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Accompagnement et entrepreneuriat par nécessité : étude sur l’inadéquation


des dispositifs actuels, critique des dysfonctionnements et proposition d’un
nouveau cadre de réflexion.

Thesis · August 2015

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1 author:

Maxime Dupont
Ecole de Management de Normandie
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MEMOIRE DE RECHERCHE MASTER 2

« Accompagnement et entrepreneuriat par nécessité : étude sur l’inadéquation


des dispositifs actuels, critique des dysfonctionnements et proposition d’un
nouveau cadre de réflexion. »

Nom : DUPONT
Prénom : Maxime

Programme : Master 2 « Audit – Finance d’entreprise »


Ecole de Management de Normandie
Campus du Havre

Date limite de dépôt : 02 septembre 2015

Tuteur : Travail encadré par Nazik FADIL, enseignant-chercheur.

Confidentialité : OUI NON 

Indice de similitude Turnitin : ………

Mémoire de recherche Maxime Dupont – EM Normandie - 2015


Remerciements

Ce travail de recherche a vraiment été une expérience merveilleuse pour moi, j’ai vraiment
beaucoup appris et beaucoup apprécié travailler sur ce sujet qui m’intéresse profondément.
J’espère que ma contribution aura le sens et la valeur que j’ai voulu lui donner, et j’espère
pouvoir continuer à réfléchir à ces problématiques.

Je voudrais remercier Mme Nazik FADIL, de l’EM Normandie, qui m’a encadré tout au long
de cette année et qui a parfaitement réussi à me conseiller quand j’en avais besoin, faisant
preuve d’une grande rapidité de réponse, d’une précision et une grande richesse dans
l’information donnée.

Je voudrais aussi remercier Mme Miriam SCHMIDKONZ, de l’EM Normandie, qui m’a aussi
précieusement aidé dans ma recherche d’entrepreneurs à aller rencontrer, avec une grande
disponibilité et un accès privilégié à ses informations afin d’avancer dans mes recherches.

Ainsi, aussi, j’aimerais remercier M. Aurélien LETHUILLIER, chargé du Master Entrepreneur


de l’EM Normandie, qui a su me donner les bons contacts du côté des accompagnateurs pour
amorcer mon travail.

J’aimerais encore remercier Mme Virginie ALTHAUS, enseignant-chercheur en psychologie


du travail à l’Université de Rouen, qui m’a elle aussi apporté de nombreux conseils de méthode,
de travail, de réflexion ainsi que de riches contacts.

Je voudrais ensuite remercier les différents entrepreneurs et accompagnateurs rencontrés, les


personnes qui m’ont été essentielles pour la présentation de mes résultats, ainsi que le personnel
de La Ruche, Planet Adam, La Social Factory et tous les organismes et personnes rencontrées
lors de cette année.

J’aimerais enfin remercier ma famille, mes amis et mes collègues de bureau qui m’ont
encouragé tout au long de l’année, enthousiasmés par mon sujet, et qui m’ont aussi, pour
certains, encouragé à poursuivre cette aventure en thèse.

Merci pour tout.

-2-
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Résumé

Dans un contexte économique comme le nôtre, face à la crise, face à la montée du chômage et
face à un Etat pour qui le rôle est remis en question, nous voyons que le phénomène de
l’entrepreneuriat se développe encore rapidement. Il connaît des mutations fortes avec les
nouvelles technologies ou le développement de l’économie sociale et solidaire. C’est pour cela
que nous nous intéressons à ce processus qui est finalement présent partout dans notre système.
Nous avons identifié un phénomène interne au seul processus entrepreneurial qui est
l’entrepreneuriat par nécessité. L’accompagnement entrepreneurial est important dans la vie de
l’entrepreneur et dans la réussite de son projet, nous avons voulu voir comment se faisaient les
interactions entre accompagnement et entrepreneuriat par nécessité en allant à la rencontre de
ces acteurs : entrepreneurs, accompagnants. Des dysfonctionnements et paradoxes importants
ont été mis en avant. Ces situations multiples ont des conséquences dramatiques pour les
entrepreneurs par nécessité. Ce travail réfléchit à des solutions qui semblent déjà exister, mais
qui ne sont pas utilisées dans ce sens, à l’instar des espaces de coworking et autres lieux de
travail collaboratif. Nous allons essayer de voir si ces solutions pourraient compenser les
dysfonctionnements institutionnels révélés.

Abstract

In an economy like ours, facing the crisis, faced with rising unemployment and facing a state
for which the role is questioned, we see that the phenomenon of entrepreneurship is still
developing rapidly. It knows strong mutations with new technologies and the development of
social economy. That is why we are interested in the process that is present everywhere in our
system. We have identified an internal phenomenon within the entrepreneurial process which
is called as “entrepreneurship by necessity”. Entrepreneurial accompanying is important in the
entrepreneur life and his success, we wanted to see how are the interactions between
accompanying and entrepreneurship by necessity going to meet these actors: entrepreneurs,
counselors. Significant failures and paradoxes have been put forward. These multiple situations
have dramatic consequences for entrepreneurs by necessity. This work reflects solutions that
seem to exist but are not used in that sense, like the coworking places and other places of
collaborative work. We will try to see whether these solutions could offset the institutional
dysfunctions revealed.

Mots-clés
entrepreneuriat par nécessité – accompagnement entrepreneurial – coworking – entrepreneuriat
collaboratif – incubateur d’entreprise.

-3-
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
DECLARATION SUR L’HONNEUR

Déclaration sur l’honneur de l’étudiant accompagnant les dépôts écrits et/ou


électroniques

Je déclare que :

1. Ce travail destiné à être évalué, est constitué principalement de mes idées, analyses,
interprétations et rédaction. Il résulte de ma propre activité académique et de recherche.

2. Lorsque le travail découle directement ou récapitule le travail d’autres, une référence


bibliographique l’indique clairement.*

3. Lorsque les paroles ou les écrits d’autrui sont inclus dans le texte, ils apparaissent entre
guillemets et sont convenablement cités.

4. Toute source employée dans la compilation de ce travail, de quelque nature que ce soit
est identifiée dans le corps du texte et dans la bibliographie.

5. Aucune partie importante de ce travail n'a été déposée lors d’une évaluation antérieure
dans mes cours précédents. Tout contenu de mon travail académique précédent est cité
et identifié dans la liste des références bibliographiques dans le corps du texte et dans la
bibliographie.

6. Aucune aide non autorisée n'a été obtenue de ma part auprès d'autres étudiants, amis ou
à partir de sites Internet du type « aide scolaire ». **

En signant cette déclaration, je suis informé(e) que ce travail peut être soumis à un logiciel
d'anti-plagiat et je donne ma permission pour que l'école accomplisse ce travail de vérification.

Date : Signature :

Le 04 Août 2015

* l’Ecole a adopté le système de citation Harvard


** sites internet qui proposent le téléchargement gratuit ou payant de travaux académiques

-4-
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
TABLE DES MATIERES

Remerciements -2-

Résumé -3-

Abstract -3-

Mots-clés -3-

DECLARATION SUR L’HONNEUR -4-

TABLE DES MATIERES -5-

INTRODUCTION -7-

REVUE DE LA LITTERATURE - 10 -

1. Entrepreneuriat : définitions, croyances, incitations et limites - 10 -

2. Typologie des profils d’entrepreneurs - 12 -


a. Les entrepreneurs par opportunité : - 12 -
b. Les entrepreneurs par nécessité : - 13 -

3. Formes, acteurs, rôles et enjeux de l’accompagnement - 14 -


a. Les enjeux de l’accompagnement des entrepreneurs - 14 -
b. Les principaux acteurs de l’accompagnement - 15 -
c. Les formes que prend de l’accompagnement - 16 -
d. Les limites de l’existant dans le cas des entrepreneurs par nécessité - 16 -

4. Regard critique sur les dispositifs d’accompagnement - 17 -

5. Des mécanismes alternatifs existent - 19 -


a. Des notions et compétences clés sur lesquelles l’accompagnement doit se positionner - 20 -

6. Des éléments clés à assimiler pour une bonne mutation de l’accompagnement - 22 -


a. Entre isolement et problème de légitimité - 22 -
b. Environnement ambivalent - 24 -
c. La nécessité d’improviser - 24 -
d. Pratiques salutogènes - 25 -

HYPOTHESES DE RECHERCHE - 26 -
Hypothèse 1 - 26 -
Hypothèse 2 - 26 -
Hypothèse 3 - 26 -
Hypothèse 4 - 26 -
Hypothèse 5 - 26 -

METHODOLOGIE ET TERRAIN DE RECHERCHE - 27 -

Sélection du terrain et des interlocuteurs - 27 -


a. Les accompagnants : - 27 -
o Planet Adam - 28 -

-5-
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
o Chambre de Commerce et d’Industrie - 28 -
o Réseau Entreprendre - 29 -
b. Les entrepreneurs : - 29 -
c. La Ruche - 33 -
d. Questionnaire en ligne - 35 -
e. Retranscription et traitement des données - 35 -

RESULTATS - 37 -
Hypothèse 1 - 37 -
Hypothèse 2 - 40 -
Hypothèse 3 - 43 -
Hypothèse 4 - 45 -
Hypothèse 5 - 46 -

ELARGISSEMENT ET PROPOSITION DE DISCUSSION FUTURE - 50 -


Présentation rapide des solutions rapportées - 50 -
Présentation des résultats du questionnaire - 51 -
Notre impression suite à la visite de La Ruche - 52 -

CONCLUSION - 53 -

BIBLIOGRAPHIE - 56 -

ANNEXES - 60 -

Entretien n°1 - 60 -

Entretien n°2 - 68 -

Entretien n°3 - 77 -

Entretien n°4 - 87 -

Entretien n°5 - 92 -

Entretien n°6 - 96 -

Entretien n°7 - 100 -

-6-
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
INTRODUCTION

« Si vous ne pouvez pas faire de grandes choses, essayez de


faire de petites choses d’une grande manière »
Napoléon Hill

« Dites à chacun ce que vous voulez faire et quelqu'un va vous aider à le faire »
W. Clement Stone

L’intérêt que portent les communautés scientifique et politique au champ de l’entrepreneuriat


ne cesse d’augmenter, d’une part au travers de la démultiplication des colloques, conférences,
séminaires, et par le développement des programmes et cursus universitaires au sein des
établissements d’enseignement supérieur en France, en Europe et dans le monde entier ; d’autre
part au cœur des discours politiques, et les mesures – voire réformes – qui les accompagnent,
surtout en période de crise. L’entrepreneuriat est proposé comme un remède à la crise, un moyen
réinsérant et autonomisant de recouvrer un emploi, en se le créant.

En Europe notamment, l’impulsion arrive à la fin des années 70 avec les chocs pétroliers
successifs, la fin des « Trentes Glorieuses » et du plein emploi. En France, sous l’impulsion de
Raymond Barre, lorsqu’il évoquait provocateur, dès 1977, « Les chômeurs pourraient essayer
de créer leur entreprise au lieu de se borner à toucher des allocations chômage » est créée
l’ACCRE1 ; et en 1979, avec son fameux : « les chômeurs n’ont qu’à créer leur entreprise ! »
est créée l’ANCE2, tout était dit, tout était fait. Au Royaume-Uni les politiques de Margaret
Thatcher (et Keith Joseph) s’inscrivaient dans la même lignée.

Aujourd’hui, avec la « SARL à 1€ », le statut d’auto-entrepreneur en 2008, les salons tels que
« Franchise Expo », ou la campagne de l’ADIE3 « Créer à tout âge » à destination des néo-
entrepreneurs de 16-30 ans, ou encore « Créer au féminin » lancé par la CCI Reims-Epernay
en 2010, spécifiquement destiné aux femmes entrepreneurs, etc. toutes les politiques possibles
sont mises en avant pour promouvoir l’entrepreneuriat comme processus d’épanouissement
personnel, d’enrichissement rapide et durable – en surfant sur la renommée de certains

1
L’Aide aux Chômeurs Créateurs ou Repreneurs d’Entreprise.
2
L’Agence Nationale pour la Création d’Entreprise.
3
Association pour le Droit à l’Initiative Economique.

-7-
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
milliardaires pubères comme les phénomènes de l’internet par exemple – et surtout comme
moyen de lutter efficacement contre l’un des fléaux de nos sociétés modernes : le chômage.

Du côté scientifique, nous pouvons apporter de nombreuses critiques au champ de recherche


sur l’entrepreneuriat quand son travail et ses conclusions sont axés sur le rôle et le
comportement de l’individu, plus que sur le processus en lui-même, plus délicat à appréhender
(Johannisson B., 1998). De nombreuses illusions perdurent dans l’esprit des chercheurs – et
donc forcément dans l’esprit du public et des décideurs politiques qui utilisent ces recherches.
Par exemple la vision individualiste de l’entrepreneur semble trop restrictive quand on voit que
le travail et l’économie se socialisent de plus en plus (Campbell J. et Spicer A., 2009). On peut
penser aux nombreuses associations et collectifs de la société civile qui prennent en main des
thématiques de réflexion jusqu’alors réservées à une autre typologie de personnes. La recherche
devrait repenser sa réflexion pour se tourner vers une étude d’un entrepreneuriat plus collectif
et sociétal (Campbell J. et Spicer A., 2009 ; Armstrong P., 2005) comme nous le montrent de
plus en plus les espaces de coworking, les collectifs d’entrepreneurs, et autres endroits de
développement collaboratif et d’innovation sociale.

Notre travail se positionne donc dans ce mouvement critique des approches dites orthodoxes de
l’entrepreneuriat à plusieurs niveaux : l’image de l’entrepreneur en elle-même, le jeu des
institutions et leur rôle prépondérant, et l’oubli académique de certaines alternatives existantes
(et possibles) à l’accompagnement institutionnalisé dans un environnement beaucoup plus
réaliste et proche des entrepreneurs « oubliés4 ». Il est donc important de nous pencher sur ce
phénomène qui représente 14% des projets entrepreneuriaux en France en 2009 selon le rapport
du GEM – Global Entrepreneurship Monitor (et l’Enquête Sine en 2006 expliquait que 21,5%
des entrepreneurs en France entreprennent pour sortir d’une situation de chômage de longue
durée). Et c’est ce qui intéresse de plus en plus les pouvoirs publics : « une meilleure
connaissance de l’entrepreneuriat par nécessité permettrait à l’Etat d’allouer, dans de meilleures
conditions, les ressources consacrées à ce type d’entrepreneurs » (Fayolle et Nakara, 2010).

La question centrale de notre recherche s’articulera autour des situations précédemment


évoquées, une question que l’on peut formuler ainsi : « Quels mécanismes d’accompagnement

4
Par entrepreneurs dits « oubliés » nous entendons les entrepreneurs « contraints » au sens de Paul Couteret (2010), ainsi que les entrepreneurs
« par nécessité » au sens de Fayolle et Nakara (2010), que nous définirons dans les paragraphes suivants.

-8-
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
pourraient être développés, dans le cas des entrepreneurs par nécessité, pour pallier les
dysfonctionnements institutionnels des politiques actuelles ? »

L’objectif du projet est d’apporter une contribution supplémentaire au champ de recherche de


l’entrepreneuriat par nécessité ; d’apporter des solutions à étudier, et à tester, par les
entrepreneurs, les accompagnants et les institutions en vue de favoriser la réussite des
entrepreneurs vulnérables que sont les entrepreneurs par nécessité. Et ainsi contribuer au
changement des mentalités propres à l’image de l’entrepreneur.

-9-
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
REVUE DE LA LITTERATURE

1. Entrepreneuriat : définitions, croyances, incitations et limites

Comme nous l’évoquions en introduction de ce travail, les politiques publiques ont été
largement développées pour inciter et aider les individus désireux d’entreprendre à le faire le
plus facilement possible, arguant que c’est un moyen facile et rapide de retrouver un emploi en
situation de crise (Fayolle et Nakara, 2010).

Pour reprendre leurs termes, ces politiques ont eu pour conséquence de « remettre
l’entrepreneur au premier plan, mettant ainsi fin à la suprématie des grandes entreprises ».
Et de continuer, « la récurrence des injonctions et la permanence des mesures » depuis trente
ans ont légitimé ce recours à l’entrepreneuriat comme palliatif au chômage car directement
promu par les gouvernements (Daïd et Nguyen, 2010). Le processus est « institutionnalisé »
(Fayolle et Nakara, 2010) à cette période.

Nous avons alors un « mécanisme d’intégration » de personnes en situation de grande


difficulté (De Clercq et Honig, 2011), notamment au chômage. Et le bénéfice social de
l’entrepreneuriat peut être ressenti comme un processus de « désexclusion » et de « réinclusion »
(Brasseur, M., 2010) ou encore « d’émancipation » (Fleischmann, 2006). L’exclusion sociale
vécue par des individus créé chez eux un comportement de « quête de richesse » (Hagen, 1963,
cité par Fayolle et Nakara [2010]) en réponse à leur souffrances subies par cette même
exclusion. Il explique que les personnes marginalisées par le système, par les aléas de la vie,
par tout autre facteur de marginalisation sociale, développent une « personnalité à toute
épreuve » en proie à mener un projet entrepreneurial pour réaffirmer sa position et se
« démarginaliser ». C’est leur façon de « soigner » leur estime d’eux-mêmes, une « façon de se
libérer ».

La notion d’émancipation par l’entrepreneuriat est une notion qui nous intéresse
particulièrement, elle peut prendre plusieurs formes : on peut s’émanciper de la pauvreté,
s’émanciper de la discrimination, s’émanciper de l’ignorance (trois formes développées par
Fleischmann, 2006), s’émanciper de l’évolution des mœurs, s’émanciper d’une société
salariale, s’émanciper d’un cercle personnel, social. Toutes ces formes d’émancipation nous

- 10 -
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
intéressent parce qu’elles englobent un vocable des différents facteurs qui font la définition de
l’entrepreneur par nécessité qu’on verra juste après, et montrent sa vulnérabilité.

Le désir d’émancipation de notre société salariale est la conséquence de « méthodes


managériales standards utilisées qui sont bien souvent dénuées de sens humain, où sont sous-
valorisés les bienfaits de l’entrepreneuriat sur des plans sociaux et sociétaux » (Fayolle et
Nakara, 2012)

Aujourd’hui plus que jamais, les politiques publiques incitent le plus grand nombre, dès le plus
jeune âge, quelle que soit leur situation de départ, à entreprendre.

Les décideurs politiques, indirectement, pour accompagner leur argumentaire,


instrumentalisent l’image de l’entrepreneur (Fayolle et Nakara, 2012) et jouent sur l’affectif des
personnes visées en parlant de regain de confiance en soi, retrouver de l’estime, se réinsérer
socialement, changer son destin et se libérer de l’emprise du salariat (et dans un contexte
d’accroissement du chômage).

Cependant, pour prendre à contre-pied la vision idéaliste de l’entrepreneuriat, Armstrong


(2005) dénonce le fait de ne vouloir montrer trop souvent que le bon côté de l’entrepreneuriat
sur l’économie, « pour des raisons politiques et idéologiques », trop utopistes. Et ce en oubliant
de parler d’une toute autre réalité : celle de l’échec, de la discrimination, du déficit des réseaux
indispensables pour une activité entrepreneuriale d’emblée « limitée » dans ces conditions
(Shane, 2008).
Certains parlent d’une définition « vide de sens » et « déconnectée » de la réalité (Campbell et
Spicer, 2009) allant jusqu’à dire que son apport n’est qu’un « fantasme du discours
économique » et politique.

Il est impératif de « dissiper l’illusionnisme autour de l’entrepreneuriat » (Shane, 2008). Il faut


expliquer que l’entrepreneuriat est un processus plus difficile que ce qu’on voit dans les médias,
ou ce qu’on veut bien nous dire. Il faut garder à l’esprit que les entrepreneurs issus des
minorités, femmes, seniors, descendants d’immigrés, handicapés, jeunes, ont des chances de
succès encore plus limitées. Il faut, selon ces différents auteurs, militer pour redonner une
définition toute autre que celle donnée actuellement. Celle enseignée aujourd’hui dans toutes
les écoles du monde ou presque est purement économique, alors qu’il s’agit d’un « processus

- 11 -
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
du changement social » (Fayolle et Nakara, 2010). On voit notamment que l’attrait pour
l’entrepreneuriat des jeunes diplômés n’est plus aussi fort qu’il pouvait l’être une dizaine
d’années auparavant.

2. Typologie des profils d’entrepreneurs

La littérature scientifique identifie deux principaux profils d’entrepreneurs : l’entrepreneur par


nécessité, sur lequel on se penchera tout particulièrement dans le cadre de notre étude, et
l’entrepreneur par opportunité, qui est lui un peu l’image type de l’entrepreneur dans l’esprit
des gens et dans le langage courant.

Mais il y a une multitude d’autres formes d’entrepreneuriat, en termes de motivations,


conditions professionnelles, milieu social, objectifs, origine ethnique, religieuse, etc. comme
l’expliquent Steyaert et Hjorth (2003) en parlant d’un « entrepreneuriat multiple ».
Nous nous cantonnerons à aborder spécifiquement les deux profils évoqués ci-avant, et à parler
plus précisément de la catégorie que nous allons voir après : les entrepreneurs par nécessité.

a. Les entrepreneurs par opportunité :

Nous allons en faire une description succincte pour deux raisons : tout le monde connaît
inconsciemment la définition de l’entrepreneur par opportunité ; il n’est pas le type
d’entrepreneur qui nous intéresse le plus dans notre étude qui se concentre plutôt sur
l’entrepreneur par nécessité.
Néanmoins, les entrepreneurs par opportunité sont définis dans la littérature comme des
personnes à la poursuite d’une « opportunité entrepreneuriale » selon des facteurs « pull » (Amit
et Müller, 1995). On entend par là des facteurs positifs tels que l’autonomie, l’indépendance, la
liberté, l’argent, le défi, le statut social ou encore la reconnaissance (Fayolle et Nakara, 2012 ;
Carter et al., 2003 ; Kolvereid, 1996 ; Wilson et al., 2004). L’entrepreneur par opportunité
s’apparente très certainement à l’entrepreneur classique que l’on se représente dans l’imaginaire
courant.

L’entrepreneur par opportunité a cette fibre entrepreneuriale, il est conscient de sa capacité à


gérer des hommes, fédérer autour de lui et de son projet, pour mener à bien ce projet. Il a

- 12 -
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
conscience de la charge de travail, il a une grande confiance en lui et en ses chances de réussite,
une grande motivation et maîtrise finalement son sujet. Il a une certaine expérience du domaine
dans lequel il entreprend, une connaissance du secteur, etc.

b. Les entrepreneurs par nécessité :

A l’opposé de l’entrepreneur par opportunité, nous retrouvons l’entrepreneur par nécessité. Il


est selon Cowling et Bygrave (2002) une « personne qui ne perçoit aucune alternative
appropriée d’emploi à la création d’entreprise », il n’a donc plus d’autre choix pour sortir de sa
situation de non-emploi que de créer le sien via la création d’une entreprise. Bosma et Levie
(2009) rejoignent cette idée puisque pour eux l’entrepreneur par nécessité est « toute personne
qui décide de s’impliquer dans une activité entrepreneuriale parce qu’elle ne dispose pas
d’autres alternatives pour trouver un travail ». Ce qui pour être plus précis désigne des individus
qui répondent à des facteurs « push » cette fois, et se voient dans une situation critique où leur
seule échappatoire, leur seule issue digne, s’avère être la création d’entreprise. Ils sont
complètement passifs dans leur décision et leur motivation de création. Comme le disent
Blackburn et Ram (2006), tous les « exclus » de notre société n’ont pas forcément les ressources
pour entreprendre, ni même l’envie.

Les conclusions du travail conduit par Fayolle et Nakara (2012), interrogeant des entrepreneurs
par nécessité, montrent des traits communs à ce type d’entrepreneurs comme un grand manque
de confiance, une situation d’isolement, d’exclusion, de nombreux traumatismes, et une grande
fragilité.
Ces caractéristiques sont liées au passé de ces néo-entrepreneurs. Ils sont souvent en manque
de confiance, isolés, exclus parce qu’ils ont connu le licenciement et autres accidents de la vie.

Ces entrepreneurs par nécessité portent des projets sans grande innovation, souvent contraints
par les événements, sans grande motivation réelle et avec un taux de réussite faible (Caliendo,
2009). Ça rejoint ce que disaient Fayolle et Nakara (2010, sur le fait que les projets de ces
entrepreneurs ne sont « ni porteurs d’innovation, ni créateurs d’emplois ». Dans son travail,
Paul Couteret (2010) définit les entrepreneurs contraints, distincts pour lui des entrepreneurs
par nécessité, mais leurs caractéristiques sont pour nous intrinsèquement similaires. Il énonce
qu’il n’y a pas de « désir » entrepreneurial, qu’il manque cette « propension au risque », cette

- 13 -
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
recherche d’un « accomplissement ». Il remet en cause leur engagement, qu’il juge « insuffisant
et trop fragile », sans projection dans l’avenir (son étude révèle en effet que 60% des profils
étudiés renonceraient à leur projet si une offre d’emploi sérieuse se présentait demain), une
forte réticence au changement et avec un faible taux de réussite. Ils manquent de ressources
stratégiques que sont les réseaux et le financement (Fayolle et Nakara, 2010). Nous retrouvons
bien des caractéristiques ici qui correspondent fortement à celles qui définissent les
entrepreneurs par nécessité.

3. Formes, acteurs, rôles et enjeux de l’accompagnement

Les entrepreneurs par nécessité sont, nous l’avons compris, fragiles et directement exposés au
moindre aléa, interne ou externe. Et pour pallier ces aléas, l’Etat propose un nombre important
de processus d’accompagnement, via de nombreux établissements publics, mais aussi privés.
Nous allons voir ici un certain nombre d’exemples, ainsi que leur rôle dans le processus
entrepreneurial, les enjeux de ces politiques d’accompagnement pour l’entrepreneuriat et pour
les entrepreneurs par nécessité.

a. Les enjeux de l’accompagnement des entrepreneurs

Prenant le postulat que l’accompagnement est un facteur clé de succès du projet entrepreneurial,
« clé de voute » comme le disent Fayolle et Nakara (2012), le but de cette partie est d’en énoncer
les contours et d’en approcher le fond.

Son intérêt est mis en avant dans l’étude d’Arlotto et al. (2012) qui démontre que le capital
humain de l’incubateur5 joue un rôle déterminant dans la réussite du projet. Il en va de même
avec les résultats de l’étude de Fayolle et Nakara (2010) qui démontrent une « corrélation
positive » entre accompagnement et réussite. Ce qui corrobore l’idée de Mark P. Rice, en 2002,
dans un texte fondateur, qui explique que « l’accompagnement a des enjeux économiques et
sociaux considérables ». Selon la source Défis 2003, citée par Siegel (2006), « 46% des
entreprises nouvelles subsistent 5 ans après », ce chiffre se porte à 70% lorsqu’elles ont été
accompagnées. Dans un autre article fondateur, francophone celui-ci, Albert, Fayolle et Marion

5
Nous entendons ici par incubateur les établissements ayant pour objet d’accompagner, conseiller, héberger, proposer des services fonctionnels
basiques aux entrepreneurs en phase de création : incubateurs, pépinières, technopôles, espaces dédiés, etc.

- 14 -
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
(1994) soulignent : « Le meilleur des créateurs pourra difficilement s’imposer s’il ne peut
mobiliser un ensemble de ressources : l’accès à l’information (…), l’argent (…), la logistique
(…), les savoir-faire de consultants ou de personnels qualifiés (…), l’accès aux technologies,
l’accès au marché », ce qui exprime bien qu’un projet d’entreprise ne devient entreprise pérenne
que grâce au rôle essentiel des structures d’accompagnement. Le constat de Messeghem et
Sammut (2010) va dans le même sens, dans le cas des pépinières, qui permettent de « rompre
avec l’isolement » et d’« isoler de la pression environnementale ».

b. Les principaux acteurs de l’accompagnement

Il nous faut dresser une typologie des formes que peut prendre l’accompagnement. Cette
« nébuleuse » (Paul, 2009) des formes d’accompagnement s’établit autour du counseling (forme
de « psychologie-situationniste »), mentoring, coaching, tutorat, sponsoring et parrainage
(Pezet et Le Roux, 2012).
Pour cela, et nous prendrons plutôt l’exemple de la France, Siegel (2006) a identifié les
principaux acteurs de l’accompagnement6 :
- Les Chambres des Métiers et du Commerce et de l’Industrie,
- Des structures publiques qui conjuguent aides et accompagnement avec le dispositif
EDEN7 ou AGEFIPH (à destination des handicapés) ;
- Les incubateurs et les pépinières d’entreprises : accompagnent et offrent une multitude
de services à leurs membres ;
- Les boutiques de gestion ;
- Des organismes financiers qui œuvrent sous forme de prêts comme l’ADIE, banques,
sociétés de capital-risque, FIR8, PFIL9, France Active, Sofaris, etc. et accompagnent
parfois directement les entrepreneurs.

Nous pouvons citer aussi des structures que nous avons rencontrées dans le cadre de cette étude
: la Fondation Planet Finance, de Jacques Attali, via sa filiale dédiée Planet Adam, qui
s’intéresse aux entrepreneurs issus de quartiers sensibles ; l’ADRESS (Agence de
Développement Régional de l’Economie Sociale et Solidaire) qui soutient des projets en

6
Nous pouvons aussi donner comme acteurs : les experts-comptables, cabinets de conseils, commissaires aux comptes, avocats, etc. qui offrent
ce genre de prestations (payantes, privées) en vue de s’assurer un potentiel chiffre d’affaires futur.
7
Encouragement au Développement d’Entreprises Nouvelles.
8
France Initiative Réseau.
9
Plates Formes d’Initiative Locale.

- 15 -
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
adéquation avec l’ESS ; les réseaux d’association d’anciens élèves, comme REXAM (Réseau
des anciens des Arts et Métiers), etc.

c. Les formes que prend de l’accompagnement

Les services proposés sont basiques et surtout fonctionnels : salles de réunions, des locaux à
loyer modéré, accès à des photocopieurs, imprimantes, internet, etc.
La différence notoire se fait sur deux variables : les conseils spécifiques, de gestion, de
management, là où une réelle plus-value se fait sentir ; et la recherche de capitaux et de
financement (Siegel, 2006), ceci favorisant le « passage à l’acte ».

Ces politiques d’accompagnement s’orientent autour de 3 axes principaux, comme le souligne


Siegel (2006) : appui financier géographique (zones sinistrées, soutien à l’emploi, ruralité,
zones stratégiques, etc.) ; appui technique (réseau des CCI, cabinets, collectivités, etc.) ; appui
logistique (locaux, hébergement, outils, etc.).

Et ses axes et enjeux doivent aussi donner conscience des risques pris par les entrepreneurs, de
les accompagner, de les guider, de les éveiller. Et ce afin de minimiser les échecs et les
situations sociales délicates, l’endettement, la faillite, etc. Il est alors nécessaire, que ce soit
pour les entrepreneurs, pour les accompagnants, comme pour les deniers publics, qu’il y ait une
parfaite adéquation entre d’un côté les « besoins d’assistance » du créateur et de l’autre les
prestations proposées « au sein d’un dispositif d’accompagnement » (Cuzin et Fayolle, 2005)
ou tout autre offre d’accompagnement.

d. Les limites de l’existant dans le cas des entrepreneurs par nécessité

Comme le disent Siegel (2006) ou encore Fayolle et Nakara (2010), les structures
d’accompagnement doivent adapter leur offre de prestation – pour le premier – et plus
particulièrement à destination des entrepreneurs par nécessité – pour les seconds. L’offre
proposée dans l’état actuel est « inadaptée à ce nouveau type d’entrepreneurs très vulnérable »
car le principal besoin de ces entrepreneurs par nécessité, avant tout aspect technique qui rejoint
l’offre « généraliste » d’accompagnement, est un soutien psychologique qui ne s’opère que très
peu (Valéau, 2006), dans un processus où les entrepreneurs ont avant tout « besoin de se

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
reconstruire avant de songer à l’acte entrepreneurial » (Fayolle et Nakara, 2010). La démarche
classique d’accompagnement des incubateurs (mais on peut à notre sens l’élargir à toute
structure d’accompagnement) ne peut pas convenir à tous les types de profils d’entrepreneurs
et à tous les types de projets (Léger-Jarniou, 2005). Ils ont en fait le même potentiel de réussite,
leur réelle différence (cruciale et déterminante) se fait dans la nature de l’offre
d’accompagnement qui leur est proposée dans la psychologie, le choix du marché, du produit
(Block et Wagner, 2007). Comme le disent Verzat et al. (2010), il apparaît nécessaire d’adapter
la démarche d’accompagnement au profil de l’entrepreneur et au type de projet qu’il porte.

Pour résumer l’enjeu de ces dysfonctionnements, comme le fait très bien Paul Couteret (2010),
« ignorer leur particularisme et se contenter de leur proposer les formes les plus standardisées
des réseaux d’accompagnement classiques, c’est faire l’hypothèse que c’est le marché qui
tranchera entre les « vrais » et les « faux » entrepreneurs ».

4. Regard critique sur les dispositifs d’accompagnement

Ces politiques et dispositifs d’accompagnement sont donc fondamentaux pour le bien des
entrepreneurs, de notre économie, et pour donner une réalité à ce que les politiciens clament :
croissance, création d’emploi et de richesse.

Des chercheurs avancent alors des conclusions critiques mettant en exergue les risques et les
problématiques soulevés par l’accompagnement, tel qu’il est aujourd’hui. Ils pointent du doigt
les conséquences sur la société.

Le travail de Fayolle et Nakara (2010), central dans l’étude de l’accompagnement des


entrepreneurs par nécessité, évoque notamment « l’industrialisation des pratiques dans l’aide à
la création, très peu adaptées aux difficultés humaines et sociales vécues » par ce type
d’entrepreneurs. Ils poursuivent notamment avec l’exemple de consultants de Pôle Emploi qui,
face au nombre de dossiers à traiter qui augmente de façon exponentielle, ont un temps de prise
en charge et d’écoute par entrepreneur qui se réduit considérablement, alors que leur rôle est
essentiel, surtout à Pôle Emploi et surtout face à ce type d’entrepreneur.

- 17 -
Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
En plus du temps de traitement de chaque dossier de plus en plus mince, un autre problème se
pose au niveau de l’accompagnement dans le cas des entrepreneurs par nécessité : la posture et
la formation des accompagnateurs. On a pu constater dans les différents travaux étudiés que les
entrepreneurs se sentaient mal écoutés, mal conseillés. Ils avaient le sentiment d’être jugés,
victimes d’une trop grande distance entre l’accompagnant, technicien, et eux-mêmes, qui
recherchent du réconfort et une écoute plus psychologue (Fayolle et Nakara, 2012).

Un autre point soulevé par leur travail est celui du « mille-feuilles » des aides et dispositifs
d’accompagnement, rendant illisible le paysage des protagonistes (Siegel, 2006). Un « mille-
feuilles » qui échappe bien souvent aux entrepreneurs qui en ont le plus besoin. Ils mettent en
avant des « vides institutionnels » dans les politiques d’orientation et de formation des créateurs
par nécessité, ainsi que dans celle des accompagnants.
De plus, il y a un autre vide abordé par Fayolle (2004) : la définition même du processus de
l’entrepreneuriat et surtout sa « fin ». Elle dirige et oriente finalement les politiques
d’accompagnement et d’aides. Mais ce processus se termine-t-il au moment de
l’immatriculation, 3 ans après, une fois le cap fatidique des 5 ans franchi ?
C’est une question qu’il soulève également dans son article de 2010 en disant que « rien ou pas
grand-chose n’est fait » dans la période post-création, lorsque cela devient concret et réel, au
moment d’aller chercher des clients et des revenus.
Est-ce pour éviter la création d’une « dépendance à l’assistance » comme l’évoque Couteret
(2010) ?

Un autre paradoxe, pour nous, dans l’environnement actuel de l’accompagnement est, dans le
sens où les incubateurs sont essentiellement, ou du moins pour une grande partie, financés par
des fonds publics du fait de la situation logique des bénéficiaires : entrepreneurs sans moyen de
financement, demandeurs d’emploi, étudiants, etc. Les financeurs publics attendent dès lors un
« retour sur investissement public » en octroyant de tels financements : la survie de l’entreprise
et la création d’emploi dans un premier temps ; la rentrée de recettes fiscales locales ou
nationales à plus long terme (Arlotto, J. et al., 2012). Mais dans la répartition et l’attribution
des dotations, sommes-nous sûrs que ces fonds vont bien à destination des plus nécessiteux ?
Se pose aussi la question de la sélection des projets à incuber. Dans ce contexte où ladite
performance est fonction des dotations futures, les incubateurs raisonnent de façon non
objective et stratégique (Siegel, 2006) dans une logique de marché impossible à concilier
(Couteret, 2010).

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
De plus, on sait que le taux de survie des entreprises incubées est plus élevé lorsque les pratiques
de sélection sont modérées (Aerts et al., 2007), que la logique de sélection est biaisée par des
paramètres invisibles à court-terme, car les effets positifs ne se font ressentir qu’une fois
l’incubation avancée. Aussi, les incubateurs sont plus enclin à accompagner des entrepreneurs
avec un niveau d’étude supérieur (au baccalauréat) alors que nous avons un même niveau de
performance des entreprises créées par des entrepreneurs, qu’ils aient le bac ou pas (Arlotto et
al., 2012). C’est une situation paradoxale que subissent de plein fouet les entrepreneurs par
nécessité comme le résume très bien Valéau (2006) : les accompagnateurs seraient tentés de
sélectionner les personnalités les mieux disposés à l’entrepreneuriat, « paradoxe » et
« négation » des politiques et dispositifs d’aides, car les « vrais10» entrepreneurs sélectionnés
sont ceux qui en auraient vraisemblablement le moins besoin, et les individus qui en ont le plus
besoin sont donc évincés du système.

Nous devons aborder un autre travail fondamental, celui de Scott Shane. Pour lui l’Etat devrait
agir comme une société de capital-risque (2008). Il faudrait stopper le gaspillage des ressources,
leur allocation étant un problème majeur, afin de se concentrer sur les secteurs de l’économie
avec un fort potentiel de croissance (2009, p. 143). Ainsi, en dynamisant et encourageant les
« vrais » projets porteurs de croissance et d’emploi, on répond à son analyse selon laquelle les
pays avec une forte croissance ont un taux de création d’entreprise en baisse, un écrémage
naturel. Cela rejoint le constat de Couteret (2010) comme quoi une offre d’emploi détournerait
les entrepreneurs par nécessité de leur projet de création. Et cela éviterait aux entrepreneurs par
nécessité de se retrouver dans des situations de grande précarité, puisqu’ils feraient le choix de
l’entreprise s’ils pouvaient.
Il faut selon Shane détourner les entrepreneurs par nécessité de leur envie d’entreprendre, en
soutenant et stimulant les projets innovants et porteurs afin de recréer l’économie de la grande
entreprise qui est le schéma le plus intéressant pour nos économies (Shane, 2009).

5. Des mécanismes alternatifs existent

Heureusement, afin d’éviter de passer à côté de projets qui pourraient demain révolutionner le
monde, mais surtout pour ne pas lâcher des entrepreneurs qui se sentent déjà lâchés, il existe

10
Les « vrais » entrepreneurs ici correspondent au profil d’un entrepreneur par opportunité.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
des alternatives pour contrecarrer les limites des accompagnements conventionnels. Les
objectifs des structures d’accompagnement ont évolué dans le même temps, mais pas la même
direction, que les besoins des accompagnants : il a fallu réfléchir à un nouveau modèle
d’accompagnement (Gharbi et Torrès, 2013). Nous allons à présent présenter des notions
importantes à nos yeux pour comprendre et préparer nos axes de travail futurs qui reflètent plus
ou moins des facteurs clés de succès dans la réussite de l’accompagnement et la confection d’un
« profil prêt » d’entrepreneur ; puis nous allons aborder, dans une seconde sous-partie, certains
nouveaux modèles d’accompagnement que nous trouvons intéressants.

a. Des notions et compétences clés sur lesquelles l’accompagnement doit se


positionner

Pour accompagner l’entrepreneur par nécessité, nous avons vu qu’il fallait adopter une attitude
et une posture particulières.

Nous avons, pour nous forger notre opinion et avoir un terrain de travail, étudié deux cas
alternatifs d’accompagnement qui nous ont semblés pertinents et prometteurs :
1) Le cas des Coopératives d’Activité et d’Emploi – CAE (Allard et al., 2013)
2) Le cas d’une « ruche » d’un collectif d’entrepreneurs (Fabbri et Charue-Duboc, 2013).

En effet, nous savons que les formations à l’entrepreneuriat (gestion administrative, fiscalité,
finance, etc.) ont un fort impact à horizon cinq ans sur la réussite des entreprises (Michaelides
et Benus, 2010). Nous avons vu aussi que l’affectif et le désir entrepreneurial pouvaient
s’apprendre et avaient une corrélation positive à la réussite de l’entrepreneur (Couteret, 2010).
Il est nécessaire d’avoir une redéfinition des institutions normatives et culturelles dans le but de
mieux préparer les entrepreneurs par nécessité à ce qui les attend réellement (Fayolle et Nakara,
2012). C’est ce que tendent à proposer les cas que nous avons étudiés, amenant une innovation
sociale plus compatible aux plus désireux d’un accompagnement poussé et adapté. Cependant,
la question se pose de sa reproduction pour convenir aux entrepreneurs par nécessité.

Voici succinctement les réalités de ces dispositifs compensatoires, comme alternance des
politiques actuelles :

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
- Les CAE et « ruches » permettent de mutualiser, sécuriser, développer et accompagner
les activités d’entrepreneurs, conjuguant temps individuels et collectifs, avec des
objectifs de rendu (ateliers obligatoires, évaluation des acquis, etc.) ;
- Ils compensent les problèmes liés à l’isolement, permettent un regard extérieur neuf
(que ce soit le chercheur, comme l’entrepreneur voisin), favorisent la remotivation ;
- Ils favorisent la solidarité et l’entraide, dans un contexte de pairs plus entrainant ;
- Le principe de la « formation-action » est jugé comme « particulièrement adapté »,
favorisant un « effet amplificateur du cadre collectif » permettant de « saisir d’autres
expressions de la singularité du dispositif d’accompagnement » (Allard et al., 2013) ;
- Le modèle « socio-constructiviste » montre l’engagement au sein d’une communauté11
ayant un fort rôle dans les processus de construction des connaissances (Fabbri et
Charue-Duboc, 2013)

Pour approfondir sur le cas de « La Ruche », car nous allons justement nous y intéresser plus
spécifiquement au cours de notre étude, nous trouvons dans cette forme d’accompagnement de
quoi contrecarrer les limites de l’accompagnement aux entrepreneurs par nécessité. Même si la
structure est plus de l’hébergement que du pur accompagnement, il en reste un « facilitateur »
Lindholm-Dahlstrand et Klofsten, 2002) pour le développement du projet. Nous envisageons
de nous pencher sur cette notion d’hébergement-accompagnement et de « facilitateur » afin de
tester la faisabilité d’une réappropriation du concept pour venir compenser certaines limites de
l’accompagnement aux entrepreneurs par nécessité et capitaliser sur les réussites avérées de ce
type de structure.

La Ruche propose des postes informatiques, des espaces de travail et organise des événements
faisant intervenir des personnes extérieures (permettant à un plus grand nombre d’y assister).
Elle regroupe des entrepreneurs sociaux, le principal critère d’entrée est donc l’innovation
sociale que porte le projet et que souhaite véhiculer le porteur de projet. Les valeurs de La
Ruche, outre le caractère d’innovation sociale, sont l’échange et la collaboration. L’intérêt pour
cette structure est aussi sur ce qu’elle développe pour ses membres au-delà du simple
hébergement : des moments plus formels dédiés au soutien entre pairs, interactions entre acteurs
de l’entrepreneuriat social avec des événements sur des thèmes divers et variés, faisant appel

11On entend communauté ici au sens d’un environnement au cœur duquel les individus interagissent, construisent des relations,
apprennent, autour d’une « pratique », d’un ensemble d’intérêts, d’idées, d’outils (Wenger et al., 2002 cité dans Fabbri et
Charue-Duboc, 2013).

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
en général aux connaissances d’autres membres de La Ruche (Fabbri et Charue-Duboc, 2013).
Toujours selon leur travail, on voit que les participants aident bénévolement d’autres membres
à « faire émerger des éléments de réponses à leurs défis entrepreneuriaux » et c’est cette
méthodologie collaborative que nous souhaitons vraiment approfondir. La Ruche s’attache à
attribuer les espaces de façon à créer des interactions entre des entrepreneurs et au travers de
projets hétérogènes afin de créer une atmosphère la plus enrichissante possible. Toujours dans
le même article de Fabbri et Charue-Duboc (2013), on note que l’accompagnement proposé par
La Ruche repose sur trois éléments caractéristiques : « le processus de sélection, l’animation
participative et le rôle de l’environnement physique ».
Elles se posent une question intéressante en se demandant « si une démarche
d’accompagnement collectif au sein d’une communauté d’entrepreneurs pouvaient fonder un
nouveau modèle d’accompagnement entrepreneurial et si oui, quels en seraient les leviers ».

Toutes ces études nous confortent dans l’idée que les politiques actuelles ont un problème
d’efficacité, de légitimité, et que des dispositifs alternatifs existent, mais ne sont pas forcément
à destination de ceux qui en ont réellement le plus besoin : les entrepreneurs par nécessité. Un
travail de fond s’impose pour repenser l’accompagnement des entrepreneurs par nécessité et
pour rebattre les cartes d’un domaine en plein essor avec le contexte que l’on connait.

6. Des éléments clés à assimiler pour une bonne mutation de l’accompagnement

Nous avons abordé précédemment l’inadéquation des politiques d’accompagnement à


destination des entrepreneurs par nécessité, pour plusieurs raisons que nous ne répèterons pas
(voir dans le dernier paragraphe de la partie [3.]). Nous avons préféré évoquer maintenant des
points importants pour comprendre les axes sur lesquels agir, en plus de ce qui a déjà été vu et
qui tombe sous le sens parfois. Des points relevés dans la littérature, et déjà évoqués pour
certains, qui sont importants pour nous afin de pouvoir adopter une autre réflexion dans la
logique de l’accompagnement aux entrepreneurs par nécessité. Le but est d’avoir, en plus des
éléments révélés auparavant, des points de fixation, comme on en utilise en sport, ou des axes
leviers, autour desquels il est utile de construire notre réflexion.

a. Entre isolement et problème de légitimité

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Un des obstacles majeurs auxquels font face les entrepreneurs, qu’ils soient par opportunité ou
par nécessité, est la question de l’isolement. Le paradoxe dans l’isolement de l’entrepreneur au
cours de son processus entrepreneurial, soulevé par Messeghem et Sammut (2010), est
intéressant : l’entrepreneuriat est une « forme de déviance du salariat », un processus de rupture,
de « renoncement à un système managérial », etc. Là où c’est paradoxal, c’est que
l’entrepreneur, de par sa déviance et sa rupture, donne le sentiment d’être un solitaire, prêt à et
désireux d’un isolement social, professionnel et intellectuel. On lui attache l’étiquette d’un
homme12 solitaire alors qu’il en ressort dans de nombreuses études que c’est son principal
combat de lutter contre l’isolement.

Comme le développent Gharbi et Torrès (2013), l’entrepreneur doit faire face à des situations
de stress nocives, telles que l’insécurité financière, la pression de l’enjeu, la surcharge de travail,
la frustration ou le manque de reconnaissance.
On peut trouver à toutes ces situations un lien avec l’isolement et la légitimité. L’insécurité
financière peut être ressentie comme un stress dans une situation d’isolement si on n’a pas de
conjoint ou famille en soutien, et poussant à l’isolement quand on n’a pas de réponse à donner
à cette insécurité financière menaçante. Et aussi si on sent que l’on n’est pas « financièrement
légitime » pour notre projet et que lever des fonds va être impossible. Il en va de même pour la
pression de l’enjeu, la frustration et le manque de reconnaissance.

Il a été prouvé que la légitimité était un bon moyen pour sortir de l’isolement (Messeghem et
Sammut, 2007), un moyen de renforcer son insertion à la fois professionnelle et personnelle, au
sein de son nouvel environnement, on peut parler « d’insertion entrepreneuriale ». Ils expliquent
que, dans le champ de l’entrepreneuriat, la légitimité est déterminante. C’est un « processus de
construction sociale qui se nourrit des interactions entre le créateur et son environnement » et
permet d’avoir accès à certaines informations et certaines ressources auxquelles nous n’avions
pas accès avant (Messeghem et Sammut, 2010).

La structure dans laquelle se déroule l’accompagnement contribue (ou au contraire, ne


contribue pas) à ce processus de légitimation.

12Nous entendons ici homme au sens général, nous prenons en compte le nombre important de femmes « entrepreneuses » qui
sont intégrées dans ce terme.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Il y a deux choses que nous développerons plus tard dans notre analyse. Dans la littérature
(Messeghem et Sammut, 2007) sont mises en avant les notions de légitimité professionnelle et
légitimité concurrentielle, ainsi qu’une approche passive (conformité) et proactive (stratégie de
légitimité) pour obtenir une légitimité critique.

b. Environnement ambivalent

Un autre aspect à évoquer est celui de l’environnement ambivalent.

D’une part, la situation de l’entrepreneur est ambivalente : réussite ou échec. La « rhétorique


entrepreneuriale contemporaine met en avant la figure du héros qui réussit » (Messeghem et
Sammut, 2010) comme nous l’avons vu alors qu’un entrepreneur sur deux ne survit pas plus de
cinq ans.

D’autre part, toujours selon les mêmes auteurs, les pépinières sont aussi dans une situation
ambivalente. Ils nous expliquent qu’en intégrant une pépinière, on bénéficie d’un soutien et
d’un accompagnement d’un côté, mais qu’il y a « stigmatisation », d’un autre côté, du fait de
notre hébergement dans une pépinière : entreprise non expérimentée, jeune, etc. gênant les
relations avec les parties prenantes qui ne sont pas en confiance. C’est un élément à prendre en
compte.
Enfin, toujours lié à l’ambivalence et pour rebondir sur l’isolement, l’entrepreneur peut ne pas
être satisfait du soutien proposé et entrer dans une posture de blocage et dans un isolement accru
(Messeghem et Sammut, 2010).

c. La nécessité d’improviser

Toujours dans le travail de Messeghem et Sammut sur la légitimité (2010), comme nous le
disions plus haut, le meilleur profil qui ressort de leur étude est dit « profil réceptif » travaillant
en « improvisation ». L’improvisation en entrepreneuriat est définie autour de trois axes
(Hmieleski et Corbett, 2006) : le bricolage et la créativité ; des capacités à affronter
l’environnement extérieur et ses pressions ; la spontanéité. Ils expliquent ensuite qu’adopter
une stratégie d’improvisation est la meilleure attitude pour sortir de l’isolement (Baker et al.,
2003 ; Garud et Karnoe, 2003 ; Hmieleski et Corbett, 2006). L’évolution du processus

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
d’improvisation s’articule autour de la « recherche d’opportunités inattendus » et la
« neutralisation de menaces imprévues » (Messeghem et Sammut, 2010, citant Kamoche et
Cunha, 2003).

Il y a là des éléments intéressants de pratique d’un accompagnement plus efficient et d’une


traduction pour les entrepreneurs par nécessité.

d. Pratiques salutogènes

Des auteurs travaillent sur l’entrepreneuriat et son impact (son rôle) sur la santé des
entrepreneurs. Nous avons notamment des « facteurs de résistance salutogènes » : créateurs
passionnés, endurance et optimisme, soutien social et familial, etc. (Gharbi et Torrès, 2013).
Ils mettent en avant dans ce même texte les pratiques d’accompagnement dites « salutogènes »
qui peuvent nous servir à identifier de meilleures pratiques de l’accompagnement des
entrepreneurs par nécessité : des actions isolées offrant des moments conviviaux ; des relations
accompagné/accompagnant très poussées, proches du coaching « bien-être ».

Ils expliquent aussi que des pratiques actuelles sont d’ores et déjà « salutogènes » comme la
pépinière où l’hébergement permet de cloisonner vie privée et vie d’entrepreneur, facile la
visibilité, etc.

Il est intéressant de voir cet aspect de l’entrepreneuriat et le rôle des pratiques


d’accompagnement sur la santé des entrepreneurs, surtout quand on connaît la situation
psychologique des entrepreneurs par nécessité.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
HYPOTHESES DE RECHERCHE

Forts de ce travail critique de revue de la littérature existante, ayant une bonne connaissance
des pratiques et des problématiques, nous allons développer ici nos hypothèses qui conduiront
notre travail de recherche.

Hypothèse 1
Il y a un intérêt pour les pouvoirs publics et les entrepreneurs par nécessité à voir une
réorientation des stratégies, objectifs et pratiques de l’accompagnement entrepreneurial.

Hypothèse 2
Favoriser un espace de travail collectif, combinant entrepreneurs par nécessité et entrepreneurs
par opportunité, avec des moments collectifs et des moments individualisés, contribue à
compenser les déficits des premiers pour favoriser leur réussite sans altérer celle des seconds.

Hypothèse 3
La mise en place d’une formation spécifique des accompagnants est un paramètre clé dans la
réussite des entrepreneurs par nécessité.

Hypothèse 4
Le recours à un accompagnement par les pairs est important pour les entrepreneurs par
nécessité.

Hypothèse 5
L’élément majeur sur lequel les différents acteurs ont à travailler est dans la définition d’un
nouveau contrat de légitimité, dans un cadre nouveau, pour sortir de cette posture
d’affrontement d’illégitimités.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
METHODOLOGIE ET TERRAIN DE RECHERCHE

Notre étude se fonde sur une approche hypothético-déductive. Pour enrichir notre connaissance
du processus de l’entrepreneuriat par nécessité, nous avons développé cette approche qualitative
afin de nous permettre d’appréhender et de comprendre les individus et le phénomène de
l’entrepreneuriat, d’autant plus qu’il s’agit d’un sujet sensible qui touche une population fragile,
volatile, et difficile à atteindre et à toucher.

Il en va de même pour le processus de l’accompagnement, processus complexe, méconnu, mal


compris, très varié, que nous allons découvrir et approfondir via cette approche qualitative.

Nous avons développé plusieurs approches suivant le public auquel nous confrontons nos
questionnements, parce que l’approche n’est pas la même face à un entrepreneur par nécessité
que face à un collectif d’accompagnants, un entrepreneur « classique », un collectif
d’entrepreneurs, un représentant d’une administration, un consultant, etc.

Le choix qualitatif s’est imposé naturellement face à la nature des informations que nous
souhaitions obtenir. Il nous a semblé important de pouvoir saisir pleinement le verbal et le non-
verbal dans les propos tenus par nos interlocuteurs.

Sélection du terrain et des interlocuteurs

Nous allons présenter ici le public cible que nous avons rencontré pour notre étude et pour
répondre à nos hypothèses.

a. Les accompagnants :

Pour commencer, nous avons rencontré des personnes accompagnants les entrepreneurs. Nous
avons rencontré trois accompagnateurs, de trois structures différentes, officiant sur des publics
plutôt différents. Nous avons réalisé ces entretiens suivant une grille d’entretien semi-directif
selon les thèmes que nous voulions aborder.

Ces échanges étaient très riches et ont permis de bien comprendre la problématique de
l’accompagnement des entrepreneurs. Nous avons choisi de nous entretenir avec des
accompagnants d’entrepreneurs exclusivement par nécessité (M.C.) et d’accompagnants
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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
« hybrides » (A.B.) qui rencontrent tous les types d’entrepreneurs, et un accompagnement plutôt
destiné aux gros projets et qui, selon la personne rencontrée, ne concerne que de façon
marginale les entrepreneurs par nécessité (M.S.).

Cette diversité dans les profils d’accompagnants a été voulue afin d’enrichir plus encore nos
connaissances et de pouvoir saisir les différences de point de vue selon les spécificités des
profils d’entrepreneurs et les spécificités des accompagnements liés.

A la fin de notre entretien semi-directif, l’échange se portait sur des questions plus directes,
notamment sur les hypothèses et sur les propositions qui seraient les leurs s’ils avaient le
pouvoir de rebattre les cartes de l’accompagnement. Nous les développerons dans la partie
appropriée.

Nom Structure Ancienneté Sexe Expérience


M.C. Planet Adam moins de 5 ans Féminin N'a jamais créé
A.B. CCI plus de 15 ans Féminin N'a jamais créé
M.S. Réseau Entreprendre plus de 15 ans Féminin N'a jamais créé

o Planet Adam
Pour présenter Planet Adam, il s’agit d’une structure de Positive Planet (anciennement Planet
Finance), une ONG présidée par Jacques Attali, qui œuvre sur des projets de micro-finance et
de développement local. Elle offre, via Planet Adam, un accompagnement gratuit à des
entrepreneurs provenant de « cités », de banlieues, de zones urbaines sensibles et de quartiers
prioritaires. Ils sont constamment confrontés aux entrepreneurs par nécessité. L’initiative née
au sortir des émeutes de 2006 en France et au désir d’agir pour les banlieues. La structure offre
un accompagnement gratuit, individuel et personnalisé. Ils bénéficient de « médiateurs » qui
font office de commerciaux, allant dans les zones ciblées (en accord avec les institutions
publiques), chargés d’aller à la rencontre des jeunes porteurs de projets, des jeunes dans leur
ensemble, perdus dans leur quartier. Ils leur présentent la palette d’offre de services de la
structure et les invitent à poser leurs mots, réfléchir à l’entrepreneuriat, à l’accompagnement,
etc.

o Chambre de Commerce et d’Industrie


La CCI est la porte ouverte gratuite de référence pour les créateurs d’entreprise. La CCI est
financée par les entreprises de son tissu géographique et en charge de l’animation, du maintien,

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
du développement et du renouvellement du tissu économique local. La CCI a en charge entre
autres, les reprises d’entreprise et les créations d’entreprise. Pour ce qui est de
l’accompagnement, la CCI propose une formation appelée « les 5 jours entreprendre » et un
service de conseillers en charge de l’accompagnement administratif et juridique des porteurs de
projets, principalement. Il y a un volet de l’accompagnement sur l’adéquation du porteur et du
projet, des rendez-vous individuels, un suivi de l’avancée des projets. Ils s’efforcent d’adapter
l’offre d’accompagnement aux profils des entrepreneurs et tentent, par leur stratégie,
d’améliorer leur taux de couverture en ajoutant une réelle plus-value de par leur parcours
d’accompagnement.

o Réseau Entreprendre
Enfin, le Réseau Entreprendre, autre acteur majeur de l’accompagnement entrepreneurial,
privilégie les plus gros projets, environ soixante-dix mille euros d’apport financier. Il y a ici
aussi la notion de participation au développement économique du territoire. Les valeurs du
Réseau Entreprendre sont : « l’important c’est la personne » ; le principe de la gratuité ; la
notion de réciprocité. Ils axent leur accompagnement sur l’adéquation du porteur au projet. Le
porteur arrive tel qu’il est et leur rôle est de le « faire grandir » et d’en faire un chef d’entreprise
et un entrepreneur averti.

b. Les entrepreneurs :

Le point le plus délicat est sans doute d’identifier, d’isoler et de contacter des entrepreneurs par
nécessité. Pour faire une première sélection de ces entrepreneurs, nous avons repris l’approche
de Couteret (2010) qui a envoyé un pré-questionnaire, via des accompagnateurs, à des
entrepreneurs avec deux questions simples et rapides pour les identifier clairement. Ses deux
questions étaient les suivantes :
 Qu’est-ce qui a déclenché votre décision de créer une entreprise ?
 Aviez-vous déjà songé à créer une entreprise avant d’être au chômage ?
Questions auxquelles nous avons rajouté, extrait du texte de Couteret (2010) d’ailleurs, et sur
les conseils de notre tutrice :
 Si une offre d’emploi stable se présentait, renonceriez-vous à votre projet d’entreprise ?

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Nous avons contacté les entrepreneurs grâce à un réseau personnel : une amie enseignante-
chercheuse en psychologie du travail nous a mis en relation avec deux entrepreneurs (F.F. et
F.B.). Deux autres sont des connaissances personnelles (A.S. et M.A.) et le dernier a été
rencontré directement dans un autre cadre, de façon imprévue.

Nous avons rencontré un problème « difficile » à surpasser dans le cadre de ce pré-


questionnaire.
Lorsque nous avons voulu le faire passer via le biais de l’Ecole de Management de Normandie,
dans le cadre de sa mission « création d’entreprise », après avoir identifié les profils « par
nécessité » avec la responsable du programme, nous avons envoyé un mail avec les trois
questions ci-dessus à 57 entrepreneurs.
Nous savions, de par leur fiche descriptive remplie pour participer au programme, qu’ils étaient
« par nécessité », cependant leurs réponses n’allaient pas dans ce sens-là (sauf pour quatre
personnes). Nous avons contacté ces quatre personnes, elles n’ont jamais donné suite, répondant
notamment qu’elles n’avaient pas assez de connaissances, qu’elles ne seraient d’aucune utilité,
etc.

Pourquoi ?
Probablement le fait d’avoir honte de ne pas être à sa place, manque de confiance en soi, ou
notre première approche n’était pas appropriée. Mais nous pensons que le manque de confiance,
la peur de ne pas être à sa place, caractéristiques de ce type d’entrepreneur, sont les raisons qui
poussaient finalement 53 entrepreneurs à ne pas répondre « sincèrement » dans un premier
temps et à ne pas donner suite à nos sollicitations pour les 4 restants à l’issue du questionnaire.

Nous avons donc rencontré cinq entrepreneurs mais aucun à l’issue de notre pré-questionnaire.

Voici nos entrepreneurs :


Nom Secteur Tranche d'âge Sexe Situation
F.F Conseil aux entreprises 35-50 ans Masculin Entrepreneur par nécessité modéré
F.B Conseil aux entreprises plus de 50 ans Masculin Entrepreneur par nécessité modéré
A.S. Coiffure à domicile moins de 25 ans Masculin Entrepreneur par nécessité avancé
M.A Restauration rapide moins de 25 ans Masculin Entrepreneur par nécessité avancé
G.D Startup internet 25-35 ans Masculin Entrepreneur par opportunité

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Nous avons quatre entrepreneurs par nécessité et un entrepreneur « classique ». Il a été ajouté
la pondération « modéré » et « avancé » pour distinguer le niveau de nécessité comme nous
l’expliquerons juste après.

Pour recueillir les discours des entrepreneurs par nécessité, leur vécu, leur parcours, le pourquoi
de leur projet, nous avons opté pour une combinaison entre les « récits de vie » (Bertaux, 1997)
et des parties semi-directives pour élargir, préciser et approfondir certains aspects. L’objectif
est de les laisser libre de nous raconter leur parcours, nous raconter leur existence, leur passé,
le tout en orientant parfois le sujet sur des points précis majeurs. Nous avons préféré cette
approche à l’entretien semi-directif classique pour vraiment laisser toute la liberté à
l’entrepreneur de s’évader dans sa réflexion et ainsi recueillir parfois des éléments de langage
qui ne seraient pas ressortis dans le cadre d’un échange de questions-réponses de base. Ça
permet aussi d’installer une relation de confiance, l’entrepreneur se sent écouté, nous nous
intéressons à son histoire, son parcours, etc. Il est donc plus enclin à nous apporter des réponses
satisfaisantes pour notre étude.

Nous avons ainsi souhaité une retranscription libérée du passif de l’entrepreneur, avec une
« reconstruction des parcours de vie » (Peneff, 1990 ; Sanséau, 2005) et des « trajectoires
sociales » (Bertaux, 1997) qui expliquent comment il est arrivé face à nous aujourd’hui.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue l’objectif de cet entretien : les « récits de vie » peuvent
facilement devenir vague, finalement chronophage, et nous éloigner du sujet. Le but est
d’orienter le récit sur la partie de la vie du locuteur liée à nos questions de recherche, son passif
d’entrepreneur par nécessité, et rien d’autre si ce n’est les facteurs économico-sociaux de sa
condition de « nécessité ».
Cette méthode des « récits de vie » ne serait pas, selon nous, judicieuse lors des entretiens avec
les entrepreneurs classiques ou les accompagnants, quel que soit leur approche professionnelle.

o Pourquoi « modéré » et « avancé » ?

F.F. est licencié d’Economie en Allemagne puis diplômé d’HEC et a une expérience
significative du domaine dans lequel il entreprend. Il a une carrière fournie dans l’audit, le
contrôle de gestion. Mais jamais de stabilité et un parcours accidenté. Il a été « contraint »
d’entreprendre après trois ans de chômage et de missions courtes sans succès. Il a pensé à
l’entrepreneuriat dans ce contexte de chômage répété. Mais il reste « modéré » à notre sens

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
parce qu’il a une certaine cohérence et aurait pu trouver un emploi stable au sein du secteur
dans lequel il entreprend aujourd’hui, mais a fait le choix de se lancer seul.

F.F. est ingénieur des Arts et Métiers. Il est entrepreneur par nécessité puisqu’il a entrepris après
une période de chômage (un an), à 52 ans, dans un contexte difficile : divorce, problèmes avec
ses enfants, distance, région nouvelle, pas de réseau, etc. Comme F.F. nous l’avons qualifié de
« modéré » puisqu’il entreprend dans son domaine de prédilection, en cohérence avec sa
carrière, même s’il entreprend parce qu’il ne trouve plus de travail et pour sortir de cette
situation de chômage. Il bénéficie d’un an de droits avant d’entrer dans une précarité avancée.

Les deux autres cas sont légèrement plus « avancés » dans le caractère et la condition de
« nécessité » :

A.S. a fait un BEP pour devenir ébéniste, pour ensuite faire un CAP coiffure tardivement. Il n’a
jamais trouvé de patron pour terminer sa formation correctement et n’a jamais trouvé d’emploi
salarié (à part livreur de pizzas le soir). Il a longtemps voulu reprendre une formation pour
obtenir le diplôme suivant, dans la coiffure, lui permettant d’ouvrir sa structure et de trouver
(plus) facilement un emploi sinon. Cependant, impossible à 21 ans de trouver un patron quand
la majorité des candidats a tout juste 16-17 ans. Les coûts ne sont pas les mêmes. Il faut faire
un choix, bloqué finalement, isolé, éloigné de l’emploi, il n’a plus d’autre choix que de prendre
une décision drastique. L’entrepreneuriat, en autoentrepreneur, était pour lui vraiment la seule
issue possible pour tenter de s’insérer et de trouver un emploi en s’en créant un. Son profil n’est
sensiblement pas le même que les deux profils vus précédemment, nous voyons bien pourquoi.

M.A. est également dans cette situation. Il a lui fait un diplôme professionnel pour être jardinier
et intervenir chez des particuliers, il n’a jamais trouvé d’emploi, il a enchainé les petits boulots,
serveur, intérim, livreur, etc. Il a ouvert, dans un contexte locatif particulier (il est hébergé à
titre gratuit par le club de tennis de son village de 500 habitants du Sud-Est de la France), un
snack où il fait des sandwichs, frites, etc. il est clair sur cette structure en disant qu’il fallait bien
faire un truc, qu’il s’est dit que c’était la solution, puis sans trop de risques. On voit aussi sur
ce profil que le côté nécessité est plus fort et « avancé » que pour les deux premiers présentés.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Ils n’en demeurent pas moins tous les quatre des entrepreneurs par nécessité, mais l’avantage
pour notre étude est qu’il y a une certaine différence dans la vision qu’ils ont de
l’entrepreneuriat et leur posture, de par leurs différentes expériences et leur trajectoire.

Le dernier entrepreneur (G.D.) est lui ce qu’on peut considérer comme un entrepreneur par
opportunité. Nous voulions en rencontrer un pour voir le décalage qu’il peut y avoir, et nous
devons reconnaître que ça a été un échange constructif, plus que ce que nous espérions. Il
n’avait aucune connaissance du phénomène des entrepreneurs par nécessité et cela a changé
quelque chose, nous pensons, dans sa façon de voir l’entrepreneuriat et la chance qu’il a, lui,
d’évoluer dans ce contexte-là. Il a un parcours scolaire brillant : Master d’Economie et
politiques publiques à Barcelone, puis une spécialisation à Science Po. en Actions publiques
territorialisées. Il a effectué des stages à la Commission Européenne, à l’OCDE puis est
aujourd’hui doctorant (même s’il travaille exclusivement sur son projet depuis janvier). Il a eu
l’idée de son projet avec un associé (ami d’enfance) lorsqu’il était à l’OCDE. C’est un projet
d’innovation sociale, solidaire. C’est un réel choix que d’avoir entrepris, suivant une
opportunité.

c. La Ruche

Le concept de La Ruche13 a pour vocation « l’avancement de l’innovation sociale à tous les


niveaux de la société ». Nous avons sélectionné cet espace pour son côté collaboratif, par les pairs,
convivial, et « atypique ». Il rejoint notre vision de l’accompagnement entrepreneurial qui s’est
forgée grâce au travail de revue de littérature. L’objectif de l’espace est de mettre en avant qu’une
économie moderne peut aller de pair avec le développement humain, l’innovation peut aller de
pair avec l’avancée sociale et une société plus juste, dynamique. Ils sont persuadés qu’il est
possible d’entreprendre autrement, avec une vision centrée sur les personnes, avec des
entrepreneurs « créatifs et novateurs », capables de « provoquer des changements significatifs
autour d’eux ».

Comment cela se traduit-il concrètement ? C’est un espace physique de 600m² dans Paris, dans le
Xème arrondissement, qui permet d’héberger et d’animer une « communauté d’entrepreneurs ».
Comme l’explique encore leur présentation sur leur site, La Ruche « leur offre à la fois un espace

13La Ruche, laboratoire vivant d’innovation sociale, 84 quai de Jemmapes 75010 Paris, www.la-ruche.net
Les informations données dans cette présentation sont issues du site internet de La Ruche et correspondent bien à la réalité
comme nous avons pu le constater.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
pour travailler, et une communauté de pairs avec qui échanger conseils, idées, compétences et
savoir-faire, pour assurer un développement efficace et réfléchi de leurs projets. L’équipe de La
Ruche anime cette communauté, ancrée dans les valeurs de confiance et de partage, facilitant
l’émergence de projets communs et d’une intelligence collective ».

Nous avons donc choisi La Ruche comme nous aurions pu choisir L’Archipel (Paris également)
ou d’autres espaces de coworking pour entrepreneurs qui fleurissent un peu partout en France – et
à Paris essentiellement. Comme nous le disions plus haut, ce concept et son côté « atypique »
semblent être un des axes de réflexion peut-être pour redonner une dynamique à
l’accompagnement des entrepreneurs par nécessité. Il nous semblait évident avant d’y aller – et
ça nous a été confirmé sur place – que La Ruche n’accueille pas (ou presque) d’entrepreneurs par
nécessité, nous y reviendrons, mais nous n’avons pas eu connaissance d’un espace de ce genre à
destination des entrepreneurs par nécessité. Voici tout l’intérêt de cette visite.

Nous avons participé à un « buzz » du vendredi afin de présenter notre travail, présenter la
condition des entrepreneurs par nécessité. Le « buzz » a lieu tous les vendredis dans la cuisine de
La Ruche où se réunissent tous les membres : entrepreneurs, accompagnants, invités, etc. Un
personne de l’équipe anime ce moment où les gens ayant un « buzz » viennent faire retentir la
cloche et prennent la parole face à l’assemblée attentive.

Nous avons donc présenté le phénomène de l’entrepreneur par nécessité. Nous avons ensuite parlé
de l’accompagnement entrepreneurial en général avant de le ramener à l’entrepreneur par
nécessité. Nous avons expliqué et présenté ce que notre revue de la littérature nous a appris sur
l’entrepreneur par nécessité, son besoin d’accompagnement, la réalité de l’accompagnement
aujourd’hui et notre certitude que les choses peuvent et doivent évoluer, dans le sens des
entrepreneurs par nécessité.

Cette présentation intervenait après nos entretiens avec les entrepreneurs et les accompagnants,
une fois nos premiers résultats obtenus et venant ainsi confirmer (ou infirmer) ce que la littérature
nous enseignait. Tout ça nous permettant finalement de pouvoir en discuter plus aisément et de
nous forger notre propre opinion. Nous avons ainsi présenté nos hypothèses de base et le travail
depuis qu’elles avaient été établies, afin de pouvoir échanger sur ces sujets, voir la réaction des
interlocuteurs quant à l’énoncé des hypothèses et avoir l’avis d’autres entrepreneurs, de façon
moins formelle.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Après la présentation, nous avons échangé avec quelques personnes sur ces sujets-là. Aussi bien
des entrepreneurs que des personnes de l’équipe.

d. Questionnaire en ligne

Dans la même lignée que notre visite à La Ruche, nous avons voulu obtenir des réponses d’autres
horizons pour confirmer ou infirmer nos idées. Nous avons donc réalisé un rapide questionnaire
(quatre idées présentées pour lesquelles il fallait répondre « d’accord », « pas d’accord » ou
compléter une partie libre pour exprimer son avis) que nous avons envoyé aux personnes
rencontrées lors de ce travail : entrepreneurs, accompagnants, psychologues, consultants, etc.
Nous avons aussi ciblé et identifié des personnes sur Twitter pour les inviter à répondre.

Nous voulions juste une dizaine de réponses, notre travail n’étant pas basé sur une telle
méthodologie. L’idée était essentiellement de corroborer les idées issues de notre travail et voir
ce qui ressortait en cas de désaccord.

Nous avons ainsi obtenu des résultats plutôt quantitatifs qui permettent de compléter notre travail
qualitatif.

e. Retranscription et traitement des données

Les entretiens, sauf au téléphone, ont été entièrement enregistrés afin de pouvoir se les
approprier pleinement et assimiler le verbatim. Nous avons retranscrit ces échanges de façon
manuelle afin de pouvoir travailler autour d’une analyse thématique (Fallery, 2007) manuelle
permettant tout de même de pouvoir cibler les passages appelant des interprétations pertinentes.

Nous avons pu ainsi obtenir les réponses nous permettant de répondre à nos questionnements.

Cette analyse a conduit à un croisement des données entre les différents acteurs. Nous avons pu
ainsi recouper les informations pour voir émerger une ligne commune, ou l’inverse, dans le
traitement de ce phénomène entrepreneurial. Nos entretiens permettant de tester rapidement la

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
possibilité des solutions que nous voulons explorer, nous avons pu avoir une certaine base de
réponses.

Avec ces réponses, nous pouvons alors envisager un second travail ultérieur, dans un autre
cadre que celui de ce mémoire, avec à nouveau des entretiens des profils les plus intéressants
que nous avons rencontrés lors des premiers échanges, et ce afin de tester nos idées avancées
de façon plus détaillée et plus concrète. Nous pourrions avoir un retour tangible sur la viabilité,
ou au moins la faisabilité de tel ou tel dispositif. Cet aspect permettrait peut-être de donner une
réelle dynamique à une meilleure prise en considération de ce phénomène et de légitimer la
mise en place de systèmes alternatifs.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
RESULTATS

Les résultats obtenus grâce à nos différentes rencontres et l’analyse de contenu réalisée après
seront ici présentés hypothèse par hypothèse.

Hypothèse 1

« Il y a un intérêt pour les pouvoirs publics et les entrepreneurs par nécessité à voir une
réorientation des stratégies, objectifs et pratiques de l’accompagnement entrepreneurial ».

Cette première hypothèse est validée, mais reste à nuancer. Les personnes rencontrées n’avaient
pas forcément une connaissance suffisante du sujet, même si cela leur semblait évident. Certains
points ont tout de même été avancés.

Ce résultat est intéressant. Il rappelle notamment la phrase de Couteret (2010) qui expliquait
que ne pas réfléchir à cette forme d’entrepreneuriat et l’accompagnement qui lui est dédié, c’est
« faire l’aveu » que le marché « tranchera entre les « vrais » et les « faux » entrepreneurs ».

La question de l’objectif stratégique de cet accompagnement est récurrente dans la littérature,


notamment pour Fayolle (2010) qui parle de l’enjeu d’« une meilleure connaissance de
l’entrepreneuriat par nécessité [qui] permettrait à l’Etat d’allouer, dans de meilleures
conditions, les ressources consacrées à ce type d’entrepreneurs ».

L’Etat doit améliorer son offre, et ce n’est pas qu’un problème quantitatif, mais aussi et surtout
un problème qualitatif. Il y a un déficit d’information utile crucial qui coûte cher et ne rend pas
forcément service à tout le monde. Comme l’explique F.M. : « L’offre aujourd’hui, on n’en a
pas connaissance, c’est l’usine à gaz, ça part dans tous les sens ! Je ne sais même pas si j’ai
tout vu, je cherche peut-être mal. Mais on en a trop, et personne ne sait nous répondre parce
qu’il y a des petites concurrences entre les structures aussi ».
Un autre exemple avec ce que nous a dit F.B. : « c’est tellement complexe, vous avez une
structure qui aide tel entrepreneur, une autre qui aide un autre type d’entrepreneur, selon les
montants, les projets, l’origine, la localisation, etc. comment s’y retrouver ».

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Du côté des accompagnants, le constat est le même comme nous l’avons entendu de M.S. : « Le
public a une mauvaise connaissance de l’offre existante, de l’ensemble de l’existant. Une
mauvaise connaissance de la bonne entité pour le bon créateur/repreneur, et ils me disent tous
« c’est compliqué ». Onéreux et compliqué. Difficile administrativement, c’est un cercle vicieux
administratif » et on parle même d’un « mille-feuille au sein duquel plus personne ne reconnaît
rien ».

Il tombe sous le sens en lisant ça, comme nous l’avons entendu lors de nos entretiens, que « dans
le climat des finances publiques actuellement, il faut travailler sur ces aspects » (G.D.) car on
ne peut plus se permettre, avec l’exigence budgétaire qu’on connaît, les baisses de dotations
publiques et l’Etat économique du pays, de laisser partir de l’argent public dans la nature, qui
en plus perd son objet premier d’aider les plus faibles.

A.B. contestait la théorie de Shane (2008 – qui prônait un recul de l’Etat et de cibler le
financement de l’accompagnement sur les entreprises innovantes et créatrices d’emplois pour
absorber les entrepreneurs par nécessité) en se demandant : « comment classifie-t-on les projets
innovants, entreprises innovantes ? ». C’est une bonne question, de quelle innovation parle-t-
on ? Nous pensons ici que l’accompagnement entrepreneurial une fois redéfini et plus efficient
serait une forme d’innovation sociale, soutenant des projets innovants dans un sens ou un autre.
Elle précise son propos en expliquant que « la notion d’innovation et de création d’emploi est
relative » et qu’il faut manipuler ces aspects avec une grande précaution.

Cela rejoint un peu les conclusions des questions de « sélection à l’entrée » dénoncées par
Valéau (2006) pour qui la sélection à l’entrée n’est pas pertinente, comme le résume bien M.S.
en nous expliquant qu’il y a « des mecs qui présentent bien, qui passent bien, et qui ne sont pas
de bons entrepreneurs, de bons chef d’entreprise » et vice-versa. Le schéma est simple, on ne
peut pas sélectionner les entrepreneurs à leur entrée dans un processus d’accompagnement
entrepreneurial puisqu’on ne sait pas ce qu’ils vont donner demain. Comme le dit très justement
M.C. « peut-être que la personne que je laisserais de côté à un moment donné, pourrait être
finalement un super projet ».

Nous avons vu dans la littérature, l’entrepreneur par nécessité a besoin de se reconstruire avant
de pouvoir construire son entreprise. Ils ne partent donc pas du même point de départ, il faut

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
investir sur cette partie du processus que traverse l’entrepreneur, combler l’écart et ensuite nous
pourrions envisager de comparer les profils d’entrepreneurs.

Selon A.B. « les allocations de l’administration sont vraiment ciblées sur ces publics-là, par
nécessité, dans la précarité (…) mais ce n’est pas que sur ce public là qu’il faut appliquer les
politiques. Ce n’est pas le même besoin, le même investissement temps. La notion
d’accompagnement n’est pas la même. Il y a l’accompagnement du porteur de projet, et
l’accompagnement du projet, pour faire court ». Il ne faut pas « laisser de côté » les
entrepreneurs par opportunité car ils ont « des projets au moins aussi bien » mais il faut « les
aider autrement » et notamment « plus tard, dans la recherche de financement ». Ça veut dire
qu’on met moins de moyens au départ sur les projets « porteurs » et qu’on reverse ce « moins »
sur les entrepreneurs par nécessité avec des aspects plus personnalisés, plus psychologiques,
plus « restructurants », plus innovants socialement. Puis on investit ensuite, plus tard, sur
l’accompagnement des entrepreneurs par opportunité.

Il est encore une fois prouvé qu’il faut redéfinir les objectifs et stratégies de l’accompagnement
entrepreneurial, dans leur ensemble, quand on entend qu’il y a « une question de lobbying »
(A.B.) des réseaux de l’accompagnement, qui ne bénéficie pas aux entrepreneurs par nécessité.
Le lobbying ne profite que rarement aux plus faibles. Le fait de savoir qu’il y a un important
lobbying des structures d’accompagnement, qui ont pourtant un rôle « social » et d’aide
publique, montre l’urgence d’une réforme du financement de l’accompagnement.

Pour conclure sur cette première hypothèse, nous pouvons dire que nous sommes face à des
enjeux différents qui font ce paradoxe et rendent nécessaire cette révision de l’accompagnement
pour le bien de l’Etat et des entrepreneurs par nécessité. En effet, l’enjeu est financier et social
pour l’Etat ; et il est psychologique pour l’entrepreneur par nécessité, avant d’être financier et
social. Il est déjà dans une situation psychique et psychologique délicate, l’exposer à ce genre
de « nébuleuse » l’affaiblit encore plus.
Même s’il s’agit d’une politique publique générale, il faut amener la réflexion et repenser le
système de financement de l’accompagnement entrepreneurial aux entrepreneurs par nécessité
pour sortir de cette « usine à gaz » et apporter une solution satisfaisante à ce public très fragile.
Nous avons notamment entendu que la phase d’accompagnement, même si elle n’aboutit pas
sur une création d’entreprise, permet à ces entrepreneurs par nécessité de retrouver un certain
cadre social et des interactions qui leur redonnent confiance et qui leur permettent d’affronter

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
le chômage et l’isolement d’une autre façon. Nous avons entendu lors de nos entretiens cette
idée à laquelle nous n’avions pas songé : l’accompagnement entrepreneurial, même s’il ne
débouche pas sur une création d’entreprise, agit sur la personne et lui procure une période de
remise en question, de réflexion, d’ouverture d’esprit. L’entrepreneur par nécessité « avancé »
va finalement découvrir des choses sur lui-même, sur le monde du travail et sur
l’entrepreneuriat qui vont le remotiver, le réinsérer, et lui dire que finalement trouver un travail
ce n’est pas si difficile. Ou en tout cas, c’est moins difficile que créer son entreprise.
L’accompagnement peut donner « les armes [pour] affronter le marché du travail
différemment, avec de nouvelles cartes et une nouvelle confiance » (M.S.). C’est pour ces
raisons-là, entre autres, que nous sommes persuadés qu’il est nécessaire d’avoir cette réflexion
sur le financement, mais surtout qu’il est nécessaire de ne pas abandonner l’accompagnement
des entrepreneurs par nécessité.

Hypothèse 2

« Favoriser un espace de travail collectif, combinant entrepreneurs par nécessité et


entrepreneurs par opportunité, avec des moments collectifs et des moments individualisés,
contribue à compenser les déficits des premiers pour favoriser leur réussite sans altérer celle
des seconds ».

Cette deuxième hypothèse est validée. Les personnes rencontrées étaient unanimes pour dire
que c’est « bien » que « ça ne pouvait que faire du bien » aux entrepreneurs par nécessité.

Le point de vue des entrepreneurs va dans ce sens : « On est la tête dans le guidon, puis on ne
sait pas où trouver l’information dans la multitude de trucs qu’il y a. Un espace collectif
permettrait de combler ça. Il y en a bien un dans le collectif qui saura répondre et aiguiller les
autres. Puis échanger c’est important » (A.S.)

En effet, dans un cadre collectif où se regroupent des dizaines d’entrepreneurs, l’information


est beaucoup plus simple à obtenir, dans la mesure où ils évoluent dans un environnement de
travail qui reste « convivial » avec des interactions au café, au déjeuner, aux pauses cigarettes
etc. favorisant l’échange de conseils, idées, tout ça de façon informelle et plus conviviale.
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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
L’agencement de ces espaces offre une proximité et une facilité d’échanges qui permettent de
compenser le côté « mille-feuille » des sources d’informations. On casse les barrières liées à la
gêne, le manque de confiance en soi. On évolue tous dans le même espace pour les mêmes
raisons et le même objectif.

L’information est variée, il peut y avoir des conseils sur le comportement, la tenue, des choses
« banales » ; mais il peut y avoir aussi des interactions et des échanges de bons procédés plus
techniques : si on cherche un graphiste pour un site web de vente de « bijoux fantaisie », l’espace
en héberge peut-être un. Et les premiers partenariats peuvent aussi émerger de là. C’est un cercle
vertueux.

Les espaces collectifs permettent de « sortir de l’isolement les entrepreneurs par nécessité »
(M.C.) et il est « bon d’avoir des énergies qui se mêlent ». En intégrant des entrepreneurs par
nécessité à des structures telle que La Ruche par exemple, on favorise leur sortie de l’isolement
et leur réussite entrepreneuriale. Ils baignent dans un environnement d’échanges qui bénéficie
aux entrepreneurs par nécessité puisqu’ils retrouvent un cadre social et peuvent créer des liens
avec d’autres entrepreneurs (par opportunité et par nécessité) et sortir de cette case. Un tel
espace pourrait « dynamiser les entrepreneurs par nécessité » pour « les garder hors de l’eau »
(G.D.). Il faut simplement se dire qu’un « entrepreneur par nécessité a sûrement des choses à
apprendre à un entrepreneur par opportunité, tout le monde peut y gagner. » (M.C.)

Aussi, comme nous l’ont dit G.D. et M.C. « ça permettrait à certains de redescendre de leur
petit nuage » et de « montrer que tout le monde n’a pas la même chance ». En effet, s’il apparaît
incontestable que le développement de ces structures collectives accueillant des entrepreneurs
par nécessité mélangés à des entrepreneurs par opportunité tire vers le haut les entrepreneurs
par nécessité (sortie d’isolement, motivation, stabilité, réseau, etc.) ; et il ressort de nos
entretiens que cela serait aussi bénéfique pour certains entrepreneurs par opportunité parfois
déconnectés de la réalité, dans leur bulle. Ce mélange permettrait de les ramener sur Terre et
les sensibiliser à la condition parfois délicate de certains « confrères » ou « collègues ». Cela
pourrait aussi les inciter à rendre ce qu’ils ont reçu au moment de créer en accompagnant des
entrepreneurs dans le besoin une fois leur entreprise lancée et pérennisée (accompagnement par
les pairs en devient une suite logique). La sensibilisation en amont est importante. Nous en
parlerons ultérieurement quand nous reviendrons sur notre expérience de La Ruche.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
L’ambition de ces espaces est d’arriver à des « économies d’échelle, avec des classes collectives
et un accompagnement qui touche plusieurs entrepreneurs, en même temps, pour justement
pallier le manque de temps » (M.S.) croissant de l’accompagnement individuel, tel qu’il a été
soulevé dans la littérature par Fayolle et Nakara (2010). Nous imaginons « un espace de
coworking hybride14 avec des moments individuels pour faire le point » et « le reste du temps
serait sur la base collective, insérante, bénéficiant des événements proposés » par la structure
d’hébergement et d’accompagnement.

Une des limites mises en avant par nos interlocuteurs est qu’il ne faut pas « tomber dans
l’excès » (M.C.) en stigmatisant les entrepreneurs par nécessité qui intègrent ces nouvelles
structures.
Par exemple, il est primordial qu’ils se sentent entrepreneur membre de la structure plutôt que
membre de la structure pour leur simple condition d’entrepreneur par nécessité. Il ne faut pas
stigmatiser les profils sinon l’effet escompté ne sera pas atteint. Il est impératif de veiller à ne
pas recréer un cadre d’isolement au sein de la structure censée les sortir de l’isolement et
d’empêcher le jugement (de la part des autres entrepreneurs et accompagnants) qui bloquerait
totalement ces entrepreneurs par nécessité.

Cependant, comme le dit A.B., « le but d’un espace collectif c’est justement qu’il y ait un projet
commun », la création d’entreprise, et pour fédérer autour de ce projet commun, il ne faut pas
faire de distinction entre les entrepreneurs, même s’il y en a une. Et il semblerait, suivant nos
échanges avec les entrepreneurs des deux « côtés », que l’intégration et la « fusion » des profils
puissent se faire facilement.

Une deuxième limite avancée est sur le désir d’indépendance des entrepreneurs : l’une des
motivations des entrepreneurs est ce goût d’indépendance ; ils ne pourraient finalement pas
supporter d’être encadrés comme ça au sein d’une structure collective.

Ensuite, une troisième limite à ces espaces d’accompagnement collectifs, outre le fait de veiller
à ne pas faire de distinguo entre les entrepreneurs par nécessité et les entrepreneurs par
opportunités, est la question du financement. Comme nous l’avons entendu lors de nos
rencontres, l’hébergement au sein d’une ruche ou un espace de coworking est très couteux, cela

14 Hybride fait référence au mélange des différents profils d’entrepreneurs.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
serait « réservé aux bobos du 10ème » (selon une des personnes rencontrées à La Ruche) et donc
inenvisageable pour un entrepreneur par nécessité. Une des propositions serait que l’Etat prenne
en charge le loyer d’hébergement de la structure pour un entrepreneur par nécessité ; ce serait
sa contribution directe à l’accompagnement entrepreneurial des entrepreneurs par nécessité, lui
permettant ainsi de bénéficier du cadre, des événements, de tous les avantages mis en avant
précédemment pour la réussite de son projet. Cela favoriserait le mélange, et rendrait ces
structures, reconnues par tous comme utiles en termes d’accompagnement, accessibles à un
plus grand nombre sur des critères éthiques, égalitaires et plus seulement financiers. C’est un
sujet délicat qui nécessite un important travail en amont mais qui serait une belle innovation
dans les politiques d’accompagnement des entrepreneurs les plus vulnérables.

Enfin, la dernière limite avancée est l’accompagnement post-création, point déjà étudié dans la
littérature, à savoir quand s’arrête l’accompagnement ? Le point soulevé est qu’un entrepreneur
par opportunité peut plus facilement arrêter l’accompagnement dès la création de sa structure
tandis qu’un entrepreneur par nécessité va avoir plus de mal à être autonome : « j’étais devenu
patron. C’est bien. Mais ensuite. J’avais mon numéro SIRET mais je ne savais pas ce que
c’était, je ne savais même pas quoi en faire. Puis le plus dur commençait finalement ». Le tout
étant de ne pas tomber dans l’assistanat et la dépendance, mais bien de rendre autonome les
porteurs dès le début. Et cela nous fait une transition parfaite sur les résultats suivants.

Hypothèse 3

« La mise en place d’une formation spécifique des accompagnants est un paramètre clé dans
la réussite des entrepreneurs par nécessité ».

Cette hypothèse est validée. La question de la formation des accompagnants est un point
récurrent dans ce que nous ont dit nos interlocuteurs. L’accompagnement étant lui-même par
nature une clé de la réussite de l’entrepreneur, la formation à un bon entrepreneur est un enjeu
pour l’entrepreneur par nécessité.

L’accompagnant faisant face à un entrepreneur par nécessité doit être préparé et formé à ce
public-là, car on sait que l’attente et le besoin d’accompagnement n’est d’abord pas technique,
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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
il est psychologique. Et les choses peuvent aller vite. Comme l’explique M.C. du côté
accompagnant : « le plus important est de ne pas être dans le jugement. Les gens sont capables
de tout entendre, tant que c’est dit avec les bons mots et sans jugement. Si à un moment ils
sentent un jugement, c’est trop tard, on a créé une barrière. C’est souvent ce que les personnes
qu’on rencontre nous disent des structures plus institutionnelles du type CCI ou Réseau
Entreprendre. Ils nous disent qu’ils se sentent jugés, parfois ce n’est même pas volontaire
(…) Si une fracture se fait au premier rendez-vous, et je ne pense pas que ce soit voulu par les
accompagnateurs, mais c’est rédhibitoire, il n’y aura jamais de relation de confiance, et
l’accompagnement se passera mal. » (M.C.)

L’analyse est la même du côté des entrepreneurs par nécessité : « Les mecs ne sont pas formés
au niveau psychologique, ils vous jugent trop facilement je pense, vous êtes mis dans une case
et hop, adieu, on ne prend plus le temps de ». On voit toute l’importance de ce manque de
formation quand on entend ça : « Quand j’arrive avec mes rides on me catalogue vite. Des
jeunes me disent « je ne reviens pas pour ces conneries, ils s’en foutent de nous » et on ne peut
pas leur en vouloir ». Un autre témoignage va dans le même sens : « Personne à l’ACCRE n’a
jugé bon de conseiller, de me dire de revenir, de m’expliquer, de venir me chercher. Ils s’en
foutent. Ils brassent comme à l’usine, font leur chiffre et hop, suivant. »

Il faut avoir une posture particulière dans l’accompagnement des entrepreneurs par nécessité,
et cette posture nécessite une formation préalable. Au-delà d’une approche coaching simple, il
faut aider l’entrepreneur par nécessité à se reconstruire, à garder le rythme, à ne pas perdre
espoir, à reprendre confiance, à y croire. Il faut aussi savoir l’aiguiller, lui dire stop, tout en ne
cassant pas le lien de confiance qui a été créé. Il faut le rendre autonome. C’est une formation
implicite pour transformer un individu en chef d’entreprise. Et il s’agît d’un individu fragile.

Pour rebondir sur l’hypothèse précédente, G.D. nous expliquait notamment que les structures
d’accompagnement collectif, comme La Ruche ou L’Archipel, bénéficiaient de personnes
« préparées à un public « social » dans le sens qui puisse être fragile, vulnérable, délicat »
puisqu’il y a des « entrepreneurs handicapés, et tous les projets sont à caractère social, donc
il y a une ambiance qui permet d’être prêt ». Et il était d’accord pour dire à propos de
l’accompagnement « classique » qu’il « ne pense pas qu’ils soient préparés plus que ça. Comme
Pôle Emploi par exemple aussi. Ici on ne juge pas la personne ou le projet, on est ouvert. »

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Il se pose alors la question de ces accompagnateurs qui ne veulent pas « faire du social » et qui
font ce métier pour l’aspect purement technique, purement financier. On ne peut pas les
contraindre à suivre ce genre de formation spécifique, mais il peut être envisageable d’offrir
une introduction sensibilisante à tous, et leur permettre de continuer à être spécialisés sur les
plus gros dossiers, plus techniques et de n’intervenir que plus tard sur les dossiers.

Dans ce qui ressort de ce que les entrepreneurs nous disaient – et ça recoupe la notion de post-
création – là où le déficit est grand c’est dans la recherche de clients, car les accompagnants ne
sont absolument pas préparés à ça. C’est une formation technique dont ne bénéficie aucun
accompagnant et qui pourrait intéresser les accompagnants techniques, leur permettant de se
décharger du volet « psychologie ». On pourrait y gagner : les accompagnants techniques, ceux
pour qui on était tombé d’accord en disant que le côté psychologique ne les intéressait pas,
pourraient se sentir valoriser à développer une technicité sur ces problématiques-là.

Mais globalement, la question de la formation est inéluctable pour le bien des entrepreneurs par
nécessité, mais aussi des accompagnants.

Hypothèse 4

« Le recours à un accompagnement par les pairs est important pour les entrepreneurs par
nécessité ».

La quatrième hypothèse est aussi validée.

En se basant sur les réponses de nos entrepreneurs, l’idée d’un accompagnement par les pairs
leur plaît. Et cette idée les intéresse notamment pour aller chercher des clients, un des points
majeurs à améliorer comme nous venons de le voir. Les entrepreneurs par nécessité (mais nous
pensons ne pas nous tromper en élargissant aux entrepreneurs en général) veulent des gens « qui
savent ce que je traverse, qui sont allés chercher des clients » (F.B.)

Le même vocable revient chez A.S. en disant : « J’aurais aimé rencontrer un autre
autoentrepreneur de mon âge, coiffeur même, qui me dise « fais ça, ne fais pas ça », etc.
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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
J’aurais adoré ça, surtout la première année (…) On a notre business, mais aucun client, rien.
On se démotive, on lâche prise, on se lève moins le matin, on attend que ça vienne. Si un autre
entrepreneur vient t’accompagner à ce moment-là, tu reprends le sourire, tu as à nouveau envie
d’y aller quoi. Mais faut venir nous chercher je pense, c’est ça qui doit coincer en fait ».

On part de l’idée simple que « la personne à qui on parle est déjà passée par là » (G.D.)

Quand on aborde ce point avec les accompagnants, la réponse est peu ou prou la même, nous
disant que « d’échanger avec d’autres chefs d’entreprise, c’est toujours positif » et ce aussi
« parce qu’en tant que conseiller, [ils ont] la vision technique, mais [ils n’ont] jamais été chef
d’entreprise. »

Cela nous permet justement d’aborder la dernière hypothèse étudiée par ce travail sur la
question de la légitimité.

Hypothèse 5

« L’élément majeur sur lequel les différents acteurs ont à travailler est dans la définition d’un
nouveau contrat de légitimité, dans un cadre nouveau, pour sortir de cette posture
d’affrontement d’illégitimités ».

Cette hypothèse découle naturellement des quatre hypothèses précédentes et reprend un axe de
notre revue de littérature où la question de légitimité était largement mise en avant.

Sur le principe de légitimité – et c’est un mot qui ressort souvent chez les entrepreneurs comme
chez les accompagnants – nous avons décidé d’appeler cette posture bloquante un
« affrontement d’illégitimités ». La légitimité est en réalité biaisée par les préjugés des uns et
des autres.

Pour approfondir sur cette idée, nous allons présenter le point de vue du côté entrepreneur ;
nous avons noté quelques exemples de vocables issus des entretiens avec les entrepreneurs :

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
« Comment voulez-vous qu’ils m’aident quand ils ne comprennent pas finalement ce que je veux
faire et quand ils n’ont jamais créé, ou même dirigé une entreprise ? » (F.F.)

« Ils n’ont jamais créé et ils sont censés nous conseiller et nous accompagner ? Ça me pose
problème ça vous voyez… On ne vit pas dans le même monde, ce sont des planqués, ils font ça
pour bouffer, ils ne connaissent rien au quotidien d’un entrepreneur, encore moins dans la
situation que certains vivent, isolés, etc. Cette distance me dérange ! Il y a un cruel manque de
légitimité pour moi. » (F.M.)

On comprend par ces deux phrases que le problème de légitimité qui bloque la situation est lié
à la formation de l’accompagnant : elle ne convient pas, comme nous l’avons démontré dans
les résultats précédents, de par son expérience et son passif, aux exigences et aux besoins de
l’entrepreneur accompagné. Il manque une chose essentielle, dans le contexte de l’entrepreneur
par nécessité, au cœur de ce défaut de légitimité.

Le manque essentiel de légitimité de l’accompagnateur empêche l’entrepreneur de trouver sa


propre légitimité, d’où la notion invoquée ci-avant d’« affrontement d’illégitimité ».

Mais il ne s’agit pas que d’un manque de formation au sens technique, puisque comme nous
l’avons vu et entendu lors de nos entretiens, l’attente des entrepreneurs par nécessité réside plus
dans un accompagnement psychologique et post-création (recherche de clients) que dans un
accompagnement purement technique. Comme nous le disait une de nos intervenantes (M.C.),
il est entendu par cette formation « non-technique » que la posture et le regard que porte
l’accompagnant sont des aspects primordiaux. Les besoins des entrepreneurs par nécessité ne
sont pas comblés par l’offre d’accompagnement sur le marché ; ce vide et ce manque accentuent
ce déficit de légitimité.

Et de l’autre côté, du côté de l’accompagnement, il y a aussi un problème de légitimité des


entrepreneurs, comme le reconnaît F.M. lui-même : « en tant qu’entrepreneur, je manque de
légitimité. » (F.M.)
Comme nous l’avons entendu par un accompagnant, les entrepreneurs manquent de légitimité
de par leur profil parfois incohérent, leur âge, leur formation, leur inexpérience ; tout cela les
empêchant de « fédérer autour de leur projet ». C’est pour cela que les entrepreneurs ne se

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
sentent pas écoutés, qu’ils se sentent jugés, etc. Et c’est aussi pour ça qu’on ne s’intéresse que
très peu à eux.

Cela rejoint ce qui a été dit précédemment, notamment dans le processus de sélection, qui
montre bien qu’ils sont évincés pour leur manque de légitimité, tout comme ils fuient
l’accompagnement de par le manque de légitimité des accompagnants qui les encadrent.
Nous sommes bien dans une situation où les illégitimités s’affrontent et où le fossé qui s’est
créé entre les accompagnants et les entrepreneurs en est la conséquence. Renégocier un contrat
de légitimité de l’accompagnement entrepreneurial des entrepreneurs par nécessité est essentiel.

La relation accompagnant/accompagné, dans le cas des entrepreneurs par nécessité, est une
relation de confiance, pas une simple relation contractuelle classique, il y a un contrat de
confiance entre les deux, mais ce contrat est fragile. On le voit notamment quand on évoque le
point de blocage très rapidement atteint d’un côté ou de l’autre qui fait que l’accompagnement
se brise. Pour renforcer ce pacte de confiance, le contrat de légitimité doit être renforcé.

Nous avons vu que la légitimité est un point important pour sortir de l’isolement et pour
s’émanciper en tant qu’entrepreneur, c’est un levier sur lequel il faut incontestablement
travailler pour améliorer les relations accompagnant/accompagné, et ce notamment en passant
par un approfondissement et une réflexion autour des quatre premières hypothèses de notre
travail, afin de favoriser l’insertion entrepreneuriale.

Un autre aspect que nous avons voulu développer et que nous trouvons en lien avec les
questions autour de la légitimité, est celui de l’improvisation. Il semble évident que les
entrepreneurs par nécessité, de par leurs caractéristiques que nous avons largement rappelées,
évoluent en totale improvisation ; mais une improvisation contrainte. Ils semblent tellement
dépassés par les événements, passifs, submergés, qu’ils ne peuvent qu’évoluer en improvisation
contrainte.

On rappelle que l’improvisation en entrepreneuriat est définie autour de trois axes (Hmieleski
et Corbett, 2006) : le bricolage et la créativité ; capacités à affronter l’environnement extérieur
et ses pressions ; la spontanéité.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Adopter une stratégie d’improvisation est la meilleure attitude pour sortir de l’isolement.
L’isolement étant un des principaux adversaires de l’entrepreneur par nécessité, orienter la
réflexion de l’accompagnement entrepreneurial sur cette notion de légitimité – et celle
d’improvisation contrainte – permet de proposer un nouvel axe d’évolution, en reprenant les
axes définissant l’improvisation en entrepreneuriat :
 Le bricolage : l’entrepreneur par nécessité maitrise le bricolage, sa vie est faite de
bricolage. Mettre en avant cet aspect et encadrer sa mise en pratique dans
l’accompagnement serait bénéfique ;
 La créativité : ils en manquent, comme nous l’avons vu, il serait intéressant de
développer leur créativité au début de l’accompagnement pour les élever, les rendre plus
apte à avoir des idées novatrices, leur redonnant confiance ;
 Capacités à affronter l’environnement extérieur et ses pressions : c’est un point majeur
ici parce que l’entrepreneur par nécessité a un important déficit face à l’environnement
extérieur qu’il ne connaît pas, face à ses pressions qu’il ne maitrise pas. Il est très
vulnérable dans cet environnement d’entrepreneur. L’endurcir face à son
environnement entrepreneurial nouveau au début de son accompagnement lui
permettrait de mieux réussir par la suite, tout en développant une certaine confiance en
lui, un nouveau regard sur le métier d’entrepreneur ;
 La spontanéité : elle fait défaut à l’entrepreneur par nécessité. Il ne sait pas être spontané
dans cet environnement qu’il ne connait pas suffisamment.

Dans la quête de légitimité qui a été abordée dans cette partie de notre travail, nous voyons bien
que des sujets existent et permettraient de redéfinir la réflexion autour de l’accompagnement
entrepreneurial des entrepreneurs par nécessité.

La légitimité étant un problème des deux côtés, redéfinir un « contrat de légitimité » pour
contrecarrer « l’affrontement d’illégitimités » évoqués ci-avant serait une solution pour
améliorer l’accompagnement de ce public. Et nous avons vu qu’il existe des solutions.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
ELARGISSEMENT ET PROPOSITION DE DISCUSSION FUTURE

Nous avons choisi de reprendre ici les idées de solutions qui ont été apportées par les personnes
rencontrées mais qui n’entraient pas forcément, dans leur détail, dans le cadre de notre travail.
Nous faisons cela afin de les incorporer à notre étude et avoir une trace permettant à quelqu’un
qui le souhaite de s’en saisir un jour.

Nous allons aussi présenter les résultats du questionnaire en ligne que nous avons fait passer.

Présentation rapide des solutions rapportées

L’espace collectif et collaboratif


La première solution apportée, et qui est pour nous la plus intéressante, est celle d’un espace
collectif de travail et d’hébergement combinant des profils par opportunité et par nécessité. Ce
serait à notre sens la solution idéale bénéfique à tous les acteurs : accompagnants, entrepreneurs
par nécessité et par opportunité. C’est aussi la solution la plus « simple » et la plus égalitaire.

Nous avons entendu et avons pensé à plusieurs axes de financement : mettre en place une
subvention de ces structures en fonction du nombre d’entrepreneurs par nécessité qu’ils
accueillent, tout en ne dépassant pas un taux défini (comme 50% par exemple). L’objectif est
de motiver l’accueil des entrepreneurs par nécessité, tout en ne migrant pas vers des structures
d’accompagnement où il n’y a que ce type d’entrepreneurs, ce qui fausserait l’idée initiale de
mélange.

Une autre idée de financement évoquée est celle de la prise en charge des frais d’hébergement
(réservés à une certaine élite d’entrepreneurs) : l’Etat prendrait en charge le loyer
d’hébergement, en plus des subventions de base déjà accordées, afin que les entrepreneurs par
nécessité puissent bénéficier de tous les apports de ce genre de structure.

Il a été évoqué le modèle de la SCOP aussi, pour mettre en œuvre cet espace de rencontre des
entrepreneurs par opportunité et par nécessité.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Le guichet unique
C’est un mot qu’on entend régulièrement, et pas que dans le contexte entrepreneurial, mais le
guichet unique est un sujet important qui mérite d’être évoqué.

La proposition est celle d’un espace unique où tous les acteurs sont présents : accompagnants
de toutes les structures, administration, expert-comptable, CCI, notaire, fonds d’investissement,
psychologues spécialisés, etc.

Un filtre à l’entrée où on vous demande votre formation, votre situation actuelle, votre âge,
votre localité, ce que vous recherchez, et on vous envoie frapper aux bonnes portes.

L’obligation d’un stage minimum avant de pouvoir immatriculer son entreprise


On parle ici du stage des « 5 jours pour entreprendre » de la CCI. L’idée serait en effet qu’un
entrepreneur soit obligé d’avoir pris part à cette formation. La base des notions à connaître pour
créer son entreprise : cadre légale, notions de financement, marketing, etc. avec une évaluation
finale donnant droit à l’obtention d’un « certificat » qui sera demander au moment de
l’immatriculation. Certificat sans lequel il est impossible de créer son entreprise. C’est une
proposition à l’encontre du libéralisme entrepreneurial mais cela permet un minimum d’éviter
les défauts de créateurs qui ont voulu créer seuls, sans les compétences, engendrant des pertes
financières et un drame social ou familial de faillite personnelle.
Le certificat serait valable tant d’années, pour éviter de le repasser tous les ans. Et il ne n’est
pas demandé si vous avez pris part à une session d’accompagnement plus longue via une autre
structure étant habilitée à délivrer ce certificat.

On peut critiquer cette proposition en rappelant que l’entrepreneur est désireux d’indépendance
et ce système risquerait d’être chronophage et très difficile à encadrer.

Présentation des résultats du questionnaire

Nous avons posé les questions des hypothèses de recherche à une douzaine de personnes :
quatre entrepreneurs, trois accompagnants de structures différentes, trois animateurs et chefs de
projets d’un espace d’incubation ou de coworking social, un enseignant-chercheur d’université,
une animatrice d’ateliers en posture entrepreneuriale.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
A la question de la nécessaire redéfinition de l’accompagnement, dans l’intérêt de l’Etat et des
entrepreneurs par nécessité, nous avons 91,7% des personnes qui sont d’accord avec notre
analyse.

100% du public interrogé serait d’accord pour un espace de travail collectif et collaboratif
combinant les différents profils d’entrepreneurs, comme évoqué.

100% aussi sont d’accord pour dire qu’il faut proposer une formation spécifique aux
accompagnateurs qui sont face à ce public spécifique qu’est l’entrepreneur par nécessité.

75% sont d’accord pour dire qu’un accompagnement par les pairs serait plus efficient pour
l’accompagnement des entrepreneurs par nécessité.

Ces résultats corroborent nos impressions quant à nos différents échanges et rejoignent ce que
nous avons développé dans nos résultats.

Notre impression suite à la visite de La Ruche

Nous avons senti un réel intérêt pour le sujet et une totale méconnaissance du phénomène de
l’entrepreneuriat par nécessité, de la part tant bien des entrepreneurs que de celle des
accompagnants.

Nous pensons donc que toute action ou toute réforme de l’accompagnement entrepreneurial à
destination de ce public devra se faire après une grande partie de sensibilisation des acteurs, en
les plaçant au centre du projet de réforme.

En effet, les entrepreneurs « chanceux » que nous avons rencontrés là-bas étaient tous très
intéressés, très touchés, et avaient envie de s’y investir, de contribuer. Et nous avons abordé cet
aspect-là dans notre présentation.

Il faut que le processus de solutions se fasse du bas vers le haut, des entrepreneurs vers les
politiques, en réunissant tous les acteurs, de tous bords.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
CONCLUSION

Du point de vue purement managérial, il est important de connaître l’aspect social et


psychologique des entrepreneurs par nécessité, leur réflexion, leurs réactions, tout comme leurs
différents besoins.

Sur un plan parfaitement utile pour l’entreprise, il est nécessaire d’aborder la notion et la
condition des « intrapreneurs » (Pinchot III, G., 1985). Les intrapreneurs évoluent en effet au
sein même des entreprises. Ils sont des « entrepreneurs-salariés » qui officient au nom et pour
le bien de leur entreprise, chargés d’entreprendre : créer une filiale à l’étranger, monter une
branche d’activité, un nouveau secteur, un nouveau produit phare, etc. Ces intrapreneurs
entrent, dès lors, dans un « processus intrapreneurial » méconnu mais très proche de celui des
entrepreneurs classiques.

Ce schéma dit classique pour les entrepreneurs, nous l’avons vu, est mal compris ; avec
notamment des pans de sa composition difficile à appréhender, inconnus, oubliés.

Le parallèle est très facile à faire avec notre travail pour aborder et se concentrer, dans un cadre
managérial, sur la condition des intrapreneurs au sein de l’entreprise et leur accompagnement.
En effet, ils ont des problématiques semblables en termes de réussite, de budget, de délai, etc.
La sanction des intrapreneurs n’étant pas forcément la faillite financière, personnelle, sociale
ou familiale, comme c’est le cas des entrepreneurs par nécessité, mais elle est certainement le
déclassement, voire même le licenciement pur et simple, les laissant dans une situation de
chômage et, à terme, de précarité. Ce risque de licenciement les amène à devenir un jour peut-
être des « entrepreneurs opportunistes par nécessité » : un mélange de nécessité face à leur
situation de chômage, leurs échecs passés, mais un côté opportunistes dans la mesure où ils ont
le gêne entrepreneur de par leur choix de carrière initial.

Notre travail sur les dysfonctionnements de l’accompagnement, les risques de ceux-ci, ainsi
que des réflexions à avoir et des dispositifs à améliorer, permettent en premier lieu à proposer
un nouveau cadre d’évolution du marché de l’accompagnement. Il a été évoqué lors de nos
entretiens des éléments de réflexion qui méritent de nouveaux travaux d’études face à la crise
systémique que connaît l’accompagnement entrepreneurial par nécessité en France.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Nous l’avons vu, avec la montée du chômage, la crise et la situation économique du pays,
l’enjeu pour l’Etat est important. Mais plutôt que de couper dans les dépenses publiques comme
le préconisent certains, nous avons entendu des propositions plus intéressantes de réformes
qualitatives du système, dépassé par les mutations que connait notre pays.

La première d’entre-elle est la proposition de créer des espaces de coworking et d’hébergement


combinant des entrepreneurs par nécessité et par opportunité, comme nous l’avons développé
précédemment, afin de permettre aux plus vulnérables de bénéficier des richesses de ces espaces
et d’avoir un effet de convergence.

Nous avons notamment trouvé très intéressante l’idée d’un guichet unique de
l’accompagnement où avant d’entrer dans un processus d’accompagnement, l’entrepreneur se
rend à son guichet unique où il est aiguillé et guidé pour pallier le problème de la « nébuleuse »
et du « mille-feuille » de l’accompagnement et des offres possibles.

Ensuite, pour éviter les situations critiques et dramatiques dues aux échecs d’entrepreneurs qui
n’ont pas été accompagnés et qui n’ont pas les épaules pour entreprendre, quelle que soit la
raison, il a été proposé de mettre en place un système obligeant à prendre part à une formation
des entrepreneurs (un peu comme les formations « 5 jours pour entreprendre »). En effet, il
serait exigé un certificat au moment de l’immatriculation de l’entreprise attestant que
l’entrepreneur a le bagage technique minimum nécessaire pour mener à bien son projet, qu’il
lui a été proposé un accompagnement mais qu’il l’a refusé. Cela pourrait notamment être axé
sur la recherche de clients comme il ressortait de notre étude.

Notre contribution apporte un objet d’étude supplémentaire dans un champ de la recherche


entrepreneuriale encore vaste et pas assez documenté. Il aborde l’entrepreneuriat sous un œil
moins classique, moins « politiquement correct » et plus réaliste. Un aspect plus social.

Il est important que la recherche joue son rôle d’innovation, qu’elle soit économique ou sociale.
L’innovation sociale que met en lumière ce travail, avec des dispositifs collectifs, collaboratifs,
égalitaires, se développe de plus en plus dans nos économies. Le facteur de ce développement
rapide est sans doute le mécontentement général et une réponse sociétale à un système qui
semble bloqué. Il est donc important de traiter de ce phénomène qui occupe ou occupera de plus
en plus de place dans le domaine de l’entrepreneuriat, pour trois raisons principales : la crise

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
est loin de finir, le plein emploi devient de plus en plus utopique et les dotations de l’Etat tendent
à se réduire considérablement, mettant des cas « marginaux » (ou en tout cas, moins novateurs)
vulnérables, dans des situations parfois critiques.

D’un point de vue purement académique, ce travail de recherche comprend un intérêt certain
pour les raisons évoquées en introduction. En effet, le champ de l’entrepreneuriat manque de
travaux abordant une vision moins idéaliste et à contre-pied de l’approche orthodoxe de
l’entrepreneuriat. Cette recherche traite d’une partie non négligeable du domaine de
l’accompagnement de l’entrepreneuriat qui mobilise d’importantes ressources financières et
humaines, où le quantitatif et les raisonnements de marché n’ont pas leur place. Il semblerait
que des solutions existent pour contrecarrer les dysfonctionnements des institutions et des
politiques actuelles.

Cette recherche apporte un travail supplémentaire dans la mise en lumière de la condition


préoccupante des entrepreneurs par nécessité, ainsi que du rôle parfois dangereux que joue
l’Etat, notamment lorsqu’il incite tout un chacun à entreprendre dans l’adversité, et non pour
les bonnes raisons. Mais elle apporte aussi une vision de l’accompagnement méconnu que sont
les ruches et autres dispositifs collectifs.

Pour finir, cette étude propose des solutions ou en tout cas des idées à explorer pour améliorer
l’accompagnement entrepreneurial des entrepreneurs par nécessité, accroître leur réussite,
pérenniser leur activité, augmenter leur désir.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
ANNEXES

Entretien n°1
Retranscription entretien Marion Courant – Planet Adam Le Havre – durée 60 minutes

Présente nous ton organisation.

Planet Adam est portée par Planet Finance France, puis Groupe, qui est une ONG qui gère des
projets de microfinance de développement au niveau local. Au niveau national, c’est la volonté
de Jacques Attali de faire quelque chose pour les banlieues, en partant des émeutes de 2006.
Sur le constat : il y a un malaise en France, et notamment avec les banlieues. On ne leur donne
pas les moyens de faire ce qu’ils veulent, avec les structures de centre-ville qui sont
difficilement atteignables. Notre travail passe par la sensibilisation, d’abord, en allant les voir
en leur disant « vous avez des compétences, vous pouvez créer », parce qu’ils ont peur, ils se
disent « ce n’est pas pour moi, c’est pour les gens qui ont fait de grandes écoles, de longues
études, etc. ». Donc notre premier travail est de leur dire « non, vous pouvez vous aussi créer
votre entreprise ». La peur de se lancer, peur du regard des autres, peur de ne pas être à sa place.

Après la sensibilisation, il y a l’accompagnement. On les prend et on leur dit « Ok, tu veux faire
quoi ? Tu veux monter une épicerie, ok, as-tu des compétences en comptabilité, en gestion d’un
stock ? As-tu conscience de la quantité de travail que ça représente ? ». Sont-ils bien préparer
aux défis qu’il faudra affronter. Ont-ils les diplomes nécessaires, les savoir-faire, les savoir-
être. C’est le 1er rendez-vous d’accueil qui comprend ça : accueillir, comprendre la personne,
d’où elle vient, etc. On lui propose alors ce qu’on fait, c’est un accompagnement gratuit,
individuel et personnalisé. C’est à dire que si la personne a déjà travaillé sur certains points, on
va les valider avec elle, mais on ne va pas tout reprendre à 0 pour chaque détail. On prend une
séance, ok l’enquête de terrain vous avez fait, c’est validé, la concurrence vous avez fait, ok
c’est validé, etc. Le but est que se soit un accompagnement le plus pratique possible, adapté à
la personne, à ce qu’elle a fait avant. Une personne qui a fait des études de comptabilité par
exemple, je ne vais pas l’aider en comptabilité parce qu’elle est peut-être plus calée que moi, je
ne vais pas l’aider à faire un prévisionnel. Comme un menuisier qui vient me voir, je ne vais
pas l’aider à poser une fenêtre, chacun son métier, tu vois ?

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
On est vraiment en support, si il est fort en comptabilité, tant mieux, c’est un avantage, on va
passer très vite à autre chose. L’objectif est que l’accompagnateur et le porteur soit au même
niveau d’information très vite pour l’aiguiller au mieux dans l’orientation à suivre. Certaines
personnes sont très autonomes, par exemple celles que je vois après toi le sont, j’ai pas besoin
(elles n’ont pas besoin) que je les vois tous les quinze jours, elles arrivent « on a fait ça, on a
vu ça, etc. » alors que d’autres ont besoin d’un rendez-vous tous les quinze jours et sont pas
autonomes pour avancer à chaque étape.
Les projets ne sont pas les mêmes aussi, les porteurs sont tous différents.

Le public principal est les gens issus des quartiers, les quartiers prioritaires de villes (QPV), les
quartiers faisant partie de la zone franche urbaine.
Nous avons généralement un directeur d’agence, ici c’est Redha, un ou des chargés
d’accompagnement, ici c’est moi, et parfois des agents de sensibilisation qui sont vraiment que
sur le terrain, faire des informations collectives et donner l’information que les gens n’ont peut-
être pas forcément.

Ton parcours personnel ?

Je suis arrivée en août 2014, après une licence AES option Droit au Havre, et après je suis partie
en master Diagnostic social et économie solidaire, master d’économie appliquée, avec une
option ESS, gestion des risques sociaux, microfinance à Rouen, sur le site de Pasteur. J’ai fait
un stage sur le dispositif Passerelle du Crédit Agricole, je sais pas tu connais. C’est un dispositif
mis en place par le Crédit Agricole pour aider et accompagner à la gestion budgétaire. C’est les
personnes qui ont eu un accident de la vie, c’est vraiment le point de démarrage. Un accident
de la vie qui a engendré des problèmes financiers, d’emploi, etc. avant le surendettement. On
intervenait vraiment avant le surendettement. Pour éviter justement la case Banque de France.
Parce qu’avant d’en arriver là il y a déjà des soucis financiers, très simples, dans un cercle
vicieux : maladie, divorce, isolement, perte d’emploi, etc. On engendre donc des dettes, il y a
un lâcher prise qu’on constate et c’est à ce moment qu’on intervient, pour échelonner la dette.
Le dispositif Passerelle intervient pour établir un budget, échelonner la dette, voire parfois
même remettre la dette à zéro. Ils permettent de souffler.
C’était donc ma première expérience dans l’accompagnement, c’est des publics fragilisés, où
l’argent est le plus sensible, donc c’était intéressant. Ensuite, j’ai eu ma soutenance, etc. puis je
suis partie en VIE en Angleterre parce que c’était vraiment trop compliqué et restreint que de

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
trouver un travail dans l’ESS. J’étais 9 mois chez Aircelle, en Angletterre. Mon VIE s’est
décomposé en deux parties : une partie où je travaillais sur les subventions allouées en
Angletterre, en France, par l’UE ou les pays, puis une partie plus ressources humaines.
Donc mon stage, ma formation m’ont vraiment donnés les clés et l’envie de faire
l’accompagnement. Mes études m’ont donné le goût de la création d’entreprise.
C’est un poste où il faut toujours être en veille, à l’affût des dernières nouvelles, des réformes,
des lois, des nouveautés. C’est un sujet très vaste, allant de la psychologie du créateur, l’étude
de marché, en passant par les prévisions financières, le statut juridique, ce sont toutes ces
problématiques qu’il faut aborder. Ça touche à tous les domaines. On doit être le plus
généraliste possible. Voilà, on est généraliste, on n’est pas spécialisté. Quand les questions
deviennent trop spécifiques, trop pointues, on dit « écoutez, allez le faire valider par un expert-
comptable » pour les prévisionnels. Pareil pour les statuts, on peut les aider, mais on n’est pas
juriste, on conseille toujours d’aller faire valider par un expert. Voilà au niveau de mon
parcours, il n’est pas très long.

Présentation des 3 thèmes principaux

Thème 1

Raconte-moi le premier rendez-vous, de comment il vient à vous, jusqu’au déroulement


du premier rendez-vous.

On déploie de l’information collective auprès des partenaires, de Pôle Emploi, vecteur de


porteurs de projets. Mais le bouche à oreille est très important, c’est notre principal prescripteur,
on le voit dans notre rapport d’activité. C’est comme ça que les gens entendent parler de nous.
C’est un gros travail de mon collègue Redha, il connaît les quartiers, il est connu, il œuvre sur
ce domaine depuis plus de dix ans, donc il attire la majorité des proteurs de projet. On fait des
infos collectives, il y a le bouche à oreille, et les partenaires : structures de financement comme
l’ADIE, du microcrédit, professionnel pour les entrepreneurs. Il faut de bons rapports avec les
réseaux de la création d’entreprise, on accueille les entrepreneurs, et on les oriente aussi vers la
structure qui offre le meilleur financement en fonction de leur projet, etc. C’est un cercle un
peu comme ça.
Le 1er rendez-vous : j’explique qui on est, parce qu’ils ne connaissent pas forcément ce qu’on
est, ce qu’on fait. On a rien à vendre, c’est gratuit donc on leur dit bien qu’on est là pour les

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
aiguiller et les aider à construire leur projet. Puis c’est important aussi qu’ils sachent que c’est
un accompagnement et pas une information ponctuelle. On a des gens qui viennent « bonjour,
j’ai besoin de savoir ça » mais en creusant derrière on voit qu’ils ont bien d’autres besoins. On
a un questionnaire, on leur donne lors du premier rendez-vous, on parle du projet : où ils en
sont, ce qu’ils ont fait, pensé, etc. pour construire l’accompagnement individualisé. Ça permet
de bien comprendre où la personne en est, les besoins qu’elle a, et orienter l’accompagnement
puis mettre un rythme.

Quel profil des porteurs ?

Une grosse majorité de personnes en recherche d’emploi, et de bénéficiares du RSA, quelques


uns salariés, mais c’est marginal. La majorité est en recherche d’emploi.

Quand tu détectes le profil « par nécessité », comment tu adaptes ton accompagnement


entre technique et psychologique ?

Je pense qu’ils ont tous besoin des deux. Même une personne avec l’esprit entrepreneur, ils ont
besoin d’être cadré, ils partent vite dans tous les sens. Il y a des gens qui ont des bonnes idées,
qui ont envie de créer, mais qui ont quand même besoin d’un accompagnement plus
psychologique quand même. C’est sûr que quand on a une bonne idée et des moyens, ça va
beaucoup plus vite, on a beaucoup plus de soutien que quand on tatillonne, on a du mal à
expliquer et exprimer son idée, parce qu’on sait pas trop où on va en finalité, et qu’on n’a pas
d’apport du tout.
C’est très dur pour nos porteurs de strcturer leurs idées, c’est le 1er point qu’on travaille, qui fait
partie de l’adéquation homme/projet. Les personnes ont du mal à le comprendre : je sais ce que
je veux faire, je sais juste pas trop par où faut aller, ils ont du mal à le mettre sur papier. Mais
le jour où il faudra aller chercher un finacement, rencontrer un banquier, etc. Certains ne veulent
vraiment pas, je leur dis « je vous demande pas de me faire des belles phrases, mais essayez de
le faire par écrit, des expressions, etc. ». On a un genre de business plan smplifié, raccourci,
justement, et on essaie de les faire travailler là-dessus. Parce qu’il faudra un jour s’en servir
pour aller voir des finaceurs, ça sert de base pour travailler sur le reste.
Bien évidemment, selon la fragilité des gens, on y va plus ou moins vite, on s’adapte. On sait
que le document va être rendu au prochain rendez-vous, alors que d’autres vont ramer, il faut
reprendre, retravailler, reprendre les termes, etc. Certains vont se bloquer face à ce

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
questionnaire… Quand on voit qu’ils sont bloqués par des points comme la saisonnalité, la
concurrence, les fournisseurs, on essaie de leur montrer l’intérêt la logique derrière tout ça : les
prix, l’implantation, etc.
Après ce premier rendez-vous d’accueil, on a le premier rendez-vous d’accompagnement. On
a déjà donné des réponses en disant d’aller voir la chambre des métiers, etc. Parce que si on ne
donne aucune réponse, la personne va se dire « pourquoi je suis venu, etc. ». On reprend rendez-
vous et on se revoit dans quinze jours trois semaines. On évite de donner trop d’infos aussi pour
pas faire peur etc. On essaie de jauger selon les profils. Je suis obligé de leur demander s’ils
sont salariés, sans emploi, s’ils sont mariés, avec ou sans enfant. Ils ne comprennent pas
forcément, mais ç a un impact dans l’adéquation homme/projet. Je les rassure en disant « on va
revoir chaque point, par thème, pour avancer à votre rythme ». On fait les choses avec eux, pour
eux, oui, mais avec eux. Les accompagnements sont très différents, par exemple l’année
dernière l’accompagnement moyen était de 3 mois, alors qu’il était entre 6 mois à 1 an l’année
d’avant : ça dépend des profils, du stade d’avancement et des projets.

Thème 2

Nos porteurs de projets sont majoritairement des entrepreneurs par nécessité : issus des
banlieues, sans emploi, au RSA, etc. Mais on a des entrepreneurs par opportunité aussi, des
mecs qui vont créer, ça va pas marcher, ils vont recréer, etc. Mais c’est plus rare. D’autres, ça
va être un peu plus forcé « tiens, pourquoi je ferais pas ça ». Il faut faire attention au genre de
projets où on a du mal à voir le fil conducteur, la logique, la cohérence. Il faut faire beaucoup
plus attention à « est-ce que la personne à conscience de ce dans quoi elle se lance », du métier.
Exemple qu’on reprend souvent est celui de la mère de famille qui veut monter une épicerie,
qui finit tard le soir, mais on se rend vite compte qu’elle est tellement dans son truc, la tête dans
le guidon, qu’elle en oublie qu’elle n’a pas pensé à un système de garde pour ses enfants après
18h. Elle y croit tellement qu’elle en oublie qu’elle est maman.

Les freinez-vous dans ces situations là ?

Bien sûr, c’est le but de l’accompagnement. Le plus important est de ne pas être dans le
jugement. Les gens sont capables de tout entendre, tant que c’est dit avec les bons mots et sans
jugement. Si à un moment ils sentent un jugement, c’est trop tard, on a créé une barrière. C’est
souvent ce que les personnes qu’on rencontre nous disent des structures plus institutionnelles

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
du type CCI ou Réseau Entreprendre. Ils nous disent qu’ils se sentent jugés, parfois c’est même
pas volontaire. Si un mec qui a bossé dans le BTP pendant 20 ans vient me voir et me dit « Je
veux ouvrir un salon de thé », je peux pas lui dire « Non mais attendez, ça n’a rien à voir », je
dois juste l’aider et l’accompagner pour qu’il créé ou décide de ne pas créé son salon de thé. Si
jamais je lui dis ça, il va se bloquer, et je ne pourrai plus lui donner que des conseils très
techniques et ponctuels. Il doit sentir une clarté dans mes conseils.
Je pense que nous sommes, chez nous, préparés à recevoir ce type de personne dans la mesure
où notre objet est justement les populations les plus isolées, etc. Ça dépend du savoir-être et de
la façon de mener les premiers contacts. Si une fracture se fait au premier rendez-vous, et je ne
pense pas que se soit voulu par les accompagnateurs, mais cest rédhibitoire, il n’y aura jamais
de relation de confiance, et l’accompagnement se passera mal. Je pense pas, j’espère pas que
ces accompagnants là font ça pour filtrer et éviter certains projets. C’est peut-être une question
de flux, la CCI traite énormément de dossiers, tous les entrepreneurs, ce qui n’est pas notre cas,
ni notre prétention.

Quid de la notion de performance et de sélection à l’entrée ?

Travailler en sorte de « scoring » ? Non, déjà c’est pas notre façon de faire à Planet Adam, mais
peut-être que la personne que je laisserais de côté à un moment donné, pourrait être finalement
un super projet rentable, etc. Comme à l’inverse, les deux filles que je rencontre après toi, et je
serais déçue que ça ne marche pas, peuvent ne pas réussir alors qu’elles présentent finalement
le meilleur profil au départ. Il y plein de choses qui font que ça ne va pas fonctionner : le
porteur, etc. Il y a des galères qu’on ne prévoit pas, qu’on ne voit pas au départ. Il faut rendre
les gens autonomes : si une personne est plus autonome au départ, ça va mieux se passer. Il ne
faut pas les tenir par la main. Nous on n’a pas de sélection à l’entrée, même si on a une idée
propre qu’on se fait, mais on ne va pas dire à un mec « non, on ne te suit pas ». Après, sur la
partie statistique, je pense que c’est bien. Sur 2014, on 115 premiers rendez-vous, 50
accompagnements, 17 créations. Ça permet de se jauger. On sait que la ratio est faible, mais on
peut se dire que ça fait quand même 17 entreprises créées, 1è chômeurs en moins, 17 personnes
qui vont mieux psychologiquement, mais on se dit aussi que sur les 50 accompagnés, moins les
17 qui ont créé, on a des mecs qui ont repris confiance. Le travail sur leur projet de création
leur fait parfois prendre conscience que d’aller chercher un boulot, c’est pas si compliqué que
ça, que d’avoir un job c’est en fait moins dur que créer son entreprise et qu’ils en sont capables.
Tout le travail qu’on a fait ensemble sur le savoir-faire et savoir-être, c’est la même chose que

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
pour aller chercher un travail. Du coup, au niveau des stats, ça nous aide à voir ce qui se fait,
ce qu’on a fait, ça ne me choque pas.

Mais penses-tu que ça doit jouer dans l’attribution des politiques ? Un auteur explique
que subventionner l’innovation de l’entreprise plutôt que l’entrepreneuriat non innovant
permettrait de créer des emplois et donc d’absorber les entrepreneurs par nécessité.

Pour moi, non, je ne suis pas d’accord. Parfois dans les entrepreneurs par nécessité il y a des
mecs qui veulent juste être indépendant et suivre un projet qui leur tient maintenant à cœur.
Parce qu’un projet, même soutenu par un entrepreneur par nécessité, qui est bien accompagné
et devient prospère, c’est au moins un chômeur de moins. Donc autant financer ces personnes-
là aussi. Voilà, il faut financer les deux, parce qu’une entreprise innovante n’est pas le même
montant, ni la même échelle, mais il faut bien sûr soutenir les deux.
Chez nous, nous avons parfois des projets innovants, au milieu de la masse des projets soutenus
« par nécessité », mais si on nous enlève nos financements, c’est des entrepreneurs qu’on ne va
capter, que personne ne pourra capter, qui ne pourront jamais passer le cap.

Thème 3

Que penses-tu, dans la partie un peu évolution, proposition, d’un système un peu type
Ruche, collectif et collaboratif, qui mêle entrepreneurs par opportunité, et par nécessité,
avec des ateliers, etc. ?

Je pense que c’est bien oui, pour sortir de l’isolement les entrepreneurs par nécessité, et pour
montrer aux autres que tout le monde n’a pas la même chance. Je pense que c’est très bien ce
« melting-pot », pour que tout le monde puisse voir comment les choses se font, à d’autres
échelles, dans d’autres secteurs. Un entrepreneur par nécessité a sûrement des choses à
apprendre à un entrepreneur par opportunité, tout le monde peut y gagner. C’est toujours bon
d’avoir des énergies qui se mêlent, autour d’expériences. On fait parfois nous des rencontres
ponctuelles, quand des entrepreneurs ont une même question, un même problème, on fait
comme ça des rencontres. Ca plait bien, parce que du coup ils se rencontrent, qu’ils ont les
mêmes problématiques, puis parfois il y a même des relations commerciales qui se font derrière.
Leurs projets sont parfois complémentaires, etc.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
C’est primordial d’avoir ce genre d’échanges, de mélanges, comme le font les Club des
entrepreneurs un peu, même si c’est différent. Il ne faut pas non plus retomber dans l’excès et
le regroupement « ils sont entrepreneurs par nécessité, on va les mettre là » pour ne pas recréer
l’isolement dans un autre cadre, dans le quartier, ou dans la case « par nécessité ». Il ne faut pas
qu’ils se disent qu’ils y vont parce qu’ils sont entrepreneurs par nécessité, mais simplement
parce qu’ils sont entrepreneurs. Il faut qu’ils sortent de ce cadre-là, voilà, c’est bon, j’ai créé
ma boîte, comme un entrepreneur classique.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Entretien n°2
Retranscription entretien Alexandra Brice de la CCI Rouen – durée 55 minutes

Parlez-nous de votre métier, de l’accompagnement, etc.

Aujourd’hui ce qu’il se passe, c’est que les personnes qui font de l’accompagnement sont des
associations rémunérées en fonction du public qu’elles accompagnent. C’est à dire que les
collectivités, et l’État, financent ces associations parce qu’elles accompagnent ces
entrepreneurs par nécessité. Du coup, l’effet inverse, c’est que ces associations-là ne peuvent
pas, question de financement, accompagner d’autres entrepreneurs, ceux par opportunité,
comme les Boutiques de gestion, l’ADIE qui est quand même sur une cible bien spécifique, ce
qui n’est pas le cas des CCI. Notre porte est ouverte à tout le monde. L’objectif de la CCI dans
le cadre d’une offre vis-à-vis des porteurs de projets est d’identifier la typologie des porteurs
de projet, en se disant « Cette personne est potentiellement créateur d’entreprise » et d’adapter
l’offre en fonction du besoin exprimé de la personne. Parce qu’il y a des personnes qui veulent
créer tout seul. Parce que j’entends bien les personnes, non diplômés, isolées, ou que le
chômage a fait qu’il y a eu la réflexion de la création d’entreprise à un moment donné. On est
tous persuadé, et il n’y a aucun doute, que ces personnes ont besoin d’accompagnement. Mais
eux ne sont pas forcément conscients de ce besoin. La personne qui n’a pas envie d’être
accompagnée et qui a envie de créer tout seul, créera tout seul. Notre objectif est donc de dire
« On peut accueillir tout le monde » mais on va d’abord, lors d’un premier accueil, si la personne
est potentiellement créateur ou si elle s’est levée ce matin en se disant « Tiens, si je faisais ça
aujourd’hui ». Il faut bien distinguer la notion d’accompagnement : tout le monde a besoin
d’accompagnement, certains plus que d’autres, mais tout le monde n’en a pas forcément
conscience. C’est important.

Aujourd’hui, en terme de performance, parce que vous l’évoquiez lors de votre introduction,
on regarde le nombre d’immatriculations dans l’année, sur le territoire, et on regarde combien
sont passées par chez nous. C’est ce qu’on appelle notre « taux de couverture ». On n’a pas un
taux de couverture énorme. Pour améliorer ce taux de couverture annuel, il faut bien être
conscient qu’il y a une grosse partie du marché qui se débrouillera tout seul : sites gratuits, le
virtuel. Lorsqu’on a travaillé ici sur cette offre, et qu’on l’adapte, il y a dix ans on organisait
des salons à la création d’entreprise une fois par an, on avait du monde, voilà, ça correspondait
vraiment à une demande. Dix ans après, voilà, on s’aperçoit qu’il faut adapter cette offre parce

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
qu’avec toute l’information générale sur internet, d’autres structures créées, etc. les gens ont
accès à l’info. L’information de base. Ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas besoin
d’accompagnement et qu’il s’agit d’un accompagnement qu’on ne peut pas « industrialiser »
donc effectivement c’est en fonction de la personne, de son projet, et rien ne remplacera un
accompagnement individuel par rapport au projet. Mais toute l’information globale sur les
différentes étapes de la création d’entreprise etc. aujourd’hui il y a des guides tout fait, et bien
fait. Et ça, du coup, il faut que nous en tant qu’accompagnateur, on créé de la valeur ajoutée par
rapport à ce qui est en accès libre, on doit se démarquer. Par rapport aux différentes
problématiques que vous avez posées, vous voulez qu’on les prenne une par une ?

J’ai un guide, justement, qui reprend les thèmes que je vous ai présentés.
(présentation des thèmes)
Commençons par votre parcours ?

Donc moi je suis Alexandra B…, j’ai une formation universitaire de maîtrise en Finance et
Comptabilité, que j’ai complétée par un, donc à l’époque ce n’était pas master 2 mais un DESS,
en Droit fiscal. Donc j’ai une formation à la fois compta/finance et droit. J’ai d’abord bossé
cinq ans dans un cabinet d’expertise-comptable avant de rejoindre la Chambre de Dieppe. J’ai
pris en responsabilité le service création à Dieppe, et là j’arrive à Rouen, c’est imminent, depuis
quelques jours, en fait, j’ai pris en responsabilité le service création de Rouen. Ça fait quinze
ans que je travaille dans le monde consulaire de l’accompagnement à la création et reprise
d’entreprise.

Premier thème, sur l’existant, votre façon d’accompagner, etc. Présentez-nous peut-être
votre approche, le premier rendez-vous, par exemple.

Aujourd’hui comme je vous disais on accueille toute personne qui a un projet de création
d’entreprise, quelle que soit son activité, son secteur, son âge. La première étape, c’est ce qu’on
appelle chez nous « premier accueil », qu’il soit téléphonique, physique, quand ils se déplacent
à la Chambre, on a pour objectif de qualifier son profil, soit il est « aspirant » (pourquoi pas),
soit il est « naissant » (un peu plus avancé dans sa réflexion), soit il est vraiment « potentiel »
(il a déjà travaillé et avancé sur sa réflexion). En fonction du profil déterminé, en fonction voilà,
d’une grille d’entretien, on lui demande s’il souhaite être accompagné. Certains ne veulent pas
être accompagnés et recherchent juste une information technique. Il y a des personnes qui se

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focalisent sur une question technique, à laquelle on ne peut pas répondre parce que cette réponse
ne peut être formulée que s’il y a eu une étude d’autre chose avant. Dans le premier accueil,
notre objectif est de faire un profil, et d’amener à un premier entretien, ce qu’on appelle
« l’entretien découverte ». Toute cette offre que je décris est valable dans toutes les Chambres,
c’est une offre nationale. Donc cet « entretien découverte » va être individuel et physique, avec
en général ce qu’on a qualifié de « naissant » ou « potentiel », qui désirent être accompagnés.
Lors de cet entretien l’objectif est vraiment, en laissant la personne parler de son projet, ses
envies, etc., d’évaluer le projet, même si en une heure ce n’est pas possible, mais de mettre en
avant de quoi il a besoin ce porteur de projet par rapport au montage de son projet : quels sont
ses points de vigilance, ses points positifs. On va mettre en avant les points positifs, mais aussi
en tant qu’homme, parce que c’est d’abord un porteur de projet, avant un projet. Après une
heure, on met en place un rythme d’accompagnement, un complément de formation. Si la
conclusion de « l’entretien découverte » est que voilà, la personne est prête à un
accompagnement, pour présenter son dossier, à un banquier derrière, ça va déclencher un
second rendez-vous individuel pour un montage de projet : l’aider à formaliser son projet qu’il
puisse la présenter derrière. On peut aussi valider son projet au sein de ce qu’on appelle « comité
tremplin » qui est composé de chefs d’entreprise, créateurs, et ça rejoint ce que vous disiez
« d’accompagnement par les pairs », c’est une des réponses qui correspond à de
l’accompagnement. Parce que nous en tant que conseiller, on a la vision technique, mais on n’a
jamais été chef d’entreprise, en termes de légitimité, voilà. Le métier de chef d’entreprise ne
s’apprend pas à l’école, et donc c’est par l’expérience que le jeune chef d’entreprise va acquérir
son métier. Donc d’échanger avec d’autres chefs d’entreprise, c’est toujours positif. Donc
effectvement on organise ce « comité tremplin » où les chefs d’entreprise vont s’exprimer et
faire un diagnostic. Ça peut être un bon exercice avant d’aller voir un banquier. Il y a une phase
technique de montage avec le conseiller, individuel, au global, et surtout on ne fait pas à la place
du porteur, c’est à dire notre métier en tant que conseiller, c’est de coacher, de challenger le
porteur en le dirigeant en lui disant « Vous êtes à cette étape là, il faut vous poser ces questions
là », « La prochaine fois, on va parler de ça, il faut que vous travailliez sur ça », mais on ne va
pas faire. On débrief sur ce qui a été fait. On est dans la co-construction, on ne fait jamais un
prévisionnel, jamais une étude de marché. On lui dit le comment, le pourquoi, mais on ne fait
pas. C’est notre accompagnement individuel. À côté de ça, on a des gens « aspirants » qui ont
besoin d’une culture de l’entreprise, il leur manque cette culture là, on va leur proposer une
réunion collective d’information en se posant les bonnes questions. Toutes les semaines à
Rouen. Et là, on ne reprend pas de l’information technique accessible partout, mais vraiment

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
sur l’envie d’entreprendre, la vie d’entrepreneur, etc. Après, les personnes qui n’ont besoin que
d’une info technique, on va les recevoir, individuellement, pour y répondre. Parfois ce qu’il se
passe, on répond à leur question en disant « Voilà, je réponds, mais posez vous d’autres
questions comme… » et ces personnes vont du coup vouloir un accompagnement.

Le profil déterminé lors du premier accueil n’est pas fixe dans le temps, il évolue, donc
quelqu’un qui avait juste une idée, ça a muri et il devient un « potentiel » créateur. On a un
autre accompagnement collectif qui s’appelle « 5 jours pour entreprendre ». Ce n’est pas
obligatoire, sauf pour les artisans, il y a là, un objectif de formation, on n’est plus dans
l’information, mais vraiment sur l’étape d’après, sur un complément de formation
complémentaire sur la comptabilité, la gestion, etc.

Pour ce qui de l’entrepreneur par nécessité, vos conseillers sont-ils aptes, peuvent-ils
adapter leur discours ?

Nous on ne fait pas de distingo, la personne qui arrive, elle est traitée comme les autres. On lui
demande son statut actuel, donc ce serait via cette information qu’on pourrait deviner, après,
par rapport à l’accompagnement, on ne fera pas d’accompagnement spécifique. C’est lors de
l’accompagnement individuel de montage du projet, par rapport au premier accueil, à l’entretien
découverte, qu’on verra les besoins du porteur de projet. Peut-être que ça va révéler plus de
besoins que les entrepreneurs par opportunité, mais on ne le sait pas. Mais par rapport aux outils
qu’on a mis en place, on n’a pas d’outils spécifiques. Mais les outils nous permettent d’adapter
l’offre au besoin tout de même, ce qui est globalement le plus important. Il n’y a pas
d’accompagnement industrialisé, standardisé, donc l’échange qu’il peut y avoir avec le
conseiller, forcément, le conseiller va s’adapter et adapter son discours. On en discute par
rapport au nombre d’heures passées avec le porteur, il n’est pas du tout en lien par rapport à la
taille du projet. C’est à dire que sur un projet de reprise, qui va nécessiter un plan de financement
d’un million d’euros, on va peut-être y passer moins de temps qu’un porteur de projet sur un
projet à vingt mille euros qui va créer son propre emploi et qui aura besoin de plus
d’accompagnement. Il n’y a pas de lien, et faut surout pas le faire, entre le nombre à consacrer
et la taille du projet. Le lien est à faire avec le porteur. Nous avons un objectif global d’un
nombre d’heures, en moyenne sur l’ensemble des dossiers, mais on ne standardise pas par
rapport à la taille du projet et son impact économique sur le territoire. On irait à l’envers du
besoin.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Notion de performance ?

Nous, notre notion de mesure est sur le taux de couverture, c’est à dire le nombre
d’immatriculation passé par chez nous. On a une marge de manœuvre possible sur ça.
Probablement un manque de communication de notre part, de nos strcutres, envers M.
Toutlemonde. Communiquer envers M. Toutlemonde, c’est compliqué, et ça coûte très cher. Et
ce n’est pas le plus efficace. C’est, je pense, se faire connaître, une problématique de l’ensemble
des réseaux d’accompagnement. Au niveau national, quelque soit la structure, il n’y a pas de
communication globale sur les dispositifs, et la volonté de créer sa boîte, et à qui je dois
m’adresser.

Explication de la théorie de Shane (2008), qu’en pensez-vous, le rejoignez-vous, les


politiques doivent-elles être attribuées selon une autre réflexion ?

Déjà, comment classifie-t-il les projets innovants, entreprises innovantes, etc. De quelle
innovation parle-t-on ? Il y a, j’espère, des entrepreneurs par nécessité qui, même s’ils apportent
peu d’innovation en apportent quand même. Puis il y a une forte part de l’accompagnement à
la création qui s’avère devenir de l’accompagnement à la reprise. Donc si on réduit les dotations,
ne va-t-on pas réduire les dotations pour les reprises ? La dotation de ce qui s’avère être de la
reprise, qui est dans le giron de la création, n’est pas évoqué. On a un tissu d’entreprises à
pérenniser aussi, ça fait partie de l’accompagnement des Chambres. L’entreprise innovante et
créatrice d’emploi ne représente pas notre tissu économique, et notre objectif est de faire vivre
le tissu économique que l’on a. Le tissu c’est notamment la pérennité des entreprises existantes.

Si on prend les entreprises de services à la personne, dans l’accompagnement, parfois de


nécessité. La notion d’innovation et de création d’emploi est relative.
Je pense cependant que les entreprises, les grandes entreprises, absorberaient probablement les
entrepreneurs par nécessité, leur offre se positionne sur un marché où il n’y a pas forcément de
demande, et l’entreprise reste ce qu’ils recherchent avant tout, avant d’entreprendre. Et ce
marché n’existe que si l’entreprise – par nécessité – innove aussi. Or, on sait qu’ils innovent
peu, donc ont-ils une demande à leur offre ?
La reprise d’entreprise par contre n’entre pas dans ce champ.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Que pensez-vous de la politique et la stratégie d’allocation des ressources pour
l’accompagnement par l’administration ?

L’État finance aujourd’hui majoritairement les structures associatives, les boutiques de gestion,
le réseau France Active et autres. Ces structures en fait, les collectivités territoriales, ne
financent pas du tout les CCI. L’État, les collectivités, financent l’accompagnement du projet,
la construction, mais aussi le post-création, puisqu’il y a une sortie de finances publiques, ils
travaillent à la stabilisation et la pérennisation du projet dans le temps, entre 3 et 5 ans. Il y a
d’autres structures qui accompagnent aussi, mais qui sont « privées » et qui ne sont pas du tout
financées. On doit rebattre les cartes, oui. Il y a une question de lobbying aussi à mon sens de
ces réseaux là. Les différents réseaux, au national, pèsent plus que nous au niveau territorial.
Nous sommes financés via un impôt payé par les entreprises, l’ancienne taxe professionnelle,
qui est redsitribué ensuite entre les services au sein des Chambres. Il évolue en fonction de la
stratégie des Chambres. Nos moyens de défense sont faibles : la dotation générale va baisser,
une partie reversée aux Chambres va disparaître, et nous sommes face à une réelle
problématique. Baisse des ressources fiscales. À ce moment là on n’attribue plus d’argent à la
création, et on va facturer nos prestations d’accompagnement. On en vient à ça. Ce n’est même
plus qu’on y pense, mais c’est sur la table en ce moment même. C’est imminent.
Dans le cadre de ce qu’a mis en place l’État pour l’accompagnement des chômeurs créateurs et
repreneurs d’entreprise, il finance les structures entrant dans ce dispositif. Donc la Chambre va
s’inscrire dans ce dispositif, et si le porteur de projet entre dans la cible de l’État
(chômeur/créateur-repreneur), il ne paiera pas puisque la Chambre sera payée par l’État, par
contre, s’il ne correspond pas à la cible, la Chambre facturera. J’entends l’accompagnement
individuel. Voilà vers quoi on va.

Peut-on parler d’un réel problème systémique ?

Oui, il y a un problème dans le sens où, mais c’est normal dans ce genre de politique, est-ce
qu’on doit privilégier telle cible, ou telle cible. Aujourd’hui effectivement, on est dans un
système où il y a beaucoup de demandeurs d’emploi, que la création d’entreprise est un moyen
de s’en sortir, et que les demandeurs d’emploi doivent se poser cette question là, mais que tout
demandeur d’emploi n’est pas fait pour capable, compétent, fait pour ça. Ce n’est pas la volonté
de tout le monde, et heureusement. Beaucoup d’argent a été mis de la part de l’État pour sortir
ces gens d’un système de précarité, c’est une possibilité. Nous aujourd’hui, plus de la moitié de

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
nos porteurs sont demandeurs d’emploi, ce n’est pas rien. Il faut qu’on les aide, et l’argent a été
mis pour ça, pour aider ces gens là. Mais ça veut pas dire qu’il faut laisser de côté les autres
parce que les autres, ils ont des projets au moins aussi bien, ils ont peut-être plus de capitaux à
mettre au départ, mais il faut les aider autrement. Plus tard, dans la recherche de financement,
etc.

Pour moi, les allocations de l’administration sont vraiment ciblées sur ces publics là, par
nécessité, dans la précarité. Et je le comprends dans le cadre d’une politique gouvernementale
globale, mais ce n’est pas que sur ce public là qu’il faut appliquer les politiques. Ce n’est pas
le même besoin, le même investissement temps. La notion d’accompagnement n’est pas la
même. Il y a l’accompagnement du porteur de projet, et l’accompagnement du projet, pour faire
court.
Quand le travail est d’aller chercher des capital-investisseurs, c’est de l’accompagnement, mais
à un autre stade.

Nature de la relation accompagné-accompagnant.

Nous sommes dans une approche de coaching, nous ne faisons pas, nous expliquons ce qu’il
serait intéressant et important de faire, pour une date donnée (au prochain rendez-vous), et nous
travaillons sur ce qui a été fait, corrigons, modifions, expliquons ce qui ne va pas, ce qui va,
etc. On accompagne le porteur qui fait et avance.

Les problèmes majeurs de l’accompagnement aujourd’hui, pour vous ?

On peut parler des financements, en effet, parce que sur certains projets qui nécessitent des
montants relativement importants, les financeurs vont regarder le projet, oui, mais ils vont aussi
regarder le risque pris par le porteur de porjet, sur son apport financier personnel, et s’il n’y a
pas un niveau d’apport financier suffisant aujourd’hui, la banque ne suit pas. Ça a toujours été,
depuis quinze ans que je suis là, mais depuis deux-trois ans, c’est la folie. C’est plus du gel…
On est arrivé à un pourcentage de demande d’apport personnel qu’on a jamais vu. Quand on
demande à la personne un apport de 30-40% du plan de financement global de son projet, c’est
impossible. Sur certains projet, à 20 000€ oui, mais des projets à un million, vous imaginez. On
a vraiment besoin d’un coup de pouce des aides publiques.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Les structures d’accompagnement sont adaptées à différents profils, comme l’ADIE, ou Planète
Finance, France Active, etc. qui permettent d’accompagner tous les profils. Nous n’avons aucun
moyen de savoir le taux d’abandon qu’il peut y avoir dans nos porteurs qui passent par chez
nous dans la mesure où on ne sait pas s’ils sont allés ailleurs après, s’ils sont allés voir l’ADIE,
un expert-comptable, etc. Nous avions essayé à Dieppe, avec une enquête justement, pour
savoir si ce que nous leur conseillions d’aller voir, les réorientant, s’ils y allaient ou pas. On a
de la perte folle, oui, je ne me souviens plus des chiffres, mais on a de la perte en ligne. Il y a
des personnes, on ne sait pas pourquoi mais voilà, on les a rappellées les personnes, en disant,
ben voilà, est-ce que vous êtes bien allé voir un tel, un tel, « ben non parce que j’ai changé
d’idée, etc. ». C’est un public volatile, qui avance dans sa tête de son côté. Leur réflexion évolue,
à un rythme qui leur est propre. L’environnement bouge. Des salariés se retrouvent au chômage,
et se posent cette question, finalement, ils retrouvent un emploi et ça disparaît. C’est volatile.
Et dans un environnement très changeant aussi.

Que penseriez-vous d’un espace collaboratif, collectif, avec des ateliers, style ruche où un
pourcentage de fréquentation par des entrepreneurs par nécessité en combinaison avec
les taux de réussite, etc. seraient imposés pour avoir le droit au financement, et ainsi
favoriser le mélange, le partage de connaissances ?

Alors moi je ne crois pas du tout à des objectifs quantitatifs, en pourcentage, obligatoire, je me
dis que si le système fonctionne, le bouche-à-oreille fera le reste.
Sinon, dans le principe, d’avoir un espace d’échanges, ça ne peut être que positif, cette notion
là de distinguer l’opportunité et la nécessité, ben dans un collectif c’est pareil, on ne fait pas de
distingo, dans le projet. Il y aura des échanges naturels parce qu’en fait il y aura un projet
commun rassembleur qui est le projet de création. Et c’est ça qui va rassembler les gens, c’est
pas « Tiens, toi t’es au RSA… toi t’as un bac +10 en … ». Vous voyez ? Le but d’un espace
collectif c’est justement qu’il y ait un projet commun.

Le seul bémol à ça : dans l’esprit collectif/co-working, c’est ce qu’on ressent dans


l’accompagnement aujourd’hui, post-création, dans les trois premières années, dans le suivi
qu’on a. Il faut bien percevoir que l’une des motivations des porteurs de projet, dans la création
d’une entreprise, c’est le goût de l’indépendance. Et ça, je me pose la question. Globalement,
sur l’ensemble des porteurs de projet, quelque soit le porjet, le profil, etc. La motivation
première, c’est le goût de l’indépendance. Et c’est pour ça que certains ne veulent pas être

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
accompagnés. Pour certains, on doit juste répondre à un question « C’est quoi mon statut
juridique ? ». Et on le ressent dans les jeunes chefs d’entreprise qu’on reçoit. Cette volonté de
liberté, dans la décision. Je ne parle pas d’âge, je parle des jeunes chefs d’entreprise, jeunes
dans leur qualité de chef d’entreprise. Une personne de 50 ans qui créé sa boite est un jeune
chef d’entreprise. C’est ce goût de l’indépendance.
Mais je ne me poserai moins la question de cette barrière de l’indépendance sur vous, vos jeunes
générations, qui ont grandi en réseau, connectés, virtuel, et que par rapport à un projet comme
ça, le virtuel et le réseau ont leurs limites. Et un réseau physique en co-working comme ça, ça
peut avoir un intérêt.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Entretien n°3
Retranscription Mme Vatinel – Responsable Réseau Entreprendre – 60 minutes

Pouvez-vous nous expliquer votre travail, votre posture, et nous détailler votre premier
rendez-vous ?

Avant de parler de ça je pense qu’il est nécessaire de vous expliquer très brièvement nous quel
est notre cœur de métier, parce que de là en découle la teneur du premier rendez-vous. Nous
notre cœur de métier c’est d’accompagner, de faire émerger des créateurs d’entreprise,
d’emplois et de richesses. Ce qui veut dire que nous n’accompagnons pas les personnes qui créé
leur propre emploi. Nous n’accompagnons pas, pas au sens du statut juridique mais au sens du
métier, les artisans et petits commerçants (boulangers, charcutiers, etc.). Une fois ces typologies
éliminées, le deuxième critère déterminant : la personne participe au développement
économique du territoire, nous sommes très attachés à cette notion, et sommes reconnus
d’utilité publique pour notre lutte contre le chômage. Nous avons trois valeurs qui sont :
l’important c’est la personne ; le principe de la gratuité ; la notion de réciprocité. La personne,
c’est l’homme avant tout, on a conscience qu’un projet sera toujours perfectible. Il arrive
comme il est, notre rôle c’est de le faire grandir en tant que dirigeant et chef d’entreprise. La
gratuité, ben voilà, tout ce qu’on offre c’est gratuit. Et la réciprocité, c’est qu’on espère qu’il
aura à cœur de redonner un jour ce qu’il aura reçu du réseau. Notre business model c’est ça.
Nos lauréats deviennent adhérents du Réseau pour redonner un jour ce qu’ils ont reçu. Mon
rôle au cours du premier rendez-vous, c’est de valider tous ces points, tous ces critères. Est-il
notre cœur de cible ? Si la personne a été validée par Nathalie, l’assistante du réseau, au
téléphone, via un questionnaire, elle me transmet le profil. Il m’envoie un CV, son business
plan, et moi je le reçois pour valider ensuite qu’il correspond bien aux valeurs du Réseau. Je
transmets bien aux candidats que tout ce qu’on offre est gratuit, et qu’il ne s’agît pas d’un simple
prêt d’honneur. Parce que les mecs qui viennent chercher l’argent, soit je ne les revois pas, soit
après 2-3 rendez-vous je m’en rends compte, et je leur explique que je ne les reverrai pas.
Je regarde donc si ces motivations sont réelles, si son parcours professionnel est en cohérence
avec son projet, il s’agit de l’adéquation homme/projet.
À l’issue de ce premier rendez-vous, je vais lui présenter ce qui s’appelle chez nous le « Pass
Réseau Entreprendre », qui est en fait le format Réseau Business Plan, soit il l’a déjà, soit il
n’en a pas, et il a toutes les clés pour le faire.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Vous êtes en mesure donc d’établir après ce premier rendez-vous si vous êtes face à ce
qu’on appelle un entrepreneur par nécessité ?

Oui, mais vous savez, j’en vois peu. Les gens que je vois sont vraiment dans l’optique création,
reprise d’une entreprise, avec un minimum de 70 K€ d’apport financier pour démarrer.
Concilier avec un entrepreneur par nécessité, ça me paraît compliqué.
Des auto-entrepreneurs, lassés de ne pas trouver de travail, là oui. Mais je n’en vois pas. On
demande des engagements financiers, des petits projets de moins de 70 K€, donc en dessous,
on ne voit pas.
Si cependant il y en a un, par nécessité, et qu’il correspond à nos critères, je vais l’accompagner
comme les autres. Il peut dans un premier temps venir me voir pour le chèque, parce qu’il va
se dire : « j’ai besoin de sous, j’ai plus de boulot, je suis en fin de droit, etc. » Et quand je lui
présente l’offre d’accompagnement du réseau, il va se dire « finalement, c’est pas si mal ».
Surtout que nos taux de pérennité à 3 ans, c’est 90% au niveau national. Donc vraiment
l’accompagnement c’est la clé de voute et l’essentiel du bon démarrage du projet. Quand on
leur dit qu’ils vont être accompagnés par un chef d’entreprise un peu plus compétent,
expérimenté, qui ne va pas se substituer à eux, qu’ils resteront les chefs d’entreprise, qu’il est
là pour les challenger, les aider, etc. Ils se disent que c’est pas mal.
Il y a deux phases d’accompagnement. Moi j’accompagne du premier rendez-vous jusqu’au
comité d’engagement, on va travailler son projet, son business plan, etc. Un chef d’entreprise
adhérant accompagne ensuite une fois le projet lauréat passé en comité d’engagement. Je
l’accompagne du début jusqu’à ce que son projet soit à maturité et présentable devant un comité.
Je m’efface à partir de là, mais je ne suis plus son accompagnateur direct. Même si on échange
encore, mais je ne suis plus leur accompagnateur.

Thème 2

Que pensez-vous des systèmes d’accompagnement, aujourd’hui, pour ce qui est des
entrepreneurs par nécessité ?

Je ne connais pas tous les systèmes en place je pense. En tout cas, des retours que j’ai des
entrepreneurs, c’est l’avis qu’ils me remontent, il y a beaucoup de choses. Trop de choses. Et
ce qui manque, c’est un manque de clarté sur qui fait quoi pour qui. Moi mon profil c’est

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
créateur repreneur d’une TPE-PME, PlanetAdam, sa cible c’est telle personne, etc. Et ça dans
l’esprit des créateurs, ce n’est pas clair du tout. C’est comme ACCRE, NACRE, machin, les
gens sont perdus. Et il existe beaucoup de choses !
C’est une usine à gaz. Donc pour les entrepreneurs par nécessité, qui sont moins diplômés peut-
être, plus isolés, etc. c’est encore pire finalement.
On s’était entretenu avec la CCI du Havre, notre partenaire, et ils nous avaient dit qu’il y a
beaucoup de gens qui n’osent pas. Ils n’osent pas pousser la porte de la CCI, peur de ne pas être
à sa place. C’est impressionnant une CCI, c’est grand, c’est beau. C’est une problème de culture
« quelles questions on va me poser ? », « Est-ce qu’on va me juger ? », etc. On avait d’ailleurs
proposé des rendez-vous d’entrepreneurs décalés, justement pour casser ces barrières. Dans le
centre commercial Auchan par exemple. Nous allions donc à la rencontre des créateurs. On l’a
fait à l’Espace Coty, voilà. On a arrêté parce que ça miblisait pas mal de gens et d’énergie, pour
un retour léger.

Quelle est la place de la notion de performance dans votre structure ? Vos financeurs, etc.

Nous utilisons comme outil pour mesurer la performance de l’accompagnement un rendez-vous


à 6 mois, comme on verse le prêt d’honneur en deux fois, on fait le point à 6 mois pour voir si
on verse ou non, la deuxième tranche. On a un suivi assez formalisé. Nous ne sommes pas sur
données statistiques, augmentation de X% de ton CA, etc. On est beaucoup plus sur de l’humain
en fait. La première question que je pose justement c’est « Comment te sens-tu, en tant que chef
d’entreprise ? ». Pour moi c’est vraiment sur de l’humain. On reprend le prévisionnel. On voit
ce qui est cohérent, ce qui l’est moins.
Par contre, pour parler des financeurs, je fais un reporting d’activité, pour les banques. Tout
dépend ce que vous appelez financeurs. Financeurs de projets, ou financeurs de
l’accompagnement ?

Les deux, même si je pense que ceux qui financent la structure financent finalement
l’accompagnement.

Donc oui, les adhérants financent par leur cotisation l’accompagnement. On est dans une
approche assez altruiste. C’est à dire qu’en AG je rends des comptes aux administrateurs, c’est
normal. Mais, à partir du moment où le travail est fait correctement, il y a un retour positif de
nos adhérants et des lauréats sur l’équipe opérationnelle, c’est une relation de confiance. Après,

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
oui, tous les ans on perd des adhérants, mais on en gagne aussi. Ça représente environ 80% de
nos financements. Et nous avons des partenanriats avec la CODAH et la CCI du Havre.
Sur la partie financement des prêts d’honneur, les banques financent les prêts d’honneur. Et la
Caisse des dépôts et consignations. La BPI ne finance pas mais garantit nos prêts d’honneur.
La Caisse des dépôts, je dois faire un reporting plus poussé, avec des tableaux statistiques qu’ils
m’envoient, etc. J’ai des indicateurs précis à leur retourner, des tableaux, des calcules, que je
remplis avec Mazars l’expert-comptable.

Si ces indicateurs, justement, baissent, que se passerait-il ? Pensez-vous qu’ils réduisent


vos dotations ?

Non, non, je ne pense pas. C’est jamais arrivé. Parce que si vous voulez, ce n’est pas de l’argent
qu’ils nous donnent, mais ils nous le prêtent. Ils font confiance à nos critères d’attribution. C’est
une avance remboursable, donc je vous avoue que je sais pas quoi vous répondre. J’ai jamais
eu ce genre de situation, donc je sais pas. A mon avis, ce qui pourrait arriver, cette année par
exemple, je les ai sollicités, on va dire qu’à la fin de l’année on a accompagné un entrepreneurs,
l’année prochaine je vais solliciter à nouveau pour emprunter je sais pas, 200 K€, ils vont me
dire « elle est gentille, elle a accompagné un porteur, elle nous redemande 200 K€ ». Vous
voyez ?

Pour rebondir sur ce que je disais sur les notions de performance, il est difficile de
conjuguer une politique publique avec des notions de performance comme ça, notamment
pour les entrepreneurs par nécessité. Notion de temps passé, taux de transformation, etc.
Est-il compatible de parler de performance pour des politiques publiques à destination de
ce public ?

Il m’est difficile de répondre dans la mesure où on ne bénéficie pas de ces politiques publiques.
Donc si vous voulez, comme personne du métier et ce que j’ai entendu de certains de mes
confrères, c’est qu’il y a des entités qui ne vivent que des subventions, comme Cré’action au
Havre. Mais dans le climat actuel, pour ce genre de structure, ça doit être difficile. Je ne pense
pas que ça soit la solution.

Et la sélection à l’entrée, du fait de ces calcules et de ces attributions sur des bases
performance ? (Exemple donné)

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Oui, oui, vous avez raison. On va évincer sans le vouloir ce qui vont être le moins bon sur le
papier. Mais est-ce vraiment un problème ? Je ne pense pas non plus.

(Explications de la théorie de Shane, 2008) pour relancer

Je reviens un peu en arrière sur ce qu’on se disait, parce qu’en fait, le critère de sélection ne
serait pas forcément j’accompagne celui qui va créer le plus d’emplois, etc. Mais le critère
pourrait être à l’inverse, je vais accompagner celui qui en a le plus besoin, le moins bon. J’en
ai un qui vient me demander des sous, je me rends compte qu’il n’a pas vraiment besoin
d’accompagnement, moins qu’un autre en tout cas, je peux choisir l’autre. Je peux recentrer la
politique sur celui qui en a vraiment besoin.

N’y-a-t-il pas de paradoxe du fait que la performance actuelle décide des dotations
futures ?

Si vous dites ça, ça veut dire qu’accompagner les personnes les moins armées fait que le résultat
est moins efficient, qu’ils vont être de moins bons chef d’entreprise, etc. On ne peut pas savoir.
Et j’imagine qu’il y a des exemples de recherche qui parlent de ça.

Oui, en effet, il y a des théories qui expliquent que le principe de sélection est faux, pas
vérifié, pas applicable à l’accompagnement.

Je confirme, il y a des mecs qui présentent bien, qui passent bien, et qui ne sont pas de bons
entrepreneurs, de bons chef d’entreprise. Au contraire, il y a des mecs « par nécessité » qui de
par leur condition, leur isolement, leur solitude, leur vulnérabilité vont paraître moins bon mais
qui une fois encadrés, remis en confiance, vont littéralement exploser.

Thème 3

Quels seraient selon vous les 3 problèmes majeurs dans l’offre globale
d’accompagnement ?

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Le public a une mauvaise connaissance de l’offre existante, de l’ensemble, de l’existant. Une
mauvaise connaissance de la bonne entité pour le bon créateur/repreneur, et ils me disent tous
« C’est compliqué ». Onéreux et compliqué. Difficile administrativement, c’est un cercle
vicieux administratif. Je me souviens plus des chiffres exacts mais j’ai entendu que pour créer
en France, il fallait mettre 1000€, au départ, contre 50€ en G-B.

Quelles seraient les 3 choses les plus urgentes et intéressantes à essayer de développer pour
justement améliorer la situation de l’accompagnement ?

Alors moi c’est mon leitmotiv, mon cheval de bataille, je ne sais pas si ça se fera un jour, je sais
que ça se fait à Lyon, c’est la vie de l’entrepreneuriat. Un guichet unique ! Voilà. On est tous
dans un hôtel, pépinière, ce que vous voulez, et vous avez Pôle Emploi, Sécu, RSA, notaire,
expert-comptable, CCI, espace entrepreneurs avec tous les représentants de l’accompagnement,
etc. En bàs, il y a un filtre avec « vous, vous êtes comme ça, vous allez là » et hop. On donne
une feuille avec schéma et on gagne du temps. Tout est plus fluide. Et je dois vous dire que je
ne vois que ça, je pense que c’est vraiment le plus urgent.

Pour revenir sur les entrepreneurs par nécessité, ils ont pour point commun leur isolement, leur
urgence. Et pas seulement le diplôme, il y en a des diplômés aussi. Mais il n’ont pas la légitimité
de l’entrepreneur nécessaire pour fédérer autour de leur projet.

Le problème qui se pose et qu’ils veulent créer vite. Or, c’est impossible de créer vite. Ils sont
en fin de droit, ils sont seuls, etc. et ils veulent créer tout de suite, d’un coup. Mais ce qui fait
notre taux de pérennité, c’est justement que notre accompagnement se fait sur du long terme.
Le projet est muri, etc. C’est donner du temps à la réflexion.

Et certains jeunes, moins jeunes, qui passent les portes de l’association et qui me disent
« Merci » parce qu’ils ont grandi, ils ont évolué, ils ont appris, même s’ils ne sont pas lauréat
du réseau, mais ils sont content, et prêt. Donc dans le cas des entrepreneurs par nécessité, il faut
se demander si ça ne les arme pas à affronter le marché du travail différemment, avec de
nouvelles cartes et une nouvelle confiance.

Pour parler un peu des pistes d’évolution, avec votre regard, que pensez-vous de
l’accompagnement par les pairs ?

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Oui, c’est essentiel. Je pense. En même temps, en fonction du public, l’accompagnement par
les pairs n’est peut-être pas forcément le mieux adapté, dans le cas des entrepreneurs par
nécessité. La posture, la formation, il faut quand même des gens qui aient de l’empathie, à
l’écoute, des qualités humaines très importantes. Parce que comme on le disait on a des gens en
situation de fragilité, soit sociale, familiale, économique, psychologique, etc. et je pense que la
posture, formée, à ce type de public, est un impératif. L’accompagnateur doit être formé, nous
on forme tout le monde, mais peut-être davantage, et différemment pour ce genre
d’accompagnement. Cette posture n’est pas évidente pour un chef d’entreprise, il a plutôt « c’est
comme ça, pas autrement, moi j’ai fait ça, et ça ». Et quand ils passent dans la posture
accompagnateur, ils endossent un autre costume. Ce n’est pas évident, de ne pas juger, etc.
Donc c’est bien, mais il faut sécuriser le dispositif en les formant en amont, pour que ça ne soit
pas plus difficile.

Une autre piste évoquée, avec une ruche collaborative, avec un dispositif imposé de
mélange des profils d’entrepreneurs, par nécessité, par opportunité, financé par l’Etat,
mais imposant un minimum d’entrepreneurs par nécessité. Comme une subvention
accordée en fonction du taux d’entrepreneurs par nécessité. On pourrait combiner les
pairs, ateliers, mélange, faire du collectif, de l’individuel. Qu’en pensez-vous ?

Alors oui, pourquoi pas. Ce sur quoi il faut éviter de retomber, c’est le mille-feuille au sein
duquel plus personne ne reconnaît rien. Alors que l’argent public se fait rare, il faut faire
attention à ne pas gaspiller et éparpiller l’argent public dans des ruches, à droite à gauche, des
quotas imposés, ce genre de trucs.

Je voyais une migration de certains services, migrant vers ce genre de dispositif, un


guichet unique de l’accompagnement si je peux reprendre votre idée. Bien sûr, la notion
de gaspillage et éparpillement est à prendre en considération.
Oui, je vois ce que vous voulez dire. Une sorte d’économies d’échelle, avec des classes
collectives et un accompagnement qui touche plusieurs entrepreneurs, en même temps, pour
justement pallier le manque de temps, etc.

On peut parler de maximiser le temps d’échange, pour avoir le plus de temps possible à
consacrer à l’humain.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Je veux pas faire de philosophie, il y a la notion de temps et durée. Mais le temps et la durée,
ce n’est pas pareil. Vous allez voyager par exemple, Le Havre – Paris en voiture. Dans un cas
vous serez tout seul au volant de votre voiture, ça va vous sembler 3h. Dans un autre cas, vous
allez faire du covoiturage, discuter, ça va vous sembler 15 minutes. Dans les deux cas, la durée
est de 2h mais la notion temps n’est pas la même.
Quand on pense aux gens de Pôle Emploi dont on parlait avant l’entretien, qui se plaignent
d’avoir de moins en moins de temps à consacrer, de plus en plus de dossiers. Je peux le
comprendre. Ils n’ont pas de temps au sens utile face à ce public qui en a grandement besoin.
Alors peut-être aussi si vous voulez à la base, j’en sais rien. Ne faut-il pas mieux filtrer, dès
l’origine, ce qu’on fait nous quand même un peu ici, l’entrepreneur par nécessité, il faut peut-
être être capable de dire aux gens stop. Non, ce n’est pour vous. Un parce que vous voulez créer
au Havre un énième coiffeur, il y en a tous les coins de rue. Ou non, parce que vous avez fait
du carremage toute votre vie, et là vous dites vous voulez faire de la peinture. C’est une
caricature.
Mais peut-être que si on leur dit non ainsi, on les abandonne finalement à leur propre sort. C’est
peut-être la limite du système. Je ne connais pas bien les statistiques, mais il faut voir les
entreprises encore en place 5 ans après, c’est affolant.

On peut aussi raisonner différemment en se disant cet argent qu’on veut mettre dans les
politiques publiques de soutien à l’entrepreneuriat, ne vaudrait-il pas mieux de le mettre dans
des politiques efficaces à la création d’emplois. On en revient à investir sur l’entreprise,
l’innovation, le salariat, pour reprendre ce que vous disiez avant, absorber les entrepreneurs par
nécessité pas en mesure de tenir le cap d’un projet entrepreneurial.

Ce que les gens ne savent pas, et c’est aussi notre rôle en tant qu’accompagnant, c’est que ça
va vite. Dans les deux sens. On ouvre ça va vite, on ferme ça peut aller encore plus vite. Et puis
derrière c’est des soucis en fonction du statut juridique, en fonction des biens mis en gage, en
situation de surendettement, etc. Ça peut être dramatique.
Et je pense que ce public là, il est probablement le moins bien informé de tout ces aspects là.
Le jeune de ce matin me disait qu’il était en SARL, mais comme il était tout seul il allait passer
en EURL. Mais non, pourquoi ? Vous allez être emmerdé au moment d’embaucher quelqu’un,
changer de statut, et ça va vous coûter une blinde. En EURL vous n’êtes pas en optique

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
entreprise, mais création de votre propre emploi. C’est plus compliqué. Prenez tout de suite
SARL et on en parle plus.
Même exemple avec le RSI… Les gens ne sont pas informés.

Le problème que vous pointez pose un tas de questions dans la littérature, en effet, sur le
moment où dire stop, comment dire stop, et revoir les politiques à destination de la
stimulation du salariat peut-être, pour absorber tous ces entrepreneurs qui n’en sont pas
tous. Toutes ces politiques qui envoient un peu ces gens vulnérables au charbon, vous
voyez. Il existe plusieurs communications et travaux en ce sens.

Peut-être une autre suggestion, je parlais de mon guichet unique auquel je tiens, mais il faudrait
peut-être à un moment donné qu’il y ait quelqu’un capable de dire stop. Et je sais, nous à
l’association c’est un autre problème, même si c’est lié, nous n’avons pas tant de porteurs de
projet que ça. Il m’est arrivé, alors que justement j’avais pas beaucoup de projets, de dire non
à des gens. J’ai un exemple en tête, un monsieur est venu me voir pour créer un truc. Et en
partant, il l’a réalisé, mais bon, il voulait créer dans l’isolation des toitures, mais il n’est pas le
seul sur le marché. Et il m’était quand même dans l’entreprise, au Havre (parce qu’il est venu
une fois en vacances, qu’il aimait bien la mer – je caricature à peine), toutes ses économies, 50
000 euros. Ce sont les économies de toute une vie. Vous vous rendez compte, à 57 ans. Toute
une carrière misée sur une affaire bancale d’isolation de toitures. C’est dingue !

Pour éviter les gens qui vont droit dans le mur, que rien n’empêche de créer à côté, seul,
sans personne, de devoir présenter obligatoirement, à votre guichet unique ou au moment
de l’immatriculation, dès qu’il y a un montant significatif de fonds, apportés, empruntés,
que sais-je, un papier certifié d’un organisme d’État, habilité, disant qu’il a suivi un
minimum de formation, d’encadrement, que son profil et son projet sont validés et qu’il
peut déposer et immatriculer ?

Ah oui, en effet, s’il veut créer à côté, il peut. Et c’est un problème, pauvre homme. Sinon, non,
je ne pense pas que se soit une bonne idée. Par contre, ce qui pourrait peut-être être fait, on
devrait obliger tous les futurs créateurs d’entreprise de suivre un parcours de formation de
dirigeants d’entreprise, exposant les réalités du métier, etc. Une formation à l’entrepreneuriat
et à devenir dirigeant d’entreprise. Notamment financée par Pôle Emploi, évaluée, etc. afin de

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
vraiment avoir une valeur significative dans l’estimation de l’adéquation homme/projet et
limiter les catastrophes.
Les responsabiliser aussi, j’en ai, ils créent depuis deux mois, ils partent en vacances quinze
jours. Puis l’image qu’on véhicule dans la presse, les films, etc. y est pour beaucoup. Ils roulent
en voiture allemande, dans des costumes italiens, allemands, je ne sais pas. Vacances ua soleil,
hiver à la montagne. Mais ils bossent 75h par semaine aussi !

Libérons un peu l’initiative privée, libérons les. Vous êtes beaucoup sur l’interventisonisme de
l’État. Moi je crois, à un moment donné, qu’il faut arrêter. On en crêve de ça, l’État qui dirige
tout, qui donne des labels, des machins. Je crois que vous avez un projet, nous avec notre
formation, on peut vous montrer les incidences, les outils, les méthodes, qu’est-ce qu’être chef
d’entreprise, etc. Déjà ça montre pas mal de choses. Si après ça ils ont toujours envie
d’entreprendre, c’est qu’ils ont vraiment envie d’entreprendre !

Former les gens, pour résumer, cette histoire de guichet unique, pour faciliter la compréhension
des différents intervenants. Accompager sur la duréee, etc. Puis aussi post-création. « Qui
mieux qu’un chef d’entreprise pour accompagner un chef d’entreprise »… C’est notre slogan
au Réseau. Et on peut dupliquer ce schéma justement auprès des entrepreneurs plus sociaux, ou
alors vulnérables, fragiles.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Entretien n°4
Cet entretien a été téléphonique à la différence des premiers entretiens menés. Nous avons donc
une retranscription partielle, sur la base des prises de notes durant l’entretien. Nous avons
insisté sur le fait de ne pas déformer les propos de l’intervenant, nous avons donc reformulé de
façon soigneuse les dires de M. MONTOYO afin de pouvoir les analyser et les comparer avec
les autres entrepreneurs rencontrés.

Partie « récit de vie » de son parcours :

J’ai 52 ans aujourd’hui, je suis divorcé et père de deux enfants, un premier ou plutôt une en
parcours pharma, le second en école de commerce. Pour ma part j’ai fait l’Ecole Supérieur des
Arts et Métiers (ESAM). Ma première expérience professionnelle était durant un été, j’ai
travaillé à l’usine, à la chaine. J’ai trouvé ça absurde. Je me suis dit à ce moment-là que je ne
pouvais pas travailler comme ça, ou voir les gens travailler comme ça. J’ai fait cette école pour
devenir directeur d’usine(s) et changer les pratiques. Un rêve de gosse quoi.

Après j’ai une carrière en 4 étapes grosso modo, au cours de laquelle je suis jamais devenu
directeur d’usine. Je n’avais pas ce volet management, ce côté donneur d’ordre, etc. Par contre,
je savais conseiller, épauler, je savais accompagner ceux qui avaient le pouvoir en somme.

Dans mon travail, je découvre l’exigence de qualité à la japonaise, ça m’a marqué. Mais surtout
le rôle des salariés dans le processus de décision quand il s’agit d’amélioration, rôle qu’on ne
retrouve pas en France, dans très peu de structure.

Après, j’ai fait 6 ans dans l’embouteillage de Cognac, à la direction ingénierie, où j’ai développé
une filiale ergonomique, etc.
Puis j’ai fait 9 ans (chaotiques) dans le management de transition, l’intérim de diplômés. Je
faisais du remplacement d’ingénieur, directeur de bureau d’étude, j’ai découvert plein de
secteurs et de métiers, mais c’était quand même un peu précaire, instable, difficile.

J’ai ensuite fait 5-6 ans chez EIFFAGE, gestion de contrats de maintenance industrielle, etc.
dans le Sud-Ouest.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Je suis arrivé dans le Nord il y a quelques années, à 48 ans. J’ai quitté ma femme, pour suivre
une autre femme rencontrée dans le Sud. J’ai trouvé un boulot à Paris, chez APEX TOULS
GROUP, j’habitais alors à Lille avec ma compagne. Je me tapais les allers-retours matin et soir,
je vous laisse imaginer. Je n’ai pas tenu le coup physiquement, psychologiquement aussi.
C’était dur, bosser à 200 km de chez soi pour un groupe américain, 12h par jour, c’était
l’horreur.
Après deux ans comme ça, j’ai demandé/obtenu une rupture conventionnelle. J’étais en burnout
comme on appelle maintenant.

Depuis, c’est le chômage, pendant un an vraiment. Allez retrouver un emploi à 52 ans, avec une
carrière où je n’ai jamais fait très longtemps dans la même structure, dans une région qui n’est
pas la mienne, etc.
J’étais au repos, voire en dépression, je ne sais pas trop. Je me suis remis en question, à me
demander ce que je pouvais bien faire de ma vie, pour me relancer, pour repartir. Je me suis
retranché dans ma maison d’Oléron, au calme. J’étais épuisé du boulot, vraiment à bout…

Je n’ai jamais réellement eu confiance en moi, j’ai toujours eu ce manque de confiance qui m’a
empêché de passer un cap.

Un jour, j’ai assisté à un petit séminaire de Marc PAVAGEAU, un ingénieur des Arts et Métiers
aussi, appelé « Réveille ton étoile et deviens entrepreneur de ta vie ». C’était proposé par
l’association des anciens des Arts et Métiers pour les gens en repositionnement professionnel,
comme moi quoi. Ça m’a fait un bien fou !
Je me suis remotivé, je me suis remis en question, je me suis posé plein de questions aussi.
« Tu n’aimes pas le pouvoir, tu n’as pas été capable de devenir directeur d’usine, ton truc c’est
d’aider, d’accompagner, de conseiller, alors lance-toi seul, de toute façon t’es bloqué là » vous
voyez ?

Je me suis dit que je devais me créer mon propre emploi. J’ai trouvé un cadre qui me convient
pour l’instant, avec le « portage salarial » chez AD’MISSIONS. J’interviens ponctuellement
sur des missions, et je réfléchis à ma structure.

J’ai avancé, j’ai mis en ligne mon site internet, j’ai fait des salons, j’ai fait des formations et des
cursus d’accompagnement : atelier du marketing des consultants indépendants (6 demies

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
journées) ; j’ai contacté un ancien des Arts à la retraite qui accompagne des entrepreneurs
bénévolement, il m’aide beaucoup ; j’ai rencontré un autre, un consultant informatique, qui m’a
fait mon site internet.

Puis j’ai les réunions « portage salarial » tous les mois, mais j’ai l’impression que je m’entoure
mal. Vous savez, on est tous en souffrances là-bas, c’est une équipe de mecs en béquilles, je ne
pense pas que je devrais continuer… c’est comme vouloir construire un bâtiment solide avec
de mauvais matériaux et de mauvais ouvriers.

Je me fais accompagner par des connaissances pour la communication, le côté commercial un


peu, mais pas beaucoup. J’ai cherché un coach, mais j’ai vite regretté : je suis tombé sur une
ancienne DRH, hautaine, maladroite que j’ai failli étriper ! Tout ce dont j’avais besoin…

Vous savez, comme pour tout, vous avez plein de gens qui sont là quand ça va, mais dès que ça
ne va plus, il n’y a plus personne… Quand tout se casse la gueule, vous êtes seul à ramasser :
les CCI, boutiques de gestion, tout ça, plus personne.

Il y a ma conseillère Pôle Emploi dont je ne peux dire que du bien, elle est super. Mais elle est
pas disponible suffisamment, elle s’occupe de plein de choses, elle a très peu de temps, mais
c’est une très belle personne.

J’ai trouvé pas mal d’aide du côté du réseau des ingénieurs des Arts (Rexam), notamment
Etienne Pluvinage et sa formation à la démarche commerciale des consultants indépendants, je
l’ai trouvée utile, je l’ai bien ressentie. Mais ce n’est pas encore suffisant…
Je n’ai pas une âme « commercial », on me dit d’avoir une démarche par prescription plutôt que
ceci, cela, j’y comprends rien.

J’ai connu un autre moment difficile là, c’est quand il ne se passe rien. Rien du tout, pas un
appel, pas une demande de devis, pas une trace de quoique ce soit. Ces moments sont très
durs moralement, on a envie de tout lâcher, de tout envoyer chier.

Sur le plan personnel, en termes de soutien familial etc. c’est assez compliqué. Mes enfants ne
m’adressent plus la parole depuis le divorce. J’ai le soutien de ma nouvelle compagne, mais
mes enfants me manquent. Il y a la dame de Pôle Emploi qui me répond quand je lui écris, mais

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
elle a peu de temps, puis elle ne peut pas m’aider pour tout. Puis je vois toujours mon psychiatre,
parce que psychologiquement je pense que je suis assez faible. J’ai un gros manque de confiance
en moi, de motivation, etc. C’est dur. Ah, et il y a ma maman qui est là aussi, parfois trop !

Partie sur son avis quant à l’offre d’accompagnement telle qu’elle est aujourd’hui :

Les mecs, ils n’ont jamais créé et ils sont censés nous conseiller et nous accompagner ?
Ça me pose problème ça vous voyez… On ne vit pas dans le même monde, ce sont des planqués,
ils font ça pour bouffer, ils ne connaissent rien au quotidien d’un entrepreneur, encore moins
dans la situation que certains vivent, isolés, etc. Cette distance me dérange ! Il y a un cruel
manque de légitimité pour moi.
Ce que je cherche finalement, c’est des clients. Sur les aspects administratifs, et tout ça, on
trouve facilement nos réponses, sur internet, forums, etc. Et c’est gratuit. Et l’offre
d’accompagnement ne va pas assez loin sur ce chemin-là, le « post-création ».
Personne ne nous parle du côté personnel, de notre quotidien, du côté psychologique aussi.
Avant notre entrevue, je n’y avais même jamais pensé.
L’offre d’accompagnement n’inspire pas confiance en fait, les mecs ne donnent pas envie qu’on
se confie, ils en ont peut-être pas envie non plus, ils sont formatés pour donner tel ou tel conseil,
dans un cadre aseptisé, mais dès qu’on sort des clous, il n’y a plus personne sur le pont.

Je cherche des clients, et pour ça j’aurais besoin je pense d’un accompagnement par les pairs,
des mecs qui savent ce que je traverse, qui sont allés chercher des clients, etc. Qui propose ça ?
Personne…

Je suis en fin de droit Pôle Emploi dans moins d’un an, si ça ne décolle pas un minimum d’ici
là, je fais quoi ? C’est délicat…
Oui, si une offre de CDI me parvient, je la prends, même si ce que je fais en ce moment me
plaît. Mais un moment, il faut être réaliste, il faut manger…

L’offre aujourd’hui, on n’en a pas connaissance, c’est l’usine à gaz, ça part dans tous les sens !
Je ne sais même pas si j’ai tout vu, je cherche peut-être mal. Mais on en a trop, et personne ne
sait nous répondre parce qu’il y a des petites concurrences entre les structures aussi.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Et les mecs ne sont pas formés au niveau psychologique, ils vous jugent trop facilement je
pense, vous êtes mis dans une case et hop, adieu, on ne prend plus le temps de.

Puis comme je disais, ils manquent aussi de légitimité, comme moi en termes d’entrepreneur,
je manque de légitimité. Ils ne sont pas formés pour ça, ils ne savent pas répondre à ces
situations.
On ne les intéresse pas. Ils n’ont pas connu le stress d’être entrepreneur.

L’offre n’est pas claire, c’est une nébuleuse de l’accompagnement, trop technique, pas assez
concrète et attachée aux réalités.

On fait appel à des bénévoles dans des associations, qui ont une certaine légitimité, des anciens
entrepreneurs et chefs d’entreprise, etc. En dehors de ça, vous avez des consultants privés, mais
ils sont chers eux !

Les planqués des structures d’accompagnement aident, mais font semblant d’aider finalement.

Je proposerais de dépouiller le travail des chercheurs, des gens comme vous qui vous intéressez
à ces questions, et une analyse descriptive du problème. Parce qu’au final, j’ai le sentiment que
tout le monde en a conscience mais que personne n’ose se sortir les doigts du cul.
Il faut identifier les points faibles de chacun, vraiment comprendre le personnage.
Je mettrais en place aussi une évaluation des accompagnants par les accompagnés, mais sur des
critères moins techniques.

Il faut une offre personnalisée centrée sur l’accompagné.

Mais le problème n’est pas là, c’est une question d’emploi au plus global : de grosses entreprises
concentrent les emplois et demandent de travailler toujours plus à un nombre de plus en plus
restreint. Ils kidnappent l’emploi.

Pour moi l’aide actuelle est conçue pour les entrepreneurs par opportunité comme vous les
appelez, même si les gouvernants disent le contraire. Quand j’arrive avec mes rides on me
catalogue vite. Des jeunes me disent « je ne reviens pas pour ces conneries, ils s’en foutent de
nous » et on ne peut pas leur en vouloir.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Entretien n°5

Cet entretien a été téléphonique à la différence des premiers entretiens menés. Nous avons donc
une retranscription partielle, sur la base des prises de notes durant l’entretien. Nous avons
insisté sur le fait de ne pas déformer les propos de l’intervenant, nous avons donc reformulé de
façon soigneuse les dires de M. FIEBIG afin de pouvoir les analyser et les comparer avec les
autres entrepreneurs rencontrés.

Partie « récit de vie » de son parcours :

J’ai une Licence d’Economie en Allemagne, puis intégré HEC dont je suis sorti diplômé en
1998.
A ma sortie d’HEC, j’intègre un gros cabinet de consultants, qui a été malheureusement connu
sur la fin, ARTHUR ANDERSEN, en tant que consultant financier, auditeur, conseiller, un peu
tout. Ça tombait bien parce que je me cherchais un peu professionnellement.

Courant de l’année 2000, avec l’histoire qu’on connaît chez ARTHUR, séparation
ACCENTURE, ANDERSEN, je décide de rejoindre l’Allemagne, mon père et l’entreprise
familiale : une startup biotech qui compte aujourd’hui 80 salariés et qui prospère. Mon père au
début n’était pas du tout entrepreneur dans l’âme, mais il l’est devenu, et je me suis toujours
intéressé à ses questions et ses problématiques, même si pour moi l’entrepreneuriat était loin.

Je me suis cherché jusque 2005, date à laquelle je suis revenu en France et où j’ai commencé
une carrière de contrôleur de gestion, chez BONGRAIN GERARD, pendant 13 mois, avant
d’intégrer SANDOZ (groupe NOMARTIS), puis ALSTOM pendant 3 ans, sur la construction
de centrales à charbon en Pologne. Nous avons ensuite eu la crise de 2008, qui chez ALSTOM
ne s’est faite sentir qu’en 2010, car les projets sont longs, donc en 2008 tout allait bien et courait
jusqu’en 2010. PSE pour 10% des effectifs, mais je n’ai pas eu de chance, j’ai été viré quelques
semaines avant, pour incompétences…
Je n’ai pas eu droit au bagage confortable du PSE et un gros coup au moral d’avoir été licencié
pour incompétences.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Après cette mésaventure, j’ai connu une période de 2 ans de chômage environ, de juin 2010 à
septembre 2012. Période très difficile où je me suis demandé ce que j’allais faire, et si j’allais
finalement connaître un vrai CDI stable.
J’ai suivi une formation de reconversion « DRH » pour faire court, et ce dans le but de rebondir.
Cette formation était au sein de NEURONIGHTY, pendant deux mois, au cœur de la DRH. J’ai
adoré cette mission, je faisais de l’analyse d’indicateurs sociaux, de l’analyse de masse salariale,
de l’analyse statistique d’études de bien-être ressenti au travail face à l’annonce de telle ou telle
nouvelle, etc. J’alliais mes compétences financières techniques à un pan social de l’entreprise.
Au terme des deux mois, je participais à une réunion avec la direction, où mon travail était
présenté. Le DAF était intéressé par mon boulot et m’a donc trouvé un poste : je suis resté chez
eux au terme de ma formation.
J’ai fait un an, toujours pas de CDI.

En octobre 2013, j’ai intégré CLIMESPACE, groupe GDF à l’époque, où j’ai eu ma 1ère mission
de management de transition, mission terminée en juin 2014.

En septembre 2014, j’intègre une filiale de VINCI, mais ce fut une très mauvaise expérience.
Nous n’avons pas prolongé la période d’essai. La situation était délicate, le DAF était en
burnout mais ne voulait pas s’arrêter car il sentait que sa place serait prise à son retour, il avait
aussi la casquette de DRH, et donc il virait à tour de bras, je ne me voyais pas rester dans cette
organisation en perdition, c’était trop de stress, trop de pression, l’ambiance était horrible.

Je me retrouve donc encore au chômage. C’est à ce moment-là que je me pose la question du


salariat ou de l’entrepreneuriat. Chez Pôle Emploi, je me remets en question et je me dis que
ma seule option après un parcours comme le mien est de créer ma propre structure. J’ai donc
entrepris de créer une structure, créée en février 2015, une SAS qui va sauter l’échelon des
cabinets spécialisés en management de transition. Pas de changement de métier finalement,
mais j’interviens de façon contractuelle, comme avant en fait.
Je fais de l’intérim à la direction, du remplacement de congés maternité à direction de service.

Le secteur est en pleine bourre avec la crise, avec un marché du travail en France qui manque
de flexibilité, je fais comme les cabinets tels que MICHAEL PAGE par exemple, dans une
approche plus conceptuelle.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Partie sur son avis quant à l’offre d’accompagnement telle qu’elle est aujourd’hui :

Ce que je peux dire de l’accompagnement, de mon vécu, parce que c’est le sujet qui vous
intéresse, c’est que je n’y ai que très peu fait appel, voire pas du tout.
La CCI est pas mal, ils vous font toutes les démarches administratives fastidieuses, etc. Mais
pour l’accompagnement, c’est différent, je ne me suis pas senti intéressé, touché.
Comment voulez-vous qu’ils m’aident quand ils ne comprennent pas finalement ce que je veux
faire. Et quand ils n’ont jamais créé, ou même dirigé une entreprise ?

Après, Pôle Emploi, ça m’énerve, ils cherchent sans cesse des noises, comme pour nous
retrouver du jour au lendemain sans rien. Toujours plus de déclarations, de papiers à remplir,
des délais qui changent sans cesse, ils sont sous l’eau. Ils nous mettent finalement des bâtons
dans les roues, peut-être sans le vouloir, ok, mais quand même…

Je n’ai pas eu recours à autre chose, je n’en ressentais pas le besoin. Puis en cherchant, c’est
tellement complexe, vous avez une structure qui aide tel entrepreneur, une autre qui aide un
autre type d’entrepreneur, selon les montants, les projets, l’origine, la localisation, etc. comment
s’y retrouver…
Donc je suis parti seul dans l’aventure.

Je pense avoir les compétences techniques requises pour mon offre, compétences métiers, je
connais mon secteur, j’ai les compétences humaines.

Ce que je n’ai pas, c’est la compétence commerciale, pour aller chercher le client, démarcher,
séduire, me vendre quoi. Et ça, il n’y a pas d’offre d’accompagnement qui va dans ce sens.
Personne n’accompagne « post-création ». Il n’y a pas non plus d’aide au business plan, que je
connaisse, en tout cas.
Voilà, il n’y a pas d’offre d’accompagnement pour demain. Ok, on m’aide à choisir des statuts,
à remplir les Cerfa, à répondre au « B-A BA » de l’entrepreneuriat ; mais les clients, on va les
chercher comment ? Je regrette ça !

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
L’offre d’aujourd’hui est trop axée sur l’administratif mais pas assez sur la réalité, sur le côté
commercial, sur comment aller gagner des clients, ni sur le profil du porteur de projet. C’est
triste.
Pour moi c’est un problème d’égo, un problème politique.

Partie réponse à quelques questions que j’ai posées :

Mon offre n’est pas porteuse d’innovation, ni créatrice d’emploi.


Je manquais de confiance en moi, j’ai toujours manqué de confiance en moi.
Je ne pense pas avoir été en situation de fragilité psychologique.
Je bénéficie d’un fort réseau professionnel de par mon parcours.
J’ai connu le licenciement, puis le chômage, qui m’ont conduit finalement à entreprendre.
J’étais abrité sous Pôle Emploi, il ne me restait plus longtemps, je ne trouvais pas de boulot, je
me suis lancé.
J’ai une expérience du domaine dans lequel j’entreprends.
J’ai adopté une approche opportuniste, au fur et à mesure de mes réflexions, mon projet n’était
pas très structuré.
Je n’ai pas ressenti le besoin de soutien psychologique, émotionnel ou affectif. J’ai eu
néanmoins le soutien de mon entourage, ça simplifie les choses dans les périodes de doutes,
oui.

Je proposerais d’arrêter Pôle Emploi, d’arrêter l’assistanat, je suis plutôt libertarien. Ma


formation d’économie, mon penchant libéral revient : je suis pour une organisation libérale de
la société, qui pour moi est la pensée la plus équitable et égalitaire qui soit.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Entretien n°6

Cet entretien a été téléphonique à la différence des premiers entretiens menés. Nous avons donc
une retranscription partielle, sur la base des prises de notes durant l’entretien. Nous avons
insisté sur le fait de ne pas déformer les propos de l’intervenant, nous avons donc reformulé de
façon soigneuse les dires de M. SIMON afin de pouvoir les analyser et les comparer avec les
autres entrepreneurs rencontrés.

Partie « récit de vie » de son parcours :

J’ai 24 ans. Je suis autoentrepreneur depuis deux ans maintenant, j’entre dans ma troisième
année. Mon parcours est assez drôle, il surprend. J’ai fait un BEP Ébénisterie en deux ans.
Pendant ces deux ans, j’ai commencé à couper les cheveux des copains, puis à prendre goût à
la coiffure. Je coupais de plus en plus de copains, de copains de copains, etc. Après mon BEP
obtenu, à contrecœur puisque ça m’intéressait plus trop, j’ai commencé un BEP Coiffure, dans
un établissement privé. A côté de ça, j’étais livreur de pizza le soir. Ça me permettait
d’alimenter mon compte en banque et de payer ma formation de coiffeur.
Je vivais (et vis toujours) chez mes parents donc je n’avais pas trop de frais.

J’ai obtenu mon CAP Coiffure au terme des deux ans et j’ai eu une année « sabbatique » où en
fait je ne trouvais pas de boulot. Je voulais continuer sur un Brevet Professionnel, donc je
cherchais un patron, mais je ne trouvais rien. On me disait tout le temps que j’étais trop vieux
– on fait ça à 16-17 ans en général, pas à 21 ans. Apparemment, un patron qui prend un BP à
21 ans, il paie 25% de plus de charges, ou je ne sais quoi. Bref toujours est-il que je n’ai jamais
trouvé de patron pendant un an, pas faute d’avoir cherché.

J’ai galéré pendant plus d’un an avant de me dire « bon allez, lance toi tout seul ». J’ai donc
démarré mon activité d’autoentrepreneur en quelques clics. Je n’avais pas de clients, enfin si,
mes copains toujours, mais c’est dur. Ça commence seulement à aller mieux au bout de trois
ans presque. Mais c’est difficile d’aller chercher des clients quand on n’a jamais étudié ça et
qu’on n’a pas les filons.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Je n’ai jamais eu d’accompagnement. Enfin, je n’en ai jamais voulu plutôt. J’avais approché
l’ACCRE mais ils me demandaient tellement de papiers que ça m’a démotivé. J’ai abandonné
face à la montagne de justificatif dont je ne comprenais même pas l’intitulé. J’ai lâché l’affaire,
je me suis lancé tout seul sans accompagnement.

Si je devais choisir un accompagnement, ce serait sur la recherche de clients, c’est la base. Puis
sur comment faire sa pub, ses cartes de visite, flyers, comment fidéliser, relancer, etc. C’est un
monde qu’on ne soupçonne pas tant qu’on n’est pas dedans.

J’ai fait deux formations à la Chambre des Métiers et de l’Artisanat, mais pas d’une grande
utilité… Je ne me souviens même plus du contenu, c’était généraliste et ça ne me concernait à
peine voire pas du tout.

Sur le côté psychologique, j’avoue que j’y croyais à moitié à cette histoire. Je me suis vraiment
lancé parce que je ne trouvais rien d’autre, pas de boulot, pas de patron, et que je ne me voyais
pas livrer des pizzas toute ma vie !

J’ai commencé vraiment pour ramener un peu d’argent en plus, mais je pensais que ça serait
temporaire, que de toute façon ça n’avancerait pas des masses.

Partie d’échange semi-directif

A la question de savoir si les pouvoirs publics et les entrepreneurs ont un intérêt à voir les
choses changer en termes d’accompagnement, ma réponse est oui, clairement ! Surtout pour les
entrepreneurs comme nous. On est lâché dans le bain comme ça, sans rien, sans filets, sans
savoir ce qu’on attend de nous. Et donc on se dit qu’il y a de l’accompagnement, mais il sert à
qui finalement, si ce n’est pas à nous ?

On est tenté de faire du black, parfois on ne déclare pas, soit parce qu’on ne veut pas, soit parce
qu’on ne sait même pas. Il y a des trous juridiques, je trouve. Puis sur le plan de l’auto-
entrepreneuriat, il y a déjà dans le concept un truc qui me dérange : pourquoi moi j’ai 30% de

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
charges sur mes prestations de services alors que si je fais de la vente, je passe à 12% ? Ce n’est
pas juste. Ou alors en tout cas, je ne comprends pas en quoi ça l’est.

Pour répondre à votre idée d’un espace collectif, je suis pour à 200% ! Et la question se pose
pour avant comme pour après la création. Je vois aujourd’hui je cotise pour des formations et
tout, mais je ne sais même pas comment en bénéficier, à qui m’adresser et les formations
proposées. On est la tête dans le guidon, puis on ne sait pas où trouver l’information dans la
multitude de trucs qu’il y a.
Un espace collectif permettrait de combler ça. Il y en a bien un dans le collectif qui saura
répondre et aiguiller les autres. Puis échanger c’est important, je vois même pour des techniques
de coupe, du matériel, ou je ne sais quoi. On n’est souvent seul dans notre boulot. On voit des
clients, mais ça reste des clients, il n’y a pas ce même partage.

Apprendre de l’autre est important quel que soit le domaine.

Autre point à aborder est sur l’accompagnement en lui-même, et ça répond à ce que vous venez
de me demander : les accompagnateurs. Personne à l’ACCRE n’a jugé bon de conseiller, de me
dire de revenir, de m’expliquer, de venir me chercher. Ils s’en foutent. Ils brassent comme à
l’usine, font leur chiffre et hop, suivant. Nous ne sommes pas assez encadrés, on est livrés à
nous-mêmes. Par exemple, en 5 minutes sur internet j’étais devenu patron. C’est bien. Mais
ensuite. J’avais mon numéro SIRET mais je ne savais pas ce que c’était, je ne savais même pas
quoi en faire. Puis le plus dur commençait finalement…

J’aurais aimé rencontrer un autre autoentrepreneur de mon âge, coiffeur même, qui me dise
« fais ça, ne fais pas ça », etc. J’aurais adoré ça, surtout la première année. Parce qu’après, sur
l’avant création, pas tellement, parce que ça se fait si vite sur internet, et ma décision s’est prise
en deux jours. Mais avec du recul, j’aurais aimé faire les choses autrement, oui.
Mais là, surtout la première année. On a notre business, mais aucun client, rien. On se démotive,
on lâche prise, on se lève moins le matin, on attend que ça vienne. Si un autre entrepreneur vient
t’accompagner à ce moment-là, tu reprends le sourire, tu as à nouveau envie d’y aller quoi. Mais
faut venir nous chercher je pense, c’est ça qui doit coincer en fait.

Ma vision de l’accompagnement là ? Ben, un accompagnement technique et psychologique


avant. Vraiment être sûr de se lancer. Après, je sais que tu m’aurais dit « Anthony, n’y va pas »,

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
j’y serais allé quand même. Je n’avais pas vraiment le choix. Puis j’avais 21 ans, pas de gosse,
pas de loyer, que dalle. Donc rien à perdre. J’avais déjà le matériel, j’ai juste acheté une voiture
pour bouger à droite à gauche, mais c’est tout. Mais j’imagine qu’un père de famille, il réfléchit
différemment.
Ensuite, dans la période après création, je favoriserais un accompagnement psychique, plus que
psychologique. Surtout la première année, pour garder le moral, le sourire, l’envie. Parce
qu’après, le côté technique, une fois que c’est lancé, on s’adapte, on apprend, etc. Mais faut que
ça bouge au début surtout, et la première année est cruciale.

Non, sinon, je n’avais pas de réseau personnel pour m’aider, c’est un milieu que je n’ai pas
vraiment autour de moi. Par contre j’avais un bon réseau de coiffeurs « sédentaires » à qui je
pouvais demander des conseils, sur des coupes, du matériel, etc. mais rarement sur des aspects
entrepreneuriaux finalement. J’aurais sans doute pu oui.

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Entretien n°7

Retranscription Guillaume Desmoulins, co-fondateur startup « Co-city »

Partie « récit de vie » et parcours

J’ai étudié un Master d’« Economie et politiques publiques » à Barcelone, puis une spécialité à
Sciences Po. Aix-en-Provence en « Actions publiques territorialisées ».
J’ai fait des stages dans les administrations publiques essentiellement, à la Commission
Européennes puis à l’OCDE.
C’est lors de mon stage à l’OCDE que j’ai eu l’idée que je porte aujourd’hui, même si je
m’intéresse depuis longtemps à l’entrepreneuriat social, l’innovation sociale.

J’ai, avec mon associé, participé à un concours d’entrepreneurs sociaux de l’Essec, nous avons
atteint la finale mais échoué à ce stade !

Avez-vous été accompagnés ?

Au niveau de l’accompagnement, nous avons été accompagnés pendant trois mois suite à notre
place de finaliste du concours de l’Essec, puis nous avons aussi bénéficié d’un accompagnement
de la part de « Ouishare », plateforme à but non-lucratif dédiée à l’émergence et au soutien de
l’économie collaborative.

L’accompagnement de l’Essec était proactif, nous devions entrer en contact avec eux, nous
devions aller les chercher. Il y avait un groupe de 4 mentors (un consultant Deloitte, un avocat,
etc.) qui étaient volontaire pour ce programme. Ils étaient accessibles, ils connaissaient
parfaitement leur métier, compétents, etc. nous les voyions toutes les deux semaines, nous
devions les solliciter.

Sur quoi vous ont-ils accompagnés ?

Ils nous accompagnaient sur des questions techniques, que nous voulions, des aspects
juridiques, question du financement, la montée du business plan, structuration de notre projet,
etc.

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
Nous avons besoin aujourd’hui de définir clairement notre business model, et notre statut
juridique, association, SAS, etc. C’est flou.

Avez-vous eu un autre accompagnement ?

L’accompagnement « Ouishare » était différent. C’était une fois par semaine, un


accompagnement par d’autres entrepreneurs anciennement accompagnés, par les pairs. Nous
venions avec nos questions, ils nous répondaient, partageaient leur expérience, etc. C’était
vraiment intéressant de rencontrer ce genre de personne.

En plus de La Ruche, nous sommes aussi à L’Archipel, un autre espace collectif et collaboratif.

L’accompagnement était-il adapté, et le serait-il pour un entrepreneur par nécessité ?

Je pense que l’accompagnement était adapté à nos besoins, après, j’avoue que pour un
entrepreneur par nécessité, ça peut être différent. Si vous me dites qu’ils ont plus besoin d’un
accompagnement psychologique que technique, je ne pense pas que le consultant Deloitte ou
l’avocat fiscaliste soient préparés. Mais je pense que l’organisation orienterait vers une
personne plus à même de répondre. Mais je n’en suis pas sûr. Je ne pense pas que ce genre
d’entrepreneurs passerait par ce genre d’organisation de l’Essec, puisque c’est réservé aux
étudiants, etc.

Que pensez-vous de ce genre de structure ?

C’est vraiment bien comme accompagnement. Oui c’est un accompagnement indolore, on n’a
pas l’impression d’être accompagné, j’avoue que je ne l’appelais pas comme ça avant d’en
parler avec vous.
Mais oui, c’est bien, on se fait plein de contacts, on peut trouver des entrepreneurs pour nous
faire notre charte graphique autour d’un café, échanger de bons procédés, des petits services,
de l’entraide, poser nos questions. On a aussi pas mal d’événements pour rencontrer d’autres
gens, sortir de notre bulle.

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Comment vous sentez-vous moralement ?

J’en chie ! C’est vraiment dur…


On en chie tous les deux je pense, mais là, il était en vacances donc j’étais tout seul pendant 2-
3 semaines, c’était l’horreur. C’est quand même plus simple à deux, on se soutient, on se
remotive, on s’accompagne mutuellement.

Bénéficiez-vous d’un réseau ?

Oui, pour ça nous avons de la chance. Je comprends l’enjeu pour les entrepreneurs par nécessité,
nous ne sommes pas à plaindre dans notre cas. Nous sommes financés par nos parents : loyer à
Paris, argent de poche, etc. C’est une chance que peu ont. Nous sommes aussi proches du
GNIAC (Groupement National d’Initiatives et des Acteurs Citoyens) qui nous fait bénéficier
de son réseau intéressant. C’est important pour parler de nous, rencontrer des gens, présenter
notre idée.

Que pensez-vous des idées suivantes ?

Il y a un intérêt pour les pouvoirs publics et les entrepreneurs par nécessité à voir une
réorientation des stratégies et objectifs de l’accompagnement entrepreneurial.

J’en suis persuadé, avec ce que vous m’avez expliqué ! Je ne connais pas bien la condition des
entrepreneurs par nécessité, faute d’en connaître, mais je sais ce que vit un entrepreneur, et je
me sais bien loti (parents, amis, financièrement, etc.). Et j’ai choisi de faire ça. J’aurais pu
continuer dans les institutions européennes, mais j’ai décidé de tenter ma chance. Mes parents
sont derrière, etc. Donc sans tout ça, je ne sais pas où je serais. Et dans le climat des finances
publiques actuellement, je conçois qu’il faille travailler sur ces aspects.

Favoriser un espace de travail collectif, combinant entrepreneurs par nécessité et


entrepreneurs par opportunité, contribue à compenser les déficits des premiers pour favoriser
leur réussite sans altérer celle des seconds.
Oui, quand je vois ce que ça donne avec nous et les autres que je connais, ça ne peut que faire
du bien ! Ça permettrait de dynamiser les entrepreneurs par nécessité, de les garder hors de

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Mémoire de recherche – Maxime Dupont – EM Normandie - 2015
l’eau. Et ça permettrait à certains de redescendre de leur petit nuage aussi, de revenir sur Terre.
Non, je pense que ça peut être bien. Quoi de mieux que les espaces collectifs pour échanger…

La mise en place d’une formation spécifique des accompagnants et la priorisation d’un


accompagnement combinant individualisé-collectif sont des paramètres clés dans la réussite
des entrepreneurs par nécessité.

Ça dépend de l’entrepreneuriat et du projet. Quand on prend par exemple ce genre de structure,


collective, etc. Les personnes y intervenant sont généralement préparées à un public « social »
dans le sens qui puisse être fragile, vulnérable, délicat. Il y a ici des entrepreneurs handicapés,
et tous les projets sont à caractère social, donc il y a une ambiance qui permet d’être prêt. Après,
l’entrepreneuriat classique, quand on pense à la CCI, etc. je ne pense pas qu’ils soient préparés
plus que ça. Comme Pôle Emploi par exemple aussi. Ici on ne juge pas la personne ou le projet,
on est ouvert.

La préférence d’un accompagnement par les pairs est importante chez les entrepreneurs par
nécessité, plus enclin à s’ouvrir à ce type d’interlocuteurs.

Tout à fait d’accord, il faut le leur demander, mais pour ma part en tout cas, je trouve ça
important. On sait que la personne à qui on parle est déjà passée par là. C’est une question de
légitimité. Ils sont d’une bonne aide, plus ouverts, plus aidants, plus à fond. Je vois à Ouishare,
c’était génial en termes de niveau d’échanges.

Avez-vous une proposition de l’évolution de l’accompagnement selon vous ?

Il faudrait un espace de coworking hybride avec des moments individuels, un rendez-vous


hebdomadaire pour faire le point, pour suivre le projet. Et le reste du temps serait sur la base
collective, insérante, bénéficiant des événements proposés, etc.

Il faudrait revoir la question du financement, leur proposer un accès gratuit parce que les
structures comme La Ruche ou L’Archipel et autres, c’est très couteux. C’est réservé aux bobos
du 10ème si je veux pousser.

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Si on permettait à ces entrepreneurs d’intégrer nos structures et de bénéficier gratuitement (pour
eux) de l’opportunité, je suis sûr que ça changerait la donne.

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