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Communauté française de Belgique


Service de la langue française
La langue française de A à Z
Les textes de cet abécédaire ont été rédigés par Daniel Blampain,
Pierre De Spiegeler, Martine Garsou, André Goosse, Théo Hachez,
Jean-Marie Klinkenberg, Henty Landroit, Marie-Louise Moreau
et Michel Trousson.
Ils ont été publiés dans Le Soir les mardis de mars, avril et mai 1995
dans le cadre de la première édi tion «La langue française en fête».

Communauté française de Belgique

Direction générale de la Culture


et de la Communication

Service de la langue française

1
Préface

Le français de A à Z. Vingt-six vignettes. Vingt-six instantanés - parfois


amusants, souvent surprenants - sur notre langue. Sur sa physionomie.
Sur son passé, son présent, son avenir. Sur ses richesses, parfois méconnues.
Sur le visage particulier qu'elle se donne chez nous. Et aussi, vingt-six pistes
de réflexion.
Mais pourquoi cette plaquette <<Le français de A à Z» ? Et pourquoi
l'initiative en revient-elle aux pouvoirs publics, en l'occurrence
la Communauté française 1
C'est que la langue - et le citoyen le pressent -, ce n'est pas simplement
une affaire d'accords de participes passés. C'est aussi une «question de
société», comme on dit. Question de société, qui se pose en termes nouveaux
à l'ère des autoroutes de l'information et de la mondialisation des échanges
culturels et économiques.
Car la langue est notre principal moyen de nous approprier l'univers,
que nous pensons et concevons à travers elle. C'est elle qui fonde le plus
solidement nos identités et qui nous permet de nous ouvrir aux autres
sans cesser d'être nous-mêmes. C'est à travers elle que se nouent
les rapports de force: qui maîtrise le verbe détient le pouvoir sur les choses.
C'est enfin un enjeu économique, dont l'importance ne cesse de croître
au fur et à mesure que nous pénétrons dans une ère qui produit surtout
de l'immatériel: programmes d'ordinateur, dictionnaire électroniques,
synthèse de la parole ...
Se soucier du langage apparaît dès lors comme un devoir pour un État
démocratique. Parce que, pour l'individu, la langue est le pouvoir sur les
choses, il est juste qu'une démocratie garantisse au mieux cet empire.
Parce que, pour le groupe, c'est l'insttument du contact et du dialogue,
il est juste que la collectivité offre à chacun la possibilité de ce contact.
Parce que la langue est le vecteur de l'information, il est juste d'en offrir
le contrôle au citoyen.
Mais tout contrôle passe par le savoir. Et voilà la raison de ces vingt-six
courtes notices qui constituent, disions-nous, autant de pistes de réflexion.

3
Ces pistes partent dans deux grandes directions.
D'une part, il s'agit de rappeler ce qu'est une langue, d'expliquer
comment la nôtre vit et évolue, de la décrire sous ses multiples facettes.
Nul doute que ces rappels ne rencontrent les intérêts du public curieux.
D'autre part, il s'agit d'attirer l'attention sur les multiples défis auxquels
notre langue est confrontée ici et dans le monde. De montrer sans pathos
la guerre des langues et des cultures qui fait actuellement rage - une rage
discrète, si on me pardonne cette expression hardie - à l'échelle planétaire.
De photographier la position actuelle du français dans les médias, dans les
sciences et les techniques. De mettre en évidence d'importants problèmes
sur lesquels, sous prétexte de technicité, on n'a pas toujours attiré l'attention
du grand public, comme ceux que posent la gestion de la terminologie
et l'impulsion aux industries de la langue.
Toures ces questions font l'objet d'une politique particulière: la politique
de la langue. Et, comme on le devine, il s'agit de bien autre chose que
de gérer une frontière linguistique. Qu'il soit capital de mener une
vigoureuse politique de la langue n'a pas échappé à la plupart des grands
pays développés et démocratiques, qui, pour cela, ont mis sur pied des
organes de gestions linguistiques, chargés de conseiller les pouvoirs publics.
En Communauté française de Belgique, ce rôle d'orientation est dévolu
au Conseil supérieur de la langue française qui, pour remplir ses missions,
peut compter sur le Service de la langue française.
En marge de la collection «Français & Société» qui propose des synthèses
de recherches consacrées au français dans notre vie sociale, est née une
collection de petits guides, destinés à tous, dont on publie ici le deuxième
numéro. Puissent ces instruments pratiques trouver le chemin du public
auquel ils sont destinés: enseignants qui veulent aborder la langue
autrement que comme structure grammaticale, curieux d'histoire, décideurs
économiques ou politiques, citoyens soucieux de l'avenir des collectivités
auxquels ils appartiennent ...

Jean-Marie Klinkenberg,
Président du Conseil supérieur de la langue française.

4
Anthroponymie

L'anthroponymie est l'étude prénom (Denis et ses formes familières:


es noms de personnes, notamment Nizet, Nisard), ayant cette profession
de leur origine. Nous portons notre nom (Boulanger), provenant de ce lieu
de fam "lIe, souvenir de nos ancêtres, (Dispa = de Spa) ou habitant à un
avec fie té, même si sa forme est endroit ayant cette particularité
aberrante, su tout si elle est aberrante: (Dupont, Duchêne). Pour les sobriquets,
parmi .a foulilles Lemaire, il est bien c'est souvent moins simple. Si Leroux est
de s'appeler le Maire. sans mystère, plusieurs raisons peuvent
L'étymologie est souvent invoquée justifier Leblanc. Quant à chacun de ceux
abusivement pour se donner une origine que l'on a surnommé Leloup, en l'absence
hors du commun, notamment celtique, des témoins du «baptême», comment
arabe, espagnole. Mais nous n'avons rien savoir si c'était pour son physique,
gardé de l'anthroponymie gauloise son caractère?
(ni même de la latine), et les Arabes ont Était-il chasseur heureux ou vantard?
été romanisés bien avant que naissent les Habitait-il une maison ayant un loup
noms de familles. La terminaison - ez - comme enseigne?
(dans Fiévez, etc.), qui fait penser On rougit parfois de son nom,
à une finale espagnole, est antérieure à cause des moqueries qu'il suscite,
à l'époque où nous dépendions même quand elles ne sont pas justifiées
de l'Espagne et s'explique par l'ancien par l'étymologie: Salpéteur désigne
français: fiévé est une variante de fieffé un ouvrier exploitant le salpêtre:
qui signifiait d'abord «pourvu dans Grandvaux, on a une forme de val
d'un fief», et le z servait à éviter une comme dans Clairvaux; dans Montcucq,
mauvaise lecture à l'époque où les cucq est synomyme régional de mont.
accents n'existaient pas. Ce dernier nom a été remplacé
Les noms de familles sont d'anciens par Cumont. Il est en effet possible
surnoms transmis de père en fils. de faire changer officiellement les noms
Les premiers apparaissent dès le XII' jugés déplaisants. Mais tout le monde
siècle, mais il faudra attendre plusieurs n'est pas aussi susceptible: à Auxerre,
siècles avant que le système s'établisse un kiosque porte à son fronton
et que les noms deviennent rigoureu- «Kiosque Cochon»; il a été offert
sement héréditaires et immuables. à la ville par un M. Cochon, pour faire
L'origine est souvent terre à terre: la leçon à son fils qui souhaitait
ancien prénom, nom de profession ou de remplacer son patronyme.
lieu, sobriquet. Pour les trois premières
catégories, le critère du choix est facile
à déterminer: un ancêtre portant ce

5
Belgicismes

C'est èn 1811 qu'apparaît le mot l'usage régional en France même,


beLgicisme., dans un recueil anonyme souvenr mal représenré dans les
intitulé FLandricismes, waLLonismes et dictionnaires français. Ainsi souper
expressions impropres dans La Langue pour le repas du soir, attribué par eux
française. La pluparr des répertoires à la francophonie extérieure, Belgique,
qui onr inventorié nos particularités Canada, Suisse, est encore en usage
se sonr en effet arrachés aux fautes, dans bien des provinces françaises.
réelles ou prétendues, que «commettenr Si l'on réservait le nom de belgicisme
fréquemmenr les Belges». Pourranr, à des emplois rigoureusemenr enfermés
on enrendait partout en France partir dans nos fronrières, les listes tradition-
à Paris, un petit peu, etc. nelles se réduiraienr fortemenr.
Les dictionnaires français ignorenr D'une manière générale, l'attitude a
généralemenr le vocabulaire changé; la chasse aux belgicismes vieillir
administratif, politique ou juridique comme la chasse à courre. Cela veut-il
propre à nos régions. Or, au Moyen Âge, dire qu'à l'imitation de certains
nos principautés sonr organisées de Québécois, nous revendiquions de parler
façon originale; elles onr ensuite le belge et non le français? Le nombre
dépendu de l'Espagne, de l'Autriche, et la nature de nos particularismes
de la Hollande: la Belgique émancipée ne justifienr guère pareille prétenrion,
a pris comme modèle la démocratie ni l'inquiétude de certains.
anglaise. Tout cela a laissé des rraces Celui qui veut sortir de son village
encore visibles dans notre langue, des doit apprendre à parler aussi autremenr
mots inusités en France: des latinismes que dans son village et à écrire
comme minervaL «rétribution scolaire», autremenr qu'il ne parle. Si vous
quaLitate qua «ès qualités»; des émerrez un chèque en Bretagne en
anglicismes comme poLLo C'est simplifier écrivanr septante, vous risquez de le voir
abusivemenr que de réduire le français refusé; cela ne prouve ni l'infériorité ni
de Belgique à des transpositions la supériorité de septante ou de soixante-
maladroites des parois de Wallonie dix, mais l'inadéquation de l'un et de
ou du flamand de Bruxelles. l'autre dans certaines circonstances.
Aujourd'hui, les faits régionaux Il n'est pas question de mépriser
sonr l'objet d'études objectives ou de chercher à détruire, mais d'ajouter
sur leur expansion dans l'espace, des compétences supplémenraires.
leur étymologie, leur ancienneté, En fin de compte, c'est de promotion
ce qui était de peu d'inrérêt quand des individus qu'il s'agir.
on les traitait de fautes ou barbarismes.
On s'efforce de prendre en compte

6
Crise de la langue

On entend souvent dire que la renouvellement nous donne l'impression


langue est en crise: « Ils ne connaissent que la langue évolue rapidement.
plus le français»! Ce constat semble L'impression de mutation est encore
évident. Pourrant, rien ne vient le renforcée par le fait que l'écrit change
confirmer. 1 a deux siècles déjà que, à de fonction: ainsi, le téléphone a
chaque décennie, des oracles pessimistes remplacé la lenre dans de nombreux cas,
signaie t une dégradation vertigineuse mais l'écrit, avec l'ordinateur, se gagne
de la langue. Or, les quelques enquêtes de nouveaux domaines.
dont on dispose ne montrent rien de La sensation de crise est encore
semblable. Elles prouvent au contraire renforcée par les bouleversements que
que le niveau de compétence orthogra- notre monde connaît, et qui ont tué
phique des écoliers français sortant en nous toute certitude. Dans un monde
de primaire est resté remarquablement inquiet, il est normal que nous finissions
stable depuis que l'enseignement est par douter de la langue, qui devrait
obligatoire. Voilà qui contredit le mythe assurer notre maîtrise sur les choses.
des grands-mères qui écrivaient sans Enfin, l'image du français a été
faute en n'ayant jamais éré à l'école. ébranlée par l'apparition de la
Ainsi donc, loin de baisser, le niveau francophonie. Dans notre représentation,
monte, puisqu'il y a bien plus le français a un centre: Paris.
d'étudiants de haut niveau qu'autrefois. Nous découvrons aujourd'hui que c'est,
Mais ce qui est vrai, c'est que l'arrivée comme l'anglais, une langue plurielle:
en masse de couches nouvelles de la les Canadiens, qui ont le deuxième
population à ces niveaux d'études y pose standard de vie au monde, ne se
plus de problèmes qu'au temps où ils préoccupent guère de la manière
étaient réservés à une minorité bien dont on parle à Paris, et le français fait
sélectionnée. des petits en Afrique. La langue en
L'impression de crise est encore souffre-t-elle vraiment? Mais que les
suscitée par les mutations que connaît la différents pays francophones apportent
langue. Nous assistons ainsi à un intense leur note personnelle à ce vaste concert
renouvellement du stock des mots et, pour certains, c'est tout un univers
de notre langue: des mots affectifs, usés, qui s'écroule.
font place à d'autres plus neufs;
les activités scientifiques et techniques
en évolution amènent avec elles leut lot
de termes nouveaux. La syntaxe et
la phonétique - qui sont l'âme
de la langue - ont beau rester stables, ce

7
Dialectes

L'usage coura,t applique souvent spontanéité. Le wallon et les au~res


wallon à toute la Ifrtié romane de la dialectes sont restés ce qu'ils étaient,
Belgique (Bruxelles eJclu). En réalité, adaptés à la vie quotidienne du village
on parle le picard daJs le Hainaut et du quartier, aux travaux de
i ( .
(centre et oUlJt) e~e lorram dans le sud l'agriculteur et de l'artisan.
du ~o~.;>enoutre, quelques Ces parlers ne sont pas pauvres
c ~llages_aes environs de Bouillon dans les domaines qui sont les leurs,
se rarrachent au champenois. Chacun leur grammaire n'est pas invertébrée,
des dialecres se continue en France. sans règles. Le dictionnaire namurois
Le wallon est, selon la formule, à la de Lucien Léonard a près de 800 pages
fois jolie et exacte, de Julos Beaucarne, et la Syntaxe du wallon de la Gleize
<de latin venu à pied du fond des âges». de Louis Remacle plus de mille.
Là où le latin s'est implanté, remplaçant . Le paysan ardennais ou l'ouvrier liégeois
dans la vie de tous les jours des langues appliquent la concotdance des temps
plus anciennes, il a évolué diversement du subjonctif avec la même rigueur que
selon les pays, les régions, les localités: Bossuet. Mais les règles se sont établies
il a donné naissance, non seulement par un consensus spontané du groupe
aux langues romanes, mais à chacun et non sous la férule des grammairiens.
des parlers romans. Des oeuvres nombreuses et variées
Ceux de chez nous ne sont donc pas ont montré que, sous la plume d'un
des altérations du français. Ils possèdent attiste inspiré, le dialecte peut être
notamment des reliques du latin que un instrument délicat, raffiné.
le français n'a pas connues, comme Mais le monde évolue, quoi qu'on
l'exclamation liégeoise djans.' veuille. Il y a quelques générations,
«<allons!»), qui continue le subjonctif la bourgeoisie était bilingue, utilisant
eamus. L'idée que le wallon viendrait un dialecte avec les gens du peuple.
de l'ancien français n'est pas plus Progtessivement, le bilinguisme est
acceptable; s'il y a des analogies, passé aux classes populaires, notamment
c'est que l'un et l'autre sont faits pour par l'instruction obligatoire.
la communication orale. Aujourd'hui, bien des jeunes, même
Le français s'est écarté de cet état dans ces milieux, ne pratiquent plus
premier pour devenir progressivement le dialeere. S'il venait à disparaître,
une langue enseignée à l'école, surveillée route une partie de la sensibilité
par les grammairiens et enrichie wallonne disparaîtrait avec lui.
pour être capable de traiter de toutes
les branches du savoir humain.
Il a payé cela du sacrifice partiel de sa

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Exclusions

Elans un monde où communiquer en use. Ce qui permet du même coup


est 6 Rital, la maîtrise de la langue est d'en tenir les autres à l'écart. À travers la
un e j u de taille. Mais la langue ne sert langue peuvent donc s'opérer de graves
pas qu'à communiquer: elle permet exclusions sociales. Par exemple, une
aussi de uder les groupes. Lorsqu'on insuffisante maîtrise du langage
écout elle musique, que l'on adopte constitue un handicap sur le marché
______ JteLtype..de vêtement, on se distingue de l'emploi; l'intimidation langagière
des autres, et on marque son apparte- piège le client dans la vente par
nance à la collectivité de ceux qui font correspondance; elle fait du fisc un
les mêmes choix. Utiliser certains tours, monstre contre qui il est impossible
certaines expressions, et surtout certains de se défendre; elle rend les instirutions
accents, joue le même rôle: le langage publiques compliquées. .
nous classe. Ces deux caractéristiques de Les pouvoirs publics ont donc le
toute langue ont des répercussions sur la devoir de clarifier le langage dans lequel
création de situations justes ou injustes. ils parlent aux gens. Ils doivent aussi
Prenons la fonction de communi- donner leur place aux minorités.
cation. Il y a différentes sortes de Les sourds-muets, qui utilisent une
français (comme on le lira dans l'article langue gestuelle complexe, ne peuvent
«Variété»), et celle que l'on utilise être exclus par leur handicap. Il faut
entre amis n'est pas celle que l'on utilise offrir aux non-francophones les moyens
lorsque l'on dépose plainte à la police. d'acquérir la langue de leur pays
Or, il y a des variétés légitimes et d'accueil.
d'autres illégitimes. Une variété Enfin, l'école devrait réfléchir à son
légitime est celle que l'on juge accep- rôle: trop souvent, elle ne nous donne ni
table par la société: elle comportera confiance en nous-mêmes ni les moyens
des constructions difficiles, des mots effectifs d'acquérir la maîtrise des
comme dont, etc. Une variété illégitime variétés légitimes.
pourra comporter des «fautes», mais L'exclusion peut aussi avoir des
conviendra pour la conversation dimensions planétaires. Qu'on ne tolère
familière. Or, tout le monde n'a pas l'information que dans un seul idiome,
la même maîtrise des variétés légitimes: et c'est l'information elle-même qui
ceux qui sont nés dans un milieu disparaît. Or, la place du français sur
favorisé les dominent beaucoup mieux. le marché des langues est devenue
Bien plus: les variétés légitimes problématique, et une partie de bras
intimident les personnes défavorisées. de fer dont l'enjeu est l'information
On en arrive à la seconde fonction se joue à l'échelle du globe.
du langage: souder la communauté qui

9
Francophonie

Les définitions de la francophonie envisagèrent la constitution d'une


sont mu~tiples: ensemble de peuples ou communauté francophone, qu'il
de communautés qui parlent le français, connaîtra le succès. La première
apparrenance ou identification à une structuration de la francophonie fut très
communauté partageant des valeurs souple et pour l'essentiel constituée
censées être véhiculées par le français, ou d'accords bilatéraux, trilatéraux, de
structures institutionnelles regroupant réseaux et d'associations parapubliques.
ces populations ou communautés Avec la création de l'Agence
de langue française. de coopération culturelle et rechnique
La multiplicité de ces définitions (1970) et la réunion des sommets
renvoie à la diversité des modes des chefs d'État et de gouvernements
d'implantation du français: langue ayant le français en partage (le premier
marernelle (Belgique, France, Suisse ...), sommet eut lieu à Paris en 1986), la
langues de l'émigration (Canada, francophonie a abordé un nouveau stade
Louisiane ...), langue de la colonisation de son évolution. Mais en s'ouvrant
(Algérie, Sénégal, Zaïre ...), langue largement à des pays où la langue
de culture (Égypte, Roumanie ... ). française ne joue pas un rôle officiel
La connaissance du français est (Égypre, Bulgarie, Vanuatu) et en
forcément très inégalement partagée tentant de rencontrer les problèmes
à l'intérieur de cet ensemble hétéroclire économiques des pays les moins
qui comptend aussi bien ceux dont développés, la francophonie
c'est la langue marernelle que ceux qui institutionnelle court le risque de
en ont une maîtrise très rudimentaire. l'inefficacité et de l'inconsistance.
A combien peut-on, dès lors, estimer le Au vrai, la francophonie est
nombre de francophones? 105 millions aujourd'hui à la croisée des chemins.
de francophones réels, 55 millions Le projet francophone, pour être viable,
de francophones occasionnels et doit se recentrer sur ce qui fait sa
environ 100 millions de francisants vétitable spécificité, à savoir la langue
(c'est-à-dire ceux qui, en dehors de l'aire et la culture, cette dernière incluant
francophone, ont une connaissance l'éducation et la recherche. Le défi est
du français). d'importance, il mérire que l'on y
C'est au géographe français Onésime réfléchisse.
Reclus (1887) que l'on doit la création
de ce mot. Mais ce n'est qu'au début des
années 60, lorsque quelques chefs d'État
africains (Léopold Sédar Senghor,
Hamani Diori, Habib Bourguiba)

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Grammaire et linguistique

On considère aujourd'hui comprendre objectivement pourquoi,


que la grammaire et la linguistique dans telle situation de communication,
cottespondent à deux dispositions nous choisissons librement d'uriliser
d'esprit différentes face aux multiples le subjonctif dettière après que ou
aspects du langage. d'employer le mot crolle et non le mot
1. La première de ces dispositions boucle - sont-ils d'ailleurs parfaitement
(grammairienne) consiste à établir une synonymes? Dans cette perspective
nomenclature, si possible exhaustive, linguistique, la notion de faute,
de règles petmettant au corps social inutilement culpabilisante, sera
d'utiliser les ressources communicatives remplacée par celle d'écart par rapport
du français conformément à une norme à la norme. D'ailleurs, la faute
préétablie. Ainsi, l'école nous enseigne d'aujourd'hui est peut-être la norme
que la locurion après que réclame de demain.
l'indicatif ou qu'il est incorrect Objection: l'attitude du linguiste
d'employer le mot crolle à la place ne risque-t-elle pas de déstabiliser
du mot boucle. l'usager de la langue habitué, depuis
Cette attitude trouve sa justification l'enfance, aux certitudes que procure
dans le souci cher aux francophones et la consultation d'une grammaire ou
socialement légitimé de bien parler et d'un dictionnaire? Entendons-nous:
de bien écrire. Son inconvénient majeur nul ne songe à substituer la linguistique
est qu'elle entretient, dans l'esprit du à la grammaire. Il est néanmoins permis
grand public pour qui elle est l'unique de penser que la coexistence des deux
référence, l'image inhibante d'une approches et, surtout, la prise de
langue figée et contrôlée par une conscience par le public de leurs
instance supérieure dépositaire du savoir objectifs respectifs contribueraient
grammatical et garante de la norme. à rendre au francophone la confiance en
Or, il n'en n'est rien. Si la violation une langue qui lui appartient de plein
du code de la route par un auromobilisre droit et que nulle autorité, fût-elle
est susceptible de provoquer un accident scolaire ou académique, n'a le pouvoir
mottel et mérire d'être sévèrement de régenter. À l'heure d'une anglomanie
sanctionnée, il ne doit évidemment pas galopante, cette confiance retrouvée
en aller de même pour l'usager de serait particulièrement bienvenue.
la langue qui violetait le code
grammatical.
2. Ceci nous amène à la seconde
disposition d'esprit (linguistique) face
à la langue. Elle consiste à tenter de

11
Histoire du français

Le français est le produit Ceci prépare la seconde période


de--l'unificatcion d'un certain nombre d'universalité du français: au XVIII'
de dialectes: ce pr9cessus - que routes siècle, panout en Europe, les savants,
les langues on~connu dès que les les nobles et les intellecruels le parlent.
communications se sont intensifiées - Le mouvement gagne la haute
pone le nom de standardisation. bourgeoisie.
~ ~A • •

Au Harrt:Moyen.1\:ge, la slruaflon Parallèlement, la langue progresse


dans l'aire francophone est la suivante: en France. La révolution industrielle
le peuple parle son dialecte, les lenrés et l'enseignement obligaroire, au XIX'
ayant à leur disposition deux siècle, renforcent l'uniformisation de la
«standards», le larin, le plus langue, en renvoyant les parlers locaux
prestigieux, et le français, plus au rang de «parois». Certains de ceux-
populaire. Ce français se retrouve ci, comme le wallon, continueront
d'abord dans des textes religieux à afficher une belle vitalité.
destinés au peuple puis, plus tard, Le XIX' siècle voit un troisième
dans des textes linéraires. À panir du mouvement d'expansion du français.
XII' siècle, il commence à concurrencer Cette fois, c'est la colonisation qui en est
le latin dans les rextes officiels. C'esr la la cause. À partir du XVI' siècle,
première grande période d'universalité le français avait déjà pris pied en
du français: on l'écrit en Italie Amérique et en Afrique. Mais à présent,
et il commence à s'imposer dans les il se répand massivement, essentiel-
importantes zones non francophones lement en Afrique noire. C'est l'origine
de France. de la francophonie acruelle: dans les
Le XVI' siècle marque la vicroire pays que fédère l'Agence de coopération
décisive du français. Déjà largement culrurelle et technique, le français
utilisé dans les administrations royales, joue, à côte des nombreuses langues
il s'impose dans la justice (Édit de maternelles, le rôle de langue officielle
Villers-Cotterêts, 1539) et cesse et d'enseignement.
définitivement d'être une langue Mais les deux guerres mondiales
populaire. ont sonné le glas de la suprématie
Au XVII' siècle, la centralisation européenne sur le monde: le centre
politique du royaume de France va de de gravité de celui-ci est dorénavant
pair avec la centralisation linguistique, aux États-Unis. À l'aube du XXI' siècle,
que l'invention de l'imprimerie une crise de conscience s'ouvre ainsi
avait stimulée: des dictionnaires pour notre langue.
et des grammaires se publient,
et l'on crée l'Académie.

12
Industries de la langue

Née en 1984, par analogie multilingues, des banques terminolo-


avec le rerme Industrie de l'information, giques ou d'extraire des informations
l'appellarion Industries de la langue à l'aide d'analyseurs de textes.
recouvre l'ensemble des activités Mais peut-être irez-vous vers la PAO
qui visent à faire manipuler, inrerpréter (publication) ou le DAO (dessin»)
ou générer par des machines le langage 3. De manière plus exceptionnelle,
naturel écrit ou parlé par les humains. désirez-vous communiquer par la parole
1. Recherchez-vous une avec la machine? C'est possible, dans
information? Les logiciels documen- des conditions précises. Dialoguer
taires vous permetrent d'interroger dans sa propre langue avec un micro-
les banques de données accessibles par ordinareur sans recourir à un langage
des réseaux ou sous la forme de disques de programmation représente lui aussi
optiques compacts (CD-Rom). un vieux rêve. De grands progrès ont été
De l'information scientifique la plus réalisés dans la production de la parole
spécialisée à la presse publiée dans synthétique et dans la conversion de
les six derniers mois, la consultation la parole en texre (systèmes de dictée).
électronique, selon les clés de votre Les connaissances relatives au traitement
choix, est aujourd'hui en voie numérisé des langues n'ont cessé
de banalisation. Les «autoroutes de se développer selon un processus
de l'information», ces réseaux pouvant cumulatif et sont loin d'avoir porté
supporter le service multimédia, doivent tous leurs fruits industriels.
amplifier demain cette recherche qui a Si l'automatisation des travaux
déjà pris une dimension mondiale. linguistiques représente un enjeu
2. Recherchez-vous une aide économique important, l'enjeu
pour rédiger, rraduire ou enseigner? purement linguistique ne l'est pas
L'utilisation de traitements de texres moins. Les industries de la langue
munis de correcreurs de plus en plus peuvent, si l'on n'y prend garde,
perfectionnés et d'aides à l'édition contribuer à la réduction de la diversité
de plus en plus diversifiées n'illustre linguistique. Le français devrait
qu'une des ressources de la bureautique. donc représenter un objet de recherches
Le sigle AO (assisté par ordinareur) au même titre que l'anglais.
s'associe au mot enseignement (EA) La pure logique commerciale devrait
et appelle certaines nuances. être relayée par une politique
Aux vieux rêves de la traduction linguistique particulièrement ajustée.
automatique s'est substituée la TAO,
qui permet au traducteur de consulrer
ou de se constituer des dictionnaires

13
Jargon et argot

Chaque métier possède son jargon. en est un (la tranche horaire entre 18
Il suffit d'écouter des instituteurs parler et 20 heures).
entre eux, des médecins, des ouvriers C'était d'ailleurs le bur des premiers
des chemins de fer, des agriculteurs, jargons: l'argot, langue des voleurs,
etc., pour s'en apercevoir. Les jargons permettait à ceux-ci de communiquer
pJllulent: si le routier parle de son sans se faire repérer! Il marquait
mille-pattes (son camion) et de la tirelire l'appartenance à un groupe, il n'existait
Çfe péage), le libraire, par contre, que pour les initiés au XVII' siècle.
'traquera le passager clandestin (le lecteur Au XIX', d'autres corporations
qui s'installe en magasin sans acheter), imitèrent les malandrins et de plus, pas
la police tartinera (dresser des contraven- mal de mots passèrent dans le langage
tions) et l'apprenti musicien fera la courant, surtout après que de grands
tourne (tourner à bon escient les pages écrivains (Eugène Sue, Victor Hugo,
d'une partition). Balzac) les eurent utilisés dans des
Rarement, les utilisateurs créeront romans populaires (casquer, chiper, bidule,
un mot de toutes pièces, ils se fric, dupe, amadouer, etc.) Au XX, siècle,
contenteront souvent d'ajouter un sens quelques autres écrivains (Barbusse,
nouveau (inconnu du commun Carco, Mac Orlan, Céline, Richepin)
des mortels) à un mot existant. ou chansonniers (comme Bruant,
C'est un procédé que la langue emploie Pierre Perret) et, plus près de chez nous,
à de multiples occasions: quand il a San Antonio ou encore Michel Audiard,
fallu désigner d'un mot le nouveau comme dialoguiste de films, contribuent
soutien-gorge sans bretelles, le balconnet à faire revivre, mais souvent de manière
qui désignait déjà un élément seulement littéraire ou un peu
d'arch itecture a suffi ! articicielle, la fameuse langue verte.
Les jargons peuvent devenir On peut se demander cependant
tellement spécialisés qu'ils ne permet- si l'argot existe encore. Il a quelque peu
tent plus la communication qu'entre perdu ses motivations d'origine depuis
les «personnes du métier». Récemment, que bon nombre de ses créations sont
sur une chaîne de télévision française, passées dans le langage courant.
un animateur s'est amusé à demander Il a souvent acquis une répuration
aux visiteurs d'une foire s'ils pensaient de langage «familier» si pas «ordurier»,
que l'access prime time devait passer car il traite souvent de sexe, de vol,
avant le]. T.; la plupart des personnes de prostitution et de domaines pas très
interrogées n'ont évidemment rien «comme il faut». Mais est-il près
compris. Le jargon de l'audiovisuel est de clamser? La langue a de ces
farci d'anglicismes et access prime time ressources ...

14
Khôl, Kimono ... les emprunts

Une <<langue pure» n'existe pas. dit praecoquum - fruit ptécoce - par les
Parce que les langues servent à Romains; le grec a pris ce mot, pour le
communiquer, elles entrent en contact donner ensuite aux Arabes, lesquels en
les unes avec les autres et s'influencent firent al barquq, que l'espagnol adapta
muruellement. en albaricoque, à l'origine de abricot!
On ésigne du nom d'interférence Aujourd'hui, la langue la plus généreuse
le fait d transposer un élément d'une esr évidemment l'anglais. Le phénomène
langue vers une autre: que le wallon est si important qu'il fera l'objet d'un
utilise la tournure une noire robe est arricle particulier dans cet abécédaire
une interférence affectant la syntaxe (à la lettre «x»). Invasion' On avait
de son français; qu'il aspire le h au début utilisé ce mot à propos des emprunts
des mots, et c'est une interférence italiens des débuts de l'ère moderne:
phonétique. On réservera le mot ambassade, banque, soldat sont des traces
«emprunt» pour désigner les de cette marée.
interférences qui affectent le stock Certaines spécificités du français
de mots de la langue: kitsch et perestroïka de Belgique proviennent d'interférences
sont des emprunts. suscitées par des variétés flamandes
La langue française n'est pas plus ou par le néerlandais (kot, pilarisation -
«pure» qu'une autre. Si son origine calqué sur verzuiling) ou encore par
lointaine est le latin, de multiples les dialectes romans (spitant, couper
parlers ont fécondé celui-ci. En premier aux cerises).
lieu, le gaulois: des mots comme chêne Ce qui provoque le flux des
ou charme en sont les survivances. interférences est évidemment le
La seconde pourvoyeuse fut la langue dynamisme de la langue prêteuse,
des Francs, ancêtre du flamand actuel. qui dépend de facteurs économiques et
Ses interférences font du français politiques, mais aussi démographiques
la plus germanique des langues latines: et culturels. Les facteurs proprement
trop, gris, marcher, garçon font partie linguistiques jouent aussi: certaines
de cet héritage. langues sont moins enclines à emprunter
Puis d'autres langues sont venues. que d'autres. Le français, par contre,
L'espagnol a donné camarade, moustique, répugne à puiser dans son fonds,
vanille; la culture arabe nous a fait et ne digère plus toujours bien ce qu'il
cadeau de chiffre, zéro, alcool, élixir; absorbe. Sans doute devrait-on stimuler
le néerlandais nous a comblés en davantage la créativité du francophone,
vocabulaire maritime: digue, havre, à qui on ne cesse de répéter qu'il ne peut
matelot. Les emprunts prennent parfois toucher à sa langue ...
des chemins détournés: l'abricot était

15
Langue et Langage

Dans la vie courante, nous gestuelle que beaucoup d'animaux


distinguons mal <<langue» et utilisent pour s'exprimer, se faire
<<langage». Plusieurs dictionnaires comprendre et communiquer entre eux
donnent les deux termes comme (ne citons que les abeilles, les singes,
synonymes'1langage renvoyant à langue les oiseaux). Cette faculté a donc permis
;t viSoYéfs~. Nous allons jus~u'à parler à l'homme de créer des langues, c'est-à-
C' <IU:Ian:gagel'des fleurs, de celuI dire des systèmes de signes, d'abord
des abeilles et de la langue ... verte pour verbaux puis écrits, qui permettent
l'argot. Certes, les parfums ont leur à des individus de fixer la trace de leur
langage et les peuples leur langue. pensée, d'échanger des informations,
Et de notre chien, nous dirons: de communiquer. Il s'en est donné
«Il ne lui manque que le langage». à cœur joie! Il est difficile, en effet,
Mais la confusion est souvent entretenue de les dénombrer tellement elles ont
entre les deux termes: faut-il parler de envahi le monde, se limitant parfois
la langue ou du langage des jeunes, de la à un terriroire qui nous paraît exigu.
langue ou du langage des dauphins? On réservera donc plutôt le terme de
L'usage hésite parfois. Pourtant, «langage» à des systèmes non verbaux
nous apprenons bien une «langue» (le langage des couleurs, celui de la
maternelle ou étrangère et nous pouvons peinture, un langage informatique)
utiliser un <<langage» châtié en certaines ou à des manières de parler propres à un
occasions. Il y a donc une différence. groupe donné (le langage administratif,
Pour les linguistes, le langage est le langage parisien, le langage
plutôt la faculté générale, inscrite diplomatique), ces derniers utilisant
génétiquement en nous, de pouvoir une partie restreinte des ressources
communiquer de manière articulée. de la langue qui est, elle, plus vaste,
On pense généralement que cette faculté plus ample. On oppose parfois aussi
a été possible grâce à un concours <<langue» et «parole», la langue étant et
de circonstances: la position de notre restant potentielle tandis que la parole
crâne par rapport à notre larynx, la évoque la manière dont chacun d'entre
présence d'un os particulier (l'os hyoïde nous tire parti de toutes ses richesses
recouvrant celui-ci) et le développement en l'employant dans sa vie quotidienne.
d'une partie spécialisée de notre cerveau
ont été les outils nécessaires, préalables
à cette grande aventure de la langue.
L'homme est donc capable d'un
langage articulé, qui va au-delà
des mimiques, des grimaces et de la

16
Médias

Parce 9 lils meutent en relation langue populaire, moins tributaire


un rand ombre d individus d'origines des différences régionales, plus uniforme
ociale et éographrque différentes, dans s~s expressions familières.
comm trefo's la construction Une langue qui joue de l'argot (qu'elle
d pon, de routes ou de voies ferrées, la contribue à banaliser) et du néologisme
co c iption, l'administration ou l'école, (qu'il soit emprunté ou non à une autre
le role des médias ppar Ît central sur langue). Du reste, beaucoup de ses
le plan de la langue et de son évolution. innovations lexicales ou syntaxiques
Le fait qu'on les dise aujourd'hui et de ses formules toutes faites se
«de masse» et que contrairement dissolvent dans l'air du temps.
au journalisme du XIX' siècle, leur Cependant, les effets de mode dans
canal privilégié soit oral, a renforcé la langue n'ont pas attendu la télévision
et transformé cette influence. Le fait que pour se manifester. Ce qui heurte dans
les médias aient à traiter dans l'urgence le langage de la radio et de la télé
de l'information (soit, par définition, aujourd'hui, c'est qu'elle font entrer
des faits nouveaux) n'est pas pour rien un usage familier sur la scène publique
dans leur tendance à l'innovation. par des canaux officiels. La géographie
Dans un premier temps, jusqu'à sociolinguistique des usages en est
la fin des années 70, les médias un peu bouleversée; mais le caractère
audiovisuels sont restés assez spectaculaire des médias ne doit pas
conservateurs sur le plan linguistique, faire oublier que d'autres ressorts
leur mission didactique restait puissants agissent sur elle. La prolonga-
dominante. Aujourd'hui, radio et télé tion des études, par exemple, enracine
se veulent plus proches des gens, plus profondément un français
plus familières. La course à l'audience, normalisé dans de plus larges couches
résultant de la privatisation de ces de la population, en même temps
médias, et ses retombées sur le service qu'elle généralise un mode de vie
public même, ont modifié étudiant et ses usages linguistiques
profondément le langage des médias. spécifiques.
Ce que certains dénoncent comme une Ah! si les puristes pouvaient relever
dégradation de la langue par les médias leurs lunettes noires pour sécher leurs
indique plutôt un élargissement de la larmes, ils s'apercevraient enfin que
gamme des liens que ceux-ci tiennent la langue est une chose passionnante
à entretenir avec leurs publics. qui bouge dans tous les sens à la fois.
Désormais plus miroir intime que
fenêtre ouverte sur le monde, les médias
sont en train d'inventer une forme de

17
Norme

:tou1ef les lang\les connaissent supposera souvent que les meilleurs


de rri'ultiples usages,ldistribués témoins habitent à la campagne
différe~e~'{elod les époques, plutôt qu'à la ville, qu'ils soient
les régions~es grou~es sociaux, etc. monolingues ... ). C'est pour partie
Ces divers us~e}sb4t rarement perçus à certe conception de la norme qu'on
comme simple~ent juxtaposés. Ils font est généralement renvoyé lorsque,
c:;- -âIDcontraire l' obj'e~ dI'une hiérarchisation par exemple, il est question du «bon»
qui aboutit à en séleCtionner un comme wallon.
étant le meilleur, comme étant la 3. Pour un certain nombre de
norme. langues, la norme s'identifie avec
La manière dont s'opère l'identifi- la manière de parler d'un tout autre
cation du «bon» usage diffère groupe: la classe socio-culturellement
sensiblement d'une communauté dominante. Le «bon» français se définit
linguistique à une autre. Trois ainsi au départ de l'usage des
conceptions peuvent être distinguées, intellectuels, des écrivains, des artistes,
qui se retrouvent cependant souvent des professionnels de médias, etc.
imbriquées l'une dans l'autre. Seules sont tenues pour légitimes
1. Dans certaines communautés, les formes qu'eux-mêmes emploient,
la meilleure variété dont chacun des ou qui, provenant d'un autre groupe,
membres puisse user, c'est celle du accèdent à la légitimité par le fait
groupe auquel il appartient. Ainsi, dans qu'eux-mêmes y recourent.
les sociétés rurales, la pression sociale Contrairement à une idée
incite les gens à user de la variété de leur communément répandue, ce ne sont
village, et non de celle qui caractérise donc pas les grammairiens ou les
le village voisin, et inversement. autres institutions normatives qui
C'est sur cette même représentation hiérarchisent les usages. Le «bon»
de la norme que reposent les impératifs langage préexiste à leur intervention:
du type «Cause comme on te l'a appris» les grammaires, les dictionnaires, l'école,
ou «Parle comme tout le monde» les académies, les chroniques du bon
(l'expression ne désignant en fait que langage, etc. ne sélectionnent pas
les membres du groupe). vraiment les formes qu'ils préconisent;
2. Pour d'autres groupes, il n'est ils entérinent, cautionnent et renforcent
de «bon» langage que dans le passé. une sélection qui, pour l'essentiel,
C'est le parler des vieux qui en fournit le s'est opérée en dehors d'eux, sur la base
reflet le plus fidèle, pour autant que leur de critères sociaux, et non linguistiques,
histoire les ait préservés de l'influence logiques-ou esthétiques.
des autres langues (la conception

18
Orthographe

Nous ne nous rendons pas toujours Le XX" siècle vit naître de


compte que l'orthographe évolue, que nombreuses propositions de simplifi-
nous lisons Racine, Rousseau, Voltaire, cation, parfois extrêmes (l'orthographe
Hugo et même Camus ou Malraux dans phonétique), mais souvent intéressantes
une orthographe qui a été modernisée (l'abandon de consonnes doubles ou
au fur et à mesure des éditions. de lettres grecques). Elles avortèrent
Lite Montaigne dans une édition lamentablement. La dernière tentative,
originale demande une initiation. mise en roure par un comité d'experts
Les textes actuels des pièces de Molière surpervisé par le Conseil supérieur de
comportent une moyenne de cent la langue française de France, a abouti,
différences par page si on les compare en décembre 1990, à la publication
aux textes originaux. d'une série de recommandations
Ce n'est qu'au cours du XVIII" siècle orthographiques touchant
qu'on a commencé à se soucier vraiment principalement les accents, le tréma, le
d'orthographe. Avant, le concept pluriel des noms composés et étrangers,
de «faute» n'existait pas réellement. et quelques «mises en ordre» réclamées
Ce sont les imprimeurs qui ont inventé depuis longremps dans des séries
des règles et des normes (en introduisant de mots (comme bonhomme, bonhommie
les accents, par exemple) car ils en ou imbéciLe, imbéciLitej. Ces propositions
avaient besoin pour exercer leur métier visent surtout à redresser certaines
efficacement, mais les auteurs n'y anomalies et à mettre un peu d'ordre
prêtaient pas toujours attention. là où régnait le désordre ou l'arbitraire.
Vers 1740 encore, le Maréchal Ainsi, nénttfar, mot d'otigine arabe,
de Saxe, pressenti pour faire partie n'avait perdu son - f - au profit de - ph
de l'Académie française, pouvait écrire - que suite à une erteur concernant son
sans se ridiculiser: «ils veule me fere étymologie, et le mot évènement a bien
de la Cadémie, cela miret comme une le droit de récupérer son - è - car il avait
bague a un cha». Depuis, l'orthographe tout simplement été oublié lors de la
a connu une réforme en moyenne tous mise en ordre des accents effectuées
les trente ans. En 1740, six mille mots par l'Académie au XIX" siècle.
(soit un tiers des mots de l'époque) Ces recommandations ont été
furent modifiés. La réforme de 1835 approuvées par l'Académie française
toucha près d'un mot sur quatre et diffusées depuis dans la plupart
en remplaçant - oi - par - ai- des dictionnaires. L'usage décidera!
notamment dans les imparfaits et les
conditionnels, pour être plus proche
de la prononciation.

19
Politique linguistique

Le tjt'e'}P'décret sur la féminisation Concernant la langue elle-même, on


des-nûri1;.e1e métiers, fonctions, titres évoqueta à titre d'exemple les actions
~râcles a suscité un important débat menées pour moderniser ou enrichit la
sur la question de l'intervention langue française. Ainsi, le décret Spaak
de l'État en matière de langue. Si, selon pris en 1978 impose l'usage de termes
certains, les pouvoirs publics n'avaient français à la place de termes étrangers
c::= 'pas> à intervenir en ce domaine, il faut dans une série d'actes et de documents
bien voir que tout au long de l'histoire, d'intérêt public. Cette mesure visait
les États ont toujours mené ou mènent prioritairement à lutter contre
une politique linguistique, de manière l'anglicisation.
plus ou moins explicite. Par politique Concernant les actions à mener pour
linguistique, on entend <d'ensemble assurer le rayonnement du français, c'est
des choix conscients effectués dans le aux pouvoirs publics qu'incombe de
domaine des rapports entre langue et vie prendre toute initiative pour renforcer la
sociale, et plus particulièrement entte place de notre langue, particulièrement
langue et vie nationale» (J. 1. Calvet, dans les seereurs où elle serait menacée.
«La guerre des langues», 1987). Les défis à relever ne manquent pas,
Ainsi, en Belgique, c'est bien de qu'il s'agisse d'assurer la présence
politique linguistique qu'il s'agit du français dans les sciences,
lorsqu'en 1963, l'État a mis en place dans les industries de la langue ou
un important dispositif législatif visant dans les organisations internationales.
à réglementer l'emploi des langues, Pour l'aider à mener sa politique,
justifié par une situation de concurrence le gouvernement de la Communauté
entre le néerlandais et le français. française a créé, en 1985, le Service de
Cette gestion du plurilinguisme, plus la langue française (organe administratif
communément dénommée politique chargé de mettre en œuvre sa politique)
communautaire que politique et le Conseil de la langue française
linguistique, est un des éléments dénommé Conseil supétieur de la langue
qui a conduit à la communautatisation française en 1993 (organisme consultatif
puis à la fédéralisation de l'État belge. chargé de conseiller le ministre sur toute
En Communauté française, question relative à la langue française
une politique linguistique viseta à et à sa diffusion). En 1990, une
promouvoir la langue française pour Commission de surveillance de la
mieux assurer l'avenir de la collectivité. législation de la langue française
L'action des pouvoits publics peut portet fut créée par décret.
soit sur la vie de la langue elle-même,
soit sur son rayonnement ou son statut.

20
Question linguistique

La Belgique est trilingue. Si l'on 3. Il a été, au moins depuis le


met à part le domaine allemand, elle est XVIII' siècle, la langue de l'élite sociale
composée de deux aires linguistiques flamande qui se coupait ainsi du gros
sensiblement égalts: la Flandre au nord de la population.
et la Wallonie au sud, avec au centre Cette situation est à l'origine
la région bîlingue de Bruxelles-capitale. de la question linguistique. Le ciment
D'est e ouest, elle est ttaversée en son de l'unité belge lui venait en effet de
milieu par une frontière datant du haut la classe bourgeoise, francophone
Moyen Âge. Cette frontière, dont le de part et d'autre de la frontière des
tracé est res é fixe au cours des âges, dialectes. En Flandre, la lutte des classes
sépare des vatiétés dialeerales: dialeeres se doubla, dès le début, d'une question
sud-néerlandais et dialecre d'oïl, linguistique: la lutte du peuple flamand
héritiers du latin implanté en Gaule. ne fut pas seulement sociale, mais aussi
Ce serait une erreur de croire qu'à nationaliste. C'est au début du siècle
cette division correspond une identique qu'apparut clairement la nature dualiste
répartition des langues de culture. du pays. Ce constat devait aboutir
La frontière linguistique n'a jamais été à une législation consacrant l'égalité
étanche: l'influence française s'est des langues et l'unilinguisme des
répandue dès la fin du XII' siècle dans grandes régions, puis à des révisions
les milieux aristocratiques de Flandre. consti tu tionnelles consacrant l'existence
Pendant ce temps, le pays wallon des communautés culturelles
gardait son homogénéité culturelle. du pays.
Il s'est donc développé un état de Il subsiste aujourd'hui de
bilinguisme qui n'a pas été le même nombreuses séquelles de la question
de part et d'autre de la frontière qu'on dit aujourd'hui plus volontiers
linguistique: franco-wallon par-deçà, «communautaire». La périphérie
franco-flamand par delà. Voici les trois bruxelloise et les Fourons en sont les
conséquences les plus nettes de ceci. exemples les plus spectaculaires.
1. Le français est de longue date la Mais la question n'est plus vraiment
langue de culture unique en Wallonie, linguistique. Si elle est toujours une
tout comme dans la majeure partie lutte pour le pouvoir, elle est devenue
de la France. principalement économique: une
2. Par suite de la francisation Wallonie vieillie dans sa population et
constante de Bruxelles, il l'est devenu de son infrastructure doit faire face à une
la majeure partie des habitants de cette Flandre plus jeune et d'industrialisation
ville primitivement flamande, habitants plus récente, plus nationaliste de
dont beaucoup sont Wallons d'origine. surcroît.

21
Représentations

Les membres d'une communauté sur d'autres échelles, où les francophones


se r~présentent les différents usages belges le jugent sec, terne et pédant,
d'une lan~ue comme hiérarchisées et lui préfèrent leurs propres usages,
les uns par .rapport aux autres. où ils disent voir s'exprimer davantage
Ainsi, les pratiques linguistiques de chaleur humaine.
de la class~ socio-culturellement Situer la norme en dehors
dominante,sont.-elles considérées du groupe, tenir sa langue sous
comme «meilleures» que les autres. surveillance, ne pas se reconnaître
Dans le même esprit, beaucoup le droit d'en réguler le cours (rous les
de francophones belges considèrent que ingrédients de ce qu'on nomme le
le français des Français a des vertus que sentiment d'insécurité linguistique),
n'a pas le leur, conception que beaucoup ne pas associer de prestige social à son
d'institlltions normatives, belges propre usage: le panorama n'a rien
ou françaises (grammaires, académies, de spécifiquement belge; ces attitudes se
dictionnaires, etc.) contribuent à retrouvent dans routes les communautés
construire et à renforcer. C'est bien parce linguistiques en situation de dépen-
qu'ils sont imprégnés de cette dance er de soumission culturelle
représentation que certains locuteurs par rapport à une autre.
cherchent à éliminer de leur langue On notera que la hiérarchisation
les belgicismes, jugés illigitimes. des usages et ces associations ne reposent
Dans la même foulée, certains pas sur des fondements objectifs:
estiment que les institutions normatives si l'on demande de classer les différents
belges ne peuvent exercer d'autres usages et d'en dérerminer les qualités
prérogatives sur leur propre langue respectives à des sujets ingénus, qui
que celles qui consisrent à s'aligner sur n'ont pas d'autre expérience de la langue
leurs homologues françaises - le débat que ce qu'on leur donne à entendre,
qu'a suscité le décret sur la féminisation ils échouent à retrouver l'ordre et les
des rermes de profession a donné du associations qu'y voient les membres
phénomène une excellente illustration. de la communauté linguistique.
Mais cette sujétion linguistique
par rapport à la France ne va pas sans
ambivalence. Si le français de nos voisins
est souvent considéré comme plus
prestigieux et élégant, s'il est associé
à la réussire sociale, à l'éducation, à
l'intelligence, il est tenu en échec par
les variétés belges pour d'autres valeurs

22
Sciences

L'anglais prédomine dans les séminaires, comités de rédaction


sciences. La valeur symbolique de ce de revues scientifiques) et d'évirer
domaine, en tant que lieu de production les susceptibilités communautaires.
de la connaissance, amène des réactions D. Le discours scientifique ou
francophones passionnées du Québec sur la science, dispensé à des fins
à la France. Si, préférant la forme d'enseignements ou de vulgarisarion,
ludique à la dramatisation, nous devions se maintient difficilement en français.
décrire en sept temps, ou en sept lettres E. La langue française ne peut plus
d'abécédaire, la situation actuelle, rivaliser avec l'anglais dans ses fonctions
nous dirions: d'accès à la science ou de langue
A. La scène scientifique est d'échange.
internationale. La recherche se déploie F. et G. Deux types d'action seraient
dans un contexte de concurrence et à mener. Afin d'éviter que la science ne
de coopération. La reconnaissance se coupe définitivement de la société qui
internationale du chercheur détermine la porte, il conviendrait de développer
d'autant plus son statut dans son pays une politique systématique de
que celui-ci est petit. traduction qui permette la promotion
B. Sur cette scène, l'anglais sert de du français en tant que langue de
langue d'échange (colloques congrès), de spécialité ou de vulgarisation. D'autre
langue auxiliaire (accès à l'information part, il serait bon d'appuyer, tout en les
scientifique), de langue de communi- nuançant, les initiatives telles que celles
cation professionnelle et de langue de l'Aupelf (Association des universités
de publication. partiellement ou entièrement
L'importance de l'anglais n'est pas francophones) visant à développer un
liée à la prédominance naturelle de cette réseau technologique francophone et à
langue sur une autre, mais elle est la assurer le développement informatique
conséquence du rôle joué dans un grand de la langue française.
nombre de disciplines par les États- Mais quel que soit le B.A.-B.A.
Unis, qui détiennent les documents des aides envisagées, les scientifiques
dans les banques d'information les plus francophones devraient comprendre
performantes, qui disposent des qu'ils ne peuvent négliger
publications les plus prestigieuses systématiquement et absolument
et des laboratoires les mieux équipés. le patrimoine collectif dont ils sont les
C. En Belgique, la langue anglaise dépositaires par la langue maternelle.
permet de réaliser aux moindres frais
l'association scientifique des deux
Communautés (groupes de recherche,

23
Terminologie

llpmunosome, pervaporation, fait chaque jour, de son degré d'adapta-


métal{oplasturgie, caméra femtoseconde, tion à la modernité. C'est ainsi que
t1chèle. Chaque jour, nous sommes la terminologie s'attache à répondre
cpnfr6ntés à des mots qui, issus des aux besoins de plus en plus nombreux
domdines scientifiques et techniques, en matière de termes nouveaux.
J.~
surgIssent d ans 1a 1angue genera
' , 1e. Terminologie et <<néologie» sont donc
s-di'cuOhnaires généraux nous aident indissolublement liées.
un peu: ils ne nous présentent qu'un Enfin, dans le contexte international
choix aléatoire de ces mots et ils ne qui est le nôtre, la terminologie sert
répondent pas, par la définition surtout l'activité de «traduction», qui
présentée, aux attentes du lecteur doit se faire dans les meilleurs délais
qui cherche à acquérir une connaissance, et le strict respect des caractères propres
ne fût-ce que partielle, du domaine au français, langue d'arrivée, et aux
concerné. différents domaines concernés.
L'accélération du développement Des réseaux de collaboration se sont
des sciences et des techniques et la mis en place pour stimuler, à l'échelle
circulation de l'information à l'échelle de la francophonie, la création
mondiale ont rendu de plus en plus terminologique en langue française.
nécessaires l'analyse et la description Le RINT (Réseau international
des <<langues de spécialité» (liées aux de néologie et de terminologie), auquel
professions et aux activités). adhère la Communauté française de
La «terminologie», qui s'est Belgique, vise à répondre à cet objectif.
développée depuis 1950, a pris tour son La langue française devrait être
essor avec l'informatisation. Elle étudie promue à tous les niveaux. Sa souplesse,
systématiquement les «termes», ces sa capacité de traduction, de création
mots, ensembles de mots et de concepts de nouveaux mots ou d'intégration
constituant les langues de spécialité, de mots étrangers, seront d'autant
et les gère dans des «banques» mieux assurées si elle est cultivée aussi -
informatisées. Elle peut simplement et peut-être surtout - en tant que
décrire les termes propres à un domaine langue de spécialité. La terminologie
ou se montrer plus normative et joue ainsi un rôle primordial puisqu'elle
proposer officiellement, comme en vise à améliorer les conditions
France ou au Québec, des termes de traduction, de communication
à utiliser de préférence à l'anglais, entre domaines spécialisés, voire entre
de la messagerie électronique au télécopieur. spécialistes et grand public.
La vie de la langue française dépend,
outre de l'usage oral ou écrit qui en est

24
Usage et bon usage

Nous uti isons tous la langue «argotique» et même ... «trivial».


française pou nous exprimer et pour C'est d'ailleurs l'un des leuts,
communique. Personne n'a le droit Claude Favre de Vaugelas, qui introduit
d'ériger son us ge comme étant le seul cette notion de «bon usage» en écrivant
autorisé. La langue appartient à chacun ses «Remarques sur la langue françoise
et à tous. ais qui fait l'usage? utiles à ceux qui veulent bien parler
!%pres .eécrite et audiovisuelle, le et bien escrire», en 1647.
théâtre et le cinéma peuvent influencer Ses observations portent aussi bien
l'usage. Quand le général de Gaulle sur la conjugaison, l'orthographe
a employé le mot chienlit lors des et le genre des noms que sur le sens
événements de 1968, les journalistes se des mots et leur place dans la phrase.
jetèrent sut leur dictionnaire car c'était Il cherche ses modèles dans la noblesse
un mot oublié, un vieux mot pourtant parisienne et, bien sûr, à la Cour du roi.
de la langue française. Quand un Il rejette cependant la pédanterie
journaliste connu, un artiste ou un de même que les archaïsmes et les
homme politique célèbre utilise souvent néologismes. Il dit: «C'est la façon
une expression ou un tic de langage, de parler de la plus saine partie
celle-ci ou celui-ci risque de passer de.la Cour»
bientôt dans l'usage. On a pu écrire que les grammairiens
Historiquement, c'est le XVII' siècle belges (comme Grevisse pour «Le bon
qui voit naître cette notion d'usage et usage» et Hanse pour le «Nouveau
plus particulièrement de «bel usage» ! dictionnaire des difficultés du français
C'est le moment, en effet, où la langue moderne») sont les dignes descendants
française s'impose face au latin et où de Vaugelas. Eux, néanmoins, ont élargi
de beaux esprits cherchent à mettre leur champ d'observation: pas moins
un peu d'ordre dans le foisonnement de cinq cents auteuts sont cités dans
d'usages divers de l'époque. Faut-il dire la dernière édition du «Bon usage» à
hirondelle, erondelle ou arondelle? l'appui d'usages divers et parfois même
L'usage, c'est-à-dire dans ce cas-ci les contradictoires.
Académiciens, en train de préparer y a-t-il moyen, à la fois, d'être
leur premier dictionnaire de la langue, ouvert Sut différents usages et de
décident de trancher. L'Académie conseiller tel ou tel d'entre eux?
se présente ainsi comme gardienne C'est ce que pensent les grammairiens
du (bon) usage, et classe les mots et linguistes de notre temps.
et les expressions, comme la plupart
des dictionnaires, en registres
«familier», «populaire», «vulgaire»,

25
Variété et unité

Contra'iriment à ce que l'on on ne parle pas le français à Namur


iITiagine,J.'lst par facilité que l'on comme à Bruxelles, et les différences
em~loiejI/singulier lorsqu'il s'agit deviennent plus importantes au fur
He l}ngu!: le français, le chinois n'ont et à mes~re qu'on s'éloigne: Toulouse,
,., ~d'" . . .
g\!ere /xlstence; ce qUi eXiste ce sont Port-au-Prince, Montréal.
des fr~çais, des chinois. Cette diversité 3. La langue varie surtout dans
à l'~térieur d'une même langue peut la société. On ne parle pas de la même
aller jusqu'à gêner l'intercompré- manière selon qu'on est ouvrier
hension. Les films québécois sont parfois ou notaire; on n'utilise pas les mêmes
doublés pour les besoins de la diffusion tournures quand on est entre amis ou
en Europe, et, à la télévision belge, devant le contrôleur des contributions,
on peut voir des documentaires quand on écrit une lettre ou qu'on
sous-titrés alors qu'on y fait parler utilise le téléphone.
des francophones de Wallonie ou Une langue est donc soumise à des
de Bruxelles ... Ces variations affectent forces qui la font varier. Mais celles-ci
tous les composants de la langue: sont contrecarrées par des forces
la prononciation, bien sûr, mais aussi le d'unification. L'unification se produit
sens ou l'ordre des mots. Elles affectent quand les communications sont
même les nuances affectives de ces intenses; la diversification domine
derniers: c'est pourquoi les campagnes lorsqu'elles se relâchent. Nous sommes
publicitaires sont revues en passant actuellement dans une phase
d'un pays francophone à un autre. d'unification: toutes les langues des
Une langue est donc faite de pays développés se stabilisent, par delà
variétés. Ces variétés SOnt de trois types. les différentes couches sociales.
1. La langue varie dans le temps: Ceci est dû à la multiplication des
Insensiblement, elle s'altère dans notre médias, à la facilité des déplacements,
bouche ou sous notre plume. aux progrès de l'instruction.
Un Romain qui ressusciterait ne Lorsqu'une langue s'unifie et se fixe,
reconnaîtrait plus sa langue dans elle porte le nom de langue standard.
le français qu'elle est devenue. Elle passe au stade écrit et génère
Bien des changements se manifestent des institutions: enseignement,
dans l'espace d'une seule génération. dictionnaires, législation linguistique,
Ce que l'on a dit bath est devenu épatant, médias audiovisuels, etc. Le français
puis bien, avant de céder la place à un standard, en formation depuis le début
génial qui, usé par vingt ans de service, du millénaire, est une des langues
a laissé la place à cool. standards les plus stabilisées et
2. La langue varie dans l'espace : centralisées qui soient.

26
Wallonie - Bruxelles

La francophonie qui a autrefois Bourgade flamande à l'origine,


brillé en Flandres, repose aujourd'hui Bruxelles a suivi, au XVIII' siècle, un
essentiellemenr sur les deux piliers inrense mouvemenr de francisation, qui
que sonr la Wallonie et Btuxelles. s'est renforcé tout au long de la période
Le Wallonie est une vieille terre moderne. Aujourd'hui, l'attraction du
romane. r:e latin que les anciens romains français a été si puissanre que Btuxelles
y onr amené s'y est, comme partout est majoritairemenr francophone,
en Europe, morcelé en une poussière même si elle est officiellemenr bilingue
de dialectes. Le français est né de et si la présence flamande y reste
l'unifiçation de certains de ces dialectes. marquanre. Mais son visage est aussi
La Wallonie a largement contribué celui d'une mégalopole pluriculturelle,
à cette création. Un certain nombre où l'anglais joue un rôle importanr.
des premiers textes li ttéraires français L'expansion du français à Bruxelles
SOnt aussi originaires de nos régions. a été de pair avec celle de la ville elle-
Et si à partir du XII' siècle, le français même. C'est ce processus qui est à
commence à concurrencer le latin dans l'origine de l'aspect sans doute le plus
les textes officiels, le premier document brûlanr de la question communautaire
de ce genre a été écrit en Belgique. belge: en s'érendant, l'agglomération
Pendant longtemps, la Wallonie a été bruxelloise a urbanisé et francisé l'espace
bilingue: tandis que le peuple parlait de sa périphérie. D'où le heurt entre
sa langue régionale (variétés wallonnes, deux conceptions du droit linguistique.
picardes et lorraines), les lettrés avaienr La Communauté française de
à leur disposition deux «standards» Belgique a dans ses attributs la gestion
(le latin, le plus prestigieux, et le de la langue qui fonde son unité.
français, qui a fini par remporter Ces prérogatives, elle les exerce
la victoire sur le premier). différemmenr selon qu'on se trouve en
Mais le passage d'une variété à l'autre Wallonie ou à Bruxelles: à l'exception
était constanr: dans les villages, de sa zone germanophone, la première
on n'a jamais prêché qu'en français, est en effet une zone unilingue française,
et la li ttérature dialectale est née sous la où la juridiction de la Communauté est
plume de nobles et de grands bourgeois. plénière, tandis qu'à Bruxelles, elle n'est
Au XX' siècle, le français refoule compétente que pour les instirutions
plus résolumenr le dialecte: la race de langue française exclusive.
des unilingues wallons s'éteint,
et aujourd'hui, le milieu rural est le
meilleur conservatoire des variétés
dialectales.

27
x-Ray, X -Tasy: les anglicismes
français a autrefois donné bien des 4. Enfin, il faut penser à la solidité
mots et~es tournures à l'anglais (mutton, des institutions linguistiques françaises.
!O tat~). l\ujourd'hui, le mouvement est Elles font de la langue une question
itvers~et'n\concerne d'ailleurs plus d'État (comme on le voit lorsqu'il est
le seul ~r nçals,-mais toutes les langues question de simplifier si peu que ce soit
du monde. "- une orthographe parfois absurde), de
Le amjsme~de:l'anglais s'explique sorte que les usagers n'ont pas toujours
par de multiples facteurs. Facteurs en les mêmes réflexes linguistiques de part
premier lieu économiques et politi9ues: et d'autre de la ftontière.
c'est l'empire sans partage que les Etats- Que faire face à l'anglicisation?
Unis exercent sur l'univers qui fait En premier lieu, ne pas surestimer le
rayonner leur langue. Mais il y a aussi phénomène. Il affecre en effet surtout les
des facteurs démographiques. Si aux mots, soit ce qu'il y a de plus superficiel
environs de l'an 1800, il y avait quatre dans la langue. On a peine à se rappeler
francophones pour un anglophone, les anglicismes à la mode hier: gap,
le rapport est aujourd'hui renversé, deterrent, underground... Happening, sit-in,
et dans des proportions spectaculaires: teach-in ont sans doute dispatu parce que
il n'y a plus qu'un francophone pour dix les choses qu'ils désignaient ne se
anglophones. pratiquent plus. Mais birth control a été
Le français de Belgique est plus balayé, alors que les problèmes
perméable à l'influence américaine démographiques sont plus aigus que
que celui de France. Cela s'explique jamais, et establishment a cédé la place
par les quatre faits suivants: à nomenklatura.
1. La Belgique offre à la pénétration Ensuite, ne pas confondre effets
économique américaine une résistance et causes. Si le francophone estime
beaucoup plus timide que la France. que l'anglicisation de sa langue porte
2. Les anglicismes se diffusent atteinte à sa dignité, c'est plus par
d'abord dans les villes. Or, la population des mesures économiques et politiques
belge étant une des plus denses au que par des mesures linguistiques
monde, le tissu urbain belge est plus qu'il tecouvrera certe dignité.
serré que le français. Enfin et surtout, il faudrait stimuler
3. L'anglais peut apparaître comme sa créativité, trop souvent bridée par de
la langue du compromis dans les lieux, multiples interdits. S'il ne se sent pas
les milieux et les circonstances où propriétaire de sa langue, faut-il
un affrontement entre néerlandais s'étonner qu'il aille chercher ailleurs?
et français tisque de se ptoduire
et n'est pas souhaité.

28
Yen, dollar et franc

Qu'il s'agisse des échanges de biens techniques de production, à


et d services ou des rapports de travail l'informatique et aux télécommuni-
au sein des entreprises, l'activité cations. Le multilinguisme devient une
éco omique impose aux agents sociaux exigence fondamentale lors des décisions
de ommuniquer entre eux. L'actuelle de recrutement et de promotion au sein
tras;tsformation de l'économie ne peut des entreprises internationales.
doncmanquer d'affecter les pratiques Pour autant, ce déclassement de
linguistiques. la langue française n'est pas inexorable.
L'internationalisation remet en cause D'abord, l'internationalisation n'affecte
la maîtrise des communaurés nationales pas identiquement l'ensemble de
sur leurs langues. En particulier, elle l'économie, ni au sein des entreprises
contribue à affaiblir la position du toutes les fonctions. L'individu demeure
français au profit de l'anglais, langue ancré dans un espace local; la langue
des affaires par excellence. L'entreprise des affaires vient s'ajouter aux langues
multinationale rassemble des personnes nationales, celles de la polirique,
de langues différentes: pour éviter de la culture, de la vie privée;
la babélisation, elle tend à développer le multilinguisme se développe.
une langue commune. Ensuite, ce n'est pas, à proprement
Hégémonique sur les marchés parler, la langue anglaise qui s'impose
internationaux, l'anglais devient langue mais une sorte de «pidgin» (langue
véhiculaire, voire langue officielle dans composite née du contact de l'anglais
les communications écrites et orales, et des langues orientales) qui suscite
y compris au sein de groupes européens l'amertume des puristes anglophones
non francophones (ainsi chez Volvo, aussi bien que francophones.
Erikson ou SAS en Suède, Thomson Enfin, l'importance de l'espace
en France, Airbus, etc). économique francophone et l'impact
L'anglais est de plus en plus la de certaines politiques en matière
langue de la science, de l'industrie, d'enseignement, de formation,
de la technologie; la moitié des revues de recherche, de coopération, peuvent
et périodiques scientifiques publiés dans contribuer à sauver, au moins
le monde le sont en anglais et seulement partiellement, le rôle du français
7 % en français. L'anglais devient la dans l'espace économique européen
langue des colloques internationaux, et nord-américain (au Québec).
il domine dans l'édition scientifique
comme dans les lexiques et jargons
professionnels propres au management,
à la finance, au marketing, aux

29
Zingeuse: la féminisation

En juin 1993, la Communauté de la Communauté française ou à celles


française décidait de féminiser les noms situées en région de langue française,
de Iriétier, fonction, grade ou titre. ainsi que dans les ouvrages
~tte décision a fait couler beaucoup d'enseignement ou de recherche utilisés
d'encre. Pourtanc, elle ne fait que dans les établissements relevant de la
refléter, à travlrs l'évolution du langage, Communauté française. En dehors de
cene. deola société. ce champ administratif, chacun est libre
En effet, les femmes accèdent d'utiliser les dénominarions qu'il
aujourd'hui à des fonctions de plus souhaite. Le décret ne vise donc pas
en plus diverses, notamment à celles à régenter l'usage général, même si,
autrefois réservées aux hommes. N'est-il à terme, on peut s'attendre à ce que
pas éronnant, dès lors, de devoir utiliser la féminisation se répande dans rous les
pour elles une dénomination masculine, secteurs de la vie active. C'est déjà le cas
et de parler de Madame le juge, au Québec, qui féminise depuis 1979;
Madame l'avocat ou Madame le la Suisse a suivi le mouvement en 1988.
Président) Car c'est surtout lorsqu'il Quant à la France, elle adoptait en 1986
faut désigner des fonctions de prestige une circulaire qui s'est heurtée, il faut
que la langue semble résister au le souligner, à beaucoup de résistance.
féminin. Or en refusant la féminisation Il est vrai qu'en matière de langue c'est
des noms de fonction, on occulte le fait souvent le conservatisme qui domine.
que les femmes occupent de plus en plus L'opposition à la féminisation exprime
la scène professionnelle et y exercent sans doute une peur du changement,
des responsabilités. Le langage a déjà qui s'est manifestée le plus souvent par
d'ailleurs évolué en la matière. Sait-on, l'ironie. Pourquoi sourire dès que l'on
par exemple, que étudiante désignait évoque la cafetière, alors que cuisinière
autrefois la maîtresse de l'étudiant désigne à la fois l'objet et la personne)
et que son sens actuel date de la fin Le débat sur la féminisation a bien
du XIX' siècle, moment où les femmes montré que le langage n'était pas neutre
ont commencé à fréquenter l'universiré? et qu'il renvoyait à des enjeux
Que pharmacienne a désigné d'abord fondamentaux: dans le cas présent,
l'épouse du pharmacien? celui du rapport entre les hommes
Un certain nombre d'opposants à la et les femmes.
féminisation Ont fait observer que les
pouvoirs publics n'avaient pas à gérer
l'usage de la langue. Il faut bien voir
que le décret n'impose l'utilisation des
termes féminins qu'aux administrations

30
(; Direction générale de la Culture
et de la Communication,
Service de la langue française.
44, Boulevard Léopold II, 1080 Bruxelles.
Téléphone: (00322) 4133274.
Télécopie: (00322) 413 2071.

Coordination de la publication:
Martine Garsou,

Typographie et mise en page:


Patrice Junius, Danièle Stern,
Alrernarives chéârrales.

Impression:
Édition et imprimerie.

Éditeur tesponsable:
Henry Ingberg,
44, Bou levard Léopold II,
1080 Bruxelles.

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La défense et l'illustration de la langue française figurent en tête
des compétences culturelles de la Communauré française.
Pour mettre en œuvre sa politique en la matière, le Gouvernement
de la Communauté française s'appuie sur le Conseil supérieur
de la langue française et le Service de la langue française.
Le Conseil supérieur de la langue française est un organisme
consultatif chargé d'émettre des avis sur toure question relative
à la langue française et à la francophonie, de veiller à l'évolution de
la situation linguistique de la Communauté française et de proposer
toute action de sensibilisation susceptible de promouvoir la langue
française.
Le Service de la langue française assure le soutien et la
coordination des activités liées à l'enrichissement de la langue,
l'aide aux activités de promotion du français, le soutien aux recherches
en matière de langue française, l'aide aux publications ayant trait
à la langue française et à la francophonie, la coopération avec
les organismes linguistiques en France et au Québec, le secrétariat
du Conseil supérieur de la langue française et de la Commission
de surveillance de la législation sur la langue française, la publication
de la collection Français & Société et de la revue Terminologies nouvelles.

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