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Anthropologie des développeurs

de jeu vidéo
NAND301 / Séance 6
Regard « anthropologique »
• L’anthropologie
– Anthrôpos = être humain ; logos = étude, discours
– Anthropologie = science qui étudie l’être humain,
particulièrement le social, le culturel et le langage

• Une entreprise / studio :


– Social : hiérarchie, genre sexuel, éducation, titre, rôle…
– Culturel : valeurs, goûts, intérêts, identité, éducation…
– Langage : unique, partagé, pluriel, construction du réel
Regard « anthropologique » sur les
développeurs de JV
• Les comprendre mieux en tant que :
– Culture et identité communes distinctive des
« développeurs de JV »
– Groupe ou communauté …construit et reconstruit
socialement
– Comprendre leurs mode de vie, de pensée, de
travailler, …leurs coutumes, rites, langages
symboles
Regard « anthropologique » sur les
développeurs de JV
• Les développeurs de JV forment en soi une
communauté occupationnelle (Weststar, 2015)
– Le travail et la passion des développeurs
définissent leur identité et leurs compétences
– Communauté floue et mal étudiée
– On peut la définir à partir de 4 éléments clés
Communauté occupationnelle des
développeurs de JV
• 4 éléments clés
– Frontières : membres / non-membres
– Identité sociale : basée sur leur occupation, soi-
même aux yeux des autres (jargon, habillement,
conventions, codes, références)
– Groupe de référence : en comparaison aux autres
membres de la communauté des devs
– Relations sociales : ambiguité entre travail/loisir,
création de liens sociaux collègues/amis
Communauté occupationnelle des
développeurs de JV
• Frontières :
– Connaissance d’un langage spécialisé (jargon)…les
terminologies de la production de JV, mécaniques
gameplay, conventions dans les JVs
– Rythme intense de travail, overtime, crunch
• Identité sociale et groupe de référence :
– Passion pour jouer et créer des JVs…en faire son
travail
– Apprentissage autodidacte
– Forte dédication au travail au sacrifice du reste (ex.
amis, sorties, voyages, etc.)
Communauté occupationnelle des
développeurs de JV
• Relations sociales :
– Intérêts et hobbies liés au travail
– Tendance à se tenir entre eux
– Relations sociales extérieures difficiles parfois, en
raison des longues périodes de travail
– Ils ne se verraient pas faire autre chose
– Ils se sentent différents des autres domaines
Communauté occupationnelle des
développeurs de JV
• Valeurs et normes importantes :
– Valeurs : vouloir créer un bon jeu, la joie de divertir
les autres et d’être en équipe, la créativité
– Valeur : vouloir légitimer son travail comme une
forme d’art distinctive et acceptable
– Norme : la reconnaissance, la référence passent
beaucoup par le « peer group »…groupe de pairs (ex.
linkedin)
– Normes : beaucoup de normes et de valeurs
proviennent de la culture des JVs ou de l’industrie
• The communal and adminitrative control
strutures ….(institutions)
Le langage
• Tout langage est une vision de l’univers, un
cadre de connaissance et d’action sur cet
univers
– Le langage signale le sens qu’on donne à son rôle,
à sa place et à ceux des autres
– Ceci a une influence directe sur les relations et
comportements auprès des autres
Le langage
• En nommant une chose, je la fais exister
– Chez l’être primitif, savoir le nom, c’est avoir
puissance sur la chose
– Chez l’enfant, savoir le nom, c’est avoir saisi
l’essence de la chose et pouvoir dès lors agir sur
elle
– « On n’a pas transformé les hommes aussi
longtemps qu’on n’a pas modifié leur façon de
parler. »
3 fonctions de la parole
• Ontologique :
– Nommer les choses, les faire exister
– Donner une signification au réel (phénomène)
– Ontologique = « être », « fait parti du monde réel »

• Communicationnelle :
– Émettre/recevoir un message, échange et circulation
d’informations sur une chose, expression sur la chose

• Rhétorique :
– Persuader, convaincre, argumenter défendre une idée
Représentation de l’existence d’une
personne
• Exister en société
– Une personne existe parce qu’elle a un nom
enregistré, une adresse, un n.a.s., etc.
– Certificat de naissance = preuve d’existence

• Exister au travail
– On existe par notre titre, nos tâches, nos habiletés,
points de vue, traits de personnalité, etc.
– On existe par ce qu’on dit / ce que les autres disent
de nous-mêmes
– Dire = représenter, donner du sens
Règles implicites/explicites
• Explicite :
– Ce qui est mis en lumière, nommé, décrit, mis en mots
• Implicite :
– Ce qui est laissé caché, non écrit, sous-entendu, tacite, pris
pour acquis
• Exemples de règles implicites
– En prison : « ne pas dénoncer »
– Au travail : « ici, on assume qu’il y aura de l’overtime non
payé » ; « ce sont eux les vrais décideurs légitimes »
• Dans le travail, on peut retrouver
– Des règles non-écrites, sous-entendues par tout le monde
– Des troubles et disfonctionnements ; « l’éléphant dans la
pièce »
La parole dans la vie de l’entreprise :
faits et méfaits (Aktouf, 1986)
• Recherche en gestion : place et rôle de la
parole dans le travail
• Langage = facteur clé pour comprendre les
situations et comportements au travail
– Usage/non-usage de la parole
– Types de discours
– Langage = manière de se représenter le monde
social et culturel
– Influence directe sur les relations de travail et les
comportements
2 langages presqu’inverses
1. Langage des dirigeants (contremaîtres)
2. Langage des dirigés (ouvriers)

• En industrie du jeu vidéo :


– Langage divers entre gestionnaires (managers,
coordonnateurs), artistes, designers, programmeurs,
clients, usagers, etc.
Langage des dirigeants (managers)
• Une langue de bois ; une langue de lettrés
– L’importance de « bien parler »
– Utiliser des formules toutes faites pour le paraître
conforme à la classe
– Système de code du monde perçu « supérieur »
– Volonté d’établir une coupure avec le parler des
ouvriers

• Contenu du langage :
– Productivisme, amour du produit, la « famille »,
jargon comptable, chiffres, mesures, vocabulaire
officiel de management, entreprise « bienfaitrice »…
Langage des dirigés (ouvriers)
• Un parler direct, sans fioritures ni effets
– Sauf pour les ouvriers qui veulent monter en
hiérarchie (pouvoir)
– Obscur postulat : Les ouvriers qui parlent sont
considérés non productifs

• Contenu du langage :
– Les contremaîtres sont : des chiens, crosseurs,
féroces
– Des « malades » et « mangeux de marde »
Une forme de « non-dialogue »
• La place du langage et de l’échange verbal
dans la construction de soi et dans les
relations interpersonnelles
– Un dialogue possible seulement si l’employé dit et
pense comme ce qu’on veut lui inculquer
– On attend un « écho » chez l’ouvrier, pas son
point de vue propre (« faire écho ou se taire! »)
• Une illusion, une fausse conscience
• Discours étranger à l’ouvrier et à sa position
Lutter pour parler, pour vivre, pour
« être »
• Un enjeu important de la parole pour la vie en
entreprise
– Monter en carrière : monter plus vite en ne
parlant pas, pour avoir l’air sérieux et distant
– « Bon » dirigeant : celui qui parle aux ouvriers
(qui les fait exister) = celui qu’on aime
– Rôles insignifiants : ne pas « être » par son travail
mais « être » par la parole ; reconstruction de soi
et désir de se raconter
Langage et réalité en entreprise
• Par la parole, je peux exprimer mon refus de la
réalité du travail ; ça me permet d’« être »
ailleurs, de me « représenter » ailleurs

• Langage de destruction et d’autodestruction


– « mieux vaut mourir que faire ça toute sa vie »
– « je ne suis qu’un mort-vivant »

• Les postes les plus convoités sont ceux qui


permettent de jaser avec les collègues
Langage et réalité en entreprise
• Les dirigeants qui se tenaient avec les ouvriers
– Ils étaient perçus mous et trop familiers selon les
autres dirigeants
– L’importance de rester à sa place, selon son rang,
ne pas se rapprocher…
– L’intérêt à incarner sa classe, son statut, sa place
hiérarchique, etc.
Langage et réalité en entreprise
• Processus de « récupération » :
– L’usage de noms ronflants pour désigner des activités
identiques, des postes interchangeables et misérables

• Exemples :
– Machiniste, opérateur, instrumentiste…chefs de…

• Le langage occulte la réalité


– La magie des titres : faire croire que les activités et
gestes sont différents ; faire croire que l’on est autre
chose, parce que l’on « fait » autre chose
Langage et réalité en entreprise
• La vie dans le travail = système
hiérarchisé fondé sur 2 univers
opposés « dirigeants/dirigés » :
Dirigeants
– Qui prédétermine les rapports
humains/sociaux
– Qui prédétermine les Dirigés
représentations (sens,
significations)
• L’entreprise est fondée sur une opposition…niée
à travers le discours des dirigeants
– Une opposition de langage et de construction de la
réalité
Langage et réalité en entreprise
• Parole et violence
– Les membres de la hiérarchie ne s'adressent à un employé
que lorsqu'il y a problème

• Fonction ontologique
– Exister, « être », par la parole/non-parole ; se parler,
dialogue interne

• Fonction narcissique
– Un ouvrier qui se sent aimé va du coup s’aimer soi-même

• Fonction « phatique » : être ensemble


Implications pour la gestion humaine
• Plus rapide d’opérer verbalement qu’à l’écrit
– Résoudre des conflits par la conversation orale, pas
par l’écrit
– Privilégier les relations verbales pour clarté et
harmonie

• D’autres recommandations
– Mieux considérer le statut des employés « dirigés »
– Mieux voir la parole comme est un outil de pouvoir et
de construction de l’identité
Des solutions?
• La nécessité de créer des espaces de
discussion sur le travail
• Exemple :
– Faire des groupes de discussion formés de
travailleurs :
– Exprimer et prendre en charge les dilemmes le
travail réel
– Pour la bonne santé travailleurs et pour la
performance des entreprises
Décrire son travail
• Problème majeur :
– Parler de son travail est une tâche compliquée
– Distance entre ce que fait le travailleur et ce qu’il
est en mesure d’en dire
• Exemple :
– Savoir très bien nouer ses lacets mais être
incapable de le décrire en mots à quelqu’un
Décrire son travail
• Développer et enrichir son langage pour
mieux décrire son travail
– Clarifier les situations, les enjeux, les conflits, les
réussites, les erreurs, les apprentissages

• Le journal réflexif va dans ce sens


Prochaine séance :
• La pensée technique

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