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Exemple de commentaire

énoncé

Exemple d'explication détaillée par un élève de TL du lycée de Villard de Lans

NB: Pour être bénéfique, la lecture de ce travail doit s'accompagner de la lecture des
documents associés.

[1. Introduction]

Justice, force.

À chaque élection en Tunisie, depuis deux décennies, le président Ben Ali est réélu à 99 %
des voix. Il légitime ainsi le règne de sa force et lui donne une apparence de pouvoir juste.

Selon Pascal, dans le texte que nous allons commenter, la justice a besoin de la force pour
s'appliquer, la force, de la justice pour se légitimer. Il faut donc les assembler. Mais, dans les
faits, c'est la force qui a corrompu la justice et se prétend juste à sa place.

Après la lecture de ce texte de Pascal, on s'interroge. Peut-on mettre la force au service de la


justice sans que le processus ne s'inverse? Les hommes ne respectent-ils la justice que parce
qu'ils y sont contraints? La justice peut-elle annihiler la force et se maintenir indépendamment
d'elle? Le droit, qui est supposé être l'expression de la justice, n'est-il en fait que le droit du
plus fort?

[2. Explication détaillée]

[Première partie]

Dans un premier temps, Pascal oppose les concepts de justice et de force et conclut à la
nécessité de les mettre ensemble (du début à "…ou que ce qui est fort soit juste."). Puis, il
dénonce ironiquement la force qui se prétend juste (de "La justice est sujette à dispute …",
jusqu'à la fin).

Le texte est construit comme une boule-de-neige qu'on pose en haut d'une pente et qui se met
à rouler et à grossir, sans que l'on puisse l'arrêter. L'enchaînement des arguments est comme
une suite d'événements irrémédiables qui conduit à la catastrophe finale, trahissant le
pessimisme de Pascal en ce qui concerne le genre humain.

Pascal attaque son argumentation par deux mots : "Justice, force", deux concepts qui semblent
tout d'abord opposés.

Le concept de justice est pris à la fois comme norme du droit, c'est-à-dire comme le système
abstrait des valeurs fondamentales qui défend les idéaux d'égalité entre les hommes, de liberté
individuelle et de droit à la sécurité et sur lequel se fonde la légitimité; et comme institution
judiciaire, c'est-à-dire comme le système concret de la justice dans la société, chargé de faire
respecter ces principes et sur lequel s'appuie la légalité.
Quant au concept de force, Pascal joue sur son ambiguïté : est-ce une force d'oppression,
violente, ou une force vertueuse, puissance au service du bien? Si l'on prend "force" comme
"force d'oppression", elle est antagoniste avec la justice car dans cette force-là règne
l'inégalité, la hiérarchie, la domination, toutes choses contraires à l'égalité et à la liberté
défendues par la norme de justice. Si l'on prend "force" comme "force vertueuse", alors on la
met au service de l'idéal de justice, comme instrument du judiciaire, puissance qui défend la
justice, va avec elle et lui est subordonnée.

Après avoir juxtaposé les deux concepts de justice et de force et les avoir ainsi implicitement
opposés, Pascal va explicitement caractériser cette opposition.

"Il est juste que ce qui est juste soit suivi". En d'autres termes, nous sommes moralement
obligés de faire ce qui est juste. Mais c'est justement parce que nous y sommes "obligés" que
nous avons la possibilité de nous y soustraire. Et dans ce cas-là, si nous évitons de faire ce qui
est juste, c'est soit par immoralité, soit parce que nous avons une autre conception de la justice
et que nous remettons en cause tout ou une partie de l'idéal de justice ou de l'application
particulière de cet idéal.

"Il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi". Il faut prendre ici "force" comme
"force d'oppression". Cette force-là, on ne peut pas s'y soustraire. On la suit nécessairement,
c'est-à-dire inévitablement, sans possibilité de choix.

[Deuxième partie]

Ainsi, justice et force s'opposent en théorie comme l'obligation s'oppose à la nécessité. Mais,
paradoxalement, force et justice s'associent en pratique. En effet, dit Pascal, "La justice sans la
force est impuissante". Cette sentence déclare que la justice, comme norme du droit, a besoin
de l'institution judiciaire pour s'appliquer. Sinon, elle est impuissante, vaine, dénuée
d'application concrète. C'est tout le problème de l'application de l'idéal dans le réel qui est
posé.

Par ailleurs, "la force sans la justice est tyrannique". "Force ne fait pas droit" disait Rousseau.
Quel que soit le sens de "force" ici, appliquer la force indépendamment de la justice n'est que
violence et absurdité. La force brute est dénuée d'intelligence, dévastatrice, sans raison. Un
état fondé sur la force est tyrannique en ce sens qu'il est privé de l'accord des êtres
raisonnables qu'il asservit et il n'a donc pas de légitimité, même s'il prend les apparences d'un
état de droit. Il est une force privée de raison et de sens.

Ainsi, Pascal a posé les limites concrètes des deux concepts : la justice est dénuée de force,
(d'efficacité) ; la force est dénuée de droit (de légitimité). Il va pouvoir énoncer sa thèse : il
faut associer justice et force pour pallier leurs carences respectives. Il y a pour cela deux
voies. Soit faire que "ce qui est juste est fort" et l'on confère la force bénéfique à l'institution
judiciaire pour faire appliquer l'idéal de justice ; soit faire que "ce qui est fort est juste" et la
force oppressive modifie l'idéal de justice à son compte et fait croire que ce qui est accompli
par la force est accompli dans la justice. Quelle que soit la solution, Pascal voit l'homme de
façon pessimiste.
Dans la première possibilité, la justice a besoin de la force parce qu'elle est contredite et "qu'il
y a toujours des méchants", c'est-à-dire des hommes qui ne suivent pas le droit chemin et qui
se donnent tous les droits parce qu'ils refusent de faire leur devoir. Mais ne pouvons-nous pas
nous demander si la justice a réellement besoin de la force? A-t-elle réellement besoin de
contraindre pour exister? Être juste par force, n'est-ce pas ruiner toute moralité? La moralité
ne suppose-t-elle pas l'autonomie, c'est-à-dire une volonté libre qui se donne à elle-même ses
propres lois et qui les suit par pur respect parce qu'il en reconnaît le bien fondé? "S'il faut
obéir par force, on n'a pas besoin d'obéir par devoir" disait Rousseau (Du contrat social,
Chap. III. -Du droit du plus fort). Ne peut-on pas éduquer à l'idéal plutôt que d'imposer
l'idéal ? Une règle qui est librement acceptée de tous est bien plus efficace qu'une règle
imposée à tous. Chacun a tendance de prime abord, à rejeter ce qui lui est imposé de force.
C'est ainsi que la justice pourrait être vue par certains comme un moyen d'oppression alors
qu'elle devrait éduquer à la liberté. Certes, il ne faut pas négliger le fait qu'en pratique, la
justice ne s'applique pas toute seule et qu'il faut se donner les moyens de la faire respecter.
Cependant, dans l'idéal, le judiciaire devrait tendre à disparaître, car il n'y en aurait plus
besoin. C'est certainement une utopie, mais "soyons réalistes, demandons l'impossible"
comme dit Che Guevara!

Autre question: les hommes ne respectent-ils la justice que parce qu'ils y sont contraints? On
prétend qu'un don n'attend qu'un contre don. Il n'y aurait jamais d'acte désintéressé. Mais s'il y
avait plus à gagner en étant juste qu'en étant injuste? Il ne s'agirait certes pas de moralité au
sens de Kant, mais d'opportunisme. Mais il ne s'agirait pas non plus de violence. D'un point de
vue moral, ce serait peut-être insuffisant, mais d'un point de vue politique, n'est-ce pas tout ce
qui importe?

La deuxième possibilité, où la force se fait passer pour la justice, est illustrée par les
événements récents en Serbie et par tous les pays sous régime totalitaire, comme la Tunisie.
Les faits le prouvent: la force peut se faire passer pour la justice. Mais contrairement à ce que
semble suggérer Pascal, personne n'est dupe du stratagème. Pascal ne reconnaît-il pas lui-
même que la force est "accusée"? La force peut simuler la justice, mais jamais la remplacer,
car le masque finit toujours par tomber, le plus difficile étant de déceler le masque ou
d'apprendre à le déceler par soi-même: sortir de la minorité, apprendre à penser par soi-même
et devenir majeur, pour reprendre les termes de Kant. Si forte que soit l'oppression et si
soumis que soient les opprimés, Kant dit que, dans la masse oppressée acceptant passivement,
en "mineur", sa tutelle, il y en aura toujours quelques-uns pour sortir de leur minorité
intellectuelle dans laquelle les enferment leurs tuteurs (les dictateurs), et pour exercer leur
liberté de penser et renverser la domination.

D'autre part, la force, en elle-même, a aussi sa fragilité : elle peut être à tout moment
renversée par une autre force. Car dans la force, il n'y a pas de paix. Ainsi remarque
Rousseau, "sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause : toute force qui
surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu'on peut désobéir impunément, on le peut
légitimement ; et, puisque le plus fort à toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on
soit le plus fort." L'apparence de justice n'ajoute donc rien à la force. Si la force règne, elle n'a
que faire de la justice.
[Troisième partie ]

Après avoir montré l'incomplétude de la justice sans la force et de la force sans la justice,
Pascal décrit le processus par lequel la force prend le pas sur la justice. C'est la dernière partie
de la pente que dévale la boule-de-neige, et celle où elle écrase tout sur son passage. Un état
de fait que Pascal dénonce ironiquement.

"La justice est sujette à dispute". En effet, la norme du droit est une norme, donc elle est
discutable… même si de grands textes, comme la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, tentent de la définir de façon incontestable. De telles déclarations de principes sont
inévitablement imparfaites et trouvent toujours des détracteurs. C'est ainsi que Marx a
dénoncé dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 le fait que la
propriété y soit reconnue comme un droit fondamental et inaliénable. On peut toujours douter
de l'universalité et de l'intemporalité d'une norme. C'est la raison pour laquelle on cherche
parfois à faire appel à la notion de "droit naturel" pour conférer aux valeurs fondamentales la
stabilité d'une loi naturelle.

Dans des situations concrètes (et plus seulement au niveau des principes), la justice ou la loi,
est aussi sujette à dispute car on peut avoir des intérêts privés antagonistes entre lesquels il
n'est pas facile de trancher. Faire justice est donc une affaire longue et complexe, où l'issue du
conflit n'est pas décidée d'avance et n'a aucune garantie de faire l'unanimité.

La force, quant à elle, a l'avantage d'être "très reconnaissable et sans dispute" immédiatement
ou quasi immédiatement. Mais cette reconnaissance est plus ou moins éphémère. Un fort
gaillard deviendra un vieillard indigent ; un pays peut perdre sa suprématie militaire ou
économique, par accident, par régression démographique, par une catastrophe économique…

La force l'emporterait donc à court terme et la justice à long terme.

Mais Pascal ne partage pas cette opinion : "Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût
fort, on a fait que ce qui est fort fût juste." Cette conclusion est ironique, car le fort n'est juste
qu'en apparence. Pascal regrette cet état de fait, mais il pense que c'est la force qui prend le
pas sur la justice. Toujours. Il est pessimiste. Ou serait-il réaliste ? Mais cette conclusion
donne l'impression que tous les pays auraient succombé à des coups d'état fascistes…

Rousseau, un siècle plus tard, semble partager cette conception puisqu'il dit voir "partout le
fort armé contre le faible du redoutable pouvoir des lois." La Révolution de 1789 a-t-elle
changé quelque chose à cette triste situation en abolissant la société féodale ? La démocratie,
en s'instaurant comme type de gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple est-elle
l'avènement du règne de la justice ? La critique anarchiste de l'état dénonce tout pouvoir
étatique, même démocratique, car il est indissociable d'une hiérarchie qui supprime toute
égalité dans une société, et donc toute réelle justice. L'état s'apparenterait toujours à une force.

Quoi qu'il en soit, la force, quelle que soit sa forme, ne semble pas compatible avec la justice.
Si la justice, comme norme du droit, c'est l'égalité, alors la force, qui est par essence
inégalitaire, n'a rien à voir avec le droit. Ainsi dit Alain "Qu'est-ce que le droit ? C'est
l'égalité. (…) On voit bien ici comment l'état de droit s'opposera au libre jeu de la force. (…)
C'est contre l'inégalité que le droit a été inventé. Et les lois justes sont celles qui s'ingénient à
faire que les hommes, les femmes, les enfants, les malades, les ignorants soient tous égaux.
Ceux qui disent, contre le droit, que l'inégalité est dans la nature des choses, disent donc des
pauvretés."

[Conclusion]

Ce texte sur justice et force est acerbe. Pascal dénonce le pas que semble prendre la force sur
la justice. Un de ses objectifs est peut-être de déclencher une polémique? L'idéal de justice
est-il une absence de force ? On peut le supposer puisque même la force judiciaire, soi-disant
au service de la justice, et la seule qui puisse être compatible avec elle, n'est pas véritablement
une force juste qui donne goût à l'égalité et à la liberté. Mais alors, la justice est-elle
condamnée à demeurer un simple idéal ?

Force est injustice. Justice est faiblesse. L'un et l'autre se combattent. On ne peut connaître
l'issue de ce combat, mais il faut croire que la justice l'emportera puisque, nous dit Kant, " Si
la justice disparaît, c'est chose sans valeur que le fait que des hommes vivent sur la terre. "

Références

 Rousseau sur l'injustice du droit


 Rousseau sur le droit du plus fort
 La raison du plus fort est-elle toujours la meilleure?
 La Fontaine, "Le loup et l'agneau"

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