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QUESTIONS CONTEMPORAINES –

L’ALIMENTATION – COURS 3
Jonathan Hiriart – Louis Rossignol

COURS 3 : LES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX


AUTOUR DE L’ALIMENTATION

T ABLE DES MATIERES


1. La place de l’alimentation dans le changement global ........................................................... - 2 -
1.1. Agriculture et réchauffement climatique ...................................................................................... - 2 -
1.2. Agriculture et déforestation ........................................................................................................... - 2 -
1.3. L’extension au monde de l’agriculture industrielle ..................................................................... - 3 -
1.4. L’impact environnemental de l’agriculture intensive. ................................................................. - 4 -
1.5. Un appauvrissement de la biodiversité.......................................................................................... - 7 -
2. Quels modèles agricoles face au dérèglement climatique ? .................................................... - 7 -
2.1. Une réforme des politiques agricoles ............................................................................................. - 7 -
2.1.1. Qu’est-ce qu’une politique agricole ?........................................................................................ - 7 -
2.1.2. Du productivisme à de nouvelles préoccupations politiques, l’exemple européen................ - 8 -
2.2. Vers de nouvelles pratiques sur les questions agricoles ............................................................... - 9 -
2.2.1. Des techniques plus respectueuses de l’environnement .......................................................... - 9 -
2.2.2. La lutte contre le gaspillage ..................................................................................................... - 10 -
2.2.3. Vers une urbanisation plus harmonieuse ? ............................................................................ - 10 -
3. D’autres enjeux : l’alimentation en eau ................................................................................. - 11 -
3.1. Le cycle de l’eau, un système planétaire ..................................................................................... - 11 -
3.2. Une ressource inégalement disponible......................................................................................... - 12 -
3.3. Une ressource sous tension ........................................................................................................... - 13 -
3.4. Les défis du changement global ................................................................................................... - 14 -
3.4.1 Quels enjeux ? ............................................................................................................................... - 14 -
3.4.2 Quelles solutions envisageables ?............................................................................................. - 14 -
4. Réserver l’agriculture à la production alimentaire ? ........................................................... - 15 -
4.1. Produire de l’énergie avec l’agriculture : l’exemple de la méthanisation................................ - 15 -
4.2. Les agrocarburants, une solution face au changement global ? ............................................... - 16 -

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1. L A PLACE DE L ’ ALIMENTATION DANS LE CHANGEMENT


GLOBAL

On parle de changement global pour désigner le changement multiforme des milieux sous l’action des
sociétés. Cette notion contient les processus du changement climatique, de l’urbanisation du monde et de la
déforestation. La question de l’alimentation occupe une place importante dans ce processus.

1.1. Agriculture et réchauffement climatique

Certains scientifiques ont proposé le concept d’anthropocène, qui désigne la période depuis laquelle les
sociétés humaines ont une influence prédominante sur le système terrestre. L’invention de l’agriculture a
amorcé ce processus. On mesure en effet les traces des activités agricoles humaines à travers la production de
dioxyde de carbone (CO2) ou de méthane (CH4) dans l’atmosphère. Cela est mesuré dans les bulles d’air
emprisonnées dans les carottes de glace prélevées dans l’Antarctique. On retrouve les traces d’une
augmentation du CO2 et du CH4 dans l’atmosphère à partir du milieu de l’holocène (2500 ans avant notre ère).

Avec la même méthode de recherche, on retrouve dans ces carottes glaciaires des traces de l’effondrement
démographique qui fait suite à l’arrivée des Européens en Amérique. Les populations locales sont passées de 50
millions d’individus en 1492 à 8 millions d’individus en 1650. Cela a libéré d’immenses surfaces agricoles. Ces
espaces ont été gagnés par la forêt, ce qui a provoqué une diminution importante de la concentration du dioxyde
de carbone dans l’atmosphère. Pour la première fois depuis le début de l’anthropocène, le CO2 a diminué, avec
un minimum vers 1610, et un refroidissement de l’atmosphère évalué à 0,15°. Certains historiens du climat ont
même parlé de « petit âge glaciaire ».

On voit que la déforestation est un des points décisifs dans l’évolution du climat. L’agriculture est liée à cette
question.

1.2. Agriculture et déforestation

En Europe occidentale, la période des « grands défrichements » s'étend approximativement du XIème siècle
jusqu'au début du XIVème siècle. Les espaces consacrées à l'agriculture y connurent un accroissement
proportionnel à l'augmentation de la population. Cela s’est fait en plusieurs étapes, avec la mise en culture de
nouveaux champs aux dépens des forêts entourant les villages, puis la création de nouveaux villages. Les

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seigneurs responsables de cette colonisation désiraient implanter des communautés sur des terres non
exploitées, car elles paieraient ensuite des taxes. La déforestation massive forêts de l'Europe occidentale fut la
principale conséquence de cette poussée agricole. On peut le mesurer grâce à la palynologie, une technique qui
étudie la présence de pollens dans des carottage du sol ou du fond de lacs anciens. Ainsi, quand les spécialistes
étudient la présence de pollens, par exemple dans certaines régions de l’Allemagne, ils constatent que les
pollens de céréales remplacent immédiatement les pollens produits par les arbres.

Hors d’Europe et des zones tempérées, pendant longtemps, l’agriculture itinérante sur brûlis a constitué un
mode de production agricole familiale dominant, car il répondait aux besoins de de subsistance des populations.
Après l’abattage des arbres et le défrichement, les terrains étaient mis en culture pendant quelques années. La
terre était ensuite laissée en jachère pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies, ce qui laissait souvent
le temps à la forêt de ses reconstituer. Les spécialistes estiment que ce système agricole est durable tant que la
densité de population ne dépasse pas les 30 à 40 habitants au km2. Au-delà, le raccourcissement des temps de
jachère empêche le retour de la forêt ainsi que la restauration du milieu.

L’ouverture de routes ainsi que les politiques des gouvernements ont favorisé l’installation de parcelles
agricoles permanentes. Cela implique le recours à des techniques agricoles qui sont apparues au XX ème siècle
(engrais chimiques, désherbants, semences industrielle, mécanisation). Autant d’innovations qui ont des
conséquences sur l’environnement, que nous aborderons plus loin.
En 2021, une étude de la FAO (L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture, organisme dépendant de
l’ONU) a montré que l’expansion agricole est responsable de près de 90% de la déforestation dans le monde.
Cela correspond à une perte de 420 millions d’hectares de forêts depuis 1990. L’étude de la FAO montre qu’au
niveau mondial la perte de couvert forestier est attribuable pour plus de moitié à la conversion de forêts en
terres agricoles et que le pâturage est responsable de près de 40% de la réduction des surfaces forestières. Elle
met aussi en évidence la pression importante que l’expansion agricole exerce en particulier sur les forêts
tropicales humides.
On peut faire la différence entre plusieurs types d’agriculture. En Afrique, la forêt tropicale humide est peu
à peu rongée par l’agriculture familiale vivrière (agriculture dont l'objectif premier est d'assurer la subsistance
de ceux qui la pratiquent) et de rente (agriculture qui permet de dégager un profit, comme la production de café
ou de cacao). L’Amazonie est plus sujette à l’élevage à grande échelle. En Amérique du Sud, près des trois quarts
de la déforestation est attribuable au pâturage du bétail. Ces types d’agriculture pèsent sur l’environnement,
d’autant plus qu’ils relèvent de transformations techniques importantes.

1.3. L’extension au monde de l’agriculture industrielle

A partir de 1850, l’agriculture industrielle se développe en Amérique du Nord. A partir des années 1930, elle
s’étend à Union soviétique, puis à partir des années 1950 à Europe de l’Ouest. Dans le prolongement de cette
expansion, l’industrialisation de l’agriculture ne s’est plus limitée aux milieux tempérés, mais s’est étendue aux
Zones tropicales, Amérique latine, Afrique, Asie du Sud-Est, à travers la « Révolution verte ».

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Cette révolution se base sur 3 piliers :

- Le développement de variété à haut-rendement (biologie végétale)

- La production et l’utilisation d’engrais azotés à partir d’hydrocarbures. Ce procédé a été inventé au début
du XXème siècle.

- Le recours aux énergies fossiles pour mécaniser les travaux agricoles.

Cette transformation du monde agricole est aussi le fruit d’une volonté politique, car les gouvernements
financent la recherche et l’innovation, ainsi que le développement de ces pratiques en les subventionnant. En
effet, les questions alimentaires sont soumises à des enjeux politiques forts. La priorité pour les gouvernements
est souvent d’assurer l’alimentation des citoyens et les revenus pour le pays. Les questions environnementales
sont souvent passées au second plan.

1.4. L’impact environnemental de l’agriculture intensive.

A. Des émissions de gaz effet de serre

Selon le GIEC, l’agriculture et l’élevage sont responsables de 20 à 30 % des émissions de gaz à effet de serre.
Nous l’avons évoqué plus haut, la déforestation en est une des principales causes.
Mais ce n’est pas la seule. En effet, les agriculteurs pratiquent le labour, qui vise à retourner la terre pour
l’ameublir et faciliter les semis. Cela expose le carbone enfoui dans le sol à l’oxygène de l’air, ce qui permet aux
microbes de le convertir en CO2, qui part dans l’atmosphère. De plus, la consommation des tracteurs en pétrole
est importante : selon d’ADEME, de 35 à 40 litres / 100 kilomètres pour un engin d’une puissance 80 chevaux.

Par ailleurs, l’élevage des ruminants (vaches, brebis, chèvres) provoque l’émission de beaucoup de gaz à effet
de serre. Les ruminations génèrent beaucoup de méthane, un gaz qui est 25 fois plus puissant que le CO2 dans
le processus du réchauffement climatique. On se retrouve ainsi avec des données surprenantes. Par exemple,
les vaches indiennes, qui produisent 2 à 3 litres de lait par jour, pèsent lourd dans le bilan carbone-méthane, du
fait de leur très faible productivité. Même chose pour les bovins élevés dans de très grands espaces en Argentine,
car, comme ils dépensent beaucoup d’énergie pour « donner » un kilo de viande, ils contribuent de manière
significative au réchauffement climatique.
Mais le labour et l’élevage ne sont pas les seuls domaines qui émettent des gaz à effet de serre. Dans les régions
où domine l’agriculture intensive, la moitié des émissions qui causent le réchauffement climatique viennent du
protoxyde d’azote, un gaz qui est émis lors de l’oxydation de l’ammoniac et de l’azote. Ce processus a lieu
lorsque les engrais de synthèse sont épandus au sol. Par ailleurs, l’agriculture industrielle pose d’autres
problèmes.

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B. Une fragilisation des sols

Les techniques de labours sont très agressives pour les sols, en les déstructurant. Comme les engins agricoles
sont de plus en plus lourds, les sols se tassent, ce qui les asphyxie et les empêche de retenir l’eau. De plus, le
passage des engrais organiques (fumier, compost) à des engrais chimiques appauvrit les sols, qui deviennent
plus sensibles à l’érosion et disparaissent progressivement.

Par exemple, en zone tempérée, les cultures de printemps (par exemple le maïs, la betterave et le tournesol)
laissent le sol nu pendant la période hivernale. L’eau de pluie ruisselle bien davantage, ce qui favorise l’érosion
et la dégradation des sols. Cela correspond à la couleur marron de l’eau des fleuves et rivière lors des orages.
Or, seuls les 30 à 40 centimètres du sol sont fertiles, et lorsque cette partie du sol est emportée, les rendements
agricoles baissent fortement. Les sols peuvent disparaitre en quelques décennies, mais ils mettent des milliers
d’années à se reconstituer.
Ce phénomène s’est accru avec la transformation des terrains agricoles. Pour faciliter le travail des engins
agricoles modernes, de nombreuses parcelles ont été échangées entre agriculteurs, de manière à créer des
parcelles plus grandes. C’est ce que l’on appelle le remembrement, qui en France a été organisé à partir des
années 1960 par l’Etat. A cette occasion, beaucoup de haies ont été supprimées. Or, elles jouent un rôle pour
accueillir la faune, absorber l’eau de ruissellement et prévenir l’érosion. Les haies sont généralement
perpendiculaires à la pente, ce qui permet de limiter les transferts d’eau. Elles ont aussi une meilleure
perméabilité à l’eau, en raison de la richesse en matière organique de leur sol et la macroporosité crée par les
racines et les terriers d’animaux. L’eau venant de l’amont est freinée et absorbée. Ceci est d’autant plus
important que les eaux de ruissellement transportent des éléments chimiques apportés au sol par l’homme.

C. Une pollution de l’eau et des sols

L’azote et le phosphore sont indispensables à la croissance des végétaux. Les agriculteurs les apportent dans
les sols pour les enrichir, sous forme minérale (les engrais industriels) ou sous forme organique (fumiers et
déjections animales). En cas de fortes pluie, ces éléments chimiques peuvent être emportés et se retrouver dans
les eaux souterraines et les cours d’eau (on parle de lessivage). Un rapport de l’Union européenne estime que
55% des nitrates (azote) présents dans les cours d’eau proviennent de l’agriculture1.

En France, les régions les plus touchées sont le bassin parisien et les hauts de France (emploi d’engrais azoté)
et en Bretagne (déjections des animaux d’élevage).

1
https://www.lumni.fr/video/la-pollution-par-les-nitrates

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Cela pose des problèmes pour la santé publique, car la présence de nitrates dans les eaux de boisson provoque
des maladies, en particulier des cancers. On estime que cela a aussi des conséquences sur l’environnement, car
l’excès de nitrates provoque l’asphyxie des cours d’eau, des lacs et des étangs, mais aussi, sur les côtes, le
phénomène des marées vertes.

Un exemple en vidéo :
https://www.francetvinfo.fr/sante/environnement-et-sante/video-pollution-sur-cette-plage-bretonne-jusqu-
a-600-tonnes-d-algues-vertes-ramassees-en-une-journee_4763319.html

De la même manière, les produits phytosanitaires (insecticides, herbicides et fongicides) peuvent se


retrouver dans les eaux de surface ou souterraines. Un des exemples les plus célèbres est celui du chlordécone,
utilisé massivement dans les bananeraies en Guadeloupe et en Martinique pendant plus de vingt ans à partir de
1972 pour lutter contre le charançon de la banane, un insecte qui détruisait les cultures. Or, ce produit très
efficace est aussi un perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique classé cancérogène possible dès
1979 par l’Organisation mondiale de la santé. Il perturbe les grossesses (augmente le risque de prématurité),
mais il a aussi des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons. De plus, le pesticide
est aussi fortement soupçonné d’augmenter le risque de cancer, en particulier celui de la prostate. La Martinique
et la Guadeloupe sont très touchées par cette maladie. Le cancer de la prostate est deux fois plus fréquent et
deux fois plus grave aux Antilles françaises qu’en métropole. Un des problèmes les plus aigus tient au fait que la
molécule est très persistante dans l’environnement − jusqu’à sept cents ans. Elle passe dans la chaîne
alimentaire, en contaminant les sols, mais aussi les rivières, une partie du littoral marin, le bétail, les volailles,
les poissons, les crustacés, les légumes-racines... et la population elle-même.

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1.5. Un appauvrissement de la biodiversité

Un rapport de la FAO de 2014 estimait que, depuis les premiers temps de l’agriculture, plus de 6000 espèces
de plantes avaient été cultivées à des fins alimentaires. Aujourd’hui, l’agriculture intensive se limite à moins de
200 espèces végétales cultivées de manière significative. Un bon exemple de l’appauvrissement de la
biodiversité lié à l’agriculture est celui de l’huile de palme. C’est un produit recherché par les industriels de
l’agro-alimentaire, car il donne de l’onctuosité aux préparations. De plus, cette huile est très bon marché à
produire, beaucoup plus que celle de colza par exemple. Des industriels l’utilisent donc pour en faire des
agrocarburants. Cela en fait une culture très rentable, et des multinationales plantent d’immenses vergers en
monoculture, souvent à la place de forêt tropicales. C’est par exemple le cas en Indonésie. Le fait qu’une seule
espèce remplace une forêt variée pose d’immenses problèmes : disparition de la faune, dégradation des sols,
incendies plus fréquents.

Nous le voyons à l’issue de cette première partie, les enjeux du changement global, et la question du
dérèglement climatique en particulier, invitent à questionner les modèles agricoles.

2. Q UELS MODELES AGRICOLES FACE AU DEREGLEMENT


CLIMATIQUE ?
2.1. Une réforme des politiques agricoles
2.1.1. Qu’est-ce qu’une politique agricole ?

Une politique agricole est une politique économique axée sur le secteur agricole. Selon l’agronome et
géographe Marc Dufumier, ce sont « les conditions techniques et sociales visant à organiser la production
agricole », qui sont « la manifestation d’une volonté politique de transformer l’agriculture en tenant compte des
rapports de force en vigueur dans la société. »

De fait, le libéralisme n’a jamais été complètement appliqué sur les questions agricoles. Les Etats tiennent
l’agriculture pour une activité à part, qu’il faut contrôler et soutenir. En effet, les contraintes techniques et la
nature du marché (forte variation de l’offre et demande stable) provoquent une instabilité des prix. Les Etats
gardent une emprise sur ce secteur, même quand sa part dans le produit national brut devient marginale. Par
exemple, en France, L’Etat est intervenu dès le XIXème siècle pour soutenir les prix, et donc les agriculteurs, en
particulier face à la concurrence des pays neufs. Cela est passé par l‘instauration de droits de douane pour les
produits importés, puis par des subventions pour accroitre la productivité (et permettre l’achat d’engrais
chimiques et la mécanisation évoqués plus haut). A partir des années 1960, le gouvernement décide de

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moderniser l’agriculture française. L’objectif était de faire disparaitre les petites exploitations, au profit
d’exploitations plus grandes, remembrées, modernisées, capables d’assurer une production de produits
alimentaires importante.

Cela correspond à la création du marché commun. La Communauté économique européenne, à travers sa


politique agricole commune, garantit des prix minimums et subventionne les exportations. L’objectif est alors
d’encourager les agriculteurs à produire un maximum, ce qui favorise l’agriculture industrielle aux dépends des
finances publiques et de l’environnement (nous l’avons vu en première partie).

2.1.2. Du productivisme à de nouvelles préoccupations politiques, l’exemple


européen

Dans le cas de l’Europe politique, une réforme est mise en place à partir du début des années 1990. Les
agriculteurs perçoivent alors une aide sous la forme d’un forfait, et non plus en fonction de la quantité produite.
Ils doivent même laisser une partie de leurs terres se « reposer », sous forme de jachère. Au début des années
2000, les aides sont versées à la condition que les agriculteurs respectent des règles sur la protection de
l’environnement. On voit ainsi comment la politique agricole européenne s’est transformée, sous l’influence de
nouvelle préoccupation des citoyens européens, qui ont pris la mesure des conséquences sur l’environnement
de l’agriculture productivistes. En effet, l’industrialisation de l’agriculture a des conséquences visibles et
médiatisées sur la nature et la santé publique : algues vertes, disparition des abeilles et autres insectes, scandale
de la vache folle, etc…

Parallèlement à la transformation de la politique agricole commune, les politiques nationales et


européennes ont connu des changements de paradigmes. Pendant longtemps, les politiques ont favorisé la
production de denrées de base au détriment de produits de qualité. Les productions de masse et les
exploitations spécialisées ont été privilégiées. Or, on assiste à une conjonction de facteurs qui favorisent le
développement de productions de qualité. On assiste d’une part à une demande des consommateurs, qui
souhaitent une transparence dans les processus de production, et sont en demande de produits respectueux de
l’environnement. D’autre part, un nombre croissant d’agriculteurs souhaitent rompre avec le productivisme et
l’agriculture industrielle. Enfin, les Etats et l’Union européenne développent les labels de qualité à travers des
certifications (appellations d’origine protégées, label rouges, agriculture biologique, etc…).

De manière générale, l’Union européenne a décidé que la sauvegarde de l’environnement était désormais une
« composante de la Politique Agricole Commune ». Toute une série de mesures entrent dans ce dispositif : lutte
contre les polluants, amélioration des paysages, retrait de terres agricoles à des fins environnementales.
Mais cela conduit à s’interroger sur les pratiques qui peuvent être compatibles avec le respect de
l’environnement.

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2.2. Vers de nouvelles pratiques sur les questions agricoles


2.2.1. Des techniques plus respectueuses de l’environnement

Parmi les techniques qui sont appelées à se développer dans les prochaines années, on peut citer l’approche
appelée « agriculture sans labour », qui consiste à placer les semences dans des trous dans le sol plutôt que de
labourer la terre avant les semis. Selon une étude britannique, elle pourrait réduire de près d’un tiers les
émissions de gaz à effet de serre liées à la production agricole et augmenter la quantité de carbone stocké dans
les sols. Cela ne bouleverse pas les différentes couches, et favorise le travail de la faune (vers de terre,
champignons, micro-organismes). Les agriculteurs qui pratiquent ces techniques croisent souvent les cultures,
par exemple en intercalant des légumineuses (comme le trèfle, les fèves ou les pois), qui ont la capacité de
capter le CO2 de l’air pour le mettre dans les racines. Avec cette technique, les sols ne sont jamais nus, ce qui
limite l’érosion et l’émission de CO2 dans l’atmosphère.

Une vidéo avec un exemple de producteur qui pratique le semis direct :


https://www.youtube.com/watch?v=m1TfEWwgh5s&ab_channel=Agro%C3%A9cologie
Pour ceux qui veulent aller plus loin :
https://www.youtube.com/watch?v=szW1A2TxXUU&ab_channel=ClaudeRICHARD

Un autre exemple de technique qui est amenée à se développer dans l’avenir en raison des avantages pour
l’environnement est l’agroforesterie, c’est-à-dire l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une
même parcelle. Cette technique qui se pratiquait dans l’agriculture traditionnelle, dans certains pays du Sahel,
mais aussi dans des régions tempérées comme la Bretagne et la Normandie. Les avantages sont nombreux :
L’arbre, par son système racinaire, puise eau et minéraux dans les couches profondes du sol et les remonte en
surface. Les techniques agroforestières permettent de disposer les arbres afin que ceux-ci favorisent au
maximum les cultures et rentrent le moins possible en compétition avec elles. Les arbres permettent aussi de
diversifier les productions (en capitalisant sur le long terme) : bois d’œuvre, bois énergie, fruits, fourrage.... Ils
limitent également la fuite des nitrates dans les couches profondes du sol, ce qui réduit la pollution des nappes
phréatiques. La fertilité du sol peut être améliorée par les feuilles des arbres qui tombent sur le sol et fournissent
un important approvisionnement en biomasse susceptible d’être minéralisée. Lorsque des espèces fixatrices
d’azote sont utilisées (comme l’acacia) en association, ils peuvent contribuer à l’alimentation azotée des cultures
et ainsi réduire l’utilisation d’intrants de synthèse. Les arbres et les haies dans les champs permettent d’obtenir
une diversité des espèces et des habitats, ce qui est favorable aux insectes auxiliaires des cultures et
pollinisateurs. Par ailleurs, les arbres ont la capacité d’absorber le CO2 et, durant leur phase de croissance, de
stocker le carbone. Ils participent donc à atténuer les effets du changement climatique.

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Par contre, de telles méthodes ont un coût : entre 500 et 1.300 €, pour une cinquantaine d’arbres par
hectare. De plus, il au départ, il y a une diminution de la surface cultivée, puis dans la deuxième moitié de la vie
des arbres (au-delà de 25 ans environ), le rendement des cultures baisse régulièrement. Il faut raisonner à long
terme et de manière systémique. Les avantages apportés par les arbres permettent des économies (moins
d’arrosages et d’intrants). De plus, la production de bois d'œuvre et de biomasse arborée permet d'obtenir un
complément de revenus et une augmentation du capital de l’exploitation agricole. Par ailleurs, les services
rendus par des telles parcelles pourraient être rémunérés : Une étude de l’INRA a montré que 50 arbres à
l’hectare absorbent jusqu’à deux tonnes de CO2 par an.

Une illustration en vidéo :


https://www.youtube.com/watch?v=KxFJR09MOA8&ab_channel=AgroforesterieAssociationFran%C3%A7aise

2.2.2. La lutte contre le gaspillage

En France, 20 à 25 % de la nourriture est jetée, à un moment ou à un autre de la production, de la


distribution et de la consommation. Dans les pays riches, cela est dû à l’habitude prise, à partir des années 1950,
de ne garder dans le circuit commercial que des produits parfaitement calibrés. La construction de nouvelles
habitudes permettrait de ne pas gaspiller des produits qui ont généré des gaz à effet de serre pour être
fabriqués. De la même manière, de nouvelles habitudes dans les cantines permettraient de réduire le gaspillage,
comme le fait de servir de petites portions, et de laisser les usagers revenir se servir si besoin. Dans les pays en
développement, ce chiffre est plus bas mais les pertes sont plus importantes, notamment en raison des
conditions de stockage défectueuses. Là aussi, des actions sont possibles.

2.2.3. Vers une urbanisation plus harmonieuse ?

Un des points majeurs du changement global est la question de l’urbanisation du monde. La dernière
décennie a vu un basculement anthropologique : pour la première fois, une majorité des habitants de la planète
habite en ville. Cela pose la question de la proximité entre producteurs et consommateurs. Avant l’avènement
de chaînes logistiques efficaces, mais consommatrices d’énergie et d’espace, les villes étaient entourées de
ceintures agricoles, qui les alimentaient en produits frais.

Or, en s’étendant, les villes fragmentent le foncier agricole rendant le travail et l’installation des agriculteurs
plus compliqués. De plus, la concurrence est très forte entre urbanisation et agriculture, et tourne rarement en
faveur de cette dernière. De plus en plus d’associations et de collectivités locales ont pris la mesure de l’intérêt
de la préservation de terres agricoles à l’intérieur des aires urbaines. Les citoyens sont en demande d’une
agriculture de proximité et de qualité. Cela peut aussi participer à retisser du lien social et à construire une ville
plus agréable. La préservation de terres productives a aussi une dimension sociale. A Détroit, des citoyens au
chômage ont mis des terres urbaines en culture pour pouvoir se nourrir. A Aubervilliers, les habitants ont lutté

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pour protéger des jardins ouvriers qui devaient être transformés en solarium de la piscine construite en vue des
Jeux olympiques de 2024.

3. D’ AUTRES ENJEUX : L ’ ALIMENTATION EN EAU

Nous l’avons vu au début de la première partie de ce cours, la question de l’agriculture est liée à la question
de l’eau. C’est un élément indispensable à la production de produits alimentaires, et l’agriculture à une influence
sur la qualité de l’eau de ruissellement. Il s’agit donc de comprendre comment fonctionne le cycle de l’eau,
comment les hommes ont accès à la ressource, surtout face au changement global.

3.1. Le cycle de l’eau, un système planétaire

L’eau est un élément naturel, qui suit un cycle entre l’atmosphère (la couche gazeuse qui entoure le globe
terrestre), la biosphère (l’ensemble formé par les êtres vivants et leur milieu de vie) et la géosphère (la partie
minérale, non vivante de la terre).
Cet ensemble forme un système, le cycle de l’eau étant composé de flux et de stocks. 97,5% de l’eau terrestre
est salée, mais la quantité d’eau douce est considérable : plus de 40 millions de Km3, les deux tiers étant sous
forme de glace, un peu moins d’un tiers dans des nappes phréatiques (des nappes d’eau souterraines), le reste
se trouvant dans les cours d’eau et les lacs.

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Le cycle de l’eau (Eduterre - Ecole Normale Supérieure de Lyon)

La principale entrée dans ce système est formée par les précipitations. En France, elles représentent environ
800 mm / an. Cette donnée est une moyenne, qui varie selon les régions et les années.

Une grande partie de cette eau s’évapore directement, à la surface du sol, ou une fois absorbée par les végétaux,
qui la transforment en vapeur. On appelle ce phénomène l’évapotranspiration. Cela correspond à 500 – 600 mm
par an. C’est ainsi que les 2/3 de l’eau s’évapore sans rejoindre une nappe souterraine ou un cours d’eau. Si les
précipitations dépassent la capacité d’évapotranspiration, l’eau s’écoule. On appelle ces eaux les « eaux
bleues ». Les nappes souterraines ont un rôle très important : elles soutiennent le débit des fleuves et rivières
lors de la saison sèche.

Une fois ce tableau décrit il faut comprendre que la répartition des ressources en eau est très inégale.

3.2. Une ressource inégalement disponible

Par exemple, le Canada dispose de 87 000 m3 par an et par habitant, alors que le Koweït n’en a que 7. Il y a
parfois de fortes disparités régionales. Ainsi, l’Espagne dispose de 2500 m3 par an et par habitant, mais les

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régions du Sud et de l’Est en disposent 3 fois moins que les régions du Nord-Ouest. Cette répartition d’accès à
la ressource est aussi très variée : à quantité égale, en Europe centrale les pluies tombent avec régularité alors
qu’en Afrique de l’Ouest il y a des différences saisonnières très marquées.

Par ailleurs les Etats et les collectivités locales ont des capacités de gestion et de mobilisation de la ressource,
très variable. Cela se traduit par d’immenses inégalités pour l’accès à l’eau et à l’assainissement des eaux usées.
Par exemple, le Koweït parvient à fournir de l’eau en abondance pour les habitants et les activités économiques.
Alors qu’un pays comme le Mozambique, qui dispose de ressources en eau abondantes, ne parvient pas à fournir
de l’eau potable à plus de la moitié de la population.
Cette question des inégalités renvoie à la question de la justice spatiale. Plus on est riche, plus on a accès à une
eau de qualité et bon marché, ainsi qu’à un assainissement. Par exemple, au Pérou, l’eau courante à domicile
est disponible chez les 20% de la population la plus riche, alors que chez les plus pauvres, seul un quart de la
population en bénéficie.

3.3. Une ressource sous tension

Selon la FAO (Food and agriculture Organisation, l’organisme des Nation Unies qui s’occupe des questions
alimentaires et agricoles) le volume d’eau prélevée est d’environ 4000 km3, soit environ 10% de la ressource.
Cela est essentiellement le fait de l’agriculture, même si dans les pays les plus riches près de 50% de la ressource
est utilisée par l’industrie, et une part importante l’est par les usages domestiques.

Le rapport entre les prélèvements et la ressource disponible est un bon indicateur : les Etats qui consomment
plus de 50% de la ressource disponible sont ceux qui ont une importante agriculture irriguée : en Asie centrale,
au Maghreb et au Moyen-Orient. Certains pays dépassent même plus d’eau que la quantité renouvelable
disponible. C’est le cas de la Libye et de l’Arabie Saoudite, qui exploitent des nappes aquifères fossiles, formées
à l’époque où ces régions n’étaient pas désertiques.

Lorsque les ressources sont surexploitées, cela peut donner des catastrophes. Le cas le plus emblématique est
celui de la mer d’Aral, qui a peu à peu disparu à partir des années 1960. C’était pourtant la quatrième plus grande
mer fermées du monde. De même, ailleurs dans le monde, les barrages ont des effets négatifs sur les
écosystèmes, ainsi que les digues et l’assèchement des zones humides à des fins agricoles.
Cela peut conduire à des tensions géopolitiques, voire des conflits. Par exemple, il y a actuellement des tensions
entre l’Egypte et l’Ethiopie, à cause du barrage que ce pays a construit sur le Nil2. 97 % des ressources en eau du
pays des pharaons provient de l’amont du pays (l’Ethiopie et la région des grands lacs.). On comprend l’enjeu
géopolitique : L’Egypte ne veut pas être dépendante des décisions de l’Ethiopie, qui a ainsi la possibilité de gérer
le flux du fleuve. Selon la FAO, une quarantaine d’Etats dépend ainsi des pays voisins pour au moins la moitié de

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Voir également la fiche approfondissement n°2 « Guerre et alimentation »

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leurs ressources en eau. Certains pays apparaissent même comme des « hydro-puissances ». C’est le cas de la
Turquie, qui peut, à l’aide de barrages, contrôler le débit du Tigre et de l’Euphrate, les deux grands fleuves qui
irriguent la Syrie et l’Irak.

3.4. Les défis du changement global

3.4.1 Quels enjeux ?

La question de l’eau est liée à deux axes du changement global : l’agriculture et l’urbanisation du monde.
L’agriculture irriguée représente 40 % de la production mondiale. Face à l’accroissement de la population, qui
devrait se poursuivre jusqu’en 2050, il va falloir accroitre les prélèvements d’eau. La FAO estime cette
augmentation à 5000 km3 supplémentaires, soit un doublement des prélèvements. Or, Certaines zones irriguées
sont condamnées à termes (irrigation avec des eaux souterraines fossiles) et la seule partie du monde qui peut
réellement développer l’irrigation cela est l’Afrique (où l’on peut potentiellement multiplier les surfaces
irriguées par 8), mais est-il souhaitable d’y développer une agriculture industrielle, avec les inconvénients
évoqués dans la première partie de ce cours ?

Les villes, quant à elles, ont des besoins accrus en eau. Par exemple, la ville de Karachi, la capitale du
Pakistan, a vu sa population passer de 12 à 18 millions d’habitants ces dix dernières années. Par ailleurs, avec
l’augmentation du niveau de vie dans les pays émergents, la demande en eau des habitants a augmenté (De
72% en 20 ans à Pékin par exemple). Les villes ont un avantage sur l’agriculture par rapport à la ressource en
eau, c’est la richesse. Elles ont les moyens de payer l’eau beaucoup plus cher que les agriculteurs. C’est ainsi que
la ville de Los Angeles est alimentée en eau du fleuve Colorado avec un aqueduc, ou que la ville de Las Vegas,
en plein désert, gaspille d’énormes quantités d’eau pour les loisirs.
On voit là aussi la question de la justice spatiale. Cela est d’autant plus vrai qu’au-delà de l’approvisionnement
en eau, il s’agit d’être en mesure de gérer les réseaux. Le cas du Zimbabwe est intéressant. Cet Etat a vu, en
raison d’une mauvaise gouvernance et d’un entretien négligé, l’effondrement de son service de réseau d’eau
potable.

3.4.2 Quelles solutions envisageables ?

Afin de mieux gérer la ressource, des solutions existent. Il s’agit de faire baisser les besoins et la
demande. Cela peut passer par une information du public, comme le font des villes du Nord de l’Europe, qui
font baisser régulièrement leur consommation. Cela est par exemple favorisé par des appareils électroménagers
qui consomment moins. Les pouvoirs publics peuvent, en cas de période critique prendre des mesures de
restriction des usages pour limiter les utilisations non essentielles.

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Pour ce qui est de l’agriculture, la technologie apporte aussi des solutions, comme la micro-irrigation, qui permet
d’économiser de manière spectaculaire la consommation, tout en améliorant la productivité.

Les progrès sont aussi constatés dans le traitement de l’eau : désalinisation, récupération et recyclage des eaux
usées, micro-usines de potabilisation, etc…

Plus largement, une gestion durable de l’eau implique une réflexion globale réfléchie de cette ressource. Ceci
passe par des gestions à l’échelle du bassin-versant des fleuves, des de politiques tarifaires qui encouragent
l’économie de la ressource, mais aussi une solidarité entre pays. Cela a été formalisé à Dublin en 1992, lors d’une
conférence internationale qui sert de point de référence à de nombreux Etats et à des institutions comme la
banque mondiale ou l’Unesco.

4. R ESERVER L ’ AGRICULTURE A LA PRODUCTION


ALIMENTAIRE ?

Dernier point à aborder dans ce cours, la question des usages non alimentaires de la production agricole. Ce
sujet n’est pas anecdotique, et pose des questions éthiques.

4.1. Produire de l’énergie avec l’agriculture : l’exemple de la


méthanisation

Parmi les techniques actuellement en vogue, on peut évoquer la méthanisation. Il s’agit d’utiliser le
processus de dégradation des matières organiques pour produire du gaz naturel. Déchets végétaux et déjections
animales sont introduits dans un digesteur, une cuve fermée à l’abri de l’air, dans lequel a lieu la fermentation.
Le méthane alors produit est filtré puis injecté dans le réseau, ou brûlé pour produire de l’électricité. Les résidus
solides sont récupérés et utilisés comme engrais. Ils sont moins polluants que s’ils étaient directement épandus
sur les champs. Le système semble vertueux et pertinent, car il produit de l’énergie, procure des revenus
supplémentaires aux agriculteurs, et crée des emplois locaux.

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Schéma du fonctionnement d’un méthaniseur par voie humide et exemple d’une unité de méthanisation à
Aiguefonde (Tarn). L’usine nouvelle, octobre 2018.

Cependant, des dérives sont rapidement arrivées. En effet, afin d’amortir et d’accroitre la rentabilité de leur
investissement, les propriétaires de méthaniseurs sont tentés d’alimenter leur installation au maximum de leur
capacité. Ils achètent ou produisent alors des végétaux, du maïs en général, qui vont directement dans l’unité
de méthanisation. Cela se constate dans l’évolution des prix du foncier : la valeur des terres augmente autour
des méthaniseurs, et ne sont plus accessibles aux éleveurs. On se retrouve face à des paradoxes. Par exemple,
le projet de la « ferme des 1000 vaches », qui a été interdit par la justice, était monté sur un business plan axé
sur la production de méthane, le lait et la viande n’étant considérés que comme des sous-produits de peu de
valeur.

Un autre exemple en Californie :


https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/californie-le-fumier-des-bovins-plus-valorise-que-le-lait-en-raison-
des-lois-energetiques-1356574

On voit ainsi comment une bonne idée pour l’environnement peut devenir problématique par rapport aux
enjeux du changement global. C’est aussi le cas pour les agrocarburants.

4.2. Les agrocarburants, une solution face au changement global ?

On appelle agrocarburants les produits issus de productions agricoles qui remplacent les produits
pétroliers. Par exemple, on sait faire de l’essence pour véhicule à partir d’huiles végétales, de canne à sucre ou
de céréales. C’est par exemple le cas du Diester, un substitut au gazole produit en France depuis les années 1990

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à partir d’huile de tournesol ou de colza. Le superéthanol E85, qui est vendu actuellement dans de nombreuses
stations-services en France, contient entre 65 % et 85 % d’éthanol agricole, issu à 90 % de betteraves, de maïs
et de blé. Tous les carburants vendus dans l’Union européenne contiennent d’ailleurs une part plus ou moins
grande d’agrocarburants, fixée par la règlementation. L’Etat français encourage ces agrocarburants en donnant
une fiscalité avantageuse au superéthanol E85 : la taxe intérieure de consommation sur les produits
énergétiques est de 12 centimes d’euro le litre, contre 66 centimes pour le SP95 E10 et 59 centimes pour le
diesel.

Or, les agrocarburants n’ont pas forcément un bon bilan carbone. Une étude réalisée en 2015 pour la
Commission européenne a conclu que tous les biodiesels, quelle que soit leur source (colza, soja ou palme),
émettent plus de gaz à effet de serre que les carburants fossiles. De plus, ils reposent sur des modèles agricoles
qui posent problème, comme nous l’avons vu dans la première partie de ce cours. Ils nécessitent un recours à
l’agriculture intensive. En effet, la betterave, le blé et le colza, sont parmi les cultures qui utilisent le plus de
produits phytosanitaires. De plus, l’utilisation de produits agricoles à des fins non alimentaires encourage la
déforestation. Parmi les cultures les plus intéressantes pour fabriquer des carburants, l’huile de palme est,
comme nous l’avons déjà vu, un produit qui provient de zones agricoles gagnées sur la forêt équatoriale, en
particulier en Indonésie.

Une question éthique se pose alors : est-il souhaitable d’utiliser des produits alimentaires pour produire
des carburants ? Actuellement, 800 000 hectares sont consacrés aux cultures destinées aux agrocarburants en
France, soit 3 % de la surface agricole utile. A l’échelle du monde, 14 % des huiles végétales sont désormais
destinées aux carburants. L’Union Européenne qui était exportatrice d’huile végétales il y a 20 ans est devenue
importatrice. Fatalement, une concurrence entre usages alimentaires et non alimentaires des produits agricoles
s’exerce à l’échelle de la planète.

Reste l’idée d’utiliser des biocarburants, qui ne sont pas des agrocarburants, car ils sont fabriqués à partir de
produits non comestibles, comme déchets végétaux ou les huiles usagées. Mais là aussi, ces déchets avaient en
général déjà une utilisation. Actuellement, la Chine exporte ses huiles usagées vers l’Europe, car elles sont
valorisées à des prix intéressants. Les industries qui utilisaient ces produits en Chine les remplacent par de l’huile
de palme. On voit comment l’organisation agricole du monde fonctionne en système.

On peut imaginer à l’avenir que la recherche sur de nouvelles sources de carburants non fossiles aboutisse. Le
potentiel des algues semble prometteur. Mais on sort sans doute de la question agricole.

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C ONCLUSION

Les questions agricoles sont un élément central face au changement global. Un monde urbanisé doit penser le
rapport aux espaces agricoles, dans un contexte de réchauffement climatique qui va conduire l’humanité à
redéfinir son rapport à l’alimentation. Le modèle de consommation actuel n’est pas soutenable à long terme.

L’agriculture peut pourtant proposer une partie de la solution, en modifiant certaines techniques, elle peut
largement nourrir la planète et même proposer des ressources non alimentaires, tout en respectant
l’environnement. Les politiques publiques doivent ainsi appréhender cette question, en l’analysant de manière
systémique, pour proposer une gouvernance qui en mesure toute la complexité.

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