Vous êtes sur la page 1sur 2

152 / HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Conclusion sur le XVllf siècle


Pris dans son ensemble^ le XVIII^ siècle donne tout d^abord
Vimpression d^un siècle frivole.
Un courant de préciosité et de libertinage, visible surtout dans les œuvres
secondaires, s'étend de la Régence jusqu'à la veille de la Révolution.
D'ailleurs, l'esprit de conversation, très développé en ce siècle, avec ses
avantages a aussi des défauts. En même temps qu'il développe la clarté,
l'aisance, la finesse, il stimule l'ironie, nuit à la gra\ité de la pensée; il
détourne les auteurs de l'application consciencieuse à une grande œuvre;
il les rend décisifs, superficiels. FonteneUe, Montesquieu, Voltaire,
Beaumarchais ont visé à l'espnt, sinon au bel esprit, pour donner à leurs
idées un tour plus agréable :
I Dites-Dous, célèbre Arouet, rombéen vous «vcz sacxifié de beautés
mâles et forces à nocre texsse dâiattSK, et combien Tesprit de gaknterie,
a fertile en petin cfaoses, vous en a coûté de grandes ? * (Jean-Jacques
Rooaeau.)
Le A17//^ siècle a glorifié la sensibilité et la
passion.
Cependant des sentiments généreux finissent par prévaJoir sur la
délicatesse de l'esprit. La sensibilité, sous des formes qui peuvent nous
sembler toochantes ou ridicules, a inspiré une foule d'écrits : eDc se
manifeste dans la sentimentalité timide de Marivaux comme dus les
effusions pathétiques de Diderot et de Roosseau. EDe a encouragé
lusqu'à l'afi'ectatioo le seoedmeat de U pitié, de la bienfaisance ; elle a
dicté à Vohaiie ses meilleures pages pour introduire plus d'humanité et
de tolennoe, p>our faire abolir la tonure et les pleines dîspropoftîomiécs.
L'enthousiasme est un autre stimufant poor les âmes d'élite : la lecture de
Plutarque élève les esprits jusqu'au stoïcisme. A défaut de croyances
rehgieuses, on se forme un idéal de vertu : la noblesse morale de
Viuvenargues, les sympathies ferventes que provoque Rousseau, li
nostalgie ardente de Mlle de LespiDasse ou fenkûioo de Aladame
Roland, tant de mouvoiiciits iiicflécliîs
Le XVII h siècle / 153
fréquents à la veille de la Révolution témoignent d'une réaction contre la
sécheresse égoïste d'une société trop raffinée et marquent une véritable
renaissance des élans et des droits du cœur.
Les idées sont^ presque toutes^ la traduction abstraite d^un sentiment.
Les idées, celles du moins qui présentent quelque puissance, peuvent se
ramener à trois ou quatre affirmations : • Croyance dans la bonté
originelle de l'homme; • Confiance dans le progrès; • Affirmation des
droits essentiels de l'individu : liberté et égalité. Les avis diffèrent sur la
valeur de la civilisation suivant que l'on s'attache de préférence au
premier ou au second des principes énoncés ci-dessus. Ces principes,
s'imposant à l'esprit par leur simplicité, leur logique, ne sont assujettis à
aucun examen critique : on ne considère dans une théorie que sa valeur
rationnelle et sentimentale. L'ordre de la raison prévaut sur l'ordre des
faits; il n'y a donc à tenir compte ni de la complexité réelle des questions,
ni de l'état de choses existant, ni des leçons de l'histoire. Cette séduction
d'un idéal abstrait et logique explique la hardiesse des réformateurs,
l'universalité de leurs ambitions, le ton catégorique qu'ils affectent.
La littérature s'est bornée à transmettre et à propager les idées régnantes.
Jamais mieux qu'au xviii^ siècle la littérature n'a été « l'expression de la
société », c'est à la fois sa force et son défaut. Insuffisante au point de
vue artistique, timide et surannée dans les genres d'apparat, elle a
possédé à la perfection l'esprit, grâce à Voltaire et à Beaumarchais; puis,
avec Rousseau, elle a reconquis l'éloquence et trouvé les sources de
l'inspiration lyrique. Malgré la déclamation et l'imprécision du style, il
semble aussi qu'elle quitte l'observation morale pour se rapprocher du
réalisme : le xix^ siècle tirera un magnifique parti de ces indications.

Vous aimerez peut-être aussi