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ii -

LA QUESTION TUNISIENNE
I« —
Réponse à un critique

Il a pu paraître à quelques-uns que la Revue Indigène tardait


beaucoup —
tardait trop ! —
à traiter dans ses pages de l'ensem

ble du problème tunisien, tel qu'il se trouvait posé par les mani
festations de l'été dernier, appuyées par les démarches d'une dé
légation venue à Paris.
Ce serait mal connaître cette publication et surtout son di
recteur soussigné que d'attribuer à ce retard une eause autre

que de l'ordre intellectuel objectif en combinaison avec l'étendue


de notre tâche et les difficultés matérielles rencontrées dans la
publication de notre organe —
difficultés qui ne sont pas encore

toutes vaincues. Sans compter les autres besognes utiles à la


eause des musulmans en général et parmi lesquelles deux, prin
cipalement, n'auront pas échappé à mes lecteurs et amis tuni
siens, celles-ci : l'appui donné de toutes manières aux intérêts
de la Turquie, et la poursuite de cette haute création d'un Insti
tut musulman et d'une mosquée à Paris !...
Quand on bataille depuis quinze ans passés sur l'idée indi
gène pour la définir et faire accepter —
but aujourd'hui atteint —

;
quand on a subi, en gardant le bon bout et en voyant ses thèses
confirmées par les faits de la guerre, la discussion sophistique et
discourtoise d'un de Carnières ; quand on a soi-même formulé,
il y a dix ans et plus, quelques-unes des revendications les plus
justes inscrites aujourd'hui au programme de nos amis et quel
ques-unes des solutions aujourd'hui en voie de réalisation, on a,
peut-être et en outre, le droit de ehoisir le jour et l'heure de son

intervention publique. On ne livre pas n'importe quand et n'im

porte comment sa bataille. Le choix du moment a sa très grande

importance. Et si eeux dé nos amis qui sont venus l'été dernier


m'avaient, préalable, consulté, je les aurais vraisemblable
au

ment dissuadés, leur conseillant d'attendre quelques mois encore.


La sincérité entre nos amis tunisiens et nous est la pierre
de touehe de la politique que nous menons ensemble, eux, dans
l'intérêt spécial de la Tunisie, nous, dans l'intérêt solidaire de la
Tunisie et de la France.
Or, l'été dernier semblait voué à une agitation dont les
sources se trouvaient en deux points éminemment suspects et
dangereux : Moscou et Berlin. La grève générale, lancée par l'or
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12 —

de manière certaine, venait


russe, on le sait aujourd'hui

d'échouer. L'atmosphère n'était pas encore rassérénée. Une po

litique du « tout ou rien » survenant à ce moment devait né

cessairement paraître inspirée par des agitateurs cachés. C'est


ce que je me suis permis de faire remarquer à quelques Tunisiens.
Dois-je cacher que le pamphlet de Taalbi avait produit un effet

désastreux dans les milieux politiques qui, pour n'être pas d'ex
trême-gauche, n'en étaient pas moins favorables aux Tunisiens ?
Par ailleurs, nous avions cru devoir faire crédit à M le
Résident général Flandin en qui nous avions toujours rencontré,
aux Etudes algériennes qu'il présidait, la plus grande bien

veillance envers les indigènes


et qui, par exemple, nous avait

aidés, Charles Michel et moi, à faire définir officiellement l'élite


algérienne (voir le Décret de juin 1913).

Mais il nous apparut bien l'été dernier, précisément, que


M. Flandin avait été trop fortement impressionné par les détails
de la conspiration germano-bolchevik. L'affaire Taalbi venait

déjà sous roche....

Je n'éprouve aucun embarras à m'expliquer sur ces délicates


questions.

Une fois de plus, je proclame que la Revue Indigène, ar

demment et hardiment êvolutionniste, n'a rien d'un organe ré

volutionnaire !
Quand on entre dans les voies révolutionnaires, on court

immanquablement le risque de rencontrer plus révolutionnaire


que soi et de degrés en degrés on descend jusqu'à l'anarchie. Les
révolutions ne changent rien à rAp, qu'on lise l'histoire pour
s'en convaincre.Seules, sont fécondes les évolutions logique
ment étudiées, méthodiquement préparées, sagement réalisées.
Sans doute, elles sont soumises aux flux et reflux de l'opinion,
mais il appartient aux intéressés d'atténuer, par une étude serrée

et une action patienté et tenace, l'ampleur des fluctuations de

l'opinion toujours insuffisamment instruite.


Ce n'est donc pas sur les partis extrêmes que la Revue Indi
gène prend ses points d'appui les plus solides dans la poursuite

de ses buts. Et voici un exemple à la fois curieux et amusant de


la conjonction des extrêmes sur une idée fausse.
C'était àun meeting pro-hindou et pro-turc organisé par
Longuet Cachin qui, depuis, ont pris des routes différentes en
et

matière d'internationalisme. Invité par Mohamed Ali, je l'avais


suivi sur l'estrade ; mais invité par Longuet à prendre la parole,
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13 -

j'avais refusé. Quelques Tunisiens étaient là et, parmi eux,


Taalbi. Or, des discours de Longuet et Cachin, peu de chose à
tirer qui correspondît à la pensée politique de Mohamed Ali :
révision du Traité de Sèvres. Par contre, l'éloge dithyrambique
de la République des Soviets et une charge à tond contre l'impé
rialisme français et cette phrase-type : « la France a trop de colo

nies. » Je ne pus m'empêcher, sortant, de remarquer que la


en

phrase-type de Longuet se rapprochait étrangement de celle de


M. GaudIn de Vilaine, sénateur de droite, au cours d'une inter
vention à propos du budget. Et comme je niais l'exactitude d'une
dont'

telle affirmation, je fus pris à partie par deux Tunisiens,


l'un très jeune, et qui me traitèrent de « colon ». A quoi, sans

me nommer, je répliquai, en m'adressant au plus jeune : « Jeune


homme, quand vous aurez dépensé pour la cause des Tunisiens
autant de travail, de temps et d'argent que moi-môme, vous

viendrez me retrouver et nous reprendrons cette conversation

avec chances de nous entendre »...

A quelques jours de là, ces Tunisiens et Taalbi lui-même


me retrouvaient au Comité franco-musulman de Ch. Gide et

Lavenarde, où, tout en soutenant les droits des Tunisiens, je


n'eus pas de peine à montrer ce que certaines thèses avaient

d'excessif ou d'impraticable. Sur quoi mes formules de réalisation

furent adoptées par eux mêmes !


Et l'on voit ainsi que l'action utile du directeur d'un organe

comme celui-ci s'exerce et se traduit souvent ailleurs que dans


les pages de sa publication.

II. —
L'affaire Taalbi

Cela dit, je ne vois pas pourquoi je garderais le silence sur

l'affaire Taalbi elle-même. De l'affaire elle-même, des charges

exactes qui pèsent sur l'inculpé, nous ne savons encore rien de


précis. On entrevoit seulement qu'on l'accuserait de connivence

directe avec le complot bolcheviste : son pamphlet et ses accoin

tances politiques ne seraient que les premiers éléments de la


suspicion et l'on assure que des documents extrêmement compro

mettants seraient dans son dossier. C'est à voir et nous conti

nuons, nous, à faire l'indispensable distinction entre, d'un côté,


les rapports de police et les lettres reçues par un inculpé, et, d'un
autre côté, les lettres qui seraient écrites par lui. Sur les deux

premiers éléments, voici notre opinion aussi nette que sincère :

le pamphlet, par son outrance même et son illogisme foncier


-
u —

perd, de lui-même, toute efficacité démonstrative. Il est vraisem


blable que l'inspiration en vient du milieu extrémiste dont on
connaît la casuistique et les abberrations logiciennes ;

les accointances, regrettables à notre point de vue, ne sont


pas une preuve de culpabilité, et si elles devaient recevoir ce

caractère, nous pourrions répondre qu'à notre avis, et en une

telle matière, un musulman (tunisien ou algérien) ne peut être


que dupe avant d'être complice et qu'il ne serait pas admissible

que le complice fût seul poursuivi et... condamné !...


Entrons dans la donnée politique de cette affaire.

Lénine a exposé publiquement ses plans de révolution mon


diale. La de la France y
part est celle-ci :

La France est notre plus grand ennemi parce qu'elle emploie

tous ses efforts à la stabilité de la situation en Europe... Il faut atta


quer la Francepar une propagande séditieuse en Afrique du Nord...»

Ainsi la France est condamnée par Lénine parce qu'après


avoir été le pivot de la résistance des à une
nations entreprise
de domination universelle, elle travaille à ramener et à consolider
lapaix du monde !...

Conséquence : tout homme, quelle que soit son origine,


Français ou... Tunisien, qui entre dans la politique de Lénine
pour la servir et faire triompher, devient, ipso facto, l'ennemi de

la France. Taalbi était-il en relations directes avec Talaat


pacha qui, de Genève, où il se rendait souvent venant de Berlin,
essayait de continuer la politique panislamique de Guillaume ?

Je l'ignore. Et, par ailleurs, si TaaAi, à défaut de pouvoir aborder

Lénine, a traité avec un de ses agents français, il est, comme cet

agent, l'ennemi de la France. Mais qui serait cet agent? On doit le


connaître à la sûreté générale ! Et il se peut fort bien, d'après les
apparences, que cet agent français des soviets soit membre du
Parlement ? Mais alors, si on arrête et juge Taalbi, il faut aussi
arrêter et juger ce Français, même s'il est député 1
C'est d'une implacable logique !... Mais on sait que le gros

poisson rompt les filets où le menu fretin se fait prendre... et

c'est pourquoi je dis et je répète qu'en semblable matière un

musulman de l'Afrique du Nord ne peut être que dupe avant

d'être complice, C'est pour lui valoir quelque indulgence.


Ici, les idées ne nous font pas peur, qu'il s'agisse de l'indé
pendance d'une nation : Turquie, Egypte, Irlande, Perse, Corée
ou des progrès matériels et moraux d'un peuple :
hindou, tuni
sien, marocain.., Celui qui écrit ces lignes a voué sa plume à
-
15 —

toutes les causes saintes on justes, et que son effort ait été déjà
efficace, ce n'est pas à lui à le dire ; mais on peut le demander
l'
aux musulmans de Azerbaïdjan, par exemple. Mais nous ne

pouvons, ni ne voulons pactiser avec le bolchevisme parce que

celui-ci, l'avoue ou non, est, sous son idéologie stupide et


qu'on

sauvage, l'ennemi de tous les peuples... Car Lénine a dit aussi :


« Même si les trois quarts de la population de Russie devait

périr de faim et de froid, les survivants resteront pour célébrer la

victoire définitive de la révolution mondiale ».

Impérialisme militaire, économique ou colonial sont-ils jamais


allés jusque-là? Seul, peut-être, l'impérialisme germanique...

Et l'effroyable menace se réalise un peu plus chaque jour


sous le gouvernement des fous raisonneurs et sanguinaires qui

exécutent en Russie une œuvre destructive de tous points ana

logue à celle que Guillaume a accomplie dans la Belgique et la


France occupées —
Guillaume, cet autre fou raisonneur...

Si Taalbi n'a pas vu cela, c'est qu'il fut dupé parles mots de
l'idéologie révolutionnaire en contradiction avec la vie, et ces

idéologies décevantes tombant sur un terrain déjà préparé par

les blessures des polémiques, devaient sans doute y


venimeuses

faire naître des fleurs vénéneuses et des fruits empoisonnés.


Taalbi, intellectuellement et socialement parlant, m'a tou
jours paru valoir mieux que la destinée qui lui est faite.
En tous cas, nous sommes en droit de demander qu'on

n'éternise pas cette affaire et que, sous prétexte de la laisser au

Conseil de guerre qui n'est pas pressé, on ne maintienne pas la


Tunisie sous le régime de l'état de siège. Il y a là un abus évi
dent dont la Tunisie tout entière souffre et qui doit cesser au

premier jour !... (1).

III. —
Le travail de la Délégation tunisienne

Ces explications fournies, et qui s'adressent tant aux Fran


çais qu'aux Tunisiens de la Régence, il reste à examiner rapide
ment la situation politique du Protectorat et les améliorations

qu'il importe de faire subir à ses rouages.

Evidemment, certains membres de l'élite tunisienne venus,

(1) Par Décret du 29 mars, sur la proposition du Résident général, S, A.


un

le Bey, de lever l'état de siège. Un article spécifie que les tribunaux et


vient
les crimes et délits dont ils étaient
parquets, militaires continueront à connaître
saisis- Ainsi tomtte l'objection juridique tirée de l'affaire
Taalpi à rencontre de
la levée de l'état do siège. (N. D. L. R.j.

16 —

l'été dernier, en délégation à Paris, avaient été fortement


impressionnés par les réformes politiques introduites en. Tripo
litaine par le gouvernement italien. De là à désirer que la Tuni
sie reçut des institutions analogues et sans doute plus parfaites,
il n'y avait qu'un pas et la Délégation n'hésita pas à le franchir.
Ce n'était pas un crime, tant s'en faut.
Les membres de la Délégation allaient, du reste, au contact
de leurs meilleurs amis de Paris, se rendre compte bientôt que
la Tripolitaine et la Tunisie n'ont rien de comparable et que le
régime politique instauré dans la colonie italienne, outre qu'il ne

répond à aucune préparation préalable de la population, peut


être regardé comme une façade destinée à cacher des déceptions

qu'on ne veut pas avouer.

La Tunisie se présente sous une espèce bien différente.


C'est une association politico-économique tendant à l'amalgame,
sinon à la fusion, et cela pour le plus grand profit des deux
entités rendues solidaires à la fois par les traités, par les circons

tances et par les nécessités. Et c'est pourquoi nous mettons sur

un même plan les intérêts de la population tunisienne et ceux de


la colonisation française. Je m'expliquerai plus loin là-dessus.
Il est donc à l'honneur de la Délégation que. comprenant

mieux les réalités politiques, elle ait élagué de son programme ce

que celui-ci comptait d'excessif ou d'impraticable.


Le vœu politique émis, après discussion approfondie, par le
Comité franco-musulman, réuni en assemblée générale sous la
présidence de M. le Prof. Ch. Gide jriontre cette mise au point.

Après avoir entendu les membres de la Délégation tunisienne,


le Comité d'Action Franco-Musulman de l'Afrique du Nord, siégeant
en assemblée générale, forme le vœu qu'un meilleur équilibre social

soit réalisé dans la régence :

1° Par l'élection des indigènes à la Conférence Consultative,


laquelle devra être remplacée par une Conférence délibérative à attri

butions budgétaires étendues et maîtresse de son ordre du jour,


composée par moitié d'une part de Français et d'autre part d'indi
gènes musulmans et d'israélites tous élus ;
2° Par l'accès des indigènes à tous les postes administratifs à
condition de présenter les garanties intellectuelles et morales requises

chez les candidats français ;



Par l'égalité des traitements des fonctionnaires occupant, à
compétence égale, des fonctions identiques sans qu'il soit fait de
-
in

différences en faveur des européens et au détriment des autochto-'

nés ;

Par la participation des indigènes à l'achat des lots de l'agri
culture et des terres domaniales.

La réforme de la Conférence consultative s'impose dans le


plus bref délai. Si nous en croyons des Français autorisés, cette
institution, dans les formes qui étaient déjà vieillies en 1910-11,
ne jouit plus de la considération de personne en Tunisie. Et,
s'agissant de l'élection des représentants de la population indi
gène, que la Revue Indigène demandait dès 1910, je dirai encore :
avant la guerre, ce n'était qu'une amélioration désirable ; après
4e
cetteguerre, où le régiment de tirailleurs (Tunisie) a remporté
toutes les fourragères, cela devient un droit que l'on ne peut
plus méconnaître !
Le principe inclus dans le texte de ce vœu n'est pas nouveau,
c'est celui de la participation des indigènes à l'administration de
leur pays, sous les conditions voulues et nécessaires de capacité

professionnelle et de moralité. Reconnu applicable en Indochine,


par exemple, il ne saurait être jugé mauvais en Tunisie.
Un autre principe de politique coloniale fit l'objet d'un autre

\œu sur la rédaction duquel la Délégation se montra parfaite

ment raisonnable. Il s'agissait de l'emploi des fonds d'emprunts.

Après avoir entendu la Délégation tunisienne, le Comité d'Action


Franco-Musulman émet le vœu que le Parlement français, avant de

se prononcer sur l'emprunt tunisien projeté, fasse une enquête sérieuse

sur l'opportunité, les modalités de cet emprunt, ainsi que sur l'affecta
tion desfonds en provenant.

ce vœu soit resté sans influence directe sur le vote


Que
même de l'emprunt tunisien, déjà décidé en principe par les
commissions parlementaires, cela a peu d'importance. Mais on

a toutes les raisons de penser que seront modifiées à l'avenir les


pratiques coutumières en vertu de quoi les intérêts économiques
des indigènes n'étaient guère servis que par incidence (\). Déjà un

(Il On relèverait aisément dans les comptes rendus de la Conférence consul


d'avant- guerre en
tative la manifestation de ce qui reste encore des pratiques
matière de travaux publics intéressant spécialement les populations indigènes.

Voici, par exemple, une séance du 14 décembre 1920, à la section indigène. Qu'il
s'agisse de travaux de routes, (achèvements ou réparations), d'édifices publics,

d'hydraulique agricole, d'alimentation en eaux, de travaux de protection contre


les inondations, d'alimentation en eau du Sahel, etc., etc., l'administration
effort de proportionnalité meillëtlfô a été réalisé et les intérêt*
économiques des indigènes disposent aujourd;hui d'un orgâ'

nisme administratif spécial confié à M. Bériel. Nous avons

applaudi à cette création. Elle était nécessaire. Elle sera féconde


en résultats si cet organisme se mêle intimement à toute la vie

administrative du Protectorat où toute cloison étanche doit être


abattue.

Enfin, sur la question toujours actuelle et délicate des


Habous privés, le Comité franco-musulman émit un vœu dont la
formule, écrite après une discussion approfondie, me paraît nette

ment devoir devenir la règle invariable de notre politique en

cette matière.

1° Qu'il ne soit porté aucune atteinte aux droits des dévolutaires


sur les habous privés.
S"
Que des facilités économiques et fiscales soient accordées à
ces dévolutaires pour la mise en valeur des terres en friche qu'ils

pourraient détenir.
3° Que les indigènes tunisiens soient appelés à bénéficier de tous
les avantages du Crédit agricole et autres institutions dont disposent
les colons français.

La question des Habous privés recouvre un problème politi

que et social de doit rester intangible


propriété privée et celle-ci

en Tunisie France. Nous regrettons, comme d'autres,


comme en

que la forme de cette propriété l'expose trop facilement à un


abandon ou à des négligences dommageables à la prospérité gé

nérale du pays et à la prospérité Articulière des dévolutaires.


Mais c'est le cas de répéter ce que le Gouverneur général

Clozel, habitué des paysages tunisiens, disait de la propriété


indigène en Afrique occidentale :

la propriété indigène, quelle que soit sa forme, est une propriété....


Si donc on veut bien rechercher et trouver (ce qui n'est pas
impossible) les méthodes administratives et autres qui per-

ïepousse ou renvoie à plus tard les demandes, faute de crédits, sans néglige?
toutefois d'affirmer sa bienveillance et sa sollicitude. On n'aperçoit pas qu'elle
fasse le moindre effort pour y satisfaire, même s'il s'agit de besoins urgents !
Et si, inquiets de certain projet qui menace de leur enlever une eau d'irri
gation (30.000 hectares) les représentants de Kairouan protestent avec vivacité
contre ce projet, l'administration leur déclare qu'une telle insistance témoigne

d'une défiance inexplicable et semble tourner à une agilatlon inacceptable, fine


telle réponse manque de sel. Il serait plus indiqué de supprimer purement et
simplement le malencontreux projet !
(N. i>. L. B.)
te
{g «a

hieth'ôiit la mise en valoir de ces terres négligées, et ce, par les


dévolutaires eux-mêmes ou leur représentant légal la Djemaâ,
et au profit des dévolutaires, on aura fait tout le nécessaire et tout
le possible pour l'accroissement certain de la prospérité générale.
Tels sont les résultats de la collaboration de la Délégation
tunisienne et du Comité franco-musulman. On peut discuter les
formules trouvées ; on ne peut pas nier les intentions manifeste

ment bonnes.

IV. —
La réforme de la Conférence
Que là Conférence consultative soit bientôt réformée, on le
déduirait aisément de ce fait que M. Flandin, dès son départ en
Tunisie, l'avait mis dans ses projets. Et le Temps le faisait savoir

dans les termes suivants :

Les premiers actes de M. Flandin et ceux qu'il annonce donnent à


penser que l'évolution commencée dans les mœurs atteindra bientôt,

dans la mesure voulue, les institutions.


Il s'agissait d'abord de préparer un programme de reconstruction

qui permît à la Tunisie de renouveler ses forces et son outillage dès le


lendemain de la guerre. Au lieu de réserver cette tâche aux services de
l'administration, le nouveau résident général a eu l'idée de la confier à
cinq grandes commissions, où les chefs de ses services se sont rencontrés
avec des techniciens et des représenlants des corps élus. Dès maintenant,
les résultats obtenus prouvent que la Tunisie était mûre pour cette

innovation. Le résident général n'a eu qu'à se louer du zèle et de la


compétence des hommes auxquels il avait fait appel. Un pas nouveau

vient d'être définitivement franchi dans la direction du régime de la


collaboration.
M Flandin ne fait point mystère que son intention est d'étudier en

outre une réforme de cette représentation embryonnaire du pays qu'est

aujourd'hui la conférence consultative. Cette petite assemblée franco-

indigène ne paraît plus être à la mesure La di de la Tunisie nouvelle.

vision des électeurs français en trois collèges n'assure plus désormais


une exacte représentation du nombre, ni même celle des intérêts, car

les chambres d'agriculture et de commerce se trouvent noyées dans un


flot sans cesse croissant. Quant aux représentants indigènes, tous dé
signés exclusivement par l'administration, ils n'ont avec l'ensemble de
l'élite indigène du pays qu'un lien insuffisant.
Le projet envisagé consisterait à corriger les plus criantes de ces

imperfections, sans pour cela compromettre l'équilibre intérieur du pro


tectorat. En ce qui concerne la colonie française, on paraît songera faire
élire la moitié de ses représentants au suffrage universel, et a réserver

les autres sièges à la représentation des chambres de commerce et

d'agriculture., peut-être à des représentants du travail et de la science.



20 —

Le conseil du protectorat, ainsi substitué à l'organisme actuel, représen


nombre, qu'il ne lui est plus permis d'ignorer, et la
terait à la fois le
compétence, dont l'appui lui est indispensable. D'autre part, sans créer
encore un électorat indigène, on inviterait les divers groupements de

notables, qui constituent l'élite de la société tunisienne, à présenter des


listes de candidats au choix du résident général. Ainsi commencerait
pour les indigènes l'apprentissage de la vie publique.

Une pareille rétorme serait en profond accord avec le génie du pro

tectorat. Il s'agit aujourd'hui, par une série de mesures successives et

sans jamais renoncer à la méthode expérimentale, d'assouplir peu à peu

les institutions d'un pays à la fois vieux et jeune, pour l'habituer à


prendre sa part dans les responsabilités du gouvernement. Qu'un pareil

effort soit plus que jamais nécessaire, en un moment où les impatiences


fermentent de toute part, c'est ce qu'aucun homme de bon sens ne sau
rait contester. La Tunisie résoudra le problème à sa manière. Sur ce

point, comme sur d'autres, il est probable que son exemple pourra ser

vir de leçon.

Et M. Flandin ne faisait, en somme, que reprendre les pro


jets de M. Alapetite, au point où celui-ci les laissait. Car, dès
1910, M. Alapetite envisageait déjà (je le sais pour avoir eu
l'honneur de m'en entretenir avec lui à Tunis) une réforme que

lés événements politiques de 1911-12 et puis la guerre allaient


attarder d'au moins dix ans.

Nous voulons croire que le nouveau Résident général,


M. Lucien Saint, voudra faire sienne une réforme des institu
tions représentatives tunisiennes qui est destinée à exercer une
influence considérable et heureuse sur l'avenir du Protectorat,
Nous avons reçu de sa bouche %s assurances formelles de son
esprit de justice et de sa bienveillance.

"V. —
Les revendications tunisiennes

Il n'est pas indifférent de reproduire ici une lettre adressée

au Temps par M. Tahar ben Ammar. Il serait à souhaiter qu'un

leader tunisien pût se faire lire fréquemment en France. En 1909


et 1910, M. A. Zaouche écrivit ainsi une suite remarquable

d'études qui mirent l'opinion instruite en contact direct avec la


pensée indigène. C'est extrêmement profitable pour tous.
Voici la lettre de M. Tahar ben Ammar.

La vérité sur les revendications tunisiennes


Monsieur le directeur,
Vous avez bien voulu annoncer l'arrivée à Paris et les démarches
auprès de M. le résident général Saint et de M. le président du conseil,

21 —

ministre des affaires étrangères, d'une délégation tunisienne chargée de


présenter au gouvernement de la République un certain nombre de re

vendications.

Nous vous remercions de l'hospitalité que vous avez bien voulu


accorder aux informations relatives à notre mission.

Les Tunisiens savent qu'ils ont dans le journal le Temps un ami.

Et vous pouvez être assuré que la politique indigène, que la France


depuis de nombreuses années a cherché a suivre, et que votre honorable
et puissant organe a défendue, n'a pas été pour peu de chose dans les
sentiments de loyalisme, manifestés k l'égard de la France par les mu
sulmans tunisiens, aussi bien dans le cours des années douloureuses et

troublées de la guerre que dans la sérénité de la paix.


C'est la conviction que les indigènes tunisiens ont en France, k Paris
notamment, des amis tels que vous, fidèles aux traditions généreuses el

libérales de la République, qui nous a permis, k nous et k tous nos com-

patrioles, de supporter avec patience un régime que cependant nous ne

sentions plus en harmonie avec vos traditions. Toutes les erreurs, toutes
les lacunes de l'administration n'ont jamais réussi k nous faire désespé
rer de la France. Et c'est le sentiment de gratitude profonde que nous

éprouvons pour notre seconde patrie qui nous autorise k formuler libre
ment, loyalement, nos nouveaux espoirs.

C'est la pleine confiance que nous avons en votre amitié et en votre

esprit de justice qui nous incite k vous exposer la stupéfaction doulou


reuse qui s'est emparée de nous, lorsqu'au cours de, nos visites nous

avons pu constater que, dans une certaine mesure, quelques-uns étaient


prévenus contre nous, nous attribuaient gratuitement des sentiments

d'hostilité k l'égard de la France.


Il ne nous a pas été caché que dans certains milieux, ceux que l'on
a pris l'habitude d'appeler « les jeunes-tunisiens étaient simplement
>•

considérés ou bien comme les agents de l'étranger ou bien comme les


instruments d'un nationalisme étroit et intransigeant, sinon les uns et

les autres.

Les renseignements défavorables fournis sur notre compte par des


adversaires dont la bonne foi toujours été surprise, n'ont pas été
n'a pas

sans trouver des échos dans l'opinion française. Et c'est là, pour nous,
le point douloureux.
En réalité, le parti « jeune-tunisien » n'existe pas. Et les aspirations

qui vous sont exprimées se retrouvent dans tous les cœurs tunisiens.
L'accord est complet dans la population indigène de la régence. Ceux que
l'on range arbitrairement dans une catégorie « jeune-tunisien » sont

tout simplement ceux qui par leur instruction, leur situation sociale,
sont les porte-parole de la collectivité.

Cet état de choses s'est fondé automatiquement, le jour où, grâce à


la France, nous avons pu profiter de l'enseignement de vos maîtres,

fréquenter vos écoles, apprendre sur les bancs de vos facultés les grands
- 22-

principes de liberté et de justice qui doivent être à la base des institu


tions modernes. L'esprit critique, le bon sens, l'amour de la discussion,
la poursuite du progrès dans tous les ordres, politique, économique et
social, toutes ces qualités fondamentales de l'esprit humain, de l'esprit
moderne, nous les tenons grandement de vous. Et nos yeux largement
les fixés éton-
ouverts par vos méthodes et vos leçons, nous avons avec

nement et douleur sur le régime qui nous est imposé au nom de la


France.
Cette influence de la France qui s'est exercée sur nous en dehors de
l'intervention de l'administration du protectorat s'est fait sentir jusque
dans nos établissements d'instruction strictement indigène, notamment
la grande mosquée de Tunis, et elle a contribué à l'évolution des esprits.

Nous avons alors journaux les protestations que


balbutié dans nos

le régime auquel nous étions soumis éveillait en nos cœurs. Nous


avons, comme on le fait en France, essayé par des réunions publiques,
par des démarches collectives auprès des autorités, de faire entendre au

gouvernement de la régence nos aspirations nouvelles, nées au contact


de l'influence française, fécondées pour ainsi dire par l'exemple des li
bertés françaises manifestées au milieu de nous. Plusieurs d'entre nous
ont été l'objet de mesures rigoureuses et même arbitraires pour avoir

pris cette initiative et accompli cet effort

Nous espérions que notre loyalisme tout spontané, pendant la


guerre, aurait fait définitivement tomber les préventions établies k notre
égard. Nous avons, aussi largement que la France l'a demandé, l'a
voulu, consenti sans regret les sacrifices d'hommes et d'argent exigés
par les circonstances. Il nous est fait grief, dans certaine presse, et dans

certains rapports officiels, d'une propagande ennemie dont nous n'avons

connu l'existence que par ces rapports et par cette presse.

La sincérité de notre attachement Éia France, est affirmée par la


loyauté de notre attitude. Comment se fait-il qu'aujourd'hui encore
nous ayons knous défendre contre l'accusation d'être sous l'influence

des agents de l'ennemi ? Et cette accusation, comment nous est-il


possible de la combattre aussi longtemps qu'elle n'est étayée d'aucun
fait précis et facile k démontrer ?
Et savez-vous pourquoi nous sommes voués k la méfiance publique,
quelquefois même dénoncés comme les instruments des ennemis de la
France? Parce que nous réclamons des garanties et des réformes.
Nous demandons la protection de la loi écrite pour la liberté assurer
de nos personnes etle respect de nos biens, contre le caprice d'une admi
nistration irresponsable. Nous demandons une participation k l'adminis
tration de notre pays, le contrôle du budget que nous payons, l'accès,
dans des conditions de compétence intellectuelle, technique et morale à
déterminer, k des de chaouches et d'interprètes.
charges autres que celles
Nous demandons une Chambre délibérative élue au suffragfl uni
versel ou, a défaut, au suffrage le plus large, à condition d'en assurer

23 —

l'indépendance complète vis-à-vis de l'administration-, où siégeraient, en


nombre égal, Français et Tunisiens, dans une collaboration permanente,
pour que les Français profitent de notre expérience et pour que nous
profitions des expériences des Français.
Nous demandons un gouvernement responsable devant cette Chambre
pour tout ce qui concerne les affaires d'ordre intérieur.
En un mot, nous demandons des garanties constitutionnelles basées
sur le principe de la séparation des pouvoirs qui nous permettent d'évo
luer normalement et harmonieusement dans le sens du progrès.
Comment la Tunisie évoluerait-elle,
se développerait-elle, si la
France la maintenait sous la direction de bureaux enclins k l'inertie,
seule

partisans du moindre effort, hostiles aux initiatives les moins auda


cieuses ?
Nous demandons, avant tout et par-dessus tout, le développement de
l'instruction publique. Nos compatriotes laissés dans l'ignorance, ne
sont plus armés pour la lutte de la vie moderne. Et c'est d'ailleurs cet

état d'infériorité, très profitable k quelques-uns, qui enchante nos adver

saires et fait qu'ils s'élèvent avec violence contre notre intervention. Mais
la France nous a placés, par la fatalité d'une loi historique, en présence
d'une situation nouvelle qui exige ou notre disparition ou la transfor
mation de nos cerveaux et de nos cœurs. Veut-elle notre fin? Nous ne le
croyons pas. Qu'elle nous donne alors les armes nécessaires à la mêlée
au milieu de laquelle sa protection nous a jetés. Qu'elle nous donne
largement l'instruction littéraire, scientifique, professionnelle, sans
laquelle nous sommes voués à un état perpétuel d'infériorité jusqu'au
dernier jour 'de notre race. Qu'elle prépare en nous un peuple d'adultes,
un peuple majeur qui sera, comme dans une même famille, le frère du
peuple français. Nous vous rendrons au centuple, par l'activité de nos

facultés ainsi multipliées, ce que vous nous aurez consenti, de patients

efforts et d'inébranlable confiance.


C'est là tout le fond de notre cœur.

Et nous aurons, monsieur le Directeur, contracté envers le Temps


une nouvelle et inoubliable dette de reconnaissance, si, par la publication
de cette lettre, vous voulez bien contribuer à dissiper le malentendu né

autour de nous et dont il convient d'empêcher la Tunisie de souffrir plus

longtemps.
Veuillez agréer, etc.
Pour la Délégation tunisienne, le président,
TAHAR BEN AMMAR.

Le Temps publiait peu après les réflexions suivantes qui,


sur tant de points, concordent avec les nôtres.

La question tunisienne
La délégation tunisienne, qui était venue faire connaître les revendi

cations de la population de la régence, quitte Paris, retournant à Tunis.



24 —

On a pu lire, dans le Temps du 30 janvier, la lettre pleine de mesure et

de dignité que nous a adressée son président M. Tahar ben Ammar.


Même auprès de ceux qui ne partagent pas toutes les idées défendues par

la délégation, cette lettre devait faire justice de certaines préventions et

éclairer d'un jour nouveau la question tunisienne.


Que demande M. Tahar ben Ammar ? Que demande cette délégation,
qui ne paraît guère rencontrer de parmi les musulmans
contradicteur^
de la régence?

D'abord des garanties d'ordre civil. Le régime de protectorat, si

excellent sous d'autres rapports, a eu jusqu'à présent pour effet de per


pétuer, sous la fiction de l'autorité beylicale, la confusion des pouvoirs.
La Tunisie vit sous le régime des décrets. En matière de justice indi
gène, les magistrats ne sont que des commis au service de l'administra
tion. Quelque progrès qui ait pu être réalisé à cet égard sous l'impulsion
de résidents éclairés, il reste beaucoup k faire pour que la Tunisie soit

délivrée de ces abus et placée sous la protection de la loi écrite.


Les Tunisiens demandent ensuite les droits politiques sans lesquels

il leur impossible de faire écouter leur voix pour la défense de leurs


est

intérêts. A l'heure actuelle, il est fâcheux de constater que ni k la con


férence consultative, ni dans les conseils municipaux, on rie rencontre
un seul élu indigène. Le cas est désormais unique dans toute l'Afrique

du Nord. Les Tunisiens voudraient qu'on leur accordât une représenta


tion élue, sinon au suffrage universel, du moins au suftrage le plus
large. Comme les Français de la régence, ils voudraient d'ailleurs que la
conférence, au lieu de demeurer consultative, devint délibérative et
qu'on instituât ainsi dans une certaine mesure la responsabilité du gou
vernement.

Sur ce second point une précision s'impose. Les Tunisiens ne de


mandent point que la conférence, déA-mais composée en nombre égal
de Français et d'indigènes, reçoivent cres pouvoirs qui puissent compro

mettre soit la souveraineté l'autorité du résident général.


française, soit

Ce qu'ils réclament, c'est le droit de contrôler le budget dont les ressour


ces sont fournies dans la proportion de neuf dixièmes par la population

indigène. C'est encore le droit d'intervenir dans les questions d'ordre in


térieur et pour ainsi dire local qui intéressent leurs commettants.
Troisième revendication :'les écoles. Sur 2 millions de Tunisiens, on
ne compte, selon eux, que dix mille élèves indigènes dans les écoles eu

ropéennes. Comme les musulmans d'Algérie, ils se plaignent qu'on em


ploie parfois à la satisfaction d'intérêts moins importants les crédits qui

pourraient être affectés au développement de l'enseignement.

Enfin ils voudraient encore qu'on ouvrît largement aux indigènes


qualifiés l'accès des fonctions publiques et qu'on cessât d'avantager ex

clusivement les fonctionnaires français. Ils voudraient de même que les


indigènes fussent admis à participer k l'achat de lots de colonisation et
font observer que la politique actuelle, qui crée en faveur des acheteurs

25 —

français un véritable privilège, a eu pour résultat de développer avant

tout la colonisation italienne.


Telles sont leurs revendications essentielles. Il était nécessaire de
les énumérer pour que tout Français de bonne foi pût se faire une

notion exacte d'un programme qui a été faussement et maladroite


ment présenté par certains comme l'œuvre d'hommes hostiles k la
France.
Car la vérité est tout autre, et ce ne seront ni les polémiques pas
sionnées, trop fréquentes en terre africaine, ni certains rapports de po
lice indignes d'une administration sérieuse qui réussiront k donner le
change à cet égard. Quelles qu'aient pu être les incartades de tel ou tel
individu, dans son ensemble le mouvement dont il s'agit ne vise k rien

de déraisonnable et n'est nullement antifrançais. Par une circonstance


bien digne d'être soulignée, il se trouve au contraire qu'au lieu de revê
tir comme ailleurs une forme nationaliste et xénophobe, cet effort vers
l'émancipation se traduit en Tunisie par un appel confiant adressé k la
France. Il n'est pas de Tunisien intelligent qui ne sente que l'intérêt de
sa petite patrie est de demeurer étroitement unie k la grande et libérale
puissance qui s'est chargée de protéger sa destinée. Tout ce qu'il de
mande, c'est qu'on lui fasse une place dans la cité française.
Mais pour tout homme de bon sens, la conclusion s'impose. Il est
indispensable l'on donne promptement, non pas au parti faussement
que

dénommé jeune-tunisien, mais k la population indigène de la régence,


les satisfactions légitimes qu'elle est à peu près unanime k réclamer, et
qui, si elles doivent mettre fin à certains privilèges totalement injusti
fiés, auront pour résultat incomparable d'intéresser tons les Tunisiens
au maintien dn protectorat. Le peuple tunisien a du cœur. Il dépend au

jourd'hui de nous qu'il se sente attaché k la France par d'autres liens


que ceux de la contrainte.

Telle paraît être d'ailleurs la conviction de ceux qui ont actuellement

la charge des destinées de la Tunisie. M. Saint, le nouveau résident gé

néral, a marqué à plusieurs reprises son désir d'entrer en contact avec

les porte-parole des Tunisiens et de faire prochainement droit à certai

nes de leurs revendications. On se bornera k regretter qu'il n'ait pas en

core trouvé possible de lever l'état de siège que subit encore la Tunisie.
A en croire d'éminents jurisconsultes, pareille mesure né saurait être
prise sans inconvénient avant la fin du procès intenté en conseil de
guerre au pamphlétaire tunisien Taalbi. S'il en est ainsi, il est tout au

moins permis de souhaiter que ce procès prenne fin au plus vite et que,
pour un cas individuel, on ne juge pas indispensable d'imposer indéfini
ment un régime d'exception a toute une communauté.

Que la pensée tunisienne, dans


ses aspirations, soit sans

esprit d'hostilité la France, en voici une autre preuve en


envers

passant. Je la trouve dans, la conclusion du rapport sur la ques-


à

26 ~

tion des Habous présenté par la Délégation tunisienne au comité

franco-musulman :

«.... En dehors du droit contestable qu'a l'Administration tunisienne


de s'emparer des habbous, nous pouvons nous demander quel usage il
en est fait. Si c'est pour les besoins supérieurs d'une colonisation intense,
nous y souscrirons volontiers ; encore faut-il connaître que les habbous
ne restent point incultes et n'échappent guère lois fiscales. Mais,
aux

Nous voyons ainsi des terres


s'

hélas ! il ne agit que de la spéculation.

passer par plusieurs mains au bout de cinq ou six mois seulement et

rester en friche pendant des années.

C'est là l'indice d'une politique qui tend à déposséder l'indigène au

profit de gros spéculateurs et à le le désert


refouler de plus en plus vers

ou k l'obliger à fournir de la main-d'œuvre à vil prix. Déjà les 3/4 des

terres cultivables de toute la Tunisie sont détenus par des colons dont le
nombre ne dépasse pas 1.274 !
Enc-re si tous ces colons étaient Français ! Mais la plupart sont des
Maltais ou des Italiens. On ne comprend plus dès lors qu'on favorise
l'étranger dépens de l'indigène, voire même
aux du Français
Il est temps que la Tunisie soit exclusivement française et elle le

serait d'autant plus que les indigènes collaboreront davantage avec des
agriculteurs français et pratiqueront, selon le mot de M. Bourdarie, la
« colonisation de leur pays ».

J'ai souligné les passages qu'il fallait pour l'édification du


lecteur. Mais ce n'est pas pour le plaisir de voir citer une formule
née sous ma jplume que j'ai reproduit cette conclusion. C'est
simplement parce qu'elle me conduit à des considérations nou

velles qui me paraissent devoir fixer l'attention à la fois des


Tunisiens et des Français de TuAie.

"VI. —
Les règles de l'évolution tunisienne

L'évolution de la Tunisie indigène peut-elle et doit-elle être


exactement calquée sur l'évolution de l'Algérie indigène ? Je ne
le crois pas. Le statut politique des deux pays est trop différent.
Ici, un régime de protectorat, dont chacun peut penser ce qu'il
veut, mais qui est un fait ; là, un régime d'annexion et d'assimi

lation. D'un côté un cadre extrêmement réduit de grande coloni

sation ne remontant pas encore à un demi-siècle ; d'un autre

côté , une colonisation extensive qui aura bientôt un siècle


d'efforts et des résultats en proportion.

En Algérie, pas un coin, pour ainsi dire, que le colon fran


çais n'ait arrosé de sa sueur ; en Tunisie, des centres importants
et nombreux entièrement indigènes....
-
27 -

Est-ce â dire que l'évolution de la Tunisie devra aller avec


une extrême lenteur, tandis que celle de l'Algérie irait rapide
ment aux réalisations que nous travaillons à préciser un peu

mieux tous les jours ? Nullement. Elles se font et doivent se

faire par des moyens différents.

En où l'enchevêtrement est complet des profes


Algérie,
sions et des intérêts sur les fondements d'une instruction
distribuée à tous les degrés, l'évolution de la population est
fonction des progrès politiques qu'elle accomplira d'abord
sur elle-même et qui seront ensuite consacrés par des lois-
En Tunisie, où l'instruction est encore si peu répandue,
où les intérêts sont encore catégorisés par origines raciales,
révolution estnettement fonction des progrès économiques

et sociaux, restant entendu que le progrès politique sera


jusqu'à nouvel ordre, amplement assuré par la réforme de la
Conférence consultative et la participation de l'élite à l'admi
nistration du pays.

En somme, ce n'est pas autre chose en Tunisie que la systé

matique recherche de ce que, en Algérie, ont produit le temps


et le nombre. Une administration et un gouvernement conscients

de l'avenir peuvent se donner un tel objectif : ils seront dans


leur rôle.

Or, comment peuvent être le mieux réalisés les progrès éco


nomiques et sociaux de la population indigène, si ce n'est dans
le cadre de la colonisation française, qui est un fait à la fois
politique, économique et social, et qui, quelles que soient les
justes critiques qu'on peut lui adresser —
la Revue Indigène a su

rédiger les siennes —


n'en est pas moins une colonisation de
haute qualité?

C'est bien là la pensée exacte des rédacteurs du rapport sur

la question des habous, dont je citais plus haut la conclusion —

il n'y a qu'à relire celle-ci pour s'en convaincre. Et c'est avec

une grande justesse de touche qu'ils ont mis en parallèle la colo

nisation étrangère et la colonisation française en Tunisie. De


l'une ils semblent redouter bien des maux qu'ils craignent de
seulement énumérer. De l'autre, ils paraissent ne craindre aucune
atteinte mortelle à la race et ils sont prêts à lui consentir de nou

veaux et plus grands avantages. Ceci méritait d'être fortement

souligné !
Mais, puisqu'il en est bien ainsi —
faits et textes le prouvent

<—
je me sens bien près de la vérité, quand je formule la proposi-
- 28-

tion de voir les Tunisiens coloniser leur pays aux mêmes titres et

sur le même plan que les Français...


Qu'il y ait une colonisation indigène, c'est aujourd'hui à peu

près unanimement reconnu et accepté en France. Cette expres

sion, dont la Revue Indigène peut, je crois, revendiquer la pater


nité, a été récemment consacrée par son emploi dans un article

du Temps. Alors donc, il y a en Tunisie : des colons français et

des colons indigènes, et qui seraient également menacés dans


leurs intérêts d'associés par une colonisation italienne dont l'im
portance est rendue peut-être plus inquiétante par les stipula

tions du Covenant wilsonien. >

Voilà une vérité politique, économique et sociale qui semble

avoir été aperçue par nos amis Tunisiens, qui n'a peut-être été
qu'à peine devinée par la masse des colons français et qui, en
tous cas, est parfaitement méconnue par les spéculateurs en mal
de terres à vendre et à revendre et par ceux qui, sous leur inspi
ration plus ou moins consciente ou avouée, promènent dans leurs
écrits la population ou la race d'injures en suspicions.

Colons français et colons indigènes ? Alors, une meilleure

adaptation des services administratifs et une meilleure réparti

tion dans l'emploi des fonds du budget dont la plus forte partie
est payée par les seconds.
Colons français et colons indigènes : les premiers lancés à
la recherche active et intelligente de tous les progrès scienti

fiques et économiques et aptes à servir de guides aux seconds

attardés dans leurs pratiques héj^ditaires...


Colons français et colons i^ligènes ? Alors une véritable

collaboration économique et sociale, également profitable aux


uns et aux autres, sur quoi l'on puisse asseoir, l'une après l'autre,
quand leur heure sera venue comme est venue l'heure de la
Conférence, toutes les réformes politiques et administratives

désirables...
Une collaboration économique et sociale telle que l'a conçue

et pratiquée depuis 20 ans M. de Warren, aujourd'hui député.


C'est là une œuvre que j'ai regardée de près et qui me paraît

de nature à singulièrement faciliter l'évolution de la Tunisie en

la préparant à recevoir successivement tous les progrès dési


rables.

Que dans chaque bled, colons et indigènes travaillent


ensemble dans toutes leurs organisations professionnelles ;
qu'ensemble ils recherchent ou expérimentent les améliorations

29 —

de la culture, de l'élevage, des industries agricoles ; qu'ils se


fassent mutuellement crédit : le résultat immédiat et palpable
sera l'enrichissement de tous et de chacun.
Que Français et
Tunisiens se rencontrent dans les œuvres de
mutualité, d'assis
tance et de
bienfaisance, une compréhension réciproque. plus
grande en découlera nécessairement. Et que de la collaboration
agricole on passe, dans toute l'étendue de la
Régence, à la colla
boration économique et sociale dans tous les ordres de l'activité
locale, il ne faudra pas dix ans pour que des changements consi
dérables soient constatés dans la situation politique du pays à
;
partir de ce jour-là, bien des réformes seront devenues possibles
qui, aujourd'hui, tomberaient à vide. La collaboration politique
naîtra le plus naturellement du monde de la collaboration
économique
et sociale. De l'une à l'autre il y a relation de cause à effet.
Disant ces choses, je ne fais aucune concession aux thèses
du colonat exclusif, car ce n'est pas de Carnières qui a fondé
l'Association agricole. Celle-ci a pour pères Marc de Bouvier et
Edouard de Warren, et le polémiste tunisien défunt ne fit
risette à cette création dans les dernières années de sa vie que
parce qu'il y voyait une force contre laquelle se briseraient ses
théories désuètes ; il préférait composer avec elle, sinon même
tenter de l'annexer.
J'ai là sous les yeux un télégramme adressé à M. de Warren
après son récent voyage en Tunisie. C'est un texte intéres
sant :

Les colons de Béja remercient cordialement l'Association agricole


de sa visite k ce grand centre agricole tunisien.
Les agriculteurs indigènes remercient M. de Warren de ses senti
ments généreux en faveur de l'idée d'association manifestée de façon tan
gible par la voix de la coopération et de la mutualité agricoles.

Les colons et fellahs unis vous prient de continuer vos nobles efforts

pour défendre au Parlement les intérêts franco-tunisiens agricoles

indissolublement joints.
Signé : Faure, père Hugon, Rahman Rahaime, membres de la
Conférence consultative, Gague, président de l'Association des colons,
Amor. Rajghi, membre de la chambre agricole indigène (1).

(!) Lors de la grande assemblée au Trocadéro des Associations d'anciens


combattants, M. de Warren devait conduire la Délégation tunisienne qui se
composait de trois colons et de trois indigènes venus de Tunisie pour cette
circonstance ; ce fut M. de la Charrière qui le remplaça.
-
30 -

Il va de soi que la contrepartie nécessaire d'une telle œuvre


généralisée et systématiquement conduite doit être faite par

l'élément le plus bruyant de la colonie française et qui se trouve


être le moins nombreux. Il lui faut modifier son état d'esprit et
amender ses procédés de discussion. Doivent disparaître les
préjugés de race, d'origines, d'intellectualité et de moralité. C'est
une besogne malsaine que de les entretenir pour la satisfaction

d'intérêts mesquins ou de sentiments d'amour-propre ina


vouables.
Une personnalité tunisienne importante, d'origine française,
me disait récemment : « N'allez pas trop vite ». Je la sais animée
des meilleures intentions et capable d'exercer une action utile
et bonne. Je lui répondis simplement : « Je vous promets
d'aller un peu moins vite si vous me promettez d'aller vous-

même un peu plus vite ». Ma réponse fut parfaitement comprise

et acceptée.

Tout l'essentiel de la discussion sur la question tunisienne


revient à ceci : il est dans la destinée de la Tunisie de marcher
dans les voies de la France sans avoir du reste rien à perdre de
ce qui constitue sa personnalité propre. Les Tunisiens instruits
savent parfaitement que, dans les temps modernes, les peuples
trop faibles numériquement ont avantage à se lier à de fortes

nationalités. Et je suis bien assuré que leurs préférences vont

d'instinct à la France. Que leurs esprits et leurs cœurs soient tou


chés au plus profond par ce qui se passe dans un pays d'Islam
assez proche, l'Egypte, et où les dés A d'indépendance ont toujours
été soutenus par la France, comme ils le sont aujourd'hui même
parla Revue Indigène, je suis homme à le comprendre. Mais il
est une chose que les Tunisiens comprennent de leur côté, c'est

que si la Tunisie échappait à la tutelle de la France, ce serait

pour tomber aussitôt sous la tutelle de l'Italie ou celle de...


l'Allemagne quand celle-ci aurait retrouvé sa force. Et, dans ce

dernier cas, ce seraient d'autres procédés de colonisation que les


nôtres !
Non, restons fidèles à cette conception qui n'est ni une rêve

rie, ni une impossibilité : un Empire franco-barbaresque tenant


les deux rives de la Méditerranée, possédant tous les éléments
d'une force qui ne sera pas agressive, d*une richesse qui ne sera
point égoïste, et dont la Tunisie, l'Algérie ot le Maroc seront les
trois grandes régions africaines marquées aux sceaux conju

gués de la Chrétienté et de l'Islam. C'est une construction poli-



31 -

tique qui s'édifie chaque jour et dont les éléments apparents font

déjà l'admiration du monde, en même temps qu'ils constituent


de solides piliers pour la paix et le progrès de l'humanité.
Veuillent les bons ouvriers des deux races parentes y tra
vailler à côté de nous.

. <H>
aœ^

L<a nouvelle Indochine

L'expression est-elle trop forte ? Je ne le pense pas. Qu'un


journaliste colonial comme A. de Pouvourville, écrivain combatif
et polémiste adroit, par qui les affirmations ou les thèses de la
Revue Indigène ont été maintes fois prises à partie avec un brio
qui, heureusement, n'emportait pas le fonds, ait dû, non pas
faire amende honorable, mais reconnaître son défaut de perspi
cacité spéciale ou son erreur de diagnostic politique, c'était déjà
un signe intéressant...
Mais qu'un gouverneur général, M. Maurice Long, d'accord
avec son prédécesseur, M. A. Sarraut, ministre des colonies, ait

pu présenter et faire voter au Parlement un projet d'emprunt


local, et qui est, à proprement parler un emprunt indigène, cela

cJest un signe décisif.


,
C'est un chapitre nouveau de l'histoire de l'Indochine qui

s'ouvre, car un tel fait porte en soi ses conséquences et ses

développements.
Le point de départ est de l'ordre économique : exécution d'un
tronçon de la voie ferrée Hanoï-Tourane. L'aboutissement sera
de l'ordre politique : c'est un début d'autonomie financière,
faisant présager, dans un temps plus ou moins proche, une auto*

nomie plus large et plus complète.

Ici, les données financières proprement dites ne nous inté


ressent habituellement que par la voie indirecte des répercussions

politiques ou sociales. Il doit donc nous suffire de donner le texte


du projet de loi en 6 articles qui avait été préparé par le ministre

des Colonies et le Gouverneur général.

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