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2011/2 n° 32 | pages 65 à 79
ISSN 1262-3490
ISBN 977126234900632
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2011-2-page-65.htm
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de l’éducation à la santé
en écoles élémentaires
par des intervenants en EPS
C
ette étude trouve son origine dans une citation :
« Une étude conduite en 2002 montre que 71 %
des enseignants déclarent faire de l’éducation à la
santé. Dans cette même étude, aucun des 626 ensei-
gnants interrogés n’a mentionné de thèmes en lien
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L’éducation à la santé
Proposer une définition de l’éducation à la santé relève d’une mission
difficile tellement ce concept présente des acceptions diverses (Broussouloux
et Houzelle-Marchal, 2006). Pour le législateur, la mission de l’École n’est
pas de conditionner les élèves, mais de les éduquer ; c’est en ce sens qu’il
précise la finalité de cette éducation à la santé au travers d’une circulaire
en 1998. La notion de choix pour l’élève est au cœur de cette éducation ;
cela se traduit également par le développement d’attitudes responsables
chez les élèves. Si tous les enseignants peuvent effectivement jouer un rôle
pour éduquer à la santé (Berger et Jourdan, 2006), les professeurs d’EPS
voient cette mission spécifique inscrite de manière très forte dans les textes
officiels (BOEN, Programmes du collège, 2008).
Si l’éducation à la santé est bien inscrite dans les programmes, son ensei-
gnement dans les leçons d’EPS semble plus complexe qu’il n’y paraît. Cogérino
(1999) a montré que la santé faisait l’objet d’une « prise en compte ambi-
guë » chez les enseignants d’EPS dans le second degré. C’est surtout la dimen-
sion physiologique qui est affirmée par la valorisation de l’endurance cardio-vas-
culaire, les courses de longue durée et l’échauffement. La dimension psychologique
est minorée avec peu d’apprentissage de la gestion du stress ou de la maîtrise de
soi. La dimension sociale occupe une place intermédiaire, en se raccrochant au
thème de la socialisation, de la citoyenneté, du respect des règles et de l’apprendre
à vivre ensemble.
Ce constat est le fruit de relations très fortes entre la discipline EPS, le sport et
sa tutelle historique que fut la médecine, aussi bien d’un point de vue politique
avec son rattachement au Ministère de la santé (Legrand et Ladégaillerie, 1970)
que d’un point de vue plus didactique avec les savoirs médicaux de référence
(During, 1984).
On voit donc qu’il existe un écart entre les prescriptions officielles (les pro-
grammes) et les pratiques d’enseignement de l’EPS dans le second degré. Dans le
cadre de notre étude, nous cherchons à savoir ce qu’il en est dans le premier degré
au niveau des écoles élémentaires. Cet écart existe-t-il aussi dans le premier degré ?
Les intervenants en EPS ont-ils les mêmes difficultés à définir l’éducation à la
santé que les enseignants d’EPS du secondaire ?
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Nos travaux s’appuient au départ sur les options théoriques didactiques déve-
loppées par Brousseau (1998) en didactique des mathématiques ; ces concepts ont
été importés par les didacticiens de l’EPS (Amade-Escot, 2007 ; Marsenach, 1991 ;
Terrisse, 2006). Ces chercheurs ont développé des méthodologies centrées sur
des études de cas pour rendre compte des objets de savoirs qui étaient enseignés
en EPS.
Pour expliquer certains faits didactiques observés dans les pratiques d’ensei-
gnement, comme la focalisation sur la sécurité ou le refus d’enseigner certains
savoirs, des chercheurs tels que Carnus (2003), Loizon (2004) et Terrisse (1999)
ont convoqué une théorie de l’inconscient freudien. Ils ont montré qu’une partie
du travail didactique se faisait parfois à l’insu des sujets enseignants.
Nous postulons que la prise en compte du sujet-enseignant est un élément
incontournable pour comprendre certains faits didactiques que les concepts didac-
tiques ne suffisent pas à expliquer. La référence à la notion de sujet didactique
« permet de rendre compte des réponses d’un sujet confronté à l’évolution aléa-
toire d’une classe d’EPS, dont il ne maîtrise pas tous les déterminants. L’étude ne
porte plus seulement sur le savoir de l’enseignant, le « déjà-là », mais sur la façon
dont il l’utilise, l’adapte, le transforme, voire l’invente au temps de l’épreuve »
(Terrisse, 2000, p. 104).
Cette dimension clinique qui « s’intéresse au sujet singulier dans sa dynamique
à la fois psychique et sociale » (Beillerot et al., 1996) nous a permis de dévelop-
per une théorie du sujet enseignant en didactique clinique qui repose essentiel-
lement sur trois présupposés (Terrisse et Carnus, 2009).
Premier présupposé : le sujet enseignant est singulier. Même dans les cas où le
sujet peut être fortement déterminé par des contraintes externes comme les pro-
grammes scolaires ou le contexte de l’établissement, cette singularité existe et se
retrouve en partie liée à l’histoire personnelle du sujet. Celle-ci contribue à façon-
ner un rapport personnel à l’activité physique, notamment chez les enseignants
d’EPS (Loizon, 2009a).
L’assujettissement du sujet enseignant constitue le deuxième présupposé. Ceci
relève essentiellement de l’inscription de l’acte d’enseignement dans un contexte
particulier qui exerce un jeu de contraintes pour l’enseignant. Carnus (2003) a
développé l’idée qu’il existerait différents niveaux d’assujettissements comme le
contexte de la classe et de l’établissement, le système éducatif, la société avec son
système de valeurs et sa culture. Tous ces assujettissements agissent comme des
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Dans ses propositions sur la didactique fonctionnelle, Minder (1999) fait réfé-
rence à trois dimensions du savoir lorsqu’il tente de définir la notion de compé-
tence : la composante déclarative avec le savoir dire, la composante procédurale
avec le savoir-faire et la composante conative avec le savoir être. À propos du
savoir-faire qui touche à la discipline EPS, il distingue le savoir-faire cognitif et
le savoir-faire moteur. Ce dernier constitue un enjeu d’apprentissage extrêmement
important en EPS.
Les savoirs sont donc multiples. Sarreméjane remarque que les savoirs à ensei-
gner présentent des statuts divers ; la grande majorité de ces savoirs ne sont pas
des savoirs savants mais des savoirs issus de notre culture. Il fait alors ce constat
à propos des savoirs enseignés en EPS : « l’EP balance en permanence entre un
savoir théorique et un savoir en acte » (Sarreméjane, 2002, p. 45). Pour les besoins
de notre étude, nous avons élaboré trois grandes catégories de savoirs en EPS pour
les mettre en relation avec ceux de l’éducation à la santé : les savoirs (théoriques
ou objectivés), les savoir-faire dans toutes leurs dimensions (cognitive et motrice)
et les savoir être.
Concernant l’articulation entre EPS et éducation à la santé, l’enseignant d’EPS
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corps, sur la santé…). Pour chacun de ces objets de savoirs, nous avons défini des
critères différenciateurs et des indicateurs (2). Nous avons ainsi abouti à la grille
d’analyse suivante avec trois dimensions didactiques macroscopiques :
• Une dimension corporelle dans laquelle nous avons identifié trois catégories de
savoirs dont deux sont dispensées sous forme d’informations en direction des
élèves : des informations sur la santé relatives à l’hygiène de vie (fonctionnement
normal du corps, l’alimentation, les conditions du bien-être général, préparation
et récupération) et des informations sur les effets des comportements à risques.
La troisième catégorie renvoie à des savoirs plus personnels qui se nourrissent
des informations provenant de notre corps à partir des postures, des vitesses, des
forces en présence, des états de fatigue… ; ce sont des connaissances que l’élève
acquiert sur lui-même au fil de ses différentes expériences motrices ou
sensorielles.
• Une dimension psychosociale qui convoque des savoir-être pour soi (se respec-
ter, respecter son corps, se maîtriser) et pour les autres (respecter les règles, res-
pecter les autres, les écouter, travailler avec eux…). Dans cette dimension, l’élève
construit un « savoir agir en relation » (Peyré, 2000). La référence à la règle va
constituer un critère différenciateur très important dans cette dimension.
• Une dimension critique avec des savoir-faire autour de l’observation de l’envi-
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Méthodologie
Nous tentons de décrire et d’expliquer les pratiques d’enseignement d’EPS et
leur relation avec l’éducation à la santé en analysant les pratiques en situation
réelle d’enseignement en école élémentaire.
Dans le cadre de notre approche clinique, nous travaillons sur deux études de
cas. Pour le recueil des données, nous utilisons des entretiens et des enregistre-
ments vidéo des leçons d’EPS pour des élèves de niveaux différents (CM2 et CE1).
(2). Dans le cadre de cet article, nous ne présenterons pas tous les critères différenciateurs ni les
indicateurs par dimension.
Les intervenants en EPS sont volontaires ; ils sont rattachés au service des sports
d’une petite ville. Nous les observons en situation « ordinaire » d’enseignement.
Dans les deux cas, les intervenants ont l’entière responsabilité des contenus d’ensei
gnement et des démarches (3). Il s’agit plus d’un partenariat formel que d’une véri-
table collaboration didactique (Amans-Passaga, 2010).
L’intervenant A est titulaire d’un brevet d’État 1er degré en athlétisme. Il enseigne
depuis dix ans et travaille avec la classe de CE1 composée de 18 élèves issus d’une
classe située dans une école classée en zone d’éducation prioritaire. L’intervenant
D possède un brevet d’État 1er degré en rugby. Il occupait son poste depuis quinze
ans. Nous l’observons avec des élèves de CM2 provenant d’une école de
centre-ville.
Notre corpus est donc composé de deux types de données : le corpus principal
avec le verbatim des leçons d’EPS (L) et le corpus secondaire avec le verbatim des
entretiens semi-dirigés (Ent) effectués après les leçons enregistrées, donc dans
une forme d’après-coup où l’enseignant peut reconstruire ce qu’il a effectivement
fait pour le livrer au chercheur. Ce concept d’après-coup permet d’accéder aux
significations accordées par le sujet à ses actes : « Freud a marqué que le sujet
remanie après-coup les événements passés et que c’est ce remaniement qui leur
confère un sens et même une efficacité ou un pouvoir pathogène » (Laplanche et
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(3). Cette information est issue de l’entretien préalable qui a eu lieu entre les chercheurs, les pro-
fesseurs des écoles et les intervenants lors de la présentation du travail de recherche.
Pour les leçons, chaque fois qu’un objet de savoir apparaît dans un épisode, il
est identifié et intégré dans une des dimensions. S’il réapparaît dans un autre épi-
sode, il est comptabilisé à nouveau. Cette analyse donne des informations sur la
présence ou l’absence des objets de savoir, ainsi que sur leur nombre afin de dis-
cerner une dimension dominante dans la leçon d’EPS. Pour les entretiens, dans
le traitement de certaines questions relatives aux savoirs enseignés, nous utili-
sons également notre grille pour le codage des réponses.
Dans la suite de cet article, nous analysons dans un premier temps les pratiques
réelles, puis dans un second temps, les pratiques déclarées dans les entretiens
afin d’identifier les objets de savoirs enseignés relatifs à l’éducation à la santé.
(4). Compte tenu de la taille de l’article, nous ne présenterons pas le détail des épisodes didac-
tiques.
(5). Les extraits des discours des intervenants se réfèrent aux leçons (L) ou aux entretiens (Ent).
faire ? » (L. A). Les solutions sont présentées à la fin de la leçon pour mettre en
évidence les plus efficaces.
Nous trouvons aussi la trace d’un travail sur le développement de l’estime de
soi chez un élève à partir de la valorisation de ses propos. L’intervenant lui demande
de s’exprimer devant le groupe et d’expliquer ses stratégies : « viens voir ici, tu
vas parler au groupe ! Alors au départ, tu as demandé à… de se placer devant et
toi derrière ? » (L. A).
Dans cette dimension, l’enseignant développe aussi la concentration chez ses
élèves ; celle-ci apparaît dans ses propos lorsqu’il leur demande de se préparer à
l’échauffement : « on ne discute pas, on se concentre ! […] Attention, on se pré-
pare » (L. A). Enfin, il joue sur différents rôles sociaux, notamment sur les rôles
d’attaquant et de défenseur, et sur les rôles de joueurs et d’observateurs. Cette
dimension psychosociale est donc largement dominante dans cette leçon consa-
crée aux jeux de poursuite.
La dimension corporelle est convoquée dans trois catégories de savoirs. D’abord
des savoirs relatifs à l’échauffement avec une préparation particulière à l’effort :
« on va commencer par un petit échauffement, avec des petits exercices que vous
connaissez, que vous savez faire, notamment pas chassés, jambes tendues » (L. A).
Puis, une deuxième catégorie de savoirs sur soi avec le prélèvement d’informa-
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En nous appuyant sur notre corpus principal (les leçons), nous pouvons affir-
mer que les trois dimensions didactiques de l’éducation à la santé sont bien iden-
tifiées dans les pratiques réelles durant les leçons. Pourtant, une part de cette édu-
cation s’est faite de manière implicite, surtout au niveau de la dimension critique
ou de la dimension psychosociale puisque les deux intervenants enseignent ces
deux dimensions sans les mettre en relation avec l’éducation à la santé. C’est ce
qui ressort durant les entretiens comme nous le verrons par la suite.
Chez les deux intervenants A et D, concernant la dimension corporelle, nous iden-
tifions essentiellement des objets de savoir peu explicites sauf pour la prépara-
tion à l’effort avec des échauffements importants qui permettent aux élèves d’acqué
rir des connaissances sur eux-mêmes. Nous constatons que l’intervenant A donne
des consignes, mais sollicite peu l’activité de réflexion des élèves sur ce qui se
passe au niveau corporel ; ces connaissances intimes restent donc incorporées
sans jamais être évoquées verbalement par les élèves. Nous ne relevons aucune
remarque relative aux effets des comportements à risque en dehors de la néces-
D’un point de vue didactique, nous constatons que les objets de savoirs moteurs
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également se poursuivre auprès des professeurs des écoles qui enseignent l’EPS
dans leur classe.
Bibliographie