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L'EXCEPTION ET LA RÈGLE : SUR LE DROIT COLONIAL FRANÇAIS

Olivier Le Cour Grandmaison

Presses Universitaires de France | Diogène

2005/4 - n° 212
pages 42 à 64

ISSN 0419-1633

Article disponible en ligne à l'adresse:


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Pour citer cet article :


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Le Cour Grandmaison Olivier,« L'exception et la règle : sur le droit colonial français »,
Diogène, 2005/4 n° 212, p. 42-64. DOI : 10.3917/dio.212.0042
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L’EXCEPTION ET LA RÈGLE : SUR LE DROIT
COLONIAL FRANÇAIS

par

OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

« L’indigène n’est pas comparable au Français, […] il n’a ni ses


qualités morales, ni son instruction, ni sa religion […], ni sa
civilisation. L’erreur est généreuse et bien française ; elle a été
commise par ceux qui ont rédigé la “Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen”, au lieu de rédiger plus modestement la
“Déclaration des droits du citoyen français”. »
P. Azan (19251).

« L’indigène a un comportement, des lois, une patrie qui ne sont


pas les nôtres. Nous ne ferons son bonheur, ni selon les principes de
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la Révolution française, qui est notre Révolution, ni en lui
appliquant le Code Napoléon, qui est notre Code. »
F. Eboué (19412).

Extraites d’ouvrages rédigés à des moments différents par des


auteurs venus d’horizons disciplinaires et professionnels distincts,
les citations mises en exergue témoignent de la permanence
remarquable de représentations particulières des autres et du
monde, et de l’esprit d’une époque dont les contemporains – rares
sont les exceptions – professent un relativisme politique et
juridique radical. Reposant sur des considérations raciales,
culturelles et cultuelles, ce dernier fonde un anti-universalisme
depuis longtemps théorisé et revendiqué par beaucoup qui
affirment que ni les principes de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, ni ceux de la République par conséquent, ne
peuvent s’étendre aux colonies. Là-bas, dans les terres lointaines
de l’empire où vivent des peuples jugés « primitifs », ou par trop
différents en raison des spécificités des civilisations auxquelles ils
appartiennent, les droits et les libertés fondamentaux ne sauraient

1. P. AZAN (1874-1951). L’armée indigène nord-africaine, Paris, Ch-


Lavauzelle & Cie 1925, p. 39. Général, Azan fut directeur du Service
historique de l’Armée. Auteur de nombreux ouvrages sur l’Algérie et la
colonisation, il a reçu le Grand prix de l’empire français pour l’ensemble de
son œuvre
2. F. EBOUÉ (1884-1944), Politique indigène de l’Afrique Équatoriale
Française, 1941, p. 3. Ancien élève de l’École coloniale, F. Eboué fut
secrétaire général de la Martinique (1932-1934), puis gouverneur de la
Guadeloupe en 1936. Rallié au général de Gaulle, il devint gouverneur de
l’AEF en 1940. Ses cendres ont été transférées au Panthéon.
Diogène n° 212, octobre-décembre 2005.
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 43

être établis. Le climat, les mœurs, la religion, les coutumes


ancestrales et les mentalités s’y opposent comme l’écrivent, et le
répètent, les juristes et les hommes politiques à l’époque qui
trouvent dans le développement récent des sciences dites
« coloniales3 » des éléments essentiels et réputés scientifiques
propres à légitimer les orientations et les mesures qu’ils défendent.

1. Sur quelques fondements du droit colonial


Nombreux sont en effet les ethnologues, les sociologues et les
anthropologues qui entendent mettre leurs capacités d’expertise et,
plus largement parfois, leur discipline respective au service de
l’empire. Quant aux dirigeants de la Troisième République, qui
affrontent des problèmes nouveaux et difficiles à résoudre en
raison de l’expansion rapide des territoires d’outre-mer, de
l’importance et de la diversité des populations désormais passées
sous le joug de la métropole, ils sollicitent souvent les
personnalités connues de ces différentes sciences. Les ambitions et
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les désirs de reconnaissance des uns, les nécessités pressantes des
autres, et l’adhésion de presque tous au grand dessein impérial de
la métropole ont ainsi favorisé l’avènement de rapports inédits
entre ces sciences et l’État4. L’écrasante majorité des acteurs de la
politique coloniale de la France, qu’ils soient conseillers du pouvoir,
professionnels du droit, législateurs ou ministres, considère donc

3. Surgies au tournant du siècle, ces sciences sont officiellement


consacrées par la Troisième République en 1922 avec la création de
l’Académie des sciences coloniales destinée, entre autres, à constituer « un
cerveau colonial complet » comme le déclare P. Mille lors du
Xe anniversaire de la « Compagnie ». Académie des sciences coloniales,
Paris, Société d’Éditions, 1933, p. 20. Quant à G. Hanotaux, membre de
l’Académie française et spécialiste reconnu des questions coloniales, il
s’exclame enthousiaste : « La science coloniale est devenue une réalité
vivante et agissante. La science coloniale ! Mais c’est la science toute
entière », idem, p. 23.
4. « C’est [l’ethnologie] qui doit guider et guidera les gouvernants », écrit
J. Chailley (1854-1928) dans la préface à l’ouvrage alors célèbre de
J.-C. V AN E ERDE . Ethnologie coloniale (L’Européen et l’Indigène), Paris,
Éditions du Monde nouveau 1927. Le premier fut, entre autres, membre
fondateur de l’Institut colonial international créé en 1894 et professeur à
l’École libre des sciences politiques où il enseignait « la colonisation
comparée ». Le second était professeur d’université aux Pays-Bas et
directeur de la section ethnologique de l’Institut colonial d’Amsterdam. En
ce qui concerne la sociologie coloniale, l’un de ses représentants les plus
éminents est R. Maunier (1887-1951), auteur d’un volumineux et
ambitieux traité – Sociologie coloniale – en trois volumes publiés entre
1932 et 1942. Juriste également réputé, Maunier fut professeur à la
Faculté de droit de Paris et membre de l’Académie des sciences coloniales.
44 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

que des dispositions particulières doivent être élaborées et


appliquées dans les territoires de l’empire pour tenir compte de
l’infériorité des « indigènes », de leurs singularités et des contrées
dans lesquelles ils vivent, sans oublier les intérêts supérieurs du
pays et les impératifs de l’ordre public colonial. Cet ordre public
dont la défense impitoyable, face à des populations que l’on dit
barbares ou sauvages, est une tâche majeure devant laquelle les
« scrupules juridiques et les considérations sentimentales doivent
s’effacer5. » Ils s’effaceront effectivement.

Droits de l’homme et colonies

Au cœur de ces conceptions dominantes, puisqu’elles


structurent les analyses, les discours et les pratiques de la plupart
des contemporains intéressés aux affaires de l’empire, triomphe un
principe hiérarchique et racial qui ruine le concept même
d’humanité en tant qu’ensemble composé d’individus, certes
différents, mais tous égaux et ce faisant tous susceptibles de jouir
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de droits subjectifs et inaliénables par cela seul qu’ils sont
reconnus comme des semblables. Qu’au-delà des hommes
historiquement situés et observés, existent des alter ego dont les
différences sont indifférentes, ce pourquoi ils doivent bénéficier, en
tout temps et en tout lieu, d’une égale dignité sanctionnée par des
prérogatives auxquelles nul ne saurait porter atteinte sans
commettre un grave forfait, voilà ce que récusent ceux qui nous
intéressent. Lorsque ces contemporains contemplent « l’Arabe », la
majorité d’entre eux n’y voit qu’un barbare d’autant plus menaçant
qu’il est souvent réputé inassimilable. Le « Noir », lui, demeure un
sauvage ou un « grand enfant » qu’une autorité ferme doit conduire
en attendant le moment hypothétique, toujours repoussé en fait, où
il pourra échapper enfin à sa minorité. Quant à « l’Annamite »,
tenu pour mystérieux et impénétrable, il appartient à une
civilisation importante, certes, mais qui est inférieure sur bien des
points. Si l’unité de l’espèce humaine n’est donc pas remise en
cause, des races ou de peuples inégaux existent, ce qui rend vaine,

5. A. GIRAULT (1865-1931), « Condition des indigènes au point de vue de la


législation civile et criminelle et de la distribution de la justice », dans
Congrès international de sociologie coloniale, Paris, Rousseau 1901, t. 1,
p. 66. Célèbre professeur à la Faculté de droit de Poitiers, Girault a joué
un rôle de premier plan lors de ce Congrès majeur qui s’est tenu à Paris en
1900 avec le soutien des autorités françaises. Girault est l’auteur des
Principes de législation coloniale publié chez Larose en 1895. Devenu « le
manuel obligé des étudiants » de droit « et des gens d’étude », « ce nouvel
évangile colonial » a fait l’objet de six éditions jusqu’en 1943. P. MASSON,
« Introduction » à Les colonies françaises au début du XXe siècle. Cinq ans
de progrès (1900-1905), Marseille, Barlatier 1906, p. 23.
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 45

nuisible même, l’application de droits communs à tous. Pour


J. Harmand, par exemple, les récents « progrès » des connaissances
témoignent en effet de la diversité essentielle, parfois irréductible,
des hommes et de l’impossibilité de les soumettre, à cause de cela,
à des principes et à des lois universels. Considérés comme autant
d’héritages surannés, ces principes et ces lois sont désormais
rejetés au nom du développement « des sciences ethnologiques »
qui, heureusement influencées par le « positivisme », et sous la
conduite de Broca et de Le Bon, ont permis de rompre avec les
« habitudes » françaises « d’universalisme et de centralisation
uniforme » dont l’assimilation, appliquées aux colonies, est un des
avatars les plus funestes. Cette condamnation alors classique de
l’assimilation débouche, plus fondamentalement, sur une critique
radicale des « idées révolutionnaires » et de leurs « utopies »
réputées dangereuses puisqu’elles sont accusées d’avoir été les
causes du déclin du pays en tant que puissance impériale. Quant
aux Droits de l’homme, ils sont ravalés au rang « d’élucubrations
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artificielles chères aux évangélistes de la Révolution française6 »

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dont les conceptions sont aujourd’hui infirmées par le progrès des
sciences précitées.
Au-delà des personnalités sollicitées par J. Harmand – la
scientificité de leurs travaux n’étaient pas alors fondamentalement
remise en cause quand bien même leurs thèses étaient discutées –
et des positions particulières de cet auteur, les principaux
arguments employés sont à l’époque fort courants. En effet, dès que
surgissent des interrogations sur les règles susceptibles d’être
appliquées dans les colonies, les caractéristiques des « indigènes »
sont, de façon presque systématique, mises en avant pour justifier
l’impossible extension de droits tenus pour fondamentaux chez
« les races civilisées ». Réfléchissant sur les vertus du travail forcé
en vigueur en Afrique occidentale et au Congo, R. Cuvillier-Fleury
écrit, dans une thèse de droit, qu’il ne faut pas hésiter à supprimer

6. J. H ARMAND (1845-1921), Domination et colonisation, Paris,


Flammarion 1910, pp. 55, 18 et 248. Ami de G. Le Bon, Harmand fut
ambassadeur de France. Son livre est un classique souvent cité par les
spécialistes des questions coloniales. « La superstition générale, écrit aussi
Ch. R EGISMANSET , c’est l’humanitarisme, maladie étrange issue du faux
idéalisme de 1789, entretenue par le romantisme littéraire, caressée par le
pseudo-libéralisme des Lafitte et des Royer-Collard, aggravée récemment
par le réveil de l’esprit huguenot ». Au terme de cette philippique, il
conclut : « Renonçons aux théories destructives. Plus d’abstractions vides
de sens. Pas de politique d’assimilation », Questions coloniales, Paris,
Larose 1912, p. 52. Regismanset est également l’auteur, avec G. François
et F. Rouget, d’un livre à succès – il y eut au moins 4 éditions successives –
intitulé : Ce que tout Français devrait savoir sur nos colonies, publié chez
Larose en 1924.
46 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

« la liberté du travail » ou à la restreindre considérablement


lorsque les circonstances et la mentalité des Noirs l’exigent. Selon
lui, il est des contrées et des peuplades où de telles dispositions ont
« d’excellents effets (…) au point de vue de l’amélioration morale et
matérielle » de « l’indigène » que l’on soustrait ainsi à « l’oisiveté »,
à la « guerre » et au « pillage » en développant chez lui de saines
« habitudes laborieuses7 ». Quant à l’abolition immédiate de
l’esclavage dans les colonies récemment conquises par la France, il
la juge prématurée en raison de ses conséquences néfastes pour la
situation agricole des régions concernées et pour les affranchis eux-
mêmes qui, méprisant « les travaux des champs », s’abandonnent
alors à leur vice principal et inné : la « paresse ». Aussi plaide-t-il
en faveur de l’instauration « d’un état transitoire de demi-
contrainte » censé permettre aux anciens esclaves de « se préparer
à leur nouvelle situation d’hommes libres8 ». Puisés à des sources
diverses, ces quelques exemples – ils pourraient être multipliés –
prouvent que dans les terres de l’empire des institutions et des
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pratiques, depuis longtemps condamnées en France, doivent

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parfois perdurer quand bien même elles portent atteinte à des
principes essentiels. Plus généralement, une leçon et une ligne de
conduite se dégagent, pour beaucoup elles sont conçues comme des
vérités établies par les « sciences coloniales » : les races inférieures
et les races supérieures doivent être soumises à des régimes
juridiques et politiques que tout oppose.
Aux peuples avancés d’Europe et d’Amérique du Nord,
conviennent donc les bienfaits de la démocratie, de l’État de droit
et des longues procédures destinées à garantir les prérogatives
civiles et civiques de leurs membres. Aux peuples « arriérés » ou
« mal » civilisés d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie, il faut imposer
d’autres institutions et une justice qui, débarrassée des subtilités
découlant de « la séparation des autorités administratives et
judiciaires », pourra ainsi sanctionner promptement les

7. R. CUVILLIER-FLEURY, La main-d’œuvre dans les colonies françaises de


l’Afrique occidentale et du Congo, Paris, Larose 1907, p. 33. Signalons que
la France a refusé de signer la Convention de Genève, élaborée par le
Bureau international du travail en 1930, tendant à la prohibition du
travail forcé dans les colonies. Finalement ratifiée en 1937, elle fut
suspendue deux ans plus tard. Il faut attendre la loi du 11 avril 1946 pour
que l’abolition du travail forcé dans l’empire soit enfin définitive.
8. Idem, p. 27. Dans un article publié dans la prestigieuse Revue des Deux
Mondes, G. Bonet-Maury défend des positions voisines. « Ainsi, sauf
circonstances rares », écrit-il, « l’abolition immédiate et en masse [de
l’esclavage] serait plus nuisible qu’utile aux noirs eux-mêmes. Il faut les y
préparer, en faisant leur éducation et en les défendant contre
l’entraînement de leurs instincts », « La France et le mouvement anti-
esclavagiste au XIXe siècle », R. D. M, juillet 1900, n° 160, p. 162.
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 47

« indigènes » en leur rappelant que les « Européens sont […] les


maîtres9 ». L’auteur de ces propos, salués par les applaudissements
des participants au Congrès international de sociologie coloniale,
n’est autre que Girault. Farouchement hostile à l’assimilation des
colonies et des colonisés – en 1900 cette politique est officiellement
rejetée par les pouvoirs publics comme une chimère dangereuse
pour la stabilité et l’intégrité de l’empire –, il estime aussi que
l’autorité « suprême » doit être confiée « à un personnage qui
incarne en quelque sorte […] la métropole et qui puisse briser
toutes les résistances qui viendraient à se produire ». C’est
pourquoi l’ensemble des « autorités civiles, judiciaires ou militaires
doivent également dépendre de lui » affirme-t-il trois ans plus tard
en ouverture de la session londonienne de l’Institut colonial
international. Et de conclure par cette formule – elle allait faire
florès – où se révèlent à la fois un bilan positif, à ses yeux, des
nouvelles orientations impériales de la France et une ligne de
conduite sûre pour l’avenir : « le bon tyran est aux colonies le
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gouvernement idéal10. »

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Tels sont donc les principaux éléments du credo quasi officiel de
la science juridique et de la politique coloniale sous la Troisième
République. Quant à ceux qui en ont posé les fondements, déduit
les conséquences pratiques en donnant naissance à un droit
colonial aussi important, abondant et commenté hier qu’il est
aujourd’hui trop souvent ignoré ou tenu pour secondaire, ils
savaient parfaitement le caractère exorbitant et contraire aux
principes démocratiques les plus élémentaires de ce dernier.
Mieux, ils ne cachaient pas, ni ne cherchaient à euphémiser

9. A. GIRAULT, « Condition des indigènes au point de vue de la législation


civile et criminelle… », op. cit, pp. 71 et 253. De son côté, et dans la même
enceinte, A. Billiard déclarait : « en pays barbares, les formalités
judiciaires doivent être simplifiées et les délais restreints, de façon à
obtenir une répression énergique, surtout rapide, au besoin sommaire. »
(Souligné par nous.) « Étude sur la condition politique et juridique à
assigner aux indigènes des colonies » dans Congrès international de
sociologie coloniale, cit., p. 47. A. Billiard était administrateur de
commune mixte en Algérie et inspecteur du service départemental des
affaires indigènes à Constantine.
10. A. GIRAULT , Des rapports politiques entre métropole et colonies,
rapport préliminaire à la session de Londres du 26 mai 1903 de l’Institut
colonial international, Bruxelles, 1903, p. 36. « Jamais, ajoute-t-il, nos
colonies n’ont fait de progrès aussi rapide que depuis que le gouvernement
de la République s’applique à donner à chacune le bon tyran dont je
parlais tout à l’heure », idem, pp. 37-38. Très au fait des politiques menées
par les grandes puissances européennes dans leurs colonies respectives,
Girault s’inspire de la Hollande notamment à laquelle il rend un hommage
appuyé puisque, conformément à ce qu’il préconise, le gouverneur général
de Batavia dispose « de pouvoirs extrêmement étendus ».
48 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

d’ailleurs la situation ainsi créée qui était fort connue en raison de


l’existence de nombreux ouvrages et traités consacrés à la
législation coloniale. Cette matière était notamment enseignée à
l’École libre des sciences politiques, dans les Facultés de droit et à
l’Institut d’ethnologie de l’université de Paris présidé par L. Lévy-
Bruhl, et créé en 1925 avec le soutien actif des pouvoirs publics11.
Convaincus de la légitimité et de l’impérieuse nécessité de cette
législation particulière pour gouverner l’empire, soutenus par les
« sciences coloniales » qui leur fournissaient des éléments
sociologiques, anthropologiques, ethnologiques et psychologiques
propres à fonder les orientations qu’ils défendaient, les juristes et
les responsables politiques de ces temps l’ont donc exposée,
commentée de façon précise et qualifiée sans fard, sûrs qu’ils
étaient de leur bon droit12. Quoiqu’il en soit, beaucoup d’hommes
de cette époque ont fait preuve d’une clairvoyance qui fait souvent
défaut à nos contemporains, lesquels oublient, ou ignorent que la
France de la Troisième République ne fut « ni un État unitaire, ni
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un État fédéral » mais, « à l’exemple de l’Angleterre, un État

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impérial » comme le soutiennent justement J. Barthélemy et
P. Duez13.

11. C’est R. Maunier qui est chargé de l’enseignement intitulé


« Législation et économie coloniales ».
12. « Sous la constitution présente des colonies françaises, l’œuvre de la
législation est en désaccord avec nos principes républicains », constate
D. Penant qui ne condamne nullement cette situation. Au contraire, elle
est à ses yeux parfaitement adéquate aux particularités de l’empire et des
populations diverses qui s’y trouvent. Congrès colonial français de 1905,
Paris, 1905, p. 86. Directeur du Recueil général de jurisprudence et de
législation coloniale, Penant considérait que l’une des fonctions
essentielles des juristes était de « faciliter la tâche du législateur en
matière coloniale », idem. En 1906, Clémentel, alors Ministre des colonies,
soutient que « le principe de la séparation des pouvoirs est inintelligible
[pour les peuples primitifs] » ce pourquoi nous « ne saurions songer à
appliquer » au Congo « nos lois si compliquées et nos règles de procédure
faites pour une civilisation perfectionnée ». Texte reproduit dans Les lois
organiques des colonies. Documents officiels précédés de notices historiques,
Institut colonial international, Bruxelles 1906, t. 2, pp. 446-447. Vingt-
sept ans plus tard, dans leur célèbre Traité de Droit constitutionnel,
J. BARTHÉLEMY et P. D UEZ écrivent avec lucidité : « La métropole est
organisée sur le mode libéral ; les dépendances sur le mode autoritaire.
Notre droit pose le principe de l’égalité native des hommes […] or, notre
système impérial présuppose l’inégalité des races », Traité de Droit
constitutionnel (1933), Paris, Economica 1985, préface de F. Goguel, p. 289
(souligné par nous.)
13. J. BARTHÉLEMY et P. DUEZ. Traité de Droit constitutionnel, cit., p. 283.
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 49

Des lois métropolitaines dans les colonies : l’exception et la règle

Les conséquences de cette partition, entre une métropole


républicaine et les territoires de l’empire soumis à un régime
d’exception permanent, sont immenses sur le plan politique et
juridique. En effet, « il n’est pas une branche du droit qui,
transplantée aux colonies, ne subisse des transformations plus ou
moins profondes » écrit le procureur général à la Cour de Cassation
P. Matter. Après beaucoup d’autres, il constate que le « régime des
décrets », auquel elles sont assujetties, accentue plus encore les
différences et favorise l’émergence d’un « droit spécial, dont les
particularités sont toujours plus nombreuses et plus saillantes14. »
L’origine de cette situation se trouve dans l’article 109 de la
Constitution de la Seconde République qui, tout en déclarant le
« territoire de l’Algérie et des colonies » territoire « français »,
ajoute aussitôt qu’elles seront régies par « des lois particulières
jusqu’à ce qu’une loi spéciale les place sous le régime de la présente
Constitution. » On sait ce qu’il advint ; le régime transitoire prévu
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par cette disposition devint définitif et cette dernière fut
interprétée par la suite comme étant rien moins que « l’expression
d’un principe » auquel des générations de juristes et de
responsables politiques, quels que soient par ailleurs leurs
convictions et leurs engagements partisans, se sont soumis
pendant près d’un siècle15. Si important en raison de la nature
constitutionnelle de la norme qui le soutient, et de ses
conséquences pour les populations « indigènes », ce principe est
exposé par P. Dareste en ces termes : « les lois métropolitaines ne
[s’étendent] pas de plein droit aux colonies qui [sont] régies par une
législation propre16. »
C’est clair, précis et concis : deux ordres politico-juridiques
radicalement différents peuvent désormais s’épanouir en toute
légalité sous les auspices de la Loi fondamentale, républicaine et
réputée généreuse, du 4 novembre 1848. Ajoutons, pour dissiper
toute équivoque et cerner au plus près la procédure essentielle qui
vient d’être exposée, que la règle est donc : pas d’application des
lois et des règlements de la métropole aux colonies sauf cas

14. P. MATTER, « Préface » au Traité de droit colonial de P. Dareste, Paris,


1931, p. V.
15. De même en Algérie où cette situation et le régime des décrets n’ont
été abolis que par l’ordonnance du 7 mars 1944 confirmée par la loi du 20
septembre 1947.
16. P. DARESTE, Traité de droit colonial, cit., p. 233 (souligné par nous).
P. Dareste fut avocat honoraire au Conseil d’État et à la Cour de
Cassation, directeur du Recueil de législation, de doctrine et de
jurisprudence coloniales et Président du Comité des Jurisconsultes de
l’Union coloniale.
50 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

exceptionnels décidés par le pouvoir réglementaire ou législatif


compétent17. L’inapplicabilité de la législation métropolitaine aux
territoires de l’empire permet d’atteindre aux fondements
juridiques du droit colonial et de découvrir ceci d’essentiel : ce
dernier n’est pas dérogatoire aux principes républicains et aux
dispositions nationales de façon marginale et superficielle, ou en
vertu d’une conjoncture exceptionnelle aux effets limités dans le
temps et l’espace, et pour les individus concernés. Dérogatoire et
discriminatoire, le droit colonial l’est au contraire par essence
puisqu’il est systématiquement soustrait à tous les principes
déclarés en métropole et aux textes qui y sont adoptés.
Ces principes et ces textes se heurtent désormais à deux
restrictions, l’une est territoriale, l’autre est liée à la qualité des
personnes ; la conjonction de leurs effets étant à l’origine de la
situation singulière des colonies et des populations qui s’y
trouvent. Considérées comme françaises, dès lors qu’il s’agit d’y
affirmer la puissance souveraine du pays qui les a conquises, ces
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colonies sont néanmoins privées du bénéfice de l’extension

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horizontale des lois et décrets métropolitains. Cette territorialité
particulière n’est pourtant pas absolue puisque les colons, où qu’ils
résident dans l’empire, jouissent des droits et libertés garantis
dans la mère patrie. Tel n’est évidemment pas le cas des
« indigènes » dont les juristes soulignent – c’est pour eux une
évidence, presque une trivialité – qu’ils ne sont que « des sujets,
protégés ou administrés français, et non des citoyens français18. »
Ainsi comprise et appliquée, la personnalité des lois permet de
contourner, au bénéfice exclusif des individus venus de métropole,
les effets restrictifs de la territorialité et d’établir deux statuts
opposés : celui des indigènes français, dont on sait qu’ils ne sont
que des assujettis, et celui des Français métropolitains qui
jouissent seuls de droits civils et politiques pleins et entiers.
Plus généralement, l’interprétation de l’article 109 de la
Constitution de la Seconde République, et l’examen de ses
principales conséquences sur la condition juridique des colons et
des colonisés, permettent d’observer ce moment inaugural où
l’exception est devenue la règle dans les territoires de l’empire en
raison de sa permanence proclamée d’une part, et de son
inscription dans un ordre juridique particulier d’autre part. Ordre

17. B. SOL et D. HARANGER, Recueil général et méthodique de la législation


et de la réglementation des Colonies française, Paris, Sociétés d’éditions
géographiques 1930, t. 1, p. V. Les auteurs sont tous deux inspecteurs des
colonies.
18. H. SOLUS, Traité de la condition des indigènes en droit privé, préface
d’A. Girault, Paris, Recueil Sirey 1927, p. 15 (souligné par nous.) Solus
était alors professeur de droit réputé à l’université de Poitiers.
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 51

juridique qui autorise cette exception devenue ainsi légale, et pour


beaucoup légitime, en même temps qu’il est engendré par elle
puisqu’elle favorise le surgissement d’un droit colonial dont les
contemporains constatent l’extraordinaire prolifération, complexité
et variabilité. « Aucune branche du droit français n’est aussi
obscure, aussi enchevêtrée, aussi hérissée de contradictions que la
législation coloniale19 » remarque R. Doucet. Les causes de cette
situation sont à chercher dans les mécanismes qui viennent d’être
étudiés et dans la nature même des dispositions en vigueur dans
les différentes contrées de l’empire. N’étant assujetties à aucun
principe général, étrangères à la Loi fondamentale, adoptées en
métropole ou dans les colonies, puisque le gouverneur dispose de
pouvoirs lui permettant de prendre des arrêtés valables sur le seul
territoire où s’exerce son autorité, soumises enfin au régime des
décrets, lesquels échappent bien sûr au contrôle des
parlementaires qui parfois n’en prennent connaissance qu’au
moment de leur publication au Journal officiel 20, nées de sources
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diverses sur le plan juridique et géographique, ces dispositions

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s’ajoutent les unes aux autres, et ne cessent de varier dans l’espace
et le temps.
Ces différents éléments nous renseignent sur une
caractéristique majeure du droit colonial dont on découvre ainsi
qu’il est « nettement particulariste21 » comme le constate Vernier
de Byans qui y voit, non un vice rédhibitoire, mais une qualité

19. R. DOUCET , Commentaires sur la colonisation, Larose, Paris 1926,


p. 57. Auteur d’ouvrages sur la colonisation, Doucet était rédacteur en chef
du Monde économique. Grand spécialiste du droit colonial, P. Dislère
notait déjà en 1886 qu’il « est peu » de législations qui « présentent à un
pareil degré le double caractère de diversité et de variabilité ; il n’en est
pas d’ailleurs qui s’étende à des sujets aussi complexes. » Plus loin, il
ajoute : « Il est facile de reconnaître, d’ailleurs, que cette législation […]
n’obéit à aucune idée générale, à aucun principe », Traité de législation
coloniale (1886), Paris, P. Dupont 1914, 4e éd., t. 1, p. X. Polytechnicien, P.
Dislère (1840-1928) fut maître des requêtes au Conseil d’État en 1881,
secrétaire d’État aux colonies en 1882 et Président du conseil
d’administration de l’École coloniale fondée en 1889.
20. « Les règlements, les décrets sont pris à notre insu, presque en
cachette de nous, et nous les connaissons que par leur insertion au
Journal officiel » déclare avec amertume le député Gasconi à la tribune de
l’Assemblée nationale le 9 février 1888. Débats parlementaires, Chambre
des députés, 9 février 1888, session ordinaire, p. 344.
21. J. VERNIER DE B YANS , Rapport au Ministre des colonies, Imprimerie
nationale, Paris, 1912, p. 8. « La stabilité inhérente aux actes de
l’Assemblée nationale s’harmoniserait mal avec le caractère nettement
évolutif de la législation coloniale. […] il faudra longtemps encore à son
service un appareil plus souple et plus facilement mis en action que le
pouvoir constituant », idem, p. 10.
52 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

indispensable pour la tranquillité et la sécurité des territoires


conquis. Précision essentielle qui confirme que l’horizon de ce droit
n’est pas l’universel, l’homme ou l’individu abstraits auxquels il
faudrait accorder des prérogatives garanties en tout temps et en
tout lieu. À rebours de ces principes, de la permanence de la loi et
de la relative stabilité des lois, la législation coloniale ne connaît
que des « indigènes » concrets, des situations personnelles
particulières et des conjonctures singulières auxquelles elle est
étroitement soumise, ce pourquoi elle est aussi d’une remarquable
« souplesse » et d’une constante variabilité. Beaucoup de
contemporains louent en effet ses capacités d’adaptation et la
rapidité avec laquelle les autorités métropolitaines ou
gubernatoriales, affranchies des procédures législatives et de
contrôle habituelles, peuvent la modifier pour faire face à des
besoins imprévus et nouveaux auxquels il faut pouvoir répondre
sans délai. Tels sont les principaux avantages du régime des
décrets qui permet l’élaboration de dispositions propres à chaque
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colonie. Si ce régime est parfois critiqué, son existence même n’est

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pas remise en cause comme en témoigne sa longévité remarquable
puisqu’il n’a été aboli qu’au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale. Du droit colonial, on peut donc écrire, in fine, qu’il est un
droit sans Principes à condition d’ajouter aussitôt qu’il obéit
néanmoins à un principe souterrain et constant dont les effets sont
partout visibles : être au service d’une politique d’assujettissement
des « indigènes ».

Sujets « indigènes » et citoyens français

De là une situation singulière où les effets juridiques,


traditionnellement attachés à la frontière géographique qui
délimite un espace au sein duquel tous les nationaux disposent de
prérogatives identiques, disparaissent pour les colonisés en raison
de l’établissement d’une seconde frontière fondée sur des critères
raciaux, culturels et cultuels. Cette seconde frontière discrimine les
individus présents dans l’empire en fonction de leurs origines et de
leur religion, et elle crée ainsi « deux classes » distinctes séparée
par un « écart profond » : l’une de « sujets », c’est-à-dire de mineurs
soumis, qui plus est, à des obligations et à une législation
spécifiques, l’autre de « citoyens22 ». Les différences qui séparent la

22. E. LA R C H E R et G. RECTENWALD , Traité élémentaire de législation


algérienne, Paris, A. Rousseau 1923, 3e éd., t. 2, p. 364. À propos de
l’Algérie, ils ajoutent : « il serait chimérique de croire que la fusion des
deux classes […] soit prochaine : […] toute la politique algérienne de ces
dernières années tend, au contraire, au maintien de leur séparation »,
idem. Larcher est professeur à la faculté de droit d’Alger et avocat à la
cour d’appel. Rectenwald est docteur en droit, conseiller de cour d’appel et
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 53

condition des premiers de celle des seconds ne sont pas


marginales ; au contraire, nous sommes en présence de différences
de nature qui organisent deux mondes régis par des dispositions
destinées à asservir les « indigènes », à garantir la plénitude des
droits des colons et, en dernière analyse, à assurer la domination
sans faille des seconds sur les premiers comme l’exigent les
nécessités de la sécurité publique indispensable à la stabilité et à
la prospérité de l’empire. Quant au « concept générique » et
moderne « de personne23 », il est évidemment ruiné par le droit
colonial qui institue un ordre au sein duquel existent, non pas une
personnalité, conformément aux principes déclarés en 1789 pour
abolir les privilèges, mais p l u s i e u r s dotées d’attributs
complètement différents.
La chose n’est pas nouvelle en fait puisque Tocqueville plaidait
déjà en faveur d’une organisation similaire. « Rien n’empêche
absolument, quand il s’agit des Européens, de les traiter comme s’ils
étaient seuls, les règles qu’on fait pour eux ne devant jamais
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s’appliquer qu’à eux24 » affirmait-il en 1841 dans son opuscule, à

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l’époque célèbre, intitulé « Travail sur l’Algérie ». Aux colons venus
du vieux continent, le règne du droit ; aux « Arabes » et aux
« Kabyles », ni égalité, ni libertés civiles, ni universalité de la loi, ni
aujourd’hui, ni demain. Tocqueville ne fixait en effet pas de terme
à cette situation que devaient perpétuer des dispositions juridiques
soustraites au principe, pourtant affirmé dans la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen, de la généralité de la loi sans
laquelle il n’est plus d’égalité. En France, la loi, réputée être
l’expression de la volonté générale, « doit être la même pour tous
soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse25 » selon la formule
désormais consacrée. Ainsi en ont décidé les Constituants fort
soucieux d’inscrire, en plusieurs articles du texte qu’ils avaient
pour mission de rédiger, l’abolition des privilèges prononcée
quelques semaines plus tôt, et de sanctionner une égalité naturelle
dont les membres du corps social ne sauraient être privés. C’est
pourquoi dans cette société nouvelle, qui ne connaît plus que des
individus libres et égaux, le droit positif doit être soumis à ce
principe majeur. Ajoutons que cette égalité devant la loi exige,
pour être effectivement garantie sur l’ensemble du territoire

vice-président du tribunal mixte immobilier de Tunis. Cet ouvrage fut un


classique et une référence obligée connus des enseignants et des étudiants
juristes de l’époque sous le nom de « le Larcher ».
23. A. S UPIOT, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du
Droit, Paris, Seuil 2005, p. 60.
24. A. DE T OCQUEVILLE, « Travail sur l’Algérie », Œuvres, Paris, Gallimard,
« La Pléiade » 1991, p. 752 (souligné par nous.)
25. Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26
août 1789.
54 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

national, une égale application de cette dernière. Brièvement


rappelées, pour mieux souligner ce qui est anéanti en Algérie, ces
conceptions et ces dispositions essentielles disparaissent donc au
profit d’une situation où coexistent, dans une même contrée, non
seulement deux législations différentes mais aussi deux régimes
conçus pour des populations distinctes. La règle désormais en
vigueur, et défendue par Tocqueville peut être résumée par cette
formule : « la loi ne doit pas être la même pour tous. » De même, et
ceci est une conséquence de cela, elle ne saurait être appliquée
uniformément au sein de l’espace colonial. Il n’est donc pas
surprenant qu’en lieu et place de l’égalité et de l’égale liberté
proclamées dans la métropole, triomphent dans les colonies des
inégalités avec leur cortège de discriminations diverses et
caractéristiques d’un ordre juridique voué à l’assujettissement des
« indigènes ».
Dans son rapport présenté à l’Assemblée nationale en juin 1842,
Beaumont ne dit pas autre chose. « Longtemps encore, affirme-t-il
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en faisant sienne une argumentation alors convenue, une

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législation exceptionnelle sera nécessaire [en Algérie] ; et ce n’est
pas seulement le salut public qui le veut ainsi : la différence du
climat, la variété des populations, d’autres mœurs, d’autres
besoins, appellent d’autres lois. » Ces précisions sont intéressantes.
À défaut d’être originales, elles nous apprennent ceci : même si la
situation militaire venait à se transformer au profit de l’armée
d’Afrique, d’autres causes, moins conjoncturelles comme le climat,
les habitudes et les coutumes des « indigènes », obligeraient à
maintenir, pour une durée qui n’est pas fixée, des dispositions
exorbitantes du droit commun. Plus loin, reprenant presque mot
pour mot les formulations de son ami Tocqueville, membre comme
lui de la sous-commission au nom de laquelle il s’exprime,
Beaumont ajoute : « Ainsi, il y a forcément en Afrique deux sociétés
distinctes l’une de l’autre, chaque jour plus séparées, et dont
chacune a son régime et ses lois26. » À l’unité succède donc la
diversité radicale des conditions juridiques, à l’égalité, la
hiérarchie, et à l’égale liberté, l’étroite soumission des « indigènes »
et la supériorité des métropolitains. Des décennies plus tard, les
juristes et les hommes politiques de la Troisième République
tiennent des discours similaires et rendent compte de réalités qui
demeurent conformes, pour l’essentiel, aux positions défendues par
Tocqueville et Beaumont. L’auteur de La démocratie en Amérique
est encore, à cette époque, reconnu comme un grand spécialiste de
la colonisation dont les écrits sont cités, commentés et loués par
ceux qui combattent l’assimilation et militent en faveur du

26. G. DE B EAUMONT. Rapport fait au nom de la seconde sous-commission


(20 juin 1842), Paris, Imprimerie royale 1843, pp. 2 et 9.
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 55

renforcement des pouvoirs du gouverneur général. Précisons, pour


couper court à de faux débats, qu’il ne s’agit pas de suggérer que
Tocqueville a directement inspiré la politique impériale des années
1900, mais de constater que des contemporains ont mobilisé
certains de ses textes dans lesquels ils ont trouvé des éléments
d’analyses propres à légitimer, dans une situation différente, les
orientations qu’ils défendaient27. Inspirateur donc, certainement
pas ; référence importante permettant à ceux qui citent ses écrits
et ses discours consacrés à l’Algérie d’inscrire leur combat dans
une longue et prestigieuse histoire, assurément.
En 1938, R. Maunier constate toujours qu’il « n’y a pas, aux
colonies, égalité des citoyens et des sujets, mais hiérarchie […],
distinction, […] subordination puisque les sujets […] sont bien des
Français, mais des Français qui ne sont pas citoyens ». Farouche
partisan de cette situation, qu’il a toujours défendue parce qu’il la
juge parfaitement adaptée aux peuples « primitifs » ou « attardés »
de l’empire, et nécessaire pour garantir la suprématie des colons et
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l’autorité de la métropole, il ajoute en guise de conclusion : les

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« indigènes » « ont moins de droits », « ils sont inférieurs et non pas
égaux. Voilà pourquoi le mot “sujet”, qui a vigueur aux colonies
[…], définit bien la condition des habitants28». De même en Algérie
où, en dépit du décret du 24 octobre 1870 proclamant l’unité du
territoire algérien, son assimilation à la métropole et la création de
départements, les « indigènes musulmans » demeurent des « sujets
français ». Cette « règle fondamentale » est « caractéristique de leur
condition juridique29 » écrivent aussi E. Larcher et G. Rectenwald
qui considèrent que le maintien de la France en Afrique du Nord
est à ce prix. Ainsi, dans toutes les colonies, et en dépit de
situations particulières liées à leur statut spécifique, s’élèvent une
« double législation », un « double gouvernement », une « double
administration » et une double justice où « chacun » à « ses juges »,

27. « En 1847, déclare O. Dupont, c’est-à-dire longtemps avant les Jules
Ferry, les Burdeau, les Jonnart, les Jules Cambon, […] qui donnent
aujourd’hui une si vive impulsion à l’étude des questions algériennes,
M. de Tocqueville disait à la Chambre des députés : “ il est nécessaire de
créer pour l’Afrique une machine de gouvernement plus simple dans ses
rouages et plus prompte dans ses mouvements que celle qui fonctionne en
France” », « Aperçu sur l’administration des indigènes musulmans en
Algérie », dans Congrès international de sociologie coloniale, cit., t. 2, p. 64.
Dupont était administrateur de commune mixte et sous-chef des Affaires
indigènes au Gouvernement général d’Alger.
28. R. MAUNIER , Répétitions écrites de législation coloniale, (troisième
année d’études), Paris, Les Cours du Droit 1938-1939, pp. 320-321.
29. E. LARCHER et G. RECTENWALD , Traité élémentaire de législation
algérienne, cit., t. 2, pp. 408 et 409.
56 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

où « chacun » à « ses lois30 ».


Preuve, s’il en était encore besoin, que le caractère républicain
des institutions de la métropole n’a guère pesé lorsqu’il s’est agi,
pour les hommes de la Troisième République, de concevoir l’État
colonial et la législation impériale jugés indispensables pour
administrer des terres lointaines et des « races primitives », ou
simplement « arriérées » comme on disait alors. La réalité des
principes appliqués dans l’empire et l’examen précis de la situation
juridique des colonisés, auxquels sont imposées les dispositions que
l’on sait, en témoignent exemplairement. Quant à l’assimilation,
souvent présentée comme la marque distinctive d’une colonisation
« à la française », réputée généreuse et soucieuse d’élever les
peuples dont le pays avait la charge, pour employer le vocabulaire
convenu de ces temps, elle est condamnée avec vigueur et
abandonnée par la majorité des contemporains au tournant du
siècle. Enfin, l’originalité de nombreuses mesures en vigueur dans
l’empire n’est qu’un mythe qui ne résiste pas à l’examen dès lors
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qu’on les compare avec certaines dispositions adoptées par d’autres

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puissances coloniales européennes. Aux Indes néerlandaises, par
exemple, et en vertu d’une loi organique du 2 septembre 1854
relative à l’organisation du gouvernement et de la justice de ce
territoire, les « indigènes » et assimilés – savoir les Maures, les
descendants de musulmans de l’Indoustan et les Chinois
notamment – sont soumis à des lois et à une justice particulières
auxquelles les Européens échappent évidemment. De même dans
les colonies allemandes, où s’applique un principe énoncé en des
termes fort clairs par le juriste Otto Köbner qui constate que
« l’ensemble des règles énoncées pour le droit privé, le droit pénal, la
procédure et l’organisation judiciaire ne sont d’application […] que
pour la population blanche ». Relativement à la situation des
« indigènes et de tous les autres gens de couleur, le droit impérial
de rendre des ordonnances est […] illimité31 », ce pourquoi ils
tombent sous le coup de mesures spéciales qui ne valent que pour
eux. En quoi cela diffère-t-il, sur le fond, de certaines dispositions
essentielles de la législation coloniale de la France républicaine ?
En rien, comme nous le savons maintenant. Quant au Congo belge,
des règles voisines du Code de l’indigénat français y sont
appliquées puisque les autochtones sont soumis à des contrôles

30. R. M AUNIER, Répétitions écrites de législation coloniale, cit., p. 14 et


206. Pour illustrer cette proposition générale, Maunier cite le gouverneur
Pasquier en Indochine : « À chacun ses juges, à chacun ses lois. »
Parfaitement conscient de l’importance de cette caractéristique du droit
colonial dans son ensemble, Maunier ajoute « tel est [son] principe ».
31. Les lois organiques des colonies, cit., 1906, t. 3, pp. 227, 341-342
(souligné par nous).
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 57

particuliers les obligeant, par exemple, à se munir d’un passeport


et à obtenir l’autorisation de l’administrateur territorial pour
quitter leur circonscription d’origine. Ajoutons que les corvées et
l’impôt de capitation, également en vigueur dans de nombreuses
colonies françaises, y existent aussi32. République dans un cas,
monarchie constitutionnelle ou Reich dans les autres ; partout un
droit exorbitant, discriminatoire et raciste que soutient un état
d’exception permanent imposés aux colonisés.
Dans l’empire français, Algérie comprise, l’étrangeté de la
situation n’a pas échappé aux contemporains qui sont nombreux à
considérer que le régime des colonies et la condition des
« indigènes » ne sont pas sans analogies avec le régime féodal.
Initialement développée par Fr. Charvériat, professeur à l’École de
droit d’Alger, cette analyse est reprise et popularisée par
E. Larcher dans un ouvrage de référence. C’est ainsi qu’elle va
devenir une sorte de vulgate présente dans de nombreuses études
ou cours consacrés à la législation coloniale. « Les Français
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citoyens peuvent être comparés aux nobles et aux seigneurs : eux

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seuls sont jugés par leurs pairs ; eux seuls, au moins en principe,
portent les armes. Et les indigènes, simples sujets, ont une
situation semblable à celle des roturiers ou des serfs » écrit ainsi
Larcher. Soucieux d’illustrer cette proposition générale par des
exemples concrets, il précise que les « musulmans » ne peuvent
voyager sans passeport, qu’ils doivent, aux autorités françaises,
« certaines prestations » comme la diffa et « le service des postes-
vigies qui rappellent singulièrement les anciens services féodaux »,
à quoi s’ajoutent, comme le relevait Charvériat, des réquisitions
pour travaux divers – déblaiement, lutte contre les invasions de
sauterelles – que l’on peut considérer comme des formes
particulières de corvées adaptées aux conditions du pays. Faut-il
s’étonner de cette situation ? Non poursuit Larcher car « nous
sommes en Algérie dans les conditions où étaient les Francs en
Gaule, une race victorieuse imposant son joug et sa domination à
une race vaincue33. » En 1938, dans son cours de législation
coloniale professé à la Faculté de droit de Paris, R. Maunier
s’inspire de ces ouvrages déjà anciens, mais toujours connus, pour
exposer de façon pédagogique la condition générale des

32. L. STROUVENS et P. PIRON. Codes et lois du Congo belge, Léopoldville,


Éditions des codes et lois du Congo 1945, pp. 497 et 537.
33. E. L ARCHER , Trois années d’études algériennes, législatives, sociales,
pénitentiaires et pénales, Rousseau, Paris 1902, p. 200. La diffa consiste en
l’obligation, contre remboursement fixé par les autorités françaises, de
fournir aux fonctionnaires, ou agents dûment autorisés, des moyens de
transports, des vivres et de l’eau. L’ouvrage de Fr. CHARVÉRIAT, paru chez
Plon en 1889, est intitulé : À travers la Kabylie et les questions kabyles.
58 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

« indigènes ». « C’est la vassalité, en plus d’un sens, qui constitue


jusqu’à aujourd’hui le lien des colonies stricto sensu avec la
métropole » affirme ce professeur et académicien illustre qui
rappelle que les natifs ne sont que « des sujets » et qu’ils n’ont
d’autres devoirs que ceux « qu’on reconnaît partout à des sujets34 ».
Ce que la thèse gagne en généralité, elle le perd en précision
démonstrative mais qu’importe. Plus important est le fait que des
contemporains éminents, confrontés à la législation si particulière
de l’empire, n’ont eu d’autre recours que de se tourner vers le passé
féodal de la France pour y trouver des éléments de comparaisons
propres à satisfaire leur désir d’analyse et de compréhension.
Ceux qui viennent d’être cités ne s’élèvent pas contre la
situation qu’ils observent ; au contraire, ils l’approuvent. Il n’en est
pas de même de certains adversaires de la politique coloniale qui,
reprenant à leur compte des points et des conclusions de ces
thèses, les emploient désormais pour dénoncer « l’aristocratie de la
race » qui sévit en Algérie et critiquer la situation faite aux
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« indigènes » condamnés à un « plébéiat éternel au nom de la

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raison d’État. » Ainsi s’exprime Ch. Dumas, parlementaire
socialiste chargé de mener une enquête sur la situation des
« musulmans » d’Afrique du Nord, qui est aussi l’un des rares à
militer pour l’application rigoureuse des Droits de l’homme dans
les colonies afin de mieux combattre l’oppression et l’exploitation
des autochtones35. Quant à Benito Sylvain, docteur en droit,
officier de marine formé en France et aide de camp de sa Majesté
l’Empereur d’Éthiopie, il compare la situation de « l’indigène »
africain à celle d’un serf « taillable et corvéable à merci de l’ancien
régime » en raison des corvées bien sûr, du travail forcé et des
nombreuses discriminations juridiquement sanctionnées qui lui
sont imposés. Aussi, pour mettre un terme à cette situation, plaide-
t-il en faveur du principe de l’égalité civile dans les colonies
cependant qu’il constate que la Troisième République n’est fidèle à
ses principes que sur le vieux continent. Partout ailleurs elle les
trahit sans vergogne en niant, de façon absolue, « ce qui
représente, pour les âmes bien nées, l’idéal de civilisation36 ».
Quoi qu’il en soit, les nombreux apologues et les rares critiques
rigoureux de la colonisation savaient, quand bien même ils en

34. R. MAUNIER, Répétitions écrites de législation coloniale, cit., p. 253. De


son côté, A. H AMPÂTÉ B Â écrit : les Blancs « sont les maîtres absolus du
pays. Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle “les dieux de la brousse”. Ils
ont tous les droits sur nous et nous n’avons que des devoirs ». Oui mon
commandant !, Le Méjan, Actes Sud 1994, p. 193 (souligné par nous.)
35. Ch. D UMAS , Libérez les indigènes ou renoncez aux colonies, Paris,
Figuière & Cie 1914, 3e éd., p. 5.
36. B. SYLVAIN , Du sort des indigènes dans les colonies d’exploitation,
Paris, L. Boyer 1901, pp. 398 et 523.
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 59

tiraient des conclusions évidemment opposées, le caractère


extraordinaire des fondements de la législation coloniale et des
mesures concrètes arrêtées pour administrer l’empire dont les
Républicains étaient si fiers. Deux d’entre elles retiendront notre
attention : l’internement administratif et la responsabilité
collective car elles sont des dispositions essentielles de l’ordre
colonial imposé par la France. Ces dispositions témoignent
exemplairement de la situation faite à la personne et aux biens des
« indigènes » en même temps qu’elles permettent d’observer au
plus près la négation radicale et en acte de principes
démocratiques majeurs37.

2. Sur quelques mesures d’exception


De l’internement administratif

Motivé, selon ses défenseurs, par les « impératifs » de la guerre


de conquête conduite en Algérie, l’internement administratif fut
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défini par un arrêté ministériel de septembre 1834 complété à
plusieurs reprises au cours des années 1840. Devenu
progressivement une sanction permanente détachée du contexte de
guerre qui l’avait justifié à l’origine, l’internement a survécu à
presque tous les changements de régime survenus dans la
métropole puisqu’il fut confirmé, sous la Troisième République, par
une décision ministérielle du 27 décembre 1897. Dans la colonie,
l’exception est ainsi devenue la règle et l’internement une mesure
pratique permettant, en raison de la rapidité de sa mise en œuvre
et des modalités de son exécution, de faire peser sur les
populations locales le spectre d’une sanction extraordinaire et
propre, à cause de cela, à entretenir une crainte permanente. Les
motifs pour lesquels il est possible d’y avoir recours sont : la
défense de l’ordre public puis, en 1902 et 1910, le vol de troupeaux
et le pèlerinage à la Mecque sans autorisation38.

37. Il n’était pas possible de traiter ici du Code de l’indigénat, qualifié par
Girault, qui ne l’estimait pas moins nécessaire, de « monstrueux »,
Principes de législation coloniale, cit., p. 305. Qualification reprise par
Larcher et Rectenwald lorsqu’ils écrivent, quelques années plus tard :
« D’aucuns voient dans le régime de l’indigénat tout entier – et ils n’ont
pas tout à fait tort – une monstruosité juridique », Traité élémentaire de
législation algérienne, cit., t. 2, p. 477. Sur ce point précis et important,
nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre ouvrage : Coloniser.
Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, Paris, Fayard 2005. De même
pour l’histoire de l’importation, en France et en Europe, de l’internement
administratif et de la responsabilité collective. Sur le Code de l’indigénat
cf. également I. M ERLE , « Retour sur le régime de l’indigénat », French
Politics, Culture & Society, vol. 20, n° 2, été 2002.
38. Cf. E. SAUTAYRA , Législation de l’Algérie, Paris, Maisonneuve & Cie
60 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

Sans qu’il soit possible de faire appel d’une décision prise par le
seul gouverneur général, ce dernier peut donc prononcer des
mesures d’internement exécutées sous la forme de la détention sur
le territoire de la colonie – dans un « pénitencier indigène » selon
l’expression consacrée ou dans un douar sans autorisation de le
quitter – ou de la déportation à Calvi. De plus, et c’est une des
particularités majeures de cette mesure, sa durée est le plus
souvent indéterminée cependant que ni le lieu, ni la forme de la
détention ne sont fixés a priori puisque le gouverneur général
tranche pour l’ensemble de ces matières. Enfin, et c’est là le second
élément extraordinaire de l’internement, il peut être décidé, soit à
titre principal, soit en complément d’une autre peine déjà prononcée
par un tribunal. Dans ce dernier cas, il intervient comme une
aggravation majeure du droit commun, laquelle échappe
complètement au pouvoir judiciaire puisqu’il n’existe aucune voie
de recours, ni pour le condamné – cela va de soi eu égard à l’esprit
des institutions coloniales –, ni pour les juges. Sanctionnant des
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faits qui, pendant longtemps, n’ont été véritablement définis par

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aucun texte, l’internement est signifié au prévenu sans qu’il soit
nécessaire de le faire comparaître et il ne prend fin que sur ordre
de celui qui l’a prononcé. Contrairement à tous les principes
relatifs à la séparation des pouvoirs et aux peines privatives de
liberté qui ressortissent, conformément à la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen, au domaine de la loi, un agent
administratif – tel est en effet le statut juridique du gouverneur
général – a donc la possibilité d’interner des individus dans les
conditions que l’on sait.
Pur acte de souveraineté, l’internement témoigne du caractère
absolu du pouvoir qui s’exerce contre les « indigènes » puisqu’il
soustrait l’individu frappé de la sorte à tout contrôle en le privant,
par voie de conséquence, de toute prérogative. Plus précisément,
cette disposition juridique fait de celui qui est ainsi sanctionné un
sans-droit absolu puisqu’il ne peut invoquer aucun texte pour sa
défense. Résolument ex lege, l’interné ne peut être considéré ni

1883, 2e éd., p. 328. L’internement administratif a été étendu aux autres


colonies et la pratique révèle qu’il peut être décidé pour des motifs tels que
l’omission du salut dû au commandant ou au drapeau français. Cf.
A. HAMPÂTÉ B Â , Amkoullel, l’enfant peul, Le Méjan, Actes Sud 1992,
p. 504. Introduit en A. O. F. en 1887, en Nouvelle-Calédonie en 1897, un
décret du 21 novembre 1904 l’a limité à dix ans pour ces premiers
territoires. Pareillement en A. E. F. à partir du 31 mai 1910. Quant à
l’Algérie, la loi du 15 juillet 1914 a remplacé l’internement par « la mise en
surveillance » – sorte d’assignation à résidence limité à deux ans. Cette
nouvelle disposition n’est cependant applicable que dans les territoires
civils ; partout ailleurs, l’internement subsiste. Cf. E. LA R C H E R et
G. RECTENWALD, Traité de législation algérienne, cit., t. 2, p. 233.
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 61

comme un individu, ni même comme un homme, au sens juridique


du terme, car il ne jouit d’aucun des droits afférents à cette
dernière condition. Les modalités concrètes de l’internement et la
condition juridique de l’interné ne sont à l’époque comparables à
aucune mesure existante ; nous sommes donc en présence d’une
innovation majeure qui semble sans précédent connu depuis la
Révolution et l’avènement des régimes constitutionnels en
France39. En effet, le délinquant, le criminel ou le prisonnier de
guerre ordinaire ayant commis une faute sont, dans tous les cas,
jugés en vertu de dispositions précises qui déterminent la
procédure, la nature, les conditions d’exécution de la
condamnation, sa durée et les possibilités d’appel contre le
jugement rendu quand elles existent. Rien de tel dans le cas de
l’interné « indigène », qui ne peut être considéré ni comme un
prisonnier exécutant une peine prononcée par un tribunal ni
comme un accusé, lequel, même lorsqu’il est incarcéré, dispose
encore de droits lui permettant de se défendre et de demander son
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élargissement. L’interné n’est assimilable à aucune de ces

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catégories puisqu’il est placé dans une situation où, en vertu d’une
décision administrative et des nécessités de l’ordre public, toute loi
est pour lui suspendue aussi longtemps que le gouverneur général
ne l’a pas libéré. Ainsi s’éclairent les particularités de l’internement
qui a pour effet de priver un homme de sa liberté et d’abolir, dans le
même mouvement et de façon radicale, sa condition de sujet
titulaire de droits. En quoi cette mesure ne saurait être confondue
avec les peines privatives de liberté qui, si elles portent atteinte à
des prérogatives importantes, n’ont jamais pour conséquence de
ruiner complètement la personnalité juridique du condamné.
L’internement est donc bien cette disposition d’exception qui a ce
pouvoir exorbitant de réduire tout droit à néant.

De la responsabilité collective

Outre l’internement, le gouverneur général a également la


possibilité, en vertu d’une circulaire datant du 2 janvier 1844, de
soumettre une tribu ou un douar à une amende collective. En ce
domaine aussi, il est investi d’un pouvoir discrétionnaire et sa
liberté d’action est totale. Il peut donc user de l’amende collective
comme bon lui semble et en vertu de considérations, politiques
notamment, dont il est le seul juge puisque c’est lui qui en apprécie

39. « Nous n’avons pas, dans notre droit français, de peine comparable à
l’internement. […] Elle se met en contradiction avec tous les principes »,
écrit Larcher qui ajoute : l’internement « est exorbitant, contraire aux
principes les plus certains de notre droit public » et « attentatoire à la
séparation des pouvoirs… », E. LARCHER , Trois années d’études…, cit.,
pp. 87 et 90.
62 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

l’opportunité, la nécessité et le montant. D’abord utilisée pour


sanctionner des tribus dont certains des membres s’étaient livrés à
des actes d’hostilité envers le pouvoir colonial, ses représentants ou
les Européens, elle fut plus tard étendue aux crimes et aux délits
commis en groupe, et aussi appliquée dans le cas où le coupable
présumé n’était pas livré aux autorités françaises par sa tribu ou
par son douar d’origine.
C’est en vertu de l’application de cette peine exorbitante du
droit commun, et sans équivalent dans la législation opposable aux
colons ou aux métropolitains, que les tribus kabyles, qui s’étaient
rebellées en 1871, furent soumises au paiement d’une somme dont
le montant total s’élevait à 63 millions de francs. Incapables de s’en
acquitter, beaucoup furent contraintes de vendre leur bétail et
leurs terres ce qui fut la cause directe de l’appauvrissement
durable des habitants de cette région. « Contraire aux principes les
moins discutables de notre droit pénal », comme le note E. Larcher,
notamment le principe essentiel « de l’individualité des peines40 »
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depuis longtemps garanti et sanctionné par les textes législatifs

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français, l’amende collective n’en fut pas moins intégrée à la loi du
17 juillet 1874 et limitée par elle aux incendies et à leur prévention
en Algérie. Relativement à son application, le gouverneur général
conservait, comme par le passé, tous ses pouvoirs et une liberté
d’action que rien ne restreignait. Il lui suffisait de respecter une
procédure sommaire : prendre un arrêté en conseil de
gouvernement.
La Troisième République a donc maintenu cette disposition sous
cette forme particulière. Des innocents, dont le seul tort est de faire
partie de la même tribu ou du même douar que l’incendiaire
supposé, peuvent être ainsi sanctionnés pour des faits auxquels ils
sont absolument étrangers. Aux yeux des colonisateurs, et en vertu
d’un retournement radical des principes applicables aux
Européens, « l’indigène » est, par définition sinon par essence,
présumé coupable ; il doit donc payer pour les fautes de ses
semblables quand bien même il parviendrait à apporter la preuve
qu’il ne pouvait commettre les actes qui lui sont reprochés. Une
fois encore, ces dispositions témoignent de la disparition, dans le
droit colonial, des concepts d’individu et d’homme, au profit d’une
sorte de masse indistincte composée de colonisés désindividualisés,
et pour cela absolument interchangeables, sur lesquels pèsent des
mesures d’exception permanente. Mesures qui les visent non
comme des personnes, qu’il faudrait identifier pour s’assurer de
leur implication dans les délits commis, mais en tant qu’ils sont
membres d’une communauté « raciale » sur laquelle ils sont

40. E. LA R C H E R et G. RECTENWALD , Traité élémentaire de législation


algérienne, cit., t. 2, p. 537.
L’EXCEPTION ET LA RÈGLE 63

constamment rabattus afin de les rendre solidaires les uns des


autres, c’est-à-dire aux yeux des législateurs français, toujours
coupables. L’ensemble est soutenu par un nouveau concept
juridique, inédit à notre connaissance : celui d’une culpabilité sans
faute ni responsabilité. En 1935, J. Mélia résumait cette situation
en ces termes : « Jamais régime, plus que le régime forestier en
Algérie, ne suscita plus de plaintes de la part des indigènes […].
Une forêt est en feu. A priori l’indigène musulman d’Algérie qui y
vit ou qui vit dans les environs est suspect d’incendie, il devint
coupable et, le fut-il vraiment, sa culpabilité s’étend à sa tribu. Une
peine toujours exagérée, sous forme d’amende, s’abat alors sur des
gens innocents qui, de ce fait, sont acculés à la misère41 ».
L’internement administratif, la responsabilité collective et le
séquestre – cette dernière disposition peut être considérée comme
une spoliation légale – sont autant de mesures qui prouvent que le
corps et les propriétés des « indigènes » peuvent être saisis selon
des procédés sommaires qui dérogent à tous les principes affirmés
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depuis 1789. Elles confirment le statut extraordinaire de leur

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personne et, par extension, de leurs biens qui ne sont protégés par
aucun droit inaliénable et sacré puisque tous sont en permanence
exposés à la puissance souveraine et illimitée de l’État colonial et
de son acteur principal : le gouverneur général. Pour des motifs
d’ordre public, il peut disposer librement du colonisé et de ses
terres, soit en faisant du premier un véritable hors-la-loi dans le
cas de l’internement, soit en le privant, par le séquestre, de la
jouissance des secondes. C’est ainsi que la liberté, la propriété et la
sûreté, prétendument garanties « pour tous les hommes et tous les
temps », selon la belle formule d’un révolutionnaire français de
1789, sont, pour les colonisés, anéanties au profit d’une situation
où l’insécurité juridique et personnelle l’emporte constamment
puisqu’ils peuvent être gravement sanctionnés pour des faits
généraux ou pire encore pour des actes qu’ils n’ont même pas
commis. Insécurité juridique et personnelle dont on découvre ainsi
qu’elle est un des effets majeurs et structurels du régime des
décrets, et une conséquence particulière des différentes mesures
étudiées qui la redoublent, l’institutionnalisent en quelque sorte en
en faisant un élément essentiel de la condition des « indigènes ».

41. J. M ÉLIA , Le triste Sort des Indigènes musulmans d’Algérie, Paris,
Mercure de France 1935, 2e éd., p. 71. Les amendes collectives, imposées à
des villages entiers suspectés d’avoir favorisé « la rébellion » ou d’avoir
endommagée des forêts furent utilisées en Indochine à la fin du XIXe siècle.
Décret du 9 janvier 1895. Des dispositions similaires s’appliquaient aussi
en AOF en vertu du décret du 4 juillet 1935 relatif au régime forestier et en
Nouvelle-Calédonie. De telles mesures étaient également en vigueur dans
l’Inde anglaise. Cf. A. NIELLY, Codes coloniaux de l’Inde anglaise, Alger,
Zamith & Cie 1898.
64 OLIVIER LE COUR GRANDMAISON

Ceux-ci ne sont pas seulement des assujettis, comme n’ont cessé de


le répéter les juristes et les hommes politiques de la Troisième
République ; à cause de cela, ils sont aussi des hommes condamnés
à vivre dans un monde où, en raison d’une « anarchie législative42 »
propre au droit de l’empire, plus rien n’est pour eux ni assuré, ni
garanti. Cette condition si particulière confirme les fortes paroles
prononcées par Girault et Maunier43 sur la nature du régime
imposé dans les colonies françaises puisque l’insécurité personnelle
et juridique est, on le sait depuis Aristote, l’une des
caractéristiques de la tyrannie, et, à l’époque contemporaine, de la
dictature et de la domination totalitaire plus encore comme
H. Arendt l’a si bien analysé44.
« Ne rusons pas. Ne trichons pas. À quoi bon farder la vérité ?
La colonisation, au début, n’a pas été un acte de civilisation, une
volonté de civilisation. Elle est un acte de force, de force intéressée.
C’est un épisode du combat pour la vie, de la grande concurrence
vitale qui, des hommes aux groupes, des groupes aux nations, est
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allée se propageant à travers le vaste monde. La colonisation, à ses

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origines, n’est qu’une entreprise d’intérêt personnel, unilatéral,
égoïste, accomplie par le plus fort sur le plus faible. Telle est la
réalité de l’histoire45. » Qui est l’auteur de ces lignes ? Un farouche
adversaire de la colonisation que ses positions politiques
discréditeraient en raison de leur partialité ? Non. Albert Sarraut,
Ministre des colonies, dans son très officiel discours prononcé le 5
novembre 1923 à l’ouverture des cours de l’École coloniale.
Salutaire mise au point alors que le 23 février 2005 une majorité
de parlementaires français a voté, avec l’aval du gouvernement et
de son Premier ministre, une loi dans laquelle le caractère
prétendument « positif » de « la présence française outre-mer,
notamment en Afrique du Nord46 » a été officiellement proclamé.
Curieuse époque.

Olivier LE COUR GRANDMAISON.


(Université d’Évry-Val-d’Essonne.)

42. R. DOUCET, Commentaires sur la colonisation, cit., p. 64.


43. Des gouverneurs des colonies, Maunier affirmait : « Ils ont toutes les
fonctions, ils sont dictateur, à plus d’un égard », Répétitions écrite de
législation coloniale, cit., p. 281.
44. Cf. H. A RENDT , Les Origines du totalitarisme, Paris, Gallimard,
« Quarto Gallimard » 2002.
45. A. S ARRAULT , Discours à l’ouverture des Cours de l’École coloniale,
5 nov. 1923, Paris, Édition du journal « La presse coloniale » 1923, p. 8.
46. Art. 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 « portant
reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des
Français rapatriés ».

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