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POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE : ENJEUX DRAMATIQUES,

ENJEUX ÉDITORIAUX

Michael Hawcroft

Presses Universitaires de France | Revue d'histoire littéraire de la France

2006/2 - Vol. 106


pages 307 à 335

ISSN 0035-2411

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Pour citer cet article :


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Hawcroft Michael, « Points de suspension chez Racine : enjeux dramatiques, enjeux éditoriaux »,
Revue d'histoire littéraire de la France, 2006/2 Vol. 106, p. 307-335. DOI : 10.3917/rhlf.062.0307
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POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE :
ENJEUX DRAMATIQUES, ENJEUX ÉDITORIAUX
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MICHAEL HAWCROFT*

Les trois points en disent plus que toute l’élo-


quence du monde.
Flaubert.

Pourquoi chercher des points de suspension chez Racine ? En premier


lieu, parce que, malgré tout l’intérêt que la critique récente a porté à la
ponctuation des éditions originales de Racine, les points de suspension
n’ont fait l’objet d’aucun commentaire1. Ensuite, parce que les interrup-
tions signalées par la présence des points de suspension, associées à des
effets dramatiques distinctifs, ont été relativement négligés2. De plus,
parce que l’étude des points de suspension chez Racine qui suivra, et qui

* Keble College, Oxford G.-B.


1. Voir Racine, Œuvres complètes, I Théâtre – Poésie, éd. Georges Forestier, Paris, Gallimard,
1999 (Bibliothèque de la Pléiade), p. LIX-LXVIII (« Lire Racine ») ; Sabine Chaouche, « La Poésie
racinienne : chant ou déclamation ? », in Racine Poète, éd. Bénédicte Louvat et Dominique
Moncond’huy, La Licorne, 1999, p. 235-256 (repris dans son livre L’Art du comédien. Déclama-
tion et jeu scénique en France à l’âge classique (1629-1680), Paris, Champion, 2000) ; Julia
Gros de Gasquet, « Les Enjeux de la ponctuation du vers racinien : étude comparée de deux
tirades de Bajazet », in Racine Poète, La Licorne, 1999, p. 219-234 (repris dans sa thèse de doc-
torat, « L’Oralité de l’alexandrin classique : l’acteur et son art XVIIe-XXe siècle », Université de
Paris IV, 2002) ; Michael Hawcroft, « Reading Racine : punctuation and capitalization in the first
editions of his plays », Seventeenth-Century French Studies, 22 (2000), p. 35-50 ; Eugène Green,
La Parole Baroque, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, p. 107-110.
2. Voir Peter France, Racine’s rhetoric, Oxford, Clarendon Press, 1965, qui esquisse l’étude
dramaturgique des types d’interruption marqués par les points de suspension (p. 179-180). Deux
autres ouvrages sur Racine considèrent l’apport dramaturgique des interruptions, mais sans réfé-
rence aux points de suspension : Richard Parish, « “Un calme si funeste” : some types of silence
in Racine », French Studies 34 (1980), p. 385-400 ; Henry Phillips, Racine : language and
theatre, University of Durham, 1994 (voir, sur le silence, p. 47-52).

RHLF, 2006, n° 2, p. 307-335


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sera contextualisée par rapport à la pratique cornélienne, constituera une


contribution à l’histoire d’un signe de ponctuation ayant une histoire
propre, plutôt esquivée par les historiens de la ponctuation3. Enfin, parce
qu’une étude précise et détaillée d’une marque de ponctuation dans toutes
les éditions du théâtre de Racine revues par l’auteur, et (le plus souvent)
dans un nombre considérable d’exemplaires de chaque édition, peut
apporter une contribution nouvelle et toute particulière aux débats sur le
rôle de la ponctuation originale, devenus quelque peu polémiques4.
Le premier exemple de ce que Anne Henry, qui s’est le plus penchée
sur l’histoire de ce signe de ponctuation, appelle non pas « points de sus-
pension » mais « ellipsis marks », figure dans une traduction anglaise de
l’Andrie de Térence publiée en 15885. Le signe y apparaît trois fois, sous
forme de traits d’union plutôt que de points, en deux occurrences pour
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indiquer le fait qu’un personnage interrompt le discours de son interlocu-
teur, et en dernier lieu le fait qu’un personnage interrompt son propre dis-
cours. Anne Henry choisit d’utiliser le terme assez général de « ellipsis
marks » en raison de la relative instabilité entre l’usage des traits d’union
et celui des points, qui n’était pas, dans l’imprimerie pré-moderne, aussi
nettement distinct qu’il allait le devenir. Elle note, cependant, qu’en
France on adopta rapidement les points pour figurer ce signe de ponctua-
tion, et affirme que cette standardisation est due à l’influence de
l’Imprimerie Royale au milieu du XVIIe siècle (p. 126).
La question du nom à donner à ces petits points peut légitimement être
posée, car au XVIIe siècle, alors qu’ils existaient bel et bien, ils n’avaient
tout de même pas été baptisés officiellement. Dans leurs traités linguis-
tiques parus respectivement en 1669 et 1689, Mauconduit et Andry de
Boisregard évoquent le point, la virgule, le point-virgule, les deux points,

3. Voir Malcolm B. Parkes, Pause and effect : an introduction to the history of punctuation in
the west, Aldershot, Scolar Press, 1994 ; Nina Catach, La Ponctuation (histoire et système), Paris,
Presses Universitaires de France, 1994 (Que sais-je ?) ; l’article de Russell Goulbourne, « The
Sound of silence… : points de suspension in Baudelaire’s Les Fleurs du Mal », Australian
Journal of French Studies, 36 (1999), p. 200-213, donne des références fort utiles aux textes du
XVIIIe siècle ; et l’article de Anne Henry, « The remarkable rise of “…” : reading ellipsis marks in
literary texts », in Ma(r)king the text : the presentation of meaning on the literary page, éd. Joe
Bray, Miriam Handley, Anne C. Henry, Aldershot, Ashgate, 2000 (p. 120-142), bref mais très per-
tinent, donne des exemples exceptionnels de l’usage de ce signe de ponctuation tirés de textes
anglais.
4. Voir Yves Giraud, « Lire Racine, vraiment ? », Revue d’Histoire littéraire de la France, 101
(2001), p. 303-309, qui critique l’attitude respectueuse envers la ponctuation originale adoptée
par Georges Forestier dans son édition du théâtre de Racine ; la réplique de Forestier dans le
même numéro de la revue (p. 310-311) ; et l’article, extrêmement érudit, de Alain Riffaud, « Édi-
tion critique et description matérielle : un enjeu mineur ? L’exemple de la ponctuation dans le
théâtre imprimé », Littératures classiques, 51 (2004), p. 17-42.
5. Publius Terentius, Andria. The First Comoedie of Terence, in English, traduit par Maurice
Kyffin, London, T. E[ast] for T. Woodcocke, 1588. Voir l’article de Henry, p. 122.
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 309

le point d’exclamation (ou le point admiratif), le point d’interrogation, le


tiret (ou la liaison), l’apostrophe, et le tréma (ou les deux petits points).
Mauconduit ajoute à sa liste la parenthèse, et Andry de Boisregard les
accents, mais ni l’un ni l’autre ne mentionne ce qu’on appellera plus tard
les points de suspension6. En revanche, le concept des points de suspen-
sion, sinon le nom, existe dans le Dictionnaire universel de Furetière.
Dans son article « Point », il donne cet exemple de l’usage du mot :
« Quand on met plusieurs points après un mot, c’est signe que le sens est
imparfait, qu’il y a quelque lacune, ou quelque chose à adjoûter »7. C’est
Grimarest qui, en 1707, donne à ce signe de ponctuation le nom de « point
interrompu ». « Il n’y a pas beaucoup d’éclaircissement à donner sur le
Point interrompu », dit-il, avec modestie, avant de nous donner, cepen-
dant, plus d’éclaircissement que tous ses prédécesseurs : « C’est celui [le
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point] qui nous sert à couper le sens d’une expression, par une nouvelle
qui a un sens différent »8. Il donne ensuite deux exemples, tirés tous deux
d’une conversation entre Hermione et Cléone dans l’Andromaque de
Racine, qu’il rapporte ainsi :
Hé bien, chere Cléone,
Conçois-tu les transports de l’heureuse Hermione ?
Sais-tu quel est Pirrhus ? T’es-tu fait raconter
Le nombre des exploits …. Mais qui les peut compter ?
Intrépide, & par tout suivi de la victoire ;
Charmant, fidele enfin, rien ne manque à sa gloire.
Songe ……
Dissimulez : votre Rivale en pleurs
Vient à vos piés, sans doute, aporter ses douleurs9.

Le commentaire de Grimarest qui suit cette citation racinienne, bref mais


perspicace, fait voir tous les enjeux dramaturgiques de cette marque de
ponctuation : « Cet exemple fait connaître que le discours peut être inter-
rompu par la personne qui parle, ou par celle à qui l’on parle. Au premier
cas, c’est la réflexion qui fait que l’on s’interrompt ; ainsi ce point
demande un petit silence, & un ton de voix différent. Au second cas, c’est

6. Louis de Lesclache de Mauconduit, Traité de l’orthographe (1669), Genève, Slatkine


Reprints, 1972, p. 140-154 ; Nicolas Andry de Boisregard, Réflexions sur l’usage présent de la
langue françoise (1689), Genève, Slatkine Reprints, 1972, p. 423-33.
7. Antoine Furetière, Le Dictionnaire universel (1690), 3 vol., Paris, S.N.L.-Le Robert, 1978.
8. Jean Léonor Le Gallois sieur de Grimarest, Traité du récitatif (1707), in Sept Traités sur le
jeu du comédien et autres textes. De l’action oratoire à l’art dramatique (1657-1750), éd. Sabine
Chaouche, Paris, Champion, 2001 (p. 310).
9. Je reproduis ces vers tels qu’ils paraissent dans la première édition de l’ouvrage de
Grimarest (Paris, Jacques Le Fevre & Pierre Ribou, 1707), p. 67. Dans son édition moderne,
Sabine Chaouche réduit à trois les quatre points et les six points employés par Grimarest dans les
première et deuxième occurrences respectivement. Voir, plus bas, notre discussion du nombre de
points utilisé.
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une raison subite qui engage celui qui écoute à interrompre celui qui lui
parle ; c’est pourquoi il doit lui couper la parole sans pause »10. Le « point
interrompu » demande donc à celui qui lit le texte à haute voix une
réflexion sur son jeu, notamment sur la possibilité qu’il y ait, ou non, une
pause ainsi que sur le ton de voix qu’il convient d’adopter.
La première partie de cet article sera consacrée à une analyse rhéto-
rique et dramaturgique des occurrences des « points interrompus », qui se
trouvent dans les éditions originales des pièces de Racine telles qu’elles
paraissent dans l’édition de Georges Forestier, édition entièrement fiable
du point de vue des occurrences de ce signe de ponctuation dans les édi-
tions originales. Dans la deuxième partie, je passerai en revue les argu-
ments pour et contre l’autorité de la ponctuation originale, avant de consi-
dérer ce que peut apporter à ce problème extrêmement épineux une
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analyse des occurrences de points de suspension, ainsi que du nombre de
points utilisé dans chaque occurrence, dans toutes les éditions des pièces
de Racine du XVIIe siècle et dans plusieurs exemplaires de chaque édition.

ENJEUX DRAMATURGIQUES

Il sera intéressant d’abord de noter la fréquence des points de suspen-


sion, qui varie considérablement selon les pièces : La Thébaïde, 20 ;
Alexandre, 39 ; Andromaque, 36 ; Les Plaideurs, 59 ; Britannicus, 25 ;
Bérénice, 21 ; Bajazet, 36 ; Mithridate, 36 ; Iphigénie, 31 ; Phèdre, 24 ;
Esther, 8 ; Athalie, 31. Les statistiques les plus frappantes dans cette liste
sont celles concernant Les Plaideurs et Esther, les pièces les plus
courtes de Racine, bien que l’une ait, de loin, la plus grande fréquence des
points de suspension et l’autre, de loin, la fréquence la plus réduite. J’y
reviendrai.
Pour comprendre la fonction des points de suspension, reprenons
d’abord le commentaire de Grimarest cité plus haut. Toute occurrence du «
point interrompu » coupe le sens d’une expression par l’introduction d’une
nouvelle qui a un sens différent. Cependant, il existe, dans le texte théâtral,
deux types d’interruption bien différents l’un de l’autre : « le discours peut
être interrompu par la personne qui parle, ou par celle à qui l’on parle ». Or
chaque type d’interruption exige un jeu théâtral différent et produit sur les
spectateurs un effet différent. Quand un personnage interrompt son interlo-
cuteur, il lui faut parler avec rapidité, avec vigueur, et sur un ton suffisam-
ment élevé pour couper nettement la parole à celui qui parle. Dans ce genre
d’interruption, il n’y a donc absolument pas de pause : les points de sus-

10. Je cite, de nouveau, d’après l’édition moderne de Chaouche (p. 310).


POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 311

pension indiquent la coupure soudaine de la phrase précédente. En


revanche, quand un personnage interrompt son propre discours, les points
de suspension indiquent, certes la coupure de la phrase, mais aussi une
pause avant que la nouvelle phrase ne soit prononcée.
Il est important de remarquer la très nette évolution dans le théâtre de
Racine de l’usage de ces deux types d’interruption. On ne s’étonnera pas
que la plupart des points de suspension indiquent des interruptions d’un
personnage par un autre. Cependant, même si tout au début de sa carrière
Racine se sert presque exclusivement de ce type d’interruption, à partir
d’Andromaque il va exploiter de plus en plus le deuxième type d’inter-
ruption où un personnage s’interrompt lui-même. On verra que chaque
fois que Racine utilise les points de suspension, c’est pour en tirer des
effets théâtraux : soit il enrichit la caractérisation de certains de ses per-
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sonnages ; soit il augmente la puissance émotionnelle de ses vers ; soit il
souligne des moments-clés dans la thématique de certaines pièces.

Fonctions élémentaires des points de suspension

La majorité des cas est constituée par les interruptions d’un person-
nage par son interlocuteur. Étant donné que la vraisemblance exige qu’un
personnage d’un moindre statut social ne doive pas interrompre le dis-
cours d’un personnage d’un statut social plus élevé, il s’agit très souvent
d’interruptions par des personnages qui tiennent l’autorité sur leurs inter-
locuteurs. C’est ainsi, dans Britannicus, qu’on sent la hauteur d’Agrippine
ne voulant pas que Burrhus, qui vient de lui défendre l’entrée dans l’ap-
partement de Néron, lui rende maintenant un service :
BURRHUS
Mais souffrez que je retourne exprès…
AGRIPPINE
Non, je ne trouble point ses augustes secrets (I, 2, 137-138).

C’est par une interruption que Néron essaie de faire entendre sa propre
volonté devant Junie qui vient d’évoquer l’influence d’Agrippine :
JUNIE
Vos désirs sont toujours si conformes aux siens…
NÉRON
Ma Mère a ses desseins, Madame, et j’ai les miens (II, 3, 561-562).

Dans Bajazet, le personnage de Roxane est caractérisé clairement par le


fait qu’elle interrompt de façon répétée le discours des autres :
BAJAZET
Je vous dois tout mon sang. Ma vie est votre bien.
Mais enfin voulez-vous…
ROXANE
Non, je ne veux plus rien (II, 1, 519-520).
312 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

BAJAZET
Atalide, Madame ! Ô Ciel ! Qui vous a dit…
ROXANE
Tiens, perfide, regarde, et démens cet écrit (V, 4, 1491-1492).
BAJAZET
J’aurais par tant d’honneurs, par tant de dignités,
Contenté votre gloire, et payé vos bontés,
Que vous-même peut-être…
ROXANE
Et que pourrais-tu faire ? (V, 4, 1527-1529).

C’est par une interruption des plus dévastatrices qu’elle envoie Bajazet à
sa mort :
BAJAZET
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Ajoutez cette grâce à tant d’autres bontés,

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Madame. Et si jamais je vous fus cher…
ROXANE
Sortez (V, 4, 1571-1572).

De même, Athalie interrompt ses interlocuteurs pour afficher ainsi son


autorité :
MATHAN
Avez-vous dépouillé cette haine si vive…
ATHALIE
Prêtez-moi l’un et l’autre une oreille attentive (II, 5, 463-464).

A deux reprises, elle interrompt Josabet pour montrer sa méfiance envers


elle :
JOSABET
Le Ciel jusqu’aujourd’hui…
ATHALIE
Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui ? (II, 7, 625-626).
JOSABET
Hé, Madame ! Excusez
Un Enfant…
ATHALIE, à Josabet.
J’aime à voir comme vous l’instruisez (II, 7, 689-690).

Si l’interruption révèle très souvent un élément de colère, elle peut


aussi indiquer des sentiments tout à fait opposés, comme dans le cas de
Joad qui interrompt et achève la phrase d’Ismaël, mettant ainsi en valeur,
et de façon triomphante, la véritable identité de Joas :
ISMAËL
Quoi cet Enfant aimable…
JOAD
Est des Rois de Juda l’héritier véritable (IV, 3, 1309-1310).
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 313

Il est à noter que cet exemple nous fait voir qu’il peut y avoir interruption
sans qu’il y ait interruption de sens.
Dans certains cas, Racine emploie les interruptions là où un person-
nage qui parle voit arriver ou partir un autre personnage. Ainsi Burrhus
s’interrompt en voyant Agrippine s’approcher : « Mais quoi ? Si
d’Agrippine excitant la tendresse / Je pouvais… La voici, mon bonheur
me l’adresse » (III, 2, 807-808) ; et Xipharès s’interrompt lorsque
Monime le quitte hâtivement : « Ah ! Madame… Elle fuit, et ne veut plus
m’entendre » (II, 6, 747). Ce genre d’interruption est utilisé assez fré-
quemment pour attirer l’attention du spectateur sur l’entrée ou sur la sor-
tie d’un personnage.

Fonctions spéciales des points de suspension


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Si les exemples cités ci-dessus sont, en fait, les occurrences les plus
banales des points de suspension, ceux qui suivront nous montreront un
Racine extrêmement attentif à toute une gamme de fonctionnements de la
technique de l’interruption. De plus en plus fréquemment après les deux
premières pièces de l’auteur, le personnage racinien s’interrompt lui-même
dans des contextes autres que l’entrée et la sortie d’un personnage. C’est,
pour l’auteur, une manière d’exprimer plus que les paroles ne semblent
dire, de faire rêver les spectateurs ou les lecteurs, quoique brièvement, sur
toutes les choses qui n’ont pas été dites. Dans Iphigénie, tout l’amour
paternel d’Agamemnon se voit nettement dans ce qu’il ne dit pas, dans le
fait qu’il change de syntaxe, ayant prononcé le mot « Fille » : « Ma Fille…
Ce nom seul, dont les droits sont si saints, / Sa jeunesse, mon sang, n’est
pas ce que je plains » (I, 1, 115-116). La colère de Mithridate contre
Pharnace est d’autant plus terrifiante qu’elle se tait juste avant d’éclater :
Je vous ai commandé de partir tout à l’heure.
Mais après ce moment… Prince, vous m’entendez,
Et vous êtes perdu si vous me répondez (III, 1, 964-966).

Toute l’anxiété d’Atalide s’entend dans le fait qu’elle est incapable de


poursuivre sa pensée : « En ce moment fatal que je crains sa venue ! / Que
je crains… Mais dis-moi, Bajazet t’a-t-il vue ? » (I,. 1, 1125-1126). Parfois
l’interruption exemplifie la figure de la correction, selon laquelle le per-
sonnage revoit consciemment le choix de ses mots. Quand Aman se cor-
rige dans Esther, en parlant de Mardochée, c’est sa propre turpitude qui se
trahit dans la correction : « Tous les jours un homme… un vil Esclave /
D’un front audacieux me dédaigne et me brave » (II, 1, 417-418).
Les exemples les plus intéressants de l’interruption de soi-même, et
ceux qui sont peut-être les plus aptes à faire frissonner les spectateurs,
sont ceux où le personnage arrive tout juste à réprimer un secret qui est
314 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

sur le point d’être éventé. Pour le spectateur ou le lecteur averti, pourtant,


le secret s’entend même dans le silence. On voit l’amour de Bajazet pour
Atalide dans l’interruption qu’il emploie devant Acomat, abandonnant le
concret pour se réfugier dans l’abstrait :
Hélas ! si je la quitte avec quelque regret…
Pardonnez, Acomat, je plains, avec sujet,
Des cœurs, dont les bontés trop mal récompensées
M’avaient pris pour objet de toutes les pensées (II, 3, 615-618).

Prise au piège par Mithridate, Monime est sur le point d’avouer son
amour pour Xipharès quand elle arrive à se corriger : « Que dites-vous ?
Ô Ciel ! Pourriez-vous approuver… / Pourquoi, Seigneur, pourquoi vou-
lez-vous m’éprouver ? » (III, 5, 1073-1074). Elle ne tardera pas à se tra-
hir pourtant, et c’est une trahison dont l’impact dramatique s’exprimera,
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lui aussi, au moyen d’une interruption : « Nous nous aimions… Seigneur,
vous changez de visage ! » (III, 5, 1112).
En situant les interruptions dans de nouveaux contextes (relativement
à sa pratique dans La Thébaïde et Alexandre le grand), Racine réussit à en
tirer de nouveaux effets théâtraux. En effet, si la vraisemblance exige
qu’un personnage de rang inférieur n’interrompe jamais le discours d’un
personnage de rang supérieur, Racine s’arrange précisément pour pécher
contre la vraisemblance dans ce domaine : c’est une manière efficace
d’éveiller l’attention des spectateurs. On sait combien les spectateurs de
l’époque étaient sensibles à ce genre d’interruption en lisant les critiques
qu’a faites l’abbé d’Aubignac à propos de l’Œdipe de Corneille : « ce que
je trouve d’impertinent, et qui néanmoins est ordinaire à M. Corneille, est,
que ces personnages qui sont d’assez grande qualité, s’interrompent à tout
propos, se ferment la bouche l’un à l’autre en plusieurs occasions qui
mériteraient bien que l’on sût tous leurs sentiments ; ils commencent à
dire plusieurs choses qu’ils n’achèvent pas, tant celui qui les écoute préci-
pite sa réponse ; ce n’est pas ainsi que les grands Seigneurs ont de cou-
tume d’agir »11. Parfois il s’agit simplement de l’interruption d’un person-
nage-messager, indiquant la gravité des nouvelles qu’il vient annoncer.
Cette sorte d’interruption est d’autant plus frappante dans le théâtre qu’il
s’agit d’une interruption marquée physiquement sur scène en même temps
qu’une interruption orale. C’est le cas de Burrhus :
AGRIPPINE
Burrhus, où courez-vous ? Arrêtez. Que veut dire…
BURRHUS
Madame, c’en est fait, Britannicus expire (V, 4, 1619-1620).

11. L’abbé d’Aubignac, Dissertations contre Corneille, éd. Nicholas Hammond et Michael
Hawcroft, University of Exeter Press, 1995 (Dissertation concernant Œdipe, p. 98).
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 315

C’est aussi le cas d’Arbate, dont l’interruption est d’autant plus spectacu-
laire qu’elle sauve la vie à Monime :
MONIME
Ah ! laissez-moi…
ARBATE, jetant le poison
Cessez, vous dis-je, et laissez-moi,
Madame, exécuter les volontés du Roi (V, 3, 1545-1546).

Plus souvent, l’interruption du personnage de rang inférieur lance un défi


contre une figure autoritaire, qui, dans le cas de Monime et de Mithridate,
répond tout de suite :
MITHRIDATE
Quoi pour un Fils ingrat toujours préoccupée
Vous croiriez…
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MONIME

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Quoi, Seigneur ? Vous m’auriez donc trompée ?
MITHRIDATE
Perfide ! Il vous sied bien de tenir ce discours (IV, 4, 1283-1285).

Quand Agrippine interrompt l’empereur, ce n’est pas seulement pour


l’empêcher de parler, c’est aussi pour l’empêcher de quitter la scène à la
poursuite de Junie :
NÉRON
Je vais par tous les soins que la tendresse inspire,
Vous…
AGRIPPINE
Arrêtez, Néron. J’ai deux mots à vous dire (V, 6-7, 1667-1668).
Cependant, quand Xipharès interrompt son père mourant, ce n’est aucu-
nement pour lancer un défi contre Mithridate, mais pour faire preuve d’un
héroïsme digne de lui :
MITHRIDATE
Cachez-leur pour un temps vos noms, et votre vie.
Allez, réservez-vous…
XIPHARÈS
Moi, Seigneur, que je fuie ! (V, 5, 1691-1692).
Le dynamisme des interruptions de ce genre s’apprécie mieux si l’on
se rappelle le contexte social du XVIIe siècle.
Assez fréquemment, Racine emploie des points de suspension là où,
contrairement à la définition de Grimarest, il n’y a aucune coupure de
sens, dans l’intention, apparemment, de créer des pauses dans le débit de
l’acteur et, selon le contexte, d’inviter l’acteur à entamer un jeu de scène
ou, du moins, à esquisser un geste qui pourrait être significatif. Ce sont,
pour ainsi dire, des didascalies silencieuses. A la fin du deuxième acte de
Bajazet, Atalide veut, à tout prix, persuader Bajazet de prolonger sa dissi-
mulation devant Roxane, même s’il doit l’épouser : « Allez encore un
316 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

coup, je n’ose m’y trouver. / Dites… tout ce qu’il faut, Seigneur, pour
vous sauver » (II, 5, 791-792). Le sens n’est pas coupé ; les points de sus-
pension demandent une pause pendant laquelle l’actrice doit exprimer,
sans avoir recours aux mots, toute la douleur qu’un éventuel mariage entre
Bajazet et Roxane pourrait lui coûter. Il en va de même pour Agamemnon,
tiraillé entre son amour paternel et son devoir politique. Quand il décide
de sauver la vie de sa fille, les points de suspension indiquent le conflit
qui continue à jouer en lui :
Ceux même, dont ma gloire aigrit l’ambition,
Réveilleront leur brigue et leur prétention,
M’arracheront peut-être un pouvoir qui les blesse…
Va, dis-je, Sauve-la de ma propre faiblesse (I, 2, 139-142).
Et quand Mathan veut quitter le Temple de Jérusalem après le torrent
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d’imprécations de Joad lancées contre lui, parmi les trois occurrences des
points de suspension dans ses deux vers, ce n’est que la troisième qui
marque une coupure de sens ; celle-ci et les deux premières servent surtout
à inviter l’acteur à jouer la confusion et la colère : « Avant la fin du jour…
on verra qui de nous… / Doit… Mais sortons, Nabal » (III, 5, 1041-1042).
Malgré la relative simplicité des deux catégories principales de points
de suspension — interruption d’un personnage par un autre, interruption
d’un personnage par lui-même — il existe certaines occurrences de la pre-
mière catégorie qui posent problème. Il est parfois difficile de savoir si les
points de suspension qui se trouvent à la fin d’un discours indiquent une
interruption par l’interlocuteur ou une pause pendant laquelle celui qui
parle se tait, sans interruption aucune. Dans l’échange suivant à propos de
Bajazet, le statut des points de suspension reste ambigu :
ROXANE
Je voudrais le sauver, je ne le puis haïr.
Mais…
ATALIDE
Quoi donc ? Qu’avez-vous résolu ? (IV, 3, 1199-1200).
Soit Atalide interrompt le discours de Roxane, montrant ainsi son impa-
tience de découvrir le sort que celle-ci réserve à Bajazet, soit, plus proba-
blement, Roxane hésite à le dire, de sorte qu’Atalide lui prend la parole,
ce qui serait susceptible de provoquer plus d’émotion chez le spectateur,
et plus de pitié pour Atalide. Une pareille ambiguïté flotte sur les points
de suspension qui relient le discours de Mathan et celui d’Athalie dans
une conversation où le conseiller essaie de provoquer chez la reine une
certaine hostilité envers Joad et le Temple :
MATHAN
Et qui sait si Joad ne veut point en leur place
Substituer l’Enfant dont le Ciel vous menace,
Soit son fils, soit quelque autre…
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 317

ATHALIE
Oui, vous m’ouvrez les yeux.
Je commence à voir clair dans cet avis des Cieux (II, 6, 607-610).

Soit Athalie montre sa crédulité en répliquant tout de suite, soit Mathan


fait délibérément une pause qui permettrait à Athalie de voir les possibili-
tés menaçantes qu’il vient d’esquisser. Dans ce genre d’occurrence, libre
aux acteurs (et aux lecteurs) de décider si les points de suspension signi-
fient interruption rapide ou silence.
Cette analyse des interruptions chez Racine ne serait pas complète
sans une discussion des Plaideurs, puisque Racine sait adapter le rôle des
points de suspension pour intensifier l’effet spécifiquement comique de
ses vers dans cette pièce. En effet, les interruptions soulignent, typique-
ment, la folie irrémédiable des personnages. Ce qui est mis en valeur, par
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exemple, peut être la folie du juge incapable de cesser de juger :
LÉANDRE
Souffrez que la raison enfin vous persuade ;
Et pour votre santé…
DANDIN
Je veux être malade (I, 4, 79-80).

Les points de suspension sont employés pour indiquer le manque d’ha-


leine et la confusion de Petit-Jean qui se lance sur scène pour annoncer le
crime du chien Citron : « Tout est perdu… Citron… / Votre Chien… vient
là-bas de manger un Chapon » (II, 14, 621-622). La très grande fréquence
de points de suspension dans cette pièce s’explique par le fait qu’ils
reviennent à de multiples reprises dans la scène du procès. Soit ils suggè-
rent le manque de mémoire de Petit-Jean essayant de plaider : « Quand…
je vois… Quand… je vois… » (III, 3, 721) ; soit ils nous font voir l’im-
patience de Dandin devant les incompétences oratoires de L’Intimé :
L’INTIMÉ
Pausanias, en ses Corinthiaques…
DANDIN
Au fait.
L’INTIMÉ
Rebuffe…
DANDIN
Au fait, vous dis-je.
L’INTIMÉ
Le grand Jacques…
DANDIN
Au fait, au fait, au fait (III, 3, 775-777).

Les points de suspension, et les diverses sortes d’interruptions qu’ils signi-


fient, servent donc, chez Racine, à créer toute une variété d’effets. Ils ne
paraissent jamais gratuits, marchant de pair avec les discours des person-
318 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

nages pour souligner les passions ou les caractéristiques qui, dans un


contexte précis, leur conviennent parfaitement bien. N’oublions pas que les
points de suspension exigent une compétence distinctive chez l’acteur, qui
doit pouvoir interrompre son interlocuteur avec une vigueur soudaine ou
doit pouvoir jouer une pause dans son propre discours pour le reprendre
ensuite sur un ton différent. Serait-ce cette exigence interprétative qui
pourrait expliquer la faible fréquence des points de suspension dans Esther
? Racine aurait peut-être écrit des vers plus simples à interpréter, peu sûr
des compétences des jeunes filles de Saint-Cyr. Il serait donc revenu à sa
pratique habituelle pour Athalie, pouvant, après la grande réussite
d’Esther, se fier pleinement au jeu des écolières. C’est une hypothèse.
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ENJEUX ÉDITORIAUX

Toutes les analyses précédentes supposent une foi dans la ponctuation


des éditions originales des pièces de Racine publiées au XVIIe siècle.
Cependant, il existe des arguments qui remettent en cause ces analyses
pour nous y faire voir plutôt une ponctuation arbitraire faite par les com-
positeurs qu’une ponctuation dramaturgique voulue par l’auteur. Ces argu-
ments, il est important de ne pas les passer sous silence.
Premièrement, pour les textes pré-modernes, on ne peut pas toujours
être absolument sûr de l’identité de celui qui en a déterminé la ponctua-
tion. On n’a, pour aucune pièce de théâtre du XVIIe siècle, le moindre
manuscrit d’auteur qui aurait servi de copie aux compositeurs et qui nous
permettrait donc de mesurer la fidélité de la ponctuation imprimée aux
intentions de l’auteur. On trouve, en revanche, des remarques qui nous
font voir des auteurs peu soucieux de la ponctuation de leurs ouvrages. A
propos des points et des virgules, Descartes écrit à Marin Mersenne : « les
imprimeurs ont des gens accoustumez à les mettre, sans qu’il soit besoin
que vous en preniez la peine12 » ; et Voltaire à son imprimeur : « Vous
vous moquez de moi de me consulter sur la ponctuation et l’orthographe,
vous êtes le maître absolu de ces petits peuples-là »13.
Deuxièmement, à regarder de près la ponctuation d’une édition origi-
nale d’une pièce de théâtre, elle peut nous sembler tellement incohérente
que nous sommes invités à nous en méfier. C’est précisément l’attitude

12. Correspondance de Descartes, éd. Charles Adam et Paul Tannery, 5 vol., Paris, Vrin,
1987-91, t. III, p. 390. Cité par Alain Riffaud, « Édition critique et description matérielle », p. 31.
13. Voltaire, Correspondence and related documents, éd. Theodore Besterman, in The
Complete Works of Voltaire, Genève, Banbury, Oxford, The Voltaire Foundation, 1968, vol. 85-
135 (12 déc. [1742], D2699, t. 92, p. 311). Cité par Alain Riffaud, « Édition critique et descrip-
tion matérielle », p. 31.
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 319

d’Yves Giraud qui, considérant la ponctuation de l’édition originale de La


Thébaïde, note, entre autres, que les vocatifs paraissent tantôt avec, tantôt
sans virgules, finit par n’y voir qu’un « ramassis de contradictions », et
conclut que « ce serait là une notation singulièrement imprécise et incon-
séquente : il est tout à fait impossible de s’y fier » (p. 305-06).
Troisièmement, quand on pense aux conditions matérielles de la pro-
duction des livres au dix-septième siècle, on se rend compte qu’il y a
toutes les chances pour que les intentions de l’auteur (s’il en avait) en
matière de ponctuation ne soient pas observées. Selon Riffaud, « la ponc-
tuation s’inscrit dans un circuit complexe qui va de la copie au texte
imprimé, et où auteurs, libraires et imprimeurs constituent autant d’ac-
teurs aux intérêts parfois contradictoires, surtout au XVIIe siècle où l’im-
pression des nouveautés théâtrales ne brille pas par sa qualité » (p. 40). En
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outre, il se pouvait que plus d’un compositeur, et même plus d’un seul ate-
lier, s’occupât de la composition typographique des différents cahiers
d’un ouvrage. Les différences typographiques, et notamment de ponctua-
tion, entre les diverses parties d’un ouvrage peuvent donc, quelquefois,
s’expliquer par référence à ce phénomène. C’est ainsi, par exemple,
qu’Alain Riffaud explique la ponctuation parfois erratique de l’Iphigénie
de Rotrou, publiée en 1640 (p. 19). Cette répartition du travail typogra-
phique entre divers compositeurs et l’existence de variantes de presse exi-
gent, me semble-t-il, que tout éditeur moderne prête une attention scrupu-
leuse aux questions de bibliographie matérielle et qu’il examine autant
d’exemplaires que possible des éditions qui l’intéressent14.
Quatrièmement, la ponctuation telle qu’elle paraît dans la première
édition d’une pièce de théâtre, même si l’on peut se convaincre qu’il
s’agissait de la ponctuation de l’auteur, ne serait pas forcément une ponc-
tuation orale que l’auteur aurait voulu imposer aux acteurs qui devaient
jouer la pièce. D’abord, il est évident que les acteurs n’apprenaient pas
leur rôle à partir du texte imprimé. Chaque troupe avait un copiste qui, à
partir du manuscrit original que lui confiait l’auteur, copiait le rôle de
chaque personnage. C’est donc cet assemblage de manuscrits du copiste
qui fut à la base de la première interprétation d’une pièce sur scène.
Ensuite, si l’auteur se préoccupait de la ponctuation lors de la préparation
d’un manuscrit qui servirait de copie aux compositeurs, il se peut qu’il
s’agisse d’une ponctuation destinée notamment aux lecteurs (plutôt
qu’aux acteurs). Alain Riffaud cite deux ouvrages traitant de la typogra-
phie, l’Orthotypographie du correcteur typographique Hornschuch publié
en 1608 et Les Sciences pratiques de l’imprimerie de M.-D. Fertel publié

14. C’est aussi l’attitude adoptée par Riffaud (p. 39) et par Wallace Kirsop, « Rotrou’s
Dedicatory Epistles Revisited », Australian Journal of French Studies, 37 (2000), p. 121-126.
320 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

en 1723. Les deux auteurs veulent avant tout que l’auteur livre aux typo-
graphes un manuscrit lisible, et quand il est fait mention de la ponctua-
tion, il s’agit non pas d’une ponctuation orale, mais d’une ponctuation qui
« apporte une grande élégance au texte et plus que tout autre chose permet
une bonne compréhension du sujet », selon l’expression d’Alain Riffaud
(p. 31). Enfin, aux yeux des commentateurs de l’époque pré-moderne, la
ponctuation n’était pas uniquement orale. Les critères oral et grammatical
se juxtaposaient. On le voit, par exemple, quand Furetière dit à propos des
deux points qu’ils « marquent ordinairement le milieu d’un verset, ou la
pause où l’on peut prendre haleine », et Beauzée, dans l’Encyclopédie,
affirme que l’art de ponctuer doit « combiner les besoins des poumons
avec les sens partiels »15.
Cinquièmement et polémiquement, ceux qui prônent la ponctuation
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originale ne s’expriment pas toujours avec autant de précision scientifique
qu’il le faudrait pour convaincre les sceptiques. Dans son article qui com-
pare, pour deux tirades, la ponctuation de l’édition originale de Bajazet
avec celle d’une édition moderne, Julia Gros de Gasquet en tire la conclu-
sion suivante : « la ponctuation ancienne permet donc d’entendre la respi-
ration du texte telle qu’elle a été notée par Racine lui-même et telle que les
comédiens du XVIIe siècle la pratiquaient » (p. 231). Or non seulement les
comédiens apprenaient leur rôle à partir d’un manuscrit, comme nous
l’avons dit plus haut, mais Julia Gros de Gasquet base ses analyses de la
ponctuation originale non pas sur un exemplaire de l’édition de 1672, mais
sur l’édition de Christian Delmas publiée dans la collection « Folio
théâtre » de Gallimard en 1995 « dont » dit-elle « la ponctuation est res-
taurée » (p. 221). Si l’on se réfère à l’édition de Delmas, en revanche, il
nous apprend très honnêtement non pas qu’il a restauré la ponctuation
d’origine, mais qu’il l’a conservée « autant que possible » (p. 26). Nuance
absolument cruciale du point de vue de la précision scientifique. Quant aux
excellentes analyses d’Eugène Green sur la ponctuation des éditions origi-
nales de Racine dans La Parole baroque, elles laissent de côté la question
de l’autorité de cette ponctuation et semblent tenir pour certain qu’il s’agit
d’une ponctuation voulue par Racine et destinée à ses acteurs (p. 107-110).
Malgré tous les problèmes que soulève l’évaluation du rôle de la ponc-
tuation de l’époque, il ne s’ensuit pas que nous ne devrions pas en tenir
compte. D’abord, et surtout, parce que même s’il existe quelques doutes
sur sa fidélité aux intentions de l’auteur et sur sa dimension orale, il est
clair que la ponctuation de l’époque a forcément plus de chances d’être
plus proche des intentions de l’auteur et de posséder une plus grande
15. Furetière et Beauzée sont cités par Riffaud, p. 38, 39. Voir aussi, dans le même article,
p. 24-29, où Riffaud déduit le système de ponctuation grammaticale qui sous-tend l’édition de La
Cléopâtre d’Isaac de Benserade de 1636.
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 321

dimension orale que la ponctuation que pourrait y substituer n’importe


quel éditeur postérieur.
On peut aussi répondre à certaines objections mentionnées ci-dessus.
Si l’on rencontre quelques citations montrant certains auteurs peu sou-
cieux de la ponctuation, on en rencontre d’autres, en revanche, qui, pour
d’autres auteurs, suggèrent tout le contraire. Et notamment pour Racine.
Grimarest, tout au début du dix-huitième siècle, n’approuve pas entière-
ment la ponctuation de Racine, mais sa manière d’en parler implique qu’il
la considère une ponctuation particulière à cet auteur : « Il y a bien des
Auteurs qui, comme Mr Racine, n’admettent pas les deux Points » ; « je
crois que si Mr Racine a employé souvent le Point pour les deux Points,
ce n’a été que pour suspendre la déclamation de son Acteur, qui se presse
toujours assez »16. Quelques pages plus loin, Grimarest admet que la tâche
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de ponctuer un livre revient souvent aux correcteurs d’épreuves, tout en
insistant sur le fait que certains auteurs gardent leur propre façon de ponc-
tuer : « Chaque Auteur a sa manière de ponctuer, & quelque irrégulière
qu’elle soit bien souvent, il croit cependant entendre parfaitement la ponc-
tuation. D’ailleurs il en abandonne souvent le soin à des Correcteurs, qui
ponctuent presque tous sans réflexion, ou sans connaissance » (p. 311).
Si l’on trouve des incohérences dans la ponctuation d’un livre, la
ponctuation ne paraît incohérente, comme l’a déjà expliqué Georges
Forestier, qu’aux yeux de ceux qui y cherchent un système stable de ponc-
tuation purement grammaticale ; d’ailleurs, une ponctuation apparemment
incohérente peut cacher des effets de déclamation qui s’entendent parfai-
tement dès que le texte est lu à haute voix17.
Si l’on doit avouer que la ponctuation d’une pièce de théâtre, même
dans sa toute première édition, ne nous donne pas forcément accès à la
manière dont les vers ont été récités lors des premières représentations,
reconnaissons que la ponctuation d’époque peut indiquer la représentation
orale que l’auteur voulait imposer à ses lecteurs, qui lisaient tantôt silen-
cieusement, tantôt à haute voix. On ne saurait prouver que la ponctuation
imprimée soit celle que les acteurs adoptaient ; mais il est certain que la
ponctuation imprimée est celle qui aidait les lecteurs de l’époque à envi-
sager (et même à recréer) une représentation orale des vers qu’ils lisaient.
Si ceux qui prônent la ponctuation originale n’ont pas toujours fondé
leurs arguments sur la plus scrupuleuse consultation des éditions de
l’époque, et sur un certain nombre d’exemplaires de chaque édition, ceci
n’empêche en rien que d’autres chercheurs poursuivent de telles
recherches. Les arguments et les analyses qui suivront seront donc
16. Voir Sept Traités sur le jeu du comédien, p. 303-304.
17. Voir la réponse de Georges Forestier qui suit l’article de Yves Giraud (Revue d’Histoire
littéraire de la France, 101 (2001), p. 310-311).
322 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

basés sur toutes les éditions et tous les exemplaires énumérés à la fin de
cet article.
Je reviens maintenant à la question des points de suspension, et ce,
dans une double perspective. J’ai examiné de façon minutieuse l’usage
des points de suspension dans Andromaque, Bérénice et Phèdre. En pre-
mier lieu, les résultats de cette investigation m’aident à étayer les analyses
qui m’ont occupé dans la première partie de cet article, c’est-à-dire que je
peux montrer que les points de suspension n’ont rien d’arbitraire, qu’ils
jouent un rôle dramaturgique qui n’est pas à négliger. Ensuite, l’étude m’a
mené à considérer l’éventuelle signification du nombre différent de points
utilisés, entre deux et cinq, pour figurer ce signe de ponctuation. Si ces
analyses n’ont rien de définitivement concluant, elles nous font plutôt voir
le rôle joué par Racine dans la ponctuation de ses œuvres et l’importance
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qu’il faut attacher à la ponctuation originale pour bien apprécier la valeur
dramaturgique des vers telle que Racine l’aurait transcrite dans leur ver-
sion imprimée.

Ajout et suppression des points de suspension

Voici une constatation très simple que j’ai pu faire après la consulta-
tion de toutes les éditions citées : il y a une très remarquable cohérence
entre l’occurrence des points de suspension dans toutes les éditions où
paraissent Andromaque, Bérénice et Phèdre au XVIIe siècle, ce qui nous
inclinerait à penser que c’est l’auteur plutôt que les divers compositeurs
qui aurait déterminé les occurrences de cette marque de suspension. Des
36 points de suspension paraissant dans l’édition d’Andromaque de 1668,
35 occurrences restent dans l’édition des Œuvres de 1697. L’occurrence
suivante est remplacée par un point simple à partir de l’édition de 168718 :
CÉPHISE
Mais tout s’apprête au Temple. Et vous avez promis…
ANDROMAQUE
Oui, je m’y trouverai. Mais allons voir mon Fils (IV, 1, 1067-1068).

Il se peut qu’il s’agisse ici d’une simple erreur. Déjà dans l’édition col-
lective de 1675-1676, le vers 1067, assez long d’ailleurs, se trouvait en
bas de la page, et avec seulement deux points de suspension ; dans les édi-
tions de 1687 et de 1697, il reste encore moins d’espace pour les points de
suspension dans ce vers qui se trouve toujours en bas de la page19. Si un
seul point a été voulu par Racine, ce serait l’unique occurrence dans son
théâtre d’une coupure de sens par un personnage qui en interrompt un
autre qui ne soit pas signalée par des points de suspension. Seules deux

18. Contrairement à ce que dit Georges Forestier dans son édition du Théâtre, qui la date à
tort de 1675 (p. 1362).
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 323

autres occurrences de la modification de points de suspension sont à noter


pour le cas d’Andromaque. Une occurrence est ajoutée dans la deuxième
édition séparée de 1673 pour être supprimée dans toutes les éditions col-
lectives qui suivront20 :
ORESTE
Prévenez-les…
PYRRHUS
Non, non. J’y consens avec joie.
Qu’ils cherchent dans l’Épire une seconde Troie (I, 2, 229-230).
C’est un exemple intéressant, parce que l’ajout des points de suspension
change légèrement le sens du dialogue et le jeu imaginé des acteurs. Dans
toutes les éditions, sauf celle de 1673, Oreste termine son discours par un
impératif bref et urgent, et Pyrrhus réplique en montrant son obstination à
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ne pas écouter les conseils d’Oreste. Dans l’édition de 1673, Oreste ne

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termine pas son discours ; il est interrompu par un Pyrrhus impatient
d’épouser Andromaque. Racine a pu être responsable des deux interpréta-
tions ; cependant il est clair que c’est l’absence des points de suspension
qu’il a préférée ici, ne les ayant pas réutilisés à partir de 1673. Une autre
occurrence est ajoutée à l’édition de 1675-76 pour être retenue dans toutes
les éditions suivantes :
CÉPHISE
Ah ! ne prétendez pas que je puisse survivre…
ANDROMAQUE
Non, non, je te défends, Céphise, de me suivre (IV, 1, 1105-1106).
Le sens de la phrase n’est évidemment pas achevé, ce qui explique l’ajout
des points de suspension, signalant une interruption rapide de la part
d’Andromaque.
Il y a seulement deux occurrences de modification de points de sus-
pension à signaler dans Bérénice, dont les 21 occurrences des points de
suspension dans la première édition de 1671 sont réduites à 19 dans l’édi-
tion des Œuvres de 1697. L’exemple suivant paraît dans toutes les éditions
sauf celle de 169721. Il s’agit de la célèbre aphasie de Titus devant Bérénice :
TITUS
L’Empire…
BÉRÉNICE
Hé bien ? (II, 4, 623-624).

19. Sauf dans l’exemplaire O97-5 où le mot « promis » est divisé de sorte que « -mis »
occupe une nouvelle ligne (la dernière en bas de page).
20. La variante n’est pas notée par Forestier (p. 1351). Quand je signale de telles omissions
dans l’édition de Forestier, ce n’est aucunement pour critiquer celui-ci, qui explique l’impossibi-
lité, dans une telle édition, d’incorporer toutes les variantes ; c’est pour montrer l’importance
d’avoir accès aux éditions du XVIIe siècle.
21. La variante n’est pas notée par Forestier (p. 1477).
324 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Avec les points de suspension, cet échange offre à Bérénice deux possibi-
lités : soit d’interrompre Titus, soit (ce qui est plus vraisemblable dans le
contexte de son aphasie générale) de laisser une pause pendant laquelle
Titus cherche ses mots en vain de sorte qu’elle finit par essayer de le
pousser à s’exprimer. Sans les points de suspension, l’échange peut sem-
bler moins intéressant. Titus dit le mot « empire » sans essayer d’aller
plus loin ; et Bérénice de reprendre pour lui demander d’achever son sens.
Je reviendrai à cet exemple. Pour la deuxième occurrence dans Bérénice,
il s’agit d’une suppression de points de suspension à partir de l’édition
de 1675 :
TITUS
Jugez-nous…
ANTIOCHUS
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Je crois tout. Je connais votre amour (V, 7, 1441).

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Puisque le sens de la phrase de Titus est complet, on peut imaginer que les
points de suspension invitent une pause, pendant laquelle Antiochus réflé-
chit. Sans les points de suspension, la pause est supprimée, et le jugement
d’Antiochus tout prêt. Parmi toutes les éditions de Phèdre, on ne relève
qu’un seul ajout (et aucune suppression) de points de suspension. Il s’agit
de l’édition de 1697 où, dans une réplique d’Œnone, ils marquent le
moment même où elle a l’idée d’accuser faussement Hippolyte : « Vous le
craignez … Osez l’accuser la première » (III, 3, 886)22. Il y a donc très
peu d’ajouts ou de suppressions de points de suspension par rapport au
nombre total des occurrences dans les éditions successives des œuvres de
Racine. D’ailleurs, dans tous les exemplaires que j’ai consultés de chaque
édition de ces trois pièces, il n’existe aucune variante de presse ayant rap-
port à l’occurrence des points de suspension. On peut donc constater que
parmi les 81 occurrences des points de suspension paraissant dans la pre-
mière édition de chacune de ses trois pièces, 78 occurrences restent dans
l’édition des Œuvres de 1697, trois occurrences seulement ayant été sup-
primées. Si Racine ne s’occupait pas de la ponctuation, il faudrait féliciter
toute une armée de compositeurs anonymes d’avoir fait preuve d’une fidé-
lité et d’une cohérence vraiment remarquables.

Le nombre de points

Qui lit les textes pré-modernes dans les éditions originales observera,
dans le cas des points de suspension, que le nombre de points n’est pas
fixé à trois comme aujourd’hui. Doit-on en déduire que le nombre de
points a une signification ? A relire la définition de Furetière dans son

22. La variante n’est pas notée par Forestier (p. 1653).


POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 325

Dictionnaire universel on ne peut pas en être certain. Il évoque seulement


« plusieurs points » sans en dire davantage à propos du nombre. Au dix-
huitième siècle, Beauzée dans son article « Ponctuation » pour L’Encyclo-
pédie mentionne « les trois points suspensifs »23. Cependant, le même
auteur est responsable de l’article « Point », où il nous renseigne diffé-
remment : « On dispose quelquefois quatre points horizontalement dans le
corps de la ligne, pour indiquer la suppression, soit du reste d’un discours
commencé, & qu’on n’acheve pas par pudeur, par modération, ou par
quelque autre motif, soit d’une partie d’un texte que l’on cite, ou d’un dis-
cours que l’on rapporte » (XII, p. 870). Il pourrait nous sembler que les
auteurs ou les imprimeurs hésitaient entre le nombre de points qu’il fallait
utiliser, et qu’il vaudrait mieux ne pas y attacher une importance particu-
lière. C’est certainement l’attitude adoptée même par les éditeurs de
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Racine les plus scrupuleux. Quant à son édition, Georges Forestier
explique que « les textes sont établis avec la plus rigoureuse fidélité pos-
sible à la leçon des éditions du XVIIe siècle […] Pour tous les textes
publiés du vivant de Racine, seule l’orthographe a été modernisée, majus-
cules et ponctuation étant reproduites à l’identique » (p. XCII). Et pourtant,
en ce qui concerne les points de suspension, Forestier n’a pas reproduit ce
qui se trouvait dans les premières éditions ; sans nous le dire, il a toujours
fixé le nombre de points à trois. Pour son édition de La Thébaïde, Michael
Edwards a « tenu à respecter intégralement la ponctuation des textes du
dix-septième siècle »24, mais il a silencieusement fixé le nombre des
points de suspension à trois. Dans l’édition que Valerie Worth et moi-
même avons établie d’Alexandre le grand, nous avons conservé la ponc-
tuation originale, mais « nous avons fixé à trois, à chaque occasion, le
nombre des points de suspension »25. J’avoue que nous avons fait ainsi,
croyant, à l’époque, que les points de suspension étaient signifiants, mais
que le nombre des points ne l’était pas.
Seuls parmi les éditeurs de Racine, R. C. Knight et H. T. Barnwell,
mais sans nous dire pourquoi, ont reproduit toute la ponctuation, y com-
pris le nombre des points de suspension, telle qu’elle paraissait dans l’édi-
tion originale26. Il me semble qu’ils avaient tout à fait raison de faire ainsi,
puisqu’il est loin d’être certain que le nombre des points ne signifiait rien.
Dans sa Grammaire françoise simplifiée, publiée en 1778, Urbain
Domergue en explique la signification de manière précise : « Il est des
23. Encyclopédie ou dictionnaire des sciences, des arts et des métiers, 35 vol., Stuttgart-Bad
Cannstatt, Friedrich Frommann, 1967, t. XIII, p. 24.
24. Michael Edwards, La Thébaïde de Racine. Clé d’une nouvelle interprétation de son
théâtre, Paris, Nizet, 1965, p. 14.
25. Racine, Alexandre le grand, éd. Michael Hawcroft et Valerie Worth, University of Exeter,
1990, p. XLIII.
26. Racine, Andromaque, éd. R. C. Knight et H. T. Barnwell, Genève, Droz, 1977.
326 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

morceaux de sentiment ou de force qu’on veut faire remarquer. La voix


les désigne par des pauses plus ou moins grandes, et l’écriture par les
signes suivants (.. ... ....), selon le degré d’emphase que ces morceaux
exigent »27. Il cite à l’appui des extraits du Père de famille et de Zaïre.
D’ailleurs, si l’on revoit l’extrait d’Andromaque cité par Grimarest et
reproduit dans l’introduction de cet article, on remarquera qu’une occur-
rence de points de suspension comporte quatre points, l’autre six. Or,
Grimarest, toujours prêt à critiquer la ponctuation d’autres auteurs et des
correcteurs, ne va pas se laisser prendre au piège. S’il met quatre points et
six points, c’est bien qu’il veut que le lecteur fasse attention au nombre de
points en lisant le texte à haute voix.
Si l’on peut croire que le nombre de points signifie, avec plus ou
moins d’exactitude, la longueur de la pause qu’il faut laisser, il se pose
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tout de suite un problème dans le cas du texte dramatique. On a vu que
certaines occurrences des points de suspension signifie une pause, tandis
que d’autres (la majorité, d’ailleurs) signifient une interruption sans
pause. Quelle serait la signification d’un nombre différent de points dans
le cas des interruptions sans pause ? Aucun texte théorique ne nous le dit.
Et pourtant le phénomène existe. J’avance donc cette hypothèse, qu’on
mettra à l’épreuve dans les exemples qui suivront : que plus il y a de
points dans le cas d’une interruption sans pause, plus l’interruption s’ef-
fectuera vigoureusement.
On trouve, dans les éditions de Racine, des occurrences de 2, 3, 4, et
5 points ; et pour le nombre de points, il y a plus de variantes entre les dif-
férentes éditions que pour l’occurrence des points, considérée plus haut.
Malgré l’existence des variantes, il y a tout de même une proportion non
négligeable d’occurrences où le nombre de points reste le même dans
toutes les éditions. Dans Andromaque, 14 d’entre les 36 occurrences des
points de suspension gardent le même nombre de points dans toutes les
éditions ; pour Bérénice, il s’agit de 12 sur 21 ; et pour Phèdre, 9 sur 24.
En fait, parmi les 81 occurrences de points de suspension paraissant dans
la première édition d’Andromaque, de Bérénice, et de Phèdre, seules
9 occurrences font l’objet de plus d’une modification du nombre de points
dans les éditions ultérieures28. Les sceptiques diront que la variété du
nombre de points, aussi bien que l’existence de variantes entre les édi-
tions, nous ferait plutôt croire que l’explication se trouve moins dans un
effet dramaturgique voulu par l’auteur que dans la pratique variable de
différents compositeurs. Et les sceptiques auront, peut-être, à l’appui le

27. Urbain Domergue, Grammaire françoise simplifiée, ou traité d’orthographe, Lyon, chez
l’auteur, 1778, p. 188.
28. Il s’agit des vers suivants : And. 380, 550, 893, 1067, 1156, 1176 ; Bér. 623 ; Ph. 565,
1385.
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 327

fait étonnant que, dans la première édition de Bérénice, toutes les occur-
rences des points de suspension comportent 4 points, alors que, dans la
première édition de Phèdre, elles comportent toutes 3 points29. Dans les
première et deuxième éditions d’Andromaque, en revanche, on repère des
occurrences de 2, 3, 4, et 5 points. Il semble bien que l’explication la plus
simple est la pratique des ateliers et des compositeurs. Que Racine ait
voulu que le nombre de points soit ainsi dans les premières éditions de ces
pièces, on ne pourra jamais le savoir. Cependant, dès qu’on commence à
examiner les occurrences des nombres différents de points et à en tracer
les variantes à travers les éditions, on se met à distinguer des choix dra-
maturgiques plutôt que typographiques, ce qui nous ferait plutôt arguer de
l’intervention de Racine dans beaucoup de cas, sinon dans tous30.
On ne trouve aucune occurrence de 5 points dans Bérénice et Phèdre,
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mais on peut en trouver trois dans Andromaque, et il n’est pas sans intérêt
de les considérer ensemble. La première occurrence est une interruption.
Hermione a décidé de demander à Oreste l’exécution de Pyrrhus, et l’a
fait venir exprès. Se croyant peut-être enfin aimé d’elle, il s’adonne à des
expressions de joie, qu’elle interrompt sur un ton très péremptoire :
ORESTE :
Croirai-je que vos yeux à la fin désarmés
Veulent.....
HERMIONE
Je veux savoir, Seigneur, si vous m’aimez (IV, 3, 1155-1156).
Les 5 points paraissent dans les éditions de 1668 et 1673 pour être réduits
à 4 dans les éditions de 1675-1676 et 1687, et enfin à 3 dans l’édition de
169731. La deuxième occurrence se trouve dans la même scène, mais seu-
lement dans l’édition de 1673. Dans toutes les autres éditions on n’y
trouve que 4 points :
HERMIONE
Courez au Temple. Il faut immoler.....
ORESTE
Qui ?
HERMIONE
Pyrrhus (IV, 3, 1176).
29. Voir cependant la discussion des variantes de presse plus bas.
30. Il est dommage qu’il n’ait survécu aucun manuscrit de pièce de théâtre de la main de
Racine. Cependant, qui lit les manuscrits de ses notes de lecture (entre autres) conservés à la
Bibliothèque Nationale de France se convainc facilement du fait que Racine savait parfaitement
utiliser les points de suspension, qu’il se servait tantôt de points, tantôt de traits d’union, et que
le nombre de points ou de traits variait. Les occurrences les plus fréquentes se trouvent dans ses
transcriptions d’auteurs grecs et latins, et les points de suspension indiquent toujours une omis-
sion. Voir, par exemple, MS fonds français 12888 (p. 3, 21, 25, 41, 43, 176, 251, 270, 330, 400) ;
12889 (p. 46) ; 12890 (p. 62). En revanche, aucune occurrence ne se trouve dans sa correspon-
dance manuscrite (MS fonds français 12886).
31. Voir cependant la discussion des variantes de presse plus bas.
328 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

Quoique cet exemple ait l’air d’une interruption, l’existence de 5 points


(et même de 4 points dans les autres éditions) pourrait nous inviter plutôt
à imaginer ici une longue pause pendant laquelle Hermione hésite à nom-
mer celui qu’elle aime mais qu’elle veut faire assassiner. La dernière
occurrence, et la plus intéressante, se trouve au moment où Oreste revient
sur scène pour déclarer à Hermione qu’il a accompli le meurtre :
ORESTE
Vous seule avez poussé les coups.....
HERMIONE
Tais-toi, Perfide (V, 3, 1573).

Cet exemple est plein d’ambiguïté. S’entendant incriminée dans le


meurtre du roi qu’elle adorait, Hermione interrompt-elle Oreste de la
façon la plus rude ? Ou, au contraire, laisse-t-elle une longue pause mena-
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çante avant de lui répondre ? A l’actrice ou au lecteur de décider. Il est
intéressant de noter que ces 5 points paraissent dans les deux premières
éditions de la pièce, qu’ils paraissent aussi dans la première édition col-
lective de 1675-1676 pour être réduits à 4 points dans les éditions sui-
vantes. Or, dans ces trois occurrences de 5 points, s’agit-il du caprice des
compositeurs ? Je dirais plutôt qu’on y voit l’effet d’une conscience dra-
maturgique. Les trois occurrences des 5 points soulignent encore plus
vigoureusement le grand désespoir, la grande jalousie, et la grande fureur
d’Hermione, dans les éditions où ils paraissent.
On ressent l’intervention de cette même conscience dramaturgique en
lisant des occurrences de différents nombres de points dans des vers qui se
côtoient et qui nous invitent donc à accorder une valeur variable aux dif-
férentes occurrences. C’est le cas, par exemple, dans cet échange entre
Hermione et Cléone. Je cite d’après le texte de la première édition :
HERMIONE
Sais-tu quel est Pyrrhus ? T’es-tu fait raconter
Le nombre des Exploits… Mais qui les peut compter ?
Intrépide, et partout suivi de la Victoire,
Charmant, Fidèle enfin, rien ne manque à sa Gloire.
Songe....
CLÉONE
Dissimulez. Votre Rivale en pleurs,
Vient à vos pieds sans doute apporter ses douleurs (III, 3, 855-860).
Dans les deux premières éditions, la première occurrence comporte 3
points et la deuxième 4 points. Dans toutes les éditions collectives, la pre-
mière occurrence (« Exploits ») comportera 2 points, et la deuxième («
Songe ») 4 points, sauf que dans l’édition de 1697 celle-ci comportera 3
points. Ce qui veut dire que dans chaque édition quelqu’un a voulu insis-
ter pour que ces deux occurrences se distinguent : une petite pause pen-
dant qu’Hermione admire l’héroïsme de Pyrrhus et une interruption
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 329

vigoureuse de la part de Cléone qui essaie, mais en vain, d’épargner à sa


maîtresse les douleurs d’Andromaque qu’elle voit s’approcher. Ce « quel-
qu’un », si sensible au contexte dramaturgique, serait-ce les divers com-
positeurs responsables de cette page dans les différentes éditions ? Ou
serait-ce Racine ? Il est intéressant de noter que Grimarest, citant ce
même passage en 1707, gardera la distinction entre les deux occurrences.
Il met 4 points après « Exploits » et 6 points après « Songe »32.
On rencontre un exemple presque identique dans Bérénice. Parlant à
sa confidente, Bérénice commence à croire que Titus n’oserait peut-être
pas épouser une reine, mais elle tente de se raviser rapidement, sans suc-
cès. Je cite d’après le texte de l’édition de 1675-1676 :
Hélas ! s’il était vrai.... Mais non, il a cent fois
Rassuré mon amour contre leurs dures Lois.
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Cent fois.. Ah ! Qu’il m’explique un silence si rude (II, 5, 641-643).

A part la première édition de la pièce, où les deux occurrences comportent


4 points chacune, toutes les éditions suivantes marquent une différence de
valeur entre les deux pauses. A partir de 1675-1676, la deuxième occur-
rence est toujours marquée par 2 points ; la première occurrence est mar-
quée par 4 points dans les éditions de 1675-1676 et par 3 dans l’édition de
1697. Que peuvent signifier les différentes longueurs de pause impliquées
par une ponctuation différente ? Peut-être que Bérénice croit plus facile-
ment qu’il y a un grave problème entre elle et Titus, et moins facilement
qu’il n’y en a pas.
Dans un des plus célèbres échanges de Bérénice, déjà évoqué plus
haut, mais partiellement, le nombre de points dans les éditions différentes
invite à des interprétations très différentes. Je cite d’après la première édi-
tion, où il y a toujours 4 points :
TITUS
Mais....
BÉRÉNICE
Achevez.
TITUS
Hélas !
BÉRÉNICE
Parlez.
TITUS
Rome.... L’Empire....
BÉRÉNICE
Hé bien ? (II, 4, 623-624).

Dans cette édition on imagine trois pauses de longueur égale après « Mais »,
« Rome », et « L’Empire ». Les 4 points des deux premières occurrences

32. Cité dans l’introduction de cet article.


330 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

sont retenues dans toutes les éditions jusqu’en 1697 ; mais dans les édi-
tions de 1675-1676 et de 1687, les 4 points de la troisième occurrence
sont réduits à 3, ce qui invite une pause moins longue après « L’Empire »
et qui signale donc une certaine impatience de la part de la reine. Son
impatience est plus marquée dans l’édition de 1697, qui remplace les
points de suspension après « L’Empire » par un seul point : dans ce cas-
là, Titus s’arrête une fois qu’il a prononcé le mot « L’Empire », sans
même donner l’impression qu’il cherche d’autres mots. Et Bérénice essaie
en vain de le pousser à parler.
Dans Phèdre, au moment même où l’héroïne trahit son secret à Œnone,
elle hésite deux fois, tellement la révélation va comporter de conséquences.
Dans la première édition, les deux hésitations sont marquées par 3 points ;
cependant dans les éditions de 1687 et de 1697, les 3 points sont retenus
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pour la première hésitation, mais augmentés à 4 pour la seconde :
PHÈDRE
J’aime… à ce nom fatal je tremble, je frissonne.
J’aime....
ŒNONE
Qui ? (I, 3, 261-262).

D’une part, le fait de suggérer une pause plus longue pour la seconde
hésitation crée plus de suspense avant la révélation, d’autre part il nous
fait voir la profondeur des souffrances mentales de l’héroïne.

Variantes de presse
Le nombre de points de suspension semble donc, la plupart du temps,
s’expliquer le plus facilement par référence à une intervention éventuelle
de la part du dramaturge. Cependant, tous les arguments des sceptiques
n’ont pas été épuisés. Ils diraient, peut-être, que les variations du nombre
de points sont dues aux différents compositeurs qui s’occupaient de la
composition des différents cahiers de l’ouvrage, chaque compositeur
ayant ses préférences. Mais cette hypothèse ne saurait être appuyée par les
faits. Par exemple, dans le cahier 2D du deuxième volume des Œuvres de
1697, on trouve trois occurrences de 4 points, qui dans l’édition de 1687
avaient été de 3 points (Phèdre 1113, 1133, 1179), une occurrence de
3 points, qui avaient été de 4 points dans l’édition de 1687 (Phèdre 1385),
et une occurrence de 3 points, qui avaient été de 3 points également dans
l’édition de 1687. A part la première édition de Bérénice et celle de
Phèdre, tous les cahiers de toutes les autres éditions présentent une telle
variété de points de suspension qu’on ne saurait attribuer le choix du
nombre de points aux préférences d’ateliers ou de compositeurs parti-
culiers. Au contraire, comme nous l’avons vu plus haut, les variations
s’expliquent mieux par référence au contexte dramaturgique.
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 331

Les sceptiques diraient aussi, peut-être, que l’existence des variantes


de presse risque, pour le moins, de compliquer la question, sinon d’effa-
cer complètement le rôle de l’auteur. Cependant, pour ce qui est du
nombre des points, les variantes de presse sont extrêmement peu nom-
breuses. Au premier abord, il semble qu’il y en ait dans l’édition
d’Andromaque de 1668. Dans l’exemplaire A68-1 les points de suspen-
sion au vers 893 comportent 2 points et ceux au vers 1176 comportent
4 points, tandis que dans les exemplaires A68-2 et A68-3 on trouve 3
points et 5 points respectivement. En fait, ce ne sont pas des variantes de
presse. Les exemplaires A68-2 et A68-3 sont des ouvrages factices, com-
posés de cahiers de l’édition de 1668, sauf le cahier C, qui est pareil au
cahier C de l’édition de 1673. Il semble aussi qu’il y ait une variante de
presse dans la première édition de Phèdre. Au vers 731 il y a une occur-
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rence de deux points dans les exemplaires P77-1 et P77-2, tandis que la
même occurrence comporte 3 points dans tous les autres exemplaires.
Cependant, il s’agit de ce qu’on pourrait appeler deux éditions séparées de
Phèdre en 1677, une ayant 78 pages, l’autre 74, toutes deux typographi-
quement distinctes. On croit communément que les exemplaires ayant 78
pages (tels P77-1 et P77-2) constituent la première édition ; et aux argu-
ments généralement acceptés, on peut en ajouter un autre : c’est-à-dire,
que dans P77-1 et P77-2 le compositeur a mis 2 points en fin de vers,
puisqu’il n’y a pas suffisamment d’espace pour en mettre une troisième ;
tandis que dans les autres exemplaires, ayant 74 pages, et qui constitue-
raient la deuxième édition, le compositeur a placé le dernier mot de ce
vers, « bien », sur une nouvelle ligne de sorte qu’il y ait beaucoup d’es-
pace pour mettre les 3 points de suspension que ce vers gardera dans
toutes les éditions suivantes.
De véritables variantes de presse se trouvent dans l’édition de 1697.
L’exemplaire O97-5 donne « veulent.... » (4 points) au vers 1156 d’Andro-
maque, alors que les autres exemplaires donnent « veulent… » (3 points) ;
ce même exemplaire donne « décevant.... » (4 points) au vers 523 de
Phèdre (3 points dans les autres exemplaires), et « embarquée.... »
(4 points) au vers 113, tandis que les autres exemplaires donnent, bizarre-
ment, « embarquée..., » (3 points plus virgule). Cette dernière variante
nous fait penser que l’exemplaire O97-5 pourrait comporter des correc-
tions par rapport aux autres exemplaires examinés. C’est pourtant un
exemplaire que la critique a négligé. Ainsi, le petit nombre de variantes de
presse ne permet pas aux sceptiques d’arguer d’une incohérence dans le
choix du nombre de points dans les occurrences des points de suspension.
Georges Forestier a choisi le texte des éditions originales comme texte
de base de son édition critique parce que ces éditions sont les plus proches
de la création des pièces sur scène. A propos du texte de l’édition de 1697
332 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

et notamment de sa ponctuation, il dit ceci : « le texte définitif […] est en


même temps moins « vivant », tout particulièrement dans le cas de la
ponctuation qui, dans la dernière édition collective, a subi des corrections
allant dans le sens de la clarté de la syntaxe au détriment de sa fonction
rythmique, préfigurant une normalisation syntaxique entreprise au
XVIIIe siècle et achevée au XIXe » (p. XCV). Si l’on s’en tient au cas des
points de suspension et surtout au nombre des points, mes analyses don-
neront à la fois raison et tort à Forestier. Raison, dans le sens que l’utili-
sation de 5 points disparaît entièrement dans l’édition de 1697, et que
l’utilisation de 2 points tend à s’estomper33. Mais tort, dans le sens que les
textes originaux de Bérénice et de Phèdre, peu variés du point de vue du
nombre de points, tendent, encore en 1697, à se dynamiser avec plus de
variation rythmique dans le traitement des points de suspension.
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L’exemple de Corneille

Une dernière question se pose : la pratique racinienne est-elle compa-


rable à celle des dramaturges contemporains ? Pour répondre à cette ques-
tion de manière précise, il faudrait un travail de vaste étendue. Pour une
première approche de réponse, j’ai fait des analyses comparables pour
l’Horace de Pierre Corneille dans sa première édition de 1641 et dans les
éditions collectives de 1660 et de 1682, et pour Suréna dans l’édition de
1675 et dans l’édition collective de 1682. Les résultats sont frappants. On
a même l’impression de toucher à un moment-clé dans l’évolution histo-
rique des points de suspension. Dans Horace, en 1641, il n’y a que sept
occurrences de points de suspension (de 3 ou de 4 points) et il s’agit tou-
jours de l’interruption d’un personnage par un autre, jamais d’une pause
introduite dans le discours d’un seul personnage. Il y a même un exem-
plaire (H41-1), où il n’en paraît que trois occurrences, les autres occur-
rences n’étant marquées, fautivement, que par des points simples, comme
si les compositeurs n’étaient pas habitués à cette marque de ponctuation.
En modifiant son texte pour l’édition de 1660, Corneille ajoute deux
autres occurrences. En revanche, quand il écrit Suréna dans les années
1670, Corneille se sert, par rapport à la pratique racinienne, d’un nombre
étonnant de points de suspension : cinquante-quatre en fait, dont la très
grande majorité (44) sont des interruptions d’un personnage par un autre.
Peter France a déjà noté, et commenté ironiquement, la plus grande fré-
quence de ce genre d’interruption chez les contemporains de Racine :
« this interruption is much less frequent in Racine than in the later plays
of Pierre Corneille and the tragedies of Pradon and other contemporaries.

33. Il faut noter cependant que, pour l’ajout des points de suspension au vers 886 de Phèdre
dans l’édition de 1697, il s’agit de 2 points : « Vous le craignez.. ».
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 333

In Pradon it often seems to be an attempt to compensate for the general


monotony of the alexandrine » (p. 179). A ce propos, on peut noter aussi
que les 54 occurrences des points de suspension dans l’édition de Suréna
publiée en 1675 comportent 48 occurrences de 3 points, 3 occurrences de
4 points et 2 occurrences de 2 points. On voit déjà que la pratique raci-
nienne est plus nuancée, plus restreinte, et plus variée, notamment en ce
qui concerne les occurrences, passionnantes et pleines de suspense, où un
personnage interrompt son propre discours.

CONCLUSION

Plusieurs constatations générales s’imposent en guise de conclusion :


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qu’il n’est pas possible d’évaluer le rôle de la ponctuation dans les textes
pré-modernes sans consulter toutes les éditions revues par l’auteur et
autant d’exemplaires de ces éditions que possible ; que tout signe de ponc-
tuation peut entraîner une modification dans la manière de comprendre un
texte et de le réciter à haute voix et que, donc, toute édition scientifique
d’un ouvrage pré-moderne doit forcément faire face aux problèmes diffi-
ciles posés par la ponctuation ; que, pour les textes dramatiques, il faut
avouer qu’on ne peut pas connaître la ponctuation qu’observaient les
acteurs quand ils apprenaient leur rôle puisqu’ils disposaient de manus-
crits et non pas de livres imprimés ; cependant il est de fait que la ponc-
tuation des éditions du XVIIe siècle est inévitablement celle que suivaient
les lecteurs de l’époque quand ils lisaient ou récitaient ces ouvrages, et
que, donc, la ponctuation servait d’aide au lecteur qui pouvait, par ce
moyen, imaginer ou recréer une représentation orale du texte dramatique.
A ces constatations générales viennent s’ajouter des observations particu-
lières ressortissant des analyses détaillées des points de suspension chez
Racine : et notamment, que les points de suspension se prêtent étonnam-
ment bien à signaler toute une gamme d’effets dramaturgiques qu’un
acteur ou qu’un lecteur peut, grâce à eux, mieux réaliser ; qu’une si
grande cohérence d’occurrences de points de suspension existe dans les
éditions de Racine au XVIIe siècle qu’on doit, à mon avis, les attribuer à
l’intervention de l’auteur ; que le nombre de points utilisé, lié souvent à
des effets de jeu et de contraste, ne saurait plus être négligé. Les points de
suspension, parent pauvre des marques de ponctuation dans les débats
récents sur le sujet, méritent eux aussi que l’on leur porte attention, d’au-
tant plus que toute analyse du théâtre de Racine, y compris les aspects
apparemment les plus insignifiants, nous fait mieux apprécier en lui l’écri-
vain dramatique inlassablement attentif aux moindres détails de son art.
334 REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

EXEMPLAIRES DES ÉDITIONS DES ŒUVRES DE CORNEILLE


ET DE RACINE CONSULTÉS AVEC ABRÉVIATIONS UTILISÉES
DANS LE TEXTE DE CET ARTICLE

Cette liste ne saurait contenir des descriptions bibliographiques complètes.


Cependant certaines observations bibliographiques sont indiquées après les cotes là
où, autrement, la liste risquerait de dérouter le lecteur. Les abréviations suivantes
ont été utilisées pour identifier les bibliothèques :
— ASP : Arts du Spectacle, Bibliothèque Nationale de France (Richelieu),
— BNF : Bibliothèque Nationale de France (Mitterrand),
— VER : Bibliothèque Municipale de Versailles,
— ROU : Bibliothèque Villon, Rouen,
— WOR : Worcester College, Oxford, G-B.
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Corneille

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— H41-1 : Horace, Paris : Augustin Courbé, 1641 (BNF. RES-YF-3904) [In-12].
— H41-2 : Horace, Paris : Augustin Courbé, 1641 (BNF. RES-YF-3905) [In-12].
— H41-3 : Horace, Paris : Augustin Courbé, 1641 (ASP. RES-RF-1940) [In-12].
— H41-4 : Horace, Paris : Augustin Courbé, 1641 (BNF. RES-YF-673) [In-4].
— H41-5 : Horace, Paris : Augustin Courbé, 1641 (ASP. RES-RF-1939) [In-4].
— H41-6 : Horace, Paris : Augustin Courbé, 1641 (ROU. RES-M-20) [In-4].

— S75-1 : Suréna, Paris : Guillaume de Luyne, 1675 (BNF. RES-pYF-284).


— S75-2 : Suréna, Paris : Guillaume de Luyne, 1675 (BNF. RES-YF-3978).
— S75-3 : Suréna, Paris : Guillaume de Luyne, 1675 (ASP. RF-2234).
— S75-4 : Suréna, Paris : Guillaume de Luyne, 1675 (ROU. RES-p-231).

— T60-1 : Le Théâtre de P. Corneille, Paris : Augustin Courbé, Guillaume de


Luyne, 1660 (BNF. RES-YF-2984, 2985, 2986).
— T60-2 : Le Théâtre de P. Corneille, Paris : Augustin Courbé, Guillaume de
Luyne, 1660 (ASP. RES-RF-1701).

— T82-1 : Le Théâtre de P. Corneille, Paris : Guillaume de Luyne, 1682 (BNF.


RES-YF-3000, 3001, 3002, 3003).
— T82-1 : Le Théâtre de P. Corneille, Paris : Guillaume de Luyne, 1682 (ROU.
DIEUSY-p-437).
— T82-3 : Le Théâtre de P. Corneille, Paris : Pierre Trabouillet, 1682 (ASP. RF-
1707).

Racine
— A68-1 : Andromaque, Paris : Claude Barbin, 1668 (ASP. RES-RF-4552).
— A68-2 : Andromaque, Paris : Théodore Girard, 1668 (BNF. RES-YF-3206)
[fabriqué en 1673 à partir de cahiers imprimés en 1668 sauf le cahier C, qui est
pareil aux cahiers C imprimés en 1673].
— A68-3 : Andromaque, Paris : Théodore Girard, 1668 (VER. RES-LEBAUDY-in-
12-578) [fabriqué en 1673 à partir de cahiers imprimés en 1668 sauf le cahier
C, qui est pareil aux cahiers C imprimés en 1673].
— A73-1 : Andromaque, Paris : Henry Loyson, 1673 (BNF. YF-6210).
— A73-2 : Andromaque, Paris : Henry Loyson, 1673 (BNF. RES-YF-3863).
— A73-3 : Andromaque, Paris : Henry Loyson, 1673 (ASP. RES-RF-4553).
POINTS DE SUSPENSION CHEZ RACINE 335

— B71-1 : Bérénice, Paris : Claude Barbin, 1671 (BNF. RES-YF-3209).


— B71-2 : Bérénice, Paris : Claude Barbin, 1671 (BNF. RES-YF-3873).
— B71-3 : Bérénice, Paris : Claude Barbin, 1671 (BNF. RES-pYF-54).
— B71-4 : Bérénice, Paris : Claude Barbin, 1671 (ASP. RES-RF-4648).

— P77-1 : Phèdre et Hippolyte, Paris : Claude Barbin, 1677 (BNF. RES-YF-3213)


[78p].
— P77-2 : Phèdre et Hippolyte, Paris : Claude Barbin, 1677 (BNF. RES-p-YF-81)
[78p].
— P77-3 : Phèdre et Hippolyte, Paris : Claude Barbin, 1677 (ASP. RES-RF-4740)
[74p].
— P77-4 : Phèdre et Hippolyte, Paris : Jean Ribou, 1677 (VER. RES-LEBAUDY-
in-12-434) [74p].
— P77-5 : Phèdre et Hippolyte, Paris : Claude Barbin, 1677 (BNF. RES-YF-3217)
[74p] (ajouté à la fin du deuxième volume de O75/6-2).
— P77-6 : Phèdre et Hippolyte [sans page de titre] (BNF. RES-YF-3219) [74p]
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(ajouté à la fin du deuxième volume de O75/6-3).

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— O75/76-1 : Œuvres, Paris : Claude Barbin, 1675 (vol. 1), 1676 (vol. 2) (VER.
RES-LEBAUDY-In-12-347, 348).
— O75/76-2 : Œuvres, Paris : Claude Barbin, 1676 (BNF. RES-YF-3216, 3217).
— O75/76-3 : Œuvres, Paris : Jean Ribou, 1676 (BNF. RES-YF-3218, 3219).
— O75/76-4 : Œuvres, Paris : Claude Barbin, 1676 (ASP. RES-RF-4460).
— O75/76-5 : Œuvres, Paris : Claude Barbin, 1676 (VER. RES-LEBAUDY-in-12-
349, 350).

— O87-1 : Œuvres, Paris : Denys Thierry, 1687 (BNF. RES-YF-3223, 3224).


— O87-2 : Œuvres, Paris : Pierre Trabouillet, 1687 (BNF. RES-p-YF-87).
— O87-3 : Œuvres, Paris : Pierre Trabouillet, 1687 (BNF. RES-SMITH LESOUEF-
3528, 3529).
— O87-4 : Œuvres, Paris : Denys Thierry, 1687 (ASP. RF-4463).

— O97-1 : Œuvres, Paris : Pierre Trabouillet, 1697 (BNF. RES-YF-3228, 3229).


— O97-2 : Œuvres, Paris : Claude Barbin, 1697 (BNF. RES-p-YF-86).
— O97-3 : Œuvres, Paris : Denys Thierry, 1697 (ASP. RES-RF-4465).
— O97-4 : Œuvres, Paris : Claude Barbin, 1697 (WOR. W.5.1, W.5.2).
— O97-5 : Œuvres, Paris : Claude Barbin, 1697 (ROU. DIEUSY-p-422).

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