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anne eloy.

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Extrait du Journal des tribunaux no 6044 du 23 février 2002 et reproduit avec l’aimable autorisation des Editions Larcier

23 février 2002
e
121 année - N° 6044
Bureau de dépôt : Charleroi X
Hebdomadaire, sauf juillet/août

Editeurs : LARCIER, rue des Minimes, 39 - 1000 BRUXELLES


Edmond Picard (1881-1900) - Léon Hennebicq (1901-1940) - Charles Van Reepinghen (1944-1966) - Jean Dal (1966-1981)

8 ISSN 0021-812X

LE FONDS DE COMMERCE VIRTUEL :


UNE RÉALITÉ JURIDIQUE ? SOMMAIRE S
Le commerçant qui dispose d’un site ■ Le fonds de commerce virtuel :
web possède-t-il un fonds de commer-
ce virtuel, la loi du 30 avril 1951
s’applique-t-elle à l’hébergement
d’un commerçant sur internet? Le
nom de domaine peut-il être assimilé
2
DÉFINITION
DU FONDS DE COMMERCE

une réalité juridique?,
par Th. Verbiest et M. Le Borne . . . . . 145

Instruction préparatoire - Règlement


de la procédure - Ordonnance de renvoi -
au nom commercial ou à une ensei- 1. — L’origine du fonds de commerce Appel de l’inculpé
gne? Est-il possible de mettre en gage (Cour d’arbitrage, 9 janvier 2002) . . . . 150
La notion de fonds de commerce s’est déga-
un site web? Telles sont les questions gée au XIXe siècle sous une double nécessité.
auxquelles nous tentons de répondre. ■ Responsabilité des avocats - Prescription -
D’une part, avec l’émergence du capitalisme, Point de départ du délai 2002
les commerçants souhaitaient pouvoir protéger (Cour d’arbitrage, 30 octobre 2001) . . 152

145
leur clientèle contre les attaques des concur-
rents, donner à celle-ci la plus grande stabilité
possible et, partant, protéger les investisse- ■ Discipline notariale
ments intellectuels et financiers réalisés. (Cass., 1re ch., 1er février 2001, note) . 154

1
En particulier, une reconnaissance du fonds
de commerce permettait au commerçant de ■ Pratiques de commerce - Action en cessation
INTRODUCTION soutenir que son exploitation avait une valeur (Liège, 7e ch., 11 octobre 2001) . . . . . 154
supérieure à la simple somme du prix de ses
éléments constitutifs (3). ■ Droit judiciaire - Jugement
Une entreprise qui exerce son commerce par D’autre part, la reconnaissance du fonds de (Mons, bur. ass. jud., 20 novembre 2000
le biais d’un réseau de communication élec- commerce était souhaitée par les créanciers et 12 février 2001) . . . . . . . . . . . . . . . . 156
tronique, tel que l’internet (1), dispose-t-elle des commerçants, en tant qu’élément patrimo-
d’un fonds de commerce? Dans l’affirmative, nial de ces derniers. En créant l’entité « fonds
peut-on considérer que ce fonds de commerce, de commerce », le contrôle des opérations ef- ■ Circulation routière - Accident - Autobus -
que nous qualifions de virtuel, est différent fectuées par le commerçant devenait plus Principe général de droit - Dommage
d’un fonds de commerce classique? commode, en particulier par la mise en place (Civ. Bruxelles, 16e ch.,
de règles de publicité (4). 14 décembre 2001) . . . . . . . . . . . . . . . 156
La question n’est pas sans intérêt pratique. En
effet, la qualification de fonds de commerce C’est dans ce contexte qu’est né le gage sur
entraîne plusieurs conséquences juridiques, fonds de commerce, dans la mesure où il per- ■ Chronique judiciaire :
puisqu’elle permet en particulier de grever le mit aux petits commerçant de lever plus faci- Enquêtes et reportages - La vie du Palais -
fonds d’un gage, et a des répercussions fisca- lement des fonds pour financer leurs activités Coups de règle - Courrier des revues -
les en cas de cession. et aux institutions de crédit de disposer d’une Dates retenues.
garantie plus efficace.
La question s’inscrit aussi dans l’actualité de
ce qu’il est convenu d’appeler la « nouvelle
économie » : des sites se vendent à coup de 2. — Définition et fonction juridique
millions d’euros, sans que la cession n’ait né-
cessairement lieu par le biais de la vente des Malgré l’ancienneté de la notion, et son omni-
actions de la société qui en est propriétaire présence dans la vie économique, le fonds de
(2). commerce, en tant qu’institution juridique, ne
reçoit aucune définition légale.
Différents textes y font toutefois explicite-
(1) Les développements qui suivent englobent tant ment référence.
les sites internet que les sites WAP ou les mécanis-
mes de transaction par PDA.
(2) Ainsi, le site amazon.com a-t-il récemment dé- (3) M. Vercruysse et E. Lauwers, Le fonds de com-
boursé 6,1 millions de dollars pour s’assurer les ac- merce, Bruxelles, Larcier, 1967, p. 8.
tifs immatériels (nom de domaine, marque commer- (4) G. Sadde, La notion de fonds de commerce vir-
ciale, base de données clients, etc.) du défunt site tuel, mémoire de D.E.A. Informatique et droit, Uni-
egghead.com... versité de Montpellier I, 1999-2000, pp. 11 et s.
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Ainsi en est-il de l’article 169 du Code des Un auteur français nous donne également une commerce, mais l’objectif de son activité. Son
droits d’enregistrement, d’hypothèque et de définition intéressante « le fonds de commer- existence témoigne de la qualité commerciale
greffe (5), qui précise que « les droits dus sur ce est constitué par l’ensemble des biens mo- du fonds » (16).
les actes translatifs ou déclaratifs de propriété biliers affectés à l’exercice des activités com- Les partisans de cette thèse (17) ont cru pou-
ou d’usufruit de fonds de commerce sont per- merciales. Il permet essentiellement de retenir voir prendre appui sur un arrêt de la Cour de
çus selon la nature de chacun des biens qui en et de développer une clientèle attirée par le sa- cassation du 6 octobre 1970 (18), qui a admis
font partie et sur les bases fixées par le présent voir-faire du commerçant, la qualité des mar- que l’apport en société d’un fonds de com-
Code. Les dettes, afférentes ou non au fonds de chandises vendues, l’emplacement de l’éta- merce puisse exclure les éléments incorporels
commerce, qui sont prises en charge par le nou- bli sse me nt , l ’en seig ne , e tc . S es div e rs dont la clientèle. Toutefois, tel ne semble pas
veau propriétaire ou usufruitier doivent être éléments présentent une certaine stabilité, une être la portée réelle de cet arrêt, dans la mesu-
considérées comme charges de la convention ». certaine unité, et peuvent se transmettre glo- re où il se borne à considérer que le juge du
La loi du 30 avril 1951 sur les baux commer- balement » (11). fond avait pu sans violer la foi dû à une con-
ciaux (6) dispose en son article 10 que Cette définition laisse poindre la notion cen- vention de cession, ni sans se contredire, con-
« L’interdiction de céder le bail ou de sous- trale autour de laquelle s’articule le fonds de sidérer que celle-ci portait sur un fonds de
louer un immeuble ou partie d’immeuble ne commerce : la clientèle. En effet, la clientèle commerce alors que la clientèle en était ex-
peut faire obstacle à la cession ou à la sous-lo- est l’élément essentiel du fonds, ainsi que le clue. En réalité, les griefs invoqués ne tou-
cation faite ensemble avec la cession ou la lo- souligne la jurisprudence de la Cour de cassa- chaient pas au fond du droit (19).
cation du fonds de commerce et portant sur tion de France (12).
l’intégralité des droits du locataire principal ».
A cet égard, nous faisons nôtre la définition
L’article 2 de la loi du 25 octobre 1919 sur la dite « essentialiste » d’un autre auteur fran- 3. — Classification de la clientèle
mise en gage du fonds de commerce contient çais : « le fonds de commerce est l’ensemble
toutefois une énumération, non limitative, des des moyens utilisés pour attirer et fidéliser la En cas de cession d’un fonds de commerce, il
éléments du fonds de commerce : clientèle » (13). est courant d’établir la classification suivante
« Le gage comprend l’ensemble des valeurs C’est dans ce courant que s’inscrit la majorité (20) :
qui composent le fonds de commerce et no- de la doctrine belge, laquelle insiste sur le ca- — La clientèle « captive », liée par exemple
tamment la clientèle, l’enseigne, l’organisa- ractère propre du fonds de commerce, à savoir au commerçant par un contrat d’approvision-
tion commerciale, les marques, le droit au « son aptitude productive et son pouvoir d’at- nement (un contrat de brasserie, un contrat de
bail, le mobilier de magasin et l’outillage, le traction sur la clientèle, caractère qui l’empor- concession exclusive, ...);
tout sauf stipulation contraire. Il peut com- te sur les différents éléments du fonds » (14). — La clientèle « attirée », qui s’adresse au
prendre les marchandises en stock à concur- commerçant pour des raisons d’habitude ou
rence de 50% de leur valeur » (7). Un arrêt de la cour d’appel de Liège a égale-
ment consacré cette théorie essentialiste : de confiance;
Confrontés à la carence du législateur, la ju- « La clientèle est la composante essentielle du — L’achalandage, constitué par les clients de
2 0 0 2 risprudence et la doctrine ont fait œuvre utile
fonds de commerce. Les autres éléments du passage attirés par un emplacement favorable,
en s’efforçant de dégager une définition juri- fonds — corporels et incorporels — ont pour mais se livrant à des achats occasionnels.

146
dique du fonds de commerce. seul objet de créer, de conserver et de déve-
Ainsi, selon la Cour de cassation, le fonds de lopper cette clientèle ». La Cour ajoute :
commerce « constitue une universalité dont « Sans certains éléments essentiels dont l’ab-
font partie des biens meubles tant corporels

3
sence rend impossible l’exploitation du fonds,
qu’incorporels » (8), ou « un ensemble de cho- il ne peut y avoir de fonds de commerce négo-
ses conçu comme instrument d’une activité LA RÉALITÉ
ciable. Tel est le cas lorsque la clientèle a dé- DU FONDS DE COMMERCE VIRTUEL
commerciale et non point différents éléments serté l’établissement et qu’il n’existe pas de
réunis directement dans cet ensemble » (9). volonté d’en recréer une et, dans le cas d’une
La meilleure doctrine belge y voit un « droit banque, lorsque le portefeuille des créances a La définition essentialiste du fonds de com-
mobilier incorporel, qui porte sur une valeur perdu quasiment toute valeur » (15). merce ne s’oppose manifestement pas à la
marquée par un rendement potentiel décou- Il est toutefois à noter que la théorie essentia- consécration de l’existence d’un fonds de
lant de la possibilité d’attraire une certaine liste du fonds de commerce ne fait pas l’una- commerce qui ne serait que numérique (21).
clientèle qui sera liée à l’organisation de l’éta- nimité en doctrine. En effet, tout site de commerce électronique
blissement commercial » (10). ouvert au public est bien un fonds de commer-
Selon certains, dans un régime de liberté de ce en ce sens qu’il est destiné à créer et déve-
concurrence, la clientèle n’appartient pas au lopper une clientèle, et ce indépendamment
commerçant. La clientèle n’est rien sinon un d’autres éléments matériels (matériel infor-
(5) Arrêté royal no 64 du 30 novembre 1939 conte- espoir, aux contours moins précis que les
nant le Code des droits d’enregistrement, d’hypothè- matique, stock, etc.) ou incorporels (brevets,
autres éléments, même incorporels, qui lui
que et de greffe (M.B., 1er déc 1939) confirmé par la
loi du 16 juin 1947, art. 2. (M.B., 14 août 1947).
servent de support.
(6) M.B., 10 mai 1951. Par conséquent, à suivre ces auteurs, il serait (16) J. Caeymaex et J. Materne, Fonds de commerce
(7) D’autres dispositions traitent encore du fonds de impropre de citer la clientèle comme l’élé- et contrats, Liège, 1997, 2.2-9.
commerce: on peut notamment citer l’article 11 du ment constitutif essentiel d’un fonds de com- (17) Voy. notam., Y. Merchiers, « Bijzonder en
Code t.v.a., les articles 1199 et 1418 du Code civil; merce, puisqu’elle n’est pas susceptible d’ap- afwijkend handelsrecht. - Overzicht van rechtspraak :
l’article 107 du Code des droits de succession envi- propriation. 1966-1971) », T.P.R., 1973, no 40, p. 648; J. Koeke-
sage l’hypothèse où la succession d’un habitant du lenberg, « Inpandgeving van handelszaak en andere
« C’est plus exactement d’achalandage qu’il voorrechten », in Het zakenrecht : absoluut niet een
royaume comprend la propriété, en tout ou en partie, faut parler, c’est-à-dire de l’aptitude du fonds
d’un fonds de commerce; l’article 12 des lois relati- rustig bezit, XVIIIe postuniversitaire cyclus Willy
ves au registre du commerce coordonnées le
à attirer et conserver des clients. La clientèle Delva, 1991-1992, Kluwer, no 14, p. 145.
20 juillet 1964 dispose que : « Si un fonds de com- n’est pas un élément constitutif du fonds de (18) J. Caeymaex et J. Materne, op. cit., 2.2-9.
merce est exploité au nom du propriétaire, personne (19) Ch. Biquet-Mathieu, « Actualité en matière de
physique, par un mandataire, la déclaration compor- gage sur fonds de commerce », in Le fonds de com-
te, pour ce qui concerne ce dernier, tout ce qui est (11) Y. Guyon, Droit des affaires, t. I, Economia, merce, Die Keure (éd.), Bruges, 2001, p. 130.
prescrit pour le requérant lui-même à l’article 8, lo, Paris, 1994, p. 665. (20) Y. Guyon, op. cit., p. 665.
2o, 3o, 4o et 10o, ainsi que l’indication précise de ses (12) Cass. fr., 15 févr. 1937, D.H., 1937, p. 179. (21) L’existence d’un local d’exploitation et d’un
pouvoirs »; l’article 2 du Code de commerce précise (13) F. Dekeuwer-Defossez, Droit commercial, bail commercial ne sont pas essentiels à cet égard.
que « la loi répute acte de commerce : ... Tout achat 3e éd., Montchrestien, Paris, 1993, p. 268. Pour cet En effet, selon la jurisprudence, « le droit au bail ne
d’un fonds de commerce pour l’exploiter; (...) ». auteur, la clientèle devient ainsi « une possibilité de constitue pas un élément nécessaire du fonds de
(8) Cass., 19 nov. 1990, Pas., 1991, I, p. 263. contrats futurs et renouvelés », p. 268. commerce en ce sens que la perte du droit au bail ou
(9) Cass., 4 févr. 1954, J.C.B., 1955; p. 368. (14) Van Ginderarchter, cité par Vercruyse et le transfert du fonds de commerce en un autre lieu
(10) M. Grégoire, A.-M. Stranart, D. Lechien in Sûre- Lauwers, op. cit., p. 27. entraînerait la disparition de celui-ci », Civ. Gand,
tés réelles, partie II, fascicule 3, P.U.B., 5e éd., p. 108. (15) Liège, 10 mai 1994, R.D.C., 1995, p. 40. 24 janv. 1940, T.V.R., 1941, p. 56.
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logiciels, bases de données, licences d’exploi- S’agit-t-il d’un contrat de louage d’ouvrage, Pourrait-on pousser le raisonnement plus loin
tation, etc.) c’est-à-dire « (...) un contrat par lequel l’une en tentant l’assimilation du contrat d’héberge-
A quelle catégorie appartiennent les clients de des parties s’engage à faire quelque chose pour ment au bail commercial, élément constitutif
sites internet « B to C » (22)? l’autre, moyennant un prix convenu entre traditionnel du fonds de commerce?
elles » (23) ou d’un louage de chose, à savoir A l’heure de l’émergence de milliers de
A priori, l’achalandage semble bien convenir. « ( ... ) un contrat par lequel l’une des parties
En effet, la plupart des visites de sites internet « boutiques en ligne » hébergées par des tiers,
s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pen- la question mérite à tout le moins d’être posée.
proviennent d’un bon référencement dans les dant un certain temps, et moyennant un certain
moteurs de recherche ou dans les autres sites. Le locataire d’un espace disque qui héberge
prix que celle-ci s’oblige de lui payer? (24). son commerce virtuel mérite-t-il la même pro-
Un site bien référencé peut être comparé à un Selon un auteur français, le contrat d’héberge- tection que le preneur d’un bail commercial
commerce bien situé. Cependant, bien plus ment se définit comme un « (...) contrat par le- « traditionnel »?
que dans le monde « présentiel », le consom- quel le prestataire met à la disposition de son
mateur est enclin à se déplacer d’un site à La loi du 30 avril 1951 s’applique aux baux
abonné une partie des ressources de ses ma- commerciaux ainsi définis :
l’autre, à la recherche du meilleur prix et/ou chines: espace disque dur et capacité de traite-
du meilleur service. Le réseau offre en effet au ment en temps machine » (25). « ( ... ) les baux d’immeubles ou de parties
consommateur un terrain facile de comparai- d’immeubles qui, soit de manière expresse ou
son des produits ou services vendus. En effet, le site doit d’abord être programmé, tacite dès l’entrée en jouissance du preneur,
c’est-à-dire créé en un langage informatique soit de l’accord exprès des parties en cours du
Pour ces deux raisons, les clients seront donc qui sera reconnu par les navigateurs internet
surtout des clients de passage et d’opportuni- bail, sont affectés principalement par le pre-
tels qu’« Internet Explorer » ou « Netscape ». neur ou par un sous-locataire à l’exercice d’un
té.
Pour qu’il soit accessible sur le réseau, le site commerce de détail ou à l’activité d’un artisan
Cependant, une clientèle « attirée » est aussi doit être physiquement stocké sur un ordina- directement en contact avec le public ».
envisageable. teur lui-même relié, de préférence en perma-
En effet, certaines entreprises virtuelles sont nence, à l’internet. Deux conditions essentielles sont ainsi impo-
amenées à créer des habitudes de consomma- sées par la loi : l’existence d’un contact direct
En fonction de la taille du site (nombre de pa- avec le public (la clientèle), d’une part, et l’af-
tion, à donner confiance aux consommateurs, ges ou d’éléments multimédias notamment),
que ce soit par le biais de la mise en place de fectation du bail à un immeuble ou une partie
l’espace disque que devra louer le commer- d’immeuble, d’autre part.
mécanismes sûrs de paiement, par la qualité çant sera plus ou moins important. Par
de leur service après-vente, par le respect des ailleurs, lorsque le site est visité, et en fonc-
délais ou encore par leur respect ostensible de tion du langage utilisé, des requêtes plus ou Le « contact direct avec le public »
la législation (notamment par le biais de l’ap- moins importantes peuvent être adressées au
position sur le site de labels de qualité). serveur qui dépensera dès lors un temps de Cette condition devrait pouvoir être retenue
Ceci étant dit, le fonds de commerce virtuel traitement variable. dans le cas de sites internet : il ne nous sem-
présente-t-il des spécificités en ce qui concer- Outre la location d’espace disque, d’autres blerait pas justifié d’exclure l’existence d’un 2 0 0 2
ne ses éléments constitutifs? services sont fréquemment proposés par les « contact direct avec le public » au sens de la
Il nous semble que deux éléments caractéris-
tiques du fonds de commerce virtuel doivent
être examinés : le contrat d’hébergement,
d’une part, et le nom de domaine, d’autre part.
hébergeurs : « redirection » de noms de do-
maine, mise à disposition de statistiques ou de
fichiers « logs » (26), mise à disposition
d’adresses électroniques, etc.
Ces services sont dans la plupart des cas auto-
loi au seul motif de l’absence d’un contact
face à face entre le commerçant et ses clients.
En outre, dans la pratique, l’absence de con-
tact « face à face » est relatif dans la mesure
où le contact existe toujours avec le client,
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matisés et fonctionnent par le biais de logi- que ce soit sous forme automatisée ou person-
ciels placés par l’hébergeur sur ses serveurs. nalisée (échange de courriers, utilisation de
1. — Le contrat d’hébergement techniques de communication en temps réel,
Le louage d’espace semble donc prépondérant par « chats » ou visioconférence, etc.).
Sur l’internet, le site web du commerçant doit par rapport à la prestation de services, puis-
qu’il s’agit essentiellement pour le fournis- Il pourrait en être autrement si l’accès au site
être hébergé. Pour ce faire, le commerçant était réservé à une clientèle spécifique.
di s p o s e , d e ma n i è r e g én é r al e , d e de u x seur de se déposséder « d’un espace disque de
options : son système informatique et (de mettre) à dis- Une analogie est possible à cet égard : la Cour
— soit il héberge son site sur son propre ser- position des capacités de traitement en temps de cassation a considéré que le juge du fond,
veur, qui est lui-même situé dans un local; machine » (27). après avoir constaté qu’une association sans
La qualification de contrat de louage de cho- but lucratif exploitait un buffet-bar à destina-
— soit il héberge son site par le biais d’une tion de ses membres, pouvait légalement en
location d’espace disque auprès d’un héber- ses devrait donc être retenue pour tout contrat
d’hébergement, sans toutefois exclure, sur la déduire qu’il n’y avait pas commerce de détail
geur. au sens de la loi sur les baux commerciaux
base d’une analyse au cas par cas, une qualifi-
Dans le premier cas, les locaux dans lesquels cation de contrat mixte lorsque le prestataire (29).
sont logés les serveurs qui hébergent physi- technique s’est engagé à fournir certains ser- Dans le même sens, il a été jugé qu’une con-
quement le site ne peuvent certainement pas vices en plus de l’hébergement sensu stricto vention relative à l’exploitation d’un restau-
être confondus avec le fonds lui-même qui est (28). rant dans une grande surface et destiné uni-
exploité sur l’internet. La localisation ne peut quement à la clientèle de celle-ci n’était pas
aucunement être identifiée au lieu de situation un bail commercial (30).
des serveurs. En effet, c’est sur l’internet que
le fonds est exploité. (23) Article 1710 du Code civil. Ainsi, il n’y aura pas « contact direct avec le
(24) Article 1709 du Code civil. public » au sens de la loi si l’accès au site est
Dans le second cas, le commerçant sera con- (25) O. Iteanu, « Les contrats du commerce réservé à une certaine clientèle (31).
tractuellement lié à un fournisseur d’héberge- électronique », Droit et patrimoine, déc. 1997,
ment qui mettra à sa disposition de l’espace no 55, pp. 52 et s.
disque connecté à l’internet, afin que le site (26) Les statistiques de connexion sont basées sur (29) Cass., 25 oct. 1957, Pas., 1958, p. 182.
soit accessible sur le réseau. l’analyse de l’historique de ces connexions. Cet his- (30) J.P. Charleroi, 8 sept. 1981, J.T., 1981, pp. 676-
Comment qualifier ce contrat d’hébergement? torique est établi sur la base de ce qu’on appelle en 677.
jargon informatique les fichiers « logs ». (31) De nombreux sites ne sont accessibles qu’à des
(27) O. Iteanu, « Le contrat, l’outil majeur du com- clients présélectionnés, qui se voient attribuer des
(22) Acronyme de « Business to consumers », expres- merce électronique », Lamy - Droit de l’informati- mots de passe pour accéder à la partie transaction-
sion devenue consacrée et qui vise les sites trans- que et des réseaux, juillet 1999, no 116, p. 2. nelle du site. Un autre exemple est plus étonnant : il
actionnels qui s’adressent aux consommateurs, par (28) Lamy - Droit de l’informatique et des réseaux, existe actuellement une sorte d’internet
opposition aux sites « B to B » (« Business to Lamy, 2001, no 2766; Pour une analyse approfondie « parallèle », qui n’est accessible que par le biais
business ») qui ne s’adressent qu’aux professionnels, de la notion de contrat mixte ou complexe, voy. De d’une configuration particulière de son navigateur
généralement via un réseau fermé de type extranet. Page, t. VI, nos 1 à 5. internet. Ainsi, il est possible de visiter le site
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L’affectation du bail à un immeuble Sur l’internet, nul n’est besoin d’une telle pro- Sur l’internet, les noms de domaine jouent un
ou une partie d’immeuble tection pour le contrat d’hébergement. En rôle primordial : sans eux, les sites seraient in-
effet, il existe des milliers d’hébergeurs. Le capables de se faire connaître et d’entrer en
Cette condition est bien entendu beaucoup plus choix d’un de ceux-ci n’implique aucune con- contact avec la clientèle.
problématique : une analyse textuelle de la loi séquence sur la visibilité du site, et le fait de
du 30 avril 1951 semble exclure toute assimila- Dans ces conditions, il est tentant d’assimiler
changer d’hébergeur n’affecte en rien la sur- le nom de domaine à un nom commercial ou
tion d’un contrat d’hébergement à un bail por- vivance du fonds de commerce virtuel. Dans
tant sur un immeuble ou une partie d’immeuble. une enseigne, d’autant qu’une certaine doctri-
ces conditions, il nous semble qu’il faille ne définit cette dernière comme étant « une
Pourtant, la barrière du verbe n’est pas néces- écarter toute qualification de bail commercial. sorte de mot de passe ou de ralliement permet-
sairement insurmontable. tant d’entrer en contact avec la clientèle »
En effet, la jurisprudence, et singulièrement la (39).
Cour de cassation, ont parfois recours à une in- 2. — Le nom de domaine Des décisions françaises ont déjà été dans ce
terprétation « évolutive » ou « téléologique » sens.
de la loi, y compris pénale, pourtant d’interpré-
tation restrictive. 2.1. — Qualification Ainsi, le tribunal de grande instance du Mans
(40) a implicitement assimilé un nom de do-
Selon l’enseignement de la Cour de cassation, Le nom de domaine est sans conteste l’élé- maine à une enseigne ou un nom commercial,
le juge peut appliquer la loi pénale à des faits ment le plus caractéristique du fonds de com- par référence à l’article 711-4 du Code de la
que le législateur n’a pas pu pressentir à l’épo- merce virtuel (36). S’agit-il d’un actif du propriété intellectuelle, qui dispose que « Ne
que de la promulgation de la loi, sous la double fonds comme le sont, par exemple, l’enseigne peut être adopté comme marque un signe por-
condition que la volonté du législateur d’ériger (37) et le nom commercial (38)? tant atteinte à des droits antérieurs, et notam-
des faits de cette nature en « infraction » puisse ment : ( ... ) c) A un nom commercial ou à une
être considérée comme certaine et que ces faits enseigne connus sur l’ensemble du territoire
puissent être compris dans la définition légale (36) Pour une définition du nom de domaine : national, s’il existe un risque de confusion
de « l’infraction » (32). Th. Verbiest et E. Wéry, Le droit de l’internet et de dans l’esprit du public; »
la société de l’information, Bruxelles, Larcier, 2001,
C’est ainsi qu’ont pu être justifiées la répres- no 809, p. 414. En l’espèce, le nom de domaine « oceanet.fr »
sion de la vente, l’exposition et la distribution (37) L’enseigne est l’inscription de la forme ou de avait été réservé avant qu’un dépôt de marque
de vidéocassettes pornographiques sur la base l’image apposée sur un immeuble (le local d’exploi- sur le même nom (« Oceanet ») ait lieu. Saisi
de l’article 383, alinéa 3, du Code pénal vi- tation du fonds), et se rapportant à l’activité qui s’y par le titulaire de la marque, le tribunal a esti-
sant des « figures et images » (33). exerce. Elle est le moyen d’individualiser et de loca- mé que la société défenderesse titulaire du
Nous avions déjà plaidé pour l’application de liser l’établissement où le fonds est exploité. nom de domaine litigieux « ( ... ) utilisait la
cette jurisprudence dans le cas des « casinos (38) Le nom commercial est l’appellation sous la- dénomination Oceanet comme nom de domai-
2 0 0 2 virtuels » sous l’empire de l’ancienne loi pé- quelle le commerçant, personne physique ou socié- ne dès la mi-juillet 1996, soit antérieurement
nale qui prohibait la tenue de maisons de jeux té, exerce son activité. Le nom commercial est pro- au dépôt par la demanderesse de sa marque
de hasard (34). tégé par l’article 8 de la Convention de Paris pour la complexe reprenant cette dénomination. Dès

148 Dans le cas qui nous intéresse, la première ques-


tion devrait être celle-ci : s’il avait pu imaginer
l’existence du commerce électronique, le légis-
lateur aurait-il fait en sorte que les « hébergés »
sur l’internet qui exploitent des sites commer-
protection de la propriété industrielle, révisée à
Stockholm le 14 juillet 1967 et approuvée par la loi
du 26 septembre 1974. Il est aussi protégé par la loi
du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce.
lors, même si son caractère frauduleux n’est
pas établi par les pièces du dossier, ce dépôt a
été effectué en contravention avec les disposi-
tions de l’article L. 711-4 du Code de la pro-
priété intellectuelle et la marque déposée le
2 septembre 1996 (...) ainsi que son renouvel-
ciaux ouverts au public bénéficient de la même lement effectué le 16 juin 1998 (...) seront dé-
protection légale que celle qu’il a décidé en clarés nuls pour indisponibilité du signe ».
1951 d’octroyer aux petits commerçants?
Dans une autre affaire (41), le tribunal de
La loi sur les baux commerciaux vise à proté- grande instance de Paris a estimé qu’un nom
ger certaines activités commerciales et artisa- de domaine était susceptible de protection par
nales. Le législateur a considéré que ces acti- le détour des pratiques du commerce, au
vités étaient étroitement liées aux locaux où même titre que l’enseigne ou le nom commer-
elles sont exercées au point que, par exemple, cial (42).
le refus de renouvellement du bail par le pro-
priétaire entraînerait la destruction du fonds
de commerce qui y est installé (35). (39) Guyot, op. cit., p. 708.
(40) T.G.I. Le Mans, 29 juin 1999, 1re ch., aff. Mi-
crocaz c. Océanet et S.F.D.I., disponible sur http://
www.atlantic.ocean qui n’existe pas sur le réseau in- www.juriscom.net.
ternet « officiel ». Ce site n’est accessible qu’à une (41) T.G.I. Paris, réf., 27 juill. 2000, Market Call,
clientèle spécifique, dont le navigateur a été MM. F.d.C. et Y.B. c. MilleMercis, disponible sur
« bricolé » pour permettre l’entrée dans ce nouveau http://www.juriscom.net.
réseau libertaire...
(42) Le litige opposait la start-up MilleMercis à une
(32) Voy. notam., Cass., 18 nov. 1992, Pas., 1992, I,
société de vente à distance de cadeaux offrant un ser-
p. 1269; Cass., 11 sept. 1990, Pas., 1991, I, 18
vice de rappel de dates, la société Market Call. La
(33) Cass., 4 mai 1988, R.D.P., 1988, p. 961 et société Mille Mercis offrait depuis avril 2000 un ser-
Cass., 11 sept. 1990, déjà citée; citons également la vice de création de listes de cadeaux et de rappel de
répression du vol de programmes et de données in- dates festives sur les sites www.pensefetes.com,
formatiques au sens de l’article 461 du Code pénal : www.pensefete.com et www.pense-fete.com Le fu-
Anvers, 13 déc. 1984, D.I.T., 1986/2, p. 93; Bruxel- tur gérant de Market Call avait préalablement enre-
les, 10 mai 1989, Pas., 1990, II, p. 1; en sens gistré à titre personnel le nom de domaine www.pen-
contraire : Liège, 25 avril 1991, R.D.P., 1991, se-fetes.com, lequel n’avait toujours pas été exploité
p. 1013. Voy. à ce sujet : P. Van Eecke, Criminali- à la date de l’assignation de la société MilleMercis.
teit in cyberspace, Mys & Breesch, 1997, pp. 50 et Market Call et les cotitulaires de la marque « Le
s.; B. Dejemeppe, « Le parquet face à la criminalité Pense-Fêtes » ont assigné, le 13 juillet 2000, la so-
informatique - Entre droit et non-droit », Journ. pro- ciété MilleMercis en référé et au fond en contrefaçon
cès, 13 mai 1993, p. 12. de la marque « Le Pense-Fêtes », ainsi qu’en concur-
(34) Th. Verbiest, « Les casinos virtuels », J.T., rence déloyale et agissements parasitaires. Ils de-
1999, pp. 21 et s. mandaient au tribunal d’ordonner l’attribution au bé-
(35) M. Vercruysse et E. Lauwers, Le fonds de com- néfice de la société Market Call des trois noms de
merce, Larcier, 1967, p. 177. domaine exploités par la société MilleMercis. Sur la
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Extrait du Journal des tribunaux no 6044 du 23 février 2002 et reproduit avec l’aimable autorisation des Editions Larcier

2.2. — Le cas particulier Il s’agit d’une sûreté réelle, exempte de dé- nouvelle convention, grever un autre fonds
des noms de domaine en « .be » possession, qui permet de répondre aux be- exploité par le même propriétaire (47).
soins de nombre de petites et moyennes entre-
Dans toutes les « zones » de nom de domaine prises qui n’ont d’autre actif à affecter en Cependant, il n’est pas toujours aisé d’identi-
(internationales telles que « .com », ou natio- garantie d’un prêt bancaire que leur affaire fier précisément le fonds lorsque plusieurs
nales comme « .fr », pour la France, ou « .it », elle-même (46). établissements commerciaux sont exploités,
pour l’Italie), les noms de domaine sont trans- soit que l’acte de constitution du gage ne men-
férables, comme tout actif, sans préjudice du La loi contient, en son article 2, une énuméra- tionne qu’un seul fonds, soit que d’autres éta-
respect des droits qu’un tiers détiendrait sur le tion non exhaustive des biens et droits qui font blissements soient ouverts par la suite.
nom. partie du fonds de commerce : la clientèle,
l’enseigne, l’organisation commerciale, les S’agit-il d’un fonds de commerce unique, re-
Il existe toutefois une exception : le « .be » marques, le droit au bail, le mobilier de maga- groupant l’ensemble des établissements ou au
géré par l’association sans but lucratif DNS sin et l’outillage. contraire, de fonds de commerce distincts?
Belgium. Traditionnellement, l’on se réfère au critère
Tous les biens et valeurs composant le fonds
En effet, l’article 3. c, des conditions d’enre- sont automatiquement compris dans l’assiette de l’existence ou non d’une clientèle propre à
gistrement de noms de domaine du DNS pré- du gage. chaque établissement pour distinguer s’il
voit que « la licence est personnelle et non s’agit d’un fonds de commerce unique ou non.
cessible, à moins que le nom de domaine ne Il n’est donc aucunement besoin de les énu- Si une clientèle propre existe pour l’un ou
soit cédé avec les actifs du preneur de mérer dans l’écrit constitutif du gage. l’autre des établissements, il faudra a priori
licence » (43). Par ailleurs, les parties peuvent convention- conclure à son autonomie, et à l’absence d’ex-
nellement inclure les marchandises en stock à tension du gage à celui-ci (48).
Le but de cette restriction est clair : lutter con-
tre l’une des formes les plus répandues de concurrence de 50% de leur valeur. Dans une affaire mettant en scène un photo-
« cybersquatting » (ou « domain name Le gage sur fonds de commerce présente la graphe qui exerçait initialement son activité à
grabbing »), à savoir la pratique qui consiste à particularité de grever un ensemble nécessai- Lebbeke et était parti s’installer à Nieuport, la
enregistrer un nom de domaine correspondant rement fluctuant, composé de biens meubles cour d’appel de Gand (49) considéra que les
à un signe sur lequel un tiers détient des droits corporels et incorporels. deux magasins formaient des fonds de com-
dans le seul but de revendre ce nom à ce der- Il est traditionnellement admis que le gage merce distincts et que, dès lors, l’assiette du
nier. constitué sur un fonds ne pourrait, à défaut de gage constitué au profit du créancier avait tout
Toutefois, si l’intention est louable, la justifi- simplement disparu, entraînant la caducité de
cation juridique de l’interdiction est pour le sa sûreté. La Cour motiva sa décision par la
moins difficile à cerner. constatation que la clientèle n’était pas la
ainsi que l’agréation et l’expertise des fournitures même (notamment le photographe n’avait pas
Il s’agit en effet d’une restriction à la jouis- faites directement à la consommation. M.B., 21 nov.
1919 et sa modification par l’arrêté royal no 282 du
averti sa clientèle de Lebbeke de l’ouverture
sance de son fonds par le commerçant, qui, de son nouveau magasin). 2002
provenant d’un organisme en situation mono- 30 mars 1936 et les lois des 31 janvier 1958, 22 mars
1993 et 9 février 1995. En revanche, si la structure du fonds implique
polistique, ne paraît pas justifiable sur le plan
des principes. Elle est de surcroît de nature à
mener à de véritables aberrations. Ainsi, com-
ment justifier qu’un commerçant ne puisse cé-
der son nom de domaine en même temps que
son enseigne, qui, par hypothèse, reproduirait
(46) F. T’Kint, « Sûretés et principes généraux du
droit de poursuite des créanciers », Précis de la Fa-
culté de droit de l’U.C.L., Larcier, 2000.
une structure qui révèle une même entité éco-
nomique (50), accompagnée d’une unité de
gestion ou encore d’une comptabilité unique,
d’une organisation commune et que l’activité
exercée dans chacun des établissements est
identique (51), le gage pourra éventuellement
149
le même vocable (44)?
s’étendre à ces différents établissements,
même si ceux-ci sont situés dans des arrondis-
sements différents (52).
Ce principe a été confirmé par le tribunal de
LE GAGE
4
SUR FONDS DE COMMERCE
VIRTUEL
commerce de Tongres (53) qui a jugé que des
établissements exploités en différents endroits
de la ville, par un même propriétaire mais
dont les enseignes, les stocks, et leur propre
organisation étaient différents, constituaient
des fonds de commerce distincts. En l’espèce,
1. — Définition et assiette il s’agissait d’un magasin de disques, un café,
du gage sur fonds de commerce et un magasin de vêtements.
Le gage constitué sur le commerce de disques
Le gage sur fonds de commerce a été créé par ne pouvait donc pas s’étendre aux autres éta-
la loi du 19 octobre 1919 (45). blissements ouverts par la suite.

concurrence déloyale, le juge a estimé que « la pro-


tection sur un nom de domaine ne peut s’acquérir
que par son exploitation ». Il a ensuite conclut au dé- (47) Mons, 23 janv. 1991, J.L.M.B., 1991, p. 970;
bouté de la société Market Call après avoir constaté Mons, 10 janv. 1990, Rev. not., 1990, p. 606
que, d’une part, la société Market Call n’exploitait (48) Mons, 10 janv. 1990, Rev. not., 1990, p. 606
pas le nom commercial « Le Pense-Fêtes » pour son (49) Gand, 22 avril 1997, R.W., 1997-1998, p. 1236.
commerce off-line et que, d’autre part, elle n’exploi- Pour un commentaire: C. Biquet-Mahieu, « Actuali-
tait pas le nom de domaine www.pense-fêtes.com tés en matière de gage sur fonds de commerce », in
sur l’internet. Le fonds de commerce, Die Keure, 2001.
(43) Conditions disponibles sur le site http:// (50) M. Fontaine, « L’inclusion des créances, va-
www.dns.be. leurs et espèces dans la composition du fonds de
(44) Néanmoins, au moment où nous écrivons ces li- commerce », R.C.J.B., 1972, p. 327.
gnes, le système semble être en passe de changer. (51) F. T’Kint, « Sûretés et principes généraux du
Devant les critiques apparemment nombreuses, le droit de poursuite des créanciers », Précis de la Fa-
D.N.S. a entrepris de sonder les internautes quant à culté de droit de l’U.C.L., Larcier, 2000.
la nécessité de conserver cette limitation. (52) Liège, 14 déc. 1990, J.L.M.B., 1991, p. 487.
(45) Loi du 25 octobre 1919 sur la mise en gage du (53) Comm. Tongres, 3 nov. 1983, Limb. Rechtstl.,
fonds de commerce, l’escompte et le gage de facture 1984, p. 166.
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Extrait du Journal des tribunaux no 6044 du 23 février 2002 et reproduit avec l’aimable autorisation des Editions Larcier

C’est dans le même sens que s’est prononcée Il s’agira certainement d’une extension si la
la cour d’appel de Liège (54), dans un arrêt du clientèle est la même, si l’organisation com-
5 octobre 1999. merciale et si l’enseigne utilisée sont identi-
Les faits soumis à la cour concernaient l’ex- ques, puisque, dans ce cas, les établissements
ploitant d’un débit de boissons qui avait par la offline et online n’ont pas d’autonomie suffi-
suite racheté une brasserie, située non loin du- sante l’un par rapport à l’autre.
dit débit de boissons. En pratique, il sera souvent malaisé de déter-
Dans un premier temps, un gage sur fonds de miner dans quelle mesure la clientèle est iden-
commerce avait été octroyé pour le débit de tique, en partie en raison du fait qu’il convien-
boisson. Par la suite, pour financer l’achat de dra d’identifier l’origine des clients, dans un
la brasserie, un second gage sur fonds de com- univers virtuel sans frontières et souvent ano-
merce avait été constitué au profit d’un autre nyme.
créancier. Ainsi, pourrait constituer un indice le fait que
A la suite de la faillite de la société, la cour le commerçant utilise le fichier clients de sa
d’appel a estimé que la brasserie constituait boutique présentielle pour inviter ceux-ci à
un fonds de commerce distinct. En effet, la consulter son site web.
brasserie a continué à être exploitée sous son A l’inverse, si le commerçant entend cibler
ancien nom, la clientèle attachée lui était pro- une clientèle plus large et plus internationale,
pre et existait déjà avant la reprise. Dès lors, en utilisant des techniques de promotion uni-
malgré la gestion commune, le second fonds quement virtuelles (bannières publicitaires
bénéficie d’une autonomie suffisante par rap- sur d’autres sites, indexation auprès de mo-
port au premier. teurs de recherches, etc.), il sera certainement
Il a enfin été jugé que lorsqu’un propriétaire plus facile de conclure à l’autonomie des
exploite trois magasins dans trois communes clientèles.
différentes, chaque établissement constitue
une entité identifiable, indépendante des
autres (chaque fonds de commerce ayant une
clientèle propre et individualisée), même si

2002
des échanges de marchandises ont lieu entre
les magasins (55).
5
CONCLUSION

2.2. — L’assiette du gage Il ne fait pas de doute que la notion juridique

150
en cas d’exploitation de fonds de commerce est susceptible de s’ap-
d’un fonds de commerce virtuel pliquer à un site de commerce électronique
transactionnel « ouvert au public ».
Sur l’internet, la question de l’assiette du gage Ce que nous appelons le fonds de commerce
sur fonds de commerce se pose avec d’autant virtuel présente toutefois des caractéristiques
plus d’acuité, même s’il n’est pas encore entré originales, dont les principales sont l’absence
dans les mœurs de solliciter un crédit en of- de droit au bail et le rôle essentiel joué par le
frant en garantie un gage sur un site web de nom de domaine en tant qu’élément constitu-
commerce électronique. tif du fonds.
Toutefois, compte tenu du développement du La question la plus délicate demeure toutefois
commerce électronique, qui n’en est encore celle relative à la détermination de l’assiette
qu’à ses balbutiements, et de la paupérisation du gage lorsqu’il est question de l’étendre à
des capitaux à risque après l’effondrement des un site web créé postérieurement au fonds ini-
marchés financiers liés aux nouvelles techno- tial. La situation inverse, même si elle se ren-
logies, la situation devrait selon nous évoluer. contre plus rarement, pourrait également
Les institutions de crédit, quant à elles, n’ont s’avérer problématique. En effet, il se peut
en général pas encore pris conscience de l’in- qu’un commerçant crée un magasin présentiel
térêt pour elles de s’interroger sur l’assiette du postérieurement au lancement de son site
gage lorsqu’un site web est créé par un com- web.
merçant postérieurement à la création du Outre la possibilité de mettre en gage un site
fonds de commerce initialement grevé. web, et la question de la détermination de l’as-
Pourtant, il devient de plus en plus fréquent siette de celui-ci, les conséquences fiscales de
qu’un commerçant exploite son commerce la qualification de fonds de commerce ne de-
tantôt de manière entièrement virtuelle tantôt vront pas échapper aux juristes et fiscalistes
de manière mixte. Dans ce dernier cas, deux chargés d’assister leurs clients dans une opé-
situations sont possibles — soit le commer- ration de cession de site web. Car ces consé-
çant a commencé par exploiter son activité quences n’échapperont pas longtemps à la vi-
dans le monde présentiel (offline) pour ensuite gilance de l’administration fiscale...
lancer une activité dans le monde virtuel (on-
line), soit il a procédé dans le sens inverse, en
commençant par une activité online. Thibault VERBIEST
La boutique virtuelle ouverte postérieurement Avocat, maître de conférences
à la mise en gage de la boutique présentielle à l’Université de Liège (*)
constitue-t-elle une extension du fonds de
commerce initial? Maxime LE BORNE
Avocat au barreau de Bruxelles (**)

(54) Liège, 5 oct. 1999, J.L.M.B., 2000, p. 643 et


commentée in C. Biquet-Mathieu, op. cit. (*) thibault.verbiest@brussels.ulys.net
(55) Mons, 10 janv. 1990, Rev. not., p. 606. (**) maxime.leborne@brussels.ulys.net

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