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Bujan Solange. La Chronique du prêtre de Dioclée. Un faux document historique. In: Revue des études byzantines, tome
66, 2008. pp. 5-38;
doi : https://doi.org/10.3406/rebyz.2008.3031
https://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_2008_num_66_1_3031
Résumé
L’auteur remet en question le consensus largement accepté par l’historiographie selon lequel le «
texte du Diocléen » ou Chronique du prêtre de Dioclée est la plus ancienne source narrative slave
du sud. En analysant les éditions et manuscrits existants, elle démontre que ce récit de l’histoire
des Slaves du sud du 6e à la fin du 12e siècle est un faux document historique. C’est le bénédictin
Orbini qui en fut l’artisan au 16e siècle, à partir de sources réellement historiques et inédites à
l’époque, d’extraits de sources bénédictines et d’éditions d’historiens byzantins récemment parus.
Cette étude permet de recouvrer l’identité usurpée du véritable texte du Diocléen, une chronique
ragusaine anonyme, et de restituer sa place dans l’historiographie au texte de Marulić considéré
jusqu’alors comme une recension abrégée du texte du Diocléen. enfin, l’auteur explique de quelle
façon l’édition critique du texte par Lucius au 17e siècle n’est pas la traduction originelle d’un
ancien texte slave, mais la rétroversion en latin du texte qu’Orbini fit paraître en italien. L’édition
parachève le mythe d’une source prétendument médiévale.
La ChRonique du pRêTRe de dioClÉe
un faux document hIStorIque
Solange BuJan
des Slaves du sud du haut moyen Âge, à travers la lignée continue de leurs
souverains. enfin, le sens qu’avait l’œuvre dans l’esprit de l’auteur demeure
mal établi, et les études qui lui sont consacrées attribuent à sa rédaction un but
religieux ou des motivations politiques.
ces divergences d’appréciation sont autant de difficultés dues au fait que
nous ne possédons aucune trace matérielle du texte originel supposé, et, bien
que l’historiographie ne rejette pas l’hypothèse d’une première rédaction en
vieux-slave, antérieure à la rédaction latine censée être de la fin du 12e siècle,
elle reste impossible à prouver matériellement. Le fait que l’œuvre soit
demeurée méconnue de l’historiographie médiévale serbe, alors que l’on
retrouve l’empreinte de certaines parties chez les auteurs occidentaux, notam-
ment dans la chronique vénitienne du doge dandolo, écrite dans la première
moitié du 14e siècle, ne fait qu’accroître le mystère qui entoure son apparition.
on place donc généralement la naissance du texte latin à la fin du 12e siècle
en l’expliquant par la situation particulière de la dioclée, carrefour de ren-
contres entre la civilisation byzantine, à laquelle elle est soumise politique-
ment, et le monde latin d’occident, auquel elle appartient en matière reli-
gieuse. Le « texte du diocléen », un hypothétique texte slave du 12e siècle
connu uniquement à travers des traductions latine et italienne, se trouve ainsi
au centre d’un vaste débat, vieux de plus d’un siècle, qui va de l’acceptation
totale au rejet le plus catégorique.
les éléments d’histoire du texte
malgré les innombrables études consacrées à l’œuvre, il est évident que
l’histoire du texte est un aspect qui est demeuré un peu à l’écart des
recherches conduites jusqu’à maintenant.
Ludovik crijević tuberon (1458-1527), humaniste ragusain, auteur des
Commentaria de temporibus suis (notes sur son époque), serait le premier
auteur connu à citer « l’historien de dioclée ». on estime qu’il fut en posses-
sion du « texte du diocléen ». ce dernier ne nous est pourtant connu que par
des éditions tardives.
L’édition princeps, qui date de 1666, est due à Ivan Lučić [Joannes
Lucius] (1604-1679), un historien de dalmatie natif de trogir, qui publia le
texte sous le titre de presbyteri diocleatis Regnum Slavorum (royaume des
Slaves du prêtre de dioclée) dans le de Regno dalmatiae et Croatiae, libri
sex (du royaume de dalmatie et de croatie, en six livres) 1. Lucius dit en
avoir trouvé le texte d’origine. c’est pourquoi le Regnum Slavorum édité par
l’historien est considéré comme le témoin le plus proche de l’original, dont
nous n’avons pas de trace directe, et c’est sur cette édition que se fondent les
études faites sur l’œuvre.
Il existe une seconde édition, plus ancienne, qui se présente comme la tra-
duction en italien du texte intégral par l’historien bénédictin de raguse,
1. JoanneS LucIuS, de Regno dalmatiae et Croatiae, libri sex, amsterdam 1666 (ci-après :
LucIuS, de Regno).
La chronIque du Prêtre de dIocLÉe 7
mauro orbini (1555/56-1610). elle est publiée en 1601 dans la seconde partie
de son Regno de gli Slavi (p. 205-239), où le texte porte le titre de Rè di
dalmatia et altri luoghi vicini dell’illirico dall’anno del Signore 495. Fina
1161 (Les rois de dalmatie et des autres lieux voisins de l’Illyrie depuis l’an
495 du Seigneur jusqu’à l’an 1161). Sans filiation apparente, les textes
publiés par orbini (Rè di dalmatia) et par Lucius (Regnum Slavorum) sont
habituellement considérés comme indépendants l’un de l’autre.
mais il faut ajouter une troisième recension, le Regum dalmatiae et
Croatiae Gesta (Geste des rois de dalmatie et de croatie) en latin de l’huma-
niste de Split, marko marulić (1450-1524). communément appelée
Chronique croate, cette recension ne comporte pas l’intégralité du texte de
Lucius et d’orbini. Le Regum dalmatiae est également édité pour la première
fois dans le de Regno dalmatiae et Croatiae de Lucius.
une hypothèse à rebours du consensus
Pour simplifier la tâche du lecteur, nous présenterons par avance l’essen-
tiel de nos conclusions sur la genèse du texte, avant d’exposer le chemine-
ment parfois laborieux qui nous a conduite à remettre en question “de l’inté-
rieur” ce consensus. notre hypothèse fondamentale est que deux sources
authentiques de la fin du moyen Âge — le Regum dalmatiae latin de marulić
et les Annales Ragusini Anonymi, en italien, à travers l’érudit dalmate
tuberon — ont servi de base à un moine bénédictin de raguse, orbini, pour
publier en 1601 son livre Rè di dalmatia en italien, qui amalgame ces sources
avec des éditions d’historiens byzantins récemment parues pour produire une
continuité narrative plausible attestant depuis une date haute la continuité
d’une entité nationale “slave”. enfin, l’historien dalmate Lucius, en publiant
en 1666 en latin le Regnum Slavorum du “prêtre de dioclée”, n’a pas donné,
comme il le laisse entendre, la traduction originelle d’un ancien texte slave
dont nous n’avons aucune trace manuscrite, mais la rétroversion en latin du
texte d’orbini avec des variantes mineures. autrement dit, le « texte du
diocléen » est un faux moderne véhiculant des lambeaux de vraies sources
médiévales.
on s’intéressera en premier lieu au Regum dalmatiae latin de marulić et
aux Annales Ragusini Anonymi, les deux textes authentiquement médiévaux
qui ont servi à construire la trame du récit publié par orbini. on expliquera
dans un second temps la méthode employée par orbini pour fabriquer le faux
document historique avant d’en restituer la portée dans le véritable contexte
de sa rédaction. La dernière partie permettra de définir la place à accorder à
l’édition critique du « texte du diocléen » établie par Lucius dans l’historio-
graphie.
1. L’édition de Lucius
Lucius, premier éditeur du texte dans le de Regno, explique que le Regum
dalmatiae est la traduction en latin d’un texte slave plus ancien demeuré à
l’état de manuscrit. La lettre de marko marulić adressée à domenico Papali
[dominik Papalić] publiée en guise d’introduction au texte en est la preuve.
marulić y dit traduire « un texte en langue dalmate retrouvé à craina parmi de
très anciens écrits », à la demande de Papalić. La langue dalmate désigne ici
un dialecte slave. Le passage au latin aurait été fait « afin que ceux qui ne
connaissent pas la langue puissent connaître cette histoire des rois de croatie
et de dalmatie » 2. La date de la lettre (1510) serait aussi celle de la traduc-
tion.
L’édition du Regum dalmatiae de Lucius est établie sur le fondement
d’une copie conservée à Split dans les archives de Petar cindar 3. L’historien
aurait eu accès également à une copie du texte slave d’origine qui se trouve
aujourd’hui à la Bibliothèque vaticane sous la référence Vaticanus latinus
7019 4.
Soulignons que la tradition du Regum dalmatiae n’est pas évidente à
démêler. Il a pu y avoir d’autres manuscrits slaves ou latins de ce texte. une
deuxième branche existe d’ailleurs dans la tradition : celle de l’historien de
Šibenik, dinko zavorović (v. 1540-v. 1610) 5.
dans son apparat critique ou ses notae, Lucius a également signalé l’inter-
dépendance qui lie le Regnum Slavorum au Regum dalmatiae et à son proto-
type slave, en spécifiant notamment l’absence de préface dans ces deux der-
nières versions. Il est vrai que le contenu des deux textes publiés dans le de
Regno correspond en partie. c’est la même généalogie des rois slaves de
dalmatie, mis à part certains noms de souverains et de lieux, que l’on y
retrouve. mais à partir du prince ciaslav, les récits se distinguent entre eux,
puisqu’il est question alors dans le Regum dalmatiae de la seule croatie et de
ses souverains jusqu’à zvonimir (1076-1089) 6. Lucius a ainsi établi que le
texte de marulić était une recension abrégée du « texte du diocléen ».
en éclairant l’apparition et la circulation du texte de marulić avant l’édi-
tion de Lucius en 1666, on arrive toutefois à de nouvelles conclusions.
6. « hujus historiae originale esse idem cum Presbyteri diocleatis regno Slavorum, usque
ad ciaslavum regem ordine 26 filium radoslavi cognoscitur, sed diocleatis praefatio deest in
hac maruli, prout etiam in ejusdem originali Slavo » (LucIuS, de Regno, cité n. 1, p. 444).
7. histoire de l’Adriatique, dir. P. caBaneS, Paris 2001 (ci-après : histoire de l’Adriatique),
p. 263-265, 281-282.
8. dans le passage suivant, Pribojević se réfère directement à marulić et cite plusieurs souve-
rains mentionnés dans le Regum dalmatiae : « conon moribus literatura, pietate, religione,
dignitatis specie insignis, necnon et Polislaum, regem Illyriorum, qui (ut marcus marulus refert)
multotiens cum attila, rege hunnorum, feliciter pugnavit, ac Sebeslaum Gothos (ut idem inquit)
apud Schodram oppidum strenue opprimentem et Sueropillum, principem dalmatiae, qui, ut
Platina meminit, in Italia Saracenos ingenti clade superator e monte Gargano deiecit, et
cepemirum ac multos alios viros insignes sua ipsa fortitudine ac animi ferocitate » (PrIBoJevIć,
de origine sucessibusque Slavorum, venise 1537). Les combats de Polislav contre attila et le
souverain Sebeslav sont ainsi mentionnés dans le Regum dalmatiae : « regnum suscepit filius
10 SoLanGe BuJan
Polislavus, quo regnante attila Pannonum rex grandi coacto exercitu regnum ejus invasit. erat
Polislavus juvenis (…) semper praelio superior evasit, videns que attila nequaquam aequo
marte se confligere posse, finibus excessit, & plurimis de suo exercitu amissis in Pannoniam
cum ignominia redire est coactus. Posthaec Polislavo regi nata est filia, quae jam nubilis, viro
tradera, duos genuit filios, atque idem Polislavus anno regni sui septimodecimo vita decessit
(…). eo defuncto alter ex nepotibus ejus natu major nomine a Sebeslavus regnare coepit,
cumque Scodram regnat fuit oppidum Gothi obsedissent… » (LucIuS, de Regno, cité n. 1,
p. 306-307).
9. un manuscrit de niger est conservé à la bibliothèque de fr. carrare sous le titre
« Pontificum Salonitanorum et Spalatensium series ex romanis et variis antiquis monumentis
collecta a viro dalma patriae et nationis suae amantissimo » (St. antoLJaK, hrvatska historio-
grafija, zagreb 1992, p. 39).
10. La phrase « in ea mediterraneae dalmatiae regione, quae inter Savum et dravum » rap-
pelle celle de marulić. nous nous référons ici au texte tel qu’il est édité par Lucius : « hoc est
maritima, mediterraneaque dalmatiae loca, equae inter flumina dravum, et Savum danubium
influentia jacent… » (LucIuS, de Regno, cité n. 1, p. 306).
11. « Ita Ludovicus tubero, qui quamuis plures etiam de rebus hungaricis scripserit libros,
francofurti postea post mortem eius anno millesimo sexcentesimo tertio, teste Istuanssio in
La chronIque du Prêtre de dIocLÉe 11
1601 - orbini
Bien que l’édition princeps du Regum dalmatiae ne date que de 1666, les
traces laissées dans les œuvres des auteurs humanistes de dalmatie permet-
tent de confirmer une intense circulation du texte tout au long du 16e siècle.
on constate également que orbini, l’auteur du Rè di dalmatia, a pu avoir
accès à ce manuscrit ainsi qu’à celui des Commentaria de tuberon, au sein de
la bibliothèque de ce dernier. L’hypothèse qui voyait dans le Regum
dalmatiae une recension dite « abrégée » d’un hypothétique « texte du
diocléen » écrit au 12e siècle devient caduque. c’est ce qui peut être prouvé
par l’analyse du Rè di dalmatia. nous montrerons de quelle façon orbini se
servit du Regum dalmatiae comme d’une « introduction » à sa propre version
publiée du « texte du diocléen » et de quelle façon il utilisa conjointement les
Annales Ragusini Anonymi, une source utilisée par tuberon dans la rédaction
annotationibus manu scriptis, editos, hunc tamen de rebus his Illyricis, nulla aetas impressum
vidit » (memoria regum et banorum Georgio Rattkay, vienne 1652, éd. Spomen, zagreb 2001,
p. 44 et n. 179) ; voir v. rezar, dubrovački humanistički historiograf Ludovik crijević
tuberon, Anali dubrovnik 37, 1999, p. 75 n. 95 (ci-après : rezar, tuberon).
12. voir rezar, tuberon, cité n. 11, p. 60.
12 SoLanGe BuJan
13. voir É. maLamut, L’adresse aux princes des pays slaves du sud dans le livre des cérémo-
nies, Tm 13, 2000, p. 595-615.
14. voir la préface d’orbini : orBInI, il Regno de gli Slavi, Pesaro 1601 (ci-après : orBInI, il
Regno de gli Slavi), p. 204.
La chronIque du Prêtre de dIocLÉe 13
15. « caeterum, rhacusanae civitatis admonitus mentione, quae quidem civitas dalmatici
nominis hac tempestate longe opulentissima est (…). nec equidem aut fabulas ab aliis confictas
sequar, aut ipse novas componam, per studium huius urbis clariore origine nobilitandae – quum
nulla prorsus civitati a re militari abhorrenti solique mercaturae deditae dari possit nobilitas –
verum omnia vel ex vero hausta, vel quam simillima veri in medium proferam, sequens impri-
mis docleatem authorem, qui incolumi adhuc doclea, nobili dalmatiae urbe, Slovinorum res
excidiumque epidauri, et originem rhacusanae urbis commemoravit. quae quidem scripta, licet
essent vetustissima specie, quum ad manus meas pervenere, non tamen adeo multorum annorum
tabe corrupta erant, ut legi non possent… » [Ludovici tuberonis dalmatae abbatis commentarii
de Temporibus suis, zagreb 2001 (ci-après : ludovici Tuberonis commentarii), p. 87].
16. La datation des Annales Ragusini Anonymi variant du 12e au 14e siècle, nodilo, son édi-
teur, estime que la chronique est du 14e siècle : « il breve manoscritto col titolo Principio della
cronaca la piu antica di ragusa, scritta, per quanto pare, nel xIv sec., ricopiata da un mano -
scritto molto antico e consumato » [annales ragusini anonymi item nicolai de ragnina,
monumenta spectantia historiam Slavorum meridionalium 14, Scriptores 1, zagreb 1883 (ci-
après : Annales Ragusini Anonymi), p. v. voir v. foretIć, Studije i rasprave o hrvatskoj povi-
jesti, Split 2001, p. 172.
17. Le récit de radoslav Bela se retrouve dans les deux textes : « re radoslavo de Bosna fu
scacciato dal suo regno per suo fiolo Berislavo, et vense in arbania..., fu menato in Puglia a
Siponto, et ando a roma, et per il papa li fu provisto del vivir » (Annales Ragusini Anonymi, cité
n. 16, p. 3-4) ; « aliquot deinde post annis Polimirus cognomento Belus, materno genere
romanus, paterno vero rhatislavi Bossinatium quondam regis pronepos, qui a filio Gothislavo
regno pulsus romam sese exultum contulerat, in Illyricum studio auiti regni recuperandi est
profectus... » (ludovici Tuberonis commentarii, cité n. 15, p. 88).
14 SoLanGe BuJan
ville de Sicile (Syracuse), estimant que, dans la ville qu’il avait fondée,
Polimir mit en place un sénat, composé en partie des siens et en partie de
citoyens choisis d’Épidaure. Il donna au Sénat le droit de gouverner la ville et
restitua aux gens d’Épidaure les droits qu’ils avaient eus dans leur ancienne
patrie. et pour que la nouvelle ville ne manquât de rien, l’évêque d’Épidaure,
que les annales de l’historien de dioclée appellent Jean et qui, après la perte
du précédent siège, séjournait à Burnum, fut nommé avec l’accord du pape
évêque de dubrovnik. après quoi, il tenta de lui soustraire la compétence de
l’archevêché de Salone, même si à cette époque les oguri détruisaient
Salone… » 21.
cet évêque Jean des « annales de l’historien de dioclée » est mentionné
dans le texte publié par orbini, mais, dans le Rè di dalmatia, il participe à la
fondation des deux archevêchés de Salone et de dioclée, un événement tiré
du Regum dalmatiae 22.
enfin, un examen poussé des Commentaria montre que tuberon rapporte
l’histoire des descendants de Polimir-Belo, petit-fils du roi radoslav de
Bosnie, tous issus d’une généalogie de souverains slaves de la ville de
raguse : Bodin, Branislav et Georges 23. tuberon ne cite plus sa source, l’his-
torien de dioclée, mais c’est justement cette même généalogie que l’on
retrouve dans le texte publié par orbini. radoslav y est le grand-père de
Pavlimiro-Bello. La généalogie des rois slaves de raguse y suit, sans discon-
tinuité, celle des rois d’Illyrie « empruntée » au texte de marulić. orbini
semble donc avoir utilisé le Regum dalmatiae comme une introduction en y
adjoignant des extraits des Commentaria 24.
vertu des différences rencontrées nous constatons que les deux auteurs ont
utilisé deux recensions différentes. Il est probable en effet qu’il y ait eu plu-
sieurs manuscrits des Annales. orbini cite en plusieurs endroits les Annales di
Rausa dans le Regno de gli Slavi 26. Il reste difficile de savoir à quel passage
renvoie orbini lorsqu’il cite explicitement ce texte 27. toutefois, plusieurs élé-
ments laissent penser qu’orbini a connaissance des Annales Ragusini
Anonymi sous la forme que nous en donne nicolas ragnine. cette recension
du texte (de l’an 800 à 1607) existe dans une édition des Annales Ragusini
Anonymi établie au 19e siècle. Les expressions et les noms rencontrés sont
identiques chez les deux historiens 28. L’hypothèse qu’orbini a été en posses-
sion du manuscrit dit « de ragnine » est justifiée par la mention qu’en fait
orbini : « eusèbe de caboue (est) l’auteur d’une chronique ragusaine en latin
qu’il ne publia pas de son vivant, mais qu’il donna en l’état de manuscrit à un
certain christome ragnine, un évêque de Ston qui avait été membre du clergé
de mljet auparavant » 29. Les Annales Ragusini Anonymi offrent donc un
cadre chronologique ainsi que des renseignements précis sur les rois slaves et
l’histoire de raguse qu’orbini exploite au profit de son propre récit. c’est au
sein de la bibliothèque de tuberon, léguée à la congrégation bénédictine de
l’île de mljet où orbini était en charge, qu’il « retrouva » les manuscrits de
tuberon, de marulić et des Annales Ragusini Anonymi : c’est ce qu’on peut
supposer.
Le texte fabriqué par orbini devient alors ce texte du diocléen « plus com-
plet » relatant l’histoire d’une dynastie mythique de rois slaves vivant sans
discontinuité depuis leur arrivée dans les Balkans au 5e siècle jusqu’aux der-
nières décennies du 12e siècle. deux histoires écrites de dalmatie, l’une de
Split (la généalogie des rois d’Illyrie de marulić) et l’autre de raguse (l’his-
toire des rois slaves de raguse), servent de base à un nouveau récit. Il s’agit
de deux sources historiques aussi célèbres l’une que l’autre à en croire la
réception chez les auteurs postérieurs, qui se fondent à l’aube du 17e siècle
pour former une tradition unique. orbini n’emprunte pas seulement la tradi-
tion slave du Regum dalmatiae pour l’attribuer à son propre récit. en faisant
passer son récit pour le « texte du diocléen », il dissimule le texte écrit par
« l’historien de dioclée » cité et utilisé par tuberon et invente une nouvelle
tradition aux Commentaria de tuberon.
26. voir mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, éd. f. ŠanJeK, zagreb 1999 (ci-après : mavro
orBInI, Kraljestvo Slavena), p. 250 ; Annales Ragusini Anonymi, cité n. 16, p. 24-25.
27. voir mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, cité n. 26, p. 543.
28. « croatia alba », « ciaslavo, Berislavo cognomiento, maladetto dal suo padre re
radoslavo... », « terzodecimo anno dapoi mando un armata grande de 1000 vele in Sicilia »,
« chis uno principe delli ungari », etc. (Annales Ragusini Anonymi, cité n. 16, p. 170, 171,
172).
29. mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, cité n. 26, p. 265.
La chronIque du Prêtre de dIocLÉe 17
30. Sur le travail de faussaires, voir a. Grafton, Faussaires et critiques, Paris 2004 (ci-
après : Grafton, Faussaires et critiques), p. 71.
31. orbini remercie dans sa préface du Regno de gli Slavi le duc d’urbino, qui lui a permis
de travailler au sein de sa bibliothèque à Pesaro : mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, cité n. 26,
p. 6 ; orBInI, il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. vII. Sur la façon dont orbini a pu avoir accès
aux manuscrits, voir ci-dessus, p. 12.
32. Les recherches de Stanojević, qui ne s’était attaché qu’à l’étude des cinq premiers cha-
pitres de la Chronique du prêtre de dioclée, avaient mis en évidence dès 1927 l’empreinte de
sources bénédictines dans leur rédaction. ainsi, Stanojević citait-il les sources mentionnées,
soulignant que toutes les traces dans le texte du diocléen menaient vers le mont cassin ; voir
St. StanoJevIć, o prvim glavama dukljanskog letopisa, Glasnik srpske kraljevske akademije,
cxxvI, Belgrade-zemun 1927 (ci-après : StanoJevIć, o prvim glavama), p. 94, 101. de même
Šišić, dans son édition de la chronique l’année suivante, mentionnait l’utilisation de Grégoire le
Grand (sur Sabin, Germain et saint Benoît et la mort de totila en Sicile), mais l’imputait à des
gloses postérieures ; voir ŠIŠIć, letopis, cité n. 2, p. 421-422.
18 SoLanGe BuJan
33. « Iustiniano a partibus orientalibus Imperante anno christiane Salutis dxxxvIII quo
tempore Germanus et Sabinus episcopi erant vitae Sanctitate nobiles, et Benedictus abbas
montis cassinii… » (LucIuS, de Regno, cité n. 1, p. 304).
34. « entreteneua lo scettro dell’Imperio costantinopolitano anastasio, il quale haveva se
stesso, et molti altri macchiato con la heresia eutichena ; & à roma governava la chiesa Papa
Gelasio ; in Italia fioriva di molta santita il beatissimo Germano vescovo di capoa, & Sabino
vescovo di carusa ; & à monte cassino San Benedetto… » (orBInI, il Regno de gli Slavi, cité
n. 14, p. 206).
35. L’édition de 1597 comprenait les de Getharum sive Gothorum origine et rebus gesta de
Jordanès et le de historiis italicae provinciae ac Romanorum de Paul le diacre, f. Lindenberg,
Leiden 1597 ; voir mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, cité n. 26, p. 550, 557-558.
36. Stanojević remarquait cette apparente confusion : StanoJevIć, o prvim glavama, cité
n. 32, p. 98-99.
37. Grégoire le Grand, Jordanès, Paul le diacre et Procope de césarée sont cités sous les
noms respectifs de Gregorio dottore, Giornando alano, Paolo diacono et Procopio di cesarea :
mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, cité n. 26, p. 66-67, 550, 557, 547, 559-560. concernant
Procope de césarée, il existe une édition en italien (venise 1547) contenant deux parties, dont
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celle intitulée Guerres contre les Goths, mais Paul le diacre reprend en partie certaines de ces
informations ; c’est pourquoi il nous semble que c’est la source bénédictine qui a été utilisée par
orbini ; voir mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, cité n. 26, p. 559-560.
38. rački soulignait déjà au siècle dernier l’intérêt du texte pour l’histoire byzantine ; voir
notamment ŠIŠIć, letopis, cité n. 2, p. 35.
39. Les Annales de Kédrènos dans la rédaction de G. xylandera furent éditées à Bâle en latin
et en grec par Johannes oporinus en 1566. elles suivent la Synopsis historion de Skylitzès trai-
tant de l’année 811 à 1057 ; voir mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, cité n. 26, p. 541.
40. Le Corpus universae historiae Byzantinae est publié à Paris en 157l : Joannis zonarae
annales, nicetae acominati choniate libri xIx, nicephori Gregorae libri xI, Laonici
calcondylae libri x historiae turcicae ; voir mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, cité n. 26,
p. 570.
41. « Peroche empi la terra di molto Slavi, e a di suoi il paese si riposo… nel cui tempo usci
gran moltitudine de popoli dal gra fiume volcha, dal quale trassero il nome. Imperoche da
volcha, vulgari, o Bulgari infino ad hoggi sono chiamati » : orBInI, il Regno de gli Slavi, cité
n. 14, p. 207.
42. L’historien byzantin écrit au 14e siècle : « au nord de l’Istrie se trouve la région traver-
sée par une rivière importante que les habitants appellent voulga. de là vient le nom même des
Bulgares qui étaient tout d’abord des Scythes » (Vizantijski izvori za istoriju naroda
Jugoslavije, vI, Belgrade 1986, p. 155).
43. « Postquam mediterraneaque dalmatiae loca, & quae inter flumina dravu, & Savum
danubium influentia jacent, regionemque, quae à delminii ruinis, ubi tunc regni concilium fac-
20 SoLanGe BuJan
texte de marulić dans le Rè di dalmatia, mais il est question ici d’une divi-
sion de la dalmatie en quatre provinces : les régions traversées par « les
rivières qui coulent depuis les montagnes et se jettent vers le sud dans la
mer » s’appellent « maritimes » et celles traversées par « les rivières qui cou-
lent du nord et se jettent dans le danube » s’appellent « Serbie ». La Bosnie et
la rascie, séparées par la rivière drina, font partie d’une même entité, la
Serbie 44. dans la seconde moitié du 12e siècle, l’historien byzantin Kinnamos
indique de manière similaire la situation de la Bosnie par rapport « au reste de
la Serbie », mais il ajoute que la Bosnie ne lui est pas soumise 45. ainsi, en se
servant d’autres sources, orbini dessine une géographie toute particulière du
premier royaume slave.
d’autres exemples illustrent le procédé de remploi de l’histoire byzantine
du 10e au 12e siècle. La comparaison du texte avec les Annales de Georges
Kédrènos, continuateur de la chronique de Skylitzès écrite au 11e siècle, est
édifiante.
La ressemblance entre certains passages de Skylitzès et du prétendu
« texte du diocléen » a depuis longtemps été soulignée. on estimait que la
source byzantine accréditait le fondement historique du récit. Il semble pour-
tant que mavro orbini se soit servi de cette source pour créer un contexte his-
torique vraisemblable, tout en attribuant la réalité de certains faits historiques
aux membres de sa dynastie légendaire.
c’est le cas de l’extrait se rapportant au règne de l’empereur bulgare
Samuel (976-1014) : le récit de Skylitzès mentionne que ashot, fils de
Grégoire taronitès, gouverneur byzantin de thessalonique, épouse la fille de
Samuel et d’agathe, miroslava ; chez orbini, le souverain vladimir de
dioclée et Kosara remplacent les deux personnages cités 46. dans la descrip-
tion de l’expédition byzantine de l’empereur constantin Ix (1042-1054)
contre l’archonte vojislav (1035-1051) en 1035-1036, orbini ne dépeint pas
tum fuerat, usque ad locum qui valdemin appellatur, & a valdemino usque dyrrachium proten-
ditur, hanc in partes duas diviserunt, quas dirimebat ripa drini fluminis occidentem versus
usque Beiram montem, & tractus perpetuus Bosninam provinciam scindens usque ad montem
Lippam » (LucIuS, de Regno, cité n. 1, p. 306).
44. « quelli luoghi, ch’erano tolti di mezo dall’acque, che scorreno da i moti, & facedo volta
verso mezo giorno, entrano nel mare, chiamo paese maritimo. ma quell’altro paese, ch’e diviso
dall’acque, chevano verso settentrione, & entrano nel danubio, chiamo Surbia. Spatti dapoi
questi luoghi maritimi in due Provincie : da quel luogho di dalma, dove il re all’hora dimorava,
& il cocilio fu fatto, infino à valdevino, cioe vinodo, chiamo croatia alba, la qual’e detta
etiado dalmatia inferiore (…). Parimente da quel medesimo luogo di dalma infin alla citta di
Babalona, hora durazzo detta, chiamo croatia rubea, la qual’e detta etiando dalmatia superior
(…). La Surbia, che guarda verso settentrione sparti in due provincie. una dal gran fiume drino
verso la regione occidentale, fin al monte Pino, chiamato ancor Bosna ; & l’altra dall detto
fiume verso il paese orientale infino à Lustria, & alla Palude Labeate ; & questo chiamo
rassia… » (orBInI, il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 210-211).
45. « La rivière du nom de drina qui surgit des hauteurs et sépare la Bosnie du reste de la
Serbie » (Vizantijski izvori za istoriju naroda Jugoslavije, Iv, Belgrade 1971, p. 27-28).
46. orBInI, il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 220-224. Sur les ressemblances entre les récits
et les références, voir Vizantijski izvori za istoriju naroda Jugoslavije, III, Belgrade 1966 (ci-
après : Vizantijski izvori, III), p. 92, 117.
La chronIque du Prêtre de dIocLÉe 21
47. orBInI, il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 226-229. Sur la source byzantine, voir
Vizantijski izvori, III, cité n. 46, p. 156-158.
48. orBInI, il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 232.
49. La source byzantine incrimine la faiblesse des empereurs byzantins dans cette révolte et
affirme que des notables bulgares s’allient de leur plein gré à michel : « avant l’année de son
règne, l’indiction xI, le peuple des Serbes, qui s’appellent également croates, partent pour
s’emparer totalement de la Bulgarie... des gens éminents de Bulgarie demandèrent à michel, qui
était souverain, de les aider et de se joindre à eux et de leur envoyer son fils pour qu’ils le pro-
clament empereur et que de cette façon ils se libèrent de l’hégémonie et de la cruauté des
romaioi. Il répondit de bon cœur à l’appel et réunit 300 de ses soldats, les remettant à son fils
constantin, nommé également Bodin, et les envoya en Bulgarie… ». Le couronnement de Bodin
est ainsi décrit : « quand il (constantin-Bodin) arriva à Prisdianu (Prizren), là se trouvaient les
leaders de Skoplje, dont le chef était Georges (vojteh), et ils le proclamèrent empereur des
Bulgares, changeant son nom constantin en Pierre » (Vizantijski izvori, III, cité n. 46, p. 177-
181).
50. « cependant, durant son règne, on lui fit savoir que son neveu Bodin était en vie et que
l’empereur qui l’avait exilé était mort. quand il apprit (cela), il envoya (quelques hommes auda-
cieux et perspicaces) à antioche et il le fit sortir de prison et (le fit) conduire jusqu’à lui »
(orBInI, il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 233). voir Vizantijski izvori, III, cité n. 46, p. 185.
22 SoLanGe BuJan
51. Les sources sur l’histoire de la russie du haut moyen Âge jusqu’en 1240, publiées par
l’historien de la première moitié du 18e siècle, tatišjev, sont comparables en bien des points au
travail d’orbini. L’œuvre est une mosaïque de sources existantes et de passages inventés liés
entre eux par l’auteur. ces passages inventés ont un effet narratif indéniable. afin de rendre
accessible le passé au lecteur, l’invention comble un vide historique. Là où il y a le plus de
« lacunes », là aussi il y a le plus d’inventions ; voir a. toLočKo, istorija rossiskaja Vasilija
Tatišjeva : istočniki izvestija, Kiev-moscou 2005 (ci-après : toLočKo, istorija), p. 20, 264-265,
269, 287.
52. toLočKo, istorija, cité n. 51, p. 22, 275-276.
53. Grafton, Faussaires et critiques, cité n. 30, p. 68.
La chronIque du Prêtre de dIocLÉe 23
diocléen », à la manière des scribes du moyen Âge, dont chaque livre était lu,
commenté et glosé. orbini va jusqu’à citer les sources mêmes qu’il travestit,
dans les premières pages de son œuvre. Il s’y réfère de façon parfois évasive,
parfois plus franche, et n’hésite pas à semer le doute sur la véracité des infor-
mations qui y sont contenues 54. Le faussaire brouille les pistes lorsqu’il note
que « Georges Kédrènos appelle dobroslav vojislav » (p. 291) et qu’il laisse
penser qu’un certain « marko » frère du joupan vukan a réellement existé en
annotant son texte de façon cinglante : « dans d’autres sources, il est écrit
mavro » (p. 298). ainsi, si aucune œuvre ne confirme l’existence d’un sei-
gneur autre que vukan, l’existence même de cette chronique anonyme permet
de penser le contraire.
mais c’est de façon sans doute plus déloyale encore qu’il se réfère à
marulić ou à tuberon, ses sources principales. ne se contentant pas seule-
ment de donner une nouvelle identité, celle de Svetopelek, au premier roi
converti mentionné dans le Regum dalmatiae (Budimir), il ajoute : « avant il
s’appelait Budimir, mais comme premier roi couronné il fut appelé
Svetopelek, ce qui chez les Slaves signifie “saint homme”, tandis que les
Italiens l’appellent Sferopilo » 55. Pour se prémunir contre toute vérification,
orbini se réfère donc directement aux sources qui lui ont servi à fabriquer le
faux. mais il utilise une autre manœuvre, en apparence contradictoire, qui
consiste à relativiser l’exactitude de son propre texte. Il se permet d’être
méfiant envers le « prêtre de dioclée », comme pour se défendre de préempter
toute attaque éventuelle 56. Les notes marginales d’orbini, révélatrices sans
doute d’une psychologie pour le moins complexe, étayent par une habile
manipulation la véracité d’une chronique fictive.
c’est donc en véritable « compilateur médiéval » qu’orbini fabrique une
source historique à partir de textes étrangers dont il nous laisse seulement
supposer l’existence. c’est bien l’effet qu’il voulait donner, et c’est là tout le
travail d’un expert. L’ajout d’une préface à la publication du « texte du
diocléen », l’incertitude pesant sur son origine ainsi que les notes marginales
riches en informations contenues dans d’autres sources procèdent d’une
même intention : celle de faire accepter le texte à ses contemporains 57.
54. ces notes marginales sont nombreuses. en voici quelques-unes : « dans d’autres sources
se trouve le nom de Preslav » (orBInI, il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 222) ; « c’est ce
qu’écrit également Kédrènos » (ibid., p. 225).
55. « costui si chiamo prima Budimir, ma perche fu il primo de re che si fece christiano fu
chiamato Svetopelek, che a gli slaui suona “fanciullo santo” ». orbini fait clairement référence
au texte de marulić, en notant également en marge de dalma : « la plaine de dalma aujourd’hui
appelée clivno » (Pianure di dalma, hora chiamano hlievno : clivna) (orBInI, il Regno de gli
Slavi, cité n. 14, p. 210).
56. en marge d’un passage se rapportant à la création de raguse, orbini affirme que « le
prêtre de dioclée fait erreur » (mavro orBInI, Kraljestvo Slavena, cité n. 26, p. 246 ; orBInI, il
Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 183).
57. La chronique dite de rostovski, faux document historique édité par tatišjev, confirmant
l’existence d’un État Bela rus au moyen Âge, montre une similitude dans les procédés de falsi-
fication : préface à la chronique et abondance de notes. L’origine du texte prétendument écrit au
moyen Âge est volontairement mystifiée de manière à faire croire à une copie perdue ; voir
toLočKo, istorija, cité n. 51, p. 78-86, 277-278.
24 SoLanGe BuJan
des reliques de ce saint. Il laisse ainsi penser que la vie utilisée est celle écrite à la mort du sou-
verain. Sur les vies tardives dédiées à saint Jean vladimir, voir v. taPKova-zaImova, un
manuscrit inconnu de la vie de Saint Jean vladimir, Byzance et les Balkans à partir du Vie siècle,
Londres 1979, p. 179-189.
69. Il s’agit des listes d’évêchés soumis à la juridiction de Salone et de dioclée (orBInI, il
Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 211) et de celles des joupanies de zeta [« Lusca, Podlugia,
Gorsk, cepelnia (Kupelnik), obliqua (oblik), Prapratnas, cermeniza (crmnica), Budva con
cucieva (Kucevo) & Gripoli »], de la travounie [« con il contado di Gliubomir (Ljubomir),
vetniza, rudine, crusceviza (Krusevica), vrmo (vrm), risano, draceviza, canale et
Gernoviza »] et de la zahumlje (hum) [« Stantania, Popovo, Iambsco, Luca, velicagor (velika
Gora), Imota, vecerigorie, dubrava et debra »]. enfin, il ajoute la région appelée en latin
« Sottomontana » et en slave « Podgorie » avec « onogoste, morania, comerniza, Piva, Gaza,
netussigne, Guiscevo, cora, debrecia, nerenta & rama » (orBInI, il Regno de gli Slavi, cité
n. 14, p. 219). L’existence de toutes les joupas est confirmée par les mentions du de adminis-
trando imperio de constantin vII et des sources tardives du 14e et du 15e siècle, où luscha
giopa et ses habitants luxeni, luxani sont notamment cités ; voir S. ćIrKovIć, naseljeni
Gradovi, ZRVi 37, 1998, p. 15.
70. ainsi le partage du royaume en « tétrarchie » entre la zeta donnée à chvalimiro, la
travounie à Boleslavo, la zahumlje à dragislavo et Podgorea à Svevladio, est une pure fiction ;
voir orBInI, il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 220.
71. « (Ils) prêtèrent serment à radoslav devant de grands seigneurs terriens et ils écrivirent
une charte, comme quoi lui et ses héritiers avaient en leur possession une partie de la zeta et
(jurèrent) que s’il était capable d’acquérir en sus la travounie ou bien une quelconque autre
région, elles seraient à lui et à ses héritiers, en héritage et en propriété… » ; voir orBInI, il
Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 231.
La chronIque du Prêtre de dIocLÉe 27
rapporte et fixe. ce type de notations spatiales désigne donc des lieux dont les
contemporains ont une perception immédiate. orbini leur indique de cette
façon des repères familiers. L’insistance à noter la présence « aujourd’hui
encore » de ces monuments est à souligner 72. Parmi eux, le « chami » ou
« rocher de radoslav » évoque la légende du roi radoslav chassé par son fils
ciaslav (časlav) 73. L’îlot de Lasta (il pourrait s’agir de l’îlot Saint-marko
devant Lastva dans la baie de Kotor) ayant permis à radoslav de reprendre un
royaume tombé dans l’anarchie devient sacré par le miracle censé s’y être
produit. visible de chaque lecteur, il ancre un sentiment d’appartenance
remontant au temps de l’écriture de l’œuvre. Les villes mentionnées dans la
chronique ont par ailleurs pour fondateur un membre de la généalogie des rois
slaves. c’est le cas de la forteresse éponyme de Pavlimir-Belo aux environs
de ras. Les lieux mentionnés, l’église « Saint-Pierre » et « caldana »
(novopazarska banja), sont identifiables sur le terrain. Le nom employé pour
désigner l’église, Saint-Pierre, et non Saints-Pierre-et-Paul comme le veut
l’appellation officielle, laisse supposer que l’église était toujours en
« fonction » du temps de la rédaction du récit. en usant de son excellente
connaissance topographique de la région, orbini nous laisse croire que
l’anonyme rapporte l’ensemble de son récit en se fondant sur les dires
anciens. Le récit fixe donc un tout nouveau lieu de mémoire, dont l’origine
légendaire serait très ancienne puisque rapportée par l’anonyme du
12e siècle. Pour finir, dans le « texte du diocléen » le monastère bénédictin
des Saints-Serge-et-Bacchus sur le lac de Skadar est devenu l’église cémété-
riale de souverains tant historiques que légendaires 74. Les notations ont donc
pour effet de structurer un espace commun qui s’étend à la zeta, la Bosnie, la
Serbie et la croatie depuis les temps les plus anciens.
même si le vrai et le faux s’entremêlent, la méthode empruntée est celle des
chroniqueurs médiévaux, et tous les ingrédients d’une « véritable » chronique
sont présents : le privilège accordé à la narration, les références marquées aux
monuments ainsi que le style d’une langue quotidienne. Peut-être plus que tout,
celui d’une œuvre à vocation moralisatrice. car orbini sait sans doute aussi que
les hommes du moyen Âge lient de façon très étroite histoire et morale, la pre-
mière étant pourvoyeuse d’exemples destinés à illustrer un discours édifiant 75.
Le récit des rois est ainsi ponctué de passages à portée didactique ou morale 76.
dans la chronique, le thème récurrent des « révoltes » – tout au long de l’histoire
– refléterait la situation du temps où elle aurait été écrite. Les mauvais rois et
les souverains faibles justifient la révolte, mais, le plus souvent, les révoltes
72. Procédé dont mauro orbini use dans d’autres parties du Regno de gli Slavi.
73. Identifié au souverain historique časlav (931-960) de Serbie ; voir ci-dessus, p. 24.
74. des souverains historiques : michel (mort en 1081), Bodin (mort en 1104) et vladimir
(mort en 1116), et des souverains légendaires : dobroslav (mort après 1104) et Gradichna (mort
en 1143).
75. caIre-JaBInet, introduction, cité n. 62, p. 10.
76. Le texte est ponctué de citations : « or dieu tout puissant à qui toute mauvaise action
déplaît... » (orBInI, il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 220).
28 SoLanGe BuJan
sont cause de désastre et les campagnes militaires sont présentées comme une
défense contre des attaques injustes 77. La rupture du serment qui liait michel à
ses deux frères est à cet égard édifiante. en trahissant son serment, michel, un
roi historique, commet la première action qui entraîne le royaume dans la guerre
et sa descendance dans l’impureté 78. toutes les révoltes sont ainsi le lointain
écho de la dernière phrase du texte censée résumer le temps de l’écriture :
« … et il resta à radoslav et à ses frères la région maritime et les villes de
decatar (Kotor) à Scodra (Skadar), et ils ne cessèrent de combattre et de lutter
contre desa et (leurs) autres ennemis, pour pouvoir reconquérir le pays qui
s’était révolté et pour défendre victorieusement celui qu’il gouvernait… » 79.
L’aspect légendaire de la fondation du royaume dans le récit, ainsi que la place
qui est assignée au roi, ne doivent pas nous écarter de la revendication essentielle
qui y est exprimée : lors de la création du royaume par Svetopelek, événement
fondateur de l’histoire des Slaves du sud, l’anonyme signale la situation parti-
culière du roi slave entre deux centres du pouvoir, le Saint-Siège de rome et
constantinople 80. Byzance constitue, par conséquent, un centre politique
continu depuis la plus ancienne époque. c’est pourquoi le royaume de Sveto-
pelek est le seul mentionné, car il est le seul royaume légitime. dans la mesure
où l’auteur fictif prône, dans les dernières pages de sa chronique, une alliance
avec l’empereur byzantin manuel comnène (1143-1180), il exprime le but poli-
tique de son œuvre : unir tous les pays slaves sous la protection de Byzance,
s’opposant ainsi à l’unification prônée par le grand joupan de rascie Stefan
nemanja (1167-1196).
Le texte justifie ainsi sous la plume d’un auteur fictif, l’anonyme de Bar,
la « slavitude » du royaume originel de dalmatie constitué des quatre pro-
vinces de croatie rouge, de croatie Blanche, de rascie et de Bosnie. Il n’en
est pas moins certain que la thèse d’une alliance des pays slaves du sud sous
l’empire byzantin – ennemi « historique » des Slaves – prônée par un auteur
fictif de la seconde moitié du 12e siècle révèle le contexte « véritable » de
l’écriture. La situation politique à l’époque d’orbini serait donc la plus à
même d’expliquer la motivation à créer ce faux document historique. en
1595, l’empire ottoman règne sur une grande partie des Balkans, et la menace
pèse sur les possessions vénitiennes de dalmatie. c’est à cette époque que les
révoltes qui surgirent en valachie et dans le Banat insufflèrent une nouvelle
idée de « croisade » chrétienne contre les turcs. Les contacts entre plusieurs
villes italiennes, des Slaves et certains membres de l’Église orthodoxe inquié-
tèrent les autorités de dubrovnik, qui étouffèrent le mouvement 81. Le terri-
toire décrit dans les dernières pages du texte entre « la neretva et la Bojana »
apparaît comme une unité historique qui n’est pas sans rappeler le territoire
de la république de dubrovnik. que la ville de Kotor incarne symbolique-
ment la fin de la dynastie dans le récit d’orbini n’est certainement pas dû au
hasard, si l’on considère que venise ne réussit qu’en de rares occasions à
s’emparer de Kotor et que cette ville ne fit pas partie de la « dalmatie véni-
tienne ». Symboliquement Kotor marque l’hostilité avec raguse. Le texte
publié par orbini nous raconte que, malgré la méfiance évidente que les
Slaves des villes de dalmatie pourraient avoir envers la république maritime,
après une domination pluri-séculaire des vénitiens, la population aura plus à
gagner à une alliance de raison avec venise contre le turc. dans le Rè di
dalmatia, les mêmes événements se répètent ainsi continuellement, des
légendes des premiers chapitres jusqu’aux événements « historiques » des
années qui précéderaient la rédaction de l’œuvre. cette répétition, qui appa-
rente le récit à la mythologie et emprunte à l’hagiographie, vise aussi à
convaincre d’une vision éminemment partisane, voire mystique. en cherchant
des leçons dans le passé, on constate que rien n’a fondamentalement changé,
les mêmes maux se répètent. L’anonyme de Bar fait l’éloge du passé, critique
le présent et l’explique comme l’aboutissement d’une déchéance. on peut
donc estimer que la leçon morale, que l’auteur retient ou souhaite retenir de
l’histoire, est que les mêmes événements se répètent toujours. Stefan
nemanja joue ainsi le rôle d’analogue au Grand turc, tandis que cette répéti-
tion rappelle au lecteur contemporain d’orbini les guerres « ancestrales » qui
opposèrent venise à l’empire ottoman et mirent la république de raguse
dans une position de vassalité 82.
Si l’œuvre d’orbini est bien celle d’un inventif faussaire, usant de sa vaste
érudition pour légitimer les ambitions slaves d’un parti pro-vénitien face à la
menace ottomane, l’édition du Regnum Slavorum en 1666 par Lucius est éga-
lement l’œuvre d’un faussaire. La première édition par Lucius du « texte du
diocléen » dans sa langue supposée d’origine, le latin, en attestant l’authenti-
cité du document historique, parachève en effet la falsification d’orbini.
dans l’hypothèse qui prévalait jusqu’à maintenant, on justifiait l’origine
distincte du Regnum Slavorum et du Rè di dalmatia notamment par leurs dif-
férences ; un manuscrit inédit semblait même accréditer l’hypothèse d’une
seconde tradition latine à côté de celle de Lucius et par conséquent l’existence
matérielle du « texte du diocléen ». nous montrerons ici que l’édition latine
de Lucius de 1666 est fondée sur l’édition du Rè di dalmatia d’orbini de
1601. en passant sous silence cet « emprunt », Lucius a souhaité entretenir le
mythe d’une chronique médiévale écrite au 12e siècle. Le consensus selon
lequel les deux historiens étaient en possession de textes d’origine différente
fut repris dans l’historiographie postérieure.
86. Sur les éditions et rééditions ultérieures et sur la méthode de l’historien, voir KureLac,
lučić, cité n. 85, p. 59-66, 125-137.
87. Lucius rédige son œuvre à une époque où l’empire maritime de venise, qui avait fait de
l’adriatique au moyen Âge un lac vénitien, est mis en péril par la guerre de candie (1645-
1669), le conflit engagé par l’empire ottoman menaçant directement les possessions vénitiennes
de dalmatie. Il s’agit des villes de Split (Spalato), zadar (zara), trogir (trau), Sebenico (Šibe-
nik) et cattaro (Kotor). Sur la situation de la dalmatie à cette époque, voir histoire de
l’Adriatique, cité n. 7, p. 351.
88. ainsi en est-il du titre de roi d’Istrie ou de dalmatie mentionné dans les premiers cha-
pitres du texte.
89. « Presbyter diocleas, qui ante annum 1200 scripsit » (LucIuS, de Regno, cité n. 1).
90. ce qu’indique l’inscription légendant le bas du premier feuillet de chacun des codex.
tous les manuscrits sont antérieurs au 6 juin 1662, date à laquelle la censure a apposé son
imprimatur à rome. Les codex Vaticani latini 6958, 6959, 6960 portent la mention « ex dono
Jo. Lucij » ou « ex dono eiusd. ». Les textes des auteurs de dalmatie se trouvent dans le premier
codex cité. Sur la description des manuscrits du de Regno, voir KureLac, lučić, cité n. 85,
p. 66-69.
91. À la différence du Regum dalmatiae, sur lequel Lucius donne des explications ; voir ci-
dessus, p. 8-9.
92. Sur l’analyse du manuscrit de Lucius, voir S. mIJušKovIć, ljetopis popa dukljanina,
titograd 1967.
93. « hujus exemplum maurus orbinus, in Italicum idioma versum, in suo Il regno delli
Slavi ; vulgavit, non unusquequaque cum originali conveniens » (texte d’introduction au de
Regno) ; voir KureLac, lučić, cité n. 85, p. 60 n. 170.
32 SoLanGe BuJan
94. « certe anticaie de Rè di dalmazia e Servia, che dimostrano, como quelle parti obedivano
alla sede apostolica, e mi posi a copiarle di propria mano » (moŠIn, ljetopis, cité n. 84, p. 13).
95. Le titre de Re di dalmazia n’est pas celui employé par Lucius dans son édition (regnum
Slavorum), mais il rappelle celui attribué par orbini (Rè di dalmatia et altri luoghi vicini
dell’illirico dall’anno del Signore 495. Fina 1161). Il est probable que Levaković ait attribué ce
nom en vertu du sens qu’il donnait au texte où il semble être question de l’histoire de la
dalmatie et de la Serbie. on est alors tenté de voir dans le « rè di dalmazia e i di Servia » le
texte d’orbini publié dans le Regno de gli Slavi. cela est d’autant plus envisageable que
Levaković juge que ce texte pourrait « servir à l’Église ». en effet, dans le texte édité par
orbini, il est question de l’organisation religieuse de la dalmatie avec un partage entre deux
archevêchés, l’un à Salone (en dalmatie inférieure), l’autre dans la ville de dioclée (en
dalmatie supérieure), sous la juridiction duquel se trouve notamment l’évêché de Serbie :
« Parimente da quel medesimo luogo di dalma infin alla citta di Babalona, hora durazzo detta,
chiamo croatia rubea, la qual e detta etiandio dalmatia Superiore. alla quale fu assegnata per
metropoli la chiesa diocletana, li cui Suffraganei surono il vescovo d’antivari, Budua, Sorbio,
d’Bosonto, cataro, olchinio, Sfaco, Scutari, drivesto, Poleto, trebine, & di zaculmio » (orBInI,
il Regno de gli Slavi, cité n. 14, p. 211).
96. Il existe un manuscrit anonyme de zadar, daté du 17e siècle, qui est la copie de l’édition
imprimée du Regno de gli Slavi (p. 286-309) ; elle est intitulée : copie extraite du Livre
imprimé à la carte no 286 qui se termine au no 309 (« copia estrata dal Libro in stampa à carte
no 286 termina a no 309 »). ce manuscrit est conservé à la Bibliothèque nationale de croatie
sous la référence r-3974, non relié et composé de deux cahiers. La souscription indique que
niccolo Bonicelli, notaire public de zadar, a commandé la copie du « regno arma di Balsi ».
L’existence d’autres extraits de l’édition du Regno de gli Slavi n’est pas à exclure. des copies
manuscrites ont pu être réalisées juste après que le livre a été édité et peu de temps avant son
interdiction par le vatican (1603). Le « texte du diocléen » a pu être ensuite conservé dans les
différentes archives que compte le littoral. Il aurait alors été « redécouvert » par les contempo-
rains de Lucius, à commencer par Levaković, au cours de leurs recherches archivistiques.
La chronIque du Prêtre de dIocLÉe 33
97. certains extraits de la correspondance de Lucius ont été édités au début du 20e siècle par
Poparić. Il s’agit ici de la lettre datée du 3 novembre 1651 : « ho cominciato l’Impressa, la
quale mi [dara] di piu fatica di quello m’imaginavo. tuttavia non mi perdo d’animo, ne voglio
abandonarla. ho fatto il raffronto l’historia delli re di dalmatia, stampata Italiana nell’opera
del regno delli Slavi con parte di quella manuscritta in schiavo et con la terza tradotta da quella
in latino da marco marulo » [B. PoParIć, Pisma Ivana Lučića trogiranina, Starine, knjiga
xxxI, zagreb 1905, p. 301 (ci-après : PoParIć, Pisma Ivana Lučića)].
98. « … delle quali con bona gratia di v.S [dopo] tanta fatica, non mi voglio valere in nulla.
ne altro per hora posso significarle d’haver fatto, che la sola introdutione cavata con brevita
dalli historici romani della descrittione di dalmatia narrata secondo li tempi con varii confini »
(PoParIć, Pisma Ivana Lučića, cité n. 97, p. 301).
99. nikola Isthvanfi (1538-1615), historiarum de rebus ungaricis libri XXXiV, coloniae
agripinae 1622 ; Juraj rattkaj (1612-1666), memoria regum et banorum regnorum dalmatiae,
Croatiae et Sclavoniae, vienne 1652. voir KureLac, lučić, cité n. 85, p. 75-76.
100. La conclusion de Kurelac apparaît d’autant plus incertaine que, dans une lettre de
trogir datée du 6 décembre 1651, Lucius dit à son ami Ponte : « si quelqu’un veut utiliser le
texte de marko marulić et celui du royaume des Slaves (je dis cela de façon confidentielle), il
le fait en s’écartant de la bonne route… » (« havrei gusto che dimandasse al Sr. dr. Gliubavaz,
chi fu il dose che distrusse Belgrado, e se di cio ha scrittura autentica che lo dice, havendomi
egli detto che fu ordelaso faliero e io trovo dominico michiele. e già che si è messo all’im-
presa delli re di dalmatia, in guisa pero distinta, se vol pigliar le norme de quelli de marco
marulo e di quelli del regno delli Slavi (sia detto seco confidentissimamente) se lo fa, va fuori
della buona strada. desidero pero saperlo per curiosita, non per altro ; perchè se anco lui me lo
scrivesse, li scriverei l’istesso, non havendo io [ragione] di tassar alcuno, e goderei che molti
s’aplicassero a questa fatica, perchè nella diversità delle opinioni si caverebbe meglio la
verità ») ; voir PoParIć, Pisma Ivana Lučića, cité n. 97, p. 304.
101. « djelo je u rukopisima kolalo pod raznim naslovima. naprimer deocleanus in Vitis
Regum dalmatiae et Croatie i ostali rukopisi » (KureLac, lučić, cité n. 85, p. 127).
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mais, dans le cas des deux arguments cités, il apparaît que le manuscrit
rs-570 correspond précisément au Rè di dalmatia 106. Le manuscrit pourrait
donc être plus proche de la rédaction italienne. Kurelac en réfute la possibilité
en s’appuyant sur la présence du mot « Secundo » apposé à « Gelasio Papa »
dans les deux témoins latins et inexistant dans la rédaction d’orbini. Il appa-
raît pourtant que dans le manuscrit rs-570 le terme « Secundo » a été ajouté
par une seconde main. ce terme n’existait donc pas dans la version originelle
manuscrite et n’existe pas davantage dans l’édition d’orbini. d’autres occur-
rences montrent une dépendance évidente du manuscrit envers la rédaction
italienne 107. Le manuscrit rs-570 ne peut donc prouver l’existence d’une tra-
dition latine du « texte du diocléen » antérieure à la parution du Regno de gli
Slavi et se rapproche justement par endroits du Rè di dalmatia. on peut s’in-
terroger sur ce que représente cette recension latine inédite.
orbini est le premier historien connu à publier sous la forme intégrale le
« texte du diocléen » avec le prologue adjacent de son auteur anonyme
(Prefatione del l’autore alla sua Storia de rè di dalmatia, p. 205) et la note de
fin (il fine, p. 239) en conclusion. c’est sous une forme identique que Lucius
édite sa propre rédaction latine et que le manuscrit cité conserve la sienne. Il
serait donc tentant de voir dans le manuscrit inédit un stade intermédiaire
entre le texte italien de Rè di dalmatia d’orbini et le Regnum Slavorum en
latin de Lucius.
Le fait que le manuscrit conserve, comme nous l’avons constaté, un exem-
plaire du Regum dalmatiae dans le même codex laisse supposer que Lucius,
préparant son édition, a commandé ce manuscrit comme manuscrit de travail
pour sa propre édition 108. L’existence du manuscrit inédit ne vient pas contre-
dire l’hypothèse selon laquelle la rédaction italienne d’orbini a été utilisée
concLuSIon
109. nanni, dit annius de viterbe, est l’auteur de Commentaria, publié à anvers en 1552.
ce faussaire publia textes et commentaires en un gros volume remettant en question l’historio-
graphie grecque (Grafton, Faussaires et critiques, cité n. 30, p. 64, 74).
110. tatišjev, dont l’œuvre est éditée en 1746 et 1767, souhaitait écrire une histoire de la
russie en plusieurs parties, du moyen Âge au 18e siècle ; voir toLočKo, istorija, cité n. 51,
p. 16-20, 250-254, 280-281.
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Solange BuJan
université de Paris Iv Sorbonne