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Paris, Sciences de la Terre et des planètes / Earth and Planetary Sciences 330 (2000) 595–601
© 2000 Académie des sciences / Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés
S1251805000001658/FLA
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lies de TSO (ou d’un autre paramètre climatique) et des matrice quelconque. Nous avons utilisé ici une variante
précipitations (par exemple une simple régression de la décomposition en valeur singulière d’une matrice
linéaire) et d’appliquer ce modèle à une période de véri- de covariance entre deux champs : l’analyse en cova-
fication [5, 15]. Une autre approche utilise un modèle riance maximale (ACM), qui extrait la combinaison
de circulation générale atmosphérique (MCGA), afin de linéaire possédant la covariance maximale. Cette tech-
simuler un champ de précipitations à partir d’un forçage nique a été présentée par ailleurs [5, 19]. Le formalisme
de surface donné. Les deux approches sont complémen- en est présenté succinctement ci-après. Soient deux
taires, mais seule la seconde sera utilisée ici. L’avantage champs X et Y, avec les lignes représentant les observa-
du MCGA sur l’approche purement statistique réside dans tions temporelles et les colonnes représentant les unités
le fait qu’elle ne présente pas d’a priori quant à la rela- spatiales (points de grille ici) ; X contient les anomalies
tion entre les différents paramètres climatiques. En effet, interannuelles des observations saisonnières copiées trois
un modèle statistique ne peut prévoir qu’une situation fois (= précipitations continentales saisonnières) et Y
qu’il connaît déjà. Un autre avantage du MCGA est contient celles des trois simulations (= précipitations
d’intégrer de manière explicite les relations du système continentales et océaniques saisonnières). L’équation (1)
climatique. Un inconvénient est la lourdeur de son
maniement, ainsi que les incertitudes liées aux paramé- C = 1/t × X′ × Y (1)
trisations internes sur les processus dynamiques dont la donne la matrice de covariance entre X et Y. Le sym-
taille est inférieure à la grille du modèle, comme la bole « prime » (’) représente la transposée d’une matrice
convection ou la nébulosité [8, 17]. Nous utilisons ici et t la longueur des séries temporelles. Cette matrice
les données simulées provenant d’une intégration sur peut être décomposée de façon unique selon la formule
34 ans, réalisée avec le modèle atmosphérique alle- (2) :
mand ECHAM 4 à la résolution T30 (représentant
approximativement une grille de 3,75° × 3,75°). Cette C = U × Σ × V′ (2)
résolution, relativement basse, semble toutefois suffi-
sante dans la zone tropicale, où les interactions d’échelle où U et V sont les vecteurs propres respectifs de X et Y
non linéaires sont moins importantes que dans la zone et Σ la matrice diagonale contenant les valeurs singuliè-
extratropicale. Trois expériences numériques différentes res (la somme des valeurs singulières élevées au carré
ont été réalisées avec des conditions de surface océani- est égale à la covariance totale entre X et Y, c’est-à-dire
ques strictement identiques (TSO observées de janvier à la trace de C’ × C). Les scores temporels associés sont
1961 à décembre 1994), mais débutant par des condi- obtenus par les expressions (3a) et (3b) :
tions initiales différentes [11, 12]. La convergence des
A=X×U (3a)
anomalies des trois expériences correspond à un for-
çage dominant des TSO sur l’atmosphère. Au contraire, et
la divergence des anomalies signale une prédominance
des mécanismes chaotiques de la dynamique atmosphé- B=Y×V (3b)
rique.
Notons au passage que, selon la relation (4) :
Les analyses présentées ici concernent spécifiquement
l’Amérique tropicale. Cette zone est intéressante à plus Σ = 1/共 t − 1 兲 × A′ × B (4)
d’un titre : (i) elle est bordée par les océans Pacifique et
Atlantique, qui l’influencent, parfois, de façon combinée on peut obtenir les valeurs singulières à partir des scores
et, d’autres fois, de façon indépendante [10, 16, 18, 21] ; temporels [5]. L’ajustement des observations par les simu-
(ii) de nombreuses analyses, notamment concernant le lations s’obtient par une simple régression linéaire en
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Nordeste brésilien [6, 21], mais aussi le Bassin amazo- minimisant la quantité suivante 储 X − Z 储 . L’ajustement
nien [9], ont montré la très forte liaison des anomalies des simulations par rapport aux observations est donné
de cumuls saisonniers avec les champs de TSO. Ces par la formule (5) :
analyses ont abouti à l’élaboration de schémas de prévi-
sion opérationnelle des pluies [5, 13, 21]. Le but ici Z=B×α (5)
n’est pas de proposer un nouveau schéma de prévision, Les éléments de α sont obtenus numériquement. L’ajus-
mais plutôt d’estimer le réalisme d’un MCGA actuel du tement des simulations n’est obtenu qu’aux points de
point de vue des précipitations, qui restent une des varia- grille observés, alors que l’ACM est réalisée avec l’ensem-
bles climatiques les plus difficiles à simuler, en raison de ble du champ simulé (points continentaux et océani-
l’interaction complexe entre divers mécanismes et des ques à l’intérieur d’une boîte régionale), afin de vérifier
échelles spatio-temporelles impliquées. que le modèle positionne correctement les télécon-
nexions par rapport aux observations.
2. Méthodes Chaque analyse est réalisée en validation croisée, afin
d’éliminer la surdétermination des coefficients de régres-
Les méthodes multivariées permettent d’extraire l’infor- sion [4, 11]. En climatologie, il y a, le plus souvent, plus
mation représentant le maximum de variance d’une de variables explicatives que d’observations à prévoir.
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Figure 2. Corrélation temporelle (× 100) entre les observations (copiées trois fois) et les simulations ajustées pour les 4 saisons. Les ajuste-
ments sont obtenus respectivement avec les 4, 2, 6 et 5 premiers modes de l’ACM (cf. texte). Les valeurs grisées sont supérieures à 0,3.
Figure 2. Correlations (× 100) between observations (copied three times) and adjusted simulations. The adjustment is performed with the
first 4, 2, 6 and 5 leading modes of the ACM. Shaded areas are above 0.3.
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La solution est de construire un modèle sur un ensem- incomplète [9, 10]. Les résultats sont particulièrement
ble d’observations (= apprentissage) et d’appliquer ce prometteurs sur le Nordeste brésilien en mars–mai, mais
modèle au reste de l’échantillon (= vérification). Ce pro- aussi le Nord de l’Amérique du Sud entre mars et sep-
cédé est répété sur l’ensemble de la série. Notons que tembre, le bassin caraïbe en juin–septembre (figure 2).
toutes les étapes de l’analyse (normalisation des don- Ces corrélations, tout comme celles de la figure 1, sont
nées, puis calcul des vecteurs propres sur la période calculées en prenant explicitement en considération les
d’apprentissage, projection des données de la période trois expériences numériques. Considérer la moyenne des
de vérification sur ces derniers, afin d’obtenir les scores trois simulations aboutit à des valeurs nettement plus
temporels et ajustement) doivent être réalisées en vali- élevées, là où le signal existe (de + 10 à + 50 %, selon
dation croisée, afin d’éviter la pollution des données de les cas).
la période de vérification par les données d’apprentis- Les schémas de prévision opérationnelle utilisent en
sage. La détermination des modes utilisés dans la recons- général des indices régionaux plutôt que des stations ou
truction a été obtenue par une simulation de Monte- des points de grille [5]. Nous avons donc créé des indi-
Carlo par permutation. Nous avons réordonné de façon ces régionaux et calculé les corrélations entre les obser-
aléatoire les observations 100 fois et refait les analyses
en validation croisée entre ces 100 échantillons et les
simulations non modifiées. On obtient ainsi une distri- Tableau. Corrélations (× 100) entre les séries temporelles obser-
bution de 100 vecteurs des valeurs singulières (obtenues vées et simulées d’indices régionaux. Les indices sont calculés par
la moyenne des anomalies standardisées sur les régions suivantes :
grâce aux scores temporels — cf. équation (3) ci-dessus
Amérique du Sud septentrionale (285°–305°E ; 2,5°–12,5°N), Nor-
—), qui peuvent être comparées avec celles réellement deste brésilien (315°–330°E ; 2,5°–12,5°S), Amazonie septentrio-
obtenues. Les valeurs singulières ont été retenues quand nale (290°–310°E ; 2,5°S–2,5°N), Antilles (275°–305°E ;
elles n’étaient dépassées au maximum que de 10 fois 12,5°–22,5°N) et Mexique central (255°–275°E ; 12,5°–25°N). Seuls
sur 100. Les 4, 2, 6 et 5 premières valeurs singulières les points continentaux possédant des données observées sont uti-
correspondent à ce critère, respectivement pour décem- lisés. La première série de corrélations pour chaque indice concerne
bre–mars (DJFM), mars–mai (MAM), juin–septembre (JJAS) les données simulées brutes, alors que les suivantes indiquent le
résultat avec les ajustements obtenus avec les modes significatifs
et septembre–novembre (SON). dérivés de l’ACM. La moyenne des trois expériences est utilisée
ici. Le nombre entre parenthèses indique le nombre de modes
3. Résultats utilisés. Les valeurs en gras sont significatives au seuil 0,05, avec
30 degrés de liberté.
Table. Correlations (× 100) between observed and simulated time-
La figure 1 présente la distribution ordonnée des cor-
series of regional rainfall indices. The standardized anomalies are
rélations temporelles entre les observations copiées trois averaged on the following areas: northern South America (285°–305°
fois d’une part et les simulations brutes et ajustées d’autre E; 2.5°–12.5° N), Brazilian Nordeste (315°–330°E; 2.5°–12.5° S),
part. Les simulations ajustées sont en général meilleures Northern Amazonia (290°–310° E; 2.5°S–2.5° N), Caribbean Islands
que les simulations brutes, quand les corrélations tem- (275°–305° E; 12.5°–22.5° N) and Central Mexico (255°–275° E;
porelles de ces dernières avec les observations sont supé- 12.5°–25° N). The only continental points having observations are
used. The first correlations are computed between the observa-
rieures à 0. C’est particulièrement le cas en MAM et en
tions (copied three times) and the raw simulations and the second
JJAS. Par contre, les ajustements dégradent nettement cer- ones, between the observations (copied three times) and the
taines corrélations brutes nulles ou faiblement négatives adjusted simulations. Numbers in parentheses indicate the signifi-
[1, 2]. Cette propriété, propre à la validation croisée, ne cant modes at the 0.10 level. Bold values are significant at the
pose pas de réels problèmes pratiques, puisque cela 0.05 level with 30 degrees of freedom.
concerne des espaces où il n’y a pas de réelle relation Indices régionaux Corrélations Corrélations
linéaire entre les observations et les simulations, indi- entre les entre les
quant, soit une absence de forçage des anomalies de simulations simulations
brutes et les ajustées et les
TSO, soit une défaillance spécifique du modèle, soit observations observations
encore une combinaison des deux. L’amélioration des
Amérique du Sud nord (DJFM) 40 60 (4)
résultats avec l’ajustement tient principalement à deux
Amazonie nord (DJFM) 24 37 (4)
facteurs : (i) les méthodes multivariées ne retiennent que Nordeste brésilien (DJFM) 66 60 (4)
les modes d’échelle régionale et éliminent les modes Amérique du Sud nord (MAM) 22 35 (2)
très bruités ne concernant qu’une fraction infime de Amazonie nord (MAM) –25 1 (2)
l’espace ; (ii) le modèle peut reproduire la variabilité tem- Nordeste brésilien (MAM) 73 67 (2)
porelle de façon réaliste, mais est susceptible de dépla- Antilles (MAM) 20 15 (2)
Amérique du Sud nord (JJAS) 15 67 (6)
cer les téléconnections spatiales, notamment en raison Amazonie nord (JJAS) 42 77 (6)
des approximations géographiques du modèle [4]. L’ajus- Antilles (JJAS) 28 70 (6)
tement permet de recaler spatialement les simulations Mexique (JJAS) 29 36 (6)
par rapport aux observations. Amérique du Sud nord (SON) 30 32 (5)
Les espaces les plus réalistes (figure 2) se localisent Amazonie nord (SON) 49 61 (5)
Nordeste brésilien (SON) 6 –2 (5)
principalement autour du Bassin amazonien. Signalons Antilles (SON) 14 3 (5)
toutefois que la documentation de cet espace reste
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vations et les reconstructions (tableau, figure 3). Aucune partir des simulations ajustées sont en général beaucoup
correction, concernant les points de grille ayant des cor- plus réalistes que ceux basés sur les sorties numériques
rélations négatives, n’a été faite. L’estimation du tableau brutes (tableau). Les cas dans lesquels les corrélations
est donc conservatrice. Les corrélations entre les obser- portant sur les données ajustées restent faibles (exem-
vations et les ajustements oscillent, au mieux, entre 0,59 ples : « Antilles » en MAM–SON ou « Nordeste brési-
et 0,76 (Amérique du Sud septentrionale en JJAS). Il s’agit lien » en SON) indiquent, non pas un simple décalage
bien entendu de valeurs en validation croisée, impli- spatial entre les observations et les simulations, mais plu-
quant que le modèle reproduit 36 à plus de 55 % de la tôt une absence de forçage réel des anomalies de TSO
variabilité régionale observée. La figure 3 montre quatre sur la pluviométrie, ou bien une erreur systématique du
exemples d’indices saisonniers. Si on regarde précisé- modèle.
ment le cas de l’indice « Antilles » en JJAS, l’améliora-
tion apportée par l’ajustement est particulièrement nette
en 1972, 1979, 1988 et 1989. Des cas identiques, quoi- 4. Conclusion
que moins importants, se produisent pour les autres indi-
ces, excepté pour le Nordeste brésilien, pour lequel Le fait que les modèles de circulation générale soient
l’ajustement n’apporte aucun gain supplémentaire par vérifiés, et notamment leur réalisme par rapport aux
rapport aux simulations brutes (figure 3 et tableau). Il observations (comportement moyen et variabilité), est une
n’empêche que, dans l’ensemble, les indices calculés à étape essentielle dans la compréhension globale du sys-
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tème climatique et, éventuellement, de la prévision de que cette augmentation de la résolution n’entraîne pas
son évolution future. La modélisation numérique appa- obligatoirement une meilleure reproduction de la réa-
raît en effet théoriquement supérieure à la seule appro- lité. Le choix de l’espace étudié, situé dans la zone tro-
che statistique, qui ne peut reproduire que ce que les picale, autorise, bien entendu, des résultats concluants,
seules observations, souvent limitées dans le temps et compte tenu du forçage exercé par les TSO sur l’atmos-
dans l’espace, lui apprennent. La modélisation numéri- phère, mais la représentation de la variabilité des préci-
que peut répondre à une modification des conditions de pitations saisonnières représente un challenge difficile et
forçage du système et transforme leur influence de façon crucial du point de vue social et économique. Nous
dynamique par l’obtention d’une solution globale. Nous avons montré qu’un traitement statistique a posteriori
avons présenté ici le réalisme d’un MCGA du point de des sorties numériques brutes améliorait sensiblement le
vue des précipitations saisonnières en Amérique tropi- réalisme du modèle en sélectionnant les modes les moins
cale. Le MCGA utilisé correspond bien à « l’état de l’art » bruités (c’est-à-dire ceux possédant la plus vaste échelle
actuel, même si certaines simulations se font désormais spatiale) et en recalant géographiquement les télécon-
à une résolution beaucoup plus fine. Signalons toutefois nexions simulées par rapport à celles observées.
Remerciements. Les données observées de précipitations proviennent du fichier élaboré par Mike Hulme [7].
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