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La diversité a l’épreuve d’une entreprise internationale

de SAINT SAUVEUR Muriel

muriel.de-saintsauveur@mazars.com

Mazars est un groupe offrant des services financiers aux entreprises et réunissant 15 000
collaborateurs. Présent dans 76 pays, Mazars a longtemps vécu entre hommes sans se poser de
questions sur les femmes et leurs éventuelles difficultés à pouvoir et vouloir faire une carrière.
Le sujet a été identifié il y a maintenant plus de 10 ans lorsque des chiffres ont montré que le
nombre de femmes dirigeantes n’atteignait que 9% mais surtout que les femmes partaient
entre 30 et 35 ans. A partir de ce moment le sujet est devenu stratégique placé sous la
responsabilité du président. Perte d’argent, perte de talents, risque d’image, et manque de
créativité, les arguments ont été entendus. Les actions mises en place ont porté sur deux
thèmes, l’égalité entre les femmes et les hommes, non négociable pour tous les pays et le
management des différences, laissé au choix de chacun. 10 ans plus tard, si le pourcentage de
femmes dirigeantes est passé de 9 à 14%, il n’en demeure pas moins que le sujet est perçu
comme étant beaucoup plus complexe. La révolution que connait aujourd’hui une entreprise
lorsqu’elle accueille de plus en plus de femmes, de jeunes de la génération Y et un personnel
connecté partout entraîne bien plus qu’une simple gestion des Ressources Humaines. C’est
une réorganisation de l’entreprise qui est nécessaire, induite par une nouvelle notion du travail
demandée par les femmes et les jeunes - flexibilité, hiérarchie horizontale, mélange vie privée
vie professionnelle etc…- et qui dépasse la simple notion de diversité. L’interculturel imposé
par le mélange de générations, d’origines, de cultures, de langues (Anglais, chinois, arabe)
oblige à travailler sur les stéréotypes et les notions que chacun et chacune portent en soi sans
en avoir conscience. Un long travail mais dont la prise de conscience est en marche.

La diversité à l’épreuve de l’internationale

Introduction

Mazars est une organisation d’origine française, qui a vécu une forte croissance ces vingt
dernières années pour affirmer aujourd’hui sa présence dans 73 pays avec 15 000
collaborateurs. Lorsque je suis entrée chez Mazars pour créer la direction de la
communication en 1993, il y avait une seule femme associée. Les métiers d’audit, de conseils
financiers, de conseil juridique et fiscal nécessitent une implication très forte et peu de
femmes souhaitaient y faire carrière. En 2005, j’ai regardé de plus près la situation des
femmes, 9% d’entre elles étaient en position d’associées, 5 dirigeaient un pays alors que les
recrutements étaient devenus pratiquement égalitaires. Que se passait-il ? Les analyses que je
menai montrèrent un départ massif des femmes entre 30 et 35 ans pour rejoindre une autre
entreprise. La Direction de Mazars comprit mon message, nous perdions des talents, de
l’argent, nous n’étions pas attractifs, et sans diversité nous ne serions pas innovants. Le sujet
est devenu stratégique et a été placé sous la responsabilité du Président, qui attendait de ma
part un plan d’actions à diffuser dans 73 pays.

1.1. Etablir un plan d’actions pour 73 pays et donner un cadre théorique

Je proposais donc un plan avec une première difficulté, celle de retenir ce terme dont les
significations étaient fort différentes suivant les pays. J’ai rapidement rédigé une stratégie
basée sur deux axes : l’égalité femme/homme, un sujet non négociable et qu’il était facile
de mesurer et donc d’évaluer, et le management des différences. Ce terme a été choisi aux
regards des difficultés à sélectionner des objectifs parmi les 18 critères que la France
incluait sous le terme diversité et parce que je souhaitais impérativement ne pas nous
enfermer dans du communautarisme. Mon postulat a été « Nous sommes tous
différents », mais nous avons quand même décidé de travailler sur le handicap, les
différences d’origine, l’équilibre vie privée vie professionnelle, et l’âge. Intégrer le sujet
de la religion a été refusé dans ce groupe d’origine française, attaché à la laïcité. On a vu
alors certains bureaux soutenir les handicapés, d’autres les LGTB, ou les origines
ethniques. Et pour partager les bonnes pratiques, un Comité a été créé, sachant que chaque
pays devait désigner un correspondant sélectionné sur la base de son engagement et non
de sa fonction.

1. 2. Donner une visibilité au leader et à l’équipe pour convaincre

Une organisation présente dans 76 pays ne peut légalement obliger ses bureaux à mettre
en place des actions relevant de lois nationales mais il lui est possible d’inciter,
d’encourager et de partager les meilleures idées. La mise en place d’une stratégie diversité
obéît selon moi à quelques principes. Le thème doit être positionné au plus haut niveau.
Le président de Mazars en est ainsi devenu le leader pendant que j’en prenais la
responsabilité. La stratégie doit être comprise afin que tous prennent conscience des
objectifs. Notre président a décidé de choisir la diversité comme l’un des thèmes abordés
lors de la grande réunion annuelle des dirigeants. Je suis aussi convaincue que c’est en se
confrontant à ses clients que l’on comprend très vite les périmètres d’une problématique.
C’est pourquoi nous sommes devenu sponsor du premier « Womens Forum » crée par
Aude de Thuin à Deauville en France et ainsi Mazars a réalisé l’importance de la
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diversité. Nos grands clients y étaient présents avec leurs présidents qui visiblement
étaient tous concernés. Ce fut une étape essentielle.

1.3.Sensibiliser l’interne et produire des guides pratiques

Faire partie des groupes de réflexion ne suffit pas s’il n’y a pas une communication
interne efficace. Des réunions furent organisées, les deux premières ayant eu un impact
important. L’une réunissait notre président et des femmes associées qui lui démontrèrent
très vite, exemples à l’appui, qu’elles n’étaient pas nommées sur les grands comptes,
qu’aucune d’entre elles ne dirigeait une unité importante, et qu’elles étaient soumises à de
fortes discriminations machistes. Sans agressivité, certes, mais les plaisanteries et les rires
obscènes lors de multiples réunions leur devenaient insupportables. La seconde réunion
réunissait des femmes managers qui après quelques hésitations timides finirent par
expliquer comment la gestion des congés de maternité était due aux hasards des équipe. Il
n’y avait aucun processus. C’est suite à cela que nous avons commencé à travailler sur le
congé de maternité. Lorsque l’on constate dans notre dernière enquête portant sur 2500
femmes de 3 générations dans 108 pays que 55% d’entre elles avouent que la maternité est
toujours un frein à leur carrière, on réalise que les progrès sont encore trop lents. Nous
avons rédigé un guide décrivant les droits et devoirs de la femme et de l’entreprise et que
nous avons envoyé dans les pays. Il conseillait une certaine ouverture et transparence des
deux parties, et engageait les femmes à se sentir responsable tout comme leur patron.
Certains pays l’ont traduit, d’autres en ont créé un plus local, certaines femmes l’ont
utilisé dans des moments délicats. Un deuxième guide a porté sur la parentalité, suivi
d’un troisième portant sur notre engagement en matière de diversité.

1.4.Former les femmes est-ce de la diversité ?

Lors de notre engagement, une enquête interne avait été lancée pour évaluer les souhaits
du personnel sur la gestion de la diversité. Les réponses montraient des clivages entre les
sujets proposés, celui de l’égalité des sexes étant cité le plus souvent, mais les avis des
femmes elles-mêmes divergeaient ? Certaines considéraient que pour faire carrière les
formations spécifiques étaient essentielles alors que d’autres considéraient être aussi
compétentes que les hommes et dévalorisées par ces soutiens. Difficile dans ce cas de
faire un choix. Un réseau de femmes sur internet fut néanmoins crée réunissant femmes
associées et managers et offrant une plateforme d’échange. Et des formations extra
entreprises ont été menées dans certains des pays européens. Formation et mentoring pour
les femmes mais aussi formation à la diversité pour le personnel. Au-delà de ces premières
actions donnant une visibilité tant en interne qu’en externe à la prise de position de
l’entreprise, la seconde étape tout aussi cruciale, consiste à travailler avec les Ressources
Humaines afin d‘évaluer les procédures du Groupe et déterminer pourquoi les femmes ou
des personnes différentes de la majorité sont systématiquement stigmatisées. C’est un
énorme travail consistant à s’assurer que les critères de recrutement, d’évaluation, de
formation, de sélection des leaders n’obéît pas à des réflexes stéréotypés. Les documents
et les étapes sont revus et adressés aux pays. La mise en place est moins facile car
difficilement contrôlable. La gestion de la diversité ne peut se passer des Ressources

Humaines, car ce sont elles qui appliquent les directives. Mais selon les stratégies des
entreprises française, on constate que les termes utilisés et les périmètres d’action sont très
divers, certains incluant dans la diversité l’égalité des sexes, d’autres en faisant un thème à
part entière, d’autres encore intégrant ce sujet à la responsabilité sociale ou à la qualité au
travail. L’essentiel reste le rattachement à un poste de direction et l’implication du
responsable, quel que soit son positionnement. Mais en tous les cas les femmes ne font pas
partie de la diversité, c’est un sujet à part entière même si on le traduit en anglais par
« gender diversity ».

1.5.Porter le sujet à l’externe : Des études pour réfléchir et comprendre les


différences culturelles

Prise de position du leader, stratégie et objectifs, communication interne et externe,


processus des ressources humaines remis à plat, que manque-t-il à cette stratégie ? Des
objectifs chiffrés pour évaluer les progrès. Chez Mazars, le groupe n’a pas souhaité les
afficher et c’est certainement dommage. Mais surtout la diversité est un sujet clivant car
chaque personne réagit en fonction de sa culture et de son environnement. Pour
convaincre, il faut expliquer. C’est la raison de la rédaction de mon premier livre, résultat
des interviews de 100 femmes dans 33 pays pour comprendre ce qu’elles changeraient
dans l’organisation du monde si elles avaient le pouvoir. Edité chez l’Archipel et traduit
en 4 langues (français, anglais, chinois et russe), ce livre m’a permis de rencontrer de
nombreuses expertes et de confronter mes idées. Mais il a surtout servi de prétexte pour
organiser des débats au sein des bureaux du Groupe. Puis suivirent trois enquêtes. La
première menée avec une Association d’étudiants « Women Up », portait sur la
Génération Y et ses attentes face au monde professionnel. Une génération qui modifie
totalement la séparation entre vie privée et vie professionnelle et qui place en priorité cet
équilibre, bien devant la réussite financière. La seconde enquête menée auprès de 750
jeunes hommes de 60 pays a apporté un éclairage sur l’évolution du rôle des hommes et
de leur compréhension. Quand on voit que 63% d’entre eux préfèrent travailler dans une
équipe mixte qui apporte une meilleure performance, une ambiance plus agréable et un
meilleur équilibre, on comprend les changements que cela induit même si 21% d’entre
eux se sentent menacés par les femmes. (Toutes origines). 86% de ces hommes ont
compris que les attentes professionnelles et personnelles des femmes avaient
complètement changés, et que cela pourrait être positif pour eux. La dernière enquête
menée auprès de 2500 femmes dans 108 pays nous dit que c’est l’éducation des filles qui
a modifié la situation des femmes, désormais visibles et exigeants à la fois une carrière et
une famille. Une indienne nous dit : »ma mère avait le respect de sa famille, moi je veux
le respect de la société ». Les femmes prennent partout la parole et revendiquent leurs
droits. Si ce n’est pas la vie quotidienne d’un grand groupe, c’est néanmoins la vie de la
société dans les pays ou ce groupe est présent et il est important de comprendre cet
environnement social qui peut perturber les codes de l’entreprise. A ces recherches, j’ai
ajouté une formation à la gestion de la diversité à l’Université Paris Dauphine. Reprendre
des études a été un facteur déterminant pour acquérir le vocabulaire des experts et gagner
en crédibilité.

2. Questions de recherche : Des résultats

En 10 ans, les résultats sont divers et arrivent à un tournant. Nous avons désormais 14%
de femmes associées, et devons travailler sur la sélection des plus jeunes. Le sujet chez
Mazars est clairement identifié, mais il n’est pas encore partagé par tous les pays. Le
périmètre du sujet est toujours flou, parlons-nous de l’égalité femme homme, des
handicapés, des LGTB ou des diplômes de provenance diverse. Là aussi les avis des pays
divergent, les anglais travaillent sur la race et les religions, les français comme d’autres,
sur la place des femmes. Les femmes elles-mêmes restent toujours divisées, les féministes
des pays nordiques ou américains, plus fermes dans leur position, s’affrontent avec les
adeptes du soft power. Le vrai problème ne réside pas là. Il réside en fait dans une
révolution totale de l’organisation d’une entreprise. Le monde est au centre de trois
révolutions dont l’impact est amplifié par cette collusion. Désormais le travail des femmes
est visible et rémunéré. 56% d’entre elles travaillent dans le monde. Or les femmes
apportent dans l’entreprise tout ce qui a trait à la vie privée car ce sont encore elles qui en
majorité sont responsables des enfants, de la vie quotidienne, de la famille. Une vie privée
que les hommes avaient auparavant laissée à la maison, justement dans les mains de leurs
femmes. Notre environnement est devenu hyper connecté. Nous avons totalement changé
nos méthodes de travail et nos façons de vivre, rendant tout à fait poreuse la séparation
entre la vie privée et la vie professionnelle. Enfin la génération dite « Y » arrive dans les
entreprises, elle veut être écoutée, prise en compte et travailler différemment car elle place
en premier un équilibre de vie. Cet équilibre est souhaité par les femmes tout comme par
la nouvelle génération, il est désormais permis grâce aux nouveaux outils et certains
hommes en rêvent.

Conclusion

Il en résulte une nécessité impérative pour les entreprises de repenser totalement leur
organisation pour y introduire le rythme de la vie, enfant, maladie, vieillesse. Pour y faire
vivre 3 générations concomitamment, et surtout pour casser les stéréotypes fortement
ancrés dans tous nos esprits. Il me semble que ce n’est pas la fin de la diversité qui nous
arrive mais plutôt un changement de direction. Ce n’est pas parce que l’on aura 40% de
femmes ou de personnes de couleurs que cela changera. C’est parce que l’on aura compris
que l’organisation des entreprises faite sur un modèle masculin de pays riche doit être
totalement repensée à l’aune d’un nouveau monde. D’autant que l’intégration des femmes
est un sujet éminemment politique et démontre le niveau démocratique d’un pays.
Travailler sur une flexibilité ou une modification des règles du travail, repenser la notion
de travail et tenter de casser les stéréotypes ou du moins en prendre conscience, tels sont
les directions que devrait prendre la gestion de la diversité. Et si on la nommait la gestion
de l’égalité des chances et des compétences ?

Muriel de Saint Sauveur. Directrice de la Diversité/ Groupe Mazars.


Muriel.de-saintsauveur@mazars.com

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