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L'ENSEIGNEMENT DE L'ÉDUCATION À LA SANTÉ EN ÉCOLES

ÉLÉMENTAIRES PAR DES INTERVENANTS EN EPS

Denis Loizon et Maxime Gruet

Armand Colin | « Carrefours de l'éducation »

2011/2 n° 32 | pages 65 à 79
ISSN 1262-3490
ISBN 977126234900632
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2011-2-page-65.htm
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L’enseignement
■ Dossier. Études et recherches

de l’éducation à la santé
en écoles élémentaires
par des intervenants en EPS

▲▲ Denis Loizon et Maxime Gruet


denis.loizon@dijon.iufm.fr
maxime.gruet@wanadoo.fr

C
ette étude trouve son origine dans une citation :
« Une étude conduite en 2002 montre que 71 %
des enseignants déclarent faire de l’éducation à la
santé. Dans cette même étude, aucun des 626 ensei-
gnants interrogés n’a mentionné de thèmes en lien
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avec l’EPS » (Simard et Jourdan, 2008, p. 10). Nous
avons cherché à expliquer ce constat en proposant
une recherche en didactique qui s’intéresserait à la
question des savoirs enseignés en éducation à la santé dans le cadre des
cours d’éducation physique et sportive (EPS) en école élémentaire. Notre
étude exploratoire s’est intéressée au rôle des intervenants extérieurs.

L’éducation à la santé
Proposer une définition de l’éducation à la santé relève d’une mission
difficile tellement ce concept présente des acceptions diverses (Broussouloux
et Houzelle-Marchal, 2006). Pour le législateur, la mission de l’École n’est
pas de conditionner les élèves, mais de les éduquer ; c’est en ce sens qu’il
précise la finalité de cette éducation à la santé au travers d’une circulaire
en 1998. La notion de choix pour l’élève est au cœur de cette éducation ;
cela se traduit également par le développement d’attitudes responsables
chez les élèves. Si tous les enseignants peuvent effectivement jouer un rôle
pour éduquer à la santé (Berger et Jourdan, 2006), les professeurs d’EPS
voient cette mission spécifique inscrite de manière très forte dans les textes
officiels (BOEN, Programmes du collège, 2008).
Si l’éducation à la santé est bien inscrite dans les programmes, son ensei-
gnement dans les leçons d’EPS semble plus complexe qu’il n’y paraît. Cogérino
(1999) a montré que la santé faisait l’objet d’une « prise en compte ambi-

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guë » chez les enseignants d’EPS dans le second degré. C’est surtout la dimen-
sion physiologique qui est affirmée par la valorisation de l’endurance cardio-vas-
culaire, les courses de longue durée et l’échauffement. La dimension psychologique
est minorée avec peu d’apprentissage de la gestion du stress ou de la maîtrise de
soi. La dimension sociale occupe une place intermédiaire, en se raccrochant au
thème de la socialisation, de la citoyenneté, du respect des règles et de l’apprendre
à vivre ensemble.
Ce constat est le fruit de relations très fortes entre la discipline EPS, le sport et
sa tutelle historique que fut la médecine, aussi bien d’un point de vue politique
avec son rattachement au Ministère de la santé (Legrand et Ladégaillerie, 1970)
que d’un point de vue plus didactique avec les savoirs médicaux de référence
(During, 1984).
On voit donc qu’il existe un écart entre les prescriptions officielles (les pro-
grammes) et les pratiques d’enseignement de l’EPS dans le second degré. Dans le
cadre de notre étude, nous cherchons à savoir ce qu’il en est dans le premier degré
au niveau des écoles élémentaires. Cet écart existe-t-il aussi dans le premier degré ?
Les intervenants en EPS ont-ils les mêmes difficultés à définir l’éducation à la
santé que les enseignants d’EPS du secondaire ?
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Cadre conceptuel et question de recherche
Après avoir présenté le cadre théorique de la didactique clinique, nous propo-
serons notre grille d’analyse des savoirs en éducation à la santé.

Le cadre de la didactique clinique

Nos travaux s’appuient au départ sur les options théoriques didactiques déve-
loppées par Brousseau (1998) en didactique des mathématiques ; ces concepts ont
été importés par les didacticiens de l’EPS (Amade-Escot, 2007 ; Marsenach, 1991 ;
Terrisse, 2006). Ces chercheurs ont développé des méthodologies centrées sur
des études de cas pour rendre compte des objets de savoirs qui étaient enseignés
en EPS.
Pour expliquer certains faits didactiques observés dans les pratiques d’ensei-
gnement, comme la focalisation sur la sécurité ou le refus d’enseigner certains
savoirs, des chercheurs tels que Carnus (2003), Loizon (2004) et Terrisse (1999)
ont convoqué une théorie de l’inconscient freudien. Ils ont montré qu’une partie
du travail didactique se faisait parfois à l’insu des sujets enseignants.
Nous postulons que la prise en compte du sujet-enseignant est un élément
incontournable pour comprendre certains faits didactiques que les concepts didac-
tiques ne suffisent pas à expliquer. La référence à la notion de sujet didactique
« permet de rendre compte des réponses d’un sujet confronté à l’évolution aléa-
toire d’une classe d’EPS, dont il ne maîtrise pas tous les déterminants. L’étude ne

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porte plus seulement sur le savoir de l’enseignant, le « déjà-là », mais sur la façon
dont il l’utilise, l’adapte, le transforme, voire l’invente au temps de l’épreuve »
(Terrisse, 2000, p. 104).
Cette dimension clinique qui « s’intéresse au sujet singulier dans sa dynamique
à la fois psychique et sociale » (Beillerot et al., 1996) nous a permis de dévelop-
per une théorie du sujet enseignant en didactique clinique qui repose essentiel-
lement sur trois présupposés (Terrisse et Carnus, 2009).
Premier présupposé : le sujet enseignant est singulier. Même dans les cas où le
sujet peut être fortement déterminé par des contraintes externes comme les pro-
grammes scolaires ou le contexte de l’établissement, cette singularité existe et se
retrouve en partie liée à l’histoire personnelle du sujet. Celle-ci contribue à façon-
ner un rapport personnel à l’activité physique, notamment chez les enseignants
d’EPS (Loizon, 2009a).
L’assujettissement du sujet enseignant constitue le deuxième présupposé. Ceci
relève essentiellement de l’inscription de l’acte d’enseignement dans un contexte
particulier qui exerce un jeu de contraintes pour l’enseignant. Carnus (2003) a
développé l’idée qu’il existerait différents niveaux d’assujettissements comme le
contexte de la classe et de l’établissement, le système éducatif, la société avec son
système de valeurs et sa culture. Tous ces assujettissements agissent comme des
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déterminants externes et interviennent dans les décisions de l’enseignant.
Enfin, troisième présupposé : le sujet enseignant est divisé. Cette division est
identifiable à plusieurs niveaux, notamment entre ce qu’il déclare avoir fait et ce
qu’il a réellement fait. C’est pourquoi il est nécessaire de ne pas s’en tenir uni­
quement aux pratiques d’enseignement déclarées. Mais il peut aussi être divisé
entre des buts contradictoires comme garder le contrôle de la classe et dévoluer
les apprentissages. Cette notion de sujet divisé est un indicateur fort de la réfé-
rence à la psychanalyse, comme le sont également deux autres indicateurs : « la
place symbolique de l’enseignant » en tant que sujet supposé savoir, et « l’impos-
sible à supporter » (Terrisse et Carnus, 2009).
Ces différents postulats ont des conséquences au plan méthodologique. La pre-
mière condition de ces recherches en didactique clinique relève de la nécessité
de recueillir le discours de l’enseignant en situation d’enseignement. L’analyse de
ce discours porte notamment sur « les récurrences, les répétitions et l’insistance
des signifiants, notamment en y faisant apparaître ce qui insiste au-delà de ce qui
y est énoncé, autant que les ambiguïtés, les contradictions et l’équivoque des
termes utilisés (ce qui passe à l’insu du sujet parlant) » (Terrisse, 2000, p. 99).
La deuxième condition renvoie à l’après-coup, c’est-à-dire au temps où le sujet va
procéder à une réélaboration de son discours dans les entretiens post-séance.
Enfin, la troisième condition suppose une formalisation des dires du sujet ; ses
paroles rendent compte alors de sa position subjective.

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La construction de la grille d’analyse

Dans ses propositions sur la didactique fonctionnelle, Minder (1999) fait réfé-
rence à trois dimensions du savoir lorsqu’il tente de définir la notion de compé-
tence : la composante déclarative avec le savoir dire, la composante procédurale
avec le savoir-faire et la composante conative avec le savoir être. À propos du
savoir-faire qui touche à la discipline EPS, il distingue le savoir-faire cognitif et
le savoir-faire moteur. Ce dernier constitue un enjeu d’apprentissage extrê­mement
important en EPS.
Les savoirs sont donc multiples. Sarreméjane remarque que les savoirs à ensei-
gner présentent des statuts divers ; la grande majorité de ces savoirs ne sont pas
des savoirs savants mais des savoirs issus de notre culture. Il fait alors ce constat
à propos des savoirs enseignés en EPS : « l’EP balance en permanence entre un
savoir théorique et un savoir en acte » (Sarreméjane, 2002, p. 45). Pour les besoins
de notre étude, nous avons élaboré trois grandes catégories de savoirs en EPS pour
les mettre en relation avec ceux de l’éducation à la santé : les savoirs (théoriques
ou objectivés), les savoir-faire dans toutes leurs dimensions (cognitive et motrice)
et les savoir être.
Concernant l’articulation entre EPS et éducation à la santé, l’enseignant d’EPS
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devrait enseigner, selon Tribalat (2005), trois grandes catégories de savoirs. Une
première catégorie avec des savoirs sur la santé apparentés à nos savoirs théoriques
comme les connaissances sur le corps ou le système énergétique. Une deuxième
catégorie avec des savoirs pour sa santé (bien se nourrir) ; et enfin, des savoirs pour
agir sur soi dans le respect de son intégrité physique et de celle des autres qui relè-
veraient davantage de savoir-faire comme par exemple concevoir ses programmes
d’entraînement ou savoir s’échauffer.
Dans le domaine général de l’éducation à la santé, nous nous appuyons essen-
tiellement sur les travaux de Simard et Jourdan (2008) qui nous fournissent un
cadre didactique qui présente les savoirs de l’éducation à la santé. À partir d’une
analyse de corpus, ces auteurs proposent une modélisation avec trois pôles de
savoirs. Un premier pôle centré sur des connaissances (de soi, de son corps, de
sa santé, des comportements à risques et leurs effets) qui représente la dimension
corporelle. Un deuxième pôle axé sur les savoir-être et les savoir-faire avec le déve-
loppement de compétences psychosociales (gestion du stress, travailler ensemble,
se respecter…) qualifié de dimension psychosociale. Un troisième pôle autour de
la dimension critique avec la nécessaire distance critique à tenir face à l’environ-
nement, la capacité à garder sa liberté face aux médias, face à la pression des pairs.
Notre grille d’analyse reprend ces trois dimensions de l’éducation à la santé.
Chaque dimension didactique (1) a été détaillée pour faire apparaître les différents
objets de savoirs qui la composent (savoir-faire, savoir-être, informations sur le
 (1).  Nous avons repris le terme de dimension proposé par Simar et Jourdan (2008) pour bien mon-
trer qu’il s’agit de catégories macroscopiques, elles-mêmes composées de catégories très spécifiques.

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corps, sur la santé…). Pour chacun de ces objets de savoirs, nous avons défini des
critères différenciateurs et des indicateurs (2). Nous avons ainsi abouti à la grille
d’analyse suivante avec trois dimensions didactiques macroscopiques :
• Une dimension corporelle dans laquelle nous avons identifié trois catégories de
savoirs dont deux sont dispensées sous forme d’informations en direction des
élèves : des informations sur la santé relatives à l’hygiène de vie (fonctionnement
normal du corps, l’alimentation, les conditions du bien-être général, préparation
et récupération) et des informations sur les effets des comportements à risques.
La troisième catégorie renvoie à des savoirs plus personnels qui se nourrissent
des informations provenant de notre corps à partir des postures, des vitesses, des
forces en présence, des états de fatigue… ; ce sont des connaissances que l’élève
acquiert sur lui-même au fil de ses différentes expériences motrices ou
sensorielles.
• Une dimension psychosociale qui convoque des savoir-être pour soi (se respec-
ter, respecter son corps, se maîtriser) et pour les autres (respecter les règles, res-
pecter les autres, les écouter, travailler avec eux…). Dans cette dimension, l’élève
construit un « savoir agir en relation » (Peyré, 2000). La référence à la règle va
constituer un critère différenciateur très important dans cette dimension.
• Une dimension critique avec des savoir-faire autour de l’observation de l’envi-
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ronnement avec la détection des dangers (regarder, interpréter…) et les conduites
à tenir en cas de danger (attitudes, gestion des risques, conduite à tenir…). Cette
dimension revêt un caractère important en EPS, surtout pour ce qui concerne la
sécurité dans la pratique des activités physiques.
Fort de cette catégorisation des savoirs qui pouvaient être enseignés en éduca-
tion à la santé, nous avons posé les questions de recherche suivantes :
– quels sont les savoirs réellement enseignés qui se rapportent à l’éducation à
la santé dans les leçons d’EPS proposées par des intervenants extérieurs à l’école
primaire ?
– existe-t-il des écarts entre ce que les intervenants déclarent enseigner et ce
qu’ils enseignent réellement du point de vue de l’éducation à la santé ?
– si cet écart existe, comment l’expliquer ?

Méthodologie
Nous tentons de décrire et d’expliquer les pratiques d’enseignement d’EPS et
leur relation avec l’éducation à la santé en analysant les pratiques en situation
réelle d’enseignement en école élémentaire.
Dans le cadre de notre approche clinique, nous travaillons sur deux études de
cas. Pour le recueil des données, nous utilisons des entretiens et des enregistre-
ments vidéo des leçons d’EPS pour des élèves de niveaux différents (CM2 et CE1).
 (2).  Dans le cadre de cet article, nous ne présenterons pas tous les critères différenciateurs ni les
indicateurs par dimension.

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70 Dossier. Études et recherches

Les intervenants en EPS sont volontaires ; ils sont rattachés au service des sports
d’une petite ville. Nous les observons en situation « ordinaire » d’enseignement.
Dans les deux cas, les intervenants ont l’entière responsabilité des contenus d’ensei­
gnement et des démarches (3). Il s’agit plus d’un partenariat formel que d’une véri-
table collaboration didactique (Amans-Passaga, 2010).
L’intervenant A est titulaire d’un brevet d’État 1er degré en athlétisme. Il enseigne
depuis dix ans et travaille avec la classe de CE1 composée de 18 élèves issus d’une
classe située dans une école classée en zone d’éducation prioritaire. L’intervenant
D possède un brevet d’État 1er degré en rugby. Il occupait son poste depuis quinze
ans. Nous l’observons avec des élèves de CM2 provenant d’une école de
centre-ville.
Notre corpus est donc composé de deux types de données : le corpus principal
avec le verbatim des leçons d’EPS (L) et le corpus secondaire avec le verbatim des
entretiens semi-dirigés (Ent) effectués après les leçons enregistrées, donc dans
une forme d’après-coup où l’enseignant peut reconstruire ce qu’il a effectivement
fait pour le livrer au chercheur. Ce concept d’après-coup permet d’accéder aux
significations accordées par le sujet à ses actes : « Freud a marqué que le sujet
remanie après-coup les événements passés et que c’est ce remaniement qui leur
confère un sens et même une efficacité ou un pouvoir pathogène » (Laplanche et
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Pontalis, 2002, p. 34).
L’entretien est conçu en trois parties. La première avec des questions très géné-
rales sur la leçon : l’adhésion des élèves en EPS et les objectifs ; la deuxième cen-
trée sur l’éducation à la santé avec sa définition et son intérêt. Enfin, nous sou-
haitons connaître les relations qu’entretiennent les intervenants avec l’éducation
à la santé. Il s’agit d’élargir la réflexion pour mettre à jour, éventuellement, des
conceptions particulières de cette éducation.
Ceci nous permet de comparer ensuite les deux données recueillies : le discours
en classe (les savoirs réellement enseignés) et les entretiens (les savoirs déclarés).
Chaque intervenant est prévenu au préalable qu’il sera filmé sur une leçon, mais
sans être informé du thème d’étude précis afin de ne pas fausser le recueil des
données.
Pour le codage des données, nous utilisons la grille d’analyse présentée plus
haut avec les trois dimensions didactiques et les différentes catégories de savoirs.
Chaque verbatim de leçon est découpé en épisodes didactiques pour respecter
l’unité de sens de la communication (Altet, 1994). Grâce aux critères différencia-
teurs et aux indicateurs, nous procédons à une analyse de contenu (Bardin, 1998)
du discours des intervenants dans les leçons et dans les entretiens à partir des
différentes catégories savoirs identifiées dans chacune des dimensions
didactiques.

 (3).  Cette information est issue de l’entretien préalable qui a eu lieu entre les chercheurs, les pro-
fesseurs des écoles et les intervenants lors de la présentation du travail de recherche.

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Pour les leçons, chaque fois qu’un objet de savoir apparaît dans un épisode, il
est identifié et intégré dans une des dimensions. S’il réapparaît dans un autre épi-
sode, il est comptabilisé à nouveau. Cette analyse donne des informations sur la
présence ou l’absence des objets de savoir, ainsi que sur leur nombre afin de dis-
cerner une dimension dominante dans la leçon d’EPS. Pour les entretiens, dans
le traitement de certaines questions relatives aux savoirs enseignés, nous utili-
sons également notre grille pour le codage des réponses.
Dans la suite de cet article, nous analysons dans un premier temps les pratiques
réelles, puis dans un second temps, les pratiques déclarées dans les entretiens
afin d’identifier les objets de savoirs enseignés relatifs à l’éducation à la santé.

Analyse des pratiques d’enseignement des intervenants


La présentation de nos résultats débute par une brève description de la leçon
observée (4), puis nous détaillons les objets de savoir identifiés pour chacune des
dimensions dans les deux leçons observées.

Étude de cas : intervenant A


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L’intervenant, spécialiste d’athlétisme, retrouve ses élèves deux fois par semaine
tout au long de l’année. La leçon d’EPS filmée est la troisième leçon d’un cycle de
jeu de poursuite ; elle commence par un échauffement général suivi d’un jeu : « le
béret ». Puis, l’intervenant reprend avec les élèves un jeu commencé lors de la
leçon précédente : « la chasse aux fennecs ». Elle se termine par un ques­tion­
nement afin de mettre en évidence les solutions efficaces trouvées par les élèves.
Nous identifions une dimension psychosociale dominante au cours de cette leçon,
surtout au niveau des remarques se rapportant aux règles. Deux types de règles
sont travaillées : d’une part, le respect des règles de vie en société comme « on
écoute là, vous ouvrez vos oreilles !!! » (L. A) (5), et d’autre part, le respect des règles
spécifiques aux deux jeux : « il faut respecter les règles mises en place ! » (L. A).
Si les règles ne sont pas respectées, l’intervenant promet des sanctions sous forme
de pénalités pour les équipes : « Dans le jeu suivant, pour toutes les règles qui ne
seront pas respectées, vous serez pénalisés ! » (L. A). Les remarques sont très nom-
breuses dans ce registre puisque nous en comptons plus d’une quinzaine.
Ce rapport à la règle fait l’objet d’un enseignement puisqu’il est déterminant
dans le gain des jeux. Le travail en équipe est nécessaire pour trouver des solu-
tions efficaces ; l’enseignant propose de « discuter pour trouver des solutions pour
passer sans se faire prendre par le lion… Essayez de voir comment vous pouvez

 (4).  Compte tenu de la taille de l’article, nous ne présenterons pas le détail des épisodes didac-
tiques.
 (5).  Les extraits des discours des intervenants se réfèrent aux leçons (L) ou aux entretiens (Ent).

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72 Dossier. Études et recherches

faire ? » (L. A). Les solutions sont présentées à la fin de la leçon pour mettre en
évidence les plus efficaces.
Nous trouvons aussi la trace d’un travail sur le développement de l’estime de
soi chez un élève à partir de la valorisation de ses propos. L’intervenant lui demande
de s’exprimer devant le groupe et d’expliquer ses stratégies : « viens voir ici, tu
vas parler au groupe ! Alors au départ, tu as demandé à… de se placer devant et
toi derrière ? » (L. A).
Dans cette dimension, l’enseignant développe aussi la concentration chez ses
élèves ; celle-ci apparaît dans ses propos lorsqu’il leur demande de se préparer à
l’échauffement : « on ne discute pas, on se concentre ! […] Attention, on se pré-
pare » (L. A). Enfin, il joue sur différents rôles sociaux, notamment sur les rôles
d’attaquant et de défenseur, et sur les rôles de joueurs et d’observateurs. Cette
dimension psychosociale est donc largement dominante dans cette leçon consa-
crée aux jeux de poursuite.
La dimension corporelle est convoquée dans trois catégories de savoirs. D’abord
des savoirs relatifs à l’échauffement avec une préparation particulière à l’effort :
« on va commencer par un petit échauffement, avec des petits exercices que vous
connaissez, que vous savez faire, notamment pas chassés, jambes tendues » (L. A).
Puis, une deuxième catégorie de savoirs sur soi avec le prélèvement d’informa-
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tions provenant du corps, des vitesses des segments et du contrôle des mouve-
ments des élèves. Cela est visible notamment lorsqu’il demande à ses élèves de
varier les intensités d’effort : « c’est de la course lente, lentement, on trottine, on
monte les genoux, non, non, j’ai dit lentement !!! » (L. A). Enfin, troisième catégo-
rie avec les savoirs stratégiques lorsqu’il demande aux élèves de résoudre un pro-
blème en mettant en place des stratégies. Durant les phases de jeux, il sollicite
l’observation des élèves à propos des actions des lions et des fennecs pour iden-
tifier avec eux les stratégies mises en place pour gagner.
Enfin, nous relevons deux objets de savoir se rapportant à la dimension cri-
tique au cours de la leçon avec l’identification des dangers et la gestion des risques.
C’est le cas tout particulièrement avec la disposition et les actions des fennecs en
fonction de la place des lions. L’intervenant développe cette attitude critique face
aux solutions adoptées par les élèves grâce à ses questions : « est-ce que vous pen-
sez que c’est la meilleure des solutions ? » (L. A).
Au cours de cette leçon, nous constatons que l’utilisation des jeux par l’inter-
venant A, permet de développer les trois dimensions de l’éducation à la santé avec
une prépondérance de la dimension psychosociale grâce aux nombreuses remarques
et consignes données aux élèves.

Étude de cas : intervenant D

L’intervenant D, spécialiste de rugby, nous donne à voir une leçon de basket-


ball avec des élèves de CM2. Après un échauffement à base de manipulations de

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L’enseignement de l’éducation à la santé en écoles élémentaires par des intervenants en EPS 73

balles, il propose un exercice de passes sous forme de concours, puis il met en


place un autre concours de vitesse par équipe pour traverser le terrain et marquer
un panier.
Durant cette leçon, nous ne constatons pas de dimension didactique domi-
nante. La dimension corporelle était présente avec des connaissances à acquérir sur
soi, notamment au niveau de l’échauffement en début de leçon. L’intervenant
insiste sur le rythme des courses : « on trottine doucement » (L. D) et les posi-
tions du corps. Il donne des consignes sur l’attitude en cours : « je me calme » ;
« tu prends le temps qu’il faut » (L. D).
Il travaille sur la résolution d’un problème stratégique en demandant aux élèves
comment gagner le maximum de temps : « c’est tout ce que je vous dis, à vous de
réfléchir » (L. D). À chaque situation nouvelle, la réflexion des élèves est sollici-
tée : « exercice suivant, ça va demander de la réflexion » (L. D) afin que les élèves
trouvent une stratégie pertinente dans le jeu suivant : « comment peut-on amé-
liorer pour aller encore plus vite ? » (L. D).
Pour la dimension critique, l’observation est largement convoquée pour regar-
der ce que les autres élèves font pour gagner du temps : « est-ce qu’ils ont été effi-
caces ? » (L. D). L’efficacité des équipes est mise en relation avec le temps chrono-
métré de l’action qui devient un indicateur pertinent pour les élèves.
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La troisième dimension psychosociale est perceptible surtout au niveau des règles
des jeux et des conduites à tenir en groupe : « on écoute » (L. D). L’organisation
de l’équipe est aussi beaucoup sollicitée par l’intervenant ; les élèves doivent trou-
ver la meilleure façon de battre les autres en s’organisant mieux.

Les savoirs réellement enseignés en éducation à la santé

En nous appuyant sur notre corpus principal (les leçons), nous pouvons affir-
mer que les trois dimensions didactiques de l’éducation à la santé sont bien iden-
tifiées dans les pratiques réelles durant les leçons. Pourtant, une part de cette édu-
cation s’est faite de manière implicite, surtout au niveau de la dimension critique
ou de la dimension psychosociale puisque les deux intervenants enseignent ces
deux dimensions sans les mettre en relation avec l’éducation à la santé. C’est ce
qui ressort durant les entretiens comme nous le verrons par la suite.
Chez les deux intervenants A et D, concernant la dimension corporelle, nous iden-
tifions essentiellement des objets de savoir peu explicites sauf pour la prépara-
tion à l’effort avec des échauffements importants qui permettent aux élèves d’acqué­
rir des connaissances sur eux-mêmes. Nous constatons que l’intervenant A donne
des consignes, mais sollicite peu l’activité de réflexion des élèves sur ce qui se
passe au niveau corporel ; ces connaissances intimes restent donc incorporées
sans jamais être évoquées verbalement par les élèves. Nous ne relevons aucune
remarque relative aux effets des comportements à risque en dehors de la néces-

Carrefours de l’éducation • 32 • Juillet-décembre 2011  •••••••••••••••


74 Dossier. Études et recherches

sité de l’échauffement évoquée par les deux intervenants lors de leurs


interventions.
La référence à la règle, toujours très présente, constitue un élément caractéris-
tique de la dimension psychosociale, qui s’exprime dans le respect des règles et des
consignes. Chez ces deux intervenants, les procédures d’enseignement presque
similaires, sollicitent la réflexion visant la recherche de stratégies adaptées ; elles
montrent que les élèves développent des compétences psychosociales nécessaires
dans les travaux de groupes pour élaborer des solutions gagnantes. Ce « savoir
être au milieu des autres » concerne surtout l’écoute et la réflexion au sein du
groupe pour trouver des solutions efficaces. Le fait de demander aux élèves d’obser­
ver l’activité de leurs camarades et d’analyser leurs comportements, contribue
certainement à solliciter la dimension critique à certains moments très importants
durant les deux leçons observées.

Analyse des entretiens


Les savoirs déclarés

D’un point de vue didactique, nous constatons que les objets de savoirs moteurs
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spécifiques de la discipline n’apparaissent pas beaucoup dans la dimension cor-
porelle. Nous partageons ce constat avec d’autres chercheurs qui travaillent sur
les pratiques didactiques d’intervenants EPS en école primaire (Amans-Passaga,
2010) et qui soulignent la valorisation des compétences transversales, ici au tra-
vers de la dimension psychosociale. Ceci est bien confirmé dans le discours des
intervenants lors des entretiens.
Ainsi, l’intervenant A propose à ses élèves un cycle (6) où ils doivent « s’oppo-
ser individuellement ou collectivement… avec des stratégies de passage et des
stratégies d’équipe » (Ent. A). Au cours de la séance enregistrée, les élèves doivent
développer des compétences stratégiques dans un jeu de « chasse aux fennecs ».
Les contenus dispensés sont, selon lui, plus d’ordre « informationnels et tac-
tiques ». Il justifie son travail centré sur la dimension psychosociale en expliquant
que cela correspond aux besoins de ses élèves qui proviennent d’une école où
« les enfants sont très dynamiques, pas méchants, mais ils sont peu à l’écoute »
(Ent. A).
Pour l’intervenant D, les savoirs enseignés relèvent plus de l’organisation col-
lective que de la dimension motrice ou corporelle : « après la partie technique
individuelle avec passes, tirs, dribbles, c’était surtout un petit peu un début d’or-
ganisation collective » (Ent. D). Pour lui, l’utilisation des jeux et des concours,
permet de travailler davantage la dimension psychosociale : « travailler le sport
collectif pour l’aspect­socialisant des activités » (Ent. D).
 (6).  Il s’agit d’un ensemble de leçons d’EPS qui se succèdent en ayant le même objectif et le même
support en termes d’activités physiques.

• • • • • • • • • • • • • • •  Carrefours de l’éducation • 32 • Juillet-décembre 2011


L’enseignement de l’éducation à la santé en écoles élémentaires par des intervenants en EPS 75

Le problème de la définition de l’éducation à la santé

Dans les pratiques réelles, si on constate effectivement l’enseignement de nom-


breux objets de savoirs dans les trois dimensions avec une prédominance de la
dimension psychosociale, il n’en est pas de même dans les pratiques déclarées.
Dans les entretiens, nous observons un écart important entre ce que nous iden-
tifions comme des savoirs en éducation à la santé effectivement enseignés et ce
qu’en disent les intervenants. Cela semble provenir d’une certaine méconnais-
sance de ce qui est attendu dans les programmes en matière d’éducation à la santé.
Cette hypothèse est confirmée par le fait que les deux intervenants ont beaucoup
de mal à répondre aux questions à propos de l’éducation à la santé. Nous présen-
tons d’abord les réponses de l’intervenant A, puis celles de l’intervenant D.
Pour l’intervenant A, l’éducation à la santé est un sujet « très vaste ». Les pre-
miers mots qu’il prononce font état du bien-être physique. Après avoir pensé à
l’échauffement comme élément important, il propose cette définition de l’éduca-
tion à la santé : « le respect de l’effort en fonction de la tranche d’âge, l’échauffe-
ment, et adapter les efforts à la morphologie de la personne » (Ent. A) Ce dernier
point lui semble très important ; il donne des exemples sur l’effort et la récupé-
ration des élèves. Plus loin, il livre ses conceptions de la relation entre l’EPS et
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l’éducation à la santé : « on ne peut pas rester sans rien faire, moi l’intérêt, il est
là je pense, l’intérêt de la santé passe par le biais de l’EPS ; le mouvement, c’est
obligatoire. […]. Pour moi, je pense que c’est important de faire du sport tous les
jours » (Ent. A). Dans ses déclarations, l’éducation à la santé se manifeste surtout
au travers du développement de la motricité : « tout ce qui est souplesse, tout ce
qui est exercice de motricité, donc travailler la mobilité, les appuis » (Ent. A).
Nous remarquons tout au long de l’entretien que sa définition de l’éducation à
la santé reste très floue, essentiellement focalisée sur l’aspect moteur en parlant
de la gymnastique : « dans la gymnastique, on peut travailler les appuis, l’équi-
libre, les rotations… ». Hormis les savoir-faire moteurs, il ne réussit pas à énon-
cer d’autres savoirs se rapportant à l’éducation à la santé qu’il pourrait enseigner.
Aucun contenu spécifique n’a programmé avec ses élèves de CE1, sauf ce qui a
trait à la préparation du corps lors de l’échauffement. On constate que cet inter-
venant ne fait pas la différence entre l’éducation à la santé et la santé car pour lui :
« le sport, c’est tout à fait le thème, avec l’éducation la santé, ça va vraiment bien
ensemble, ça se mélange très bien » (Ent. A).
Éduquer à la santé en cours, c’est aussi faire attention à certains élèves comme
il le dit : « je fais très attention aux personnes obèses » (Ent. A), mais cela signifie
aussi pour lui, intégrer des personnes handicapées quand il évoque un projet santé
mené au sein de son club : « dans ce projet, on travaille aussi avec des personnes
handicapées […] je trouve ça très enrichissant pour les adultes […], les athlètes
que j’ai en club arrivent à communiquer avec cette jeune sourde » (Ent. A).

Carrefours de l’éducation • 32 • Juillet-décembre 2011  •••••••••••••••


76 Dossier. Études et recherches

Quand nous posons à l’intervenant D, la question de la définition de l’éduca-


tion à la santé, il indique que sa volonté est d’abord « de faire des gamins citoyens
en premier lieu », et de tenter de « leur inculquer l’effort physique » (Ent. D), mais
il avoue par la suite avoir beaucoup de difficulté à en donner une définition pré-
cise. Quand nous lui demandons d’énoncer trois qualificatifs pour tenter de la
définir, il propose : « dépense physique, bien être et plaisir » (Ent. D), ce qui est
confirmé d’un point de vue général en EPS (Cogérino, 1999). L’EPS semble tout
à fait intéressante, selon lui, pour développer l’éducation à la santé ; il souligne
« l’aspect socialisant » de certaines activités comme les jeux et les sports collec-
tifs. Pour lui, la discipline EPS participe au « développement de l’effort » et « au
développement de l’enfant » (Ent. D). Durant la leçon enregistrée, l’apprentissage
relevant de l’éducation à la santé vise surtout à mettre les élèves toujours en mou-
vement pour « solliciter au maximum les gamins, […] qu’il y ait vraiment une
dépense énergétique » (Ent. D). En fin d’entretien, il finit par dire qu’il n’est pas
« particulièrement informé » sur le sujet, et que, s’il l’aborde en cours, il ne le
« fait pas exprès » (Ent. D).
Pour ces deux intervenants, nous constatons que la définition de l’éducation à
la santé pose problème ; dans les deux cas, il n’y a aucune référence à des textes
institutionnels. Comme pour les enseignants d’EPS, il existe une forte centration
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sur la dimension physiologique. Notre constat rejoint celui réalisé par Jourdan
(2008) en EPS et Berger et al. (2008) dans le premier degré, qui soulignent que
la définition de l’éducation à la santé pose réellement problème car les enseignants
en restent uniquement à la dimension corporelle par méconnaissance des autres
dimensions.

Éducation à la santé et référence à l’histoire personnelle

De l’analyse des entretiens avec les intervenants, nous constatons également


que la tentative de définition de l’éducation à la santé renvoie aussi à l’histoire de
pratiquant pour les deux intervenants et par là, à leurs conceptions de l’ensei­
gnement de l’EPS et à leurs rapports aux savoirs (Buznic-Bourgeacq et al., 2010).
D’un point de vue plus clinique, chez l’intervenant A, ancien athlète de haut
niveau, deux choses sont fondamentales pour lui ; elles sont à mettre en relation
avec sa pratique de l’athlétisme : le développement de la motricité que nous retrou-
vons dans son discours durant la leçon, en particulier son rapport à l’effort (« allez,
on bouge ses jambes, c’est important !!! » L. A), et l’importance de la pratique phy-
sique qu’il souligne lors de l’entretien : « le sport j’en ai fait depuis l’âge de 9 ans,
alors pour moi, je pense que c’est important de faire du sport tous les jours » (Ent.
A). Ce dernier point lui permet de justifier aussi son statut auprès des professeurs
des écoles et de souligner ce paradoxe : « les enseignants, eux, ne pratiquent pas
tous […] pourtant ils ont un rôle d’enseigner le sport aussi » (Ent. A).

• • • • • • • • • • • • • • •  Carrefours de l’éducation • 32 • Juillet-décembre 2011


L’enseignement de l’éducation à la santé en écoles élémentaires par des intervenants en EPS 77

Chez l’intervenant D, ancien rugbyman, nous retrouvons pratiquement la même


conception de l’enseignement de l’EPS avec notamment deux notions étroitement
liées : l’effort physique et la dépense énergétique ; il les hiérarchise : « dès l’école
si on arrive déjà à leur inculquer l’effort physique à travers tous les sports, pour
nous, c’est important… les gamins doivent toujours être sollicités, qu’il y ait
vraiment­une dépense énergétique » (Ent. D). Mais ce qui le différencie de son
collègue, c’est la recherche de plaisir collectif dans le jeu comme il l’a trouvé
lorsqu’il était joueur de rugby : « je jouais pour le plaisir, le plaisir d’être avec les
autres, dans une équipe » (Ent. D).
Chez ces deux intervenants en EPS, nous percevons le rôle essentiel de la pra-
tique physique et de l’effort qui constituent des éléments forts de leur conception
de l’enseignement de l’EPS. Pour l’intervenant A, son rapport à l’effort physique
est lié à l’entraînement, alors que pour l’intervenant D, ce rapport à l’effort est à
mettre en relation avec le plaisir de pratiquer collectivement. Dans chaque cas,
c’est bien la singularité du sujet qui s’exprime au travers de sa conception, d’où
la nécessité du recours à une théorie qui s’intéresse aussi au sujet enseignant, à
son histoire, à ses « déjà-là » (Terrisse et Carnus, 2009) au-delà du cadre
didactique.
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Conclusion
L’analyse des pratiques d’enseignement de deux intervenants en EPS en école
élémentaire montre que l’éducation à la santé est bien enseignée dans les leçons
d’EPS en relation avec les trois dimensions corporelle, critique et psychosociale
que nous avons convoquées.
Si le rôle de l’EPS en matière d’éducation à la santé semble relever de l’évidence
pour les intervenants interrogés, la mise en mots des savoirs et l’identification
précise de ce qui est enseigné en lien avec l’éducation à la santé soulève un pro-
blème de définition. Cette difficulté à définir précisément l’éducation à la santé a
déjà été identifiée chez des formateurs en EPS (Loizon, 2009b) et chez des pro-
fesseurs d’EPS (Cogérino, 1999 ; Turcotte et al., 2007). Les entretiens mettent aussi
en évidence le rapport singulier que l’intervenant entretient avec sa spécialité
dans le domaine des activités physiques et sportives. C’est le rapport personnel
au savoir de l’intervenant qui est convoqué ici et l’on voit comment il s’enracine
dans l’histoire de pratiquant.
Dans cette étude, nous constatons également qu’il existe un décalage entre les
pratiques observées et les discours tenus sur ces mêmes pratiques au sujet de
l’éducation à la santé. L’origine de ce décalage semble se trouver au niveau même
de la définition de l’éducation à la santé comme nous l’avons noté lors des entre-
tiens avec les deux intervenants.
Cette recherche en didactique mériterait d’être prolongée auprès d’autres inter-
venants en EPS afin d’envisager une généralisation des résultats ; elle pourrait

Carrefours de l’éducation • 32 • Juillet-décembre 2011  •••••••••••••••


78 Dossier. Études et recherches

également se poursuivre auprès des professeurs des écoles qui enseignent l’EPS
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