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GESTION DES RISQUES

Le contrôle de gestion bancaire:


évolution de l'instrumentation
et du métier

A
Le contrôle de gestion est apparu U début des années 1980, les banques fran-
çaises n'ont à leur disposition que des outils
à la fin des années ig8o dans le secteur de gestion basiques. Le recours à l'enca-
bancaire, non en raison d'obligations drement du crédit en tant qu'instrument
réglementaires, mais par la volonté de politique monétaire de 1972 à 1984 fige les parts
des banques de mieux évaluer leurs de marché et réduit la concurrence. Les banques évo-
luent alors dans un environnement « protégé » et sont
performances dans un environnement peu disposées à développer et utiliser des techniques
de plus en plus concurrentiel. Au fil des de management élaborées. La loi bancaire de 1984 puis
années, ses fonctions etles outils dont les exigences de la réglementation bancaire française
il dispose n'ont cessé de se renforcer. et européenne les obligent à la mise en place de sys-
tèmes de contrôle interne, de reporting réglementaires,
et au respect des normes prudentielles. Sur fond de
concurrence accrue, les banques se posent alors les
vraies questions du management en milieu concurren-
tiel et risqué.
Notre recherche a pour but d'étudier l'évolution du
métier et des outils du contrôle de gestion.
Même si ces évolutions sont intimement hées, nous
avons jugé préférable, par souci de clarté, de les ana-
Elisabeth Dominique Jean-Louis lyser séparément.
Callandret- Bonet Gallian
Bigot
Enseignant- Responsable PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE
Enseignant- chercheur du contrôle DE LA RECHERCHE
chercheur de gestion
CRET-LOG La mise en place du contrôle de gestion dans les banques
CRET-LOG Crédit Mutuel françaises n'a pas reposé sur des supports réglementaires.
Université Méditerranéen
Université d'Aix-Marseille Il est né de la volonté des banques d'évaluer leurs perfor-
d'Aix-Marseille
IPAG-LAB
mances et de surveiller leur rentabilité dans un environ-
nement concurrentiel, mu par de profondes mutations
réglementaires et législatives. La vocation du contrôle
de gestion bancaire a été volontariste et a suscité une
remise en cause permanente des autres fonctions et des
mentalités. Le développement de la fonction « contrôle
de gestion » s'est heurté à un double problème :
- de culture et de communication ;
- lié au système d'information de gestion.

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Irr Réglementation et gestion des risques

Dans ce contexte, quelle a été l'évolution du métier et impliquent. Des fièches qui renseignent sur la hausse
des outils du contrôle de gestion bancaire ? la baisse ou la stagnation d'un indicateur rajoutent une
L'étude est basée sur des interviews approfondies de dimension dynamique aux tableaux de bord. Chacune
contrôleurs de gestion de banques à réseau (chacune de ces évolutions est représentée graphiquement par un
durant environ deux heures). Un questionnaire en trois histogramme ou un camembert.
parties leur a été proposé : Si les TBG du réseau commercial n'ont cessé d'évoluer
- la première renseigne sur l'évolution de l'organisa- sur la forme, ils ont également évolué sur le fond.
tion du département Contrôle de gestion et du métier ;
- la deuxième traite des outils d'analyse et de mesure DES INDICATEURS QUANTITATIFS...
de la performance ; Aux côtés des incontournables indicateurs quantitatifs,
- la troisième concerne les outils d'évaluation des per- les tableaux de bord de gestion intègrent des éléments
formances du réseau commercial : les tableaux de bord de nature stratégique et des indicateurs qualitatifs.
de gestion (TBG). Les indicateurs quantitatifs, qui fournissent un niveau
d'appréciation globale sur les grandes masses bilancielles
L'ÉVOLUTION DE L'INSTRUMENTATION d'une agence bancaire-encours dépôts/crédits, encours
EN GESTION BANCAIRE moyen mensuel et hors bilan- ont été rapidement enri-
Notre étude se limite à l'analyse des TBG mesurant les chis par la mise en place d'indicateurs plus dynamiques.
performances du réseau commercial. Ces indicateurs exprimés en pourcentage d'évolution
L'évolution de l'instrumentation en gestion bancaire est détaillent le total des ressources (comptes à vue, épargne
le résultat de la mise en place au début des années 2000 monétaire...), le total des emplois par terme (court, moyen,
de gigantesques bases de données (ERP ou progiciel de long terme) et par nature (prêt personnel, professionnel,
gestion intégré). Les contrôleurs de gestion extraient immobilier...), l'évolution des parts de marché emplois/
une information brute qu'ils retraitent grâce aux progi- ressources ; ils permettent ainsi d'observer la formation ou
ciels d'informatique décisionnelle (Business Intelligence ou déformation des grandes masses bilancielles. Par ailleurs,
Décision Support System) principalement connus pour leur l'exacerbation de la concurrence, notamment sur les taux
outil de construction de requêtes et de rapports d'ana- d'intérêt des crédits, s'est traduite parla nécessité d'avoir
lyse ou tableaux de bord (Business Object...). une vision précise des volumes (capitaux moyens), des
taux de production et par conséquent des marges réali-
sées et des commissions perçues. Un intérêt particulier se
porte sur les frais généraux et leur évolution. Les charges
de personnel, lesfiraisde structure et d'exploitation sont
« Les difficultés du contrôleur de étudiés dans des TBG dédiés.

gestion à faire évoluer les mentalités et ...MAIS AUSSI STRATÉGIQUES ET QUALITATIFS


les structures ont été bien présentes Les TBG intègrent des éléments de nature stratégique :
les prévisions budgétaires, les objectifs attendus par type
jusqu'au milieu des années 1990. » de produits ou par chargé de clientèle, et affichent des
résultats à caractère multidimensionnel. Les ERP rendent
possible le croisement des informations concernant le
segment ou le sous-segment d'un marché avec un type
Des TBG basiques de la fin des années 1990, obtenus à de produit, un chargé de clientèle...
partir du traitement d'une information issue de listing La « substance » même du TBG du réseau commer-
papier ou de données livrées par l'informatique après cial a également évolué au fil des années, avec la mise
une nuit de traitement, on parvient aujourd'hui à des en place de nouveaux indicateurs plus qualitatifs. Au
tableaux d'indicateurs d'un tout autre acabit. Les résul- niveau de l'agence, la volonté d'adapter les actions
tats, transmis quasi instantanément au(x) client(s) du commerciales et de cibler des segments particuliers
contrôleur de gestion (la direction générale avant tout), de la clientèle a permis le foisonnement d'un certain
ont une fréquence qui va du quotidien à l'annuel, avec nombre de ratios sur la qualité du portefeuille client :
des comparaisons trimestrielles ou mensuelles sur deux, taux d'équipement ou taux de détention de produits
voire plusieurs exercices consécutifs. Ils sont dans cer- par client... Plus récemment encore, dans les outils de
tains réseaux présentés en couleur (rouge, orange, vert), mesure de performance, les indicateurs de producti-
selon la performance atteinte ou le niveau de risque qu'ils vité classiques (nombre de produits vendus par salarié)

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« II ne suffit plus de
savoir combien on vend,
mais de mesurer si les
commerciaux contactent
leurs clients, selon quelle
périodicité et combien
de relations clientèles
se concrétisent. »

sont complétés par des outils de mesure des relations Il faudra attendre une quinzaine d'années environ pour
clientèle (nouvelles relations, nombre d'entretiens que le contrôleur de gestion soit accepté, voire solli-
client avec résultat, sans résultat...). Il ne suffit plus de cité par la plupart des directions et des personnels de
savoir combien on vend, mais de mesurer si les com- la banque. L'exacerbation de la concurrence, la volonté
merciaux contactent leurs clients, selon quelle pério- de diriger les établissements de crédit comme des
dicité et combien de relations clientèles se concrétisent entreprises, la recherche de la performance dans un
par un acte commercial. contexte très concurrencé ont eu raison de la méfiance
Les commissions perçues, que l'ERP précise pour chaque des banquiers des années 1980. Pour de nombreux
opération et pour chaque chent, permettent le calcul auteurs, l'implantation durable d'un contrôle de ges-
affiné d'un produit net bancaire par client ou segment tion est favorisée par un accompagnement spécifique
de clientèle, de même que la mesure de la rentabilité du contrôleur de gestion auprès des managers. Cet
par type de produits ou de services. accompagnement permet de réduire les résistances
La notion de risque apparaît : certains TBG précisent la aux changements, d'améliorer la programmation des
cotation Bale IL Les indicateurs financiers, les encours, actions de suivi des indicateurs sociaux, et de fiabiliser
les taux moyens des erédits accordés sont alors calculés les chiffiages qualitatifs, quantitatifs et financiers et
par segment de clientèle : clients sains, clients douteux, l'utilisation des tableaux de bord. Le métier de contrô-
clients contentieux. leur de gestion n'a pu effectivement évoluer dans la
Si l'utilisation des progiciels a rendu la présentation banque qu'à partir du moment où il a été soutenu par
des TBG plus conviviale et l'analyse des résultats plus les directions générales.
rapide, la pertinence et la fiabilité des indicateurs ont,
elles aussi, été largement améliorées. VERS UNE DÉCENTRALISATION
DE LA FONCTION?
ÉVOLUTION DU MÉTIER DE CONTRÔLEUR Aujourd'hui, on attend du eontrôleur de gestion
DE GESTION des conseils opérationnels et stratégiques, d'autant
Les difficultés du contrôleur de gestion à faire évoluer que son positionnement hiérarchique, rattaché à la
les mentalités et les structures ont été bien présentes direction administrative et financière, lui permet des
jusqu'au milieu des années 1990. Les éléments sui- prises de position sur des domaines sensibles (dans
vants ont notamment assuré au contrôle de gestion certaines banques, la gestion actif/passif est assurée
un démarrage difficile : par le contrôle de gestion). Il est un prestataire de ser-
-la traduction erronée du terme anglais control, devenu vices dont la clientèle évolue. Alors que son principal
« contrôle » en français, alors qu'il faut comprendre ce interlocuteur et client était au début des années 1990
terme dans sa définition anglo-saxonne de « maîtrise » ; la direction générale, beaucoup de responsables fonc-
- un positionnement hiérarchique inadéquat qui le lie tionnels et opérationnels (directeurs d'agences) font
au département de la comptabilité générale avec lequel aujourd'hui appel à ses compétences.
il n'a pas vraiment d'affinités ; La question se pose actuellement en termes d'organisa-
- un système d'information de gestion quasi inexis- tion et de décentralisation de la fonction de contrôleur
tant et totalement inapproprié aux attentes d'un ges- de gestion vers les directions opérationnelles. •
tionnaire.

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