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Normand Claudine. Françoise Gadet, Michel Pêcheux, La langue introuvable. In: Mots, octobre 1983, N°7. Cadrage des sujets
et dérive des mots dans l'enchaînement de l'énoncé. pp. 166-173.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1983_num_7_1_1131
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— L'article énumère les vocables formés à partir d'un nom, puis montre les enjeux, les
stratégies discursives qui se sont attachés à ce nom dans son histoire. L'article marxisme est, à ce
titre, exemplaire.
— L'article se résume à la présentation du champ lexical d'une notion dont l'appartenance
au champ du marxisme n'est pas d'emblée évidente. Ainsi en est-il de l'article mysticisme: «Le
substantif "mysticisme" et l'adjectif "mystique" sont chez Marx au centre d'une riche
constellation sémantique ... où se rencontrent des termes tels que...» (p. 615).
— Enfin, une série d'articles (abondance/rareté, abstrait/concret, agitation/propagande, etc.)
se termine par un index chronologique des références de la notion dans les textes marxistes
classiques.
La partie problématique du Dictionnaire, la plus importante, n'échappe pas totalement aux
préoccupations d'ordre linguistique. Nous pensons bien sûr et avant tout à l'article langue/
linguistique qui fait l'historique d'une question, à la fois présente et absente, dans la tradition
marxiste, celle du signifiant linguistique. Une prochaine chronique de la revue Mots s'efforcera
de présenter un bilan sur «la question langage dans le marxisme».
Autre article à signaler dans notre optique : traductibilité. Nous entrons là dans l'univers du
seul théoricien marxiste influencé prioritairement par la discipline linguistique: A. Gramsci. En
passe de devenir un spécialiste de linguistique historique, Gramsci choisit la vie militante.
Cependant, il gardera de sa formation universitaire une attention particulière aux problèmes de
langage. Le dirigeant communiste italien désigne un lieu de formation des concepts : l'espace de
traduction entre le langage politique français, le langage de l'économie politique anglaise et le
langage de la philosophie classique allemande. La comparaison des articles jacobinisme et
féodalisme avec ceux d'égalité et de rente permet d'appréhender le mouvement concret de
traductibilité propre à la tradition marxiste. Le problème classique des sources du marxisme est
abordé sous un angle linguistique. Le rôle de la question langage dans le marxisme n'est plus
annexe.
Jacques Guilhaumou
Françoise GADET, Michel PÊCHEUX, La langue introuvable, Paris, Maspero, 1981, 246 p.
(Théorie).
dans ce premier temps; par exemple, celle des «deux axes du Droit et de la Vie» qui
orienteraient «les origines préscientifiques de la linguistique», ainsi que la formation des langues
nationales, thème qui ne sera développé qu'aux chapitres 2 et 3; ou cette affirmation de la
première page, à cet endroit peu lisible, sur: «l'étrange propension de la linguistique à s'enliser
dans la bêtise. Cette surdité interne gagne du terrain chaque fois que la linguistique cède sur le
réel de la langue, son objet propre, pour s'abandonner aux réalités psychosociologiques ...»
(p. 9) ; proposition dont les termes, repris dans les chapitres suivants de façon aussi allusive, ne
commenceront à être éclairés qu'au chapitre 5, intitulé: «Le réel de la langue c'est l'impossible».
Ce parti-pris d'accrochage sans précaution pourra irriter de prime abord et parfois bloquer
la lecture. Il faut savoir accepter cette démarche en spirale, qui reprend sans cesse, dans un
approfondissement concret, des thèmes d'abord rapides et trop généraux ; l'accepter comme, dans
le prélude, les thèmes de l'amour de Tristan, de la mort d'Isolde, d'emblée souverains, qui ne
prennent toute leur ampleur et signification que dans les actes suivants. De même le réel,
Y impossible, Y absurde..., lancés brusquement dans le texte, prendront force persuasive au fur et
à mesure que les reprises les rendront familiers.
Le même soin d'échapper à la démonstration compacte apparaît dans la forme, en quelque
sorte fragmentée, qu'adopte le développement: trente-cinq chapitres, souvent très minces,
exhibant sur un mode assez journalistique des titres souvent aguichants : « Ligne droite, pendules,
spirales»; «Dieu infini a créé le monde fini»; «Le système mis à nu par ses failles»... Seuls les
lecteurs irrémédiablement sérieux auraient le mauvais goût de trouver importun ce jeu un peu
mondain d'allusions culturelles... De fait, le genre fragments6 relève ici d'une volonté délibérée
d'inachèvement; si G. et P. réussissent ainsi à éviter généralement l'aspect de clôture
dogmatique, la cohérence et la continuité du propos restent tout à fait lisibles dans
l'enchaînement très articulé des chapitres (reprises par anaphoriques, conjonctions, résumés
conclusifs, etc.). Le discours se veut inachevé; il reste construit, et la dispersion des thèmes
majeurs n'est qu'un des moyens par lesquels on essaie de donner à penser leur intrication, sous
ce nouvel objet désigné par le réel de l'histoire.
Le projet que l'on pointait naguère7 sous le terme «articulation» de la linguistique, du
marxisme et de la psychanalyse, et dont on s'obstinait à chercher les préalables théoriques,
fantasme ambitieux et progressivement abandonné, refait surface ici sous une figure plus
productive. Débarrassé des questions préalables, il est mis en œuvre directement à partir de ce
nouveau concept (le réel de l'histoire), produit d'une filiation complexe. Emprunté à Lacan
6. Genre emprunté surtout à une certaine tradition allemande, récemment remise en honneur par des traductions
françaises. Outre Nietzsche, évidemment, voir la présentation de l'Athenaeum (les frères Schegel, Novalis,...) par
J.-L. Nancy et P. Lacoue-Labarthe (L'absolu littéraire, Paris, Seuil, 1978) et T. Adorno, Minima moralia, trad, française,
Paris, Payot, 1980.
7. Voir M. Pécheux, 1975 et passim ; J. Kristeva, Théorie d'ensemble, 1968 et passim ; pour un bilan programmatique
de ces travaux, D. Maldidier, С Normand, R. Robin, «Discours et idéologie: quelques bases pour une recherche» (Langue
française, 15, 1972).
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(rapidement évoqué en note, p. 27), le terme réel occupe une place centrale dans la réflexion de
J.-C. Milner, sous l'expression «réel de la langue», défini par rapport à l'impossible8. Désignant
à la suite de Lacan «ce par quoi, d'un seul et même mouvement, il y a de la langue (ou ce qui
revient au même des êtres parlants) et il y a de l'inconscient ..., Milner attache ainsi entièrement
la possibilité de la linguistique à ce que la langue recèle de l'impossible, impossible de dire,
impossible de ne pas dire d'une certaine manière ...» (p. 49). Faire de la linguistique c'est alors
poser que ce réel est «représentable» par une écriture, parce qu'il est répétable et «forme un
réseau autorisant la construction de règles».
S'appuyant sur cette thèse («en appui contradictoire»?) F.G. et M.P. avancent à leur tour
une proposition: «Nous avons tenté de faire travailler le réel de l'histoire comme une
contradiction d'où l'impossible ne serait pas forclos» (p. 49).
Si cet énoncé n'est pas absolument éclairant, il dit au moins, me semble-t-il, qu'il s'agit de
penser la contradiction, en prenant en compte les effets de l'inconscient que la linguistique
évacue (au prix d'une forclusion). Cette forclusion, dont on verra les effets, par exemple, dans la
démarche chomskyenne, réduirait sans doute l'histoire à un «espace imaginaire» (position de
Milner?), en tout cas signerait le renoncement à la penser.
Plutôt que de s'attarder sur l'obscurité de ce concept mi-importé, mi-fabriqué, il faut le voir
à l'œuvre dans les analyses concrètes qui suivent. La mise en rapport de la langue (et de sa
théorie), de l'inconscient et du politique, s'y opère selon une double démarche: celle, devenue
classique, de la lecture de la philosophie dans une pratique scientifique («la philosophie
chomskyenne» par exemple), s'appuyant sur la discontinuité des processus (exemple, «la
révolution saussurienne ») et s'efforçant de distinguer, dans chaque conjoncture, la contradiction
agissante et méconnue, de l'opposition apparente ou proclamée («Deux Saussure?». «Deux
Chomsky?»). Se combinant avec ce type d'analyse, une démarche nouvelle décalque les
préoccupations analytiques d'attention aux «failles», aux ratés, à tout ce qui ne se laisse pas
réduire au rationalisable ni représenter dans le système d'« écriture galiléenne»; à partir de là,
naît une réflexion autre sur «la science» (en particulier le domaine des sciences sociales) et une
critique de l'idéologie techniciste de maîtrise9.
Ainsi les moments de «vacillation» de la théorie linguistique, indices des effets de
l'inconscient, se repèrent comme les points de rencontre du linguistique et du politique ; y rester
aveugles et sourds10 conforte une illusion de maîtrise dans le maniement des modèles
scientifiques comme politiques. Pas de disjonction possible ici: c'est à la fois dans les domaines
8. Cf. F.G. et M.P., chap. 5, et J.-C. Milner, L'amour de la langue, Paris, Seuil, 1978.
9. Désignée par F.G. et M.P. sous le terme ď« idéologie WASP» (White, Anglo-Saxon, Protestant).
10. Les deux métaphores alternent dans le texte.
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11. Dans cet emploi de faux opposé à juste et non à vrai, (cf. Althusser, Philosophie et philosophie spontanée des
savants, Paris, Maspero, 1967), je ne suis pas exactement la terminologie des auteurs mais je pense ne pas les trahir.
12. Si le «réel de la langue» semble privilégié dans son rapport intime au «réel de l'histoire», il semble bien que
toutes les sciences sociales, dans leur aveuglement à l'inconscient comme à l'histoire, sont visées au même titre.
13. Ces parties ne coïncident pas exactement avec la grande division proposée par F.G. et M.P.
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14. Rapidité reconnue en quelque sorte par les auteurs eux-mêmes, lorsque (n. 83, p. 203), ib remarquent qu'aucun
travail n'a été fait sur cette question qui mériterait «une étude systématique».
15. Voir ch. 10, 2e partie, «Stratégies phagocytaires » ; sur cette reconstruction, cf. en particulier Noam Chomsky,
Mitsou Ronat, Dialogues, Paris, Flammarion, 1977.
16. Cf. N. Ruwet, Introduction à la grammaire generative, Paris, Pion, 1967.
17. La présentation des thèses de Carnap et du Cercle de Vienne, ainsi que de leurs relations avec l'épistémologie de
Popper, est beaucoup trop rapide, à mon avis, pour qui ne serait pas déjà familier de ces théories. La bibliographie,
évidemment, est là pour compléter.
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avec la théorie linguistique» et reconnaissent que Chomsky ne met pas en cause «l'idée même
de l'existence de droit d'une logique adéquate à la langue», qui pourrait un jour être le produit
d'un système logique suffisamment sophistiqué. Malgré ces réserves, ce serait dans ce point de
départ, qualifié de matérialiste, que Chomsky toucherait au plus près le réel de la langue,
refusant de la réduire, de par sa nature, au pur rationalisable ; en même temps, les nécessités
mêmes d'une écriture scientifique «homogène» l'installent dans la contradiction. L'enjeu est
alors: cette contradiction sera-t-elle ou non recouverte dans la théorie?
J'essaierai de résumer ainsi cette difficulté constitutive: dans la mesure où les séquences
«grammaticales» sont de «même nature que les séquences agrammaticales», c'est-à-dire définies
par les mêmes tests empiriques (recours au jugement de grammaticalité, soit à l'intuition du sujet
parlant), le système de représentation linguistique (son «écriture») devrait pouvoir intégrer
«l'absurde» qui, s'il s'oppose, par nature, à la logique, ne s'oppose pas au grammatical. Mais
comment une écriture logico-mathématique, écriture de «règles», pourrait-elle intégrer ce qui
subvertit les règles et, par là-même, «fait sens»: la métaphore, le lapsus, l'équivoque...? Or, à
méconnaître obstinément l'insistance de ce réel de la langue, irreprésentable, immaîtrisable (dans
une écriture logique), à vouloir intégrer «ces points d'échecs de la théorie» dans une
problématique de la déviance (écart) et/ou par la multiplication de règles ad hoc et de
«subterfuges», la contradiction agissante qui préservait le réel de la langue sera recouverte au
profit de la sauvegarde d'un système de représentation homogène.
Dans l'histoire compliquée des procédures mises en place pour résoudre les difficultés ainsi
rencontrées dans le maniement du formalisme, ce qui se règle c'est la question du sens, au
bénéfice d'une logique naturelle et, selon F.G. et M.P., au détriment du «niveau central» de la
théorie, la syntaxe autonome. La caution de la biologie conforte ce déplacement du point
central: l'affirmation d'une «autonomie de la syntaxe» se disant, désormais, en termes de
«noyau fixe universel du langage humain», propriété d'un «organe mental»18.
Ainsi se règle, sans que l'affrontement ait jamais eu lieu, le rapport à l'inconscient. L'objet
de la linguistique est devenu une «langue introuvable», naturelle et logique, conforme et
imaginaire. La contradiction s'est refermée sur une unité fantastique, une totalisation philosophi
que (qui se veut cautionnée par la Science). Les effets de sens liés à l'absurde ne peuvent
rencontrer que surdité complète, opaque, de la part du système de règles de l'organe mental. Il
s'ensuit pour la théorie des «dilemmes» (dont l'énoncé touche aussi à l'absurde), ceux, par
exemple, qui sont liés à l'expression du «fonctionnement grammatical ambigu des parties du
corps »y du type: la jambe de John. Ce syntagme fait-il référence à sa jambe ou à celle d'un
autre qu'il porterait sous son bras? Les acrobaties qu'impose une écriture homogène de ces cas
difficiles évoquent pour les auteurs une casuistique qui révèle «les failles» mêmes du système,
18. Sur cette thèse, voir Jacob et Pollock, «Parlons-nous grâce à un organe mental», Critique, 387-388, 1979.
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toujours poussé plus loin dans la nécessité de réassurer ses «certitudes dignes d'une nouvelle
théologie» (p. 123).
Là se rejoignent le linguistique et le politique, dans cet aveuglement à un certain réel, dans
cette soumission au «sérieux», qui a son répondant dans une idéologie politique techniciste, mais
aussi peut-être dans celle qui prétend combattre, en Chomsky même, la précédente : l'anarchisme
libertaire, fondamentalement régulateur et normalisant. Dans les deux cas, la raison souveraine
ne veut rien savoir de ses «failles»; dès lors quelle place pour «la résistance et la révolte qui
supposent que le langage humain soit autre chose qu'un organe mental?» (p. 231).
On pourrait faire à ce livre beaucoup de critiques, globales ou de détail; j'en ai suggéré
certaines; je préfère ici ne retenir que son caractère stimulant et la façon dont il ouvre des
hypothèses de travail nombreuses, aussi bien aux historiens de la linguistique qu'aux
générativistes. Reste à lui poser, pour terminer, la question (qui était aussi au départ) de son
rapport à la psychanalyse. Au-delà de ce que j'ai essayé d'analyser (de comprendre...) à propos
du réel de l'histoire, j'aimerais attirer l'attention sur la présence diffuse, disséminée, de la théorie
analytique, visible, naturellement, dans le vocabulaire devenu classique (refoulement, symptôm
e...), mais surtout dans l'organisation du discours, ou plutôt, cet essai de se laisser aller à ne
pas (trop) l'organiser; dans ces rappels, ces insistances, ces retours, ces répétitions, dans cette
sorte de trouble de la quête, l'acceptation de ce qui troue (doit trouer) les certitudes; elle
«affecte» tout le discours selon une métaphore constante dans le texte, métaphore redoublée de
celle, non moins insistante, de «l'espace»19.
L'analyse de la complexité historique tend à se figurer dans une topique diffuse: grandes
voies stratégiques et réseau de chemins de traverse, lieux privilégiés de retour, comme les nœuds
enchevêtrés des lignes d'erre20, circulation de l'affect.
Claudine Normand
Benoît HABERT, Les résolutions générales des congrès de la CFTC-CFDT (1945-1979), Thèse de
3e cycle, Paris III, novembre 1982, 365 p. Directeur : Maurice Tournier.
D'emblée une évidence s'impose : Benoît Habert a pour la centrale syndicale dont il étudie
les textes une sympathie manifeste, qu'il juge superflue de dissimuler. Au fil de la lecture, on
découvre cependant que ceci n'empêche nullement l'auteur de faire sur cette organisation, ses
19. «Espace idéologique... théorique... homogène... logico-mathématique... imaginaire»: «lieu», «frontière», «traver
sée»,etc. ; «affecter le concept de langue», «affecter l'être parlant», etc.
20. Bien qu'il ne soit ici jamais nommé, Deligny et ses descriptions de trajets à déchiffrer («lignes d'erre») semble
jouer un rôle dans cette traduction actuelle de la complexité temporelle en enchevêtrement spatial (cf. «Au défaut du
langage», Recherches, 24, 1974).