Pris dans son ensemble^ le XVIII^ siècle donne tout d^abord Vimpression d^un siècle frivole. Un courant de préciosité et de libertinage, visible surtout dans les œuvres secondaires, s'étend de la Régence jusqu'à la veille de la Révolution. D'ailleurs, l'esprit de conversation, très développé en ce siècle, avec ses avantages a aussi des défauts. En même temps qu'il développe la clarté, l'aisance, la finesse, il stimule l'ironie, nuit à la gra\ité de la pensée; il détourne les auteurs de l'application consciencieuse à une grande œuvre; il les rend décisifs, superficiels. FonteneUe, Montesquieu, Voltaire, Beaumarchais ont visé à l'espnt, sinon au bel esprit, pour donner à leurs idées un tour plus agréable : I Dites-Dous, célèbre Arouet, rombéen vous «vcz sacxifié de beautés mâles et forces à nocre texsse dâiattSK, et combien Tesprit de gaknterie, a fertile en petin cfaoses, vous en a coûté de grandes ? * (Jean-Jacques Rooaeau.) Le A17//^ siècle a glorifié la sensibilité et la passion. Cependant des sentiments généreux finissent par prévaJoir sur la délicatesse de l'esprit. La sensibilité, sous des formes qui peuvent nous sembler toochantes ou ridicules, a inspiré une foule d'écrits : eDc se manifeste dans la sentimentalité timide de Marivaux comme dus les effusions pathétiques de Diderot et de Roosseau. EDe a encouragé lusqu'à l'afi'ectatioo le seoedmeat de U pitié, de la bienfaisance ; elle a dicté à Vohaiie ses meilleures pages pour introduire plus d'humanité et de tolennoe, p>our faire abolir la tonure et les pleines dîspropoftîomiécs. L'enthousiasme est un autre stimufant poor les âmes d'élite : la lecture de Plutarque élève les esprits jusqu'au stoïcisme. A défaut de croyances rehgieuses, on se forme un idéal de vertu : la noblesse morale de Viuvenargues, les sympathies ferventes que provoque Rousseau, li nostalgie ardente de Mlle de LespiDasse ou fenkûioo de Aladame Roland, tant de mouvoiiciits iiicflécliîs Le XVII h siècle / 153 fréquents à la veille de la Révolution témoignent d'une réaction contre la sécheresse égoïste d'une société trop raffinée et marquent une véritable renaissance des élans et des droits du cœur. Les idées sont^ presque toutes^ la traduction abstraite d^un sentiment. Les idées, celles du moins qui présentent quelque puissance, peuvent se ramener à trois ou quatre affirmations : • Croyance dans la bonté originelle de l'homme; • Confiance dans le progrès; • Affirmation des droits essentiels de l'individu : liberté et égalité. Les avis diffèrent sur la valeur de la civilisation suivant que l'on s'attache de préférence au premier ou au second des principes énoncés ci-dessus. Ces principes, s'imposant à l'esprit par leur simplicité, leur logique, ne sont assujettis à aucun examen critique : on ne considère dans une théorie que sa valeur rationnelle et sentimentale. L'ordre de la raison prévaut sur l'ordre des faits; il n'y a donc à tenir compte ni de la complexité réelle des questions, ni de l'état de choses existant, ni des leçons de l'histoire. Cette séduction d'un idéal abstrait et logique explique la hardiesse des réformateurs, l'universalité de leurs ambitions, le ton catégorique qu'ils affectent. La littérature s'est bornée à transmettre et à propager les idées régnantes. Jamais mieux qu'au xviii^ siècle la littérature n'a été « l'expression de la société », c'est à la fois sa force et son défaut. Insuffisante au point de vue artistique, timide et surannée dans les genres d'apparat, elle a possédé à la perfection l'esprit, grâce à Voltaire et à Beaumarchais; puis, avec Rousseau, elle a reconquis l'éloquence et trouvé les sources de l'inspiration lyrique. Malgré la déclamation et l'imprécision du style, il semble aussi qu'elle quitte l'observation morale pour se rapprocher du réalisme : le xix^ siècle tirera un magnifique parti de ces indications.