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G.APOLLINAIRE - Un Poet Moderne A La Recherche Du Passe Guill - Apolli PDF
G.APOLLINAIRE - Un Poet Moderne A La Recherche Du Passe Guill - Apolli PDF
Certes, Apollinaire est un homme et un poète moderne. Homme moderne tout d’abord
par son goût pour la ville nouvelle, pour l’architecture nouvelle. Rappelons-nous ses
calligrammes sur la Tour Eiffel, et même sa critique inattendue de la campagne dans Poèmes
retrouvés. Il manifeste également un profond intérêt pour la peinture cubiste. Dans son
ouvrage Les Peintres cubistes – Méditations esthétiques (1913), il développe notamment
l’idée de cette quatrième dimension figurant selon ses propres mots, l’ « immensité de
l’espace s’éternisant dans toutes les directions à un moment déterminé ». N’est-il pas aussi
l’auteur de cette fameuse formule humoristique :
Et puis l’on sait que le Manifeste de l’antitradition futuriste (1915) le fera passer pour le
destructeur des valeurs anciennes. Participant à des cercles artistiques d’avant-garde, il crée
lui-même sa propre revue, Le Festin d’Esope (1904), où il traite notamment de Picasso, Jacob,
Derain. Il est également l’inventeur, bien sûr, du mot « surréalisme » qu’il met en œuvre dans
Les Mamelles de Tirésias, drame surréaliste en deux actes. Par ce terme, l’auteur cherche à
s’opposer à une « esthétique du trompe-l’œil », à l’ « imitation photographique du réel ».
Autre formule célèbre qu’il nous propose :
Mais Apollinaire est aussi un auteur moderne en quête d’un « lyrisme neuf et
humaniste en même temps » (« Lettre à Toussaint-Luca », 11 mai 1908). Effectivement, ses
goûts artistiques ne sont pas sans conséquences sur son œuvre écrite. Le cubisme a fortement
influencé l’écriture d’Alcools notamment car le poète cherche à transformer le lecteur qu’il
trouve plutôt passif habituellement en créateur actif. Sa pensée procède par association
d’idées. Refusant une perspective unique, il prône une structure caractérisée par la multiplicité
des points de vue dont il faut, nous dit-il, « découvrir les lois avant d’en établir le sens ». Pour
ce faire, il recourt, comme on le sait, à l’absence de ponctuation, à l’usage répété d’une forme
située à la frontière entre l’écriture et la peinture, le « calligramme » qu’il qualifie
d’ « idéogramme lyrique ». Il joue également sur les sonorités, l’homophonie, et pratique les
calambours dont le fameux :
« Ah tombe neige
Tombe et que n’ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras » (Alcools)
Rappelons aussi que le sens notamment des vers du Pont Mirabeau peut se colorer de
multiples nuances selon l’intonation qu’on leur donne, en détachant ou non d’une pause le
deuxième par exemple :
Le poète innove également dans le choix du vocabulaire, le mélange des registres, les thèmes
abordés. Il développe entre autres les métaphores érotiques, les thèmes du voyage, de la
modernité, de l’eau, du passage.
Tout cela est vrai, Apollinaire est moderne, mais l’on ne saurait le réduire à ce constat
de manière si parcellaire, voire « cubiste » en refusant de montrer l’autre côté de son profil.
En effet, malgré les apparences, Apollinaire reste très attaché au passé. Il demeure ce poète
paradoxal qui s’oppose dans son style à tout le courant révolutionnaire de son temps. Il se
situerait à la frontière de la jungle et du jardin à la française, dans une sorte de jardin à
l’anglaise unique en son genre. Il reconnaît d’ailleurs être lettré de manière fortement
inspirée :
« (…) Je ne suis pas un grand liseur (…) et si je suis lettré, ce que je crois, c’est plutôt
par goût naturel qui me fait bien saisir l’intensité de vie et de perfection d’un ouvrage
(…) que par l’étude. » (« Lettre à Henri Martineau », 19 juillet 1913).
Force est de constater que son œuvre est en effet imprégnée de culture classique. L’on
ne compte pas le nombre de poèmes consacrés à l’Antiquité qu’il régénère d’une certaine
manière en fonction de l’époque contemporaine. Les thèmes bibliques l’inspirent également.
Dans L’Hérésiarque et compagnie, il est question d’un texte ancien racontant la punition des
meurtriers de saint Jean-Baptiste, dont Salomé qui demeurera à jamais figée dans la glace.
Apollinaire recourt aussi constamment à la littérature du Moyen Age française ou
internationale : amour et aventures de chevalerie, légendes telles que celle de Merlin
notamment traitée dans le récit en prose qu’est L’Enchanteur pourrissant, forme de ses
poèmes rappelant les antiennes traditionnelles avec l’usage du refrain, l’emploi du
décasyllabe. Il s’inscrit aussi dans la tradition des poètes lyriques du XVIème siècles tels que
notre Ronsard immortel, par l’omniprésence de la femme dans son œuvre. Il la loue ainsi sous
la forme du blason renouvelée par des métaphores nouvelles, et sait exprimer aussi son
sentiment amoureux, sentiment proche parfois de celui d’une pensée néo-platonicienne, sans
oublier d’évoquer la fuite du temps :
Ici, le sentiment d’amour devient sentiment divin par le désir d’élévation de l’âme.
L’on pourra également trouver que le poète s’inspire fortement du XVIIIème dans
l’érotisme de sa poésie. En effet, celui-ci ne détruit pas la raison, ne se réduit pas, semble-t-il,
à une sorte de pulsion comme chez certains surréalistes, mais il reste très classique, construit,
réfléchi comme on peut le retrouver chez Choderlos de Laclos. Enfin, ses récents
prédécesseurs ne le laissent pas indifférents non plus. On sait que le « Bateau ivre » d’Arthur
Rimbaud est à l’origine du titre de son recueil Alcools. Certains vers d’Apollinaire rappellent
Albert Samain ou, en un style gentiment parodique, Verlaine :
Sur le plan politique, social et philosophique, on peut affirmer qu’il n’a pas des
positions aussi catégoriques que celles de certains surréalistes de la décade suivante. D’une
part, il est fortement patriote et se rapproche plus d’un Charles Péguy quand il écrit son amour
de la France :
D’autre part, quand il parle des pauvres, c’est avec un sentiment de pitié mais sans
idée de révolte des classes laborieuses, de « lutte des classes ». Les jeunes filles démunies
n’aspirent qu’au luxe de la bourgeoisie. Le peuple est présenté comme une victime qui
recherche aussi à intégrer la bourgeoisie et ses « alcôves divines ». Cette attitude contraste
donc avec celle des surréalistes se réclamant des mouvements d’extrême-gauche.
Ce n’est pas non plus un poète qui s’inscrit dans le courant de pensée progressiste d’un
Victor Hugo : Apollinaire est orienté vers le passé pour discerner dans celui-ci ce qui est utile
pour le présent. Ainsi redoute-t-il un avenir sombre même après la guerre :
O temps de la tyrannie
Démocratique
Beau temps où il faudra s’aimer les uns les autres
Et n’être aimé de personne
Ne rien laisser derrière soi
Et préparer le plaisir de tout le monde
Ni trop sublime ni trop infime » (Poèmes retrouvés)
Nous pouvons penser qu’il cherche dans le modernisme la trace de Dieu. Donc Apollinaire a
bien une attitude spirituelle mais il lui manque sans doute la ferveur quotidienne :
« Dieu
Je veux vivre inhumain, puissant et orgueilleux
Puisque je fus créé à l’image de Dieu
Mais comme un dieu je suis très soumis au destin
Qui me laisse un regret des antiques instincts
Et prédit dans ma race un dieu juste et certain.
Voyez de l’animal un homme vous est né
Et le dieu qui sera en moi s’est incarné ».
Il faut donc bien noter que cette influence du passé dans l’œuvre d’Apollinaire ne se
traduit pas par un travail de simple imitateur servile :
Il faut bien insister sur le fait que le poète refuse le classicisme seulement quand celui-
ci est conventionnel et tombe dans le conservatisme :
« Pour ce qui est de la poésie libre dans Alcools, il ne peut y avoir aujourd’hui de
lyrisme authentique sans la liberté complète du poète et même s’il écrit en vers
réguliers, c’est la liberté qui le convie à ce jeu ; hors de cette liberté, il ne saurait plus y
avoir de poésie. » (« Lettre à sa marraine », 30 octobre 1915)
Dans ces quelques extraits nous pouvons relever le tutoiement, la répétition de « rêve »,
« rêva », la sensualité moderne assez directe. La présentation d’Hélène en femme fatale qui
ignore le nombre d’amants qu’elle a eus et semble réconcilier le classicisme et la révolution,
souligne combien dans le mythe qu’elle incarne, il y a quelque chose de moderne, de continu.
Ce pourrait être ici une sorte de bilan philosophique et esthétique du poète.
Par conséquent, au terme de cette étude, nous pouvons souligner à quel point
Guillaume Apollinaire reste un poète singulier. Il n’est pas celui de la rupture trop
communément présenté, car il reste attaché à la tradition, notamment par l’aspect rationnel de
son écriture, écriture qui cherche toujours à rester compréhensible :
« Je ne me suis jamais présenté comme destructeur mais comme bâtisseur […]. J’ai
voulu seulement ajouter de nouveaux domaines aux arts et aux lettres en général, sans
méconnaître aucunement les mérites des chefs-d’œuvre véritables du passé et du
présent. » (« Lettre à André Billy », 29 juillet 19918)
Cela nous permet de mieux comprendre pourquoi les surréalistes ont pu être fascinés et
souvent ulcérés par ce poète original, sorte de chimère classique moderniste.
S’il fallait le caractériser brièvement, nous pourrions donc affirmer qu’il est le poète
du passage entre le présent et le passé, le poète du souvenir, omniprésent dans sa poésie,
d’une certaine nostalgie également. C’est aussi un voyageur dans le temps et dans l’espace, un
« guetteur » insatisfait partagé entre l’attente et l’espérance, espérance qu’il trouve dans les
mots comme nos grands poètes. Ecoutons-le encore :
« Chacun de mes poèmes est la commémoration d’un événement de ma vie »(« Lettre
à André Breton, 1916).
Il a transmis un héritage aux poètes de son temps pour qu’ils y puisent une nouveauté. En cela
il rejoint Patrice de La Tour du Pin affirmant :
« Tous les pays qui n’ont plus de légende sont condamnés à mourir de froid… »(La
Quête de la joie).
Enfin méditons encore sur la fonction du poète que nous livre Stuart Merill, qui peut
pleinement s’appliquer à Apollinaire :
« Le poète doit être celui qui rappelle aux hommes l’Idée éternelle de la beauté
dissimulée sous les formes transitoires de la vie imparfaite ».
Marie-Fse Béal