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26 | dossier MERCREDI 17 JUIN 2020

LES  VILLES­MONDE  APRÈS  LE  COVID

« La mégalopole
de demain
sera plus
participative »
Mexico | Claudia
Sheinbaum
Dans l’impossibilité d’imposer
un confinement strict, la maire mexicaine
a misé sur la transparence
et le contact direct avec ses administrés

ENTRETIEN Notre capitale concentre près de 9 millions


d’habitants, 22 millions avec ses 59 banlieues
eux, dès le 23 mars, un mois avant l’entrée
dans le stade 3 de la contagion avec l’accélé­
urgences, le C5 repère désormais les concen­
trations humaines. Une patrouille de police
mexico ­ correspondance
dans l’Etat voisin de Mexico. Notre urbanisa­ ration de l’épidémie. On a d’abord fermé les est alors envoyée sur place pour rappeler les
tion n’a pas de frontière. La pandémie encore écoles, puis les bars, les cinémas, les théâtres… consignes de confinement. On a aussi créé

A
u cœur de Mexico, les cou­ moins. Avec 6 millions de voyages quotidiens une application pour téléphone portable,
loirs du palais colonial qui en temps normal, le métro est un haut lieu de Votre stratégie a­t­elle fonctionné ? baptisée « App CDMX », qui informe notam­
abrite la mairie sont déser­ contagion. Chaque jour, les allées de notre Oui. Nous sommes à environ 75 % de notre ment sur la disponibilité hospitalière en
tés pendant le pic de la pan­ Central de Abasto [centrale d’approvisionne­ capacité hospitalière. Quant à la mobilité, elle temps réel. Mexico est la deuxième ville au
démie de Covid­19. Claudia ment] – les plus grandes halles d’Amérique la­ a baissé de 60 % à 70 % dans la ville. Ça nous a monde, après Moscou, en nombre de bornes
Sheinbaum, l’édile de la ca­ tine – sont arpentées par 500 000 personnes, permis d’aplanir la courbe des contagions afin de connexion Internet gratuite.
pitale mexicaine, reçoit dans une grande 90 000 y travaillent. La crise est aussi sociale : de moins saturer les hôpitaux. Les habitants
salle de réunion vide. Là, cette scientifique la moitié de la population travaille dans sont des gens informés : 90 % ont un télé­ Que pensez­vous des applications
de 57 ans, de gauche et militante écologiste, l’économie informelle. La plupart des morts phone portable, 60 % sont sur Facebook. C’est de traçabilité des malades, comme
suit sur un écran géant la mobilité urbaine du Covid­19 étaient atteints de maladies chro­ l’avantage d’être une ville très connectée. « NOUS ALLONS  StopCovid qui fait débat en France ?
et les foyers de contagion en temps réel niques, comme le diabète ou l’obésité. Heu­ CRÉER DES ESPACES  Nous avons un accord avec Google Maps et
dans un pays qui a opté, fin mars, pour un reusement, la capitale dispose du meilleur Quel rôle ont joué les technologies Waze. Pareil avec les compagnies téléphoni­
confinement volontaire, puis pour un dé­ réseau hospitalier du pays. pour convaincre les habitants d’appliquer VERTS, BÉNÉFIQUES  ques. Mais ce n’est pas de l’espionnage, juste
confinement progressif, depuis début juin, vos mesures de confinement ? des indicateurs de la mobilité collective des
alors que les contagions et les décès conti­ Le président Andres Manuel Lopez On a lancé un programme de diagnostics à POUR LA SANTÉ  habitants. Ici aussi, le recours à un système de
nuent d’augmenter dans la zone métropoli­ Obrador, dit « AMLO », est du même parti distance. Les malades nous contactent d’abord traçabilité plus individuelle des malades sus­
taine de la vallée de Mexico (53 896 cas con­ de gauche que vous. Il a opté pour par SMS. Si les symptômes sont confirmés,
PSYCHOLOGIQUE cite la polémique. Les risques de violations de
firmés et 5 867 morts au 10 juin, soit un tiers un confinement volontaire. Pourquoi ? un médecin passe un coup de fil pour les ET PHYSIQUE  la vie privée sont élevés. Peut­être que l’ap­
des cas à l’échelle nationale). Elle répond AMLO et moi croyons en la conscience des orienter vers les centres de soins disponibles plication sera proposée, mais uniquement de
aux questions du Monde sur l’avenir post­ habitants pour prendre eux­mêmes les me­ ou envoyer une ambulance à domicile pour DES HABITANTS » manière volontaire.
Covid­19 d’une mégalopole dotée de tech­ sures de distanciation physique nécessaires. les cas graves. Les malades légers restent
nologies de pointe, mais affectée par le De toute façon, il était impossible d’imposer ainsi chez eux. On leur envoie un kit sanitaire A quoi ressemblera la mégalopole
manque d’eau courante. un confinement obligatoire. Nos policiers à domicile (masques, thermomètre, oxymè­ « post­Covid­19 » ?
sont occupés par l’insécurité, qui n’a pas tre, paracétamol…) et une aide financière de La première leçon concerne la nécessité
La concentration urbaine a longtemps été cessé malgré l’urgence sanitaire. Ici, de 40 % à 1 000 pesos [41 euros]. d’avoir un système sanitaire plus robuste. La
un atout pour une capitale comme 50 % des gens vivent, au jour le jour, de l’éco­ Ce programme est géré par notre centre de crise nous a rappelé que la santé est un droit,
Mexico. Ne s’est­elle pas transformée en nomie informelle. Impossible de les plonger télésurveillance [C5] dernière génération. et non pas une marchandise. C’est dans l’es­
piège face à la crise due au Covid­19 ? brutalement dans la misère. Ses 23 000 caméras haute définition, répar­ prit de « l’économie morale » voulue par
Les vertus des grandes villes se révèlent Nous avons donc pris des mesures en ties dans la ville, ne servent pas uniquement AMLO. Une économie qui ne laisse pas le
être des vulnérabilités face à un tel virus. amont, invitant les habitants à rester chez à la circulation ou à la sécurité. Au­delà des marché gouverner seul. La mégalopole de

Manchester | ENTRETIEN
londres ­ correspondante
celui des maisons de retraite. Là, le premier
a fourni des équipements de protection au
est nettement descendu dans le sud du
pays et à Londres. C’est probablement lié à

Andy Burnham second. Enfin, nous avons pris la décision


immédiate de fournir des chambres indivi­
la pauvreté, à la précarité des logements et
du travail. Je ne crois pas à l’argument selon

A
ndy Burnham, 50 ans, est le duelles aux sans­abri [nombreux dans l’ag­ lequel les gens du Nord ont moins bien res­

« Cette crise maire depuis 2017 du « Greater


Manchester », deuxième agglo­
mération du Royaume­Uni,
avec 2,8 millions d’habitants. Membre du
glomération]. Nous essayons maintenant
de trouver des solutions de long terme.

Le Royaume­Uni compte près de 41 000


pecté le confinement, qu’ils ont fait des fê­
tes, etc. Nous avons un système de décision
beaucoup trop centré sur Londres, or la dé­
cision de sortir du confinement a été prise

a souligné parti travailliste, il a été ministre de la


santé dans les gouvernements de Tony
Blair et de Gordon Brown. Il a fait enten­
dre une voix singulière depuis le début de
décès officiels du Covid. Comment avez­
vous agi pour protéger, notamment,
ceux qui étaient obligés d’aller travailler ?
Le virus a exposé les inégalités avec vio­
à Londres, en ne tenant compte que du con­
texte londonien et de celui du Sud, où l’épi­
démie a reflué plus vite que dans le nord de
l’Angleterre. Sadiq Khan, le maire de Lon­

nos hypocrisies » la pandémie, réclamant une politique sa­


nitaire différenciée dans une Angleterre
encore très centrée autour de Londres.
lence, et il y a plus d’inégalités et de pau­
vreté dans le nord de l’Angleterre que dans
le reste du pays. Difficile, donc, de dire si
nous avons fait mieux qu’à Londres car le
dres, a été invité à participer aux réunions
du Cobra [le cabinet de crise de Downing
Street], mais pas nous, les maires des autres
grandes villes d’Angleterre.
Comment avez­vous réagi quand virus a fait davantage de ravages dans les
La deuxième agglomération l’épidémie a atteint Manchester ? zones de grande précarité, où les commu­ Quelles leçons avez­vous déjà tirées
du Royaume­Uni s’est sentie ignorée J’ai commencé par établir un « comité
Covid » municipal : nous avons rassemblé
nautés sont mal logées, et chez ceux qui
avaient des emplois précaires et ne pou­
de la pandémie ?
Que les changements peuvent advenir
par le pouvoir central tous les responsables des services publics et
des milieux d’affaires, pour faire face en­
vaient pas se permettre d’arrêter de tra­
vailler, même s’ils avaient des symptômes,
vraiment très vite, quand la volonté est là.
L’exemple des sans­abri est parlant : on a
semble, en une communauté unie. Nous car ils avaient besoin d’argent. tellement dit, avant la pandémie, qu’on ne
avons aussi mis en place un système d’aide Nous avons ainsi constaté [le 5 juin] que le pouvait rien faire pour eux… Nous avons
mutuelle : en Angleterre, le système hospi­ taux de transmission dans le nord­ouest du créé un fichier des données de santé [sur
talier est très centralisé, mais il est séparé de pays était juste supérieur à un, alors qu’il le grand Manchester] des personnes en

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