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IF istoire 1661, le plan Colbert [Histoire PN eee lg Ten eC een \ flair 14.09.19 Pal Br a @® Saint-Denis-Université Cerca cee arr neem ee | ie x 1 Tt eR ICS ae Lea EMER) Lf LHistoire L’édito/s3 ea Sicepetpnailcroe So fieoltrrnnne Ehaeetseeron ttartietn: Sain ate SSS a accent Sete eaig nampa Canepcon ieee et eae ‘foncron.oocumnaron, nowsaTON Meiorosesntaerscter ‘rt eacon ere pene ‘Steeda: ein (929) atte ceca sears, Seeeelsernamsciss Remendtaqec(955) Sizedettlar ora Get deraiwe:AaneNashea (1953) ‘eso a ele (19 6) achat, ‘Drectfenarstque Slane 195) Sere pt Srey Sue 1958), commescnmnngue Fete Sesto Pre Bch, ater a ates, tar pone, ‘eelcoene Aas hen ea eet ene, File oar. fran lure Sere Pp Nae: Serer ‘Gers ny Yan om esa sca, {eens Aone Weir, la Wess ‘enuier bere Cade A, Vareat ca, ‘tedster eras ‘arto tes Panes es chonne ‘Gt ats ous Chiat ‘ateie Vane, Ne eh Miramar lea ern). ure Mao Ar Claude lon Somorpio) Geena ‘Girsophe Reson 10) Siicnewas arpa Toy se 15) {spore aarti ae naan woreserrownon Dente ey then Sari (19 1) ‘eres monies Vir bun ree Risers Ge vereaen 10°70 non tears Pte ‘eons eaneor fOr 8431 ‘ebetenoa 970 ‘etervsucrame Coane geome metastac, ‘ween gene: Cras owe (370) Denes omar Jc Re 78) ‘rrr depres) Pobre Oven cre 59). SSieoenetos 920 Sec 0) Transition ratée ? vest un événement sans grand équivalent dans Phis- toire. Limpulsion donnée, sans une goutte de sang versé, & un immense boule- versement géopolitique. Un formidable moment de libération, sous Teeilincrédule des Vopos. Le bonheur & état pur. Il n’était pas trop du violon- celle de Rostropovitch pour 'immortali- ser. Les semaines qui suivirent la chute ‘du mur de Berlin - etavec lui du rideau de fer qui depuis quarante ans coupait Europe en deux—furent aussi décisives ‘qu'euphoriques. Une révolution «de ve- Jours» amenait au pouvoir a Prague un authentique démocrate et homme de culture, Vaclav Havel. A Budapest, les Hongrois préparaient activement les premieres élections pluralistes depuis la Seconde Guerre mondiale. Aprés des années de combatet de prison, Lech Wa- lesa, inflexible meneur des chantiers navals de Gdansk, siégeait dla Didte de Varsovie. LOuest et l'Est de 'Europe ‘communiaient dansla liberté retrouvée. Alaveille de Noal, venues de Bucarest, les images en noir et blanc du sinistre proces des époux Ceausescu ne parve- naient pas a ternir les espérances. Ce dossier, trente ans aprés, nous force & relire un peu autrement épi sode. Comme lerappelle ici Roman Kra- kkovsky, cette sortie plus ou moins paci- fique ounégociée du communisme avait un prix. Une partie des anciennes élites réussit 4 maintenir ses positions. Et, si on excepte Véclav Havel, les hommes nouveaux de 1989 firent long feu. En 1991, Solidarnosc ne séduit plus que 5 Y%des électeurs polonais. La croissance économique, pour- tant, fut au rendez-vous. A Téchelle de Allemagne réunifiée (en moins d'un an) comme de l'Union européenne, un transfert de fonds massif qui ac- ‘compagna la thérapie de choc libérale porta ses fruits. A beaucoup d’égards le dynamisme économique des anciens Peco (Pays d'Europe centrale et orien- tale) nvont pas grand-chose & nous en- vier, Hest d'autres freins & la transition démocratique. Leuphorie fut de courte durée, Dans esannées 1990, inquiétucle une nouvelle «normalisation »étaiten- core de mise. Doiinaquitchez certains le ressentiment & Fencontre d'une Europe qui tardait a leur ouvrir les bras. « Nous avons pas su saisir ce moment de bon- heur-»,regrette Bernard Guetta. Ge qui ressort de ce dossier, c'est un ratage humain. Lhumiliation des All mands « de TEst » qui ont encore parfoi le sentiment d’étre traités comme des citoyens de seconde zone. On a oublié Ilest, au-dela de VElbe, de vrais amoureux de la liberté dont méme le passé communiste a peut-étre quelque chose a nous apprendre a violence de Mépuration académique 2. Poeuvre dans Pex-RDA, le limogeage des professeurs de la trés prestigieuse Université Humboldt & qui on faisait re- proche d’étre « marxistes ». On a oublié les difficultés, les obstacles, les rebuf- fades dressés dans les quinze années ‘qui menérent pourtant la plupart de ces pays en 2004 & Vintégration euro- péenne. Meme ces noces-Id furent bien tristes, de convenance et sans enthou- siasme. « Nous ne sommes pas moins eu- ropéens que vous », revendiquait alors le grand historien polonais Geremek. avait raison. Ilest, au-dela de Elbe, de vrais amoureux de la liberté dont méme le passé communiste a peut-étre quelque chose & nous apprendre. Mais Ta liberté ne fait plus réver, comme en ‘émoigne Iinvraisemblable « démocra- tie illibérale> assumée par Viktor Orban, ex jeune loup américanisé mué en dé- testable leader nationaliste. La liberté est chose fragile. Puissante et fragile comme les cordes ¢’un violoncelle. m LUISTOME / Nae / OCTOBRE 2018 4/ «Jui»: dilemme typographique Dans article sure Goulag de Marc Elie, «19532966, Les revenants» UWistoie n? 461-462), tune ereursestalisée dans la \égende de illustration en bas de la page 88 ce nest pas Molotov qui se tent tout la droite du cereuell de Saline, mais Lazar Kaganovitch, alors membre du Politburo. Orcnednnie trite eee te arin P= .th/oeedpoe inpep hal eyharc LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 VOUS NOUS EcRIVEZ Le génie de l’Italie : en savoir encore plus ! ay N “ombreuses ont été les ré- c actions au n°84 des Col- Ce lections de Histoire sur = «Le génie de ITealie ». Pierre de Peewiauats La Barre mentionne une que- As relle relative a Uhistoire de Tart AAG Ep) «Le portrait du Condottiere, ESSSESER Gans Particle de Patrick Bou. cheron “Machiavel et Pinven- tion de la politique” (p. 57), est attribué & Ca- ‘vazzola. Cest sous ce patronyme que ce tableau est en effet inventorié au Polo Museale Fioren- tino, Mais quand on va aux Offices de Florence, il est attribué & Giorgone. Les experts ne sont pas tous d'accord : sion admet que le tableau est réa- lisévers 1510, ce seraitla dernitre eeuvre de Gior- gione mort cette méme année. Seulement, il se- rait daté d’entre 1518 et 1522 selon d’autres études qui ont, du coup, attribué & Cavazzola (argement inspiré de Giorgione). » Liconographie intéresse aussi Marie Guillow d pro- pos d'une illustration de Uarticle «A ta table de Ca- therine de Méticis » de Pascal Brioist(p. 68) : « Jai 46 trés heureuse du choix de la miniature du fes- tin du due de Berry pour illustrer Tarticle remet- tant en cause, entre autres, Tidée selon laquelle la fourchette aurait été introduite en France par Ca- therinede Médicis. En effet, les éeuyers tranchants, que fon voitreprésentés de dos, affirmaient déj& au xm sigcle leur appartenance & la noblesse d’épée en découpant en public une pide de viande tenue sur une fourchette de la main gauche, 'épée dans la ain droite, ans que jamais les doigts ne touchent laviande. Sion ne peut pas voirla fourchett, inter- dite par Elise, sur cette miniature, cestsansdoute parce quelle appartient au livre heures du duede Berry, Cest--dire un livre de prigres...» RECTICATIF > Retrouver Mande! La fiction a tous se droits et nous souhaltons bonne chance la pidce de Jean Nodl Jeanneney Lun de nous deur, jouée jusqu'au ‘sonovembre au théstre du Petit Montparnasse (Paris), quiimagine un dialogue, en juin 1944, dans une prison allemande, entre Georges Mandel et Léon Blum. Ce n'est pas une raison pourillustrer article de Uistore n° 463 (. 96) par une photographie d'Yvon Delbos, alors député du Pati radical. Levral Mandel, est ul (photo). Avec nos excuses. ‘auf mention contaire de son auteur, toute lettre parvenue 2 larédaction de [Histoire est susceptible d'etre publige dans le magazine, Par souc de bridveté et de clarté, la rédaction se réserve le droit de ne publier que des extrait des lettres sélectionnées, La faute a Wajda Le mythe de la cavalerie polonaise chargeanten 1939 contre les tanks allemands, dont parle Alexandra Viatteau dansson encadré « Les Polonais se sont bien battus » (n°463, p.21),ne vient pas seulement de la propagande hitlérienne. Le film Lotna. La derniére charge, du cinéaste polonais Andrzej Wajda, sortien 1959, stachéve par le massacre des chevaux et des hommes polonais, fauchés par les mitrailleuses allemandes, sur fond de trompette qui sonne la charge. La mortdes chevaux, symbole du culte de Phéroisme suicidaire associé a 'école romantique du cinéma polonais, est la facon dont ‘Wajda enterre ladite école pour faire place & une nouvelle ére cinématographique. Cest dans tun but artistique que le cingaste met en scéne cette charge imaginaire, correspondant en réalité a une escarmouche de la cavalerie polonaise contre les fantassins allemands, lesquels, tune fois dispersés, ontlaissé la place & des chars meurtriers, Néanmoins, pour nombre de spectateurs, non avertis, cette scbne célébre décrit une réalité historique. Seuls les anciens cavaliers ont crié scandale & époque ! Guillaume Roussel [Histoire B ages eeiaeee relocated Hii uapemnrwaser ronnrarccoxintromerotzourent ede Elec ieemeamas scrum encom cee. Trodiretaoudercicatondaleairlea Commission parttaire onde Readed. SoNo162-2471, Co ere po Ears ieersoom : UNE MONNAIE ARGENT ACHETEE = 1€ VERSE® cay Une édition limitée a découvrir La Poste, vere avoreume ers ess LA POSTE monnaiedeparis.r LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 On va en parler Geneve PEUR SUR LA VILLE Le festival Histoire et Cité consacre sa" dition «La peur ». Organisée parla Maison de Thistoire de Tuniversité, cette ‘manifestation se déroule du Yau 5 avril 20208 Gendve. Débats, tables rondes, conférences, projections et propositions pédagogiques permettront aux historiens, écrivains, cinéastes et artistes échanger. Rens. :https:/ ZShistoire-cite.ch Paris/Italie VITALIA DEL PERE- LACHAISE Ce projet éditorial inédit, promu par le consulat ‘général Italie et le Comité des Italiens élus & Pétranger, souhaite rendre hommage & 59 Italiens ou Francais, a la Conciergerie Par Huguette Meunier Cinéma « Martin Eden » de Pietro Marcello Par Antoine de Baeeque Médias . «Une si Belle Epoque ! » d'Hugues Nancy Par Julia Betlot «Chambord, le cycle éternel » de Laurent Charbonnier Par Olivier Thomas BLANCHE Quentin Tarentino réécrit Thistoire Par Pierre Assouline LUISTOME / Nae / OCTOBRE 2018 Weesousase “> + ° INFORWE ‘ & CIT OVEN Evénement « LA REPUBLIQUE, C’EST LE CONFLIT ! » Pour nous, république et démocratie sont intimement liées. Ce couple ne va pourtant pas de soi a Rome, la ott le concept de res publica s’est lentement forgé. La république n’y désigne pas un régime politique mais la communauté des citoyens en action. Mais, dans ce régime oligarchique, quel était vraiment le pouvoir du peuple ? Entretien avec Claudia Moatti Ltistoire : Le mot les hommes pour honorer les «république » vient diewx, sans qu'il soit nécessaire de la Rome antique. den préciser le contenu, Mais qu’est-ce que Mais au plus haut que nous lares publica pour puissionsremonterresappartient un Romain ? Pabord au langage judiciaire. En République vient eneffet dulatin res publica, un des termes par lesquels les Romains désignaient leur com- munauté politique, & cété de po- ulus et de civitas. Mais traduire res publica par « république » est une facilité qui n’éclaire ni la société antique ni la notion elle-méme. La forme latine de celle-ci est dailleurs fluctuante. Elle s’écrit en deux mots sépa- rés, que fon rencontre dans un ordre variable (res publica ou publica res) et qui, jusqu’’ la fin de lAntiquité, se trouvent par- fois réduits au premier, res, la «chose ». Or une « chose » nia pas de référent précis. Les Romains parlent des « choses divines et humaines » pour évoquer Ia totalité du monde humain, Dans cette for: mule, les « choses » n’existent quien tant quil y a des hommes pour jeter un regard sur elles ou pour en débattre. Les « choses divines», par exemple, sontlen- semble des formes inventées par témoigne laloi desDouze Tables, quidate duy‘sitcleav.J-C. Dans unde ses versets, res, qui désigne Yaffaire juridique, y est en rela- tion avec deux autres termes : causa (la définition juridique de cette affaire) et lis (le proces). La notion de res renvoie ainsi a une pluralité dacteurs, a des affaires quilsonten partage etméme qui sont Fobjet d'un ltige. Si lon étend ces considéra- tions a la notion de res publica, que fon peut done rendre par la « chose publique » ou la « cause publique», plusieurs remarques siimposent. Res publica est une catégorie générale qui exprime iée d'une totalité indétermi née, ouverte, inachevée : est Tensemble des affaires qui concernent les citoyens. Ces affaires ne sont incluses dans la chose qu’en tant que les ci- toyens es onten commun. Cest cequidistingue res publica deci- vitas, quidésigne le territoire de lacité ou le droit de cité, ainsi que de populus (ensemble LAUTEURE Professeure histoire romaine aL universte Paris Vet &PUniversity cof Southern California, Claudia Moatti a delachose publique (ayard, 2018). des citoyens). La res publica est done dabord a communauté vivante des citoyens en action etde leurs affaires, et non le pa- trimoine de la cité. Remarquons au passage quill n'y a dans sa définition aucune référence au divin. Les dieux fontcertes partie des affaires pu- bliques, maisce sont es citoyens qui font la res publica, et Cest en ce sens qu'elle est la « chose du peuple » (res populli). ‘Autre point crucial : la plura- lité, le conflit et le débat appa- raissent comme des éléments fondamentaux de socialisa- tion et de structuration. Les Romains pensent ainsi que les conflits entre patriciens et plé- béiens ont contribué au déve- loppement de la liberté et de égalité. Ce n'est qu’a partir du ut sicle av. J.-C. que simpose une idéologie du consensus ‘comme fondement de la cite. Aujourd’huti le terme république désigne un régime politique non monarchique... et méme le meilleur régime politique. Ge que ne recouvre done pas la notion de res publica? bee LUISTOME / Nae / OCTOBRE 2018 14/ Evénement début de la «république 494 av. JC. Premiare sécession de la plébe et institution des tribuns. 366-356 av. |-C. Ouverture des rmagistratures ala plabe. 272av. J.C. Les Romains achévent leur domination sur Uitalie. 264-241 av. JC. Premiére guerre unique. Début de la conquéte du bassin méditerranéen, 133 av. JC. te tribun de la pldbe Tiberius Gracchus fait voter une loi agraire lest assassing la fin de son mandat. 91-88 av. J.C. Guerre sociale entre les Romains et leurs allisitaliens. Les Htaliens obtiennent la citoyenneté romaine. 8881 av. J.C. Guerre civile entre Syl et les marianistes. 82-79 av. |-C. Sylla au pouvoir. 63av. J.C. Consulat de Cicéron et conjuration de Catilina, 4gav. César franchit le Rubicon : début de la guerre civile avec les Pompéiens, qui dure jusqu’en 45. 27 av. |-€. Octave reso le nom Auguste. Début du principat. A vote Pigce de monnaie romaine duu siele av. JC. représentant tune seée de vote ux comices. >> > Res publica ne désigne pas un régime politique. Cest une notion neutre, que les Romains ont associée toute leur histoire, de Pépoque royale jusqu’a Pem- pire. Du reste, ils n'ont pas de terme technique pour désigner leur régime politique, a com- mencer par ce que nous appe- ons aujourd'hui la « République romaine», cest-d-dire la période quivade509av.J-C. (expulsion des rois) & 27 av. J-C. (le début duprincipat dAuguste). Ce n'est quia partir de la fin du xv" siécle quelle est ainsi quaifige. Certains auteurs grecs, comme Appien au n° sidcle ap. ‘ou Dion Gassiuis au mr’, se réferent bien a cette époque comme a un « régime popu- Iaire » ou a une « démocratie ». Et avant eux, au nt sicle av. J-C., Polybe évoquait une « constitution mixte » parce quill y voyait un mélange de démocratie, d'aristocratie et de monarchie. Mais les Romains, eux, n’ont jamais emprunté ce vocabulaire grec des régimes politiques. En revanche, ils stentendent pour penser que expulsion des rois en 509 a donné naissance a la liberté et désignent par libercas ou civitas libera cette période « républi- caine », Mais sans exclusive : au i sidcle ap. J-C., Pline le Jeune écrit que les sénateurs nvont ja- mais été aussi libres que sous Yempereur Trajan! LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 Ceci posé, qu’est-ce qui stest joué en 509 av. J.-C. ? Est-ce contre la tyrannie du dernier roi, Tarquin le Superbe, ou bien contre Pensemble du régime monarchique que s'est formé le complot aristo- cratique ? Ce qui est str, Cest qu’a partir de cette époque V'idée d'un pou- voir unique et arbitraire constitue clairement un repoussoir. Une idée théori- sée la fin de la république par Gicéron : la res publica, écrit- il, disparait quand un tyran ou une faction s'en empare. Pour lui, res publica désigne un Etat de droit, quel que soit son ré- sgime politique. « Au siécle, Végalité juridique entre patriciens et plébéiens est théoriquement acquise » Nous pouvons dire dés lors que les Romains des an- nées 509-27 ne savaient pas quills vivaient dans une « répu- Dlique », non parce que le mot n'existait pas, mais parce que Sosa. 298 7068 De plus en plus de citoyens ‘Tous les cing ans, les censeurs ‘dgnombraient et classaient les citoyens. se référer & une « chose » avait our eux une signification par- ticuliére que ne rendent nile mot « république » ni les tra- ductions qu'en proposaient les Gres. Reste d.comprendre ce régime que nous appelons « République romaine »... Quelle est ta place du peuple dans la gestion des affaires de la cité ? 11 faut d’abord rappeler que le terme populus recouvre trois réalités : 1) 'ensemble des ci toyens en tant quis consti tuent lacité, et en tantque cette cité agit, par exemple dans les affaires internationales (est avec le peuple romain que les peuples étrangers passent des traités) ; 2) le peuple réuni en assemblées, qui est une part duu gouvernement de la cité & cété du sénat et des magistrats ; 3) l'ensemble des individus qui ont le droit de citoyenneté (libres, hommes, adultes). Au milieu dun siécle av. JC. le populus représente 324000 in- dividus, répartis sur ensemble du territoire ; au recensement de 70-69 av. J-C., avec fexten- sion de la citoyenneté aux habi- tants libres des cités italiennes, onestpassé 910000 hommes adultes, selon les chiffrestrans- ‘mis par Tite-Live. Les femmes, elles, ne sont que des citoyennes passives, ce que trahissent les termes publi- cus, qui vient de pubes, le jeune homme en age de procréer et done de participer & espace public et & Parmée, et populus, qui désigne étymologiquement le peuple en armes. Ainsi se dit dans la langue le refoulement de toute référence féminine hors de espace public. 1 faut par ailleurs distin- guer du populus la plebe, que Yon peut désigner comme l'en- semble des citoyens qui ne font pas partie du groupe di rigeant, de ceux qui accédent aux charges politiques (magis- tratures, sacerdoces et sénat), ‘Jusquiau tv" sidele av. JC, le systéme était fondé sur la trans- mission héréditaire et seuls ‘Au sénat Le consul Cicéron dénonce avec virulence la conjuration de Catilina (& droite) en 63 av. JC. (peinture de Cesare Maccari, v, 1882), avaient aces au gouvernement les patriciens, cest-a-dire les grandes familles de !'époque royale se disant issues des com- pagnons de Romulus et déten- trices d'un pouvoir religieux. ‘Aurv*siécle av. J-C., aprés plu- sieurs sécessions et différentes lois, Ia plébe, trés variée d'un point de vue sociologique, est ‘otalement intégrée au populus, ‘On passe & une organisation censitaire fondée sur la fortune. Une élite patricio-plébéienne Sest alors formée car la partie supérieure de la plébe est parve- nue & se constituer une fortune fonciére suffisante. Et, surtout, Pégalité juri- dique entre tous les citoyens, quills soient patriciens ou plé- béiens, est théoriquement ac- quise : das lors quiils ont le degré de richesse fonciére et honorabilité nécessaires, tous les citoyens peuvent étre can- idats aux magistratures. Il n'y ‘a aucune assignation & la nais- sance. Toutefois, malgré cette égalité juridique théorique, cette société censitaire reste en pony Patriciens Groupe de familles asser pulssantes pour avoir obtenu, Vorigine de larépublique, le monopole des ‘magistratures et des sacerdoces. Plebe Ensemble des now patriciens, qui obtiennent leurs propres magistrats, les tribuns, apres une sécession en 498 av. J-C. A partir, duw siéde av. |-¢., ‘ensemble des citoyens qui ne font pas partie de elite dirigeante patricio;plébéienne. pratique fortement inégalitaire et higrarchique. Comment est acceptée cette coexistence d'une égalité juridique totale et d’une organisation sociale censitaire, qui réserve les magistratures aux plus riches ? Ce principe n’a jamais été re- mis en cause, méme par les Gracques au 1" sidele av. J.-C. Cela s'explique en partie par le fait que la mobilité sociale a fonctionné, bien que de ma- nire assez limitée pour les plus hhautes magistratures (le consu- Jat, notamment). ‘Au fond, ainsi que 'a montré Claude Nicolet, cettesociétécen- sitaire fonctionne surle principe d's égalité géométrique » défini par Aristote. Dans ce systéme, les droits et les devoirs sont dis- tribués proportionnellement plus on est riche, plus la contri- bution fiscale et militaireest éle- vvée ( > > UPRISTOME/ Wrage / OCTOBRE 2018 16/ Evénement > > > un pouvoir Iégislatif, quill deslois(aveccertesdescontroles (TERT exerce trés réguliérement. cet des limites). A Rome, cesont sénat Jesmagistratsen charge quipro- ¢hojsis parm les était donc une posent des projets de lois, théo- anciens magistrats, participation directe ? riquement avec accord du sé- {es sénateurs Oui, comme a Athénes, les ci- nat. Le role du peuple se limite _émettent des avis, toyens participent directement aenswitevoter > stone / 64 / OCTOBRE 2018 18/ Evénement Amort les Gracques Représentés ci-dessous par le sculpteur Eugéne Guillaume (1853), Tiberius et Caius Gracchus, petits fils de Scipion U'Afrcain, cont tenté de faire passer des réformes sociales. Tribuns de la plebe respectivement en 133 av. J-C. et en 123-122 av. J-C ils frent voter des lois agraires qui susciterent opposition des sénateurs. Tiberius fut tué lors d’une émeute qui éclata alors qu'il briguatt lun second tribunat. Son assassinat est représente sur la gravure chcontre (Carl von Rotteck, 1842). >>> comme une démocratie”. _Iyaeutoutundébatalafin gerrrrrree dotés d'un droit d’assistance Toutefois, il ne discutait jamais de la république pour définir auprés des citoyens, etcapables sérieusement cette notion. les rapports entre magistrats Tribuns de de proposer des lois ou doppo- Aujourd’hui, la plupart des et peuple, magistrats et sénat. la plebe ser leur veto : a travers eux, le historiens considdrent plu- La question de la souveraineté Magistratseréés peuple, qui du reste n'était pas tot que l’élément essentiel de du peuple devient une ques- ©" 4942¥-J-C. pour monolithique, peut exercer un la cité romaine est le contréle __ tion centrale dans le débat po- [2 défense ba vrai pouvoir. par aristocratie. Certains vont litique. Dansla construction de Plébsiens. us pout Jusqu’a penser que la politique la République romaine, je ctois Ge taplabe, ls sont VOUS aves évoqué s'y réduit a faffirmation par les qu'il faut revaloriserla part de 3u nombre plusieurs reprises membres de Vélite de leur«ca- la conflictualité et la capacité qe dixau milieu du —-‘Uépisode des pital symbolique » et ala re- des acteurs & proposer des al- + siécle av. j-C. fameux tribuns dela connaissance par le peuple de _ternatives. Les conflits des dé- Is ont le droit de plebe. Cest un tournant leur supériorité : les élections buts de la république, entre pa- veto contre tous dans Vhistoire deta niauraient done é1é que des ri- triciens et plébéiens, en sont les maghstrats, soul République romaine ? tuels de consensus sans débat un exemple, tout comme ceux _€ dictateur. Ils sont Tour le monde s’accorde en ef- diidées, et a politique se serait entre optimates (ou conserva Wvilables porter fet pour faire du moment grac- limitée & la communication, teurs) et populares (réforma- Pherne act un en le début de la crise de la Or, Cest confondre le social et _teurs) ala fin dela période. AU Prime. république, mais son interpré- le politique. Il faudrait davan-cceurde cette question figure le tation pose probleme. Pour la tage prendre en compte le fait r6le desdix tribunsdela plébe, ~~ _plupart des historiens, il s'agit que les Romains eux-mémesne — sacrosaints, une crise du consensus : les Staccordent passurla question! membres de membres de Télite, qui jusque- 13 accordaient sur les valeurs et les maniéres de faire tradi- « A partir des Gracques, ce qui est nouveau, tionnelles, ont commence & se est le refus radical des réformes de la part Aéchirer, faisant apparaitre de : Se . nouvelles formes d'action poli- d'une partie de l’élite politique » tique, qui ont anéanti Péquilibre LMITORE / We / OCTOBRE 2039 a i /19 delacité. Cette description sins- pire en grande partie des sources dela in de larépublique, quiva- lorisent le consensus comme le principe naturel de la cité. Je ense qu'une autre interpréta- tion est possible. A partir des Gracques, ce qui est nouveau, est plutdt le re- fus radical des réformes de la part d'une partie de élite poli- tique et la violence contre les ré- formateurs, que élite désigne Vite comme des séditieux. Lune des raisons du changement est ‘que cette élite vient d'imposer sa domination sur l'ensemble du bassin méditerranéen et ne supporte aucune résistance, extérieure ou intérieure. Et cette nouvelle attitude com- mence précisément & se mani- sures d'exception. s'y opposer : pourtant, au nom dela défense de lares publica ils se lancent dans des expéditions unitives, dans le premier cas & Finitiative d'un sénateur, danse second ala suite d'un décret sé- natorial, le sénatus-consulte dit ultime, qui confie aux consuls «le soin de veiller& ce que la res publica ne subisse aucune altéra- tion ». Ces décisions qui ont en- trainé la mort des deux fréres ‘et de nombre de leurs partisans ont été répétées & plusieurs re- prises, jusqu’au décret contre César du 7 janvier 49 av. J.-C. De fait, plus I'lite a refusé les réformes, plus cela a alimenté les violences et plus les conser- ‘vateurs ont pu justifier ces me- Cn sa défense est Pune des fins de . Taction politique, y compris au Sénatus-consulte gétriment des citoyens. Ainsi, ditultime |, elle se sépare peu & peu des c= Ge décret dusérat, ovens pour deveniren quelque sorte la « puissance publique », dontlesénats'afirme le plusar- dent défenseur. Au r siécle av, J.-C., des lois pénales (les lois de lése-majesté) qui instaurent destribunaux permanents pour juger les rebelles contribuent & son institutionnalisation. La transformation de la notion de res publica est ainsi intrinséque- ment liée al’émergence de celle de sédition politique. Dans son De oratore achevé en 55 av. J.-C., Cieéron se fait Pécho de ce nouvel état d’es- prit : 'un des personages du dialogue, Vorateur Crassus, expression de César, fut émis pour la premiére fois contre Caius Gracchus en 42h av. |. Le sénat y demandait aux ‘magistrats en cexercice de sauver la res publica d’une menace intérieure, Les décisions {notamment ta mise ‘a mort des séditieux) talent alors prises sans consultation du peuple. fester contre les lois de Tiberius Dans ce climat de violence tente de montrer que seules Gracchus (133 av. J.-C.) puis delafin du sidcle, que les sécessions du passé ont pré- de son frére Caius (123-122 av. _reste-tul de la res publica ? senté un aspect positif, tandis J.-C.) Ces lois, qui visaient & donnerdesterresdceuxquin'en avaient pas, n’avaient pourtant rien de révolutionnaire et leurs adversaires auraient pu recou- rir des voies plus légales pour Paradoxalement, c’est le mo- ment oitellese formalise, sidéa- lise, devient un principe trans- cendant. S'impose l'idée que Ja res publica ne peut étre que consensuelle et unifige et que que les séditions contempo- raines détruisent la res publica. Ainsi, alors que les conflits ont contribueé a son histoire, la res publica ne semble désormais exister que dans le rejet > > > Dominique Schnapper : « le legs de Rome » ‘a.« République romaine » a eu un sens différent aucours du temps, ce quin’est pas étonnant étant donne les siécles de Vaventure de Rome. Et, comme le rappelle ici Claudia Moatti, Ia conception de la ré- publique a fait Pobjet de conflits tout au long de l'histoire et n’a jamais été objet d'un consensus. Etant donné le prestige du droit romain, la tendance est grande d'es- sentialiser Vidée de droit et de république. Toutes les analyses qui « déconstruisent » cette idée sont fécondes.Que nous a légué la tradition romaine dans I'élaboration de la république contemporaine ? Au risque de schématiser d'une maniére scandaleuse tune grande et longue histoire, favancerais ‘qu'elle a hérité du rapport au droit. Cest le respect de l'état de droit qui dis- tingue aujourd'hui les démocraties, quelles que soient par ailleurs leurs limites et leurs manquements, des démoera- ties dites «illibérales », dontles gouvernants se soumettent élection mais qui ne respectent pas I'Etat de droit. Dans leur cas, on ne peut parler ni de république ni de démocra- tie, Reste & savoir jusqu’a quel point Etat de droit peut sup- porter la contestation, Aujourd’hui comme dans la Rome Dans sa bibliothéque en 2010. antique, équilibre se fait tant que 'insti- tution est capable d’affronter a sédition ow de réguler le confit sans violence. Définie par un statut juridique, la citoyen- neté romaine était dans son principe ou- verte & tous - ce que symbolise ’édit de Caracalla en 212 qui accordait la citoyen- neté romaine a tous les membres de 'em- ire. Pourtant la pratique politique resta aristocratique, voire oligarchique. Seule tune minorité disposait de la qualification nécessaire pour étre éligible aux magistra- tures ~ méme sil ne s'agissait pas d’une aristocratie de naissance et si la réussite économique et sociale pouvait finalement déboucher sur la participation & la vie pol tique. Malgré ces limites de fait, en définis- sant le citoyen en termes juridiques et non plus ethniques, les Romains fondaient Vidée de ouverture potentielle de la citoyenneté et de sa vocation universelle idée qui est au fondement de la république moderne. En ce sens Claude Nicolet avait raison davancer que « nous ‘sommes tous des citoyens romans». ‘Dominique Schnapper itoyenneté a 'épreuve (Gallimard, 2018) Auteure de La LUISTOME / Nae / OCTOBRE 2018 f) > > > des réformes et des mau- vais citoyens. Ce renversement permet de retourner linterpré- tation de la crise : celle-ci ne fut pas une crise du consensus mais une crise de la capacité traditionnelletolérerle confit et d inventer des alternatives, Crest Gicéron qui nous a transmis cette image d’une république qui s*idéatise ? Iest le premier & proposer une conceptualisation de la notion dont la postérité sera consi- dérable ; mais ce saut philo- sophique n'est qu’une étape du processus de formalisation que j'ai décrit. Littéralement, sa proposition « la chose pur Dlique est la chose du peuple » niinnove pas : res populi est une SPQR ec aureus de 19av.J-C., pice Aeffigie Octave devenu Auguste, est Tune des premigzes attescations de SPOR, clesénatet le peuple romain »,désormais| embléme de Rome. « Aux yeux de Cicéron, la res publica ne peut se penser sans la guerre contre ceux qui en menacent l’unité » LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 Evénement (mC « La chose du peuple » GG case publaue’ ext done in chose du peuple (Et igtur respublica res populi); un peuple nest pas nvimporte quelle réunion hommes assemblés d'une certaine facon, maisla réunion une multitude dont association repose sur Vorganisation juri- dique et sur la communauté des intéréts.” Gicéron, Dere publica, 1.39, traduction C. Moat Gieéron Marcus Tullius Cicero (206-43 av.J-C.), éeudie la thétorique, la philosophie et le droit, ‘et accéde au consulat ‘en 63 av. JC. I faut, selon lui, ‘que es armes cédent ala toge» expression déja attestée avant lui, chez Plaute par exemple. Mais le sens qu'il Iui donne est novateur. Cieéron opére un double mouvement d’abstraction en proposant une sorte de « théo: tie de la corporation ». Le peuple est défini comme une association de droit : ce qui le qualifie comme tel cest qu'il est juridiquement organisé. En ce sens, il est une création artificielle. Dire que la chose publique est chose du peuple signifie dés lors que la res pu- blica n’appartient & personne en particulier. Elle ne reléve que de Ventité constituée par le droit, le populus, et devient elle-méme une entité abstraite, préalablement définie, dont arde est la fin ultime Cicéron en cela rejoint le dis- cours conservateur et confirme Je renversement spectaculaire quiaculieuaurr siécleav.J-C.: lacréation d'un principe de ver ticalité,tandis que jusqu’alors la res publica était un espace hori- zontal, celui d'une communauté de citoyens et de leurs affaires. Les conflits de l'époque ont en effet mis en avant une nouvelle question :comment trouver une norme extérieure & action des individus ? Cicéron reprend la position des adversaires des Gracques : Ia défense de la res publica définit Putilité com- ‘mune. Elle devient alors le prin- cipe par lequel distinguer les onset les mauvaiscitoyenset le moyen de Iégitimer Fattribution des pouvoirs extraordinaires & des hommes providentiels. Mais cette valorisation de la res publica introduit une disso- ciation dangereuse entre Fes- pace de la Kégalité Ciure) et ce- Jui de la Iégitimité et de Faction moralement bonne (recte). Gicéron résout ce probléme en faisant de la « droite raison » la seule source possible du droit positif. Cest ainsi quil justifie Je sénatus-consulte ultime dont il bénéficia contre Catilina et ses partisans en 63 av. J-C., ou encore les actions des tyranni- cides Brutus et Cassius, y com- pris celles quils accomplirent en Orient de leur propre initiative en 43-42 av. rer au sénat : «Au nom de quel droit, de quelle loiont-ils agi (quo jure, qua lege) ? Au nom de ce- lui que Jupiter lui-méme a sanc- tionné, pour que tout ce qui est salutaire dla res publica soit lé- sitime et juste. La loi n'est en effet rien d'autre que la droite raison tirée de esprit divin, qui com- CETTE mande bien etinterdit ema?» = Sila res publica est un Etat de ae droit, sa défense contre ses en- Meath aux nnemis, sa permanence méme, naa nécessite le recours aux prin- vous de cipes du droit naturel. La for- histoire mule du De legibus « que le sa- de Blois lucdupeuplesoitlaloisupréme» 1c jeudi 20 octobre rend dés lors tout son sens. La pour une grande res publica ne peut se penser conférence sans la guerre contre ceux qui D¢ la res publica enacent 'unité ala république » ‘enmenacent unité, (ikea Blois, 1635). Est-ce en ce sens quAuguste et aprés lui les empereurs de Rome ont pu continuer aseréclamer de lares publica ? Les empereurs ne cessérent de se référer lares publica etd’af- firmer quilsen avaient le souci. Ceite res publica, C'est bien évi- demment non la «république», ‘mais la puissance publique, réi- fige, formalisée, dont ils affi- maient garantir le salut, voire Véternité, Cest le sens du dis- cours d’Auguste qui, aprés la guerre civile contre les meur- tiers de César (43-42av.J-C.), Vexpérience du triumvirat avec Mare Antoine et Lépide (43- 33 av.J.-C.), puis lalutte contre Mare Antoine et Cléopatre (32- 31 av. J-C.), simpose comme ‘celui qui restitue la continuité de Etat - une idée quill ins- crit rapidement dans un sigle, SPQR (« Senatus Populusque Notes Romanus »), dont j'ai décou- 1.11.Mouisen, vertrécemment quien futTin- Pebsone forte te venteur. Aprés lui, lares publica Caantige Canbidge reste jusqu’ala fin deVAntiquité —Universiy Pres, 2001 ce principe supérieur et verti- 2.F. Millar, The Crowd cal, nécessaire ala légitimation Rome inthe Late des empereurs. versio Megan (Propos recucils par Pres 1998. Catherine Virtowvet et UHistoire.) 3. Philppigues, X28. [_POUR EN SAVOIR PLUS | Faure, N. Tran, C. Virlouvet, Rome, cité universele, De César & Caracalla, 70av. J-C-212 ap. J-C., Belin, 2018. M. Humbert, D. Kremer, Institutions politiques et sociales de Antiquité, Dalloz, 2017. Moat, Res publica. Histoire romaine dela chose publique, Fayard, 2018, C. Nicolet, Le Métier de citoyen dans ta Romerépublicaine, Gallimard, 1976, ee LE 9 OCTOBRE 9782200625573 Pee ee ers RETROUVEZ ALBERTO TOSCANO EN CONFERENCE ET EN DEDICACE LORS DES PUR R rei t DU MEME AUTEUR ry 9782100797196 erry 20 poses labarbarie (Me irr xX stone / ARMAND COLIN 64 / OCTOBRE 2018 22/ Paravent Certe paire de paravents japonais de-six panneaux représentant des Immortelsa éxé réalisée par Kano Tanshin Morimasa au xvur see, Waal ties Reiwa ou Vharmonie incertaine Le 1” mai 2019, aprés Vabdication de Vancien empereur, une nouvelle ere a été proclamée au Japon : Reiwa, Uharmonie. Un concept sur lequel Japonais et Chinois ne s’accordent pas forcément. Par Pierre Francois Souyri* et Nicolas Zufferey** Extréme-Orient. Ce sys- téme existait en Chine de- puisledébutdurégne de Tempe- reur Wu (14187 av. JC), sous ladynastie Han. Dansle systéme sino-centré qui dominaitlesrela- tions internationales en Asi orientale, les monarchies péri- phériques de "Empire chinois devaient accepter le calendrier mpérial. En maitrisant le temps, Yempereur chinois imposait sa titulature. Aprés un événement, a pratique des noms dre est trés ancienne en LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 ‘néfastele plus souvent, on chan- geait ’ére et on revenait Aan 1 ‘unenowvelle ére, Cétait Focca- sionde gracier certains condam- nés ou Pabolir certaines dettes. Les noms d’ére étaient en géné- ral décidés par Tempereur, par- fois a Fissue de propositions faites par ses conseillers. A partir du vir siécle, en imitation de la Chine des Tang, le Japon instaura son propre systéme d’éres. Par cette création, la cour de Nara slaffirmait comme une petite monarchie indépendante face a Empire chinois et refusait dentrer dans le systéme tributaire. Ce procédé des éres impériales a été aboli en Chine avec la république proclamée en 1912. Au Japon il perdure, mais, depuis ere Meiji (1868- 1912), unnom dere estattribué A chaque empereur La signification du nouveau nom d'ére prociamé le 1° mai 2019, Reiwa, est ambigué. Le Premier ministre Abe Shinz6 a fait savoir que expression / 23 était tirée du Manyésha, la « harmonie » qui devait régner Ala légitimité issue des urnes, premiere anthologie poétique entre Japonais face & ladversit. dans les démocraties).tlyaurait Jjaponaise compilée vers 760. II De son cété, depuis les donc une sorte d'accord tacite a particuliérement insisté surle années 1990, le régime chinois entre le régime et la population fait que les deux idéogrammes _invoque volontiers certaines chinoise : le Parti assure & cette la composant avaient été valeurs confucianstes & appui demiére un certain bien-ére choisis non dans les classiques _de sa politique autoritaire. Le matériel, et celle-ci se tient chinois, comme c’était le cas _ principe d’harmonie sociale, ‘tranquille. Et de fait, il ne faut ferqwA prGsen, maw dengan wicca evant par lepieilet i ea soup-extener Ie poDEER texte japonais. La traduction Jintao (2003-2013), prévoyait de la population au régime. officielle deReiwaenanglaisest une réduction des inégalités Beaucoup de Chinois craignent «beautiful harmony ». Chez les économiques & des fins de par-dessus tout le chaos, d’od Occidentaux, cette expression stabilité sociale, ce qui était ailleurs le succds des discours n’évoque évidemment rien _nécessaire. Mais le concept sur« Pharmonie », et préférent mais elle ne va de soi ni pour a aussi des dimensions plus Sen remettre 4 un pouvoir qui les Japonais ni pour les Chinoi négatives : 'harmonie sociale garantit la stabilité sociale. Si wa, « harmonie », n'est pas Sans compter, évidemment, trop problématique, on voit aa . quelapropagande cfla censure asez naturellement dans le Beaucoup de Chinois craignent — Ae ijitsenr guare de place & Composant rei une notion le chaos, d’ou le succes des la eritique et aux opinions ee eer eves discours sur « Vharmonie » eee années 200;.\ ‘ordonnée » ou méme « imposer régime chinois avait quelque Vharmonie » est souvent présentée comme peu teliché son étreinte. Mais - | prioritaire par rapport aux depuis Farrivée de Xi Jinping Rivalité avec la Chine revendications individuelles, en 2013, une nouvelle phase En Chine on a pu regretter que sacrifiées sur Pautel de Pordre et dautoritarisme s'est mise lenouveau nom r’ait pas été tiré — dubien-étrecollectif. Le discours en place. Plusieurs facteurs des classiques chinois.Certaines _ sur harmonie sertdonc aussi les expliquent ce raidissement : la réactions au Japon comme en _velléités autoritaires du pouvoir. personnalité de Xi Jinping sans Chine ont été ironiques:lenou- Le 1" octobre 2019, la Chine doute, mais aussi la nécessité ‘veati nom d'ére se veut plus ja. féte le 70* anniversaire de la de prévenirla contestation ou le pons, maisle paragraphe oti prise du pouvoir par le PCC... vette ape ‘mécontentement A un moment est tirée la citation est tout de Le régime désormais stabilisé A brent oii la Chine va étre confrontée & mémeécritenchinoiscassique. invoque volontiers ses réussites, p70 des jeunes des difficultés inédites, comme De plus, des expressions tres en particulier en matiére japonaisesaffichent 18 baisse de la croissance proches de ce nom se trouvent économique, pour justifier son Reiwa sur leurs économique et le vieillissement dans des sources chinoises bien pouvoir. Cest ce qu‘on appelle téléphones portables. de sapopulation. La lutte contre antérieures au Manyéshd...__ parfois la « Iégitimité par la Rencontre entre lacorruption, qui gangréne tous Dans les deux pays, beaucoup performance » (par opposition traditionetmodemité, les échelons de Etat, » > > se sont demandé comment interpréter le nouveau nom dre, Certains commentateurs ; Shingigontencinis queledapan 2 az Qo voulait « ordonner la paix », de facon relativement agressive, et y ont vu une dimension natio- naliste qui rappelle de mauvais souvenirs a la Chine. Les discours politiques en Asie orientale se construisent tres volontiers autour de la notion confucéenne @harmonie. Et pendant la Seconde Guerre mondiale, la propagande Japonaiseinsistaitsur harmonie nécessaire des peuples Asie sous la direction de Yempereur > > requiert aussi un pouvoir fort. Et les nouveaux moyens techniques facilitent bien sti la surveillance de masse. Ilya unesorte de concurrence des discours chinois et japonais sur 'harmonie. Mais les Japonais « oublient » que Vharmonie n'est pas un concept origine japonaise. Quant aux idéologues de lactuel régime chinois, ils « oublient » que cette harmonie confucianiste ne va pas de soi dans un systéme qui se revendique encore comme communiste : Mao détest cette harmonie et lui préférait la lutte des classes. Dans les deux pays, pour des raisons différentes, « Pharmonie » est ainsi devenue un concept & géométrie variable, mais parfaitement compréhensible dans le langage de Fautre. ‘Du cété japonais, on est bien sfir inquiet devant la montée en puissance économique et surtout militaire de la Chine. Le pays assiste aussi un peu éberlué et parfois agacé a Varrivée depuis quelques années de millions de touristes chinois, une foule un peu turbulente mais somme toute bon enfant. Issus des nouvelles couches moyennes, ces visiteurs dépensent sans compter et font Iebonheur des grands magasins et des boutiques de luxe, D'une manidre générale, la population ne ressent pas d’animosité particuliére contre la Chine. Inversement, le sentiment antijaponaisreste fort en Chine ; il est largement entretenu par le pouvoir, dans le cadre une affirmation nationaliste detestable. Des relations apaisées On peut se demander si la confrontation & terme entre la Chine et le Japon est inéluctable Mais il faut quand méme remarquer que le Japon a, au cours des sidcles, entretenu des relations plutét bonnes avec le continent, envoyant des ambassades, organisant des échanges commerciatx et culturels intenses, accueillant moines et lettrés chinois fuyant la persécution ou les invasions étrangéres. Le Japon des Tokugawa (1603-1867) wa cependant jamais reconnu la dynastie Qing dorigine mandchoue, considérée comme usurpatrice. Le Japon a done toujours étéen paix aveclaChine sauf bien stir durant la terrible Période qui va de 1894 a 1945, au cours de laquelle Empire Japonaiss’est montré tres agressif ‘is-d-vis de son voisin. Et, depuis 1945, les relations ont été soit inexistantes, soit plutét bonnes. Néanmoins les dirigeants conservateurs japonais restent ambigus concernant le passé et ceci entretient artificiellement un certain ressentiment chinois attisé parfois par les autorités de Pékin. Mais il n’est au fond de Pintérét d'aueune des deux parties d’aller un jour & la confrontation. Diailleurs, depuis quelques mois, les relations se sont plutdt réchauffées. La rivalité entre les deux pays ne parait pas a Vheure actuelle une menace pourlapaixoulastabilité de la région ; elle lesten tout cas beaucoup moins que la question taiwanaise, ou la situation dans la péninsule coréenne. Bien entendu, des tensions dans ces régions pourraient par ricochet envenimer les relations sino- Japonaises, étant donné les accords entre le Japon et les Etats-Unis. m * Professeur honoraire & Uuniversité de Geneve ¥* Professeur université de Genéve PCr eee Raley Un miracle a réinventer Avec Pierre Alexandre, Francois Bon, Bruno Cabanes, ea Ree a Laurent Fourchard, Phi LeIsToE/ Nase /ocTOBRE 2018 Ua Ou le Cn sana eee Disponible aussi sur www.thistoire.fr, sur tablette et smartphone i 3 CR a ees See eee ets Fed ata eee ee LE SAMEDI A 18H LUHISTOIRE L AVENIR A UNE HISTOIRE eTLHTV 7B wm, WO | TOO 26 / Actualité « Moby-Dick », la baleine et le corset Né ily a deux cents ans, le 1°" aotit 1819, Herman Melville, Vauteur de Moby-Dick, a livré une ceuvre aux multiples significations historiques. Sylvain Venayre* Ly a trois fagons d'inscrire dans histoire le grand ro- ‘man américain de Herman Melville Moby-Dick ou Le Cackalot, publié pour la pre- mire fois en 1851 & Londres!. La premiere, la plus évidente, est de considérer la place du livre dans Vhistoire de la litté- rature. A sa sortie, le succés de ‘Moby-Dick fut certes modeste et, pendant longtemps, seuls les lecteurs anglophones purent en bénéficier. En France, il fallut attendre 1939 pour qu'une tra- duction fit enfin disponible. Mais le roman de Melville est désormais entré au panthéon de la littérature universelle. 11a fait Fobjetd'innombrables adap- tations au cinéma (dont celle de John Huston en 1956), au thédtre ou en bande dessinée. Test devenu trés difficile de ne pas connaitre Vhistoire du capi taine Achab etduPequod, méme quand on n’a pas lu le roman, LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 Industrie i-dessus, ce dessin Achille Saine-Aulaire représente une scéne dechasse au cachalot (1830) Les fanons du ‘mammifere servaient ‘la fabrication des corsets comme ceux dont Fafiche de droite vante les qualité. focus Lauteur de ce succés mon- dial est un homme de la céte est des Etats-Unis d’Amérique. ‘Herman Melville est né & New York le 1" aodit 1819, of ila passé les onze premieres an- nées de sa vie avant de revenir s'y installer & Tage de 28 ans. Ses références lttéraires étaient celles, alors trés britanniques, de la Nouvelle-Angleterre. ‘Au premier rang se trouvait Shakespeare. On n’oubliera pas que, pour Melville, les planches du pont du Pequod étaient celles d'une scene de théatre et que le capitaine Achab vivait un drame shakespearien. Contrairement & son ainé Edgar Poe, qui passa sa vie entre Boston, Baltimore et Philadelphie, Melville avait beaucoup voyagé. Le 26 dé- cembre 1840, il sétait inscrit dans e port de Nantucket surle réle d’équipage d'un trois-mats, Acushnet, pour une longue /27 ‘campagne de péche a la ba- leine. Apres avoir déserté lors lune halte aux iles Marquises, cen juillet 1842, il sétait engagé sur deux autres baleiniers, puis sur une frégate de la marine de ‘guerre des Etats-Unis, avant de revenir en Nouvelle-Angleterre en octobre 184. Crest cette ex- ppérience quilui a fourninon seu- lement les sujets de son ceuvte, depuis ses premiers romans (Taipi, Omou) jusqu’d Moby- Dick, mais aussi une grande part de son style, emprunté a la langue des marins. Avec Mark ‘Twain, premier écrivain né loin de la céte est, attentif aux dialectes de la val- lée du Mississippi, Melville ‘compte ainsi parmi les prin« paux auteurs qui, vers le miliew du x0e sigcle, inventdrent une littérature proprement améri- caine, en partie émancipée du ‘modeéle britannique. Le phénomeéne baleinier La deuxiéme facon d’insérer ‘Moby-Dick dans le grand mou- vement de histoire consiste & le considérer comme un formi- able témoignage sur le phéno- méne baleinier. Situé entre New York et Boston, New Bedford, au large duquel se trouvent les files de Nantucket et de Martha’s Vineyard, était alors le premier port baleinier du monde. Avec plus une centaine de navires, laflottebaleinigre des Etats-Unis ‘Amérique dominait toutes les autres. Si 'un des plus fameux livres qui racontérent cette his- toire fut la Relation des régions ‘arctiques, avec une histoire et une description de la péche de la baleine dans les eaux septentrio- nales (1820) du Britannique William Scoresby, que Melville ‘emprunta a la bibliothéque de New York, la plupart furent le fait dauteurs américains ~ & Vimage de Miriam Coffin ow Le Pécheur de baleines (1834) de Joseph C, Hart. En 1838, Edgar Poe fitcommencer les Aventures Arthur Gordon Pym dans le port baleinier de Nantucket, oi était né son héros. En 1869, ‘quand Jules Verne publia Vinge Mille Liewes sous les mers, il était parfaitement logique que son personnagedeharponneur, Ned Land, fat citoyen des Etats-Unis Amérique, La péche a la baleine était in- dustrielle. Les fanons servaient ala confection des parapluies et des corsets. La graisse fon- due était transformée en huile utilisée pour léclairage public ‘ou comme lubrifiant. Les eacha- lots fournissaient le spermaceti, substance grasse présente dans leurscavitéseraniennes (jusqu’a ‘Ltonne parindividu), et?ambre ais, une concrétion intestinale. Le premier, sous forme de cé- tine, était utilisé dans Pindus- trie cosmétique. Le second ser- vait a fixer les parfums. Il est fascinant d'imaginer que ces équipages de durs & cuire, par- tis chasser sur tous les océans les plusgrandsanimaux du monde, setrouvaientainsiau bout d'une chaine conduisant aux corsets, aux produits de beauté et aux parfums des élégantes des villes occidentales. Enfin, il est une troisiéme facon d'intégrer Moby-Dick aux grands phénomenes his- toriques de son époque : ceux ae AMERIQUE — So DU NoRD ew ard Van . pears ooby EUROPE SAmenique Du SUD on-ver (5 Zone de péche La traque du cachalot blanc le Pequod quitte Nantucket en direction des Acores. I délass le trajet le plus direct via le Cap Horn. Laffrontement avec Moby Dick a lieu dans Vocéan Pacifique sur la ligne de l’Equateur. avec le Mexique dontTenjeu était econtréledes immensesespaces de POuest, que leur victoire de 1848 leur permit des‘approprier. Ala fin des années 1840, ces événements furent interprétés par un certain nombre de théo- riciens politiques états-uniens comme laréalisation d'une «des- ‘tinée manifeste » : en dominant le continent, depuis "Atlantique jusqu’au Pacifique, les Etats-Unis ‘accompliraient tout simplement les desseins de la Providence. Avec Mark Twain, Melville ‘Ambition états-unienne invente une littérature Tout cela les engagea a se pré- reper ‘occuper désormais des routes proprement ameéricaine commerciales au large de la qui concernent cette fois l'ave- nement de la puissance états- ‘unienne. Depuis leur indépen- dance a la fin du xvmt siecle, les Etats-Unis s'étaient signalés attention du monde par leur défense de la liberté du com- merce. Leurs expéditions sur les cdtes de Afrique duu Nord (Maroc, Tripolitaine) dans les années 1800, la guerre quills avaient déclarée & la Grande- Bretagne en 1812 avaient eu pour but la sécurité de la circu- Jation commerciale dansT/Atlan- tique et la Méditerranée. Depuis quelques années, leurs regardsse tournaient vers océan Pacifique. Aprés avoir annexé le ‘Texas, en 1845, et acheté le sud del Oregon, en 1846, ilss’étaient eneffetengagés dans une guerre Californie. En 1853, ils dépé- chérent une escadre de guerre pour établir des relations diplo- ‘matiques avec le Japon, afin de signer un traité de commerce demandant notamment que leurs baleiniers puissent accos- ter dans les ports de Parchipel afin de se ravitailler en eau po- table. Ils pouvaient pour cela se fonder sur leur longue ex- périence baleiniére dans les parages. Est-ce un hasard si le Pequod fut détruit par le chalot blane aprés @tre passé au large du Japon ? En 1851, le Moby-Dick du New-Yorkais Melville venait son heure dans Phistoire de expansion des Note fs i Note smeitoues ‘Etats-Unis Amérique. traductons est celle de Professeur & Puniversité «laPiiade (2006), Grenoble-Alpes LUISTOME / Nae / OCTOBRE 2018 28 / Actualité Site internet Aujourdhui encore Tes Cours de civilisation frangaise dela Sorbonne accueilent de nombreux étudiants de toutes les nationalités. « Welcome students ! » Des étudiants étrangers a la Sorbonne, V’idée n’est pas neuve. En 1919 déa, les Cours de civilisation frangaise montraient le désir Couverture et de rayonnement de Université de Paris. Par Emeline Seignobos* tout cas, ne nous oublies Pas, pensezquelquefois dla France, et lorsque ce souve- nirtraversera vos esprits je forme le veeu quill ne s‘accom- agne d’aucune tristesse, mais quiau contraire il éveille sur vos Lévres un sourire. » Cest en ces termes que le recteur Paul Lapie conclut son discours de remise des diplémes le 27 février 1926 devant une centaine ’étudiants étrangers réunis dans le presti- gieux amphithéatre Richelieu dela Sorbonne. Nésen 1919, les Coursde civi- lisation francaise dela Sorbonne dont sont issus ces étudiants sont alors une récente création de Université de Paris. Son dé- sir ouverture et de rayonne- ‘ment international trouve dans les lendemains de la Premiére Guerre mondiale un vibrant écho avee idéal humaniste lune paix durable fondée sur les échanges et les liens inter- nationaux’. A ce terrain idéolo- gique et institutionnel propice LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 Peed stajoute une opportunité : T'ac- cueil, das le début de Pannée 1919 & l'Université de Paris, un millier d’étudiants améri cains, officiers et soldats venus des armées du front aprés Par- mistice. Le programme élaboré & cette occasion est adapté. Il présente les différents aspects de la civilisation francaise et de son histoire afin de répondre aux difficultés culturelles et mé- thodologiques rencontrées par ces étudiants, Pour pérenniser cette expé- rience, une structure adminis- trative spécifique est imaginée. Elle réunit le Bureau des rensei- gnements scientifiques de IUni- versité de Paris, fondé en 1903 pour guider les étudiants dans leurs études et leur installation, et le Comité de patronage des étudiants étrangers, qui octroie depuis 1899 quelques bourses et préts, ensemble est placé sous Pégide de la Société des amis de Université de Paris (SAUP). Cette association avait été créée en 1899, soit trois ans aprés la Joi Goblet dotant les facultés, devenues Université de Paris, dune autonomie financitre et d'une personnalitécivile. 24 nationalités La SAUP, forte d'un certain nombre de donations et de legs, apporte une aide financiére aux différentes composantes de l'Université (Laboratoires, bi: bliothéques, instituts..) et ses étudiants & travers des bourses ou des subventions. A partir de 1926, elle assure la publica- tion semestrielle des Annales de PUniversité de Paris, conte- nant comptes rendus, articles, bibliographies, chroniques de la vie de P'Université et dis- cours de rentrées solennelles et dinaugurations. Lesucces rencontré par ce qui porte aussile nom d's extension universitaire » de PUniversité de Paris est immédiat, appuyé par z /29 une intense « propagande?» lan- ‘cée aux quatre coins du monde endirection des institutions aca- démiques, des postes diploma- tiques, de la presse. Le 1 no- vembre 1919, alors que Fonde de choc politique et écono- migue du premier conflit mon- ial affecte encore les mobilités internationales, sont accueillis 150 étudiants, de 24 nationa- lités différentes. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, ils sont plus de 1000. Les liens ‘demeurent importants avec les Etats-Unis et leurs universités, ‘qui envoient des groupes d'étu- diants ds 1923, Le prestige comme le charme de la Sorbonne opérent donc pleinement auprés d'un public international francophile sou- haitant sinitier au « point de ‘vue francais », avant de pour- suivre un cursus universitaire en France ou de retourner dans son pays. Un semestre de ‘quatre mois permet ainsi aux étudiants possédant déja une ‘connaissance élémentaire de la Jangue frangaise de suivre des conférences, en littérature fran- aise, histoire, histoire de Yart, histoire des idées, sciences, droit, économie, professées par des maitres de Université de Paris, Un cours sur « la vie fran- «aise» vient compléter offre pé- dagogique en 1929. présenter. Dés 1920, des cours été, dejuilleta novembre, sont misen place. ‘Ancien directeur du Bureau des renseignements, agrégé allemand en 1913, spécialiste de pédagogie comparée, Henri Goy deviente premier directeur des Cours en 1919, poste qu'il oceupe jusqu’en 1952. Il erée et gere les programmes, solli- Le prestige et le charme de la tite les professeurs et organise Sorbonne opérent pleinement —_méme la « propagande ». Apres Occupation, durant laquelle les auprés d’un public francophile ——courssont délocalisés un temps Sajoutent a ces chaires d’en- seignement des « travaux pra- tiques », davantage centrés sur Ja méthodologie et les travaux écrits et oraux des étudiants. En 1934, un « cours pratique de langue francaise » (phoné- tique, grammaire, composition francaise) est introduit dans le cursus. Lensemble est sanc- tionné par un dipléme d'études de civilisation francaise signé par le recteur de Académie, ‘que les étudiants sont libres de a Tuniversité de Montpellier, Henri Goy parvient dés 1946 & réunir quelque 400 auditeurs venus du monde entier écouter, au cceurd'une Europe meurtrie, les maitres de la Sorbonne. En2019, les Cours de civilisa- TO ce tion francaise de la Sorbonne, ‘ct noone abrités depuis dixans parla fon- Janaisance de dation Robert-de-Sorbon, héri la intemationale _tidrede laSAUP, fétentdoncleur ilversitaie de Faris, premier centenaire. Bere uiliédanses | ————— Schivesde institution, * Docteure @ Uuntversité ausensde public». Paris Sorbonne REDECOUVREZ LE SITE ARCHEOLOGIQUE Pas 20 SEPT. 2019 NRT e ea gelis DE MARSEILLE UPRISTOME/ Wrage / OCTOBRE 2018 /31 Une révolution démocratique a Est, Carte : du communisme & la démocratie Pourquoi Gorbatchev a laissé faire Thérapie de choc en RDA, Portfolio. Ala recherche du pays disparu \Comment Orban raconte Ihistoire « Un moment de bonheur » 1989-2004 La chute re ct et apres ? Le 2 mai 1989 la Hongrie démantéle le rideau de fer sur sa frontiére avec YAutriche. En aod, les Allemands de Vist en profitent pour passer en masse A !Ouest avant que le Mur tombe. En quelques mois ce sont tous les pays du camp soviétique qui se libérent HISTOIRE /N*a64/ OCTOBRE 208 32/ La transition démocratique a l'Est En quelques années, l’ancien bloc de VEst accomplissait simultanément deux transformations historiques : le passage d la démocratie et Vadoption d'une économie de marché. Derriére les images de propagande, retour sur les réalités contrastées de la sortie du communisme. Quel bilan en 2004 ? Par Roman Krakovsky prs le suecs des négociations entre le pouvoir polonais et Solidarnose au début de Tannée 1989, les premitres élections libres sont organisées. opposition gagne la totalité des sibges au Sénat et de ceux (35 9) remis au vote au Sejm (Diéte. Das juillet 1989, le président communiste Jaruzelski(@ gauche) sy retrouve a c6té du chef de Solidarnose Lech Walesa (au centre) et de son conseiller, le grand historien du Moyen Age Bronislaw Geremek (a droite). LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 /33 rente ans aprés la chute du communisme, les pays del'Eu- rope centrale et orientale sont en train de basculer vers des autoritarismes d'un type iné- dit : les « démocraties illibé- rales ». La Pologne et la Hongrie sont les premiéres a s'engager sur ce chemin alors que ce sont elles qui, dans les années 1980, ont été les premiéres & remetire en question le systéme communiste. Les révo- lutions de 1989 ont-elles échoué a faire adve- nir un ordre social nouveau, fondé sur la démocratie et les libertés ? 31989 : « année zéro» ? Les événements de 1989 constituent une « révolution » au sens oii leurs conséquences furent irréversibles. Pour les contemporains cependant, ces changements s'inscrivaient dans la continuité des années précédentes. La crise économique des années 1980 avait en effet conduit les gouvernements communistes A souvrir au changement. Au sein des partis, tune jeune génération d'économistes sétait alors tournée vers le libéralisme. Inspirés de Milton Friedman et de Pécole de Chicago’, Vaclav Klaus cen Tehécoslovaquie ou Leszek Balcerowicz en Pologne ceuvrérent dans les années 1980, pour réduire lingérence de état dans économie, Certaines Economies planifiges introduisirent progressivement des mécanismes de marché. En Hongtie, le secteur privé se développa des le début des années 1980 et, vers 1985, il repré- sentait déja 80 % du secteur des BTP, 60% des services, 20% de lagriculture et 15 %de Findus- trie, générant prés de 30% du PNB. En 1987, le gouvernement renonca & garantir & chacun un ‘emploi, entrainant Yapparition du chémage. Parallélement, le pays souvrait aux investisse- ments étrangers. En Pologne, en 1989, le pro- ‘gramme de réformes, élaboré avec Taide des ex- perts du Fonds monétaire international (FMD), amorga un processus de privatisation. Diautres pays, comme la Tehécoslovaquie, re- poussérent les réformes car leur situation écono- mique, moins dégradée, le leur permettait. Mais laplupartn’eurent dautre choix que de suivreles recettes libérales du « consensus de Washington » EMI, Banque mondiale) et d'adopter une stricte discipline budgétaire ou dautoriser Ventreprise privéeafindes'assurer le soutien des ailleurs oc- ccidentaux. A la fin des années 1980, dans le bloc dest, !économie de marché et la dérégulation siimposérent comme les seulesalternatives au so- cialisme, devenu synonyme de pénuries et dinef- ficacité. Le terrain était prét pour que les « révo- lutions » de 1989 prennent des formes libérales. Le passage & la démocratie fut, lui aussi, un processus progress. Dés les années 1980, Pop- position en Pologne et en Hongrie engage un dia- Togue avec le pouvoir. Malgré quelques résultats AUTEUR ‘Maitre de fat'université de Genvve, Roman ‘anotamment publié LBurope centrale et orientale, de 1918 Alachute du mur de Berlin Armand Colin, 2017) et Le Populisme fen Europe centrale etorientale. Un fvertissement pour Jemonde? @ayard, 2019). années 1950, opposé ala théorie keynésienne, et ddont Milton Friedman est la igure emblématique. 2. Terme introduit par Jasociologue polonaise Jadwiga Seanierkis dans Pologne. Larévolution cutoliitée, PUR, 1982. positifs, le gouvernement polonais ne parvint pas assainir a situation économique. Une nou- velle hausse des prix de 110 %, en février 1988, provoque une hyperinflation et déclenche une vague de gréves pendant le printemps et Péé 4quela policene parvient plus mattriser. Le Parti ‘communiste continue a perdre massivement ses membres tandis que le syndicat indépendant Solidarnose, fondé en 1980 par Lech Walesa et Interdit depuis 'état de sidge de 1981, simpose comme leader de Fopposition (cf. p. 37). ‘Alors que Mikhail Gorbatchev met en ceuvre ‘en URSS la perestroika (¢f. p. 42), refuser des ré- formes devient impossible. Pour apaiser le mé- contentement populaire, le gouvernement fait appel & Lech Walesa afin de négocier avec les agrévistes, Selon le ministre de Fintérieur le gi néral Czeslaw Kiszczak, Vobjectif des négocia- tions « de la table ronde », organisées entre fé- vrier et avril 1989, est de trouver un accord afin de continuer & construire le « socialisme avec un visage démocratique et humain », Ces pour- parlers aboutissent 3 un compromis la légali- sation du syndicat Solidarnose et organisation élections semi-libres, en juin 1989 : la totalité des si'ges du Sénat (chambre haute) et35 % des sidges au Sejm (Die) sont remis au vote, avec, pour la premiere fois depuis 1947, des candidats non communistes, tandis que les postes de pi sident, de Premier ministre et de chef de a police et de l'armée sont réservés aux communistes. La participation est assez modérée ~ 62,7 Yau pre- ier tour et 25 % au second. Mais ce qui sem- blait étre un bon arrangement pour le pouvoir savére un échec:: malgré le contréle des princi- paux médias et une liste lectorale communiste composée de personnalités locales mais aussi de célébrités sportives et médiatiques, Solidarnose remporte tousles sidges remis en jeu. Apres cette défaite humiliante, les communistes polonais ne sont plus en mesure de former tn gouverne- ment. Le24aoit 1989, lechefdeTétatJaruzelski doit accepter le candidat de Solidarnose Tadeusz Mazowiecki au poste de Premier ministre et, en décembre 1990, ildémissionne ; Lech Walesa est élu lors élections libresle 9 décembre 1990. Au terme decette «révolution autolimitée», le com- ‘munisme tombe sans violence. En Hongrie, Cest 'opposition & Tintérieur ‘méme du Parti qui conduit le pays vers la sortie du communisme. En 1986-1987, son aile lite rale prépare un plan de réformes stipulant entre autres résolutions la liberté de la presse et la li- berté d'opinion. Malgré les résistances de Vaile conservatrice du Parti, le plan est aciopté par le Comité central en 1988 et, par la méme occa- sion, le premier secrétaire du Part, Jénos Kédar, en place depuis 1956, viewx et physiquement diminué, est remplacé par le conservateur plus pragmatique Karoly Grész. Le nouveau gouver- nement hongroisadopte alors un programme ti- sannuel de privatisation des entreprises » > » LUISTOME / Nae / OCTOBRE 2018 34/ La transition démocratique a Est Premiére bréche en Hongrie Le 2 mai 1989 le pouvoir hongrois dévide de démantelerlerideau de fer Asa frontitre avee VAutriche, Sur eeste photo, 1n soldat hongrois cisall les fils barbelés, LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 >>> ditat et de transition vers économie de marché. En février 1989, le Parti, mené par une nouvelle génération de dirigeants appréciés pour Jeur expertise et, pour certains, formés l'Ouest, ‘comme le Premier ministre Miklés Németh, re- nonce de Iui-méme a son r6le dirigeant et an- nonce Porganisation d’élections libres au prin- temps 1990. Cette décision accélére le cours des événements. Durant Yannée 1989, alors que YURSS relache son étreinte sur ses satellites, la Constitution est amendée et la Hongrie cesse étre une « république populaire ». En trois ans, cette « révolution » pacifique qui a commencé comme une réforme interne du Parti vachéve par Peffondrement du socialisme. Les événements en Pologne et en Hongrie ont un impact dévastateur sur les autres pays de la région, plus conservateurs : la Tehécoslovaquie, Ja RDA, la Roumanie et la Bulgarie. Ils ont mon- ‘ré que ni Pusage de la force ni les réformes pro- gressives ne permettaient de sauver le systéme. Les régimes communistes, complétement dis- crédités, s’écroulent les uns apres les autres en quelques semaines. Pourtant, Pobjectif des réformes des an- nées 1980 n’était pas de renverser le commu- nisme. II s'agissait d’améliorer les conditions de vie des populations en élargissant les liber- tés et en permettant a la société de s’organiser de facon plus indépendante du pouvoir. Le désir d'une vie décente s'est mué progressivement en desir de libération d'un régime oppressif et sclé- rosé. Ce qui apparaissait au départ comme une volonté de renforcer le socialisme aboutit ainsi & son exact opposé. Laquestion este savoirsice désir de ibération set transformé en désirde liberté, Cest-A-dire en tune volonté de vivre une vie politique, et > » > 1989 Février- avril Négociations « de Ia table ronde » ‘entre le pouvoir polonais et Solidarmosc. Le syndicat est légalisé; des élections semilibres sont prévues pour juin. 11 février Le Parti communiste hongrois autorise le multipartisme. 2 mai La Hongrie commence a démanteler le « rideau de fer » & sa rontiare avec UAutriche, 13 juin Une « table ronde » réunit en Hongrie ‘ous les partis pour définir a transition, democratique. 48 juin Victoire de Sotidarnosc aux élections en. Pologne.. 19 a0iit Pique-nique a la frontiére austro- hongroise. Plus de 600 Allemands de l'Est fuient vers "Autriche. 24 aoiit Premier gouvernement non communiste ‘en Pologne, sous la direction de Tadeusz Mazowiecki. 20 septembre Ouverture de la frontiére entre Hongrie et Autriche. Exode des Allemands de RDA via la Hongrie. 1 octobre Les Allemands de V'Estréfugiés dans les ambassades de RFA a Prague et & Varsovie sont autorisés & gagner la RFA. 6 octobre Le Parti communiste hongrals devient le Parti socialiste hongrois. 438 octobre Erich Honecker, secrétalre du Parti communiste de RDA depuis 1971, quitte le pouvoir. 123 octobre Fin de la République populaire de Hongrie ; proclamation de la République de Hongrie. 4 novembre Immenses manifestations & Berlir-Est et dans toute la RDA. ‘9:0 novembre Chute du mur de Bertin. 10 novembre Todor Jivkov, au pouvoir en Bulgarie depuis 1954, est écarté. 17 novembre Début de manifestations en Tehécostovaquie. 22 décembre Nicolae Ceausescu est renversé ‘en Roumarie. 29 décembre Vaclav Havel devient président de la Tehécoslovaquie et Alexandre Dubcek du Parlement. 1990 48 mars Premiéres élections libres en RDA et victoire dela coalition favorable & une réunification rapide, autour des chrétiens- ‘démocrates. Lothar de Maizire, chef du nouveau gouvernement de la RDA. 18 mai Signature & Bonn du traité d’ftat sur union économique et monétaire entre RDA ‘et RFA, ILentre en vigueur le 3" juillet. 8 juin Premites élections libres en Tehécoslovaquie. Victoire des anciens opposants +3 octobre Réunification de Allemagne. /35 2 2 3 Mer du Nora Mer Baltique uURSS RSS oc Bitionussie Bonn, RFA RSS 0’ Ureaine ta stuaton en 985 “Ouverture dela tonite Fonseca se. 989) ® cuted mur de sein Does ets baru = ‘tradition de résistance au régime twee ne sore gaguele anes id eine oman et ere Scns bernie Di rns resten deo du acte uamocctr tones Suooruane 1 bate chute te erent figin commence GSeoeposton StS Mer Noire Lipne Coogi ls Es Du communisme a la démocratie En moins d'une année, six pays d'Europe de (Est vivent des révolutions plus ou moins pacifiques et Fompent avec le communisme et 'URSS, Deux sortes de transition marquent le retour 3 la démocratie. En Pologne et en Hongrie, la sortie du communisme est graduelle et la démocratisation est facilitée par une tradition de résistance au régime. En RDA, en Bulgari, en Tchécostovaquie et en Roumanie, gouvernées par des apparatchiks conservateurs, la rupture est plus radical et, dans certains cas, meurtrigre (Roumanie).. Réformateurs Tegor Gaidar (a gauche), ministre des Finances et ‘de Economie URS, et le Polonais Leszek Balcerowicz (3 droite), ministre de Economie. Inspirés par Milton Friedman, ils ont ceuvré dé les années 1980 pour réuire le dle de état dans Péconomie de leur pays. UPRISTOME/ Wrage / OCTOBRE 2018 36 / La transition démocratique a Est Ton Iliescu Lech Walesa Leretour de Lopposant Uapparatchik déchu Membre dela Fondateur de omenklatura, i est élu président de Roumanie Solidarnosc en Pologne, il devient président dde 1990 8.1996 puis de en 1990 mals n'est 2000 3 2004 en as réélu en 1995 et imposant ta lot du seretire silence surla période _progressivement communiste. de Ia vie politique. Vaclav Havel Le dissident président lest un des rares dissidents qui fait ‘une longue carriére politique aprés 1989 : ilfut président de ta Tehécoslevaauie, puis de la République tcheque de 1989 8 2003. Vaclav Klaus Viktor Orban Le réformateur Le leader populiste libérat Jeune liberal pro- Défenseur des recettes_démocrate au début tltralibéraes, des années 1990, résolument puis conservateu, it feurosceptique et pro-_saffirme chef du ‘mouvement ilibéral fen Hongrie. Premier ‘ministre de 1998 & 2002 puis aprés 2030, ddu gouvernement puis président tchéque de 2003 3 2013. > > > siles populations de I Europe centrale et orientale développent un goat particulier pour la liberté et légalité, fondant ainsi une nouvelle forme de gouvernement et un nouvel ordre so- ial. Les changements politiques et 6conomiques des années 1990 et 2000 apportent quelques élé- ments de réponse & cette question. La recomposition des élites La sortie plus ou moins pacifique et négoci¢e du communisme avait un prix. Une partie des anciennes élites politiques et économiques par- vient & maintenir ses positions. Selon les esti- mations, prés de 50 % des cadres économiques polonais de 'aprés-1989 ont déja occupé des postes dans les conseils d'administration des entreprises d'Ftat avant 1989. Nombre de ces biznesmeni (« hommes d'affaires ») participent activement aux privatisations des années 1990, bénéficiant du réseau, dela connaissance intime dusystéme économique et de esprit d'entrepre- neur qu'ils ont pu développer dans les années 1980, au: moment oi le socialisme souvrait aux meécanismes de marché, Un processus similaire se déroule dans la vie politique. La plupart des partis communistes cChangent de nom et se reconvertissent en partis socialistes, conservant les biens immobiliers et Jes avoirs de Favant 1989, et s‘intégrant dans le nouvel environnement politique marqué par le pluratisme. Cest surtout le cas dans les Balkans ol 'opposition était quasiment inexistante avant 1989. Les anciens partis communistes y rem- portent des majorités absolues lors des premidres Glections libres organisées aprés 1989 : le Parti LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 ote Soldarnse (8) 35 19891991 Solidarnosc s'effondre Apres le triomphe aux Glections semitibres de juin 1989 (le syndicat remporte tous les sidges emis en jeu), les ‘remiares élections législatives libres de 11991 sont marquées par lune defaite et, en 1993, le syndicat ne franchit, ‘méme pas a barre de 5% pour étre représenté, socialiste bulgare obtient 53 %, le Front de salut national en Roumanie 67 % (son candidat, 'an- cien apparatchik lon lliescu, remporte 85 % & la présidentielle), le Parti socialiste serbe 77 % (son candidat Slobodan Milosevic, ancien Premier se- crétaire du Parti communiste serbe, devient pré- sident avec 65 % des voix). Le méme processus se déroule en Albanie et dans les républiques de Vex-Yougoslavie oit les chefs nationalistes issus des partis communistes arrivent au pouvoir en. instrumentalisant les différences économiques et cethniques entre les républiques de la fédération, déclenchant une guerre fratricide’, Les membres de 'ancienne opposition au pou- voir communiste sont rendus responsables du. ‘tournant néolibéral des années 1990 qui a en- trainé le chémage de masse, la paupérisation et Finsécurité. Ils quittent peu a peu la scéne politique. En Hongrie, les élections libres de mars 1990 se soldent par la victoire du Forum émocrate hongrois (24 96), un parti conserva- teurnationaliste formé en 1987, Lalliance avecle Parti des petits propristaires et le Parti populaire démocrate-chrétien, interdits depuis 1949 et nouvellement reconstitués, lui permet de former ‘un gouvernement de coalition. Les anciens réfor- mateurs du Particommuniste (10% des votes) et les dissidents réunis au sein de Alliance des dé- mocrates libres (22%) restent dans Popposition. Apart Vaclav Havel, les opposants libéraux qui avaient porté la révolution nont pas réussi a se maintenir au pouvoir 5 3 i /37 Les fréres Kaczynski Les jumeaux conservateurs Issus de Solidammose, is s'opposent la « thérapie de choc » des années 1990 et fondent leur propre parti Droit et justice (Pi) en Pologne. Conservateurs, ils occupent les postes de chef d’Etat et de chef ‘du gouvernement jusqu’a la mort de Lech (a droite) dans un accident d’avion, en 2010. Apres 2035, Jarostaw, chef du PS, diige defacto le pays sans pour autantbriguer les fonctions de président ou de chef du gouvernement. En Pologne, les premiéres élections libres or- ‘ganisées en octobre 1991 conduisent également {la défaite de Solidarnose (5 %). Aucun autre parti ne sort réellement vainqueur des urnes : le Parlement est constitué par les représentants Pune dizaine de petits partis. Deux ans plus tard, Solidarnose nenvoie plus aucun député au Parlement, tandis que les anciens communistes réformateurs (Alliance de la gatuche démocra- tique) remportent 64 % des voix. En Tehécoslovaquie, le Forum civique, formé par les anciens intellectuels dissidents de la Charte 77 conduits par lécrivain Vaclav Havel, obtient 67 % des votes en 1990. Or, son unité repose essentiellement sur lopposition au com- munisme. Lorsque celui-ci tombe, le mouvement se fractionne. La recomposition du paysage po- litique sera une des principales caractéristiques des années 1990 dans la région. Conversion des médias communistes Les médias traversent un processus similaire : les grands quotidiens de la période communiste qui, a la fin des années 1980, étaient déja re- lativement libres parviennent a se reconvertir en journaux d'opinion centre gauche tout en conservant leurs journalistes, leur savoir-faire cet leurs abonnés, EnHongrie, Népszabadség, Vorgane officiel du Parti communiste fondé en 1956, devient aprés 1989 le principal quotidien de la gauche libé- rale. En Tehécoslovaquie, Mladé Fronta Dnes, or gane de Union de la jeunesse fondé en 1945, ct la version slovaque de Pravda, créée en 1920 selon le modéle russe, traversent une période Dix ans de combats en Pologne ans les années 1970, la Dice ere ine fonde crise économique. La dégradation des conditions de vie des populations amplifie le mécon- tentement populaire. Lorsque le gouvernement annonce une nou- ‘elle hausse des prix, en juin 1980, les ouvriers de plusieurs sites in- dustriels se mettent en gréve. Les grévistes comprennent que l'amélio- ration de leurbien-étre passe parunaffranchissement dela société des structures du pouvoir. II ne s’agit pas alors de rompre avec le commu- nisme mais de permettre a la société de s’organiser de facon plus in- dépendante de Pétat, désormais incapable de remplir ses promesses. Pendant l’été 1980, les chantiers navals de Gdansk deviennent le centre du mouvement de contestation. Le mouvement de gréve s’étend rapidement a tout le pays et formule des revendications nou- velles : la création de syndicats indépendants de I’Etat et la liberté de gréve et d’expression. Le pouvoir, dont la marge de maneeuvre se réduit avec la dégradation de la situation économique, ne peut plus ignorer ces demandes. Les pourpariers avec les grévistes aboutissent & des accords, signés le 31 aofit 1980. Le gouvernement y autorise la création d'un syndi- cat libre et garantit le droit de gréve, la liberté d’expression et la libé- ration des prisonniers politiques. Les accords de Gdansk ouvrent une bréche dans le monopole du pouvoir du Parti communiste et posent un fondement pour le pluralisme politique. Le 17 septembre 1980 est eréé Solidarnose, le premier syndicat libre d'un pays communiste. Un an plus tard, il compte déja 10 millions de membres tandis que sa branche rurale compte 3 millions de paysans. Mais surtout, le désir détre libéré du besoin, ¢'avoir de quoi manger, de quoi se vétir, ouvre la promesse d'un autre possible, car il permet de réaliser que 'amélioration de la vie quotidienne est conditionnée par la garantie de la liberté de pouvoir dire ce qui ne fonctionne pas et par Pégalité de traitement, principes fondamentaux d'une nouvelle forme de gouvernement. RK de turbulences mais restent eux aussi les princi- paux journaux de centre gauche. En Pologne, le quotidien Reeczpospolita, dont la parution estin- terrompue et la ligne éditoriale modifige & plu- sieurs reprises depuis 1920, est transformé en come 1989 par le dissident et futur chef du gouver- Tiawnee nement Tadeusz Mazowiecki. Depuis, il cutive Membre d'un petit. _une ligne éditoriale critique de tous les gou- ‘vernements successifs. En Bulgarie, le journal syndical Trud, fondé en 1936, tirait toujours & 300000 exemplaires en 2001. De nouveaux quotidiensapparaissent, comme Gazeta Wyborcza, fondé par le dissident polo- nais Adam Michnik en avril 1989, et de nom- breuses radios privées voient le jour. Cette efflorescence médiatique contribue a la diver- sification des opinions et des gotts. Dans un environnement instable et tres concurrentiel, la contrainte économique de- vient le principal danger pour une pr libre : les journaux et les magazines se > groupe de privilegiés dominant un secteur de activité économique «un pays. Depuis les années 1990, le terme désigne principalement ceux qui, en Europe post soviétique, se sont approprié les richesses rationales lors des privatisations et détiennent ainsi le pouvoir économique. vistone 64 / OCTOBRE 2018 38/ La transition démocratique a Est Prague : vous avez dit révolution « de velours » ? prés Pécrasement du en aoa 1968, le Parti communiste institue en Tehécoslovaquie un régime de « normalisation » : en échange d'une complete pas- sivité politique, PEtat s’en- gage a garantir une amélio- ration constante du confort matériel. Or, ce nouveau «contrat social » atteint rapi- dement ses limites. Lorsque Ia crise éeonomique des an- nées 1970 rend le pouvoir in- capable de remplir son enga- gement, les populations se sentent moins enclines a tenir Ie leur. Parailleurs, le caractére humiliant et avilissant de ce contrat devient de plus en plus manifeste. Dans les années 1980, lerégime tchécoslovaque est complé- tement sclérosé et réfractaire aux réformes. Mais comme ailleurs dans la région, la dégradation de la situation éco- nomique réduit sa marge de manceuvre. A Yautomne 1988 et au printemps 1989, des manifestations commémorent Vindépendance de 1918 et la mort de Jan Palach, qui s'est immolé par le feu en 1969 pour protester contre Pinva- sion du pays par les armées du pacte de Varsovie. La chute du mur de Berlin dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989 >>> retrouventréguliérement impliqués dans des affaires de corruption et changent souvent de proptiétaire. Les nouveaux pouvoirs n’hési- teront pas a utiliser l'arme économique pour faire taire des médias trop critiques a leur égard. Népszabadsdg disparait ainsi en 2016 sous la pression de Viktor Orban. En République tchéque, les premiers quotidiens nationaux Lidové noviny et Mladé Fronta Dnes se retrouvent en 2013 entre les mains du multimillionnaire et futur chef du gouvernement tchéque le popu- liste Andrej Babis. Privatisations par étapes Au début des années 1990, le libéralisme ap- parait comme la seule alternative au commu- nisme. Mais pour éviter les effets de la « théra- pie de choc » vécue dans l'ex-RDA (cf. p. 48), les autres pays de Pancien bloc de Est avancent prudemment dans la transition. En Pologne, les privatisations des mines de charbon en Silésie et des chantiers navals de la Baltique sont me- nées en concertation avec les syndicats et 'Etat conserve un rble actif dans leur gestion. Ailleurs, on procéde & une privatisation par étapes. La Bulgarie et la Roumanie tentent, au début des Notes membres LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 ‘A Prague, lors de la manifestation du 19 novembre 1989 ‘durement réprimée. 3.CEA. Madelan, = Yougoslave,e pays dispar», LHstoire n° 460, juin 2019, pp. 1223. 4. En droit deTUnion ‘européenne, Texpression ‘acqpis communautaire» Tait eférence ensemble dls droits et obligations juridiques quent les Eras donne une extraordinaire impulsion & ce mouvement et, le 17 novembre 1989, prés de 50000 personnes se rassemblent & Prague pour commémorer la mort de Jan Opletal. Le destin de cet étu- diant, tué lors d'une manifes- tation contre occupation al- lemande en 1939, renvoie & lasituation d’oceupation pré- sente, Liintervention violente des forces de ordre fait plus de 500 blessés et remobilise les populations. Des gréves éclatent un peu partout dans le pays. Le 22 novembre, une gréve générale est suivie par prés de 75 % de la population. Lorsquill devient manifeste que Moscou n’interviendra pas militairement pour rétablir Vordre, la peur qui a maintenu pendant presque vingt ans les masses dans la soumission dis- parait. Le 10 décembre, le président Gustav Husak, symbole de la « normalisation », démissionne, et le gouvernement S‘ouvre a quelques figures de Popposition. Mais cette derniére tentative de sauver la situation échoue et, lafinde 'année, le dissident Vaclav Havel devient président par intérim. Son pre- ‘ier discours public, Vallocution de nouvel an, s'achéve par: «Ton pouvoir, peuple, est retourné entre tes mains. » années 1990, de maintenir les entreprises &flot aide de subventions massives. Mais lorsque le poids de cette politique devient trop lourd pour Te budget de Etat, ces pays procédent a la pri vatisation par rachat des entreprises, dans un premier temps par leurs propres salariés, puis par des capitaux privés. Menges de cette maniére, les privatisations entrainent une profonde restructuration des économies et conduisent souvent a leur vente finale aux investisseurs étrangers. Ces derniers ne les achetant dailleurs parfois & bas prix que pour se débarrasser d'un concurrent en les Iais- sant dépérir, A terme, quoi quil en soit, les pri vatisations ont apporté aux anciens Etats com- munistes des bénéfices bien moins élevés que prévu, creusant le déficit. La Roumanie et la Bulgarie répondent en faisanttournera planche billets, déclenchant une hyperinflation. La dérégulation économique brutale encou- rage la corruption et le népotisme. En Bulgarie et en Roumanie, les anciens cadres économiques se transforment souvent en oligarques. Certes, leur pouvoir est limité par les mécanismes de controle mis en place en vue de ladhésion & ’Union eu- ropéenne (« acquis communautaire »"). Mais la /39 : corruption et Pémergence d'une oligarchie sont ‘communes a tous les pays de la région. Lactuel Premier ministre tchéque Andrej Babis, premiére fortune du pays, a construit son empire sur les, privatisations des années 1990 et les aides agri- coles européennes. Pendant que ceux-la stenrichissent,larécession iudébutdesannées 1990 aun impactnéfaste sur les ménages. Pour renflouer les caisses de tat, les pays de la région procédent des dévalua tions qui reportent en grande partie le poids de la transition sur les populations. Cest particuliére- ‘ment vrai en République tchtque en 1996 owen. Hongrie oi la cure daustérité imposée parle mi- nistre des Finances Lajos Bokros, en 1995-1996, conduit prés de 30% de la population hongroise sous le seul de pauvreté, Les chemins se séparent ‘Au cours de ces années de transition, les anciens pays de l'Est s'engagent sur des chemins dif- férents. La République tchéque, la Pologne, la Hongrie et, avec un peu de retard, la Slovaquie, renouent, au mitan des années 1990, avec la croissance soutenue (4 & 7 %) et se moder- nisent rapidement. Géographiquement proches de l'Union européenne et premiers & avoir pro- ‘cédé aux privatisations, ces pays conquiérent des parts des marchés occidentaux dés le début des années 1990. Des pays qui bénéficient de meilleures infrastructures (routes, chemins de fer, une administration efficace), développées de longue date, et Pesprit d'entreprise y est plus aneré que dans les Balkans. La classe moyenne, consolidée ousle socialisme, devient erelais du capitalisme : entre 1989 et 1993, prés de 4 mil- lions de PME y émergent. Enfin, la proximité avec Ouest favorise Farrivée des investissements rangers, notamment dans industrie, lesecteur manufacturier et la finance, qui contribuent a la réussite de la transition : entre 1989 et 2004, prés de 146 milliards de dollars y sont investis. La Hongrie et la République tchéque en sont les Fin de régne En Roumanie, Nicolae Ceausescu lest renversé le 22 décembre. Sa femme et Iui sont cexécutés apres une parodie de procés le 25 décembre. fom Jaruzelski, impossible proces Prise de palais en Roumanie Révolution meustrire, Ja chute du communisme cen Roumanie fait plus de 1000 vietimes. Ii le 27 décembre 1989, des insurgés occupent ie bureau de Ceausescu a Bucarest. En 2001, en Pologne, s‘ouvre le proces du général Jaruzelsid, auteur de la loi martiale de 1981 contre le syndicat Solidarnosc. Les vices de procédure puis la mort en 2014 du dernier dirigeant du régime communiste polonais ne permettent pas 3 la justice de rendre son verdict. Les lois de « lustrations » (1997 et 2006) qui visent & empécher les anciens collaborateurs de la police politique ou cadres communistes d'occuper des hautes fonctions d'état rvaboutissent pas non plus. principaux bénéficiaires : en 2004, le stock des investissements directs étrangerss'y éleve a 6093 5530 dollars par habitant, contre 1591 pourla Pologne et 2685 pour la Slovaquie. En EuropeduSud-Estet dansles pays Baltes, les investisseurs étrangers se montrent plus frileux. Leurséconomies, oitagriculture occupe toujours une place importante, apparaissent moins attrac- tives (en 1992, la population urbaine représente seulement 54% en Roumanie et 37% en Albanie, contre 67 % en République tchéque). En 199: 10994, laRoumanie eta Bulgarie connaissent une hyperinflation (respectivement plus de 150% et 1000% ). Pour attirer les investisseurs écrangers, ces pays « retardataires » s‘engagent, dans la se- conde moitié desannées 1990, dans desréformes néolibérales bien plus violentes que leurs voisins. Pour devenir compétitifs, ils réduisent brutale- ‘ment les charges sociales et les taxes profession- nelles, entrainant une paupérisation et une insé- curité de leurs populations. Ventrée dans 'Union européenne ‘Malgré ces difficultés, dix ans aprés 1989, les pays de 'Europe centrale et orientale et les pays Baltes affichent globalement des résultats tres honorables : la plupart de leurs entreprises sont privatisées, leurs monnaies sont > > > stone / 64 / OCTOBRE 2018 Cre Tavede croisance (8) “AN. + zg 5 Tauxéechomage (%) lit ’ Population fn lions) 3382 37.9 232 | | le 1990 20042018 I Pologne I Foumanie La croissance, & quel prix? Récession et chomage accompagnent le passage a l'économie dde marché. La Roumanie (comme la Bulgarie) connait un sdécalage pour la reprise de la croissance. Elle subit également un fort déclin démographique. LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 > devenues convertibles, le capital et les marchandises circulent librement et les inves- tisseurs étrangers affiuent. Cette embellie 6conomiqueet ces réformes ins- titutionnelles reviennent en partie & "Union eu- ropéenne (UE), qui devient progressivement un acteur clé de la transformation des anciens pays de PEst face au FMI et & la Banque mondiale, Entre 1990 et 1998, les pays de YOCDE versent a YBurope centrale et orientale une aide estimée & 5,6 milliards d'euros. Lorsque ces pays déposent leur demande d’ad- hésion & FUE, en 1995-1996, le processus de dé. ‘mocratisation et de modernisation institution- nelle s'accélere. Les systémes légaux, fiscaux et ‘monétaires sont harmonisés avec ceux de PUE, lajustice estrenforcée et les administrations sont réformées. Les aides européennes permettent atténuer les effets des réformes ultralibérales. Entre 2000 et 2006, sur 275 milliards d’euros de budget européen, 46 milliards reviennent aux pays de la région. En 2006, cela représente & peu prés un tiers de fensemble des fonds structurels européens. Lentrée de dix pays centre-est eu- ropéens dans I'UE, entre 2004 et 2007, appa- rait comme une consécration pour les efforts consentis et une promesse d'un avenir fait de rospérité (fp. 60). Mais derriére ce tableau positif se cachent des problémes structurels. Les réformes néoli- bérales entrainent une réduction drastique des systtmes de protection sociale et un chémage de ‘masse dontlaprise en charge pése surles budgets de PEtat. Les vagues inflationnistes successives conduisent 4 une paupérisationdes famillesetau. ‘reusement des inégalités sociales. Les capitales se rapprochent du modeéle occidental, avec des <économies connectées auuxmarchés mondiauxet ‘une classe moyenne riche et globalisée, alors que Jes régions rurales restent isolées. Les ranges occidentalesdes pays, plusproches des investisseurs étrangers, se développent plus vite et le chémage y est bien moins élevé que dans les provinces orientales oii Pagriculture reste dominante et oit parfois les années 1990 iment avec la désindustrialisation. Ici la ferme familiale reste Punité de base du modéle écono- ‘mique. En 2004, le PIB par habitant en Galicie, Test de la Pologne, représente un cinquitme de celui de la capitale Varsovie. Les régions les plus reculées se vident rapide- ment. Ce sont surtout les plus jeunes et les plus Des bénéfices moins élevés que prévu Un ouvrier dans une usine de voitures Dacia a Pitesti, en Roumanie, en 199, allongé sur une table de travail, en train de lire la chaine de production & V’arrt. Les ex-pays communistes ont vécu la transition économique, de I'étatisation totale vers une économie de marché, comme un véritable choc. Entre restructurations, privatisations et liquidations, des secteurs entiers de l'économie se sont retrouvés dans les mains d’une poignée d’oligarques. La Bulgarie et la Roumanie ont fit tourner La planche & billets pour sur le pouvoir d'achat des populations. tenir leur économie a fot, déclenchant une inflation record, avec des répercussions centreprenants qui partent. Ceux qui restent sere- plientsouventsurles valeurs raditionnelles, met- tant en avant les solidarités familiales : ceux qui partent envoient & ceux qui restent de quoi sur- vivre. En 2009, prés de 2.% du PIB de la Pologne proviennent des revenus des travailleurs & Vétranger, notammenten Allemagne, en Grande- Bretagne et en République tchéque. Entre 1989 et 2017, la Roumanie perd ainsi 14% de sa po- pulation, la Bulgarie et la Lituanie 21 % et la Lettonie 25 %. Selon les prévisions des Nations unies, les dix pays du monde dont les populations devraient diminuer le plus rapidement dans les prochaines décennies—de 15 4.23 % d'ici 2050— se situent tous en Europe centrale et orientale. Cette évolution esta origine d'une «panique dé- mographique » et dangoisses identitaires. La montée du populisme La paupérisation, le creusement des inégali- tés, la crise démographique, la corruption et la montée d'une classe oligarques proches duu pouvoir alimententle populisme. Dasle mois de septembre 1996, Viktor Orbén, alors jeune dé- puté du Fidesz, s'en prend a la majorité sociale Sakharov Le 12 décembre 1989, le dissident demande la fin de la toute-puissance du Parti devant Gorbatchev qui menace de lui couper le micro Pour la premitre fois depuis 1917, les Sovidriques ‘ont en mars 1989 le choix entre plusieurs candidats aux élections législatives Ala surprise du Parti communist, de nombreux libéraux, dont Boris Eltsine, sont élus (cidessus: ses partisans le 18 mars 1989) Le 23 aoiit 1989, 2 millions de citoyens Daltes forment une chaine humaine de 687 km entre Vilnius ce Tallinn afin de rmontrer leur volonté dindépendance (cides Estoniens prés de Rapla), avec les ctoyens de 'URSS sous lal des caméras Iei avec des Lituaniens, en janvier 1990. LUmISTOME / "ae / OCTOBRE 2018 44/ La transition démocratique a Est >>> Assemblée législative, dénomméeCongrés des députés du peuple, ouvrit Yannée dans une Reese effervescence inédite. Pour la premiére fois pou- Game peltive vaient se présenter dans les diverses circonscrip- ee tions plusieurs candidats, y compris « indépen- ta humtesione: dants» du Parti. Certes trés inégalement exploité owe reconstitution », échelle du pays, le principe des candidatures Isimpose en 1985 multiples permit Fentrée en scéne de nouvelles pour désigner la personnalités, dont certaines, & commencer par réforme en profondeur _celle Andrei Sakharov, physicien et figure emblé- du régime puis devient matique de la dissidence sovietique, allaientin- synonyme de révolution —_carner la voix du renouveau. en sggoagsi. I désigne “Durant cette période électorale qui, en rai- Easel bso} ome son d'une procédure compliquée, dura plusieurs ‘ouvermement de mois, les Soviétiques se familiariserent passion- Sorbatchev (1g8s.1gsa), _néMent avec les joutes politiques dans esinnom- brables meetings et prises de parole largement Glasnost relayés par les médias. Anatoli Sobtchak, juriste Litteralement de Leningrad, alors novice en politique, mais ‘publicité des débats ». rendu bient6t populaire parses plaidoyers en fa- Politique de veur de lFtat de droit, rappelle que le débat télé- transparence de -visé organisé avec son principal concurrent dura, la vie publique trois heures trent... Lalibération de la parole fut accompagnant la spectaculaire, tant dans sa prolifération que dans perestroika a partir ae Tavidité de sa réception, & la mesure de la frus- tration d'une société jusque-Ia enserrée dans les paramiétres étroits de "Etat Part Sill ne fut guére question de multipartisme dans 'URSS de 1989, les élections de mars- avril 1989 virent les candidats indépendant re- cueillir 12% des voix et propulsérent dans!'aréne du Congrés des hommes nouveaux, dont des in- tellectuels, comme Ihistorien louri Afanassiev, formant un camp situé a Vaile radicale de la pe- restroika. Celui-ci marquait la naissance d'une fronde parlementaire au sein de laquelle Boris Eltsine, homme d'appareil devenu un rebelle du Part, allat affirmer son leadership, La montée en puissance d'une scéne plurielle, incarnée par des personnalités fortes, constitua ainsi un puissant stimulant dans la politisation croissante de la société et renforca impact de ‘mobilisations citoyennes. Au premier chef, celle delajeune association Memorial luttant prioritai- rement pour la (re)connaissance des victimes du stalinismeen 'appuyantsurla promesse de trans- parence ou « glasnost » cette deuxitme » > > uma CCSCSCS La « maison commune européenne » GG sess st vere de mene asx archives les postulas de la guerre froide, quand Europe était considérée comme unearéne de confron- tation divisée. (...) Je suis eonvaincu quil est grand temps pour les Euro- péens, [...) non de se préparer la guerre, des‘intimider, de rivaliser dans leperfectionnementdes armes, [...), mais @'apprendre créer ensemble la paix et de construire ensemble une base solide pour cette paix. [...] Telle que nous la concevons, la maison commune européenne est une commu- nauté de droit. [...] Cest seulement en unissant leurs efforts que les Euro- péens sauront relever les défis du sidele & venir.” Discours de Gorbarchev prononct le 6 juillet 1989 devant le Conseil de Europe. LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 1985, 11 mars Mikhail Gorbatchev arrive au pouvoi. En ‘octobre, il annonce le début dela perestroka, 1989, 15 février Varmée sovigtque retire ses dernires troupes d’Afghanistan. Mars-avril flection du Congrés des députés du peuple de \'URSS, dont les deux tiers au suffrage univers lect lors de scrutins puraistes. 1990, 11 mars. Déclaration d'indépendance de la Lituanie. 12-15 mars Réforme constittionnelle, abrogation du tle diigeant du PC (article 6). Gorbatchev est 6lu président. 4mai la Lettonie procame son indépendance. 29 mai flection de Boris Eltsine a la présidence du Soviet supréme de Russe. 1991, 13 janvier Les forces spéciales soviétiques prennent 4assaut le Parlement ituaien etl tour de la télévision a Vilnius ; 14 personnes sont tuées ‘et plus de 600 blessées. 17 mars Retérendum dans neuf des quinze républiques sur le maintien de VURSS. gavril La Géorgie proclame son indépendance. 1° juillet Dissolution du pacte de Varsovie. Aoiit Proclamations dindépendance de 'Ukraine, de la Biélorussie, de la Moldavie, de ’Azerbaidjan, 4u Kirghizstan, de VOurbekistan et de Estonie. 19 aoiit Tentative de coup d'état contre Gorbatchev. Leader de la résistance & Moscou, Etsine en sort gagnant. 25 septembre Le Congrés des députés du peuple de "URS suspend la Constitution et s/auto-disout. 8 décembre ‘Accords de Bélove| entre les dirigeants des républiques sovietiques de Russie, Ukraine et de Biglorussie sur la fn de URSS. Création de la Communauté des Etats indépendants (CEl). 16 décembre le Kazakhstan est La dernire répubique & proclamer son indépendance. 24 décembre La Russie succéde & [Union sovitique au Conseil de sécurité de VONU. 25 décembre Démission de Mikhail Gorbatchev. Dissolution de 'URSS, /4S rc La fin dela « souveraineté limitée » La souveraineté timitée ou doctrine Brejnev fest une théorie ayant serv ustfer@ posterior! intervention & Budapest en 1956 et en ‘Tchécostovaquie en 1968. Brejnev n'a jamais utilisé ce terme mais plusieurs de ses déclarations ‘ont puta defini, comme celle-i en aott 3968 : ‘Chaque parti communiste et libre d’appliquer les principe du maraisme-teninisme et du sociallsme dans sn pays, mals il rest pas bre de s'éarter ‘de ces principe sll entend rester un part communiste. {...] Laffaiblissement d'un maitlon quelconque du systéme socialiste mondial affecte directement tous les pays socialists, et ils ne sauraienty restr indifferents. » Gorbatchev y met fin en déclarant 3 VONU en 1988 que « a liberté de choix ext un principe universel ne devrait pas yavoir dexception >. >> composante, avec la perestroika, du dip- tyque programmatique gorbatchévien. Sous 'appel a la « transparence » (glasnost), entendue, comme la possibilité de dévoiler ce quiétait tenu secret, les pressions se multipligrent ‘pour faire reconnaitre la responsabilité de Vftat dans les domaines les plus sensibles de Vhistoire soviétique tel celui des répressions et, plus en- core, aut printemps 1989, de la connivence de VURSS avec le nazisme. La chaine humaine qui traversa en aott les trois Etats baltes pour com- mémorer le cinquantiéme anniversaire du pacte ‘germano-soviétique marqua spectaculairement Taboutissement d’efforts conjugués pour obtenir Vaveu officiel de ce pan peu glorieux d’histoire par lequel URS conquit les trois pays. Au titre des moments mémorables qui scan- d&rent Pannée, figure encore intervention, le 12.décembre, d’Andrei Sakharov, nouvellement élu député, plaidant devant Assemblée pour ‘que Fexamen de Farticle 6 de la Constitution sur le réle dirigeant du Parti soit mis & Yagenda de la session parlementaire. Son abolition pouvait enfin garantir une réelle démocratisation du pays en particulier & travers la naissance du multipar- tisme. La proposition du Prix Nobel de la paix était en soi révolutionnaire. Elle devint presque immédiatement historique et lue comme le tes- tament de la plus haute autorité morale du pays, car Sakharov mourut deux jours apréssa prise de parole, le 14 décembre. Des pays restés solidaires de Moscou Ainsi, Vaccélération de T’istoire, & Moscou, fai- sait en 1989 fortement écho au rythme trépidant des changements en cascade sur les scenes est- européennes. Chaque pays, chaque société était alors eaptivé par sa propre chronique, prise dans ‘unmouvement d'emballement lignon seulement Ainédit des situations, mais aussi leur dimen- sion transgressive et au fait que cette transgres sion, en dépassantlesbornesconnues, nindiquait plus de limites... Il n'est dés lors pas si étonnant que méme la presse la plus engagée de la capi- tale, telles Les Nouvelles de Moscou (Moskovskié Novosti), ait relaté de manitre beaucoup plus cir- conscrite etsur un modebien moinssensationnel qua POuest Factualité des pays fréres. Cette fraternité des systémes restait toujours Yordre du jour fin 1989. La table ronde polo- naise, en février avril, avait ouvert la valse des changements en légalisant Solidarnosc et en me- nant & des élections parlementaires semi-libres cen juin. Celles-ci avaient certes montré la vic- toire éclatante de Popposition, & la surprise de tous y compris de Fopposition elle-méme. Mais Ja situation restait sauve pour le camp commu niste : au terme de longues négociations, le gé- néral Jaruzelski, plus fidele allié de Gorbatchev aa YEst, fut confirmé a la téte de Fitat. La table rondehongroise en uinavalisaleprincipe > > » Derniére réjouissance a Berlin-Est Le 7 octobre 1989 la plupart des dirigeants des pays du bloc de Est sont conviés ala célébration des 40 ans de la RDA Berin-Est. Ii, Gorbatchev (deuxiéme en partant de la gauche), triomphalement accueil parla population, est au été dErich Honecker (croisitme), président du conseil Etat de la RDA. Au troisiéme rang droite se wouve Tadeusz Mazowiecki, Premier ministre de la Pologne, lu quelques semaines plus tr. Avec la glasnost, les pressions s’accentuent reconnaitre la responsabilité de V'Etat dans les répressions et la connivence de l’URSS avec le nazisme stone / 64 / OCTOBRE 2018 La transition démocratique a Est >>» dumultipartisme, cependant les élections étaient encore a venir, au printemps 1990. Le Parti, renommé, escomptait toujours, pour son Ole clé dans le processus de démocratisation, un dividende de popularité. La chute des gouvernements les plus conser- vateurs en Tehécoslovaquie, RDA, Bulgarie et Roumanie avait été relayée par de nouvelles équipes, certaines, comme les animateurs du Forum civique tchécoslovaque, plus frondeuses que d’autres, mais saffirmant néanmoins toutes dans une volonté de conciliation avec Moscou. Etl& ot, & Berlin, la situation était la plus straté- gique et délicate depuis la chute du Mur, les suc cesseurs de Péquipe Honecker sestimaient assez. stirs d’étre plébiscités lors du premier test électo- ral annoneé pour mars 1990. Fin décembre, Mikhail Gorbatchev conclut cette année houleuse sur une note triomphante. Letemps de la guerre froide, affirma-til, étaiten- fin révolu, Le maitre du Kremlin sortait renforcé LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 des grands remous la fois sure plan intérieur et cextérieur. Lailela plus conservatrice du Parti était reléguée au second rang, comme le signifiait la ise & cart de son plus grand représentant, Egor Ligatchey, véritable béte noire des démocrates. Surlascéne internationale, la « gorbimanie » était, son comble. La patemité de Gorbatchev dans la transformation pacifique des gouvernements de «autre Europe » le désignait déja comme le futur Prix Nobel de la paix (il le recut effectivement en. 1990). Cette gloire ne dura pourtant que espace fun instantdanslle pari que staitfixé le héros de 1989. Mais quel était ce pari? Dans un contexte économique vacillant, sur fond de stagnation idéologique et sociale, la pe- restroika désigna une série de réformes structu- relles de PURSS visanta assouplirlesysteme pour impulser une nouvelle dynamique touten préser- vantle régime communiste. Ele impliquait, pour assurer le maintien de la puissance sovierique et sa compétitivité -'URSS n'avait plus les moyens. de mener la guerre froide -, une refondation des rapports Est-Ouest, envisagée par Gorbatchev sous la forme d'une atténuation contrdlée de la division entre les deux blocs. En prenant F'ni- tiative de cette ouverture, le pire de la peres- troika entendait rehausser le prestige de !'URSS. cet conforter sa mission universaliste. Cette pers- pective avait pour condition immédiate une redé- finition des rapports de force stratégiques avec les Etats-Unis, comme le montrérent les négo- ations tot engagées sur la réduction des arme- ‘ments qui aboutirent au traité de Washington de 1987 : les deux superpuissances s‘engageaient démanteler les missiles (nucléaires et conven- tionnels) 4 portée intermédiaire. Siles relations avec "Amérique primaient dans Ja politique internationale de PURSS, cest sur le terrain européen que Gorbatchev misale plusclai- rement pour faire entendre la volonté soviétique de changement et donner des gages de libéralisa- tion. Les ambiguités de son discours étaient certes Feu le pacte de Varsovie Le pacte de Varsovie est conclu en 3955 en riposte a Mélagissement de tanta RFA La méme année, iregroupe ensemble des Etats socialists, saut {a Yougoslave de Tito, Ce traité met en place un ‘commandement uni des forces armées nationals Sous 'égide de 'URSS. Le Pact, a Vexception des forces roumaines et albanaise,intervent en 1968 pour réprimer le printemps de Prague. UAlbanie quite Valiance en septembre 3968. Partie Intégrant du disposi, la présence des troupes soviétiques dans quatre des pays du Pacte (RDA, Pologne, Hongrie et Tchécoslovaquie) s’éléve fen 1989 4 544400 hommes. Le pacte de Varsovie fest disous le 1" jullt 1991. Chcontre : des militares sovietiquess‘apprétent a quite a “ehdcoslovaquie avec leurs blindés en férer 1990. i fortes, entre sa proposition d'une « maison com- mune européenne » & créer par la levée des anta- ‘gonismeset sa défense du socialisme. Mais le chef de Etat sovigtique parvint, sinon a les effacer, du. moins les atténuer en déclarant Pabandon de la doctrine Brejnev de souverainetélimitée des pays fréres. Il émoigne en acte de cet abandon avec la non-ingérence explicite dans les tournants opérés ‘en Pologne et Hongrie, les deux Fats menés par les gouvernements les plus libéraux du bloc. Le facteur «est-européen » devint!'un des grandsins- truments de la politique internationale de URSS. Laisser faire a Est La transformation graduelle et négociée de la soéne polonaise semble avoir le mieux corres- ondu auscénario d'évolution imaginé&Moscou. A propos des décisions hongroises, qu'il sagisse de introduction du multipartisme ou de Pou- verture de la frontiére avec TAutriche initiée en mai, les grands acteurs de ces décisions radicales ‘ont parla suite affirmé qu’ayant voulu consulter Moscou sur les changements programmés, au- ccune réponse ne leur était venue sinon des en- couragements, ainsi d’Edouard Chevardnadze, ‘qui, visitant Budapest en juillet, peu apres les dé- cisions de la table ronde, avait dit aux dirigeants hongrois « Faites ce qui vous semble le meilleur pour préserver les positions du Part ». Un évident laser faire s'exprimaitetse contir- mait en dépit méme des conséquences inatten- cues des dites décisions. Ainsi de la bréche créée dans la frontidre Est-Ouest qui, a été, entraina tun mouvement spectaculaire de migration des Allemands de YEst vers !Ouest, via la Hongrie. Les milliers de Trabant traversant cette partie de Europe disaient mieux qu‘avee des mots Paver- sion de nombreux ressortissants est-allemands pour le régime de Honecker. Et celui-ci était 'un des plus réfractaires ala perestroika. Face au dirigeant conservateur, c'est comme tune véritable impulsion en faveur d'un renverse- ment que les Allemands de l'Est interprétérent, centhousiastes, les interventions de Gorbatchev 2 Berlin lors du quarantiéme anniversaire de la RDA. Outre son plaidoyer, & Fimage hautement symbolique, pour « faire tomber les murs d’hosti- lité» entre FEst et FOuest, sa condamnation im- plicite de Vintransigeance gouvernementale face au mouvement de contestation eut des effets presque immeédiats : dixjours plus tard Honecker était désavoue par le Politburo de RDA ; un mois aprés le passage de Gorbatchev le mur de Berlin souvrait devant une foul en liesse. ‘Malgré les répercussions incontrélées du vent de libéralisation, malgré févidence que le monde hier était révolu, le pére dela perestroika restait optimiste. Il croyait encore pouvoir gagner son paride maintenirla fraternité est-européenne au sein du pacte de Varsovie, il estimait qu‘aprés les, gages douverture donnés histoire était de son ‘été pour repenser les équilibres internationaux, L’adieu aux Russes Ce n'est quten aotic 1994 qu'une cérémonie, présidée par Helmut Kohl et Boris Eltsne, ‘marque le départ des derniers soldats russes de IAllemagne. Latmopshére est joyeuse, comme cette femme qui embrasse un soldat au Mémorial sovidtique de Berlin, /a7 conforter la place d'un socialisme renouvelé en Europe et dans le monde. A trois décennies de distance, Yoptimisme et la confiance du chef de file des réformateurs soviétiques, soutenus par ses proches conseillers, relayés par les nouvelles équipes d'Europe centrale, constituent toujours un des éléments les plus surprenants de ce bas- cculement historique. Tandis que le chancelier Helmut Kohl, jusque- 1a grand soutien de Gorbatchev, évoquait des la fin 1989 le projet deréunificationde/Allemagne, a voix des peuples sortie des urnes en Hongrie, en RDA, achévera de balayer les attentes ré- formatrices. En votant majoritairement pour la CDU, le parti de Kohl, les Allemands de lEst onnérent leur aval Ala perspective rapide d'une La perestroika s’inscrit dans un contexte économique vacillant, sur fond de stagnation idéologique et sociale 544.400 soldats Ssoviétiques sont stationnés en 1989 fen RDA, en Pologne, en Hongrie et en Tehécostovaquie dont 380000 pour la seule ROA. Grande Allemagne reconstituée. La vision de la fin, en URSS comme en Europe, s'incarna par le retrait des troupes soviétiques des anciens pays dubloc. Gorbatchevavait autrefois pronéleurré- duction, ce fut eur départ. séchelonna partir de mars 1990, de Tehécoslovaquie, de Hongrie, puis de Berlinet de Pologne. Paradoxalement, les ‘négociations menées pour ce retrait devaient ga- rantirle maintien des anciens pays du bloc dans Ie pacte de Varsovie, selon des modalités qui res- taient a préciser dans le cadre de réunions qui furent continuellement reportées... Lesapparencesse voulaient sauves, maislesfaits parlaientd’eux-mémes. Le pactede Varsovie fut fi- ralement dissous le 1* juillet 1991. A Moscou, le premier retait, celui des troupes sovitiques @AF- ghanistan en 1988-1989, avait été vécu comme ‘un immense soulagement. Mais le grand retour des soldats stationnés depuis 1945 dans espace est-européen fut ressenti avec ambivalence, voire amertume, tout particulidrement par ceux qui re- vinrent. Parmi eux, ily avait un certain Vladimir Poutine, jusque-Ia officier du KGB a Dresde. stone / 64 / OCTOBRE 2018 La chute du Mur a permis aux Allemands de UEst d’accéder & la liberté d’expression et a Vabondance de biens. Mais la réunification 4 marche forcée eut aussi un coiit dont les effets se font encore sentir aujourd'hui dans Vancienne RDA. Par Nicolas Offenstadt 3 LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 i ‘fut une surprise pour tous les Allemands, ou presque. En moins d’un an aprés la chute du Mur, le 3 octobre 1990, la République démocratique alle- mande (RDA), ce pilier du bloc soviétique, disparaissait absor- ‘bée parsa concurrente de fOuest, la République fédérale allemande (RFA). Lattrait du mode de vie a 'Ouest et de la ‘consommation a Toccidentale est souvent mis ‘en avant pour expliquer la rapidité du proces- sus. La RDA était une économie de pénurie de nombreux produits y étaient manquants, en ‘quantité insuffisante, ou irréguliérement pour- vvus, comme la volaille, les fruits, ou la papeteri. Lapprovisionnement des entreprises était défi- cient, le matériel usé et peu réparé, les pices de rechange souvent indisponibles. Or, que ce soit par le biais de la télévision de Ouest, beaucoup regardée, ou des visites de parents, les Allemands de Est était infor més sur la vie de Pautre cdté du Mur. La ques- tion de la vie quotidienne fut donc un élément central dans la désaffection a Pégard du régime communiste, que peu défendirent en 1989 : 4 les plus de 2 millions de membres du SED (le arti communiste au pouvoir) ne sont pas des- LUAUTEUR cendus en masse dans Ia rue pour défendre la Matirede ligne de leur parti; au contraie, les défections confrencsa sesont multiplies paereh Fis Le 18 mars 1990, lors des premieres élec- ete tions libres, les citoyens et citoyennes de RDA. Urbex. RDA. votérent largement pour les partis favorables & Yunification. Lunion monétaire et économique avec la RFA en juillet 1990 fur suivie en octobre de union politique. Les Allemands de Est se fournirent en masse en produits de TOuest. Les marques de la RDA disparurent largement des rayons. Chacun, ou presque, cherchait & se dé- barrasser de sa petite Trabant pour acheter une ‘voiture occidentale. Glin Michel, 2019). Valignement sur l'Ouest Les différents accords qui aboutirent & Punifica- tionallemande ont en réalité aligné Est sur Yen- semble du systéme de FOuest. Progressivement, toutes les institutions politiques de la RDA furent démantelées, acommencer parla Stasi—le minis- tere dela Sécurité dat, doté d'un service de po- lice politique et organe de répression du régime. Les organisations de masse, politiques et cultu- relles, de Yex-RDA disparurent aussi, comme le syndicat unique FDGB qui rassemblait presque tous les salariés de RDA, ou furent réduites & de petits groupes. Du cbté administratif, les dis- triets de PAllemagne de Est furentremplacés par les Lander, plus ou moins anciens, qui se > > » Fleuron industriel Le combinat SKET, qui produisait des machines Tourdes et desssites de production, n'a pu tre privatisé aprés unification eta fini par se dissoudee. Ses locatsx abandon hantent tencore le quattier de Magdebourg-Buckau. Mae « Je suis devenue femme de ménage » GG S2suis devenue femmedeménage,aumoins dixans eat plus que dur. ’ai plus travaillé que si favais eu un travail correct. 'aitout es- sayé, méme une formation qui fut déprimante pour moi, menée par des formateurs de l'Ouest qui nous faisaient écrire les noms de rue et épeler alphabet comme en fin de primaire. Débile.” Entreten de Nicolas Offensadt en 2015 avec Heidrun K, comptabe qualifige dans une entreprise de Saxe au temps de la RDA | + 7 ae arpa soning clei enor ad jourd’hui encore. La reconversion ne fut pas difficile pour moi, méme si adaptation & Péconomie de marché fut pleine dinquiétudes. Aprés la fermeture du Palais de la République [oii Volker Wilke était cuisinier], iln’a pas été simple de trouver un travail qui convenait car je voulais continuer ma formation. Cependant, assez vite, ’ai obtenu une place & Die Spindel, a Berlin-Friedrichshagen, passant de sous-chef a chef de cuisine. Mon temps libre fut sacrifié a la formation. J'ai tout a fait profité de cette his- toire allemande et ‘en suis trés reconnaissant aujourd'hui.” “Entreten de Pauteur en 2019 avee Volker Wilke stone / 64 / OCTOBRE 2018 50 / Pes >>> reconstituérent avec quelques légeres mo- ifications territoriales. Avant ’en arriver la, devant 'ampleur de la contestation politique en 1989 et de la crise &co- nomique en RDA, des réformes avaient été enta- mées par le gouvernement Modrow. II s'agissait de réintroduire des mécanismes de "économie de marché, mais dans le cadre de l'économie so- iste. Ainsi, en mars 1990, le gouvernement permit, sous certaines conditions, aux anciens propriétaires de récupérer leurs entreprises éta- tisées en 1972. Les formes et Fintensité du pro- cessus firent cependant débat: jusqu’ot devait- onalller dans le démantiélement de la propriété « socialiste » et dans le recul de intervention de VEtat ? Aprés unification, d'autres restitutions de propriétés confisquées ou saisies au temps de la RDA furent organisées. Des conflits naquirent de ces retours de propriétaires. C'est le cas & Passee (Mecklembourg) ~ une lutte particuliére- ment dure et violente-, oi! a Maison commune, notamment, se trouvait sur des terres récupérées par les héritiers etrachetées par un entrepreneur de Ouest. Le maire et les habitants entrérent en résistance contre cette mainmise. Les autorités ont aussi soubaité aligner les terres agricoles collectivisées sous forme de coo- pérativessurlesystéme de 'Allemagnede Ouest. En réalité, de nombreuses coopératives perdu- rerent, du fait de la volonté de leurs exploitants, mais sous de nouvelles formes. UAllemagne uni- fige ne revint pas sur la réforme et les confisca- tions des terres agricoles datant de Fépoque de la zone d’occupation soviétique (1945-1949), Les choses se passérent tout autrement pour les institutions et entreprises nationalisées (les Tauede homage (en %) BO — ander de vest 2» 13.5] ‘Mayenne notionale Under de POuest ee ee La fin du plein-emploi La transition démocratique a Est Treuhand : liquidation générale De son nom complet, la Treuhandanstalt est l'office chargé des privatisations et liquidations des entreprises de 'exRDA afin organiser le passage 4 économie «de marché entre 2990 et 1994 Sa politique, qu a about des fermetures, ‘entreprises et des licenciements, a suscité de nombreuses protestations de la part des salariésdAllemagne de Est. i, Bertin, en décembre 1992, une ‘manifestation, 3 initiative de conseils d'entreprise et de représentants du personnel, soutenus notamment par le PDS (Part du socalisme démocratique), ‘se rend devant le siége de la Treuhand pour demander l’arrét des licenciements. « propriétés du peuple »). Une agence fiduciaire, la Treuhandanstalt, fut chargée d’organiser le passage & l'économie de marché en opérant pri- vatisations et liquidations. Concue a Forigine par Te gouvernement Modrow, elle visait & protéger les « propriétés du peuple », avec Vidée de re- ‘mettre des actions 3 la population et de promou- voir certaines formes dautogestion. Mais, aprés les élections de mars 1990, puis en 1991, la Treuhand accéléra le processus de privatisation, A la fin de son mandat, en 1994, environ 30 % des entreprises dont elle avait eu Ta charge avaient été liquidées. Sur l'ensemble quelle eut & gérer, environ 2,5 millions d’em- Aik as Crest le montant des transferts d'argent de Vouest de Allemagne 8 lois ont été supprimés. Vest, de 1990 a 2006. Cela représente 8% du Choc de désindustrialisation PBB allemand. Avec unification, les habitants de Yex-RDA ‘eurent done acces tous les biens de consomma- tions occidentaux. Ils ont acquis la liberté de cir- culer, de voyager, des'exprimer sur tous lessujets, sans craindre la répression. Quien était: de leur situation matérielle ? union monétaire et le passage au Deutsche ‘Mark avec un taux de change équivalent de ce- Tui du Mark de I'Est ainsi que la politique de li quidation des formes économiques socialistes Ds 1990, le chdmage de masse fat irruption dans un monde qui n’avait conn due le plein-emploi. En 1991, le cap du million est atteint. I augmente ensuite amplement, en dépassant 20 % en 2005, 3 son maximum. Les femmes sont «emblée plus touchées que les hommes. Les écarts avec lAllemagne de Ouest sont nets. Différentes formes de sous-emploi marquent aussi a période. LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 conduisirent tras vite un choc de désindus- trialisation. Les changements d’ensemble en. Europe de Est, gros marché pour les exporta- tions de la RDA, fragilistrent aussi le pays. En effet, de nombreuses productions ne furent plus /51 du tout concurrentielles avec une monnaie réé- valuée. Sanslesententes du Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM), les marchés de Este fermérent. Plus généralement, les entreprises organisées pour une économie planifiée dans une société de plein-emploi et de protection généralisée pei- nérent a survivre dans un univers concurrentiel, malgré les plans de transformation. Aujourd'hui, 145 des 150 plus grosses entreprises de RDA, telle la compagnie aérienne Interfiug, ont dis- paru', Les entreprises de Ouest veillérent aussi a étouffer la concurrence. Le chdmage devint massif dés 1990 (500000 sans-emploi en octobre). Les mesures de chémage partiel, de préretraite, et les pro- ‘cédures de requalification se multipliérent, tout comme les emplois précaires. Au total, envi- ron 3 millions d’emplois ont disparu de 1990 & 1993, et parmi ceux qui avaient un emploi en novembre 1989, plus des deux tiers en ont changé en 1993. Dans le combinat phare de Magdebourg, fournisseur de machines et d’équi: pement industriel SKET « Ernst Thalmann », le personnel est passé en quelques années de 30000 a moins de 3000. Ge fut un bouleversement complet de valeurs cet de pratiques pour les travailleurs de VEst, ha- bitués a la stabilté de Pemploi, ancrés dans des ‘entreprises qui formaient un univers dont Ihori- zon d’attente excluait le chémage et la recherche emploi. Les femmes, en particulier, ont perdu. le bénéfice de longs congés de maternité et de la large prise en charge des enfants. Une » > » ‘Traité « 2+4 » Le 12 septembre 1990, apré Em Quelle frontiére a l’Est ? TCHECOSLOVAQUIE. AUTRICHE ‘snes cane Frontigre du Reich en 2938 200km En 1945, les Allés fixent les nouvelles frontidres de la Pologne sur les Neuves Oder et Neisse, amputant lourdement le teritoire de VAllemagne. En 1950, sous la pression de Moscou, qui promeut unite du bloc de Est, la RDA et fa Pologne signent le traité de Gritz, qui reconnait la frontiere dite « de la paix ». En 1970, dans le cadre de U'Ostpolitik, le chancelier ouest-allemand Willy Brandt reconnait & son tour la frontire. Mais le projet de réunification allemande souléve & nouveau la question sous la pression des puissances, La frontiere est confirmée par le traité du 14 novembre 1990 signé par Chars Ossis et Wessis Les Ossis étaient les habitants de La RDA (Ost, « est»), les Wessis ceux de la REA (West, « ouest »). Die Wende ‘Le Tournant ». Le terme désigne les changements sociaux et politiques (1989-1990) qui ont conduit ta fin de la suprématie du parti communiste (SED), puis ala réunification. Vvallemagne et la Pologne. plusieurs mois de négociations, Ie traité de Moscou, signé entre les deux ats allemands, les Etats-Unis, 'URSS, la France, la Grande-Bretagne, confere la pleine souveraineté a Allemagne unifie et membre de TOtan. stone / 64 / OCTOBRE 2018 52/ Pes La transition démocratique a Est >>> nouvelle pauvreté, soutenue pardesaides sociales, fit son apparition. Gagnants et perdants Nombreux furent ceux a subir un déclassement, passant d'un travail valorisé et assuré en RDA, méme dans des conditions difficiles, & de pe- tits jobs temporaires. Cest le cas de Heidrun K., comptable expérimentée de Bernsdorf (Saxe aujourd'hui), qui devint femme de ménage, peu convaincue par les formations proposées quelle jugeait humiliantes pour quelqu'un de bien formé (¢ p.49). Iy eut aussi ceux pour qui Punification ouvrit de nouvelles perspectives. Ainsi, Roland K. psy- chologue a Francfort-sur-'Oder, malgré 'insécu- rité de ces années ~ « tout était terre inconnue » (unbekanntes Neuland ») -, les décrit-il au- Jourd’hui comme passionnantes, Ini permettant de surmonter les limitations professionnelles et salariales de la RDA en travaillant a son compte. Dans ensemble, les conditions matérielles de vie samétiorérent et les revenus nets des mé- nages avec emploi augmentérent amplement entre 1989 et 1994. Les retraités, une population peu favorisée en RDA, ont bénéficié également des changements. Des Allemands de !Ouest aussi profiterent de unification. ILy eut des « Wessis » qui vinrent ha- biter en nombre a Est. Ge sont eux qui ont oc- cupé pour Vessentiel les postes de pouvoir dans les « nouveaux Linder » (économie, médias, Vote AD (en x) 23 5 — fncienne Tronuere RFARDA eee ctr 00m La montée de l’extréme droite En cing ans, (Alternative pour l’Allemagne (AFD), parti de la droite extreme, nationaliste et xénophobe, a connu un succés fulgurant. L'AFD devient en 2017, la trolsiéme force politique aux élections législatves, avec des gains considérables&UEst. la encore obtenu plus de 20 % des voix dans le Brandebourg et la Saxe lors élections régionales le 3" septembre 2019. clture...). Les « Ossis» (habitants de Est), eux, découvrirent quils n'avaientpasforcément toutes les armes pour s'adapter a la consommation de VOuest et nombreux sont ceux qui tombérent dans des arnaques ou de mauvaises affaires. Surtout, peu d'entre eux possédaient les tech- niques et les capitaux nécessaires au rachat des « Pogroms » en ex-RDA e terme qui désigne les violences collectives commises dans 'Em- pire russe contre les populations juives au xnx* siécle est immédi tement employé en Allemagne, en 1991, aprés les événements de Hoyerswerda (septembre). Dans cette ville du Land de Saxe, trés touchée par le choc social et économique de 'unification, des centaines de per- sonnes, autour de néonazis, attaquent des foyers d’étrangers et de de- mandeurs d'asile. Quelques mois aprés, en aodt 1992, une nouvelle vio- Ience collective se déchaine, cette fois & Rostock, dans le Mecklembourg, contre Ia Centrale des demandeurs d’asile et un foyer de travailleurs viet. namiens. Certains échappent de peu a la mort par incendie. D’autres actes violents, de divers degrés, émaillent les années 1990. Le dur contexte de la réunification joue sa part dans Vhostilité aux étran- gers, alimentée par afflux de réfugiés des guerres yougoslaves, et stimu- lke par les partis de droite extréme comme les Republikaner. Les exac- tions racistes se développent aussi a l Ouest, telles les attaques mortelles de familles turques & Mélin et Solingen. Lampleur de lexercice collectif dela violence reste cependant spécifique a PEst. N.O. LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 entreprises vendues. Les acquéreurs, d’Alle- magne de l'Ouest pour lessentiel ou de Pétran- ger, n’étaient ailleurs pas toujours des indus- triels avertis, mais parfois des hommes affaires outeux qui ont cherché.a profiter des aides sans avoir 'intention de faire vivre lentreprise. Le pay- sage d'abandon etde friches qui marque Est des ‘années 1990-2000 témoigne encore aujourd'hui de tous ces processus. Statues démontées ‘Unautre changement pour les Allemands de Est fut le renouveau des espaces publics, Les trans- ferts financiers furent considérables de !Ouest vers Ist et la rénovation de Vhabitat fut impor- ‘ante, en particulier dans les anciens centres dé: laissés par le régime communiste qui avait pri- vilégié les nouveaux complexes résidentiels en périphérie. Les centres commerciaux modernes fleurirent aussi, recomposant parfois le centre- ville, comme a Francfort-sur-TOder. Le renou- vveau procédait par effacement. De nombreux signes de ancien régime ont dis- pparu, soit par choix politique, soit & Poccasion de travaux ou dembellissements. Les statues des hé- ros du socialisme furent démontées, comme le ‘grand Lénine de Berlin-Friedrichshain les plaques /53 ‘du souvenir furent défaites, les noms de rue chan- -gerent aussi. Les grands hommes du socialisme, ses slogans, furent remplacés par des anciens noms de lieux ou par d'autres figures. A Plauen ‘en Saxe par exemple, la rue Ernst Thalmann (pré- sident du Parti communiste allemand, assassiné par les nazis) devint Martin Luther. De nombreux observateurs estiment au- jourd’hui que existence d’un fort sentiment @appartenance est-allemand tient avant tout aux déboires des « Ossis » apres 1990. Mis au. rencart économiquement, regardés avec condes- ‘cendance par bien des « frdres » de lOuest, les Allemands de l'Est développeraient une « iden- tité » propre pour résister aux conditions pré- sentes. Elle tiendrait en partie & la nostalgie des dimensions protectrices du régime : emploi as- ssuré, droits favorisant le travail des femmes, sé- ccurité au quotidien, etc. Le développement récent des droites ex- trémes dans cette partie de Vllemagne cond ems oplston temane ‘ention) Déclin démographique exROA a perdu 2 millions d’habitants depuis 1989. Les «Ossis » représentent aujourd’hui 14 % de la population allemande, Les différences restent sensibles ‘aussi a chercher des spécificités identitaires aux Allemands de Est. La RDA est ici en procés, une nouvelle fois. Trois raisons au moins liges & This- toire du pays favoriseraient la montée des ex- trémes : Pinaptitude au débat démocratique, le peu de contacts avec les étrangers présents & Pépoque en RDA, et une insuffisante éducation historique au fascisme, notamment échelle des ‘expériences individuelle et familiale. Note 1.CF.W. Enger, « Die Ostdeutsehen und die Denokratie», mal 2019, Rosa Luxemburg Stiftung, vwoiveroralincde /publikation/id/40442 ‘/Bieostdeutsches-und ie-demokratie Nouvelle Leipzig De nombreux centres-villes, délassés ou peu entretenus a’poque de la RDA, ont &é rénovés. Leipzig, quia conn le choc de a > > Albin Michel, 2019). LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 4 Vitrine d’une dr , vers 1980 La plupart des boutiques de RDA relevaient de organisation tat (HO) ou de la chaine de coopératives Konsum. I estat aussi un certain nombre de petits commerces privés ou de commerces commissionnés. Lapprovisionnement zai inégal selon les produits. Les artiles de consommation de bate étaient présents en quantité souvent suffisante, autres un peu trop juste, comme les produits cosmétiques, d'autres enfin -ment disponibles, notamment les smatériaux c'aménagement (comme la moquette) > Vita Cola Dans de nombreux supermarchés Allemagne de TEs on trouve ce soda facilement ten abondance, désormais en différentes <éclinaisons : exotique ou sans sucre. Le Vita Cola est tune des marques de lancienne RDA, lance & a fin des années 1950, qui a rencontré un succés durable depuis sa relance en 1994, apres avoir disparu, Un vértable concurrent pour Coca-Cola a TEst. [sue dune entreprise de produits de toilette créée au x1x siéce, la firme nationalisée fabriquat la populaire créme pour Ja peau Florena, en concurrence direct avec Nivea, Lentreprise survécut & Tunification et les deux ‘rémes sont produites... par le méme groupe, fabriquait différentes marques de cigarettes, pas toujours de grande qualité Plusieus furent relancées dans les années 1990, souvent en jouant d'un «style » de fst particulier mais avec ‘une composition renouvelée. Les Karo, sans itr et fortes, étaient appréciées dde ceux qui voulaient se donner un certain syle, outsiders et intellectuels. $ Lecombinat de viande d'Eberswalde, & 'équipement és moderne, ‘onnut un destin difficile aprés unification et ses successeursfirent failit. La marque est relancée en 2002. Ces cornichons du Spreewald, eux, reviennent A lafirme familiale dorigine, les Krigermann. » Sou Cette soupe « de Yarmée nationale du peuple» a été reeréée récemment. Elle joue sur les souvenirs de jeunesse de ceux. deT'Es, plus que sur la réputation alors. Elle cst aujourd hui dstribuée en supermarché. LUmISTOME / "ae / OCTOBRE 2018 56 / La transition démocratique a Est >>> dans un Est la déprise démographique, conduit aussi Pabandon de milliers d'appareils et Particles de tous ordres. A qui pratique Pex- ploration urbaine dans ces lieux les découvertes sont multiples : dossiers d’archives, matériels, vétements de travail, souvenirs personnels. Entre-temps, et progressivement, ces produits ont changé de valeur. Ils représentent un point dlaceroche face aux déconvenues sociales et éco- nomiques des « Ossis ». De plus, les marques étaient souvent en nombre limité pour le méme objet; les productions de Est ont une valeur de souvenir collect plus évidente que dans les s0- ciétés de consommation de POuest. En ce sens elles ont une forte charge identitaire, quand le présent semble difficile. La vie quotidienne reste ‘un espace oit les mémoires peuvent se déployer plus aisément quailleurs. Ainsi, dés 1991-1992, les produits de PEst reprennent de l'importance aux yeux des consommateurs. Renaissent ou se développent danciennes marques de Est, souvent avec de nouveaux ingrédients ou compositions, mais en jouant explicitement de leur caractére RDA, parfois alors méme que le produit n’avait pas bonne réputation. Cafés, sodas, chocolats ou produits cosmétiques reviennent ainsi sur les Un peu partout en ex-RDA, on trouve des traces d’un pays disparu dont on fait aujourd’hui V’archéologie rayons, avec un succes inégal. Le Vita Cola ou le Nudossi, une pate & tartiner eréée pour faire pice au Nutella, sont aujourd'hui trés bien ins- tallés. La mode du design et des objets « vin- tage» années 1960-1970 renforce aussi 'atrai des articles d'autrefois, d'autant que les créa- teurs de PEst étaient réputés Cest ainsi que se multiplient dans les an- nées 2000, sur le territoire de Allemagne de Est, de petits musées privés, d'importance iné- gale, qui présentent les objets de la RDA dans différents types de reconstitutions : classes d'école, appartments, section de police, de- sign... Dés le milieu des années 1990, le centre d’Eisenhiittenstadt, sous Timpulsion de This- torien Andreas Ludwig, a collecté et montré ces traces de la RDA. La trés officielle Maison de histoire ouvre a son tour un musée de la vie quotidienne dans une ancienne brasserie de Berlin (2013). Ainsi fobjet RDA est-il au- Jourd’hui triplement remonétisé, comme pro- duit commercial, comme source identitaire et enfin comme sujet e’histoire. Il n'empéche que des millions dorment encore dansles friches in- dustrielles sur tout leterritoire. m LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 Urbex (contraction ‘d'urban exploration) Le terme s'est imposé ej «années pour désigner la visite de lewx abandonnés, souvent dificites d'acces, voire Interdit. La RDA en est ‘pour Nicolas Offenstadt tun terrain privilégié. pasa EOE Gy N. Offenstadt, Urbex, Abin Michel, 2019, » Leschnaps de P« Amitié » Les schnaps étaient trés ‘consommés en RDA, bien plus que le vin, ¥ Syndicat ny avait jamais de unique manque et Fassortiment La Confédération rai vari. Toutes les des syndicats libres productions not pas allemands (FDGB) était __survéeu comme lesyndicat unique de I< Amitié», une sorte RDA~dans Pétroite de cognae produit par dépendance du Patti entreprise (VEB) Schifkin de Berlin, qui, Presque tous les salariés a elle, existe toujours, yappartenaient, notamment pour reprise pa la famille Déncficier desavantages _ fondatrice boutelle qu'il procurat. Dans es Famassée dans une entreprises abandonnées désaffeciée de tralnent encore par Firstenberg/Have) terre ses documents «de mobilisation et de gestion (ici & Halberstadt) entree det Gendt » La Trabant Cette petite voiture produite en masse parla RDA, ‘mais en nombre toujours tres insuffsant, était tun bien convoité. Voiture paraissant obsolée face Aacelles de Ouest, sa fabrication test arrétée en 1991. Aujourd'hui soigneusement entretenues les survivantes sont devenues un symbole du pays disparu. dans les garages a abandon (ici & Forst) ces bons dessence de Minol, le combinat qui érait a distribution essence dans les stations-service de la RDA. Racherée par Elf Aquitaine, dans des conditions douteuses, au ‘début des années 1990, la marque de Esta presque disparu, 0 bisiee 12 G35 13 £ 16 50 00750|01 Les usines chimiques de Leuna formaient tun immense combinat, fierté industrielle du régime, tantet si bien qu'il fut baptisé du nom du premier dirigeant dela RDA, « Walter Ulbricht»: La fin du régime affablit ensemble, qui est en partie démantelé, repris puis relancé par EE Aquitaine, et perd bien stile nom d'Ulbriche (sae de carbamide trouvé dans les bureaux de Leuna), /57 © La mobilisation politique du régime était permanente en RDA. Elle sopérait Vimtérieur des entreprises et des institutions, & 'école ailleurs, en particulier & travers les organisations dde masse. Les drapeaus et les fanions, depuis les plus luxueus jusqu’aux plus simples, comme celui-ci en papier, accompagnaient beaucoup de fétes et cérémonies. On les trouve désormais en nombre dans les brocantes ou les greniers aad 4 Ampoule Narva Le grand combinat de fabrication de lampes et ¢'ampoules, qui ‘occupait notamment tout un quartier& Berlin, approvisionnait le pays. Aujourd'hui encore des ampoules de toutes sortes sont stockées dans les ieux abandonnés de TEs, parfos par centaines. Lenom survit dans de petites entreprises, mais sans comparaison avee ce que ce fut au temps de Allemagne de TEst, LUmISTOME / "ae / OCTOBRE 2018 58 / La transition démocratique a Est Comment Orban raconte histoire En Hongrie, comme dans la plupart des anciens pays de V'Est, les lieux de mémoire sur la période communiste se sont multipliés. Dans la « Maison de la terreur » inaugurée en 2002 les choses sont claires : de 1944 4 1989, les Hongrois ont tous été des victimes. AUTEUR Maitre de conférences& Tuniversce de Lorraine, Paul Gradvohta notamment drigé faye Antoine Marés len 14 delarevue Monde(s), «Europe rmétiane, carefours cteonflesions >. LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 Par Paul Gradvoht son ouverture a Budapest en février 2002, la Maison de la terreur fut une institu- tion révisionniste, comme le souligne Joé! Le Pavous?. Sur 5000 m* dexposition et 27 salles, 25 portent sur la période communiste (1949-1989) ; seules deux sont consacrées & Foccupation de la Hongrie par laWehrmacht (19 mars 1944-début avril 1945). Etle musée ne trate cette période qu’a partir du 15 octobre 1944, lorsque les Croix-Fléchées, les fascistes hongrois, se firent confer le pouvoir par Jes nazis, faisant mine oublier que ultraconser- vvateur Horthy, la tétedu pays depuis 1920, était entré en guerre de son plein gréen 1941 du cété deHitleret nes était pas opposé aux déportations des Juifs hongrois entre mai et juillet 1944. Les lois amtisémites votées ds 1920 puis & par- tirde 1938 ne sont pas évoquées ; le rble des au- torités hongroises dans la rafle de 430000 Juifs est négligé. Le musée est pourtant installé au 60, avenue Andrassy, sitge du parti des Croix- Fléchées de 1937 & 1944 Le message porté par la Maison de la terreur est clair: ce qui s'est déroulé en Hongrie entre entrée des troupes d'occupation allemandes le 19 mars 1944 et le départ des troupes d’occupa- tion soviétiques le 16 juin 1991 nereléve pasde la responsabilité des Hongrois mais de forces étran- sgdtes, Le Premier ministre Viktor Orbén Taméme fait inscrire dans la loi fondamentale du 1* jan- vier 2012 : la Hongrie a perdu sa souveraineté entrele 19 mars 1944etle2 mai 1990, datedela session inaugurale du premier Parlement démo- cratiquement élu depuis la période soviétique. Linstrumentalisationde Phistoire nesarréte pas 18. Une exposition temporaire intitulée « Libres depuis trente ans » et présentée depuis juin 2019 sur les facades du musée fait du 16 juin 1989 la date de la chute du communisme en Hongrie. Ce Jourla, les obséques solennelles 'imre Nagy etde ‘quatre autres martyrs de la révolution hongroise de 1956 étaient transforméesen une grande ma- nifestation contre le régime communiste. Viktor ‘Orban, undesorateurs dela cérémonie, yavaitfait sensation en réclamant le départ des Sovietiques. Ine s’agit pourtant que de l'un de ces épisodes ‘qui ont participé, tout au long de Fannée 1989, & Teffritement du régime et affirmation d'institu- tions politiques démocratiques en Hongrie. La baraque la plus gale du camp socialiste Plus largement, les années 1980, durant les- quelles la Hiongrie était qualifiée de « baraque {a plus gaie du camp socialiste », sont presque absentes du musée. Ce parti pris laisse croire ‘aux visiteurs que durant toute 'époque com- muniste les Hongrois ont souffert, impuissants, Yenfer d'une répression généralisée. Pourtant, ‘800000 Hongrois— sur un peu moins de 10 mil- lions ~ adhéraient au Parti commumiste, des mil- liers dentrepreneurs travaillaient dans le privé, les centaines le milliers de Hongrois pouvaient voyager & fOuest puis revenir dans leur pays. Acteurs de histoire, ils ont, dés le 2 mai 1989, Maria Schmidt femme d’influence Un temps conseillére officielle de Viktor Orbén (3998-2002), cette professeure de Vuniversité catholique Péter-Pazmany depuis 2010 est également tne femme affaires (22 fortune du pays début 2019) et une ideologue nationalist bien en ‘cours (a8 personnalité la plus influent, 2015). approuvé le choix fait ouvertement de mettre fin ala séparation symbolisée par le rideau de fer. Le but de la Maison de la terreur est de jouer sur les émotions. On passe ainsi de la noirceur répressive A laclarté des revendications démocra- tiques c’un coup de baguette magique. Car, plus qu'un musée, cest la vitrine du récit historique inventé par la droite hongroise, nationaliste et ‘obsédée par Panticommunisme. Comme le dit a plaque apposée a entrée: « Lemusée Maison de la terreur, avec le soutien du Premier ministre Viktor Orbén, a été construit sur les ordres de Méria ‘Schmidt, directrice générale, en 2002, sur la base des plans dAttla F. Kovecs et avec la participation de J6zsef Sadjer et dAttila Varhegyi. » ‘Ainsi le dirigeant supréme a-t-il mandaté sa conseillére historique, qui a utilisé un spéciatiste de la décoration des scénes lyriques pour conce- voir ce « musée » avec Yaide d'un des factotums politiques et d'un des spadassins des médias et de Ja communication du Premier ministre. Huit ans avant la reprise en main des pro- grammes histoire qui accompagne le retour au pouvoir de Viktor Orbén en 2010 (ils se- ront 4 nouveau révisés Pan prochain avec le re- tour des manuels uniques contrdlés politique- ment), le musée éradiquait done toute velléité de réflexion historique. Le parcours impos¢ est théatral, dramatique. Le visiteur est oppressé par le sentiment d'une absence d'alterative & chaque étape de son par cours. Les regards déterminés du fasciste Ferene SzAlasi, le Quisling hongrois, etdeMatyés Rékosi, le chef incontesté du Parti communiste hongrois entre 1945 et 1953, guident le visiteur vers des objets de la vie quotidienne des vietimes des po- lices politiques. En contrepoint, insurrection de Budapest en 1956nVest montrée que pour évoquer la répression communiste. Pas de Soviétiques, rien surla coopération ecclésiastique aprés 1956 ni surla maniére dont la répression a marque le pas aprés 1956 et surtout dans les années 1980. Enfin, un « mur des coupables » désigne une cen- taine de responsables des malheurs du pays ‘membres des Croix-Fiéchées, de la police poli- tique, des autoritésjudiciaires etde ladirection du Parti communiste hongrois entre 1945 et 1961. Le peuple hongrois apparait comme une vie- time depuis sa défaite lors de la Premiére Guerre mondiale et le traité de Trianon, qui, en 1920, a retranché les deux tiers de son territoire his- torique (des zones oi les Hongrois en général étaient minoritaires, mais cela n'est pas dit). Un peuple qui aurait ensuite subi une «double occu- pation» injuste, lui interdisant toute forme d'exis- tence digne de ce nom. Leculte de Firresponsabilité et de a souffrance qui isole les Hongrois autorise une version ou- trancitrement tronquée de histoire. Le message est politique, mais adress¢ aussi aux étrangers, priés de compatir. Note Dans la Maison de la terreura Budapest, ‘un tank sovietique est placé devant les photos des victimes du communisme. 1.J.Le Pavous, Distionnaire incolite delationgrie, Cosmopole, 2019. stone / 64 / OCTOBRE 208 60 / La transition démocratique a l'Est Bernard Guetta n’en doute pas ; malgré les déceptions, V'intégration des ex-pays de l'Est a l'Europe est une réussite. Entretien avec Bernard Guetta > cous nfavons pas su profiter de * ce moment de bonheur qui existait des deux cdtés du Mur — en 1989 pour créer un temps & politique dont!'émotion aurait y été le ciment., Peut-étre aurait x il fallu, profitant de Venthou- : Siasme de la chute du Mur, intégrer plus rapide- Pent omental ment les pays de FEst 4 l'Union européenne - ce correspondant du que demandérent les pays du groupe de Mondeen Europe Visegréd — quitte & imaginer « deux eercles » une eter ues * (comme le proposait Francois Mitterrand). Mais Salome nous avons pensé « transition économique », France nterde1991 «transposition des acquis communautaires », et 2018. Lest cette froideur technocratique n’a pas été une put européen bonne chose. Quinze ans plus tard, en 2004, ee lorsque, au prix d'efforts inouis, économiques, see Loe sociaux et méme psychologiques, les anciens hhongroise pays communistes ont rempli toutes ces condi (Flammarion, 2019). tions, pluspersonnen’avait vraiment envied’eux. En 2004, ces pays ont ressenti une immense fierté et encore plus d'espoir. Aprés avoir consenti 8 tous les sacrifices demandés par "Union, ils al- Jaient enfin connaitre la méme opulence que Paris, Londres, ou Berlin. Mais ce ne fut pas le cas et la déception fut immense. « Tout cela pour ga», sesontditbeaucoup de gens avec d'autant plus ¢'effarement que lacrise de 2008 a démythi- fié les institutions économiques internationales, la Commission européenne et tous es gourous de économie occidentale quileuravaientimposé la Fierté Le 30 aril thérapie de choc. 2004, & Prague les Les pays d'Europe centrale sont aujourd’hui Tehéques fent leur tres critiques envers 'Union, mais personne ne intégration & "Union propose pour autant de la quitter. Tout dirigeant européenne, uile feraitse suiciderait politiquement ar, outre LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 /61 z ‘quil existe une profonde fierté d'appartenir & ce club de pays riches et démocratiques, Union as- sure un apport de fonds, dts « structurels ». ‘Comme elle avait fait pour Espagne et le Portugal, 'Union européenne a permis ices pays dlaceélérer leur développement et leur enrichis- ssement, Prenez un train de banlieue a Budapest ‘et vous le découvrirez cent fois plus moderne que les trains de banlieue parisiens. Chacun le sait, ‘ais cela n’empéche pas les déceptions car les inégalités se sont développées & un rythme fou- droyant et les progrés sociaux sont beaucoup ‘moins rapides. Décalage culturel et poids de l'histoire Ces pays - méme la Pologne, qui pese écono- miquement et démographiquement au sein de TUE - sont toujours un peu considérés comme des membres de seconde zone. Dewxidme pro- bleme, il existe un décalage culturel entre ces sociétés et les sociétés occidentales. Acquise en Europe de Ouest, la Iégalisation du mariage homosexuel ne passe absolument pas auprés de beaucoup des citoyens de ces pays. Chez les Jeunes urbains, pas de probleme. En province, dans les campagnes et dans les milieux les plus religieux en revanche, le mariage gay reste in- concevable. L’évolution des moeurs est allée & tune vitesse incroyable dans nos pays alors que Europe centrale en est encore, de ce point de ‘vue, l8 ot: nousen étionsily aun quart de siécle. A cela s‘ajoute la question des migrants. ouverture des frontiéres allemandes par Angela Merkel en 2015 a été totalement incomprise et ‘méme ressentie comme une trahison de Europe. Dans ces pays, lobsession immédiate a done été de fermer les frontidres. Lhistoire a joué 1a d'un poids déterminant. Europe centrale n‘a pas ou- Dlié que les armées ottomanes étaient arrivées, en 1529, jusqu’aux portes de Vienne et quill avait fallu la mobilisation des Polonais pour la sauver. Les Balkans, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, ont vécu pendant des siécles sous ‘occupation ottomane. Tout pays musulman est aujourd'hui pergu comme une réminiscence of- tomaneen Europe centrale, etil existe forcement un nationalisme plus grand dans des pays qui niont recouvré leur indépendance qu’en 1989. Dernier point: ily avait déja dans empire des Habsbourg, dont les frontires recoupent large- ‘ment celles des pays d'Europe centrale, une im- ‘mense hostilité & V’égard de ce que Yon appelait VOccident. Ce qui était vrai au x1e sidcle Ta été, dans les années 1930, dans la Hongrie du régent Horthy etlaPologne de Pilsudski et cette peur pa- nique devant le changement du monde incarné parles puissances occidentales, on laretrouve au- jourd’hui intacte sous Viktor Orban et Jaroslaw Kaczynski, Dans empire des Habsbourg, les forces modernisatrices étaient la famille impé- riale, Parmée et la bourgeoisie juive — ceux qui avaient intérét a la pérennité de Tempire et done aendiguement des nationalismes. Cestle passé, bien sér, mais un passé incroyablement présent puisque Bruxelles est désormais percue comme Vienne Favait ét8, comme la capitale d'un nouvel empire qui soppose, comme ancien, aux natio- nalismes heurtés par la modernité occidentale et par tout ce qui prétend transcender les frontidres. Ressurgis de siécles oublids et alimentés par la croissante prééminence des institutions et poli- tiques européennes, les problémes sont sérieux. Ils sont si multiples que beaucoup craignent une nouvelle division de "Europe. Mais lintégration des pays d'Europe centrale A 'Union n’en est pas ‘moins une totale réussite. L’économie hongroise est d'un trés grand dynamisme. Budapest s'est considérablement modernisée. Varsovie trouve aujourd'hui une jeunesse et un dynamisme éo- nomique incroyables, une beauté méme et un charme dont elle était totalement dépourvue il yaencore vingt ans. Quand on a connu ces pays sousle communisme, laseule question deéchec ou de la réussite de l'intégration semble risible. Cestévidemment une réussite. (Propos recueilis par Quentin Paillé.) coms Groupe de Visegrad la été créé en 1991 lorsque les dirigeants polonais, ‘tchécoslovaque et hongrois se sont réunis 8 Visegrad (Hongrie) afin d’accélérer leur ‘entrée dans 'Union ‘européenne. Avec environ 65 millions @’habitants, le groupe de Visegrad, aussi appelé « V4» depuis Vintégration de ta Slovaquie en 3993, bénéficie au sein de Union européenne ’un poids comparable 2 celui de la France et defend des positions ‘communes notamment en matiere immigration. | E.AurencheBeau, M. Boldorf, R. Zschachlitz (dir.), RDA. Culture-crtique-crise, Nouveaux regard sur VAllemagne de VEst, Villeneuve-d’Aseq, Presses universitares du Septentrion, 2017. . Bafoll, Europe centrale et orientale. Mondialisation, ‘uropéanisation et changement socal, Presses de Sciences Po, 2006, #. Barnavi, LEuropefrgide, Waterloo, André Versaile, 2008 avee K. Pomian, La Révolution européenne, 1945-2007, Perrin, 2008. G. Casasus,S. Lemasson, S. Lorrain (dir), LAutre Allemagne. 1990-1995, funfication au quotiden, urement, 1995. D, Colas (dir), Europe post communist, PUF, 2002. C. Durandin, Z. Petre, LaRounanie post 1989, [Eilarmaitan, 2008. J. 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Welnachter (dir), LAllemagne unjige ving ans pris achute du Mur, Villeneuve-'Asc, Presses universitalres au Septentrion, 2009, vistone 64 / OCTOBRE 2018 62/ LAtelier des CHERCHEURS 1 Foréts francaises : le plan Colbert AUTEUR ‘Auteur d'une ‘hase inttulée = Compter les arbres. Une histoire des cs méridionales STipome ‘moderne » (2015), ‘Sébastien Poublane cestingénieur de recherche & Vuniversité Toulouse. TJeansfaurés, et rédacteur en chef adjoint du magazine ‘Mondes sociaux. LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 62 Dunhuang. Un trésor archives sur les routes de la soie p. 6 Foréts francaises Le plan Colbert Des foréts abimées, livrées aux délinquants et dont on ne tire plus guére assez de bois pour fabriquer des navires : pour Louis XIV et Colbert, c'est Voccasion de lancer une grande réforme de la gestion des foréts du royaume. C'est chose faite en 1661. Par Sébastien Poublane outes les sociétés ont, depuis FAntiquité, fondé leurs techniques sur utilisation de Peau et du bois. Les produits de la forét fournissent la biche et le charbon pour alimenter tres et fours, le bois serta confection- ner Vaile du moulin, la roue a aube, les maté- riaux pour construire navires, batiments, ‘meubles, ustensiles ou contenants. Lesforéts ou sylves permettent en outre cabriter les trou- eaux, qui y trouvent aussi une subsistance de tous es instants. En bref, quilssoient urbains ou rruraux, les hommes et les fernmes étaient tous étroitement dépendants de leur approvisionne- ‘menten fruits dela fore. Pour toutes ces raisons, la puissance publique entreprend, dés le Moyen Age, de gérer ce produit si stratégique, notamment au moyen des droits dusage. Concédés par le seigneur d'une forét, ils autorisent lusager (généralement une communauté d'habitants) a y ramasser du bois pour le chauffage, la fabrication d’objets cou- rants ou la construction, a y faire paitre son bé- tail, Ay chasser, y pécher ou ay récolter ses fruits (glands, chataignes, miel, herbes...). Ces droits payés en nature ou en numéraire sont une réalité fondamentale des sociétés ¢’Ancien Régime. En. change de Faces aux foréts, les communautés habitants procurent ainsi des capitaux ou per- ‘mettent au seigneur de faire fructifier es biens cen nature. Ce systéme permet au propriétaire de tirer un revenu de ses foréts et aux populati lobtenirles conditions nécessaires & leur Pendant plus de vingt ans, & partir de 1661, des centaines de commissaires et commis de Louis XIV ont arpenté les grandes foréts de chaque département du royaume de France. Leurs archives fournissent aux historiens un « instantané » de la vie forestiére de la période. Celles de ta grande ‘maitrise de Toulouse, particuliérement riches, ont été étudiées par Sébastien Poublanc, qui dévoile toutes les précautions avec lesquelles il faut les lire. ? i i : i waist 64 / Atelier des chercheurs » >> survie quotidienne. Il n'est done pas sur- prenant que la question de leur maintien soit a Forigine de conflits tout au long des xvi" et xvut sidcles, aboutissant i la diffusion de Vimage du paysan affamé, en manque de ressources vi- tales en bois—et donc susceptible de se révolter. Cestnotamment afin de réguler ces conflits et, surtout, de veillersurleur propre domaine fores- tier que les rois de France créent, au xm siécle, les « Eaux et Foréts ». Linstitution doit adminis- trer les foréts royales et utiliser son pouvoir de police pour traduire devant la justice les délin- uants, qui préléveraient plus de ressources que prévu ou couperaient des arbres sans autorisa- tion, A la fin du xvr'siécl, la taille du royaume est devenue telle que Finstitution est scindée en sous-ensembles régionaux, les grandes maitrises, elles-mémes divisées en maitrises particuliéres. Les grands maitres sont chargés de la gestion ré- gionale des Eauxet Foréts (police des bois, coupe des arbres, jugement des délinquants...). Vurgence de réformer ‘Au xvnt sidcle, les rapports des grands maitres des Eaux et Foréts n’en sont pas moins alar- mistes : Pétat de guerre endémique au xvi et dans la premigre moitié du xvi siécle (notam- ment a cause des guerres de Religion et des guerres de Rohan) aurait empéché les forestiers » vistone 64 / OCTOBRE 2018 66 / Atelier des chercheurs >>> Tintendance suit : plusieurs mois plus tard, les arpenteurs établissent les relevés de bornage, dressent un état détaillé de chaque « triage » (Cest-a-dire chaque quartier) de la forét puis en réalisent le « plan et figure géomé- trique ». La rationalité remplace la coutume et estimation. La matérialisation du bornage de- vient alors un instrument de pouvoir, d'appro- priation de espace, servant a préparer la phase suivante de Yopération, les grandes vagues de procés annuels. Des bornesen pierre sont appo- sées sur les limites et les arbres limitrophes sont ‘martelés de la fleur de lisroyale. On trouve aussi is des fossés ou des murets. Uiversert instruire les procédures tanteontre les officiers des foréts que contre les riverains et délinguants ordinaires. Froidour se fait porter & ‘Toulouse les papiers des greffes des différentes ‘maftrises. La période est également propice & la rédaction de textes normatifs:& partir des inter rogatoires desofficiers et des informations recueil- lies sur place, on congoit un plan général pour la police, la garde et Padministration des foréts. On prévoit aussi le réglement des fonctions de tous les officiers et gardes, leurs gages, chauffage et autres droits, ainsi que la maniére de procéder auxassiettes, adjudications, exploitation et usages des coupes. Ala fin du printemps, quand les che- mins redeviennent plus facilement praticables, Jes défendeurs doivent se rendre a Toulouse ou Montauban pourentendre leur sentence. Au total, lerythme dessaisons définit donc un cyele annuel de Faction de Froidour et de seshommes. Fidéle de Colbert, Froidour met ses compé- tences & son service, liant son ascension sociale au sueeés de la réformation, Par sa mainmise sur Fappateil forestier, il se rend indispensable, au point d'étre nommé gracieusement « grand maitre enguéteur général et réformateur » de ‘Toulouse en 1673. Froidour appelle alors a son service une partie de ceux qui fontassisté (40 sur 196) lors dela réformation, créantainsile réseau de fidelités qui faisait jusque-la défaut & Vinsti- tution forestiére et & Colbert dans le Midi. Cest A eux que revient das lors de mettre en applica- tionles réglementsissus dece gigantesque travail denquéte, et de rétablir une image plus juste de ces foréts pergues comme détériorées. Des « Eaux et Foréts » 4 ?ONF expression « Eaux et Foréts», qui apparait pour la premiée fois au vat siéele dans une ordonnance de Philippe Auguste, recouvre administration des foréts, de la chasse et de la péche en eau douce. Celle est proaresivement perfectionnée &lafin du Mayen Age et & "Epoque moderne. Dinstitution royale elle devient institution d'état sous la Révolution et est encore objet de attention des républicins au nx" siecle. En 2964 est créé UVONE (Office national des foréts), chargé de la gestion des forts publiques (production de bois, police des foréts..), avec 'économie pour pierre angulaire de sa politique. LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 Martean de ba Maire PS Atartoon (IO aorurenr Des lis sur les écorces Cette gravure tirée des instructions du grand maitre forestier Louis de Froidour ‘montre les emplacements ol doivent étre martelées les armes du roi, de institution forestire et de Varpenteur. Le marteau du roi, fleurdelisé, est applique sur les arbres en lisiere, de sorte a sacraliser le périmétre dela forét. opération est la fois symbolique et juridique : en matériaisant Vautorité royale, elle sert aussi a avertir les délinquants puis & prouver le délit quand les, arbres martelés sont découverts chez eux. Toutau long de la réformation, les hommes du rojontlivré une image dégradée des foréts: leurs Notes lisses sont abougries, leurs rejets rabougris, leurs 1.1. De Froidour, rarges incendies ; des troncs jonchent le sol et Risen gor des places vides parsément Iétendue sylvestre au point«qu’on aurait pula traverser presque partout en carrasse», Tout concourt.a présenter les foréts ‘comme des lieux de désolation. grand maistre des Ea & Forests au département de ioc... Toulouse, ech, 1685, p. 63 ae Besoins du roi, besoins des populations atm Gamo, Ay regarder de plus prés, le bilan doit étre 88001, fo. 501. ‘nuancé. I faut replacer Faction des réformateurs dans son contexte : Ie principal acteur de Fopé- ration demeure un citadin, culturellement mar- ‘qué pare sentiment de crise forestiére qui touche les gens des villes, a commencer par Colbert. La ‘mauwaise gestion des boisements était surtout ‘au regard de ses attentes et de ses prescriptions Vaménagement, car leur état n'empéche nulle- ‘ment les Méridionaux d'y trouver les ressources dontils ont le plus grand besoin. La déformation de la réalité est d'autant plus sensible que la réformation doit justifier son existence et le réformateur assurer son avenir la téte de la grande maitrise. Ne découvrir que de belles et hautes foréts a la place de syives dégradées n’aurait aucun sens. Lidée de foréts accablées par la communauté est pour partie une invention des réformateurs royaux qui les décrivent comme sauvagerie 4 abolir et peuple mentsa protéger. accusation, cependant, nese Porte pas toujours sur la collectivité : on accuse plus volontiers un ou une délinquante, ce qui permet de manifester la puissance du toi pro- tecteur des communautés lésées. “Mais les sources dévoilent un tableau plus com- plexe : en dépit du sentiment imminent de crise forestiére, les ventes de la grande maitrise aug- ‘mentent régulirement, tanten volume qu’en re- ‘vent, indicateur informel de la qualité d'un bois ‘qui demeure trés demandé. Enfin, a disette de bois n'apparait nulle part dans les sources, Reste quiau fil de leurs visites aux quatre coins de la grande maitrise, les commissaires ont pu mesurer la force du lien entre les foréts et les ‘communautés d’habitants, entre les hommes cet les arbres. Unissant les intéréts économiques du roi aux besoins des populations riveraines, les réformateurs reconnaissent la légitimité des usages, quitte & les restreindre. Ils obtiennent alors de Colbert de ne pas appliquer strictement les prescriptions dela Grande Ordonnance : avec ‘ce compromis, il s'agit avant tout déviter toute sédition, Les réglements de réformation synthé- tisent les pratiques sylvicoles locales aux pres- criptions de lordonnance précédente. Lespace forestier se couvre alors de bornes, se fortifie ; la terra incognita recule, & défaut de disparaitre. En lieu et place d'une législation généraliste, les réformateurs préfeérent application raisonnée du furetage ancestral, des réserves asservies aux potentialités des foréts, et souhaitent généraliser plantations et semis. La réformation menée par Froidour se révile ainsi fidéle aux préceptes absolutistes de la «mo- narchie de papier» quisinstalle dansle royaume, de plus en plus administrative, technocratique et bureaucratique ; mais elle se révéle tout autant fidele aux préceptes de négociation chers & IAn- cien Régime, Ses mesures les plus pragmatiques se trouvent dissimulées derrigre les apparences: méme sls se référent constamment a la Grande Ordonnance, les forestiers s’en détachent & de nombreuses reprises afin de mener tne sylvi- culture en prise avec les besoins locaux. Grice & cette dissimulation, malgré les guerres et la ga- begie, ils ont posé les bases d’un mode de ges- tion des foréts qui perdure jusqu’a la Révolution francaise voire, pour certains endroits,jusqu’a la seconde partie du xne side. et arbre sous Uancien Régime, Economica, 1984. M. Devéze, La Vie dela ford francaise ‘au sie, Sevpen, 1961 ; Une admirable r8forme administrative. Tagrande rformation des fortis royals sous Colbert, 1661-1680, ‘Nancy, Ecole nationale des Eaux et Fores, 1962. fi acre 68 / Atelier des chercheurs AUTEUR Sinologue et chargé de recherche ‘au CNRS, Damien Chaussende stestspécialisé ‘sur eeriture de Thistoire dans la Chine ancienne etimpériale. ‘lanotamment ‘radu le Traité de Thistorien parfait de Liu Zhi (Les Belles Lettres, 2015). LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 Dunhuang Un trésor d’archives sur les routes de la soie Située au coeur des routes de la soie, en bordure du désert du Taklamakan, Dunhuang fut un riche centre bouddhique du 1 au xur siécle. Les manuscrits qui y furent découverts en 1900 ont jeté une lumiére nouvelle sur de nombreux pans d'une Chine médiévale trés connectée, déja, au reste de UAsie. Par Damien Chaussende 22 juin 1900, Wang Yuanlu, ancien soldat reconverti en prétre taoiste qui assure, & Dunhuang, le gardiennage des grottes des Mille Bouddhas, ensemble patrimonial tombé alors quelque peu en désuétude, dé- couvre, au fond d'une grotte, un amoncellement de manuscrits dissimulé dans une niche secréte. Cest ledébutd'unsigele de dissémination, dedé- chiffrement et danalyse de ces manuscrits, d’od la connaissance de la Chine ancienne et médié- vale sortira, sinon révolutionnée, dumoinsconsi- dérablement approfondie. Bouddhisme, méde- cine, littérature, économie, circulation des savoirs entre lnde, la Chine, VAsie centrale et Asie intérieure :les spécialistes ont sutirer de ces textes de quoi préciser et complexifier leur appré- hension de la région. Ala gloire du Bouddha Située sur le parcours des anciennes routes de la soie, autourd'une oasis plus de 2000 kilometres a Touest de Pékin, Dunhuang fut un grand centre du bouddhisme du rv siécle jusqu’au début du xm, ainsi qu'un carrefour multiethnique et multiculturel important aussi bien dans le do- maine matériel que dans celui des idées. Elle ne fut pas toujours chinoise -elle est aux confins de Yempire du Milieu — et fut méme tibétaine pen- dant une courte période au vur-u* sidcle. Un vaste complexe d’environ 500 grottes or- nées de peintures et de sculptures & la gloire du Bouddha et d'autres divinités du bouddhisme y fut peua peu creusé et construit par des généra- tions suecessives de croyants et de religieux. Le site, connu en chinois sous les noms de Mogao (ittéralement « rien de plus éminent ») et de « grottes des Mille Bouddhas » (Qianfo dong), abrite environ 45000 m?de peintures, 2000 sta- tues peintes (de bouddhas et de bodhisattvas) et divers vestiges architecturaux. La plupart des peintures et des sculptures représentent des di- Vinités bouddhiques, et plusieurs évoquent des événements historiques liés & la diffusion du bouddhisme. Certaines peintures sont narra- tives etillustrent quanta elles la vie du Bouddha historique Shakyamuni. hee est parla marge que Damien Chaussende s'est intéressé, dans ses recherches, aux manuscrits de Dunhuang : pour les poémes de l’historien Liu Zhiji (I justice, plus largement, au travail que le Centre de recherche sur les civilisations ie orientale, dont il fat partie au CNRS, a consacré a ce corpus exceptionnel. Bouddhologues, uuteur du Traité de Vhistorien parfait) qui y ont spécialistes de taoisme, de médecine, d’économie, mais aussi de la matérialité des manuscrits chinois, depuis ’écriture jusqu’au papier, ont multiplié les analyses des trésors de Dunhuang. ¥ (t¢ Fem etl? i “bss arta td SPREE DBS dan ml ol RIE AED g % 3 apoB) Aa RAO OMAN EE Découverte Les « grottes des Mille Bouddhas » de Dunhuang (en haut) abritent, au nord-ouest del Chine, un vaste complexe bouddhique, acti du "aux sécle ct lassé depuis 1987 a patimoine mondial de Unesco, Cest que 1900 . ‘Wang Yuan (rote), le garden des grote, découvre un exception! corpus be 50000 documents es texes religieux, médica, administra Ox encore cet atlas dt ciel du début des Tang, le plus ancien connu au: monde (British Library). Sm. LUISTOME / Nae / OCTOBRE 2018 70 / LAtelier des chercheurs >> De nombreux temples et monastéres OY furent édifiés prés des grottes, et lactivité mo- vs ciacie nastique y fut trés intense dés le rv*siécle, alors Depue de Vessor du que le bouddhisme s'imposait durablement Contre boudahique dans une Chine en désunion. Elle s'accrut no- ge Dunhuang, tamment au tournant du vit siécle ala faveur gag du rdle que la dynastie Sui puis celle des Tang Oyte du plus conférérent au bouddhisme dans la cohésion —Sneien texte identfié de Vempire. Mais Dunhuang perdit peu a peu 3 Dunhuang. son réle stratégique, en particulier pendant la Ga g.997 période mongole (1279-1368), et fut dépeu- Dynaste des Tang : plée a plusieurs reprises par les autorités impé-Shogée du ste. Hiales, & Yoccasion de réformes administratives 372 concernant la région. La ville et ses richesses Pits ancien texte patrimoniales tombérent ainsi au fil du temps fiyprime au monde dans Youbli au xrv‘siécle, jusqu’a ce qu’elles (catra du Diamant), fussent remarquées par des explorateurs occi- découvert parmi les dentaux, comme le Russe Nikolai Prievalski, le manuscits. Hongrois Lajos Léczy puis le Francais Charles pébut du xr siécle Eudes Bonin, qui parcoururent [Asie centrale @ tes manuscrits de partir des années 1860. Dunhuang sont ‘emmurés, sans doute @ Styles chinols et indiens cause d'une invasion. Du point de vue de histoire de art, le site est 4900 exceptionnel par sa richesse, mais aussi parce _écouverte des quill mélange la tradition chinoise Han et des manuscrits de styles provenant d'inde (y compris Pécole gréco- Dunhuang par bouddhique du Gandhara) ou spécifiques @ Wang Yuanlu, des populations turques, tibétaines et d'autres peuples formant aujourd'hui les minorités eth- niques de Chine. Ces peintures et sculptures té- ‘moignent des intenses métissages artistiques qui cont accompagné les échanges commerciaux. La nature précise de ces grottes ainsi que leur fonction sont encore Fenjeu de débats, mais i] Domatewr = est possible que certaines aient été des lieux de C'est notamment grace méditation, d'autres des lieux de circumambu- %% ffrandes de : i nombreux donateurs, tel lation, et d'autres des lieux saints dédiés a des "ombreuxdonateuts Bouddhas, voire des tombes. Le site a été classé Yu siecle au mur dune au patrimoine mondial deUnesco en 1987. Ges grottes que Le complexe bouddhique de Dunhuang s'ins- les monastéres de crit dans une Chine empreinte de religiosité Dunhuang deviennent bouddhique. On compte sous les Tang 30000 —_prosptres, 40000 monastéres dans tout empire, et des re- censements effectués en 842-845 font état d'une ca Ou sont conservés les manuscrits ? Les manuscrits de Dunhuang sont actuellement répartis dans plusieurs pays, ce quinne facilite pas leur recension précis, d’autant que certains ne sont que de simples fragments et non des ouvrages ou des textes enters. Le plus grand nombre est & Pékin, vient ensuite la collection de la British Library de Londres, puis celle de la Bibliotheque nationale de France et enfin celle de institut des tudes orientales de Saint-Pétersbourg. En 1973 a été mise au point une équipe de recherche du CNRS entiérement consacrée a Dunhuang et au catalogage des manuscrts conservés 3 la BNF (aujourd’hul une composante du Centre de recherche sur les civilisations de Asie orientale). En 1994 fut créé International Dunhuang Project, dont Vobjectf est ta numérisation de tous les manuscrits et imprimés de Dunhuang, et leur mise en ligne pour une consultation libre et gratuite. Les textes numérisés sont deja disponibles (ht agrémentés de notices, d’aricles et de traductions.. Dc LeisToe/ ase /ocTOBRE 2019 population de 100000 religieux, du moine ou de la moniale officiels, entretenus par Etat, jusqu’aux petits religieux issus du bas peuple, vivant isolés ou en petits groupes dans divers cermitages. La spécifcité de Dunhuang est qu'il Sagit d'un centre géant et que la ville comporte plusieurs monastéres impressionnants relative- ‘ment bien peuplés par rapport & la moyenne 20 4 50 religieux tout au plus en moyenne, 45- 50 pour Dunhuang. Les grands établissements bouddhiques ont tune importance économique réelle dans le tissu urbain : riches, ils pratiquent les préts sur gage, sont de puissants propriétaires terriens et re- coivent quantité doffrandes, en numéraire, en biens meubles, immeubles et en nature. Ils bé- néficient en outre davantages fiscaux, puisque 7 BB Empire chinois sous ta dynastie Tang (61807) [Gi Territoire conquis par les Chinois [J Protectorat chinois (F califat omeyyade au milieu du vir siécle — Route de ta oie Diffusion du bouddhisme © Grand site bouddhique [Territoire conguis par les Omeyyades (debut vr siete) ‘morsel ucha Taklamaken ROYAUME DU TIBET ‘ Papas tse ES f Aux confins de l’empire du Milieu Dunhuang, plus de 2000 klométres& vest de Pékin, se stue sur le parcours des anciennes routes dela sole. est sous les Han, ‘au side a. JC, que commencent & se dssiner ces routes commerdals & travers le continent eurasien Les ambassadeurs chinols ‘envoyés conclure des alliances vers Vouest ouvrent de nouvelles voies bientdt investies par les marchands, indiens et bactriens, puis. ‘sogdiens. Avec ces derniers, les routes de la soie connaissent leur apogée, au wi" siécle. Avant d’étre ressuscitées, 3 deux reprises : par les Mongols au nut siécle, et aujourd hui par la Chine de XiJinping.. lesmoinesetles nonnes sont exemptésde toutes, redevances et corvées. Diune maniére générale, ces établissements proposent & leurs fidéles les, services religieux typiques (priéres d'interces- sion, récitation des Ecritures,fétes et éducation religieuses, etc.) mais aussi @autres servicestels, ‘que des bains publics, de Phétellerie, la méde- cine, Péducation. Ils patronnent en outre toutes sortes d'ceuvres de bienfaisance : distribution de nourriture, dispensaires, hospices, bains pu- blics. «Le monastére, précise Vhistorien Kenneth Chen, jouait un réle dans presque tous les do- ‘maines de a vie du fidéle bouddhiste sous les Tang. I lui apportait le réconfort spirituel dont il avait besoin, lui fournissait une aide économique en cas de nécessité le distrayait de son labeur Forme de bouddhisme mahayana apparue ‘en Chine au v siecle, puis implantée au Japon au ni siécle oi elle devient le zen. Le chan, influencé par le taoisme, repose sur la recherche directe de VEvell parla méditation. Enseignements du Bouddha, is forment une des trois parties ddu Trpitaka, «la triple corbeille », corpus des textes canoniques du bouddhisme. ‘Autour des monastéres bbouddhiques, ce sont de-véritablesvlles qui sSorganisent. Idle ‘complexe monastique du mont Watai, représenté, au x'siele, dans les _grottes de Mogao. UPRISTOME/ Wrage / OCTOBRE 2018 72/ LAtelier des chercheurs quotidien par les fetes quil organisait tout au long de Vanneée, lui offrait Voccasion de nouer de nombreux liens sociaux et prenait soin de tui quand il était malade, dé ou infirme. » Plus que ses peintures et ses statues, ce sont 2 foie ie tow duno toutefois ses manuscrits qui ont faite renom de ouaha, un stopa Dunhuang, Préservés gréce au climattrés sec de (reliquaire constitug Ja région, ils attirérent des la premiére décen- d'un amas de briques) nie du xx‘ sidcle, Vattention de spécialistes ve- ou un temple. nus du monde entier. En 1907, un explorateur et archéologue hongrois naturalisé britannique, ‘Aurel Stein, s'y rend afin de voir les grottes. I entend alors parler des manuscrits et convaine ‘Wang Yuanlu de lui laisser voir la niche. Stein est émerveillé par la découverte et offre 300 taéls Goit 'équivalent de 220 dollars de 'époque) & Wang en échange de plusieurs manuscrits quill fait renvoyer & Londres et en Inde (alors colo- nie de fempire britannique). Das lors, plusieurs explorateurs, russes, japonais, danois ou améri- cains, se rendent a Dunhuang et en rapportent des manuscrits quise trouveront dispersés de par Coos na on La pradakshina consiste 2 faire le tour d'un objet Chaque action produit ‘un karma, posit ‘ou négatif, dont les résultats se font sentir dans cette vie ou dans une autre. Technique consistant ‘a chauffer des points acupuncture pour faire pénétrer la chaleur lemonde dans divers lieuxde conservation. Lesi- $US! peau. nologue francais Paul Pelliot passe trois semaines A Dunhuang en 1908 et sélectionne lui aussi plu- sieurs milliers de manuscrits (échangés contre La Chine, Vautre pays du bouddhisme © bouddhisme, progressive- ‘ment implanté en Chine a par- Hentir du 1" sigcle sous sa forme mahayana (« grand véhicule »), y est devenu l'une des trois doc- trines (sanjiao) qui, aux edtés duu taoisme et du confucianisme, ont irrigué les cultures savante et po- pulaire, mais aussi l'idéologie poli- tique. Sila Chine n’a jamais connu de guerre de religions la maniére occidentale - les fidéles ne sont jamais allés jusqu’a se faire tuer pour une question de foi -, des empereurs chinois ont pu décider @accorder la primauté & Pune ou autre des doctrines, voire de lancer des proscriptions. Le bouddhisme, dont le principal tort était, selon certains ministres et monarques, de provenir de I’étranger (de 'inde en Poccurrence), a plu- sieurs fois au cours de son histoire subi des proscriptions, comme par exemple sousla dynastie des Wei du Nord dans les années 440. Siles em- pereurs Tang (618-907) soutenaient plutat le taoisme, le bouddhisme fut quant & lui largement favorisé, financé et exploité politiquement par Vimpératrice Wu Zetian au vir siécle, célébre pour avoir étéla seule mo- narque en Chine & porter le titre d’empereur (huangdi), réservé jusque- 1a a des hommes, D.C. Ce Bouddha, représenté ila mode indienne a été dépos¢ sous les Tang dans les grottes de Dunhuang, LemsToe/ ase /ocToBRE 2018 Se Sitét découverts, les manuscrits excitent la Ccuiosité des orientalistes. Ii le Francais Paul elliot, en 1908, dans Ja niche aux manuscits. 500 taéls, sot 370 dollars), de nos jours conser- ‘vés a la Bibliotheque nationale de France (BNF). Cesonten toutplusieursdizaines demilliersde ‘manuscrits (mais aussi imprimés) de Dunhuang, et de sites voisins qui furent exportés vers des pays étrangers. Le pouvoir impérial chinois réagit, tard, en 1910, etfitrapporter environ 10000 ma- ‘nuuscrits la capitale, Pékin. I semble cependant ‘que de nombreux manuserits ne furent pas ache- minés (comme ceux qui n’étaient pas en chinois), puisque les explorateurs occidentaux conti- nu@rent & en rapporter. On sait par ailleurs que ‘Wang Yuanlu en avait Iui-méme mis de c6té et dissimulé. 1 est donc impossible de savoir quel est lenombre exact de manuscrits que conten la niche secréte au départ. On évalue le corpus A environ 50000 documents constitués de rou- eaux (les plus nombreux), de livrets, de feuil- lets séparés, de peintures et de fragments divers. Environ 1000 manuscrits sont datés : Ie plus an- cien porte un colophon (note a la fin d'un ma- ‘uscrit) mentionnant année 406 de notre ére, le plus récent érant daté de 1002. Si la cache dans laquelle ont été retrouvés Jes manuscrits est située en Chine, Dunhuang fen était pas moins un carrefour culturel, att croisement de 'empire du Milieu, de Vinde et de TAsie centrale. La langue chinoise est par- ticuliérement représentée dans ce corpus (elle constitue environ les trois quarts des manus- crits), mais bien d'autres langues et écritures apparaissent, en particulier le tibétain, mais aussi, dans une moindre mesure, louighour (une langue turcique), le sogdien (la langue 4 3

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