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ÉDUCATION, SANTÉ ET TEMPORALITÉS

Francis Lesourd

CERSE - Université de Caen | « Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle »

2006/1 Vol. 39 | pages 55 à 73


ISSN 0755-9593
ISBN 9782950687962

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Pour citer cet article :


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Francis Lesourd, « Éducation, santé et temporalités », Les Sciences de l'éducation -
Pour l'Ère nouvelle 2006/1 (Vol. 39), p. 55-73.
DOI 10.3917/lsdle.391.0055
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Éducation, santé et temporalités
Francis LESOURD*

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Résumé : Ce travail se situe au croise- est capable de les orchestrer en lui-même.


ment des trois thématiques de L’apprentissage de cette capacité
l’éducation, du temps et de la santé. La d’orchestration des temps apparaît ainsi
maladie et le bien-être y sont considérés comme un enjeux d’importance en
comme producteurs/produits d'un vaste éducation à la santé. L’auteur envisage
système de temporalités environnemen- une situation où au contraire cet appren-
tales, sociétales, institutionnelles, tissage des temps est entravé, celle des
interpersonnelles, intra-psychiques et pratiques dures de consommation de
biologiques, distinctes et reliées. Cepen- psychotropes, et propose quelques pistes
dant, comme le suggèrent des extraits de recherche pour la prévention, qui
d’entretien, le sujet est loin d’être impuis- soulignent les dimensions temporelles de
sant face à ces temporalités multiples ; il la maladie.

Mots-clés : éducation, santé, temporalité, psychotropes

* Psychologue clinicien, docteur en Sciences de l’éducation, chargé de cours à l’université Paris VIII
(EXPERICE).
Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 39, n° 1, 2006

1. Introduction Comme l’éducation en général, l’éducation à


la santé peut difficilement faire l’économie
d’une prise en compte des temporalités sous-
jacentes aux objets qu’elle se donne. De sorte

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que si l’homme est bien «malade du temps»
(REINBERG, 1979), on peut se demander duquel. Suivant le niveau d’observation
choisi, les figures du temps apparaissent en effet fort hétérogènes. Au niveau sociétal,
le rétrécissement des horizons temporels collectifs et les injonctions associées de se
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sculpter soi-même se prolongent dans l’expérience dépressive, ce qu’on a pu nommer


«la fatigue d’être soi» (EHRENBERG, 1998). À l’échelle des institutions, en particulier
de celle du travail, certains rythmes et horaires s’accompagnent d’effets pathogènes qui
sont aujourd’hui relativement bien connus. Et de l’interpersonnel à l’intrapsychique,
la multiplicité des conduites compulsives des sujets manifestent, pour chacun d’entre
eux, la prégnance et le retour de temporalités archaïques. On peut mentionner bien
d’autres temps, affiner leurs distinctions et multiplier les niveaux d’observation corres-
pondants (LESOURD, 2004a). Mais peut-être faut-il commencer par souligner que
maladie et bien-être se présentent comme producteurs/produits d’un vaste système de
temporalités environnementales, sociétales, institutionnelles, interpersonnelles, intra-
psychiques et biologiques distinctes et reliées. L’épuisement d’un sujet renvoie d’abord
à une résonance entre les temps de son environnement social d’une part et ceux de son
monde intérieur d’autre part.
Pour penser les composantes sous-jacentes temporelles, nécessairement mouvantes,
des formes de la santé et du bien-être, il convient d’adopter une approche transdisci-
plinaire du temps qui se donne pour projet d’interroger dans le même mouvement la
pluralité et les résonances des temporalités mentionnées. Une telle recherche est
esquissée dans la première partie de cet article. Elle se prolonge dans la deuxième
partie en une étude de cas qui souligne la capacité des sujets d’orchestrer en eux-
mêmes la multiplicité des temps extérieurs ou intérieurs. La troisième partie revient
sur le caractère crucial de cette capacité à travers le questionnement des rapports entre
santé et temporalités : considérer la nécessité d’un apprentissage d’une orchestration
personnelle des temps permet de proposer de nouvelles pistes de recherche sur les
toxicomanies.

Bachelard, défenseur véhément d’une multi-


2. Les temps et leur plicité générique des rythmes et des temps,
orchestration considérait, en 1950, que «la vie […] est faite,
verticalement, d’instants superposés richement

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orchestrés ; elle se relie à elle-même, horizontalement par la juste cadence des instants
successifs» (1963, p. 139). De ce point de vue, l’existence apparaît comme une super-
position «verticale», ou synchronique, d’instants, de temps ou de rythmes pluriels,
perpendiculairement conjugués à une diachronie rythmée, «horizontale». En d’autres

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termes, les temps successifs sont à la mélodie ce que les temps coprésents sont à l’har-
monie. Je vais, pour développer mon propos introductif, passer en revue quelques-uns
de ces temps coprésents avant de revenir sur la nécessité de penser leurs résonances.
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2.1. Esquisse d’un spectre temporel


Au niveau d’observation sociétal, de nombreux travaux ont abordé les changements
actuels des horizons temporels collectifs, c’est-à-dire de la capacité d’une société à se repré-
senter l’avenir et à s’y projeter. Boutinet (1998) associe la transformation de ces
horizons à celle de la notion d’adulte : la figure contemporaine de l’adulte s’organise
autour d’une injonction de flexibilité, notamment des projets, l’adulte devant
aujourd’hui redonner sens et consistance à son parcours plusieurs fois dans sa vie. On
parle encore de «brouillage des âges» (BOUTINET, 1999) ou d’altération des «calen-
driers biographiques» (BESSIN, 1997). En somme, l’horloge sociale qui précisait les
réalisations personnelles attendues à chaque âge semble pour ainsi dire déréglée : il
devient difficile aux sujets d’évaluer s’ils sont ou non «dans les temps». Dans ce délite-
ment des grands repères temporels, les nombreuses reconversions professionnelles
occasionnées par la crise multiforme dont parle Dubar (2000) illustrent bien l’impact
des modifications de l’horizon temporel sociétal sur la construction des temporalités
personnelles, l’analyse complètant celle de Ehrenberg (1998) sur la dépression. Ainsi,
une première corrélation se noue entre la santé et les temporalités telles qu’elles
apparaissent au niveau d’observation sociétal. En ce sens, la notion de chronopatho-
logie intègre sans s’y réduire les effets, par exemple, du rythme circadien sur les
maladies, effets bien mis en évidence par les chronobiologistes.
Au niveau d’observation des institutions, cette fois, et particulièrement quant à l’ins-
titution du travail, on peut mentionner la notion de cadre temporel, au sens que lui
donne Grossin (1996). Cette notion désigne, d’une part, des temps de travail carac-
térisés par la rigidité (celle des horaires), la coercition (sanctions en cas de retard), la
régularité (à la fois de la présence du travailleur et de l’existence d’un travail à fournir),
la réitération indéfinie (ou le consentement de louer ses services année après année)
et la délimitation d’un temps retranché (d’un côté entre l’école et la retraite, bien qu’on
doive aujourd’hui complexifier ce schéma, et de l’autre par rapport au temps de non-
travail). À ces temps « enfermants » correspondent les temps « enfermés » :
les temps des actions des sujets commandés par les premiers. Bien entendu, ces cadres

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temporels sont loin de se limiter aux conditions de travail tayloriennes. Grossin décrit
encore l’incidence des excès de temps structurés chez les cadres. «Les formes nouvelles
de l’organisation recherchent les moyens d’une gestion du temps pourchassant les
temps morts [...] S’il ne s’agissait que d’efforts physiques, la fatigue musculaire impose-

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rait ses limites. Le travail mental franchit les siennes.» (GROSSIN, 1996, p. 136). Des
projets en temps limité sont «entrepris dans une stimulation générale et quasiment
dans une sorte d’euphorie, la nervosité collective entraîne un “état second” où l’effort
s’exalte dans une atmosphère de challenge. Pour soutenir l’effervescence créatrice, les
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acteurs recourent aux stimulants ordinaires – le café –ou pharmaceutiques – les


amphétamines. Ils campent sur le lieu de travail : repas hâtifs et repos sommaires. Les
participants sortent de ce travail forcené dans une sorte d’hébétude, “vidés”, “lessivés”,
désorientés, abrutis, flageolants, dans un état de décompensation, incapables de
“récupérer” rapidement» (GROSSIN, 1996, pp. 136-137). Ainsi, Grossin suggère-t-il
de prendre en compte l’effet de la rigidité des nombreux cadres temporels institués sur
diverses difficultés graves de la vie personnelle, familiale et sociale. Dans une perspec-
tive similaire, Sivadon et Fernandez-Zoïla (1983) pointent, en psychopathologie du
travail, diverses désynchronisations pathogènes entre temps personnel et temps de
travail. Les études portant sur les rythmes biologiques se situent dans la même
perspective (REINBERG, 1995).
Si l’attention se porte au niveau d’observation de la famille et du couple, on
peut noter que « chaque famille instaure ou subit un type à elle d’organisation
temporelle interne, en fonction des sexes, des âges, du nombre des enfants,
éventuellement de la présence de personnes âgées au foyer, des heures et genres
de travail “remplis” par les adultes actifs, des cadres temporels obligatoires et
institutionnalisés pour les enfants. Jouent également les propensions individuelles
à la participation ou le respect des règles qui en font obligation. Une telle organi-
sation temporelle où les fonctions familiales se trouvent plus ou moins bien
assurées ménage au mieux l’harmonie de la vie commune et au pire des conflits
permanents » (HANTRAIS, 1988, p. 51). À noter que les difficultés personnelles
portant sur le temps peuvent, éventuellement, être palliées par un autre, famille
ou conjoint, qui assure une fonction temporelle prothétique. Du point de vue
psychanalytique, certains sujets présentent une carence d’autonomie et de créati-
vité temporelle. Ils compensent, et camouflent, en général, cette incapacité en
adoptant des cadres extérieurs rigides. Ces sujets s’appuient éventuellement sur
leurs conjoints qui portent pour eux le temps, ses cadres et ses déterminations
(SAMI-ALI, 1977, chap.7).
Ces observations doivent être différenciées mais non disjointes de celles qui concer-
nent des temporalités relevant d’autres niveaux d’observation, en particulier du niveau

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intrapsychique. La nécessité pour le sujet adulte de continuer à s’étayer sur le temps


d’autrui comme le faisait le jeune enfant renvoie aux reviviscences de ses premières
relations d’objet. Duparc rapporte un cas clinique d’intériorisation de conflits tempo-
rels familiaux chez une patiente anorexique dont les parents ne semblaient pouvoir

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répondre de façon synchrone aux mouvement affectifs et sexuels l’un de l’autre,
chaque demande tombant à contretemps. Or, dans le transfert, la patiente qui, de façon
répétitive, semblait désirer recevoir les paroles de l’analyste rejetait violemment la
moindre réponse : «notre communication était devenue anorexique» (DUPARC, 1997,
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p. 1504). Ce cas met en relief les incidences du style temporel du couple parental sur
la constitution du temps vécu du sujet, sur la constitution de son propre modèle
interpersonnel d’articulation des temps.
À chaque niveau d’observation, les temporalités apparaissantes peuvent être consi-
dérées comme des synchroniseurs du temps vécu. Internes ou externes, ces
synchroniseurs sont définis comme des rythmes capables d’entraîner ou de commander
d’autres rythmes, d’autres temps, de leur faire «battre la mesure» (PINEAU, 2000,
chap. 9). Les horaires de travail salarié et l’alternance jour/nuit constituent deux
exemples parmi d’autres de synchroniseurs qui rythment le temps vécu des sujets et,
ce faisant, soutiennent ou entravent leur action. Mais, dans la perspective transdisci-
plinaire adoptée, les temps ou les synchroniseurs relevant d’un seul niveau
d’observation ne peuvent certes pas être considérés comme pathogènes à eux seuls. Les
horaires de travail n’affectent pas «le sujet» en général mais chacun en fonction de la
singularité de l’organisation temporelle de sa famille, de ses propres temps intérieurs,
etc. Ainsi on interrogera plutôt les mises en résonance singulières de ces temps, de ces
mobilités multiples, de ces rythmes hétérogènes. Et sans doute peut-on considérer ces
résonances temporelles psychosociales non comme de simples corrélats de la santé mais
comme des conditions de celle-ci.

2.2. L’œuvre du temps


L’homme est dans le temps qui est dans l’homme. De cette formulation, en forme de
clin d’œil à Edgar Morin, nous n’avons abordé que le premier volet. Si donc les temps
sont aussi dans l’homme, on peut se demander de quelle façon.
La notion de champ attentionnel permet de progresser dans la mise au travail de
cette question. Tout d’abord, on envisagera intuitivement ce champ à la manière du
champ visuel, avec ce qui se trouve au centre, que l’on voit clairement, ce qui est à la
périphérie ou à la marge, que l’on perçoit du coin de l’œil, et tout ce qui se trouve entre
centre et périphérie, que l’on remarque sans s’y focaliser. Ce modèle du champ atten-
tionnel, inspiré du travail de Pierre Vermersch (2002) peut être transposé aux pensées,

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aux affects, etc., que l’on peut également saisir au centre du champ, remarquer comme
en passant, ou ressentir vaguement à la périphérie. Il peut également être utilisé pour
comprendre l’expérience temporelle quotidienne.
À ce sujet, imaginons que, à titre professionnel, nous devions effectuer un travail

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assez pesant – par exemple administratif – qui comporte des étapes, qu’il convient
d’effectuer à un certain rythme, etc. Nous pouvons, pour alléger la pression exercée
par ce temps administratif, rendre présente, dans le champ de notre attention, la
perspective du week-end – perspective qui renvoie à un temps social, celui de l’orga-
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nisation hebdomadaire du temps de travail. Dans le même mouvement, nous


continuons à maintenir les dynamiques de nos préoccupations personnelles (certains
désirs, certaines rêveries) à la marge de notre champ attentionnel tout en gardant, en
principe, le temps spécifique de notre activité administrative au centre.
Dans cette situation, on peut repérer au moins trois temps : un temps personnel,
intime (maintenu à l’écart), un temps de travail administratif dans quoi on est immergé
(horaires de travail, rythmes des pauses, etc.), un temps social (qui coordonne les
activités collectives en réglant l’alternance du travail et du temps libre). Pendant que
nous sommes occupés à cette tâche administrative, il existe en outre des temps d’inter-
action avec les collègues, des coups de téléphone extraprofessionnels à passer, etc., à
quoi nous pensons – autant de temporalités qui viennent prendre place quelque part
entre le centre et la périphérie de notre champ attentionnel.
Partant de cet exemple trivial, je proposerai de considérer que, à chaque instant,
nous construisons dans le champ de notre attention une configuration subjective de
processus, de rythmes, de temps. Nous effectuons en permanence des actes mentaux
dont l’effet est de disposer certains de ces temps au premier plan et les autres à l’arrière-
plan. Ce faisant, nous modulons les prégnances, pour nous-mêmes, de ces différents
temps. Suivant une métaphore artisanale, nous travaillons avec et sur ces temps comme
sur une «matière première» ; le champ de notre attention est comme notre «établi» ;
et l’œuvre qui résulte de ce travail, c’est le moment présent que nous nous donnons
à vivre.
Ce point de vue, qui implique que nous soyons en position méta par rapport à la
multiplicité des temps envisagés dans la première partie, rejoint le travail de Pineau.
Pour celui-ci, «conquérir son temps exige de faire l’apprentissage de rythmes très
opposés, allant du biologique au cosmique en passant par le social ; mais implique aussi
d’articuler pour soi ces rythmes, de les synchroniser personnellement […]. Il faut
donner sa mesure ; rythmer les rythmes» (PINEAU, 2000, p. 103). Une telle action du
sujet sur les temps ne se confond certes pas avec la visée d’une «gestion du temps» ou
d’un contrôle, d’une maîtrise consciente des temps. Ce travail sur les temps semble
en effet s’opérer de façon semi-délibérée. Les savoirs qu’il mobilise sont des savoirs

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d’action, qui ne nécessitent pas d’être conscientisés pour opérer. Ce qui ne signifie pas
que de telles actions aient quoi que ce soit de facile ou d’évident. Elles constituent –
pour reprendre le terme de Bachelard – un véritable travail d’orchestration des temps.
Et des erreurs d’orchestration peuvent survenir, voire des «fausses notes» : le rendez-

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vous que l’on oublie (qui est tombé hors du champ attentionnel) ; les temps
professionnels qui envahissent les temps pour soi (ou réciproquement) ; la difficulté
de garder son idée en mémoire en continuant d’écouter autrui… On peut ainsi
envisager le dysfonctionnement des savoir-orchestrer les temps.
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Ces savoirs sont-ils défaillants dans les chronopathologies précédemment rappelées


aux différents niveaux du spectre temporel ? Dans l’affirmative, le sujet qui orchestre
les temps serait l’artisan aussi bien des déterminants temporels de ses maladies que de
ceux de sa santé. Pour explorer cette piste de recherche, je partirai d’un travail dans
lequel j’ai essayé de repérer ce que font les gens pour orchestrer les temps au cours des
transitions existentielles. Ce travail conduit à interroger l’inhérence réciproque de la
santé et de l’expérience temporelle.

Je me suis particulièrement intéressé au travail


3. L’expérience sur les temps qu’effectuent les sujets adultes
temporelle au cours de ce qu’ils désignent eux-mêmes
et ses savoirs insus comme des transitions majeures dans leur vie.
Mon hypothèse était que ces moments sont,
eux aussi, construits ou orchestrés de façon semi-délibérée sur l’établi du champ atten-
tionnel à partir des temporalités – des matériaux – à disposition du sujet. Les moments
de transition rapportés par les personnes que j’ai interviewées étaient, pour plusieurs
d’entre elles, des temps que ces personnes situaient à l’origine d’une reprise d’étude.
C’était aussi, pour elles, des moments de remaniement identitaire, de restauration de
leur motivation, des moments signifiants à partir de quoi elles se mettaient à pouvoir
envisager une légitimation personnelle et professionnelle.

3.1. L’explicitation biographique


Mais comment observer le travail temporel du sujet durant ces moments ? Comment
observer les actes mentaux qu’il effectue au cours de ce travail ? Pour répondre à ces
questions, j’ai utilisé une méthodologie fondée sur une association d’entretien biogra-
phique – du type histoire de vie – et d’entretien d’explicitation tel qu’il a été élaboré
par Pierre Vermersch (1994) et les membres du groupe de recherches sur l’explicitation.
Le processus d’ensemble est comparable à un zoom qui permet de passer d’un niveau

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d’observation à l’autre. Dans la pratique, les histoires de vie favorisent l’accès du sujet
à des temporalités longues. Elles permettent d’appréhender un contexte existentiel sur
le fond de quoi peut se détacher, par exemple, une discontinuité, une transition.
Partant de cette transition, les histoires de vie peuvent également amorcer la focalisa-

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tion de l’attention sur un moment plus précis, notamment un moment d’engagement
en formation. C’est là que l’entretien d’explicitation prend le relais en permettant
l’exploration, à l’intérieur de ce moment, des micromoments que les interviewés eux-
mêmes désignent comme centraux dans le processus de transition. Ainsi, on accède
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progressivement à des moments-clés très fugaces. C’est à cette échelle que l’on peut
observer ce que fait le sujet pour orchestrer les temps. On n’accompagne plus le dire
réflexif du sujet quant à ce qu’il pense avoir fait à ce moment, on guide son accès à ce
qu’il a fait sans se le dire, c’est-à-dire à la dimension préréfléchie de son action tempo-
relle (LESOURD, 2005).

3.2. Un exemple d’orchestration des temps


L’extrait d’entretien qui suit reprend l’exploration d’un moment de transition existen-
tielle chez un sujet que j’appellerai Joséphine. Elle décrit ce moment comme une
réorientation de son identité féminine. Cette réorientation lui apparaît à travers les mots
«côtes flottantes» qui lui viennent subitement. Joséphine déclare : «j’ai compris à ce
moment-là que c’était possible d’être à la fois femme et intellectuelle… Ça paraît peut-
être évident mais, moi, je le savais sans le savoir» (J1). Joséphine situe ce moment à
l’origine de sa reprise d’études universitaires. Après avoir couvert une période de
quelques mois, l’entretien se focalise sur une matinée, puis sur un moment particulier.
Francis 28. - Est-ce que dans cette matinée-là, il y a un moment qui est, pour toi,
le pivot du tournant que nous sommes en train d’explorer ?
Joséphine 28. - Oui, il y en a un très clairement… Alors donc je sors de l’ascen-
seur, je marche, le nez vers le sol, je passe… le long d’une grille verte avec des barreaux
assez longs, et je m’entends avec comme mots à l’intérieur : «côte flottante», et ça me
fait sourire, et ça me fait même rire, et je sens qu’il y a plein de choses qui s’enchaî-
nent et qui défilent dans ma tête comme les barres de cette grille verte, qui sont
comme un… comme quand on est dans le train et qu’on voit les poteaux électriques.
Et je sens que là, je tiens quelque chose d’important, que c’est là et pas ailleurs, et que
je n’ai plus besoin de chercher, je sais que c’est quelque chose de fondamental.
Plus loin, Joséphine ajoute :
J32. - Il va y avoir quelque chose de l’ordre de… alors «révélation» ça fait pompeux
mais… quelque chose qui va venir. Et du coup… je me mets à marcher le long de cette
grille, confiante dans le fait qu’elle va m’aider dans ce processus-là. Et… je rentre

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dans ce moment-là avec l’envie d’y aller, comme quand je faisais de la gym et qu’il
fallait faire du cheval d’arçon. Il y a je ne sais plus combien de mètres à courir, mais
c’est réglementaire avant d’arriver sur le tremplin. Et il y a tout un moment à se
mettre en condition, à trouver le bon rythme de course qui fait que le bon pied va

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arriver sur le tremplin au bon moment et va permettre de donner l’élan. Et j’ai
l’impression que quand j’arrive au début de cette grille, euh… je sais que je peux
prendre mon élan et c’est quelque chose… c’est pas comme un cheval mais… oui, je
vais sauter qualitativement d’impression.
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F33. - À quoi reconnais-tu que tu vas pouvoir sauter qualitativement d’impression ?


J33. - Je me suis déjà mise dans cet état, déjà dans une absence de… comment dire
ça… dans un «non-regarder» volontairement. Je suis dans du… c’est flottant dans la
tête. Là je sais qu’il y a pour moi deux cent mille autres trucs et qu’il faudrait que je
me soucie de ce qui va se passer cinq minutes après, deux heures après parce que
voilà, je serai au boulot mais… je sais que ça peut être ailleurs. Ce que je sens c’est que
même s’il y a plein de choses graves et que c’est compressé, c’est tellement absolument
ça d’abord que le reste est absent le temps qu’il faut pour que ça ce soit là. Et que…
alors là je sens très volontairement que… c’est un quart de chouïa de je ne sais quoi,
soit je repars dans mes impressions de d’habitude – quels sont les stagiaires que je vais
rencontrer aujourd’hui et qu’est-ce qu’il faudrait que je leur raconte ? – soit j’aborde
cette grille et je sais que là, il y a quelque chose et c’est ça.
On peut déjà repérer ici trois temps co-présents.
Tout d’abord un temps intrapsychique. Joséphine l’évoque en parlant de «ce qui
est en train de se mettre en place et que je peux favoriser […] “révélation” ça fait
pompeux mais… quelque chose qui va venir» (J32). Il s’agit là d’une dynamique
associée à l’identité féminine de Joséphine et restée immobilisée depuis un certain
temps. Un peu plus loin, Joséphine dira que ça «vient du passé… c’est pas nouveau
cette histoire-là, mais là, ça frappe à la porte» (J45). La remise en mouvement de cette
dynamique se manifeste par l’émergence des mots «côtes flottantes» - dont les conno-
tations bibliques et physiologiques n’échapperont pas au lecteur. Ensuite, le temps de
la marche synchronisé avec le rythme des barreaux de la grille. «Je me mets à marcher
le long de cette grille, confiante dans le fait qu’elle va m’aider dans ce processus»
(J32), dit Joséphine.
Enfin, les temps socioprofessionnels. «Quels sont les stagiaires que je vais rencon-
trer aujourd’hui et qu’est-ce qu’il faudrait que je leur raconte ?», etc. (J33).
L’orchestration des temps n’apparaît que si l’on interroge les interactions entre ces
trois temps. «C’est un quart de chouïa de je ne sais quoi, soit je repars dans mes
impressions de d’habitude – quels sont les stagiaires que je vais rencontrer aujourd’hui
et qu’est-ce qu’il faudrait que je leur raconte ? – soit j’aborde cette grille» (J33).

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Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 39, n° 1, 2006

Ici, Joséphine oscille entre deux temps : lequel sera choisi, lequel sera renvoyé à la marge
de son champ attentionnel ? Le rythme de la grille sera finalement retenu. Pourquoi ?
Parce que, dit-elle, «il faudrait que je me soucie de ce qui va se passer cinq minutes après,
deux heures après parce que voilà, je serai au boulot mais… je sais que ça peut être

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ailleurs. Ce que je sens c’est que même s’il y a plein de choses graves et que c’est
compressé, c’est tellement absolument ça d’abord que le reste est absent le temps qu’il
faut pour que ça, ce soit là» (J33). «Il va y avoir quelque chose de l’ordre de… alors
“révélation” ça fait pompeux mais… quelque chose qui va venir. Et du coup… je me
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mets à marcher le long de cette grille, confiante dans le fait qu’elle va m’aider dans ce
processus-là» (J32). En somme, Joséphine parvient à «pousser» à la marge de son champ
attentionnel les temps socioprofessionnels prêts à jouer le rôle d’organisateurs de son vécu
et à entraver l’émergence en cours. Parallèlement, elle se synchronise avec le rythme de
la grille qui, au contraire, l’aide à maintenir la dynamique intrapsychique au centre du
champ jusqu’à ce que ça puisse, comme elle dit, «sauter qualitativement d’impression».
Ces extraits d’entretien suggèrent que, grâce à des microactes mentaux, à des «tours
de main» extrêmement fugaces et effectués de façon semi-délibérée, l’interviewée a pu
synchroniser subjectivement plusieurs temps et construire, de cette façon, l’architec-
ture temporelle de son propre moment de transformation. Cette synchronisation
personnelle a joué sur des temporalités sociales, du corps, de l’environnement naturel,
ainsi que sur une dynamique intrapsychique identitairement déterminante. Ainsi le
sujet n’apparaît ni tout-puissant ni tout-impuissant vis-à-vis des différents synchro-
niseurs. Il est coauteur de l’orchestration des temps d’où émerge le présent qu’il vit.
Dans une certaine mesure, il peut synchroniser les synchroniseurs.

Le normal et le pathologique de l’expérience temporelle.


Dans la suite de l’entretien, j’ai proposé à Joséphine de centrer son attention sur le
micromoment qu’elle identifiait comme central dans son processus de transition.
J42. - C’est difficile ça… J’ai continué à marcher mais je sais pas… Entre les deux
il y a une absence… C’est là que je perds l’impression d’enveloppe corporelle limitée,
oui.
F43. - Comment tu décrirais cette impression de perte d’enveloppe corporelle
limitée ?
J43. - C’est un vide réel… Je ne sais pas…
F44. - Je te propose de rester sur ce moment-là en te référant aux impressions
temporelles que tu as pu éprouver à ce moment-là. Tu évoques les rythmes de la grille,
de la marche, mais peut-être éprouves-tu aussi que c’est un grand temps ou un petit
temps, que c’est lent ou rapide…

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Francis LESOURD

J44. - Le moment en lui-même, il est atemporel. Par contre, dans le champ de


conscience pas loin il y a que ça se passe là mais que ça vient d’il y a plus longtemps.
Cet extrait débouche directement sur la question de l’articulation des thématiques
de la santé et du temps. Il s’agit en effet d’un micromoment de perte de repères

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spatiaux (perte «d’enveloppe corporelle limitée» - J42) et temporels (moment qualifié
d’«atemporel» - J44). Tout comme certains «voyages» de toxicomanes, ce type d’expé-
rience évoque une dépersonnalisation certes légère et transitoire mais qui, si elle se
répétait, conduirait facilement le médecin scrupuleux à porter attention à la présence
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éventuelle de signes convergents.


Cependant, d’un point de vue anthropologique, le vécu de Joséphine lors de sa prise
de conscience évoque également certains vécus de transe, qui s’accompagnent classi-
quement d’altérations de l’image du corps et du temps vécu. La transe utilise en outre
des inducteurs rythmiques (ROUGET, 1980) et on notera à ce sujet que Joséphine
synchronise les mouvements de son corps avec les rythme de la grille (la marche), mais
que la scansion se prolonge sur le plan psychique. «Je sens qu’il y a plein de choses qui
s’enchaînent et qui défilent dans ma tête comme les barres de cette grille verte» (J28).
Mais poursuivons dans cette perspective anthropologique. Après sa «révélation»,
Joséphine prend un temps pour elle, au café.
J22. - […] je sens que ce qui s’est passé dans le temps d’avant – est en train de
prendre forme et va se dérouler. Alors effectivement le processus n’est pas fini, alors
voilà, je me parle à moi-même, je peux reprendre une activité quelle qu’elle soit. Par
exemple prendre le métro et aller au boulot, et je sens que ce qui s’est passé à ce
moment-là est suffisamment installé pour que je puisse le garder…
F24. - Est-ce que tu as envie d’explorer, en te remettant au présent, ce qui t’a
donné cette certitude que c’était la fin [du moment de transition] ?
J24. - C’est parce que c’est rare que je pense des phrases complètes et que je sente
que ce sont ces mots là et pas d’autres […]. Je sors d’un état, où j’étais ni dans mon
corps, ni ailleurs, je sens… c’est comme si… pendant que je suis dans le processus…
je ne sens plus vraiment de… je ne sens plus d’enveloppe corporelle précise. Au
moment où j’entre dans le processus, l’enveloppe corporelle est très précise, très claire,
très prégnante, euh… quand je suis dedans, je pourrais faire des kilomètres carrés ou
un millimètre carré, je n’en sais rien. Quand je sors de ce truc-là, oui, tout d’un coup
je me dis que je suis assise sur une chaise dont le coussin est en skaï, ce que je n’aime
pas, que mon café va refroidir, voilà, mes mains, ma tête, que… Je réexiste dans toute
ma matérialité […].
[…]
J26. Je me suis mise à réécouter ce qui se passait à côté de moi, je commence par
l’écoute […]. Voilà, je sais que le café arrive, je le sens, c’est une impression de réalité

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Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 39, n° 1, 2006

du dehors, c’est comme si ça me traçait un chemin pour que… voilà, là, je suis suffi-
samment en sécurité, je vais pouvoir faire un paquet de tout ça, donc, voilà, je sens
le café, mais je n’y accorde pas d’attention. Voilà, je sais juste que le café est là. Je…
Mais je ne sors surtout pas, et là effectivement il y a quelque chose de volontaire, mais

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je ne me mets surtout pas à écouter et à regarder quelque chose de précis.
À nouveau, cette expérience évoque aussi bien une «descente» de trip qu’une fin
de transe où le groupe installe une atmosphère sécurisante et contenante pour le sujet
– à ceci près que Joséphine assure seule cette fonction de sécurisation.
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On voit que le fait d’aborder via l’explicitation biographique les vécus de transi-
tion existentielle à cette échelle permet ainsi d’en dégager des caractéristiques
inattendues. Tout se passe comme si Joséphine avait construit les conditions tempo-
relles de sa révélation : se détournant provisoirement du temps chronologique et
compressé du monde commun, elle a opéré une mise en suspens de certains temps et
une mise en avant d’autres temps qui a débouché sur un moment de «hors temps»,
central dans son processus de transition, avant de revenir au monde commun avec
lenteur et précaution.
De tels moments de «hors temps» ont été interrogés par différents psychanalystes.
Selon Green, le temps transitionnel en tant que tel est un «temps hors du temps, temps
potentiel s’instaurant» (1975, p. 107). Pour Kaès, ces temporalités particulières «sont
partie intégrante du processus qui conduit à une nouvelle naissance ; c’est ce temps
mort qui sera peut-être nécessaire à l’établissement de la discontinuité individuante
[…] qui précède la phase où nous vivons créativement : sans doute ce blanc, ce vide
crée-t-il aussi l’espace nécessaire à la naissance de la pensée, un trou dans le vécu ou
dans le savoir, une attente à combler» (1979, pp. 61-62). Guillaumin considère,
quant à lui, que ce type de temporalité constitue la condition de l’appropriation d’une
temporalité propre : «tout se passe comme si, écrit-il, la dynamique des trois dimen-
sions communes du temps, passé, présent et avenir, ne prenait sa pleine et vive valeur
[…] que de l’intervention d’un autre point de vue à certains égards intemporel, qui
la croise, la nie et la dépasse en la signifiant» (GUILLAUMIN, 1997, p. 1658). Ou
encore : «le temps ne saurait jamais s’assumer comme temps personnel, temps de
l’histoire vécue du dedans, que par le surgissement de ce regard transverse porté sur
son mouvement que je considère comme une quatrième dimension de la temporalité,
dimension à certains égards elle-même intemporelle – comme une sorte de présent
suspendu du deuxième degré» (pp. 1661-1662). Le vécu associé est décrit comme la
sensation «d’être actuellement suspendu dans l’existence, et pour un instant d’une
durée indéterminée» (p. 1658), comme «une disposition particulière assez ambiguë,
disons un état de pensée et d’affect légèrement troublé, sorte d’ébranlement de l’appa-
reil psychique» (p. 1657).

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Francis LESOURD

Loin de signer une pathologie, ces expériences semblent au contraire constituer


autant d’occasions d’initiation à soi-même (LESOURD, 2001, 2004b, 2005). Sont-
elles également essentielles à ce qu’on pourrait nommer une «santé temporelle» ?
Bien que la définition de cette expression bute sur la singularité de chaque sujet, la santé

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temporelle renvoie moins, de mon point de vue, à des expériences temporelles norma-
lisées (avec repères chronologiques forts) qu’à une alternance irrégulière d’expériences
temporelles hétérogènes (où le temps coule tantôt vite tantôt lentement, fait pression
sur le sujet ou au contraire le soutient, où il apparaît continu ou scandé, vaste comme
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l’existence entière ou concentré dans l’instant au point qu’il semble s’arrêter, et où


parfois le sujet s’éprouve surplomber son existence entière). De même que les patho-
logies du temps ne dépendent pas d’un seul niveau d’observation (approche
harmonique), aucune expérience temporelle n’apparaît pathologique en elle-même :
tout dépend de la façon dont elle s’insère dans la succession des moments vécus
(approche mélodique). En somme, la santé temporelle dépendrait directement de la
possibilité du sujet de construire des expériences temporelles variées en mobilisant ses
savoir-orchestrer les temps dans son champ attentionnel.
Reste à explorer, pour reprendre la métaphore de l’artisan, quels outils sont
aujourd’hui à sa disposition pour ce faire.

De nombreux travaux mentionnent en


4. Santé, temporalités passant que les psychotropes modifient le
et psychotropes temps vécu mais sans prendre directement
cette incidence pour objet de recherche. Ma
perspective me conduit à considérer aussi les
psychotropes comme des outils à disposition du sujet pour orchestrer les temps. Si
l’on abstrait trois grands types de rapport au temps chronologique : y adhérer, le nier
ou le relativiser, on s’aperçoit – en première analyse – que chacun de ces rapports
au temps semble entretenir des affinités électives avec des psychotropes relativement
spécifiques. En seconde analyse, il faut cependant souligner avec Xiberras que, en
matière de toxicomanie, l’ultime distinction doit être posée non en terme de produits
mais en terme de pratiques. Ainsi, l’auteur relève «deux grands types de pratiques
dans la forme des toxicomanies modernes. Une pratique douce, dont la polyintoxi-
cation reste stable et ne recherche qu’une effervescence prétexte à la recherche de soi.
Une pratique dure, dont la polyintoxication reste bien souvent une façon de masquer
ou de remplacer l’alcoolisme ou l’héroïnomanie. Pratiques dures qui visent d’emblée
l’accès à l’anesthésie ou à l’oubli, qui n’attendent qu’une fin de soi» (XIBERRAS,
1989, pp. 44-45).

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Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 39, n° 1, 2006

Ainsi, pour autant que leur pratique reste modérément dure, les stimulants tels que
café, tabac, cocaïne ou amphétamines favorisent chez le sujet une certaine adhésion voire
une adhésivité au temps chronologique et participent des excès de temps structurés et
accélérés. À ce titre, ces produits s’inscrivent dans un vaste ensemble de discours et

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d’expériences qui s’intercautionnent. À maints égards, ils favorisent l’adaptation aux
cadres temporels (décrits par Grossin comme rigides, coercitifs, réguliers, réitérés) et
coupent le sujet de ses propres temps intérieurs dont la nature est changeante et la vitesse
variable. Les cadres temporels sont d’ailleurs rencontrés dès l’école, dont la tempora-
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lité se structure le plus souvent autour de l’heure de cours. On en retrouve encore la


justification dans les formations à la gestion du temps qui font l’éloge d’un vécu
temporel personnel inféodé au temps mesurable. Ainsi réservera-
t-on, dans son planning, un «temps pour être» (CRUELLAS et BENAYOUN, 1993, p. 26),
par exemple tous les lundis entre 17 et 19 heures, ni avant ni après. Dans ces différents
cas de figure, il s’agit de planifier, de s’organiser, d’éviter l’imprévu, de faire ou de faire
faire ce qui est important en terme de rendement. On rejoint là ce que, dans le champ
de la formation, Michel Fabre repère comme un pragmatisme anglo-saxon souterrain,
qui «épure la vie pour n’en retenir que des invariants objectivables et testables. […] Par
là est définitivement perdu le trait historique de l’expérience, ce qui en elle relève de
l’instant singulier, non répétable, son caractère indépassable d’épreuve dans une quête»
(FABRE, 1994, p. 162). Autant dire que le hors temps, apparaissant comme inutile, est
ici disqualifié. De par leurs résonances, leurs affinités électives, stimulants, cadres
temporels, pratiques éducatives et formatives et tradition philosophique font système.
L’opium et tous ses dérivés, morphine, héroïne, etc., conduisent quant à eux à une
euphorie «suffisamment intense pour émousser et annihiler tout intérêt pour le monde
extérieur. L’euphorie semble se construire sur des événements et des pensées du monde
intérieur, pour les diagnostiquer comme agréables» (XIBERRAS, 1989, p. 57). Si l’on
veut repérer, comme dans le cas précédent, les corrélats psychosociaux de ces produits
on notera que les pratiques sociales de l’héroïne, notamment dans le cas de pratiques
dures, sont fréquemment solitaires, ne s’inscrivent dans aucun temps généré par
quelque réseau de solidarité. Il s’agit ici de nier le temps du monde. Pour cette raison,
l’initiation aux modes de consommation du produit est pour le moins sommaire,
d’où les problèmes de prévention bien connus. En matière de philosophie sous-jacente
à la consommation des opiacés, Xiberras fait l’hypothèse d’une relation forte entre
taoïsme et consommation d’opium en Chine. Mais peut-on de la même façon supposer
une facilitation réciproque entre certaines visions du monde actuelles et consomma-
tion d’héroïne ?
Les hallucinogènes, du haschich au LSD en passant plus récemment par l’aya-
huasca, s’accordent davantage à des formes sociales communautaires. Ils sont en effet

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Francis LESOURD

passés de la contre-culture de naguère au réseau d’aujourd’hui, lequel, en dehors de


groupes de pairs discrets, est très actif sur internet où s’échangent des conseils pour
cultiver ou fabriquer les produits. Le caractère initiatique associé aux hallucinogènes
a été souligné par de nombreux anthropologues. Le vécu temporel associé semble

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moins constituer une négation du temps du monde, comme dans le cas des opiacés,
qu’une relativisation de ce temps. Dans les sociétés traditionnelles, les expériences
hors temps initiatiques sont reliées aux mythes de la culture concernée qui, à travers
l’expérience hallucinogène, font l’objet d’un apprentissage (ELIADE, 1968). Ces mythes
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sont d’ailleurs importés et réécrits en Occident à travers le syncrétisme du néo-chama-


nisme (BERGÉ, 2005) et peuvent constituer des grilles de lecture des expériences
hallucinogènes. Quant à leur inscription dans le temps des sociétés occidentales, les
pratiques douces de la consommation d’hallucinogènes s’accordent moins, dans la
terminologie de Grossin, avec les cadres temporels qu’avec ce que l’auteur a appelé des
«milieux temporels». Ceux-ci sont composés de temps modulables, ouverts à d’autres
temps. Il favorisent le choix des horaires de travail ou des rencontres, visent à relati-
viser notamment l’exigence de ponctualité et, en cela, faciliteraient l’articulation des
temps extérieurs et des temps intérieurs. Sur le plan des traditions philosophiques sous-
jacentes, il est possible de relier les néo-chamanismes, la contre-culture et la Bildung
romantique en ce qu’ils visent essentiellement une quête de sens. Suivant la perspec-
tive de Fabre, ces traditions peuvent être dites herméneutiques et opposées au
pragmatisme anglo-saxon. L’approche herméneutique révèle en effet le temps humain
comme occasion de compréhension de soi déployée à travers un cheminement existen-
tiel dans et par lequel le sujet cherche également à comprendre le monde. Ici, le temps
n’est ni nié, ni reçu à travers les valeurs pragmatiques du succès ou de l’échec, de la
productivité ; il relève plutôt d’un ordre esthétique ou éthique, d’une cohérence dans
le contraste des épisodes existentiels. L’authenticité, notion qui accueille sentiments
et valeurs, prime ici l’efficacité. Ainsi l’expérience hallucinogène constelle : avec
certaines formes de socialité et leurs temporalités associées (milieux temporels) qui
relativisent les temps plus tendus et mécaniques (cadres temporels) d’autres formes de
sociabilité ; avec des mouvements éducatifs qui relèvent davantage de l’initiation au
sens anthropologique que du modelage du sujet ; avec des visions du monde qui
privilégient le sens par rapport à la structure.
En bref, l’analyse qui vient d’être ébauchée suggère, en termes de spectre temporel,
que les résonances des temps collectifs et individuels peuvent prendre plusieurs formes
suivant qu’il s’agit d’adhérer au temps chronologique, de le nier ou de le relativiser.
Chacune de ces résonances mobilise un ensemble de fonctionnements relevant de diffé-
rents niveaux d’observation qui se structurent, s’étayent et se cautionnent
mutuellement. Pour chacune de ces résonances, les temps sociaux (du travail et de

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Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 39, n° 1, 2006

l’éducation notamment) sont corrélés à des expériences temporelles subjectives diffé-


rentes (aussi bien sur le plan psychologique que sur le plan physiologique), et s’ancrent
dans des traditions philosophiques contrastées. Ainsi l’on peut bien parler de résonance,
ou si l’on veut de causalité circulaire, entre temps sociaux et temps psychiques. On a

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vu que les psychotropes se retrouvent dans chacune de ces résonances multiniveau. Ceci
me porte à considérer les psychotropes comme des analyseurs du rapport au temps des
individus et des collectifs.
Mais revenons, pour finir, à la constellation psychosociale abordée par l’entrée des
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hallucinogènes. De par la multiplicité des expériences temporelles qu’elle permet,


cette constellation favoriserait-elle une certaine santé temporelle ? La question, volon-
tairement provocatrice, n’implique pas, bien évidemment, une apologie de quelque
psychotrope que ce soit. Il existe bien d’autres moyens – et l’entretien de Joséphine
en témoigne – pour vivre des expériences temporelles contrastées. Cependant, on
peut envisager que les pratiques douces (et particulièrement celles des hallucinogènes)
constituent, pour le sujet, des outils de développement personnel et de construction
de son propre bien-être lorsque l’orchestration des temps n’a pas été suffisamment apprise.
Si cet apprentissage se réalise, il est fort probable que les pratiques restent douces ou
disparaissent.
Quelles sont les conditions d’un tel apprentissage ? Sans doute est-il d’abord favorisé
par l’inscription dans un groupe, dans une culture. À un extrême, l’absence d’une tradi-
tion d’échanges portant sur l’expérience de l’héroïne et sur ses corrélats temporels
entrave, chez le sujet, l’apprentissage de sa relation au produit et tend à se prolonger
en pratiques dures, essentiellement solitaires. À l’autre extrême, les hallucinogènes les
plus courants (haschich, LSD) sont traditionnellement consommés en groupe, avec
échanges sur l’expérience associée, y compris sur son versant temporel. Dans ces
conditions, les pratiques tendent à rester douces – elles constituent d’ailleurs davan-
tage un problème légal qu’un problème de santé publique. Sans doute le passage des
pratiques douces aux pratiques dures pose-t-il le problème d’un apprentissage temporel
insuffisant faute d’une coformation au sein du groupe de pairs. C’est dans ce sens que
va un chaman colombien venu aux Etats-Unis empêcher qu’un brevet soit pris pour
l’ayahuasca. «La première plante que vous avez volé aux chamanes, dit-il, c’est le
tabac. Et voyez où vous en êtes avec le tabac. La deuxième plante que vous avez volé
aux chamanes, c’est le coca, regardez dans quel état sont vos enfants. Si vous nous
prenez l’ayahuasca, vous allez devenir tous fous. Cela ne sert à rien, si vous prenez les
plantes sans connaître leur usage.» (SANCHEZ, 2004, p. 35).
Hormis l’existence d’un groupe, l’apprentissage de l’orchestration des temps requiert
une autre condition et non des moindres : la valorisation culturelle du fait de porter
attention aux temps. Alors que les Inuits disposent d’environ quarante mots pour

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Francis LESOURD

désigner la neige, nous qui vivons dans un environnement temporel de plus en plus
prégnant et complexe ne disposons que d’un vocabulaire très pauvre pour discriminer
nos expériences temporelles. Peut-être faut-il donc cesser de nous convaincre à la
suite de saint Augustin que les temps sont par nature indicibles. Lentement, les choses

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semblent pourtant changer, du moins dans certains secteurs, ainsi que le montre
l’augmentation des publications récentes mentionnant au pluriel les temps et non le
temps. Cette lenteur est sans doute à la mesure de la complexité du défi que suppose
une prévention des chronopathologies.
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Francis LESOURD

Education, Health and temporality


Abstract: This work is situated at the intersection of the three themes of education,
time and health. Disease and the prosperity are considered as producers / products of

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a vast system of environmental, social, institutional, interpersonal, intra-psychic and
biologic temporality, different and connected. However, as suggested by the interview
extracts, the subject is far from being powerless in front of this multiple temporality;
he or she is capable of orchestrating them in himself or herself. The learning of this
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capacity of orchestration of times so appears as one important issue in education in


relation to health. The author envisages a situation where on the contrary, this learning
of temporality is hampered, with that of the hard practice of consumption of
psychotropics, and proposes some research approaches for prevention strategies, which
underline the temporal dimensions of the disease.

Key-words: education, health, temporality, psychotropics

Educación, salud y temporalidades


Resumen : Este trabajo se sitúa en el cruce de las tres temáticas de la educación, del
tiempo y de la salud. La enfermedad y el bienestar están considerados en él como
productores / productos de un sistema vasto de temporalidades ecologistas, sociales,
institucionales, interpersonales, intra-psíquicas y biológicas, distintas y conectadas a
la vez. Sin embargo, como lo sugieren extractos de entrevistas el sujeto no es impotente
frente a estas temporalidades múltiples ; incluso es capaz de orquestrarlos en sí mismo.
El aprendizaje de esta capacidad de orquestación de los tiempos aparece así como
algo de suma importancia en educación en la salud. El autor contempla una situación
en la que al contrario este aprendizaje de los tiempos está trabado, la de las prácticas
duras de consumo de psicótropos, y propone algunas pistas de investigación para la
prevención, que subrayan las dimensiones temporales de la enfermedad.

Palabras clave : educación, salud, temporalidades, psicótropos

Francis LESOURD. Éducation, santé et temporalités. Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, Sciences
de l’éducation et santé, vol. 39, n° 1, 2006, pp. 55-73. ISSN 0755-9593. ISBN 2-9506879-6-2.

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