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Commentaire de la Critique de la Raison pure de Kant (1907)

Author(s): Hermann COHEN and Marc B. de Launay


Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 94e Année, No. 2 (Avril-Juin 1989), pp. 165-
170
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40903036
Accessed: 09-02-2017 19:36 UTC

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Hermann COHEN

Commentaire de la Critiqu
de la Raison pure de Kant (1
Préface à la seconde édition (1787)

La Préface à la seconde édition obéit à un style dont la tonal


toute différente. Dans sa première Préface, Kant s'exprimait en q
d'auteur, tandis qu'il se place ici lui-même en position de lecteur.
pourquoi elle offre un contenu théorique qui lui est propre, et elle
un grand progrès méthodologique ; l'auteur doit en effet avoir lui
progressé s'il est désormais capable d'être lecteur de son œuvr
Préface est une préface idéale. On peut sans doute la compar
Dédicace du Faust, voire à la grande allégorie de l'aurore au dé
second Faust. De même que, chez Goethe, « la vie repose sur son r
diapré », ici le contenu de l'œuvre et le destin de la métaphysique
joue en elle se fondent sur la méthode et sur une analogie av
procédures des mathématiques et de la physique. L'idée de « la
démarche sûre d'une science » (§ 1) devient le leitmotiv profond de cette
préface. Et c'est ce sur quoi se règle la conception de la métaphysique qui
comporte « deux parties ». La première concerne « la nature considérée
comme l'ensemble des objets de l'expérience »(§11); elle se réfère « aux
mathématiques et à la physique » (§ 5) qui sont « objectivement et à
proprement parler ce qu'on appelle les sciences » (§ 3). Leur contenu
constitue ce que renfermera la connaissance, et la conception de la
connaissance doit être nécessairement déduite du concept de science
que les mathématiques et la physique réalisent.
La Préface développe ensuite avec une clarté lumineuse cette concep-
tion de la science à partir de sa méthodologie et à partir de son histoire,

Revue de Métaphysique et de Monde, N°2/1989 165

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Hermann Cohen

tandis que le livre lui-même n'est pas parvenu à en donner une vue
d'ensemble. Kant souligne ce qui distingue des Égyptiens « l'admirable
peuple grec » : « une révolution dans la manière de penser » qui a permis
d'ouvrir « cette voie sûre de la science » (§ 6). « Le premier qui démontra
le triangle isocèle fut frappé d'une grande lumière : ce qu'il révélait
n'était pas « ce qu'il observait dans la figure » mais, au contraire, « ce
qu'il y introduisait par sa seule pensée et ce qu'il s'en représentait » (§ 6).
Le concept d'à priori, fondement de la méthode, est ici décrit à travers
cette démarche qui consiste à présupposer, à projeter dans l'objet sa
pensée et à se le représenter par construction. Des exemples classiques
tirés de l'histoire de la physique permettent de définir et d'expliciter ce
concept : l'expérience de Galilée « faisant rouler sur un plan incliné des
boules dont û avait lui-même déterminé la masse », celle de Torricelli et
de Stahl - « c'est ainsi que tous les physiciens finirent par y voir clair. Ils
comprirent que la raison ne saisit que ce quelle-même met à jour d'après
sa propre hypothèse ». « La raison doit s'attaquer à la compréhension de
la nature en tenant d'une main ses propres principes [...] et, de l'autre,
l'expérimentation [...] ».
La découverte de cette méthode la plus intrinsèque aux mathémati-
ques et à la physique, grâce à quoi elles sont devenues des sciences et
ont pu se développer, c'est à la métaphysique aussi qu'on la doit ; elle
en constitue la première partie, comme nous l'avons indiqué. Une autre
section commence avec l'alinéa 9 où la métaphysique est définie comme
« une connaissance rationnelle tout à fait à part » (§ 9). Il s'agit alors de
dépasser cet idiotisme. La voie sûre de la science ne peut pas en ce qui
la concerne être « interdite » : « la nature de notre raison » s'élève contre
cette impossibilité. On a jusqu'à présent seulement « fait fausse route »
(§ 9). L'« exemple des mathématiques et de la physique » doit là encore
nous induire à « transformer notre mode de réflexion. » Kant s'en réfère
alors à Copernic qui « laissa immobiles les astres et fit opérer une
rotation à l'observateur » (§ 9). Cette rotation correspond précisément à
ce qui a été défini par la notion de présupposition. Durant cette
« rotation », l'objet ne reste pas fixe ; il entre en un certain rapport avec
elle. L'objet n'est pas plus exclu qu'il n'est, comme on dit, « donné »
puisqu'au contraire, s'il peut être connu et découvert, c'est seulement
grâce à l'intuition et à l'hypothèse. Cet exemple de la rotation effectuée
par l'observateur devrait être plus convaincant que celui de la construc-
tion d'un objet formel ou que le recours aux « principes » de la raison.
Et pourtant, les astres semblent bien davantage posséder les caractéristi-
ques d'un objet que le triangle ou le plan déclive de la chute des corps :
c'est néanmoins la rotation effectuée par le spectateur qui permet de les
connaître. Voilà pourquoi c'est à propos de cet exemple que Kant donne

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Commentaire de la Raison pure

sa formulation rigoureuse à la « méthode nouvelle appliquée au mode


de réflexion » : ou bien « toutes nos connaissances doivent nécessaire-
ment se régler sur les objets », ou bien « ce sont les objets qui doivent
se régler sur notre connaissance » (§ 9). Dans le premier cas, le concept
d'à priori devient invalide ; « je ne vois pas alors comment on pourrait
[...] savoir quelque chose a priori » (§ 9). Nous ne pouvons « connaître
des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes a priori » (§ 9). Donc,
si les objets se règlent sur les concepts, sur l'intuition, sur la « rotation »
du spectateur, sur la connaissance, on voit surgir une immédiate
corrélation entre l'objet et la connaissance. Il n'y a aucun objet qui serait
en soi et pour soi, seule la connaissance, celle de l'hypothèse, produit
l'objet.
On pourrait dire que cette conception de la connaissance et de sa
relation productive à l'objet apparaît trop restreinte: le sens de
l'expérience viendrait la contredire. Quelle que soit l'activité autonome
déployée par la connaissance, la valeur de l'expérience reste la même,
et Galilée comme Copernic ont bien été obligés de s'y soumettre. Or,
bien que Kant n'écarte pas tout à fait le sens de l'expérience comprise
comme source authentique de connaissance, il ne lui donne néanmoins
pas encore la parole à cette étape de sa réflexion. Car il s'agit ici, au
contraire, de fonder sur la connaissance le concept d'expérience et de lui
donner un statut équivalent ; il n'est pas question de référer le sens de
l'expérience à ce qu'on en comprend communément en le rapportant à
une accumulation de connaissances et à leur évolution. C'est ce que
veulent dire les phrases suivantes : « l'expérience au sein de laquelle
seulement ils [les objets en tant qu'ils sont donnés] peuvent être
connus », « puisque l'expérience est elle-même un mode de connais-
sance » (§ 9) qui suppose l'a priori Ainsi la première partie de la
métaphysique devient une métaphysique des mathématiques et de la
physique, et, partant, une métaphysique de l'expérience.
Il reste maintenant à délimiter la seconde partie de la métaphysique.
La première a pour contenu la nature ou l'expérience, la seconde
cherche à franchir « les limites de toute expérience possible » (§ 11). Ce
qui l'y pousse c'est ce concept qui est au fondement de toute la
deuxième section de la Critique, la Dialectique : le concept d'« incondi-
tionné ». Il n'est pas nécessaire que nous en comprenions déjà la
signification, il suffit que nous appréhendions le rapport qu'il entretient
avec la question de l'objet, de la connaissance, de l'expérience. De même
que la chose fait face de manière autonome à la connaissance, comme
si elle était donnée indépendamment de cette dernière dans l'expé-
rience, de même la chose inconditionnée, ce qu'on appelle l'absolu, l'âme
et Dieu par exemple, est noyée de brumes de sorte que son existence

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serait indépendante de notre connaissance et lui serait inaccessible,


comme c'est effectivement le cas puisqu'elle se situe hors des limites de
l'expérience. C'est ce problème que traite désormais la seconde partie
de la Préface qui doit fournir la confirmation du modèle développé dans
la première. Celle-ci a pour tâche d'offrir à la seconde partie, à qui
jusque-là fait défaut la moindre assurance, la moindre « clarté cohé-
rente », la possibilité d'une telle certitude cohérente et permettre ainsi
à la métaphysique de « devenir une science ».
C'est alors qu'on voit aussitôt apparaître un couple conceptuel
complexe : les concepts de « phénomène » et de « chose en soi ». Nous
pouvons fort bien, ici aussi, nous dispenser d'expliciter ce couple
conceptuel fondamental, il nous suffit de reconnaître, afin de compren-
dre l'orientation générale, que la « méthode transformée » qui détermine
désormais la connaissance a priori a pour tâche de confirmer cette
seconde partie, c'est-à-dire fonder la possibilité d'une connaissance de
1'« inconditionné ». En quoi consiste alors cette possibilité ? En ceci qu'à
la connaissance théorique se substitue une connaissance pratique. « Après
avoir refusé à la raison spéculative tout progrès dans le champ du
suprasensible, il nous reste encore à chercher s'il n'y a pas dans sa
connaissance pratique certaines données qui lui permettent de déter-
miner le concept transcendant de l'inconditionné et de pousser ainsi,
conformément au vœu de la métaphysique, notre connaissance a priori
au-delà de toute expérience possible, mais seulement du point de vue
pratique » (§11). Ainsi nous est donnée clairement l'orientation de la
seconde partie de la métaphysique : il s'agit désormais de Véthique.
Nous pouvons alors faire plus ample connaissance avec ces concepts
difficiles du système, pour autant que nous y autorise la méthode mise
en place dans la première partie de la métaphysique. Ce qui est appelé
maintenant «chose en soi» devrait pouvoir correspondre à l'objet
représenté comme donné et existant indépendamment de l'intuition et
de la « rotation » effectuée par le spectateur. Dans la première partie, on
parlait de «phénomène». Mais dans la mesure où ce ne sont pas des
phénomènes qui permettent de résoudre la question de l'éthique,
puisqu'il ne s'agit plus alors d'objets de la nature au sens fondamental,
il faut donc forger un autre concept de la chose en soi, si, du moins, par
opposition à la connaissance de l'expérience, la connaissance en tant
qu'éthique est possible. Toute la seconde partie de la Préface traite de
cet autre aspect de la connaissance, et Kant considère à nouveau comme
une « contre-épreuve administrée par l'expérimentation » le fait que la
distinction opérée dans la première partie entre « phénomène » et
« chose en soi » se révèle désormais si féconde. Il faut pourtant faire
observer que cette seconde partie n'offre rien qui fut une prolongation

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ou un fondement de la première : la chose en soi n'apporte aucune


confirmation, aucune conviction quant à l'expérience scientifique, par
exemple, dans la perspective d'une réalisation de la nature, mais
uniquement et exclusivement quant à Vautre mode de connaissance,
c'est-à-dire quant à « l'usage pratique de la raison pure [l'usage moral] »
(§13).
Quoi qu'il en soit, c'est dans ce contexte que Kant écrit « qu'il serait
absurde qu'il y ait un phénomène sans que rien ne se manifestât » (§ 14).
Cela s'applique néanmoins autant à l'homme, comme objet de l'âme et
de la liberté, qu'à Dieu dans la mesure où il entretient avec le monde
une sorte de rapport causal. Il ressort sans aucun doute de cette phrase
qui n'a rien d'ésotérique que la contre-épreuve administrée à la seconde
partie ne peut être qu'une éthique. On pourrait aussi penser que cela
n'aurait qu'une « utilité négative », or 1'« extension » que la métaphysique
se targue habituellement d'être est ici au contraire une « restriction »
(§ 13) ; en revanche, la possibilité de l'éthique est d'une utilité toute
positive que n'affaiblit pas le fait qu'on soit pour cela contraint
d'accréditer une distinction entre « connaître » et « penser » (§ 14).
« Ainsi la doctrine morale garde sa place comme la science de la nature
peut conserver la sienne » (§ 14). L'extension dont nous parlions est donc
en fait « une extension pratique de la raison pure » (§ 14).
C'est dans ce contexte que figure la phrase : « J'ai dû supprimer le
savoir pour faire place à la croyance » (§ 14). Le savoir supprimé, c'est
celui de la « chose en soi » comme objet de la connaissance par
l'expérience ; la croyance renvoie, elle, à la connaissance pratique, à la
connaissance morale qui n'est justement pas une connaissance mathé-
matique ou physique, mais pas davantage une connaissance de Dieu ou
de l'âme considérés comme des substances (outre leurs autres qualités).
Cette croyance-là est la « croyance de la raison » telle que la définit et
l'explique la « théorie de la méthode » (cf. Critique de la Raison pure,
« Théorie transcendantale de la méthode »).
Il est particulièrement important que figure ici un terme dont on verra
par la suite qu'il permet de résoudre méthodiquement la question de la
« chose en soi » : il s'agit du terme de « problème » (§ 12) ; au lieu de
choses prétendument données, on a affaire à des problèmes. La notion
d'âme pourrait se transformer en un problème ainsi compris. Je ne puis
en effet connaître l'âme, mais je suis néanmoins en mesure de penser sa
liberté (§ 14). Cette pensée n'a pas seulement la pertinence d'une
possibilité non-contradictoire, « elle requiert quelque chose de plus. Mais
ce quelque chose de plus, il n'est pas besoin de le chercher dans les
sources théoriques de la connaissance, il peut bien se trouver dans ses
sources pratiques » (§ 14, a.).

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Nous pouvons passer sur le reste de la Préface, sur l'appel à la


« jeunesse », au « gouvernement », aux « écoles », ainsi qu'au « public, à
nos yeux fort digne de respect » (§ 15). La remarque concernant le
« scandale » provoqué par l'idéalisme sera prise en compte lorsque nous
aborderons le problème auquel elle renvoie. Soulignons seulement le
jugement d'ordre historique que Kant porte sur Wolf, « le plus grand de
tous les philosophes dogmatiques », dont il fait le « précurseur en
Allemagne de cet esprit de profondeur qui ne s'est pas encore éteint »
(§ 16). Kant veut, lui aussi, suivre cette méthode rigoureuse afin de
« promouvoir une métaphysique fondamentale en tant que science ». Le
rôle de la « critique » est d'y contribuer dans la mesure où elle est un
« traité, de la méthode » (§ 12) qui lui ouvre la route.

Traduit de l'allemand par


Marc B. de Launay

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