement, tout au long du xxe siècle. É
que, dans le premier numéro de l'année 1947, Pierre Jo
ces termes sa rubrique chronologique : « Cette chr
dépouillement des principaux hebdomadaires parisien
part faite à la littérature du xixe siècle et du xxe est par
tante. Nous serions heureux que les lecteurs nous fassen
d'avis que nous continuions à leur indiquer des articles
rature contemporaine. Nous nous sommes toutefois int
articles sur des auteurs vivants. »

« EXPECT THE UNEXPECTED15 »

Le comité de direction de notre revue devrait-il à nouveau consulter ses

lecteurs sur leurs attentes en ce domaine ? La question posée en 1947 mérite


aujourd'hui d'être élargie. En excluant de la littérature contemporaine les
« auteurs vivants », Pierre Josserand en restreignait en effet considérable-
ment le champ. Depuis qu'ils ont acquis un droit de cité dans l'Université,
ceux-ci occupent une place grandissante dans les bibliographies et singuliè-
rement dans la nôtre. Le numéro de l'année 2011 de la RHLF (publié en
2012), occupé pour près de la moitié par la rubrique « xxe siècle et littérature

14. Ibid., p. 87.


15. « Si l'on n'attend pas l'inattendu, on ne le trouvera pas, car il est difficile à trouver »,
Heraclite d'Éphèse, Fragments, édition de Jean-François Pradeau, Paris, GF-Flammarion, 2002,
p. 142.

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524 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

contemporaine », recense cinquante-six études consacrées à Le Clézio


quarante-cinq à Michel Houellebecq, quarante-deux à Patrick Modiano
trente-cinq à Michel Butor, vingt-quatre à Annie Ernaux... Fera-t-on valoir
qu'« indiquer » des articles et en publier sont deux choses différentes ? Ce
serait admettre que les quatre numéros ordinaires de la RHLF et le numéro
de Bibliographie ne s'inspirent pas de la même philosophie16.
L'ouverture de notre revue aux auteurs contemporains se heurte toute-
fois à des obstacles. En premier lieu, on les voit souvent eux-mêmes pe
soucieux de s'inscrire dans l'histoire. Écrire l'histoire du surréalisme fu
longtemps problématique parce qu'on ne savait pas quand le mouvemen
parviendrait à son terme ; du moins, dès qu'on cherchait selon l'exemp
de notre pionnier René Doumic à déterminer ses origines, pouvait-on l
donner des précurseurs, comme Lautréamont, et cerner les courants ou les
idées contre lesquels il réagissait : l'ordre social, la littérature patriotique,
un certain idéal du style. De même toute étude du « nouveau roman
commenee-t-elle par une définition de ce que les « nouveaux romanciers »
qualifiaient sommairement, pour en faire un contre-modèle, de « roma
balzacien ». Il était commode, pour les historiens, que les surréaliste
aient insulté Anatole France ou qu'Alain Robbe-Grillet ait tourné en déri-
sion la prétention de Balzac à concurrencer l' état-civil ; l'indifférence au
moins apparente de nombreux jeunes écrivains vis-à-vis de leurs aînés
conduit à suggérer des filiations plus hasardeuses. Comparant sa propr
génération (celle de l'après-mai 1968) à celle qui a suivi, le sociologue
Jean-Pierre Le Goff déclare : « Nous étions des héritiers rebelles, mai
des héritiers quand même17. » Dans ce qu'ils ont de meilleur et de plu
créatif, beaucoup d'écrivains d'aujourd'hui se soucient peu d'héritage ; e
ceux qui le prennent en compte le revendiquent parfois, par contrecoup,
avec une espèce de crispation. Cette dernière remarque ne vise évidem
ment pas des auteurs comme Gérard Macé, Pierre Michon ou encore
Pascal Quignard, qui se meut dans l'Antiquité ou dans les siècles classi
ques comme s'il y était né.
En second lieu, la plupart des étudiants et des chercheurs qui s'intéres-
sent à la littérature contemporaine l'abordent sous l'angle de la poétiqu
plutôt que de l'histoire, celle-ci s'effaçant souvent elle-même au profit de

16. Jusqu'au n° 3 de 2005, les comptes rendus donnés dans la RHLF étaient annoncés dans le
Sommaire selon le siècle auquel ils se rapportaient (du xvie au xxe siècle). La fréquence des com
tes rendus se rapportant à plus d'un siècle (parfois qualifiés de « transversaux ») a conduit
l'abandon de cette différenciation. Ainsi se trouve du même coup esquivée la question, toujours
pendante pour le numéro de Bibliographie, de l'affichage de l'ouverture au xxie siècle.
17 .La Fabrique de l'histoire, émission diffusée le 10 décembre 2012 sur France-Culture
Jean-Pierre Le Goff commentait par ces mots son dernier ouvrage : La Fin du village. Une histoi
française, Paris, Gallimard, 2012.

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LES CLASSIQUES DE DEMAIN 525

génétique. Le structuralisme fut notre ennemi, voici plu


le démon de la théorie, qui s'impose encore dans les uni
nes, en reste plus généralement un autre. Nous nous
écrivant des histoires du structuralisme, et le « démon d
sous la plume d'Antoine Compagnon, l'objet d'une m
L'histoire, au bout du compte, a toujours raison. Au moi
de certains, besoin de recul. « Que reste-t-il de nos amo
Antoine Compagnon, en 1998, pour intituler l'Introduct
Question rhétorique : des théories qui ont, à partir des
nisé pendant deux ou trois décennies la critique littérair
des amours de Charles Trenet, qu'« une photo, vieille p
fois dressé le constat de ses amours mortes, l'historien
remettra-t-il à une autre discipline pour étudier celles
cées ?

Les écrivains qui ont le bonheur de faire une longue carrière invitent à
ce continuum. Les premiers romans de Michel Butor, Passage de Milan
(1954), L'Emploi du temps (1956) ou La Modification (1957), appartiennent
à l'histoire du roman ; ferons-nous silence sur l'œuvre poétique (au sens
large du terme) à laquelle il se consacre aujourd'hui parce que le lien paraît
ténu entre l'« arpenteur des textes et des rêves19 » et le « nouveau roman-
cier » des années cinquante ? Et faudrait-il soustraire à l'histoire de la litté-
rature des œuvres de jeunes écrivains, contemporaines des « poèmes » de
Butor, au prétexte qu'il est encore plus difficile de leur trouver des racines ?
Les « imprévus » dont parlait Sainte-Beuve sont peut-être les classiques de
demain.

18. Le Démon de la théorie, éd. citée, p. 7.


19. Jacques Poirier, article « Michel Butor » du Dictionnaire des lettres françaises. Le
XXe siècle, Paris, Le Livre de poche, « La Pochothèque », 1998.

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