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Chapitre 5 : Analyse des impacts

économiques et sociaux de la MF
Objectif : présentation de quelques exemples d’études
d’impacts de la MF dans la lutte contre la pauvreté et
l’exclusion bancaire.
Principales questions abordées :
 Un impact de la MF a-t-il pu être mesuré, et sur quels
aspects ou plans ?
 La MF touche-t-elle réellement les populations les plus
pauvres et les aide-t-elle efficacement ?
Source principale : Boyé, S. et al. (2006) « Le guide de la
microfinance : Microcrédit et épargne pour le
développement », Editions d’Organisation, pp. 90-111.
5.1. Nécessité de mesurer les impacts
de la MF
Trois principales raisons :
La première raison, le temps était au bilan depuis
la fin des années 1990.
• Pour juger de la capacité de la MF à atteindre
son objectif de lutte contre la pauvreté et
l’exclusion financière.
• Un moyen de confirmer ou non la portée de
l’alternative qu'elle représentait par rapport à
d’autres politiques ayant eu le même objectif (ex.
aides, dons, etc.)
5.1. Nécessité de mesurer les impacts
de la MF
La deuxième raison, est liée à la difficulté pour les IMF de
trouver des financements nécessaires pour faire face à
l’évolution de leur activité dans les années 1990.
• N’étant pas autorisées à collecter les dépôts des non
clients (n’ayant pas de la banque), la seule issue pour les
IMF était de recourir à des financements publics ou privés,
subventions ou dons. Cependant une nouvelle source
financement apparaît à cette période, les fonds apportés
par les investisseurs socialement responsables (ISR).
• Ce marché d’ISR (fonds communs de placement éthiques,
produits d’épargne solidaire, participations dans des
entreprises socialement responsables) avait pris une telle
importance qu’il était impossible pour les intermédiaires
financiers de ne pas s’y intéresser.
5.1. Nécessité de mesurer les impacts
de la MF
Cette nouvelle source (ISR) représente aussi une
opportunité pour les IMF à la recherche de
financement.
• Les IMF rentrent dans le créneau de ces investisseurs
par leurs objectifs sociaux certes, mais il leur faut
prouver effectivement en démontrant les impacts
sociaux et économiques de leurs activités sur les
populations ciblées.
• L’évaluation des impacts apparaît ainsi comme un
moyen de rendre compte de la performance
économique et sociale , afin d’attirer les subventions
publiques ou les financements privés.
5.1. Nécessité de mesurer les impacts
de la MF
La troisième raison, la plus évoquée aujourd’hui, est la
volonté d’améliorer les services offerts aux clients.
• L’évaluation des impacts s’oriente ainsi de plus en
plus vers les clients : pour mieux comprendre leurs
besoins en vue d’offrir des services mieux adaptés.
• Les études orientées vers cet objectif obtiennent le
plus grand consensus : elles intéressent aussi bien
les bailleurs de fonds que les IMF et leurs clients.
5.1. Nécessité de mesurer les impacts
de la MF
Les programmes de MF revendiquent en général
l’objectif d’avoir un positif impact sur leurs clients
et sur le développement, par exemple :
• La réduction de la pauvreté ;
• Le renforcement de la position sociale de la
femme ou de groupes de population défavorisés ;
• L’encouragement à la création d’entreprise ;
• Le soutien à la croissance et à la diversification
d’entreprises existantes.
5.1. Nécessité de mesurer les impacts
de la MF
En affichant ces objectifs, les programmes de MF
ont suscité des attentes et attirer des financements
publics et privés.
• Le temps est venu de mesurer leur contribution
au développement économique et social. C’est un
enjeu essentiel pour garder la confiance des
bailleurs de fonds et améliorer les pratiques.
• Pour convaincre les différents acteurs, des études
statistiques rigoureuses ont été menées sur
différents programmes de MF dans le monde.
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts de la MF ?
Plusieurs études ont en évidence des résultats
impressionnants :
• Sur le plan économique : avec des impacts sur le
revenu et la capacité d’épargne ;
• Sur le plan social : avec des effets sur la
scolarisation des enfants, l’accès aux soins ou
l’amélioration de l’habitat, grâce à l’impact
économique et dans certains cas grâce à des
services complémentaires proposés par les IMF.
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts
En Bolivie, en l’espace de 3 ans :
• 2/3 des clients de l’IMF CRECER ont vue leurs revenus
augmenter significativement, grâce à la croissance de leur
activité commerciale et à leur capacité à grouper leurs
achats de marchandise du fait de l’accès au crédit.
• En accédant aux services des IMF, les familles ont pu lisser
leur consommation et acquérir de nombreux biens pour la
maison. 86% ont pu se constituer une épargne, alors que
78% d’entre eux n’avaient pas auparavant.
• Grâce aux sessions de formation ou sensibilisation sur des
questions d’hygiène ou de santé dispensées par l’IMF : les
clientes de CRECER ont des meilleures pratiques
d’allaitement de leurs enfants, de réhydratation en cas de
diarrhées et de prévention du paludisme.
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts
Au Ghana, une autre étude portant sur les clients de
l’IMF Freedom from Hunger a montré qu’en
l’espace de 3 ans :
• Les revenus mensuels des clients de l’IMF ont
augmenté de 30 €, contre seulement 15 € pour
des individus qui n’étaient pas clients.
• Parmi les clients on note une forte diversification
des sources de revenus : 80% ont une deuxième
activité, contre seulement 50% des non clients.
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts
En Ouganda, une étude sur 3 IMF a montré que :
• Leurs clients investissent plus dans l’éducation
de leurs enfants, grâce aux revenus de leurs
micro-entreprises.
• Les clients de l’IMF FOCCAS ont des meilleures
pratiques d’hygiène suite aux sessions de
sensibilisation, par exemple : 32% ont essayé au
moins une méthode de prévention du sida contre
18% chez les non clients.
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts
Au Bangladesh, une étude sur 3 IMF (Grameen Bank,
BRAC et RD-12) a montré que :
• 5% des clients passent au-dessus du seuil de
pauvreté chaque année ;
• Les améliorations constatées sont durables et ont
un effet positif et mesurable sur l’alimentation et la
scolarisation des enfants.
• Les progrès se font même sentir au niveau des
villages : dans ceux où l’offre de MF apparaît, même
les non-clients en bénéficient (effet d’entraînement,
par exemple la hausse des salaires).
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts
Une autre étude sur l’IMF BRAC montre que :
• La situation des clients devient moins précaire grâce
à l’accès aux services financiers, qui permettent de
lisser leur consommation et d’accumuler des actifs
revendables en cas de coup dur.
• En cas de catastrophe naturelle (ex. une inondation):
la possibilité de recourir juste après à un emprunt
d’urgence est extrêmement importante pour
atténuer les effets de la catastrophe.
• La MF a un effet positif sur la statut de la femme au
sein des familles et de la société.
• L’impact de la MF est surtout fort sur les ménages
« modérément pauvres ».
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts
Dans une troisième étude de BRAC :
• On observe une amélioration plus rapide du niveau
d’instruction des adolescents chez les familles
clientes de l’IMF.
• L’occurrence de la malnutrition des enfants est
moindre parmi les clients de l’IMF : la fréquence de
la malnutrition est de plus en plus faible pour ceux
qui restent durablement membres du programme.
• Toujours au Bangladesh, une étude sur la Grameen
Bank montre : un niveau de scolarisation des filles
supérieur chez les familles clientes de l’IMF.
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts
Au Zimbabwe, une étude sur l’MF Zambuko Trust a
démontré que :
• Les clients de l’IMF réussissaient mieux que les
autres à accumuler les actifs utiles au ménage,
comme un réfrigérateur ou un four.
• Les clients parviennent également à diversifier
leurs sources de revenus.
• Malgré le contexte de crise des années 97-99, on
observe un impact positif sur l’alimentation des
clients très pauvres, en quantité et en qualité.
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts
Au Cambodge, une étude d’impact du microcrédit
sur les clients d’AMRET (crédit rural) a souligné les
résultats suivants :
• 80% des clients pensent avoir réalisé un profit
grâce au crédit, et 19% d’entre eux pensent ne
plus avoir besoin de réemprunter à l’avenir ;
• 40% des crédits sont réellement investis dans une
micro-entreprise ; la moitié des prêts sont en
réalité utilisés pour lisser la trésorerie du ménage.
5.2. Quelques exemples d’études
d’impacts
Nuances : De nombreuses études ont documenté
et observé un impact fort de la MF.
• Mais, il existe aussi quelques unes qui ont conclu
à l’absence d’impact ou dans des rares cas à un
impact négatif, exemple : dans zones très
pauvres focalisées sur une mono-activité (un seul
produit), l’accès au microcrédit peut entraîner
une saturation rapide du marché local.
• Cependant, la fréquence de ces résultats est trop
faible pour mettre en doute la tendance
généralement positive des études.
5.3. Autonomie des femmes et MF
Pourquoi certaines IMF choisissent-elles d’avoir pour
clients, uniquement ou principalement des femmes ?
Les raisons de ce ciblage des femmes sont multiples :
• La participation importante des femmes aux
métiers informels visés par la MF (ex. la tenu d’une
petite activité commerçante dans le quartier),
cumulables avec un temps important consacré à la
famille ;
• La surreprésentation des femmes parmi les
populations pauvres visées par la MF : les femmes
faisant souvent face à des obstacles socio-
économiques spécifiques (par exemple, les taux de
scolarisation des filles sont bien inférieurs à ceux des
garçons dans la majorité des PED) ;
5.3. Autonomie des femmes et MF
• La propension plus grande des femmes à affecter
leurs revenus au bien-être de la famille
(éducation, santé des enfants notamment),
engendrant un impact social plus fort à impact
économique égal ;
• La volonté de renforcer la position de la femme
dans son foyer et la participation des femmes au
développement économique et social ;
• Certaines IMF estiment en outre que les femmes
remboursent mieux les crédits que les hommes.
5.3. Autonomie des femmes et MF
Concrètement, qu’en est-il de l’autonomie acquise
par les femmes grâce aux services des IMF ?
Des études ont montré que, au-delà de son impact
matériel, l’accès aux services de MF peut :
• contribuer à une amélioration du statut des
femmes au sein de la famille, au renforcement
de l’estime qu’elles ont d’elles-mêmes (capacités
d’organisation, d’expression et de revendication).
• Limiter leur dépendance par rapport aux usuriers
(emprunts) ou à leurs fournisseurs (achats à crédit).
5.3. Autonomie des femmes et MF
• Certaines femmes échappent à des obligations
d’entraide communautaire ou familiale « grâce » au
microcrédit : une fois les remboursements honorés
grâce aux revenus de leur activité, elles constituent une
épargne a posteriori qu’elles ne pourraient réaliser
autrement.
• Dans le cas de crédits solidaires, les réunions de groupe
peuvent permettre de discuter entre femmes des
préoccupations spécifiques, d’encourager dans certains
cas des mesures face à d’éventuels comportements
inacceptables (violence domestique, par exemple).
5.3. Autonomie des femmes et MF
Nuancer les impacts:
• Un forte proportion de femmes parmi les
emprunteurs ne signifie pas qu’elles jouent un
rôle prépondérant dans la décision et la gestion
du crédit .
• Chez AMRET (Cambodge), 75% des clients sont
des femmes, mais dans 71% des cas, la décision
de prendre le crédit et son affectation sont le
résultat d’un choix commun du couple ; les
femmes sont en quelque sorte en charge des
« formalités », consommatrices de temps, sans
avoir pour autant davantage d’autonomie dans la
gestion du crédit.
5.4. Impact plus global de la MF
On a étudié l’impact de la MF sur les clients des
IMF. Mais, plus globalement, observe-t-on une
contribution de la MF au développement :
• d’une filière (agricole, industrielle),
• d’une ville, d’une région (niveau méso-
économique)
• ou d’un pays (niveau macro-économique) ?
5.4. Impact plus global de la MF
Au niveau méso-économique, la MF peut avoir un impact sur
le marché foncier et sur le marché du travail.
• Sur le marché foncier : la possibilité d’emprunter peut, par
exemple, éviter à des paysans de mettre leur terre en
métayage par manque de capital pour l’exploiter.
• Sur le marché du travail : le développement de la MF peut
permettre aux clients des IMF, eux-mêmes, d’embaucher à
leur tour (on parle de « deuxième niveau de distribution du
crédit ») ; la MF peut également contribuer à modifier les
rapport de forces (par exemple, renforcer le pouvoir de
négociation des salaires d’ouvriers agricoles, désormais
dotés d’autres options que le travail salarié).
5.4. Impact plus global de la MF
Au niveau macro-économique, la MF permet d’accroître
la bancarisation de la population.
• Des études ont montré que dans certains pays où 80%
à 90% des ménages sont exclus des banques, le taux
de pénétration de la MF peut atteindre jusqu’à 5 ou
10 fois celui des banques.
• Autrement dit, les IMF représentent jusqu’à 5% de la
collecte d’épargne et 10% du crédit à l’économie. Ces
proportions augmentent dans les zones rurales.
• Dans ces conditions, il est clair que la MF contribue
modestement mais significativement au financement
de l’économie.
5.4. Impact plus global de la MF
Nuances : La MF n’est pas une solution miracle à la
question du sous-développement. Elle ne constitue
qu’un des éléments à mettre en place dans le cadre
de stratégies de développement beaucoup plus
larges, impliquant :
• La mise en œuvre de politiques sociales (de santé
et d’éducation) ;
• De réformes économiques et politiques, au niveau
national (démocratie, bonne gouvernance) ou
international (notamment l’équité dans les règles
du commerce.
5.5. La MF outil de lutte contre la
pauvreté ?
Cette affirmation souvent controversée soulève
plusieurs interrogations :
• Les IMF qui prétendent viser les pauvres les
atteignent-elles réellement ou ne font-elles
qu’en afficher l’intention afin d’intéresser des
bailleurs publics ?
• Le microcrédit est-il un outil adapté aux plus
pauvres ? Autrement dit, n’est-il pas risqué
d’endetter des familles très pauvres, qui n’auront
pas toujours les capacités de développer une
activité économique pérenne et subiront une
pression forte au remboursement ?
5.5. La MF outil de lutte contre la
pauvreté ?
• N’est-il pas plus judicieux de viser un public
moins pauvre ou des entreprises de plus fort
potentiel, capables d’initier une dynamique
économique et des opportunités d’emploi qui
bénéficieront indirectement aux pauvres ?
• Mais si la MF n’atteint pas les pauvres et offre
des opportunités au reste de la population, ne
risque-t-elle pas de contribuer à accroître les
inégalités et marginaliser davantage les pauvres ?
5.6. Comment mesurer le niveau de
pauvreté ?
Pour répondre à cette interrogation, il faut définir,
au fond, ce que l’on entend pauvreté.
• La pauvreté en termes monétaires : « les seuils
de pauvreté ».
Une vision classique définit la pauvreté d’un ménage
par l’extrême faiblesse de ses ressources monétaires.
 La plupart des pays définissent un seuil de pauvreté,
qui est le niveau de revenu nécessaire dans une zone
donnée pour faire face aux besoins absolument
essentiels d’un ménage.
Tout ménage dont la dépense moyenne est « en
dessous ce seuil de pauvreté » est dit pauvre.
5.6. Comment mesurer le niveau de
pauvreté ?
• Les économistes et les sociologues la pauvreté est un
phénomène multidimensionnel, qui affecte les
revenus et les biens d’une personne, mais plus
globalement ses capacités à mener la vie qu’elle
souhaite mener.
• Pour Amartya Sen (économiste indien, prix Nobel d’économie
1998) le niveau de pauvreté d’un individu doit s’évaluer :
 non seulement en fonction des revenus monétaires,
 mais aussi en fonction d’autres aspects non financiers : accès
aux soins, à l’éducation pour les enfants, liberté au sein du
foyer, possibilité d’expression et de participation politique…
5.6. Comment mesurer le niveau de
pauvreté ?
La pauvreté, un phénomène multidimensionnel : les
indices de pauvreté.
• Amartya Sen (économiste indien, prix Nobel
d’économie en 1998) a largement influencé ce courant
de pensée, qui incite à évaluer le niveau de pauvreté
d’un individu :
 non seulement en fonction des revenus monétaires,
 mais aussi en fonction d’autres aspects non financiers :
accès aux soins, à l’éducation pour les enfants, liberté
au sein du foyer (notamment dans le cas de la femme),
possibilité d’expression et de participation politique…
Conclusion : Microfinance et pauvreté
• La MF n’est pas un outil adapté pour toucher les plus « plus
pauvres des pauvres » au sens strict (les indigents), qui
manquent du minimum de stabilité nécessaire pour que le
recours à des services financiers soit possible.
• Un cran au-dessus des indigents : les ménages très pauvres
ne sont pas toujours susceptibles de faire fructifier un
microcrédit, par manque de moyens financiers, humains et
techniques. Leur faire courir le risque de l’endettement
n’est toujours pas recommandable ni pour eux ni pour le
prêteur.
• Remontant encore d’un écran : les ménages non pauvres
vulnérables regroupent des familles qui sont justes en
dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté, mais qu’un
simple choc externe suffirait à précipiter dans une pauvreté
profonde, par exemple. : une maladie, un décès dans la
famille

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