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Joëlle Krupa-Astruc

L’aquarelle
De l’émotion à la création
Aquarelle
L’aquarelle
Photographies : Patrick Astruc
Mise en pages : Caroline Verret

Éditions Eyrolles
61, boulevard Saint-Germain
75240 Paris cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Tous droits réservés. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque
procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans autorisation de
l’artiste ou du photographe est illicite et constitue une contrefaçon.
Seules sont autorisées les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et
non destinées à une utilisation commerciale et collective (Loi du 11 mars 1957).

© Groupe Eyrolles, 2010


Aquarelle
Joëlle Krupa-Astruc

L’aquarelle
De l’émotion à la création
4 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Biographie
« L’émotion créative est la seule et véritable connaissance. »
Carlo Suares

Originaire d’Alsace, Joëlle Krupa-Astruc est diplômée de l’École des


beaux-arts de Mulhouse. À cette époque, son intérêt pour le dessin
et la peinture à l’encre constitue déjà un pas important vers les tech-
niques de peinture à l’eau. Son savoir artistique est d’abord dévolu
à la réalisation de costumes et de décors à l’Opéra du Rhin ; activité
qui durant plusieurs années lui apporte la satisfaction de la gestuel-
le ample et libre réclamée par la peinture grand format. Sa passion
pour l’aquarelle a trouvé son plein épanouissement il y a une dizaine
d’années, lorsque Joëlle Krupa-Astruc décide, suite aux contraintes
physiques du décor, d’abandonner le milieu du théâtre au profit d’une
création plus intimiste. Cependant, elle ne se contente pas de mettre
en couleur sa propre vision du monde. En effet, l’idée de transmission
est à ses yeux primordiale, d’où sa volonté de faire découvrir le plaisir
de créer et de révéler les talents cachés de chacun. Innovant, son
chemin artistique ne cesse de nous surprendre, tant par ses audaces
techniques que par son imagination. Par l’originalité de son œuvre,
Joëlle Krupa-Astruc compte en France parmi les aquarellistes les
plus remarqués. À travers ses tableaux, où le corps comme le pay-
sage et la nature morte trouvent un espace d’expression, se déploie
le passionnant et complexe récit de la vie sous toutes ses formes. Par
une grande maîtrise technique et un sens aigu de la mise en forme
plastique, Joëlle Krupa-Astruc traque l’insaisissable avec pour but
ultime de s’approprier, ne serait-ce qu’un bref instant, la lumière ou
même la lueur la plus secrète.

www.krupa-astruc.com
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 5

Avant-propos
L’aquarelle est un art de peindre à part entière. Son principe est régi par l’eau. À chaque acte
de peinture suit l’acte du corps : le geste m’implique. Tout mon être s’immerge. La tentation
est si grande de s’abandonner dans les méandres trompeurs de la transparence liquide. Ma-
tière insaisissable, l’eau attire, flatte et affole les sens. Elle louvoie sans cesse, bouscule et
détruit à plaisir. Et mon geste s’insurge, résiste, proteste dans une agitation puérile. Épuisée,
revenue d’un long combat, je m’apaise.
Résignée… sans doute pas…Il s’agit d’être moins directe, d’accepter les règles du jeu et de
renoncer au labeur stérile. La partie peut alors commencer. Aux pirouettes et aux simulacres,
mon esprit s’élève et riposte avec un sourire heureux, celui serein du plaisir de créer. Genti-
ment et patiemment provoquée, l’eau me livre quelques-uns de ses secrets. Je la sens sous
mes mains se laisser apprivoiser. L’instant est délicieux, fugace aussi… Gare à l’eau lente et
assoupie, gare à son flux dompté ! Dans le dialogue de la création, l’humilité est de mise. De là
surgit cette force étrange et indicible. Alors sans hésiter, je m’empare des couleurs, je saisis
le pinceau. Et… je danse. Oui, j’improvise. Je crée et imprime les mouvements de mon imagi-
naire. Sur un air d’eau, imperceptible pour les uns, assourdissant pour les autres, j’interprète
une histoire, mon histoire. Je voudrais qu’à travers la lecture de ce livre, certains trouvent le
bonheur de se raconter à leur tour.
Joëlle Krupa-Astruc
6 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Sommaire
Les bases
Les pinceaux ............................................................ 10

Le papier .....................................................................12

La peinture à l’aquarelle ....................................14

Quelques accessoires ........................................... 15

Les couleurs ..............................................................16

L’aquarelle et le dessin........................................18

Comment interpréter et peindre


un sujet ? ....................................................................22

Mon approche technique


de l’aquarelle ........................................................... 24
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 7

Les réalisations
Pas à pas n° 1 « Forêt » paysage
sur papier sec ...........................................................34

Pas à pas n° 2 « Forêt » paysage


sur papier mouillé ................................................. 44

Pas à pas n° 3 « Architecture » ........................54

Pas à pas n° 4 « Églantier » .............................. 62

Pas à pas n° 5 « Portrait » ..................................72

Galerie ......................................................................... 83

Glossaire de l’artiste .......................................... 102


Les bases
Dans cette partie, je vous indique les quelques bases à connaître
avant de vous lancer dans cette aventure qu’est l’aquarelle, si
riche en émotions et en créativité.

L’aquarelle n’exige pas une grande quantité d’outils : certains


sont indispensables – pinceaux, papier, couleurs –, vous êtes libre
d’en utiliser d’autres, et de vous livrer à votre propre expérience,
grâce à votre imagination.
10 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Les pinceaux
L’image du gros pinceau à lavis retenant une goutte d’eau vient souvent à l’esprit lorsque l’on évoque la pratique
de l’aquarelle. Pourtant, l’éventail des techniques ne saurait s’élargir sans l’usage de pinceaux différents. Rond,
plat, fin ou épais, les caractéristiques d’un pinceau participent de la touche. Encore une fois, à chacun de savoir
s’approprier les bons outils pour former la « graphie » la plus personnelle et donc la plus juste.

Les pinceaux petit-gris Les pinceaux en martre

Les pinceaux utilisés se


La capillarité extrêmement dense de ces pinceaux « na-
distinguent par les matériaux qui
les constituent et par leur forme. turels » permet de retenir une grande quantité de li-
À la fois doux et vigoureux, ils permettent de travailler le
quide. Ils s’utilisent pour répandre des jus (c’est-à-dire
graphisme avec précision tout en ayant une réserve suf-
de la peinture très diluée) sur des fonds ou de grandes
fisante de couleur. Je privilégie les pinceaux en martre
surfaces.
Kolinsky aux pointes longues et fines.
Ces pinceaux sont également idéals pour absorber les
excédents d’eau. Je recommande le pinceau « mouilleur »
Raphaël n° 1 ou 2, qui possède une très grande réserve
pour les lavis (couche de couleur, d’un ton généralement
uniforme, qui est appliquée sur la totalité de la feuille).
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 11

Le pinceau traceur Le spalter


Ce pinceau à manche long possède une pointe extra-fine
On peut se procurer ces pin-
et longue, en poils de martre, qui permet de tracer des
ceaux dans les magasins de
traits fins et précis, d’une régularité constante.
beaux-arts, excepté le spal-
ter qui peut s’acheter dans
les magasins de bricolage.

Il s’agit d’une brosse souple et plate en poils synthé-


tiques. Je l’utilise pour étaler des lavis sur de grandes
surfaces. Largeur de la virole 25 mm.

Les brosses dures et fines

De gauche à droite :
1. Pinceau en poils « naturels » : dit petit-gris, en poils
d’écureuil, extra-fin (idéal pour les travaux précis car sa
souplesse et sa capillarité permettent d’aborder
des techniques plus humides).
2. Pinceau semi-synthétique : mélange de poils d’écureuil
bleu et de fibres synthétiques (permet un contrôle parfait Biseautées, en éventail, rondes, longues, toutes les for-
de la pointe du pinceau). mes de brosses synthétiques sont intéressantes lorsque
3. Pinceau synthétique : en éventail, mélange de fibres l’on explore les possibilités graphiques, de la couleur, de
synthétiques (permet de faire des effets, par exemple l’eau, du papier sur lequel on travaille. Taille des pin-
d’herbes, de feuillages…).
ceaux : n° 4 et 6. Ces brosses me sont particulièrement
utiles pour éclaircir des zones ou faire des enlevés, c’est-
à-dire enlever partiellement ou totalement la couleur en
mouillant le pinceau et en frottant la zone de peinture.
Suivant la pression du pinceau, la dilution de la peinture
est différente.
12 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Le papier
Comme l’eau et la couleur, le papier est un élément essentiel de la pratique de l’aquarelle. Il existe différents types
de papier, chacun révélant un comportement propre. C’est pourquoi je considère le papier comme une matière
vivante, qui, tel que l’eau, exige un traitement sensible et complice de la part du peintre. Selon la technique utilisée,
la sensibilité de chacun et le rendu à obtenir, le papier est toujours une affaire de choix personnel.

Le choix du papier Inconvénient : sa surface manque de nervosité pour tra-


vailler les enlevés de couleurs.
On peut distinguer trois familles de papier : le grain sa-
tiné, le grain fin et le grain torchon. Chacune de ces ca- Papier Fabriano
tégories est disponible sous des grammages différents.
Pour ma part, je préfère le papier 300 g, le grammage le Composition 50 % cellulose, 50 % coton (grain fin)
plus couramment utilisé. Mon coup de cœur !
Voici quelques propositions parmi les marques les plus Avantage : la surface à la fois nerveuse et tendre permet
courantes du marché : d’alterner les techniques en toute liberté et de créer des

Papier Montval
effets graphiques multiples.
Inconvénient : parfois un peu difficile à manipuler et à
Composition 100 % cellulose (grain fin et satiné) contrôler pour les peintres débutants.

Le choix du support
Avantage : très résistant, ce papier supporte tous les
traitements, tels que le grattage, les frottements, les
gommages et les lavis. Il vieillit en outre très bien. Il est préférable de travailler sur un papier tendu : cette
Inconvénient : les couches de couleur risquent de se re- précaution garantit un meilleur maintien de la feuille sur
tirer par endroits. Si l’effet est maîtrisé, cela produit des le support lors des passages d’eau successifs et évite
effets graphiques intéressants. qu’il ne gondole.

Papier Arches Tendu sur planche ou sur châssis, le choix du support


est tout comme le papier une question de confort per-
Composition 100 % cellulose (grain torchon ou grain fin) sonnel.
Avantage : ce papier est moelleux et épais, l’eau s’infiltre
facilement et de façon uniforme. Il est idéal pour la for-
mation des dégradés.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 13

Le papier tendu sur une planche Le papier tendu sur châssis

Debout ou assis
Pour des raisons de confort,
certains préféreront travailler
debout ou assis. On peut dépo-
ser le support sur un chevalet,
une table ou un tabouret.

Je commence par mouiller les deux faces de la feuille Comme pour une toile destinée à la peinture à l’huile, il
en étalant l’eau avec la paume des mains. Je positionne s’agit de tendre la feuille mouillée sur un cadre en bois.
la feuille sur la planche en bois ou en stratifié, puis je J’immerge la feuille de papier dans un bac d’eau pen-
la fixe avec du papier kraft gommé mouillé en collant la dant au moins cinq minutes. Je positionne la feuille sur
bande sur les quatre côtés de la feuille sur une largeur le châssis, puis j’agrafe le papier sur le bois en com-
d’au moins 1,5 cm. mençant par le centre du côté droit. À chaque point fixé,
j’agrafe en alternance le côté opposé. Le papier est tendu
comme une peau de tambour. Plus léger que la planche,
ce dispositif est facile à manipuler.
Astuces pour conserver l’humidité selon le support
Quel que soit le support choisi, il faut toujours avoir en tête le maintien de l’humidité du papier. Voici quelques
conseils qui vous aideront à trouver votre manière personnelle de travailler.
Au sol
À l’intérieur, je pose le châssis sur un torchon humide étendu à même le sol.
Sur planche plastifiée
On peut déposer la feuille mouillée directement sur une planche de stratifié. La planche ne respire pas et une
condensation permanente se forme entre le papier et le support.
Quand le lieu me le permet, je trempe ma feuille une dizaine de minutes dans l’eau, ainsi elle est suffisamment
imprégnée pour rester mouillée presque une heure (en fonction de la température et de l’endroit où je me trouve).
14 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

La peinture à l’aquarelle
L’aquarelle est composée de pigments purs, mélangés avec un liant soluble à l’eau : la gomme arabique. Cette résine
naturelle provient de l’arbre « Acacia arabica ». Plusieurs présentations et modes de conditionnement existent
aujourd’hui. Voyons quels sont les avantages et les inconvénients de chacun.

Conditionnement Palettes
Les présentations les plus courantes sont : Vous pouvez acheter
• le tube (différentes contenances de 5 à 21 ml) ; des palettes en plas-
• le godet (double ou simple). tique ou en porcelaine
dans le commerce ou
L’aquarelle en tube contient une plus grande quantité
improviser des palet-
de glycérine que la peinture en godet. Elle est ainsi plus
tes en détournant des
adaptée au travail en lavis.
objets usuels tels que :
En général, je préfère utiliser les tubes car ils me lais-
• le plat à escargots ;
sent plus de liberté pour travailler : je peux prendre plus
• l’assiette à fondue ;
de peinture dense sur mon pinceau, réaliser des godets,
• le plat rectangulaire
voire une palette que je confectionne.
ou rond.
Je fabrique moi-même les accessoires suivants.
Personnellement, je préfère les plats en porcelaine ou
La boîte de peinture d’écolier en faïence car la peinture ne s’y rétracte pas.

Qualité
Je la vide de son contenu et remplis les godets de pein-
ture. À tout moment, je peux nettoyer les compartiments
séparément. Il existe deux niveaux de qualité d’aquarelle : la fine et

Les petites boîtes servant au


l’extra-fine, sachant que cette dernière possède une

conditionnement des perles


teneur en pigment bien supérieure, qui donne des cou-
leurs plus intenses.
Je remplis chacune des petites boîtes de peinture. Puis
je les fixe avec de la pâte à fixer au fond d’une boîte en
plastique. À tout moment, je peux nettoyer et changer
les couleurs.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 15

Quelques accessoires
Au fil de l’expérience, le peintre construit son univers de création. À ses sujets de prédilection, aux techniques qui
lui conviennent, s’ajoute peu à peu un petit cortège d’accessoires qui accompagnent l’artiste dans son cheminement
créatif. Voici quelques-uns de mes instruments fétiches, utilisés dans les réalisations qui suivront.

Les éponges : employées pour mouiller la feuille, reti-


rer l’excédent d’eau si une flaque se forme et nettoyer
les bordures de la planche où s’accumulent l’eau et la
peinture.
Le gant de toilette ou le papier absorbant : utilisé pour
essorer le pinceau, en le faisant rouler sur le gant ou sur
le papier absorbant. De cette façon, il ne reste sur le pin-
ceau que la quantité d’eau nécessaire pour peindre.
Une cale de rehaut : facile à fabriquer soi-même, cette
petite planche soutenue par deux tasseaux rehausse la
planche sur un côté, de manière à incliner son travail.
Elle peut aussi servir d’appuie-main.
Le vaporisateur : utilisé pour déstructurer les voiles et
les aplats de peinture (voir p. 63).
Le sèche-cheveux : employé pour sécher la peinture en-
tre les étapes de réalisation d’une aquarelle.
16 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Les couleurs
Avant de commencer à peindre, il est nécessaire de connaître quelques règles concernant la couleur. La réussite d’un
tableau dépend aussi du bon usage des couleurs. Et n’oubliez pas, plus vous connaîtrez la matière avec laquelle
créer, plus votre imagination sera libérée.

Classification et mélange Les couleurs tertiaires

Les couleurs primaires


Il s’agit des teintes obtenues par le mélange d’une cou-
leur secondaire et d’une couleur primaire.
Les couleurs de base
• Rouge magenta Mélange Résultat
• Jaune Rouge et orange Rouge orange
• Bleu de Cyan Bleu et vert Bleu vert
Les pigments aquarelle correspondants Bleu et violet Violet bleuâtre
• Rouge quinacridone
Les couleurs intermédiaires
• Jaune helios
• Bleu de phtalocyanine

Les couleurs secondaires


Il s’agit des teintes obtenues par le mélange de 2 teintes
secondaires.
Le cercle chromatique. Il s’agit des teintes obtenues par le mélange de 2 cou-
leurs primaires. Mélange Résultat
Violet et vert Vert bronze
Mélange Résultat
Orange et vert Vert mousse
Jaune et rouge Orange
Rouge et bleu Violet
Bleu et jaune Vert
Les couleurs • 17

Les couleurs complémentaires La couleur complémentaire de AB est donc C (celle qui


Il s’agit des teintes obtenues par le mélange des 2 tein- reste, celle qui n’est pas dans le mélange).
tes opposées sur le cercle chromatique. Afin de varier les intensités de couleurs, il suffit de chan-
ger les proportions des teintes.
Violet Complémentaire Jaune Exemple : 2/3 jaune + 1/3 rouge = jaune orangé
Vert Complémentaire Rouge
1/3 jaune + 2/3 rouge = rouge orange
Orange Complémentaire Bleu
Dans le cas du rouge orange, la complémentaire reste
toujours le bleu mais avec une nuance plus rouge.
Mémo technique de la couleur complémentaire
Afin de mémoriser les correspondances de couleurs ²/3 A + ¹/3 B = AB
complémentaires sans avoir toujours recours au cercle
chromatique, voici quelques astuces.
En partant des trois couleurs primaires ²/3 C + ¹/3 A
Mélange Résultat Couleur complémentaire La complémentaire reste toujours le bleu mais avec une
pointe de rouge.
Bleu et jaune Vert Rouge (couleur manquante)
Jaune et rouge Orange Bleu (couleur manquante)
Rouge et bleu Violet Jaune (couleur manquante) Les harmonies de couleurs
Les couleurs ont un vocabulaire propre et leur ap-
plication sur le papier doit se faire selon des règles
A A
AB
d’harmonies. Car certains accords peuvent heurter
A + B = AB AB A + B = AB
l’œil, d’autres peuvent l’apaiser.
B B
Rouge/vert : chacune des couleurs appliquées sur des
surfaces de même dimension et à luminosité égale
C C
donne une intensité homogène.
Bleu/orange : une surface divisée en
Le schéma des crayons : munissez-vous d’un éventail de
2/3 bleu + 1/3 orange = équilibre
crayons de couleur (bleu, jaune, rouge) et effectuez les
combinaisons ci-dessus. Bleu/jaune : une surface divisée en
1/4 jaune + 3/4 bleu = équilibre
18 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

L’aquarelle et le dessin
Portée par l’inspiration du motif, il m’arrive d’ignorer l’étape du dessin, ou plus exactement de la composition. Mais
au commencement, je conseille fortement de tracer sur la feuille une esquisse préparatoire. La première étape du
trait s’avère souvent une aide précieuse pour analyser les éléments du motif et demeure un fil conducteur sûr et
précis dans les étapes de réalisation qui suivent.

Composition

Base
Voici quelques règles de composition, simples
et d’une grande utilité pour apprivoiser en quel-
ques lignes un paysage, un portrait ou une na-
ture morte.

À faire
Pensez à articuler les éléments les uns avec les
autres, et composez immédiatement avec la lumière.
Les volumes sombres et clairs se découpent et dic-
tent une composition naturelle.

À éviter
Afin de donner une dynamique à la composition, évi-
tez les constructions trop symétriques qui risque-
raient de figer le sujet.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 19

Interprétation de la ligne
Le trait en dessin n’est jamais neutre. Qu’il soit continu
et fluide ou tremblant et rompu, il est porteur d’une hu-
meur que notre inconscient enregistre spontanément.
Voici quelques exemples :

Lignes cassées = dynamisme

Lignes arrondies = apaisement


20 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Quelques conseils pour amorcer un dessin

3. Commencer par représenter la masse la plus


grande. Ainsi je vois si les proportions tiennent
dans la feuille. Si la composition est trop grande,
1. Observer la vue d’ensemble. 2. Visualiser des masses. je réduis la masse de départ.

Cadrage trop grand


Points pour visualiser
Bon cadrage
Feuille
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 21

4. Je concentre mon regard sur le contour du sujet avec


l’aide de la main gauche en même temps que je dessine
avec la main droite : comme un pantographe.

Ligne de regard

5. S’aider d’une équerre en carton. Je fixe avec une at-


tache parisienne deux bandes de carton de 20 cm de
long sur 2 cm de large. L’angle d’ouverture permet de
vérifier les proportions. Il suffit de la poser sur la photo
ou face au motif puis sur le dessin en conservant l’angle
d’ouverture de manière à s’assurer de son exactitude.
22 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Comment interpréter et peindre un sujet ?


La réussite d’un tableau se mesure au plaisir avec lequel l’auteur l’a créé. Peindre réserve en effet de très grands
moments de bonheur mais à condition d’observer quelques règles techniques fondamentales. Il n’est en effet pas
question de négliger les principes de base (énoncés ci-dessous), car le manque de savoir-faire se ressentira à un
moment pour créer une limite dans la liberté du geste et altérer le plaisir !

Quelques questions à se poser avant


de commencer un tableau :
Quels sont les éléments essentiels à faire ressortir dans
la composition ?
Quelle émotion suscite en moi ce que je vois ?
Faut-il traiter une partie du motif ou bien le traduire
dans sa totalité ?
Comment simplifier la composition et aller à l’essentiel ?
Dois-je donner la priorité au graphisme et aux lignes ou
bien aux contrastes et aux valeurs (intensités ou degrés
de saturation d’une couleur) ?
Quelle est la tonalité dominante du tableau ?
Où se situent les réserves de blanc du papier vierge et
les zones de blancs colorés, qui définiront la lumière ?
Quel est mon message ? Qu’est-ce que je veux dire ?
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 23

Analyse d’une œuvre Gestuelle : veine d’eau


(dépose de pigments liquides
Voici un petit condensé de la réalisation d’un de mes dans la veine d’eau)
tableaux. Observation : profondeur Technique : arrière-plan
• Éléments essentiels à faire ressortir : pommes (valeurs foncées ou claires) (peinture dense claire)
• Une partie du motif : panier
• Aller à l’essentiel : simplifier le fond
• Priorité : contrastes et valeurs
• Tonalité : chaude
• Réserves de blanc du papier ou blancs colorés : lu-
mière
• Qu’est-ce que je veux dire : les pommes et le fond ne
font qu’un, sensation « entrelacement »

Observation : lumière
(blancs, blancs colorés)

Imaginaire : lumière
(enlevés, blancs colorés)

Technique : ombres
(pulvérisations d’eau à l’aide Technique : premier plan
d’un vaporisateur, la couleur (peinture dense foncée)
se répand)
24 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Mon approche technique de l’aquarelle


Ce qui va suivre dans ce chapitre consacré à la technique n’est donné qu’à titre indicatif. Si vous suivez ces conseils
à la lettre telle une recette de cuisine, vous n’obtiendrez pas la saveur d’un bon moment de peinture !
Imaginez plutôt être face à une commode pourvue de multiples tiroirs. J’ai rempli chacun d’eux d’informations, à
vous de les ouvrir dans l’ordre qui vous convient le mieux. Avec ces pistes, votre expérience et votre sensibilité, vous
trouverez votre propre voie pour dialoguer avec l’eau.

Sur papier mouillé ou sur papier sec ?

Un premier conseil
Soyez curieux ! Ne craignez
pas de répéter les gestes, d’en
inverser l’ordre tout en analy-
sant les différents processus,
en observant les réactions et
les effets, et tout cela dans Choisir le papier mouillé pour la réalisation de grands
une grande décontraction. sujets qui exigent une gestuelle ample et déliée. La
couleur se répand mieux, plus rapidement. On obtient Préférer le papier sec pour des petites surfaces et un
L’important est d’ouvrir son
ainsi une vue d’ensemble dès le début du travail. Sur ces travail plus précis qui valorise le détail. Je peins alors
imaginaire tout en restant
flous, il est ensuite facile d’appliquer des éléments plus avec deux pinceaux en alternance. J’applique ainsi la
soi-même !
nets en juxtaposition. couleur avec le premier pinceau et je l’étire immédiate-
ment avec l’autre pour faire fuser la teinte.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 25

Visualiser mentalement la réalisation d’une aquarelle du


début à la fin n’est pas une démarche aisée.
Imaginez-vous face à l’orée d’une forêt…
Devant vous, ronces et branchages font obstacle.
Vous dégagez le passage et allez ainsi tout au bout
du chemin. Arrivé là, vous refaites le film à l’envers en
reposant chaque végétal à sa place, comme si vous
superposiez des calques les uns sur les autres. Petit
à petit vous allez ainsi construire votre propre vision
des choses tout en respectant trois éléments essen-
tiels : la lumière, les couleurs et la transparence. Le
chemin peut paraître long mais avec de la persévé-
rance, beaucoup d’exercice et bien sûr du plaisir, la
réussite est à portée de tous !

Technique de l’aplat
Sur papier mouillé

1. Appliquer au pinceau à lavis de la couleur sous forme


de jus sur la feuille.
2. Incliner la feuille dans différentes directions (ainsi la
couleur se répandra uniformément sur la feuille).
3. Pencher le support vers soi en s’aidant d’une petite
cale de rehaut.
4. Absorber l’excédent d’eau avec un pinceau à lavis bien
essoré.
26 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Sur papier sec Technique du dégradé

1. Appliquer au pinceau à lavis de la couleur très liquide Le procédé est le même sur papier sec ou sur papier
sur la feuille. mouillé. Le papier mouillé présente tout de même un
inconvénient : il nous oblige à travailler plus rapide-
2. Incliner la feuille en veillant à conserver une petite
ment, au risque d’obtenir des coulures.
réserve d’eau en bas.
3. Appliquer de nouveau de la couleur liquide.
4. Récupérer au pinceau la goutte de liquide formée au
bas de la feuille.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 27

Variation des flous


Afin de moduler les effets de flous, il faut avant tout bien
connaître son papier et ses réactions à chaque étape du
mouillage !
Voici quelques applications.

Flou diffus

1. Appliquer sur la feuille (ici sur papier sec) la teinte


choisie.
2. Incliner la planche vers soi et l’appuyer sur une petite
cale afin d’avoir les mains libres.
3. Tremper le pinceau à lavis dans l’eau et l’essuyer déli- 1. Mouiller généreusement la feuille par endroits. Ajou-
catement sur le bord du récipient. ter sur l’eau de la peinture liquide. La peinture ne pé-
4. Passer le pinceau à l’horizontale en reprenant la der- nètre pas tout de suite, elle reste en suspens comme
nière goutte de peinture posée précédemment. une goutte d’huile sur l’eau.

5. Faire descendre le pigment en deux ou trois passes 2. Attendre que le pigment, plus lourd que l’eau, se dé-
de pinceau. pose et retirer à l’aide d’un pinceau essoré le surplus
d’eau. Après absorption du liquide, le pigment fuse tran-
6. Tremper à nouveau le pinceau dans l’eau et recom- quillement et les bords se délitent par endroits.
mencer l’opération autant de fois que nécessaire pour
obtenir le dégradé désiré.
7. Absorber au pinceau à lavis l’excédent d’eau.
28 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Flou plus marqué Flou léger


1. Pour un effet très légèrement
flou, utiliser la peinture directe-
ment sortie du tube ou bien pré-
levée dans le godet à l’aide d’un
pinceau à lavis essoré.
2. La peinture accroche légè-
rement sur le papier mouillé
(mais pas brillant), provoquant
des sortes d’empâtements qui
se lissent d’eux-mêmes lorsque
la couleur se répand lentement.

1. Sur un papier mouillé à cœur, je balaye rapidement la


peinture liquide à l’aide d’un pinceau à lavis. Le pigment
fuse rapidement et les bords se délitent par endroits.

2. En modifiant la densité de la peinture, l’effet de « fu-


sage » devient moins flou et les franges qui dessinent les
bords, moins présentes.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 29

Notions de graphisme
Si l’aquarelle est en premier lieu synonyme de couleur
et de transparence, cette technique offre cependant une
multitude de possibilités graphiques. Voici quelques élé-
ments de base pour dessiner dans et avec la couleur.

L’enlevé

Sur un papier humide (mais pas brillant), je mouille au


pinceau à lavis la zone de couleur à traiter en effleurant
la feuille pour ne pas surcharger le papier. J’essuie le
pinceau avec du papier absorbant et j’enlève sans tarder
le liquide déposé. En passant une seconde fois le pin-
ceau essoré, une partie du pigment se retire, laissant
sur la feuille un voile coloré et transparent.
Par ce terme, je désigne les gestes qui consistent à reti-
rer la couleur, partiellement ou totalement pour retrou-
ver la blancheur du papier.
30 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Le trait sur papier mouillé

Variation et rupture du trait


À l’aide d’un pinceau à lavis essoré, j’absorbe le liquide
en écrasant la tête du pinceau sur une partie de la ligne.
J’obtiens ainsi un bord parfaitement net et plus clair. À
tout moment, je peux ajouter dans le sillage du trait de
Je prélève à l’aide d’un pinceau kolinski de la peinture li- la peinture pâteuse, le
quide à peine diluée de sorte que la couleur reste dense. Je pigment pur non di-
tiens mon pinceau à la verticale au-dessus de la feuille. lué, afin d’accentuer la
Par effleurement, la peinture glisse sur le support. Le couleur, et d’atténuer
pigment ne pénètre pas tout de suite dans la fibre du pa- la transparence.
pier, ce qui me permet de travailler plus longtemps.

Le trait sur papier sec


Je procède de la même manière que sur papier mouillé
jusqu’au moment de dessiner sur le papier. Le pinceau
ici n’est pas en contact avec le papier. Je guide la goutte
de peinture qui s’est formée à l’extrémité du pinceau
sans toucher la feuille. La goutte se transforme en filet
très fin.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 31

Je peux mouiller avec un pinceau à lavis chargé d’eau


claire la partie retravaillée. Une auréole se forme, et
j’absorbe au milieu de l’auréole le liquide en écrasant la
tête du pinceau.

Je charge mon pinceau d’eau. Sur le papier sec, j’appli-


que un filet d’eau. Immédiatement, j’ajoute du pigment
liquide dedans (libre à moi ensuite de le laisser tel quel
ou de tirer et d’orienter ma couleur facilement, à l’aide
d’un second pinceau chargé d’eau).
Les réalisations
Cette partie propose quelques réalisations développées pas à pas,
qui m’ont permis d’aborder des sujets différents, de la technicité
à la créativité.
N’oubliez pas qu’un pas à pas n’équivaut pas à la totalité d’une
réalisation. Ici, l’essentiel à retenir est le « lâcher prise », et même
si vous voulez respecter l’ordre des étapes, rien ne vous empêche
de l’adapter à votre rythme.
L’expérience, la ténacité, faire et refaire… Dans la création, l’hu-
milité est de mise et la route est longue.
34 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Pas à pas n° 1 Forêt (paysage sur papier sec)


Un rayon de lumière matinale perce les murs végétaux de la forêt. Face à cette nature en éveil survient
spontanément l’envie de peindre. Sans perdre une minute, je déploie mon matériel. Dans cette cathédrale
de verdure, je me sens en communion avec les éléments.

Peindre sur le motif


Les pinceaux
• 2 pinceaux à lavis n° 2 et n° 8 Parfois la vue d’un paysage peut séduire au point de vou-
• 2 pinceaux en martre n° 10 et loir la saisir en dessin ou en peinture. Mais ressentir par
n° 12 le regard est une chose, et créer par l’émotion en est une
• 1 pinceau traceur n° 10 autre. Avant d’installer son matériel et de se lancer dans
• 1 pinceau biseauté en poils la réalisation, il faut rendre accessible le motif choisi. En
synthétiques n° 6
d’autres termes, je prends possession du lieu pour me
La palette sentir à l’aise et confortable d’un point de vue physique
• Jaune de Naples et matériel. Je choisis, par exemple, un terrain bien plat,
• Jaune auréoline en respectant une distance raisonnable par rapport au
• Vert-de-vessie
sujet. J’amorce ensuite une période d’observation plus
• Orange foncé
• Terre de Sienne ou moins longue : par le regard, il s’agit de récolter le
• Rouge Winsor foncé plus d’informations possibles. Plus je connais les dé-
tails et les particularités du paysage, mieux je pourrai
sélectionner les éléments qui me paraissent essentiels
et écarter les autres.

Aller à l’essentiel
• Réaliser plusieurs petits croquis pour choisir le ca-
drage.
• Mise en évidence du premier plan : représenter les
ombres, foncées, et définir nettement les formes.
• Travailler le flou sur l’arrière-plan, utiliser des cou-
leurs claires sur les arbres en hauteur (lumière).
Pas à pas n° 1 • 35

La technique du focus Préparation des couleurs


Afin de me familiariser avec le motif, je commence en Je conserve toujours à por-
général par un petit croquis format 10 x 10 cm. Cela tée de main un morceau de
me permet d’identifier les valeurs, les ombres et les lu- Esquisse sur Zone claire qui va papier, sur lequel je fais des
un calque suggérer la profondeur mélanges. Ce sont des essais
mières. Puis je distingue les éléments les plus impor-
particulièrement importants
tants par de petites hachures plus ou moins serrées
pour la mise au point des
selon la netteté du sujet, qui me permettent également
verts. Certains verts purs sor-
d’indiquer les valeurs. Comme en photographie, j’ajuste
tis du tube ne correspondent
et j’équilibre les nets et les flous, une sorte de focus pas à la teinte recherchée.
manuel avec l’œil. Entre-temps, le cadrage se précise, C’est donc par tâtonnement
comme s’il découlait de cette mise au point. que je les transforme ou bien
Afin de comprendre et d’accentuer la profondeur, voici que je les crée avec des mé-
deux astuces illustrées ci-dessous : langes de jaune et de bleu.

Hachures larges : lumière

Hachures sombres

Hachures estompées
avec le doigt : profondeur,
représentation floue ou
couleurs claires

Hachures croisées : ombre


Petit croquis hachuré
36 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Mouiller le papier
Au cours de la réalisation, le
papier sèche très vite puis-
qu’il n’a pas été préalable-
ment mouillé à cœur. Afin de
retravailler certaines zones, je
n’hésite pas à ajouter de l’eau
sur les couches de couleur
épaisse. Les teintes restent
stables si l’on procède par lé-

1
gers effleurements du papier
avec un pinceau raisonnable-
ment chargé en eau.

3
Au critérium HB, je trace les lignes directrices de la
composition. En verticale et en horizontale, ces lignes
mettent en valeur les effets de perspective, les profon- La mise en couleur du ciel implique une utilisation
deurs et les volumes. Cette structure de départ est une en alternance de deux pinceaux à lavis. Avec l’un,

2
sorte de canevas qui va guider mentalement mon travail j’applique en bandes horizontales le bleu Winsor dilué.
de peinture. Il faut veiller à ne pas surcharger la feuille de Avec l’autre pinceau, j’allonge chaque jus avec de l’eau
traits, au risque de perdre ces premiers repères. claire. Le pigment descend ainsi progressivement en dé-
gradé. Au niveau de l’horizon, le dernier jus à peine co-
Sur papier sec, je fais circuler le pinceau à lavis n°2 loré déborde sur la seconde partie du tableau et permet
chargé d’eau et de pigment en arcs de cercle. L’am- d’unifier visuellement les deux plans que forment le ciel
plitude du geste accentue les effets de balayage sur les et les arbres.
zones les plus claires avec un dégradé jaune de Naples,
jaune auréoline et vert clair.
Je plonge mon pinceau dans l’eau et je l’essuie délicate-
ment sur le rebord de mon récipient. Je couche le pinceau
en frôlant le pigment pour étirer la couleur sur les bords.
La teinte fuse et les jus colorés investissent ainsi mieux
l’espace cohabitant avec les zones blanches du papier.
5
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 37

J’amorce les éléments de végétation. L’arbre le plus


imposant est d’abord dessiné au pinceau en martre
n° 10 avec du vert-de-vessie et une pointe de bleu Win-
sor pâteuse. À l’aide d’un autre pinceau en martre, je fais
fuser la couleur pour donner vie au branchage. La partie
supérieure, moins détaillée que le centre, est évoquée
par des taches plus diluées. L’effet mousseux du haut de
l’arbre contraste avec le cœur des branchages, plus des-

6
siné. Avec le même vert, je descends progressivement
dans le tronc et j’affirme la forme de l’arbre solidement
arrimé dans le paysage.

4
Afin de réintroduire la lumière
et ciseler les volumes, je pro-
Les principales lumières sont posées. cède à une série d’enlevés, c’est-à-
Je monte les valeurs progressivement par des tou- dire au retrait partiel de la couleur.
ches de couleurs de plus en plus rapprochées. La Je mouille un pinceau en martre
teinte jaune de Naples, plus dense, rayonne d’un éclat n° 10, que j’essuie sur le rebord du
vif et annonce un changement de couleurs. J’introduis récipient, et je trace sur papier mat
en effet peu à peu des notes de vert jusqu’à finir dans humide une ligne d’eau pure. Cela a
une gamme de verts chauds, j’introduis un peu de rouge pour effet de déplacer et de retirer le
Winsor. À ce stade, je laisse sécher le papier, la tonalité pigment. Je repasse immédiatement
dominante du tableau est alors définitivement posée. sur la ligne avec un pinceau biseauté
synthétique n° 6 afin d’aspirer le li-
quide et d’arrêter la diffusion du pig-
ment. Un flou léger apparaît tandis
que la ligne devient de plus en plus
claire.

Effets flous
Arrêt net

Cœur du branchage
38 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

À mi-parcours
Je me concentre à présent sur
la mise en valeur des premiers
plans grâce aux superpositions
de jus de couleur transparents.

Réalisation de jus

En mélangeant la peinture à
beaucoup d’eau, on obtient
une peinture très liquide, ap-
pelée « jus », qui permet de
garder une goutte de la teinte
travaillée après chaque pas-
sage du pinceau sur le papier.
Ici, le papier étant penché,
ce petit surplus de liquide se
trouve en bas.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 39

7 Sur le papier incliné, à l’aide d’un pinceau en martre


n° 10, je dépose une goutte de terre de Sienne et
d’orange, mélangés au préalable, en tenant le pinceau
Arrêt net Effets flous
Je prends du recul pour
en martre à la verticale. Avec un second pinceau chargé distinguer l’équilibre des
d’eau, j’étire cette goutte mêlant tour à tour des zones contrastes.
nettes et floues pour contraster et structurer le feuil-
lage. Mon geste est fluide comme une écriture de
lignes continues et interrompues. Seule mon imagination
me guide.
40 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Teinte opaque

Lorsque le papier ne brille plus, j’applique une couleur


dense au pinceau traceur. La teinte opaque se diffuse
lentement réaffirmant les valeurs et par conséquent la

8
profondeur optique.

Mon aquarelle est sèche. Afin d’animer les zones


qui manquent de relief, je remouille toute la sur-
face. Pour éviter les auréoles trop marquées, j’effleure
délicatement les limites extérieures des taches humides
avec un papier absorbant.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 41

Goutte Jus

Sur le papier à nouveau sec, j’applique un jus de peinture


liquide que j’allonge. La goutte s’étire au rythme du pin-
ceau qui révèle des traits fins ou plus épais. Je cherche à intégrer une lumière, un rayon qui réveille
l’ensemble de la composition et évoque le tempérament
joyeux de ce paysage. Je mouille le papier à l’aide du
pinceau synthétique biseauté, je retire délicatement le
pigment en frottant légèrement le papier. Je rince bien
mon pinceau et je remouille le papier en frottant à nou-
veau, plusieurs fois de suite, jusqu’à ce que je retrouve
un papier presque blanc.
42 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Glacis
Ce terme utilisé à l’origine
en peinture à l’huile sert en
aquarelle à décrire un lavis
uniforme exécuté dans une
même couleur. Le glacis uni-
fie l’aspect des différentes
couleurs d’une peinture.

9 Je poursuis la recherche du juste équilibre entre


les teintes. Je vais procéder à une série de glacis
sur papier sec en utilisant des jus pour remédier aux dif-
férentes dissonances : unifier des zones d’ombre, faire
ressortir la lumière sur de grands espaces, ajuster la
tonalité ambiante et faire virer les couleurs trop acides
en les réchauffant.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 43

Profondeur (sur papier sec)


44 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Pas à pas n° 2 Forêt (paysage sur papier mouillé)


Un rayon de lumière matinale perce les murs végétaux de la forêt. Face à cette nature en éveil survient
spontanément l’envie de peindre. Sans perdre une minute, je réalise quelques croquis. Dans cette cathédrale de
verdure, je me sens en communion avec les éléments.

Les pinceaux
Variante sur papier mouillé
• 2 pinceaux à lavis n° 2 et n° 8 Confortablement installée dans l’atelier, je reprends
• 2 pinceaux en martre n° 10 et mes croquis pris sur le lieu. Je préfère adopter pour in-
n° 12 terpréter ce paysage la technique sur papier mouillé. Le
• 1 pinceau traceur n° 10 résultat sera très approchant de celui sur papier sec,
• 1 pinceau biseauté en poils
synthétiques n° 6
bien que la manière de faire soit différente pour chacune

La palette
des deux techniques. Cette méthode montre combien
le médium de l’aquarelle est riche et varié. À chacun
• Jaune de Naples d’adopter la technique en accord avec sa sensibilité.
• Jaune auréoline
Avec la méthode du papier mouillé, il convient de mettre
• Vert-de-vessie
• Orange foncé en place l’esquisse avant le trempage de la feuille. La
• Terre de Sienne fibre du papier imprégnée d’eau (on dit que le papier est
• Rouge Winsor foncé « mouillé à cœur ») accueille d’autant plus profondément
le pigment, ce qui augure d’une texture légèrement plus
veloutée que celle obtenue à partir de la technique sur
papier sec.
1
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 45

Je verse de l’eau directement sur la Un travail de patience


feuille de papier. Puis j’étale avec la Sur papier mouillé, le travail
paume des mains sur toute la surface. s’effectue en plusieurs temps.
Lorsque le liquide est totalement ab- Il faut savoir observer des pé-
sorbé, je mouille une seconde fois pour riodes de « repos » et res-
imprégner le papier au cœur de la fibre. pecter des temps de séchage
Je reproduis la même opération sur le différents. Savoir également
verso de la feuille. Puis je finis par fixer remouiller par zones et retra-
la feuille avec des bandes de papier vailler ainsi une même partie
kraft gommé, voir p. 13. selon des stades d’humidité
variés. Ces variations sont
les clés de la réussite d’une
aquarelle à la fois contrastée
et équilibrée.

La diffusion du pigment
Je commence toujours la
mise en couleur sur la par-
tie centrale afin d’observer
l’amplitude que va prendre le
jus coloré au cours de sa dif-
fusion. J’arrête le processus
sur les bords avec un pinceau
à lavis essoré toujours à por-
tée de main et je contrôle ain-
si peu à peu l’élargissement
des taches.
46 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

3
2
Afin d’augmenter les valeurs des tons précédents, je
prélève sur la palette une peinture pâteuse légère-
ment diluée. Je promène mon pinceau en martre n° 12
sur les zones déjà colorées. Je le fais danser en variant
Sur la surface très mouillée, j’applique les teintes les inclinaisons : vertical ou au contraire presque couché
les plus claires : jaune de Naples, jaune auréoline selon la largeur des zones mises en couleur. Sur la sur-
et vert clair à l’aide d’un pinceau lavis n° 2. J’observe les face encore humide, des effets demi-flous apparaissent.
couleurs se mêler entre elles. Je positionne dès à pré-
sent la terre de Sienne avec une pointe de rouge Winsor
à l’aide d’un pinceau à lavis n° 2. Le pinceau presque
couché caresse la surface du papier et laisse échapper
des taches de couleur qui s’élargissent aussitôt.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 47

4 Je procède à des enlevés qui donneront des tou-


ches de lumière. J’ajoute une petite quantité d’eau
avec un pinceau en martre n° 10 préalablement essuyé
sur un gant de toilette. La couleur se dilue instantané-
ment. Puis j’aspire l’excédent d’eau avec le pinceau es-
soré pour faire apparaître le blanc du papier.
48 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

À mi-parcours
Je prends du recul.

Temps d’observation du tableau.

Le fond est à présent en place et les


tonalités dominantes sont définies.

L’enlevé
Avec un pinceau en martre chargé
d’eau que j’essore délicatement sur
le bord du récipient, je trace sur pa-
pier humide et mat une ligne d’eau
pure : le pigment se retire et laisse
apparaître un blanc coloré.
5
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 49

À ce stade, je constate qu’il manque de la profon- Peinture pâteuse


deur dans les zones floues. Je verse directement sur Cette expression évoque le
les couleurs sèches une bonne quantité d’eau. Lorsque pigment sorti du tube et soi-
l’eau est absorbée par le papier, j’applique quelques gneusement unifié sur la pa-
touches de peinture très pâteuse avec un pinceau en lette afin d’éviter des empâte-
martre n° 10. ments sur la feuille. Il convient
de vérifier sur un bout de pa-
pier sec que la peinture ac-
croche sur le support.
50 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Si je m’aperçois que la structure d’ensemble devient


trop rigide, je cueille une petite quantité de peinture que
je dépose sur la zone humide. La touche fuse aussitôt,
les bordures se fendillent de petites franges à la fron-

6
tière de la partie sèche.

Je dilue davantage les jus jusqu’à obtenir des


« films » de transparence légèrement plus soute-
nus que le lavis. Je tiens l’extrémité du pinceau en mar-
tre n° 10 au-dessus de la feuille afin d’obtenir une bonne
amplitude gestuelle grâce au mouvement du poignet.
La position verticale permet en outre de faire goutter la
peinture que j’étire ensuite au pinceau traceur. Je fais
descendre le filet d’eau tout en aspirant l’excédent avec
le pinceau en martre essoré. Les bords restent nets et
mes premiers plans se dessinent.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 51

Gestuelle du pinceau
Tenu à la verticale sur le bout
du manche, je bouge le pin-
ceau d’avant en arrière dans
un mouvement de balancier
pour déposer le pigment li-
quide, qui se répandra tout
seul dans le filet d’eau.

7 À l’aide d’un pinceau en martre n° 12, je dépose un


filet d’eau en imaginant un tracé de branches et de
feuilles.
Avec un pinceau en martre n° 10, je dépose du pigment
très liquide dans la veine d’eau. La couleur court aussi-
tôt dans la ligne d’eau.
52 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

8 Sur papier sec et munie d’un pinceau biseauté syn-


thétique mouillé, je fais des enlevés en frottant les
parties que je souhaite éclairer. Je prends soin de bien
remouiller la surface pour l’éclaircir le plus possible.

Visualisation du travail en reprenant à tout moment les


étapes 5-6-7 pour obtenir des profondeurs différentes.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 53

Profondeur
(sur papier mouillé)
54 •

Pas à pas n° 3
L’aquarelle, de l’émotion à la création

Architecture
Sur le sentier de randonnée, nos pas lourds et fatigués nous entraînent dans l’enclos d’une vieille ferme
abandonnée. Assise sur un banc, je contemple la bâtisse rongée par le temps. Une lumière de miel nimbe la façade
et mon esprit s’envole vers des parfums de cheminées, de pommes et de noix.

La pierre a une histoire


Les pinceaux
• 1 pinceau à lavis n° 2 Partant d’un sujet très réaliste, la façade d’une vieille
• 2 pinceaux en martre n° 10 et maison, je cherche ici « à faire parler la pierre ». La pa-
n° 12 tine de la pierre et les aspérités qui l’accidentent et la
• 1 pinceau pointu synthétique meurtrissent sont les stigmates d’une longue histoire.
n° 6 Travailler la texture de la roche, animer les pans som-
• 1 pinceau traceur n° 10
• 1 vaporisateur
bres de lueurs moirées et envelopper l’image d’une note

La palette
onirique sont les trois principes qui vont guider cette
réalisation. Par la fluidité du geste, la fusion des teintes
• Terre de Sienne brûlée et l’effacement des arêtes, j’emporte le sujet vers une
• Bleu Winsor
représentation abstraite et fantaisiste. Une évocation du
souvenir.

La monochromie
À l’exemple des photographies anciennes couleur sépia,
j’ai choisi de transcrire le sujet dans une teinte domi-
nante, le brun. Peindre en monochromie implique une
grande attention sur le rendu des textures. Ces effets de
matières sont d’abord produits par le travail des contras-
tes et des dégradés, des superpositions et des trans-
parences, mais pas seulement. La nature du pigment
joue en elle-même un rôle crucial dans l’application
monochrome, d’où l’utilisation de pigments opaques ou
transparents pour multiplier les réactions à l’eau : « re-
poussement » du pigment, formation d’auréoles, chute
du pigment dans les creux du papier, etc.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 55

La gestuelle
La gestuelle est déterminante
pour la réussite de cette réa-
lisation. Les mouvements du
pinceau très amples impli-
quent une position du bras
spécifique : le coude doit res-
ter immobile, seul le poignet
bouge. Pour faciliter et ren-
dre naturelle cette position,

2
je démarre souvent mon tra-
vail debout, le bras restant
ainsi bien droit. Afin de gar-
der cette position tendue, on
Sur le verso de la feuille, je verse une petite quan- peut également travailler as-
tité d’eau que j’étale immédiatement avec la paume sis sur une chaise, la planche
des mains. Je recommence l’opération sur l’endroit du ou le support placé sur une
papier. Seule mon impression tactile m’indique si le table basse.
papier est bien imbibé. Sous mes doigts, je dois sentir
la même sensation de fraîcheur au centre comme aux
extrémités de la feuille. Plus l’eau s’étale et se diffuse,
plus mes mains glissent facilement sur le support.

1
Lorsque la feuille est imprégnée à cœur, je la fixe sur une
planche de contreplaqué à l’aide de bandes de kraft
gommé, voir p. 13.

Au crayon HB, je place les grandes lignes de la com-


position : les verticales et les horizontales des prin-
cipaux éléments, la fenêtre, la poutre, la porte et son
linteau. Je mets en avant quelques éléments, comme
cette pierre à gauche de la porte dont la teinte modulée
indique de forts contrastes lumineux. Si le centre de la
composition est figuratif, mon dessin devient de plus en
plus vague vers les marges de la feuille. Ce traitement
des flous et des nets est une façon de mettre en abîme le
sujet, de l’envelopper de l’aura du souvenir et du rêve.
56 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

4
3
Pour introduire les effets de gouttelettes, je charge
le pinceau en martre n° 12 d’eau claire, puis, je le
tapote énergiquement sur le manche d’un second pin-
À l’aide du pinceau à lavis n° 2, j’applique la terre de ceau. Plus le geste est rapide et saccadé, plus les gout-
Sienne brûlée sur toute la surface de la feuille. Le tes seront fines, et à l’inverse, le geste plus lent produira
pinceau très incliné, je répands un jus de couleur dense. de larges gouttes. Je joue avec ces différences. En sé-
Partant d’une zone très foncée, la teinte diffusée pro- chant, le papier commence à se matifier. Le moment est
gressivement perd de sa vivacité définissant déjà natu- propice pour vieillir et patiner la pierre. Sur les zones les
rellement des zones plus claires. Lors de cette première plus claires, je fais rouler le pinceau essoré qui emporte
mise en couleur, je ne me soucie pas ni du dessin ni du le pigment resté en surface. Les pigments opaques res-
contour des formes. tent dans les creux du papier.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 57

5 Il est temps de prendre du recul, d’écouter le dia-


logue entre l’eau et la couleur, d’observer les inci-
dences et le liquide en mouvement puis délicatement
figé sur la feuille. Ainsi, je note la formation d’auréoles.

6
Mon imaginaire s’éveille, tout un langage de formes
et de textures s’offre à moi. Je commence par élargir
les auréoles en ajoutant une goutte d’eau qui repousse
la couleur ; la tache claire évoque les grandes écor- La façade est maintenant parée de sa couleur
chures sur le mur quand la pierre perd sa peau patinée. brune altérée par les affres du temps. Afin d’ani-
À l’inverse, je creuse les zones d’ombre par assombris- mer le pan de mur, je module la lumière selon deux fa-
sement. J’écrase sur la palette la terre de Sienne brûlée çons différentes. Sur le support incliné, je vaporise des
directement sortie du tube. Puis je dépose des touches jets d’eau obliques sur l’ensemble de la feuille. La cou-
ponctuelles de couleur avec le pinceau en martre n° 10. leur de nouveau en mouvement dégouline sur le bas du
Le pigment opaque se dépose rapidement et accentue la tableau laissant les zones encore plus claires.
profondeur des ombres.
58 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

À mi-parcours

Sur le papier sec, je balaie de filets d’eau le côté le plus


exposé à la lumière. Le pinceau en martre n° 12 tenu à
la verticale, la pointe effleure le papier en petits mou-
vements d’arabesque. J’absorbe avec le pinceau à lavis
l’excédent de liquide et je pose le support à plat, laissant
« travailler » la matière au contact de l’air.

La base colorée du tableau est prête à recevoir les


détails du dessin.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 59

7 Sur papier sec, je travaille pierre par pierre la texture


de la façade. J’utilise simultanément deux pinceaux
en martre : le n° 10 pour appliquer la couleur et le n° 12,
8 Avec une couleur plus soutenue, je laisse s’échap-
per de la pointe du pinceau traceur un mince filet
de peinture au tracé irrégulier. Avec un filet d’eau claire,
je casse par endroits le cordon de couleur, puis je tam-
bien essoré, pour créer des jeux graphiques. Sur les zo-
ponne le liquide avec du papier absorbant afin d’arrêter
nes jugées trop claires, j’ajoute une peinture liquide, de
la progression de la couleur. J’injecte ensuite sur la ligne
la terre de Sienne brûlée, un jus suffisamment clair pour
brune encore fraîche un jus bleu Winsor qui se répand
obtenir de belles transparences. À l’aide du second pin-
comme une veine sur le mur évoquant les multiples lé-
ceau en martre, j’étire la couleur vers l’extérieur de fa-
zardes qui fendillent la façade.
çon à faire fuser les bordures. Avec la pointe du pinceau,
j’aspire ensuite par endroits le liquide afin d’animer la Je fais naître la poudre de
surface de traces dégradées. Ces gestes reproduits sur la même façon en traçant
deux ou trois endroits différents de la façade font peu à les fibres horizontales du
peu ressortir les aspérités de la pierre ravinée. bois.
60 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

9 La zone la plus sombre du tableau correspond à


un très grand « trou » d’ombre, l’entrée d’un grenier
dont la porte a depuis longtemps disparu. Je vais animer
la surface et lui apporter une profondeur en mélangeant
directement sur le papier deux jus très foncés : l’un terre
de Sienne brûlée, et l’autre, bleu Winsor. La superposi-
tion de ces jus très sombres produit des aplats trans-
parents. Avec le pinceau essoré, je fais fuser les teintes
sur les bords, la couleur se diffuse ainsi selon son gré et
rompt l’uniformité du pan coloré.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 61

10 Lorsque le tableau est tout à fait sec, je cou-


vre l’ensemble du sujet d’un voile transparent
à dominante bleue et agrémenté d’une pointe de brun
transparent. Ce jus extrêmement dilué, bien étiré jus-
qu’aux angles de la feuille, adoucit les passages lumi-
neux, estompe les ruptures des ombres marquées. C’est
ainsi que se forme le voile du souvenir, celui de la pho-
tographie ancienne qui nous fait lentement glisser dans
les rêveries nostalgiques.

Façade
62 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Pas à pas n° 4 Églantier


Au cœur d’un feuillage tendre, j’ai aperçu le fruit d’un églantier à l’éclat vif et brillant. Cette vision s’est imprimée
dans ma mémoire. Seul cet ovale rouge, généreux, assorti de verts doux demeure dans mon esprit. Comme arrachée
au réel, l’image se pare de symbolique poussant ma créativité sur le fil d’une représentation abstraite.

Les pinceaux
La liberté du geste
• 2 pinceaux à lavis n° 2 et 3 Dans cette réalisation, la frontière qui sépare le figuratif
• 1 spalter avec virole de 25 mm de l’abstrait reste très vague. L’élan créatif accompagné
• 2 pinceaux en martre n° 10 d’un geste délié, ample, et pourrait-on dire libre, guide
et 12 entièrement le procédé technique. Je compare ce pro-
• 1 pinceau biseauté en poils
cessus à une petite commode munie de multiples tiroirs
synthétiques durs n° 12
• 1 vaporisateur où sont rangées les « recettes » techniques. Intuitive-
La palette
ment, je tire l’un ou l’autre tiroir selon des besoins qui se
créent au fur et à mesure de la réalisation. Issue d’une
• Rouge transparent
observation constante et rigoureuse ainsi que de l’écou-
• Bleu phtalo
• Jaune gomme-gutte te de sa propre sensibilité, une harmonie subtile se crée
• Jaune quinacridone dans le plaisir et la plénitude de l’acte de peindre.
• Laque de Garance
• Vert-de-vessie
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 63

Quelques gestes clés


Utiliser le vaporisateur : il convient de bien tenir le
vaporisateur incliné au-dessus de la feuille, afin que
l’eau soit projetée obliquement. Si le jet est vaporisé
de face, la couleur est aussitôt balayée sur les côtés
et empêche l’effet de dégradé obtenu par glissement
progressif du pigment.
Faire danser le pinceau : afin de varier la largeur

1
d’une touche ou d’un trait de couleur, j’alterne les
positions du pinceau. Plus il est incliné sur la feuille,
plus le trait est épais et vice versa lorsque le pinceau
revient à la verticale. La dynamique du geste à la fois
Dans un bain d’eau claire, je trempe la feuille de précis et fluide produit une rythmique du pinceau,
papier pendant environ dix minutes, afin d’obtenir comme si l’instrument dansait.
un papier mouillé plus à cœur, ce qui permet de tra- Travailler l’amplitude du mouvement : quand le ges-
vailler plus longtemps, sans précipitation. Je profite de te est très ample, à l’exemple des jus balayés pour la
ce temps d’attente pour préparer les couleurs. mise en place de la lumière, je dégage le plus possi-
ble le pinceau de la pression de la main. Ainsi, je tiens
le pinceau le plus loin possible de la touffe, à l’extré-
mité du manche.

2 Je balaie les zones les plus claires d’un jaune


gomme-gutte. Le pinceau à lavis n° 3 très incliné
sur la feuille, je déploie des gestes amples et fluides. Par
ces mouvements harmonieux, j’oriente la lumière du ta-
bleau sans provoquer de rupture dans la couleur.
64 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

3 Le pinceau à lavis n° 3 maintenu à la verticale, je dé-


pose une peinture plus dense, mélange de vert-de-
vessie et de bleu phtalo. Mon bras est tendu. C’est avec
les mouvements du poignet que j’accompagne la tra-
jectoire du pinceau qui semble danser sur le papier. La
peinture dense, directement sortie du tube, se disperse
moins vite que la couche précédente. Selon la luminosité
recherchée, je superpose des jus plus ou moins foncés
en faisant monter les valeurs.
4
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 65

Toujours sur papier mouillé, mais déjà


mat, j’amorce le dessin du fruit au centre
de la composition. Je fais pivoter la tête du
pinceau à lavis n° 3 sur le papier afin de libé-
rer une peinture crémeuse, composée de rou-
ge transparent et d’une pointe de bleu phtalo.
Pour les baies en second plan, moins nettes
et d’une teinte très claire, je dilue le pigment
rouge de façon à obtenir un jus transparent et
coloré. Je plonge le pinceau dans le liquide et
je l’essore immédiatement. La capillarité du
pinceau retient ainsi uniquement la couleur.

Une peinture pure et claire


Je dilue le pigment avec un peu d’eau et j’essuie délicatement le pinceau sur
un gant de toilette. L’eau est absorbée. La quantité de pigment retenue dans
le pinceau reste raisonnable et suffisante pour créer des flous clairs.
66 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Les enlevés « spontanés »


Sur une surface mate et hu-
mide, je fais glisser d’un geste
fluide et rapide le pinceau en
martre n° 10 gorgé d’eau. Sur
son passage, des ouvertures
se forment dans la couleur,
c’est-à-dire des lignes claires
et légèrement floues.

5 Je procède à présent à des retraits de couleur, les


enlevés, afin de dessiner les différents éléments de
la composition. Ce procédé graphique, essentiel dans
Papier humide et peinture
sèche
Des enlevés avec un pinceau
essoré

cette réalisation, consiste à retirer le pigment afin de


jouer avec la blancheur du papier.
Sur une surface presque sèche, je fais glisser le pinceau
en martre n° 10 essoré. L’importante capillarité du pin-
ceau emporte partiellement la couleur laissant une fine
couche transparente sur le papier.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 67

Baie mouillée et peinture Baie mouillée et peinture


dense plus dense

6 Afin d’obtenir des blancs plus prononcés, je frotte


la couleur sèche avec un pinceau dur et biseauté.
Une pellicule de pigment se retire. À chaque passage,

7
je rince le pinceau et je continue les frottements déli-
catement, selon l’éclaircissement désiré (pour ne pas
risquer de déchirer sa feuille, je conseille de prendre du
papier 300 g). Je finis par aspirer l’excédent de liquide
avec du papier absorbant laissant nettement apparaître Sur papier sec, je mouille la surface des baies cen- Baie mouillée et peinture
le blanc du papier. trales avec le pinceau lavis n° 2. J’applique à l’aide liquide et claire
d’un pinceau martre n° 10 un jus liquide rouge transpa-
rent sur les deux fruits et j’ouvre la forme avec un se-
cond pinceau en martre n° 12 afin de tirer la couleur vers
le bas. Sur cette surface très réduite, je monte la valeur
de différentes façons : d’abord par jus superposés, puis
avec de la peinture de moins en moins diluée, jusqu’à
l’obtention d’un rouge profond et velouté.
68 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

8 Je promène mon pinceau en martre n° 12 sur le


papier sec en dessinant à l’eau claire des lignes en-
trelacées. Ma gestuelle suit le cheminement d’une cou-
leur imaginaire toujours dans le sens initial de la lumière
défini au début de ma réalisation (pour ne pas l’oublier,
je trace au crayon une petite flèche dans ce sens sur
le bord de ma feuille). Je rajoute une peinture liquide à
base de laque de Garance, de vert-de-vessie et de jaune
quinacridone. Je multiplie les tonalités en variant les verts, avec par
exemple du vert olive (mélange à base de 50 % de jaune
quinacridone, de 30 % de laque de Garance et de 20 %
de vert-de-vessie). Les teintes se diffusent de façon plus
ou moins régulière. J’ajoute par endroits des touches de
peinture crémeuse dont le tracé plus net se propage len-
tement sur le papier.
Afin de dégager le motif et déconstruire l’aspect trop
structuré de la composition, je vaporise le motif d’eau
claire. Les valeurs se diluent et les contours du sujet se
dissolvent.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 69

À mi-parcours

9 Avec un mélange de base (bleu phtalo, laque de


Garance et une pointe de jaune quinacridone), je
prépare un jus très dilué que j’applique sur les zones
les plus ombrées. Ce voile très discret accentue l’ombre.
Ensuite, je superpose des couches très claires cette fois
à dominante bleue, à peine éclairées de jaune. L’ombre
doit rester un espace transparent. Le couvrir de peinture
plus dense entraînerait un effet gouaché et boucherait
Le motif au centre du tableau est mis en valeur par complètement les parties moins exposées à la lumière.
les effets déstructurés qui l’entourent. Sur cette
base, chacun peut selon sa sensibilité changer le de-
gré d’abstraction : poursuivre le travail des enlevés,
fondre les valeurs sous l’action du vaporisateur, etc.
70 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

10 Je réalise des enlevés sur les couleurs encore


humides. À l’aide d’un pinceau en martre n° 10,
je dépose un filet d’eau qui forme des enlevés spontanés
donc plus flous.

11 Chaque élément pris à part demande un équilibre


des contrastes et un travail de texture. Cette par-
tie de la réalisation est plus intuitive. Comme en cuisine
Je mouille au pinceau la zone à traiter en élargissant
bien le périmètre, la couleur crémeuse, presque pure,
se répand lentement et en profondeur. À chaque appli-
où l’assaisonnement d’un plat se fait progressivement, cation, je pense à estomper avec du papier absorbant les
j’ajoute ou je retire de la matière par tâtonnements, en bords de la feuille. Si le résultat me semble trop figé, je
alternant des techniques différentes. Par endroits, je déstructure le motif au vaporisateur, puis, si nécessaire,
cherche un rendu en surface plus velouté. je cisèle de nouveau les parties floues à l’aide de pin-
ceaux en martre n° 10 et n° 12.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 71

Enlevés Touches de peinture pure

12 Afin d’accentuer les effets de profondeur, je pro-


cède à l’application sur papier sec de plusieurs
lavis : les uns très dilués pour évoquer les arrière-plans,
d’autres plus denses pour valoriser les avant-plans.
J’ajuste encore certains détails : la baie rouge adoucie
par une touche de jaune, les valeurs des ombres mon-
tées en touches épaisses, etc. Quand le tableau est tout
à fait sec, je couvre la composition d’un lavis très trans-
parent, jaune ou vert, afin de donner à l’ensemble du su-
jet sa tonalité ambiante. Églantier
72 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Pas à pas n° 5 Portrait


À Marrakech, jour de marché, les petites places de la médina s’emplissent de cris, de couleurs et de parfums
d’épices. Au milieu du brouhaha, je remarque un homme, le visage jovial et le sourire généreux. Sa peau dorée
sillonnée de ridules traduit le caractère à la fois sympathique et charismatique du personnage. Avec son accord,
je le prends en photo, désireuse de transcrire en peinture cette belle rencontre.

D’après photo
Les pinceaux
• 2 pinceaux à lavis n° 1 et 2 Si j’ai choisi de travailler d’après photo pour peindre un
• 2 pinceaux en martre n° 10 portrait, c’est d’emblée pour la liberté et la distance que
• 1 spalter avec virole de 25 mm je peux prendre par rapport au sujet. Inutile de m’attar-
La palette der sur les détails. Je me concentre sur les quelques
• Jaune auréoline éléments qui de prime abord attirent mon attention : le
• Terre d’ombre naturelle regard, le sourire, la couleur de la peau et les marques
• Brun transparent du temps imprimées sur le visage. Ma volonté se résu-
• Rose magenta me ainsi : me rapprocher de ce qui participe de l’histoire
• Bleu Cyan
de cet homme. La photo dans ce sens me sert d’aide-
mémoire, par exemple restituer la forme du visage et la
distribution des masses et des contrastes. La technique
s’effectue ensuite sur papier sec, seule la zone du visage
est constamment mouillée. Plus précise et concentrée
sur le visage, ma démarche consiste à favoriser une ges-
tuelle rigoureuse afin de dessiner à l’aide des pinceaux.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 73

La carnation
La technique appliquée à cette réalisation consiste à
mettre au point une teinte de carnation de base très fon-
cée, composée de brun transparent, bleu Cyan et d’une
pointe de rose magenta. Sur la palette, je décline cette
couleur en un dégradé précis et très progressif, puis-
qu’à chaque passage, je dilue le jus « à dose homéopa-
thique ». Sur le papier, je commence par poser le mélan-
ge le plus clair, puis je monte les valeurs en dessinant
les parties du visage. À mesure que j’avance en valeur,
la peinture utilisée est plus dense. Les superpositions
du plus lumineux au plus sombre produisent un bel effet
de profondeur tout en privilégiant le rendu de la peau et
la mise en valeur du visage en lui-même.
Mise à part la teinte jaune de départ, c’est-à-dire la pre-
mière lumière du tableau, toutes les nuances résultent
ici de mélanges à base de trois ou quatre couleurs. Avant En haut, les trois couleurs de base : rose transparent, bleu
d’amorcer une étape, je conseille de préparer la teinte Cyan, brun transparent
sur la palette et de tester les dégradés sur du papier. En bas à gauche, la carnation foncée : mélange des trois
De mauvaises proportions de départ pourraient en effet couleurs + jaune auréoline
occasionner des surprises sur le papier. En bas à droite, la carnation claire : mélange des trois
couleurs + terre d’ombre naturelle

Comme du modelage
Dans cette réalisation, je ne peux mieux comparer le
geste du peintre qu’à celui du sculpteur. L’idée géné-
rale est en effet identique pour les deux démarches :
l’alternance de l’ajout et du retrait de la matière.
74 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

2
1
À l’aide du pinceau à lavis n° 2, je mouille le visage
avec de l’eau claire. Puis j’applique un voile de jaune
très transparent, ainsi que de la couleur de la carnation
claire avec un pinceau lavis n° 1. Ce jus à la base très di-
Sans appuyer sur le papier, je dessine le person- lué est encore davantage éclairci sur le papier, car j’étire
nage à l’aide d’un crayon HB. Sur un papier à part, la couleur afin de produire un dégradé.
je fais un petit croquis au format 10 cm x 10 cm sur le-
quel j’identifie les valeurs, les ombres et les lumières.
Puis, je distingue les éléments les plus importants par
de petites hachures plus ou moins serrées selon la net-
teté du sujet.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 75

3 J’ajoute à présent de la peinture plus dense directe-


ment sur le jus encore frais afin d’amorcer les par-
ties dessinées. Je marque déjà les rides en appliquant
une peinture plus dense avec le pinceau en martre n° 10

4
tenu à la verticale. La teinte reste la même, brun trans-
parent, bleu Cyan et une pointe de magenta (couleur de
la carnation), seule la valeur est modulée.
Je commence à traiter la zone du vêtement en fai-
sant glisser la couleur du visage encore humide
sur la partie du buste. J’étire la teinte au pinceau à lavis
chargé d’eau. Puis, je la fais onduler à l’aide d’un pin-
ceau en martre afin de suggérer les mouvements des
plis du turban.
76 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

5 Le taux d’humidité n’est plus satisfaisant pour conti-


nuer le travail. Je sèche rapidement la réalisation en
cours au sèche-cheveux. À l’aide d’un spalter, je mouille
la zone à traiter et son contour. Par effleurement, je ra-
mène au spalter sec le liquide vers l’extérieur. J’ajoute
ensuite de la peinture pure, donc non diluée, au pinceau
en martre.
Si des filaments viennent à se former, j’effleure mon
papier avec un pinceau en martre sec en repoussant la
couleur vers l’extérieur.

Sur le papier mouillé, sans être brillant, je retire le pig-


ment à la pointe du pinceau en martre légèrement plus
mouillé que le papier lui-même.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 77

À mi-parcours

6 À l’aide d’un pinceau à lavis n° 2, je couvre d’eau


pure la totalité du vêtement. J’incline le pinceau
et je balaie des zones larges de pigment rose magenta.
Je reprends le même mélange que celui utilisé pour la
peau, mais en augmentant les proportions de jaune afin
d’obtenir une couleur un peu plus violine. Sur cette sur-
face humide, j’ajoute au pinceau en martre une couleur
plus pure pour marquer les plis.

L’homme se devine par les détails amorcés du visage, mais


la silhouette n’est pour l’instant constituée que de taches
de couleur.
Je privilégie l’expression du visage et j’adopte par conséquent
une technique essentiellement basée sur les effets graphiques.
78 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

7 Tel un patchwork, je construis l’étoffe du vêtement


par fragments, des taches de couleur juxtaposées
en jus transparents de terre d’ombre naturelle. Avec un
pinceau en martre tenu à la verticale, je dirige une gout-
te de pigment sur le vêtement que j’étire sur les côtés à
l’aide d’un second pinceau bien essoré. La partie gauche J’accentue certains détails, comme par exemple l’arc

8
très exposée tire vers une teinte de plus en plus violette du sourcil, avec de la peinture pure. Au cas par cas, je
grâce à un mélange de bleu Cyan, de rose magenta et de mouille la zone concernée en déposant l’eau par effleu-
brun transparent. rements afin d’éviter les marques et les salissures.
Je reprends le travail du visage en ciselant cer-
taines parties avec des arêtes nettes. Avec le même
mélange de départ, c’est-à-dire de brun transparent,
bleu Cyan et de rose magenta, je sculpte davantage
les contrastes de lumière. Je garde en main les deux
pinceaux en martre : avec l’un j’applique la couleur,
puis immédiatement après je fais fuser les bords à l’aide
du second.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 79

commence à sécher, le papier n’est plus brillant, je dé-


pose une petite goutte d’eau qui se répand d’elle-même.
Le trajet de l’eau apporte des reflets de transparence,
une vie au regard.

Pour le modelé des lèvres, je procède de la même façon


que pour l’œil. Un mélange de rose magenta, de bleu
Cyan et d’une pointe de jaune auréoline réveille avec dis-
crétion et subtilité l’incarnat de la bouche.

9 J’apporte à présent un éclat dans le regard en


faisant couler une goutte de brun foncé (mélange
de bleu Cyan, de rose magenta et d’une pointe de jaune
auréoline) sur la partie mouillée de l’œil. Lorsque la zone
80 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

10
Avec un second pinceau à lavis n° 2 chargé d’eau, je fais
fuser la couleur vers le bas du tableau. Le dégradé pro-
Pour le traitement des ombres sur papier sec,
voqué apporte un aspect non achevé à la composition. De
je prépare un lavis couleur violet prune très
la même façon, je place les ombres du visage en conser-
clair à base de carnation claire et de rose magenta. À
vant des arêtes nettes entre les différentes parties. Le
l’aide du pinceau à lavis, je couvre d’un voile très léger
jus très clair, appliqué aussi en couches superposées,
toute la partie gauche du sujet.
est un peu plus soutenu que l’ombre projetée sur le vête-
ment. C’est un mélange de rose magenta, de bleu Cyan
et de terre d’ombre naturelle qui correspond bien au ton
de la carnation.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 81

11
Avec un vaporisateur, je fais descendre la peinture li-
quide sur le vêtement. La couleur fuse vers le bas de la
feuille, le dégradé provoqué donne un aspect non achevé
Afin de faire ressortir le personnage sur un fond au tableau.
bleu ciel, je mouille la zone vierge du papier qui
encadre le sujet. Je charge mon pinceau de couleur li-
quide bleu Cyan que j’applique sur la surface très
mouillée. Puis, j’incline la planche de gauche à droite
afin de diffuser la couleur.
12
82 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Je fusionne les éléments les uns avec


les autres par décloisonnement des cou-
leurs. Par exemple, sur le bleu du fond encore
humide, je glisse le pinceau en martre chargé
d’eau claire et le promène sur la zone sèche du
turban. La fluidité du tissu se confond avec la
légèreté de l’air, comme si un vent doux venait
caresser le visage.

Portrait
Galerie
84 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Incandescence
(Hommage) / 80 x 65 cm
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 85

Pour une amie /


55 x 40 cm
86 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Regard / 65 x 50 cm Sagesse / 65 x 45 cm
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 87

Rêverie / 110 x 90 cm Tourbillon / 110 x 90 cm


88 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Tête à tête /
50 x 60 cm
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 89

Tournesol /
55 x 50 cm
90 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Hibiscus /
90 x 110 cm
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 91

Fleurs / 45 x 35 cm Grappe / 65 x 50 cm
92 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Libellule / 51 x 35 cm
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 93

L’aube / 80 x 60 cm
94 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Plénitude / 85 x 65 cm Sous-bois / 70 x 45 cm
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 95

Port d’Essaouira / 70 x 85 cm
96 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Voyage / 45 x 65 cm
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 97

Promenade / 50 x 40 cm Cascade / 45 x 35 cm
98 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Refuge /
85 x 65 cm
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 99

La ruelle / 55 x 45 cm Souk de Marrakech / 65 x 45 cm


100 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Coup de feu /
85 x 110 cm
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 101

Fantasia /
80 x 100 cm
102 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Glossaire de l’artiste
Aplat : lavis étalé sur une large surface de façon à produire une tonalité uniforme.
Dégradé : lavis dont les tons passent progressivement du foncé au clair, ou du clair au foncé.
Enlevé : sur papier sec ou humide, zone sur laquelle on a « enlevé » partiellement ou totalement la couleur en
mouillant le pinceau et en frottant la zone de peinture. Suivant la pression du pinceau, la dilution de la peinture
est différente.
Glacis : ce terme utilisé à l’origine en peinture à l’huile sert en aquarelle à décrire un lavis uniforme exécuté
dans une même couleur. Le glacis unifie l’aspect des différentes couleurs sous-jacentes d’une peinture.
Jus : peinture très diluée qui permet de garder une goutte constante après chaque passage du pinceau, que
l’on peut utiliser pour faire un lavis.
Lavis : fine couche de couleur, d’un ton généralement uniforme, qui est appliquée sur la totalité de la feuille à
l’aide d’un pinceau plat ou rond généreusement chargé de couleur.
Martre : mammifère dont les poils bruns servent à fabriquer des pinceaux aquarelle.
Mouiller à cœur : papier qui est mouillé dans toute sa profondeur.
Petit-gris : écureuil du Nord de l’Europe, dont les poils, d’un gris ardoisé, sont utilisés pour fabriquer des pin-
ceaux aquarelle.
Réserve : zone du papier dont on veut conserver le blanc initial, le plus souvent pour définir la lumière de
l’aquarelle.
Valeur : degré de luminosité, du plus clair au plus foncé, d’une couleur.
L’aquarelle, de l’émotion à la création • 103

Aux Éditions Eyrolles


Trait pour trait
Créer textures et effets de matière, M. WARR, 2003-2010
Dessiner d’après modèle vivant : nus et personnages, L. WATSON, 2003
Mieux peindre à l’huile, B. GORST, 2004-2010
Mieux peindre l’ombre et la lumière à l’aquarelle, P. SELIGMAN, 2004-2010
Aquarelle : techniques mixtes, R. BALKWILL, 2005
Mieux peindre à l’acrylique, I. SIDAWAY, 2006
Peindre à la manière des impressionnistes, S. HODGE, 2006
Dessiner à la manière de Léonard de Vinci, S. D. WHITE, 2007

Atout carré
Calligraphie : couleur et création, M. NOBLE et A. WADDINGTON, 2001
Gravure et impression : techniques et création, J. MARTIN, 2001
Peinture chinoise : tradition Qi, W. JIA, C. XIAOLI et D.YOUNG, 2002
Écrire et illustrer des livres pour enfants, D. MACCANNON, S. THORNTON et Y. WILLIAMS, 2009

Guides couleurs
Le nuancier de la peinture à l’huile, R. CUTHBERT, 1993-2003
Le nuancier du pastel, R. CUTHBERT, 1994-2004
Acrylique : plus de 3000 mélanges et effets de glacis, I. SIDAWAY, 2006
Aquarelle : plus de 2700 mélanges, M. CLINCH et D. WEBB, 2006

Dans d’autres collections


Peinture : toutes les techniques, Fleurs et natures mortes, nus et portraits, paysages, T. CLARK, 2003-2009
Pratique de l’Aquarelle en plus de 30 projets, COLLECTIF, 2004
Pratique du Dessin en plus de 65 projets, COLLECTIF, 2004-2009
La couleur, D. HORNUNG, 2006
Le dessin : maîtriser son langage, K. MICKLEWRIGHT, 2006
La leçon de peinture, J.-C. GÉRODEZ, 2007
Manuel complet de gravure, B. FICK et B. GRABOWSKI, 2009
Le nu, modèle vivant, J.-C. GÉRODEZ, 2009.

Et bien d’autres ouvrages à découvrir sur le site www.editions-eyrolles.com


104 • L’aquarelle, de l’émotion à la création

Remerciements
J’adresse en tout premier lieu mes remerciements à Patrick Astruc mon époux, pour son travail et la patience
dont il a fait preuve.
Je remercie également Alexandra Bourré pour sa réécriture sensible et juste, ainsi que Monique et Pascale
pour leur aide précieuse.
Je remercie tout particulièrement Pablo Abreu qui par son talent et ses conseils avisés de graphiste a contribué
à la qualité de la conception dans la version auto-éditée de ce livre.
Enfin, je ne saurais oublier tous mes élèves, des ateliers passés et actuels, qui m’ont donné l’envie de publier
cet ouvrage.
L’aquarelle
De l’émotion à la création
L’aquarelle est un médium en mouvement, un appel à créer et une source de
plaisir accessible à tous. C’est là le credo de Joëlle Krupa-Astruc, qui, au fil de
ces pages, guide vos pas et vos pinceaux à la découverte de cette technique
picturale fascinante, mais parfois capricieuse.
Aiguisant vos sens et votre intuition créative, l’artiste vous propose tout
d’abord de vous familiariser avec les outils et d’acquérir les bases propres à
l’aquarelle : choix du matériel, préparation du papier, méthodes d’application
de la peinture et de l’eau, élaboration d’une composition, etc. Puis, cinq réali-
sations, détaillées pas à pas et abondamment illustrées, vous invitent à mettre
en pratique vos acquis, à votre rythme. Du paysage au portrait, en passant par
la texture de la pierre et l’éclat de la végétation, chacune est le reflet d’une
expérience, d’une situation donnée où l’artiste a dû trouver les clés picturales
et créer un langage en accord avec l’eau et le pigment. La technique et le récit
se trouvent mêlés en un lieu intime, où la création est associée au plaisir.

Joëlle Krupa-Astruc, diplômée des Beaux-arts, pratique l’aquarelle depuis de

Conception couverture : Nord Compo


nombreuses années. Elle anime des stages à travers toute la France et ses œuvres
font régulièrement l’objet d’expositions.

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