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La mort de Virgile d'après Properce et Ovide

Author(s): Jean-Yves Maleuvre


Source: L'Antiquité Classique , 1997, T. 66 (1997), pp. 177-206
Published by: L'Antiquité Classique

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41659305

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La mort de Virgile d'après Properce et Ovide

Parmi la vingtaine de pièces à conviction, chacune autonome, tirées


soit d'Horace (Od. , I, 3; 28; II, 6; 9; 20; IV, 12; Epist., I, 5;
Architecture des Odes), soit d'Ovide (Amor., II, 6; 11-12; Met., III,
511-733; V, 642-661; VI, 412-674; VIII, 159-168, 183-259; Tr., II,
539-40; IV, 10, 51-54; V, 3, 27-30), soit de Properce (II, 34; III, 21),
soit encore du Pseudo-Moschos, que nous avons pu recueillir pour
appuyer l'hypothèse d'une responsabilité criminelle de l'empereur
Auguste dans la disparition de Virgile à l'occasion de son voyage en
Grèce à la fin de l'été de l'an -191, l'argument reposant sur l'analyse des
élégies 11 et 12 du deuxième livre des Amours d'Ovide ne figure dans
La Mort de Virgile d'après Horace et Ovide qu'à titre d'appendice. Nous
nous sommes proposé ici de l'examiner plus à fond, en même temps que
quatre élégies de Properce (III, 7, II, 26- 27- 28) reliées, selon quelque
apparence, au même sujet.

I. PROPERCE

III, 7

L'élégie III, 7 de Properce déplore la mort d'un certain Paetus


disparu dans le naufrage de son vaisseau qui faisait route vers l'Égypte
Quoique l'âge du personnage (primo ... aeuo, 7; primae lanuginis, 59
aussi bien que sa destination2 nous détournent à première vue de songer

1 Pour ce qui est de Ps.- Moschos, cf. Lamentation funèbre en l'honneur de Virgile
dans Paideia , 48 (1993), p. 241-6; pour Horace et Ovide, La mort de Virgile d'après Hora
et Ovide , Paris, 1993; pour Properce, Jeux de masques dans l'élégie latine. Tibulle,
Properce, Ovide , Namur, 1997.
2 Mais il faut se garder de prendre à la lettre ce qui n'est souvent pour la poésie
augustéenne que convention : cf. W. A. Camps, Elegies Book III , Cambridge, 1966, a
loc., et surtout M. Hubbard, Propertius , London, 1974, p. 84, n. 1 : «we should not
suppose ourselves able to infer that P. was sailing to Alexandria by a route that took h
between Rhodes and Crete; Alexandria is mentioned as a typical rich market, the Carpath
as a typical dangerous sea, and that is all. ». Dans la suite de ces notes, l'ouvrage de
Hubbard sera cité par le simple nom de l'auteur; de même pour T. D. Papanghelis,
Propertius : a Hellenistic poet on love and death , Cambridge, 1987, P. Fedeli, Properzio
Libro Terzo delle Elegie , Bari, 1985, et J. Booth, Ovid. Amores II , texte, trad, et comm.
anglais, Warminster, Wiltshire, 1991. Le texte ici suivi, sauf indications contraires, ser
pour Properce, celui de P. Fedeli, Propertius , Bibi. Teubneriana, ed. corr. 1994, et pou
Ovide celui d'H. Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1930.

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178 J.- Y. MALEUVRE

à Virgile, qui trouva lui aussi la m


il reste néanmoins que l'élégiaque
susciter à l'esprit de ses lecteurs la
Y contribue d'abord l'influen
d'Horace, que la main habile de
quelque sorte comme pour porter
unit, à savoir le meurtre de Virg
l'ode I, 3 : ton imprécatoire ass
coupable (avec l'écho de audac
question de l'origine du malheur h
tuo, 4 : Audax Iapeti genus / Igne
3, 27-8), condamnation de la navi
mort ( Per te immaturum mortis
necessitas / Leti corripuit gradů
28, la réminiscence en affleure en
mari : rabidus comes ... obrni
aetatem numeras? : numeroque ca
1-2), 26 ( Paetum ... uilis arena
capiti inhumato / Particulam da
... tu : At tu, nauta, Od., I, 28, 23
L'attention du lecteur étant a
librement et pleinement s'exprime
Portabat sonetos alueus ille uiros.
Il faut bien avouer en effet que le qualificatif de sanctus uir
convient fort mal à un jeune négociant guidé par le seul appât du gain
(cf. surtout auaris, 37) et qui n'a eu au fond que ce qu'il méritait ( Quid
meritum dicas? 34)4; et l'on note que l'emphatique ille était déjà préparé
au vers 14 par ilio. Ce Paetus ne serait-il donc qu'un masque, un
déguisement pour dissimuler Virgile, au même titre peut-être que dans
Ovide le perroquet de Corinne {Amor., II, 6), ou dans Horace le Mystès
de l'ode II, 9, la Tyndaris de l'ode I, 17, et même le Pettius de la
onzième épode (la quasi-homonymie vaut d'être remarquée)5? On
comprendrait mieux dans ce cas la double allusion à l'Attique (v. 13,
rapt d'Orithyie; v. 22, noyade d'Argynnus dans le Céphise) à propos
d'un voyageur censé se diriger vers l'Egypte (v. 5). Et surtout, on aurait
alors la ressource d'attribuer à un autre facteur qu'au hasard pur et

3 Les rapports entre l'ode I, 28 et l'élégie à Paetus sont soigneusement étudiés par
Fedeli (p. 227-280), qui note aussi entre autres l'influence de Sat., II, 6, 65-70 sur
sollicitae ... uitae, 1 et uiueret ante suos dulcis conuiua ..., 45); cf. aussi l'écho de quodsi,
43 à Epod., II, 39.
4 L'étrangeté du v. 16 est bien signalée par Hubbard, p. 84, n. 2 : «an unwanted
eulogy of Paetus' crew».
5 Pour le Perroquet, Mystès et Tyndaris, cf. La mort de Virgile ... (supra, n. 1); pour
Pettius, cf. Petite stéréoscopie des Odes et Épodes d'Horace, I (Paris, 1995).

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 179

simple la présence d'une puissante anagramme de P. Vergilio Maroni


dans le premier distique :
ERGO solLlcItae tu causa, PecuNIa, Vitae !
Per te imMAturum MORtis adimus iter.
Il va de soi que si l'hypothèse est exacte, l'empreinte de Virgile
doit se retrouver dans l'élégie, ce qui est le cas en effet, même si
Properce a privilégié la subtilité sur l'abondance. Il est certain par
exemple que la description du naufragé luttant jusqu'à épuisement contre
les flots déchaînés ne peut manquer d'évoquer Palinure ( ueste grauatum/
Prensantemque uncis manibus capita aspera montis, Aen., VI, 359-60 :
Huic fluctus uiuo radicitus abstulit unguis, 51; scopulis affligar acutis,
61; degrauat, 58; grauare, 70), ou que le thème de l'étouffement de la
voix dans la mort ( moribunda niger clauderet ora liquor, 56; Subtrahit
haec fantem ...,65 sq.) est typiquement virgilien (cf. e. g. clamanti sistit
in ore, Aen., X, 323), mais les échos textuels (mis à part la reprise v. 49
de l'hémistiche ď Aen., X, 136 : aut Oricia terebintho) restent discrets.
Il peut cependant suffire d'un mot ou deux pour convoquer la
réminiscence. Ainsi, l'association au v. 41 :
Paulatim socium iacturam fleuit Vlixes
du génitif archaïque socium et du nom propre Vlixes permet de croiser
Aen., V, 174 : Oblitus decorisque sui sociumque salutis et Bue., 8,
70 : Carminibus Circe socios mutauit Vlixi.
De même, quand il s'agit de suggérer les sifflements de la tempête,
le poète écrit stridorem ... procellae (v. 47), reprenant ainsi les premiers
mots ( stridens Aquilone procella ) qui, au premier livre de VÉnéide (v.
103), suivent la plainte désespérée d'Enée confronté au déchaînement
des éléments, plainte elle-même rappelée au v. 6 par l'expression
caractéristique terque quaterque ; quant à l'Aquilon, il revient deux fois
dans l'élégie en tant que principal accusé (infelix Aquilo, 13; at tu, saeue
Aquilo, 71 : cf. at tu, nauta, HOR., Od., I, 28, 23). Par ailleurs, les
expressions dum te sequitur, 7 et primae lanuginis, 59 évoquent Aen.,
X, 324-5 (flauentem prima lanugine malas / dum sequeris Clytium),
passage qui fait suite au clamanti sistit in ore cité plus haut6.

Enfin, le passage 43-46, où il est reproché à Paetus de n'avoir pas


su écouter la voix de la sagesse7 :

6 Emprunter à Virgile lui-même le principal élément de son déguisement en jeune


homme, c'est favoriser l'identification qui se dégage logiquement de l'ensemble.
7 Reproche si indélicat que Camps (supra, n. 2) et Hubbard (p. 85) préfèrent, en
dépit de l'évidence (cf. F. Robertson, Lament for Paetus - Propertius 3. 7, dans T.A.P.A. ,
100 [1969], p. 381, n. 8), l'adresser à Ulysse. D'autres, se résignant à cette âpreté, se
posent de sérieuses questions sur la sincérité des sentiments du poète envers Paetus : ainsi
Camps, Intr. Notes ; L. Richardson, Jr. Propertius. Elegies I-IV, Un. of Oklahoma Press,
1977, Intr. Notes ; Papanghelis, p. 83 ne tranche pas. Pour J.-P. Boucher, Études sur

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180 J.- Y. MALEUVRE

Quod si contentus patrio bo


Verbaque duxisset pondus
Viueret ante suos dulcís co
Pauper, at in terra; nil, ubi
ne peut pas ne pas rappeler Bu
Fortunate senex ...Et tibi magna
alarmante, dans la mesure où ell
avec celle du "jeune homme d
cassante et méprisante prolon
Mélibée vantant le prétendu "b
résonance l'hypocrite béatitude
Paterna rura bobus exercet suis
II, 1 sqq.), lequel Alfius pourra
Octavien9. Donc, le locuteur pro
m'avait écouté, s'il s'était rési
vétérans sur ses terres, et si, au
modestement à sa place, ce malh
est particulièrement déplaisant,
corrigeant volontiers ainsi le v.
Pauper, at in terra nil nisi
Passe encore que Paetus soit
admettre que le poète ait l'air de
nil, ubi fiere, potest signifie en
prendre qu'à lui-même et qu'il n
34 : Quid meritum dicas?). Plutô
leçon la mieux attestée, mais att
dire à anti-Ego, que nous venons

Properce , Paris, 1980, p. 78, le poète a


d'une "parabole épicurienne" ("démonst
même sens Robertson, p. 386 ("3. 7 is b
8 Nous proposons une analyse de la pr
Bucoliques de Virgile , ou le Poète contre
1992).
9 Autrement dit anti-Ego : cf. Petit
1 0 Conjecture de Baehrens. Tel est pa
Loeb Classical Library, 1976 (lere pubi.
également attestée; la conjecture nil ubi
Hanslik (Bibl. Teubn., 1979) imprime re
1 1 Nous ne prétendons pas épuiser ici
l'élégie à Paetus, mais on peut relever e
acuto, Aen., I, 45 (cf. A. La Penna,
( ecfultum ) du effultus ďAen , VII, 94,
moins de vingt-cinq fois sous le caíame
Roma, 1982).

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 181

Reste à délimiter les frontières exactes de son intervention. Dans


La mort de Virgile d'après Horace et Ovide (cf. n. 1), l'ode à Archytas
nous a paru se partager en deux parties égales (18+18) distribuées entre
le "Marin" et le Poète. Or, il semble bien qu'il en aille de même ici, à ceci
près qu'au lieu de compter 36 vers, l'élégie en fait le double.
L'affectation à Ego des dix-huit derniers vers, où la parole est donnée au
mort, et des seize premiers, où Pecunia et Aquilo sont violemment pris à
partie, ne pose guère de problème, sauf pour le distique 11-12,
interpellation à Paetus qui se situerait certes mieux après le v. 18, comme
l'a proposé Kay Morsley (C.Q., 25 [1975]), p. 315-8), ou après le v.
20 si l'on ne transpose pas 19-20 après 36. Il manquerait ainsi quatre
vers à Ego pour arriver à parité avec son antagoniste. C'est sûrement
avec soulagement en tout cas que l'on attribuera à ce dernier la
responsabilité des vers qui accablent Paetus, insultent à sa mémoire et le
tournent en ridicule sous couvert de s'apitoyer sur son sort (31-38, 43-
5012, qui entraînent 51-54 dans le sarcasme); sans regret qu'on lui
abandonnera également les exempla mythologiques des v. 21-24 et 39-
40 (en acceptant si l'on veut la transposition due à Muret de 21-24 après
38), ou encore, en 25-26, l'invitation faite aux flots (suppose-t-on, en
l'absence de vocatif) de restituer le corps, et au sable vil de "prendre
l'initiative" de le recouvrir13; nulle hésitation non plus pour le distique
27-28 où le "Marin" montre du doigt le tombeau de Paetus comme un
avertissement à tous les "audacieux" :
Et quotiens Paeti transibit nauta sepulcrum,
Dicat "Et audaci tu timor esse potes" 14.
Or, souvenons-nous, surtout après l'évocation du héros de la
première églogue aux v. 43-46, que le poème des Géorgiques se
terminait sur cette fière sphragis è.
Carmina qui lusi pastorům audaxque iuuenta,
Tityre, te patulae cecini sub tegminefagi.

12 Là encore (cf. n. 7), le Non tulit du v. 47 est même tellement désobligeant pour
Paetus que F. A. Barber (Sexti Properti Carmina , Oxford Classical Texts, 1960 (lere éd.
1953) a proposé de le corriger en Nunc tulit. Quant à la construction du distique 49-50, elle
est pour le moins relâchée ... Relevons enfin la flagrante contradiction qui existe entre la
négation des dieux au v. 18 ( non habet unda deos) et la mention de Neptune, des Néréides et
autres divinités marines aux v. 15, 57, 62, 67 sqq. (cf. Hubbard, p. 84, n. 2).
13 Sponte tua. Voir sur ce distique la critique aiguë de Sh. Bailey, Propertiana,
Amsterdam (1967 : lere éd. 1956), p. 151. On l'approuvera de juger impardonnable
l'absence de vocatif avec Reddite , mais sa justification (contre Hartman qui préconisait le
mollis de Markland) de l'épithète uilis affectée à harena passerait mieux s'il en avait
reconnu la secrète nuance de délectation.
14 Comme réplique au timor du v. 13 (terreur inspirée par un violeur à sa victime), il
n'y a rien de plus sardónique que ce timor (terreur inspirée aux imprudents par le malheureux
Paetus). Le rapprochement avec III, 11, 71-2 {At tu ... nauita / Caesaris in toto sis memor
Ionio) n'est-il pas par ailleurs éloquent?

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182 J.- Y. MALEUVRE

Paetus a payé sa hardiesse de sa


Le distique 29-30 est diverse
attestée étant la suivante :
Ite, rates curuae, et leti tex
Ista per humanas mors uen
D. Paganelli15, qui l'adopte, tradu
et multipliez les causes du trép
mort.» Sens faible et presque déb
fourberie inclus dans curuae, ni d
l'association de Ite à texite causas
vous crois pas), nefs fourbes, m
façons : en réalité, ce sont des
Accusation en bonne et due form
de plus) personnifie l'assassin, tou
cela que d'aucuns préfèrent lire Ite
curuas ... (Fedeli)? Et ne serai
transposer ce distique et le su
accusations portées contre Aqu
d'obtenir la parité cherchée (déc
Ego)? L'actuel v. 17 serait bien
discours ď anti-Ego, de par son é
qui aide à interpréter le très curie
une allusion aux hautes préo
s'intéressait au calcul de l'infini,
meut dans l'éternité.
Cet homme n'est donc pas mo
un quelqu'un masqué successi
énergie : tu, te, tu, tuo, tu, 1
démasqué par le biais des échos li
par l'anagramme de Caesar qui
La précision dum te sequitur au v
tout à fait informative, puisque
"en suivant" Auguste qui rentrait en
Il ne fallait pas qu'un tel crime
comme Ovide, Properce a rem
l'ignominie au péril de sa vie. Un
témoigne dans l'ultime distique c

1 5 Properce. Élégies, texte établi et t


Belles Lettres, 1970 (lere éd. 1929).
16 Comparer par exemple un mouve
ánimos...
17 La personnification de Pecunia est soulignée par Fedeli (p. 232), qui c
propos Hor., Epist., I, 6, 37 ( regina Pecunia ); pour Pecunia , ou Aurum, comme
masque d'Auguste, cf. Petite Stéréoscopie ... {supra, n. 5). II [1997]).

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 183

vrai que, sous sa bénigne surface, il peut signifier que le poète se sait
menacé ("moi, tu ne m'attireras pas en mer, tu devras me tuer là où je
suis")18 :
At tu, saeue Aquilo, numquam mea uela uidebis :
Ante fores dominae condar oportet iners.
Et l'anagramme de l'assassin, Caesar (SAEue AK ... CondAR),
répond symétriquement à celle de la victime, P. Vergilio Maroni, que
l'on décelait dans le premier distique19.

II, 26-27-28

Deux pièces assez longues (58 et 62 vers) disposées autour d'une


troisième nettement plus brève (16 vers) : ainsi se présente dans le
deuxième livre ce que l'on pourrait appeler "le cycle de la mort brutale",
que cette mort vise la maîtresse du poète ou le poète lui-même20. L'élégie
26 se décompose en deux parties, dont la première relate un cauchemar
où le locuteur voit "sa vie" se noyer (v. 1-20), tandis que la seconde,
après un claironnant prologue (v. 21-28), développe à plaisir le thème du
naufrage et de la disparition en mer. Fortement soudée à la précédente
( funeris hor am et mors, 1-2 reprennent exitus, 58) 21 , la pièce 27 affirme
que "l'amant", différent en cela des autres humains, sait parfaitement
l'heure et les modalités de sa mort, mais que celle-ci ne l'effraie pas,
confiant qu'il est en la puissance de son amour. L'élégie 2822 n'évoque

1 8 Fedeli (p. 279) rapproche de façon éclairante II, 8, 25 ( sed non effugies : mecum
moriaris oportet). Le sens de ce distique final est en tout cas loin d'être évident. Comparer
Paganelli : «il faut que mon corps repose ...», P. Boyancé (traduction de Properce, Paris,
Les Belles Lettres, 1980) : «c'est sur le seuil de la maîtresse qu'il faut m'enterrer», Butler
(, supra , n. 10) : «mine rather before my mistress' doors to lay me down ...», Hubbard :
«it is before my mistress's door that I must lie unseen ...». Selon Fedeli {ibid.), Properce
exploite les diverses acceptions du verbe condere «per suggerire, oltre all'immagine del
"giacere" e dello "stare nascosto", anche l'idea della morte e della sepultura»; il peut aussi
continuer la métaphore nautique : cf. W. R. Smyth, dans Hermathena. 87 (1956). d. 76.
19 Ajoutons à cette argumentation le couplage de III, 7 avec III, 18 (épicède de
Marcellus) : cf. W. R. Nethercut, The ironie priest, dans A.J.P., 91 (1970), p. 398.
Plutôt qu'à un illustre inconnu, n'est-il pas bien plus satisfaisant pour l'esprit d'associer le
fameux jeune homme au poète qui l'avait immortalisé dans YÉnéide ?
Ce thème constitue au demeurant l'un des principaux leitmotive de l'œuvre
propertienne (cf. Jeux de masques ... : supra, n. 1), mais il n'est nulle part mis en œuvre
avec autant de force qu'à travers le présent dispositif.
21 Voir bibliographie in Papanghelis, p. 80-1 et Fedeli, ad loc.
Certains préconisent de la découper en deux, trois ou quatre poèmes indépendants.
Mais la thèse de l'unité a trouvé d'éloquents défenseurs, comme R. E. White, The Structure
of Propertius 2. 28 : Dramatic Unity , dans T.A.P.A., 89 (1958), p. 254-61 et F. Cairns,
Generic Composition in Greek and Roman Poetry (Edinburgh, 1972), p. 153-7; cf. aussi
Boucher (supra, n. 7), p. 364 : «reste le fait essentiel : unité en plusieurs moment
successifs»; Fedeli, ad loc.

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184 J.- Y. MALEUVRE

le danger en mer que d'une faço


l'élégie 27, deux pièces bien as
40) :
Vna ratis fati nostros port
Caerula ad infernos uelif
de l'image de la navigation posth
Iam licet et Sty già sedeat sub
Cernât et infernae tristia
L'élégie 28 tourne tout entière
atteint la puella, et dont seul Jupi
mettre le mot maladie entre gu
soigneusement précisé que celle-
comme pouvait le laisser penser
(v. 5-6) :
Sed non tam ardoris culpa e
Quam totiens sanctos non
Impossible de prendre à la l
encore plus véhémente par l'exp
de fort mauvais goût si elle visa
de croire, en dépit des vers suiv
poète oserait-il reprocher comme
Tam formosa tuum mortua
le châtiment exemplaire qu'il veu
Jupiter en question comme un
c'est-à-dire l'empereur August
Virgile nous revient alors en
Mégare sous un soleil torride (f
ici, v. 3-4, torridus ... aer; ferne
suivie aussitôt d'une mystérieus
ici, v. 1, ajfectae). Cette suspicio
restées jusqu'ici comme endorm
- 26 : - v. 1, MARONI sous somnis f
- v. 2, MARONI sous Ionio ... rore
- v. 4, MARO + VERGILIVS sous i
- v. 6, MARO + VERGILIVS sous a
- v. 16, CAESAR sous candida N
le distique d'une jalousie haineus
d'Horace ou dans l'élégie II, 6
caerula évoque les enfers en n,
associé à Alexis-Octave dans l
précisément. Ces deux Nymph

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 185

Auguste et Livie, par ailleurs masqués sous Jupiter et Junon, ou encore


(II, 28, 47-8) sous Pluton et Perséphone23.
- v. 23, CAESAR sous Cambysae redeant.
- 28, 17-18, VERGILII sous uersa ... mugiuerat ... Nili flumina. Cette
anagramme est en quelque sorte pointée par sa contiguïté avec la
réminiscence d'Ecl., 8, 20 ( extrema moriens ... hora ) qui se trouve au
v. 16 ( extremo ... hora : encore une anagramme de MARO) 24 .

Une fois sur cette piste, on ne s'étonne pas de rencontrer au juste


centre du dispositif, et associée à celle du poison25, la double menace
"des armes et du souffle de Borée" ( Boreae flabra neque arma, 27,
12)26, vent criminel que l'on a déjà vu à l'œuvre en 26 ( crudelem et
Borean ..., 51), et qui reparaît en III, 7 sous le nom d'Aquilon. Alors
aussi prend tout son sens la remarquable concordance entre l'élégie 28 et
son homologue du premier livre des Odes d'Horace, concordance qui
contribue d'autre part à relier II, 28 non seulement à II, 27 (comparer les
v. 17-20 de l'ode aux v. 5-10 de l'élégie), mais aussi à III, 7. Des
rencontres verbales comme celles de habet , 56 (= habent, Ode I, 28, 9),
occidit, 56 (= Ode I, 28, 7), manet, 58 (= Ode I, 28, 15), muñera, 60 (=
Ode I, 28, 4) ne doivent certainement rien au hasard si l'on considère
qu'elles s'inscrivent dans des contextes tout à fait similaires, sauf pour
muñera, lequel compense cet éloignement sémantique par une
remarquable symétrie de position, puisque, placé en début de vers
comme son correspondant de l'ode, il est suivi de trois vers, de niême
que celui-ci est précédé de trois. Même symétrie pour occidit, qui dans
l'ode commence le septième vers, et dans l'élégie le septième avant la
fin. Ajoutons que, dans les deux cas, le manet s'accompagne d'un
sigmatisme agressif, et que, dans les deux cas aussi, le verbe habere
arrive en clôture d'un catalogue des morts fameux; enfin, à l'imploration
faite par l'élégiaque à la déesse Perséphone (v. 47-8)27 répond

23 Soupçon confirmé par la quasi-homonymie entre Nesaee et Nysa, l'infidèle épouse


du Chevrier anonyme si puissamment évoqué dans les deux distiques suivants (cf. infra ,
p. 189) : or, pour la possible présence du couple Octave-Livie sous Mopse-Nysa, cf. Du
Libellus ... (supra, n. 8), p. 530 sqq.
La contiguïté de cet écho avec la mention d'Io vient à l'appui de l'identification du
Chevrier de la huitième églogue à Cal vus, auteur d'une Io : cf. à ce sujet Du Libellus ...
p. 515-9, et aussi Une ombre immense , dans A.C. 63 (1994), p. 267-273.
Comme dans le fameux Chant funèbre en l'honneur de Bion , qu'il faut peut-être lire
en l'honneur de Virgile (cf. supra , n. 1). '
Le latin n'exclut nullement la possibilité que le génitif porte sur les deux mots.
L'élégie III, 7 nous a appris que Borée- Aquilon, ou celui qui se cache sous ce masque, est
bien armé.
Le tua ... maneat dementia ne nous semble pas impliquer (cf. White [supra, n. 22],
p. 257; contra , H. E. Butler-E. A. Barber, The Elegies of Propertius, ed. with an

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186 J.- Y. MALEUVRE

sinistrement la lucide sentence de


fugit, 19-20).
En ce qui concerne la répartition des répliques entre Ego et anti-
Ego, il semble que la fracture se situe au cœur du distique 31-32. Celui-
ci se lit en effet ainsi :
Nunc, utcumque potes, fato gere saucia morem :
Et deus et durus uertitur ipse dies.
L'interprétation traditionnelle veut que le poète prêche la
résignation à sa maîtresse en lui faisant miroiter l'espoir d'une guérison
(ainsi Paganelli : «Maintenant obéis de ton mieux au destin qui te frappe
et les dieux et les temps, même quand ils sont durs, peuvent changer.»).
Mais le terme fato a ici bien des chances de désigner la mort (ratis fati,
39; fata, 25), surtout après le développement précédent, où le locuteur
déclare à la malade qu'elle aurait tout à gagner en quittant la vie (cf. 15-
6, 25-6) 28, allant même cyniquement jusqu'à lui recommander, quand
elle rencontrera Sémélé (le futur n'a rien d'hypothétique), de "raconter à
cette femme instruite par son malheur quel danger fait courir la beauté"
(v. 27-28) :
Narrabis Semelae, quo sis formosa periclo,
Credet et illa, suo docta puella malo.

L'écho de ce narrabis au narrare d 'A en. II, 549, renforcé par le


rappel au v. 31 (nunc ... morem ) du nunc morere ďAen., II, 550, ne
fait que confirmer ce ton sardónique en assimilant le locuteur au barbare
Néoptolème dans l'acte d'égorger un vieillard sans défense.
Comprenons donc que le v. 31 engage la victime à accepter son sort sans
rechigner («Résigne-toi à mourir», exactement nunc morere : nudité
prosaïque de l'expression gere ... morem), idée qui s'oppose
diamétralement à celle de changement incluse dans uertitur, avec pour
conséquence que l'on se trouve amené à supposer l'intervention d'un
nouveau locuteur au pentamètre. L'ordre des mots dans celui-ci nous
paraît mettre sur le même plan deus et durus comme qualificatifs de dies
(ou plutôt Dies divinisé, Diespiter : cf. FEDELI, ad loc.) : «Tout dieu et
tout inflexible qu'il soit, le Jour n'en est pas moins sujet à des

introduction and commentary , Oxford, 1933; rééd. Hildesheim-New York, 1969) que la
jeune fille soit guérie, car alors le couplet suivant n'aurait guère de sens.
28 Paganelli (supra, n. 15) ne cache pas sa perplexité à propos des v. 15-16, qu'il
juge "non moins curieux" que le v. 6 ( Quam totiens sanctos non habuisse deos). Sans
vouloir étudier dans le détail la tirade ď anti-Ego, on relèvera en particulier la violence
jubilatoire du hoc ... hoc , 14, rappel, mais dans une tout autre tonalité, de Cat., 76, 15-6, et
sinistre écho du hoc habet des gladiateurs; voir aussi l'insolite caput du v. 17 impliquant
qu'Io n'était que partiellement métamorphosée (la vieille explication pars pro toto à
laquelle recourt encore Sh. Bailey ne satisfait guère), ou encore l'allusion à d'hypothétiques
errances d'Ino au v. 19.

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 187

changements.» Par là, le premier Ego est accusé par le second de


transgresser la loi cosmique, et en même temps il se trouve déprécié par
rapport à ce Jupiter (ou Diespiter) qu'il prétend concurrencer sur terre (v.
1; 17-28 : énumération de plusieurs de ses maîtresses) : dépréciation
qu'impliquait déjà la reprise de tuum ... crimen erit, 2 par ñeque crimina
caeli (si caelum = dies).
Maintenant s'explique le brusque changement d'interlocuteur au v.
33 :
Hoc tibi uel poterit coniunx ignoscere luno
qui, surtout après le tibi, 29, en référence à la puella, paraissait jusqu'ici
tellement inacceptable que la plupart des éditeurs ou bien transposaient le
distique (ou 33-38, ou 33-46) après le v. 2, ou bien, malgré coniunx et
un hoc qui peut difficilement référer au "crime" de la jeune fille,
l'adressaient à celle-ci 29 . Si l'on regarde l'allusion faite à la magie dans
les v. 35-37 comme une pure convention, voire comme une
réminiscence des souffrances de Didon30, l'attribution de la seconde
moitié de 28 à l'Ego-Poète n'offre pas de difficultés, sauf pour les six
derniers vers. Avec le distique 57-58 :
Nec forma aeternum aut cuiquam est fortuna perennis :
Longius aut propius mors sua quemque manet
on assiste en effet à un cynique retournement du discours tenu depuis le
v. 47, à savoir que Perséphone et Pluton, qui ont déjà tué tant de belles
(has omnis ignis auarus habet, 56), peuvent bien épargner celle-ci. Car
saisissant au bond ce has omnis, anti-Ego - qui serait-ce d'autre?-
s'empresse d'en déduire que, puisque tout le monde doit mourir, il n'y a
aucune raison pour que la puella espère échapper à la règle! Il s'ensuit de
là que le mea lux du vers suivant ne peut désigner la puella condamnée,
mais bien le premier locuteur, féminisé par dérision comme Virgile l'était
par la convention du cryptage. En associant sa destinée à celle de son
ami(e) (v. 41-42 : cf. II, 20, 17-8; Ov., Amor., II, 13, 15-6), Properce
aurait mérité de l'accompagner dans la mort, et doit donc remercier celui
qui lui fait grâce. Il s'acquittera de sa dette avec dix nuits d'amour (pour
l'idée, cf. v. 24 de 26, tel qu'on l'interprétera plus bas), l'équivalent des
dix nuits d'abstinence qu'il doit à Isis. Des interprètes ont reculé devant
le mauvais goût de cette pointe finale qui annonce les imprécations
lancées dans l'élégie 33 contre le culte de la déesse des bords du Nil :

29 La transposition de 33-34 après le v. 2 fut préconisée par Passerai, qui a été


largement suivi : cf. e.g. l'édition Butler-Barber (supra, n. 27). Mais cf. Cairns (supra,
n. 22), p. 153, Hubbard, p. 53 (quoique, pour elle, le prologue de 28 ne soit rien qu'a
joke); Butler, Paganelli, Boyancé, à la différence de Cairns et Fedeli, adressent le tibi à la
puella.
30 «Ail remedies are vain», glosent Butler-Barber (p. 240). L'allusion du v. 38 au
cri sinistre du hibou peut rappeler Aen., IV, 461-2; et le souvenir de Didon est suscité au
début de l'élégie 26, on le verra.

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188 J.-Y. MALEUVRE

mais considérer tibi, 62 comme


faux-fuyant31.
Reste donc à admettre que da
" Jupiter" qui s'exprime, et qu
s'attribue les six premiers. Le
souplesse fallacieuse que de 31
28, de 18 à 19) : dans chaque ca
du discours de l'Autre et, sou
virage à 180°.
La coupure est beaucoup plus
au point que l'on a souvent v
différentes32. Le ton à la fois d
vers ne saurait échapper à quic
carina, 1 renvoie au naufrag
premier distique est comme sa
carina. / Frangere, Aen. X, 2
Lethaeo rore, Aen., V, 854), tan
Nec iam umore grauis tol
se souvient discrètement de l'a
Illa grauis oculos conota att
De même, au v. 5, l'attractio
XI, 68, et les "flots pourpres",
chargeant d'un funeste présage
la quatrième géorgique (v. 373
timui ne ..., 1 à l'exclamation
delà ( quam metui ne ..., Aen
Castore du v. 9 apparaît Aen
Cymothoé sont citées respe
ailleurs, le peritura du v. 12
rapport au très virgilien mori
Didon (Aen., IV, 308, 415, 51

3 1 Ainsi Butler (supra, n. 10) : «and


Mais, comme l'expliquent Butler-Bar
the ten nights of abstinence».
32 Mais voir C. W. Macleod, Prope
WIGGERS, Variations on a Theme : N
Latomus , 39 (1980), p. 121-8, conclut
read and appreciated as a kind of poetic
33 Le lien entre II, 26 et III, 7 (cf. Pa
verbales telles qu e fracta ... carina (II
sequitur , III, 7, 7; uexastis Vlixem , II,
26, 51 - raptae ... Orithyiae , III, 7, 13. Q
26 ( Exitus hic nobis non inhonestus er
mortis honesta dies), il vient à l'appui d
masques (, supra , n. 1) de III, 21 comme

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 189

602 : en association avec purpureos). Enfin, venant après le v. 16, avec


sa possible allusion au couple Nysa-Mopse de la huitième églogue (cf.
n. 23), la référence appuyée dans les deux derniers distiques au
"suicide" du Chevrier anonyme chanté par Damon (allusion à Arion
suivie d'un saut du haut d'une falaise : v. 56-60) a pour résultat de
solidariser le drame de la puella, qui est en même temps celui de
Properce, avec celui du poète désespéré qu'avait immortalisé le
Mantouan34.
Impossible donc de se tromper sur l'attribution de ces vers 1-20 ni
sur leur intention dénonciatrice, peut-être d'ailleurs secrètement avouée
au v. 3 :
Et quaecumque in me fileras mentita fateri,
tant il est vrai que son interprétation habituelle («confessant tous tes
mensonges envers moi», Paganelli) introduit dans ce poème tout
d'émotion et de douloureuse sollicitude une discordance fort
désagréable : si la jeune fille a eu des torts envers le poète, e
moment pour celui-ci de les mentionner, sans un mot pour ses
fautes35? Et pourquoi cette femme qui se noie serait-elle apparu
ami, si ce n'est pour lui apporter un important message ? Or, jus
le verbe fateri se prête parfaitement à ce sens, puisque, aussi bi
"confesser" ou "avouer", il peut signifier "manifester", "déclarer"
entraînerait le retournement de mentita dans une acception passiv
qu'active 36. L'apparition est venue rétablir auprès du poète une
que l'on cherchait à dissimuler (mot à mot : "rétablissant to
mensonges que l'on avait fait courir à ton sujet pour me tromper"
vérité, on l'apprendra progressivement au cours du cycle consti
les pièces 26-27-28, c'est que la puella n'est morte ni accidentellem
de maladie, mais frappée de la main d'un homme dont on la cro
dévouée servante ( seruiat , 22).

34 Solidarisation d'autant plus significative que ce poète n'aurait rien d'imagi


n. 24).
35 C'est à propos de vers comme celui-ci que K. Quinn ( Latin Explorations. Critical
Studies in Roman Literature , London, 1963, p. 189) peut écrire : «He wants us to feel how
Cynthia's treatment of him rankles, eliciting a touch of malice at her discomfiture.» Selon
Wiggers {supra, n. 32), p. 122, ce vers «seems to suggest a direct connection between
Cynthia's dubious past and her present fate».
36 Même jeu sur fateri en III, 24, 12 (uera fatebar : cf. n. 60 de Jeux de Masques :
supra , n. 1). L'emploi du plus-que-parfait de esse plutôt que de l'imparfait favorise
l'interprétation de mentita comme participe parfait. Or, l'acception passive de ce participe
parfait paraît bien attestée : cf. e. g. Aen ., II, 422, mentitaque tela , "des traits au sujet
desquels on ment" -* "trompeurs" : de même, la puella est "trompeuse", au sens où l'on
ment à son sujet. Me représenterait ici le poète grandi à la dimension de Rome même, ou de
sa conscience. Mis dans la bouche de l'Ennemi, comme en II, 18, 28, mentita accuse la
"jeune fille".

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190 J.-Y. MALEUVRE

Le ton triomphaliste qui, s


poignante signale l'intervention
comprendre correctement les
distique en particulier :
Multum in amore fides, mu
Qui dare multa potest, mult
manque à première vue de la p
faire l'éloge de la vertu en amou
toute-puissance de la richesse d
Il nous semble que les deux v
vanter la constance et la fidélit
bien remplie». Les six autres
suivante : «Il ne faut pas s'éto
sois le maître absolu à Rome et
confondu ici avec l'entité dont
Croyez- vous que devant les f
poète dirait au tentateur : "hor
"elle" prétend haïr les riches, m
pour la poésie, cela n'existe pas
On soupçonne un double sens
( multa et amare potest ), aussi
séduire, et sa toute licence, pou
amoureuse : «Le plus riche, c'
illustrée d'un exemple intr
«Supposons par exemple que m
pas moins d'une trentaine de v
dans la perversion, l' anti-Poète
bouleversant qui vient de se dé

37 Aussi l'édition Butler-Barber intr


mais le moyen de mettre en doute u
introduisant dans le pentamètre une
"libre à lui d'avoir
38 Plutôt que comme un neutre pluriel, il semble que l'on devrait interpréter mea , 25
comme un féminin singulier (= mea puellà). Cette ambiguïté va de pair avec celle sur poeta ,
24 (sujet de dicat plutôt qu'apostrophe), s' agissant dans les deux cas de masquer le fait que
Properce ne soit pas le locuteur.
39 Encore un vers éminemment ambigu, puisque, prima facie, le sens est qu'" aucune
jeune fille ne cultive aussi pieusement qu'elle la poésie". Ce n'est que le cynisme du distique
suivant qui impose l'autre interprétation.
40 Fedeli adopte la correction Guy et heu ... cogitât pour seu ... co git et, ce qui rompt
malencontreusement le lien avec ce qui précède. Si seu ne brille pas par l'élégance, c'est
sans doute qu'il faut tenir compte de la maladresse du locuteur.
41 Faute peut-être d'avoir bien mesuré le degré d'impudence atteint par le personnage,
Papanghelis (p. 81) se dit surtout sensible au décalage entre ce nouveau développement et
le prologue 21-28 («Can a dream featuring a beauty in danger of beatification through

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 191

va se délecter à travestir en aventure érotique le dernier voyage de


Virgile. L'assassinat devient un viol, mais un viol dont la victime est
conviée à se réjouir, comme la puella sera invitée dans l'élégie 28 à se
réjouir de la mort qui la menace. Ce lien entre les deux pièces est
souligné au vers 10, avec la mention de Leucothoé, annonce de II, 28,
20, et encore au vers 46, qui associe explicitement Jupiter, dont 28
justifie toutes les frasques, fussent-elles criminelles, et son digne frère
Neptune, qui fit, paraît-il, à Amymone le "grand honneur" de la violer,
tout comme Borée à Orithye (v. 47-52). Quelle joie de partager les
épreuves de la tempête en compagnie de la bien-aimée, avec pour lit une
simple planche, soit à la proue soit à la poupe (v. 33-34)! Et tant mieux
si Jupiter finit par brûler le navire (v. 41-42), car alors les deux corps
nus seront "secoués de concert sur les mêmes rivages" (v. 43) :
Certe isdem nudi pariter iactabimur oris.
Et d'ajouter cette réflexion bizarre de la part de quelqu'un qui
souhaitait par dessus tout n'être jamais séparé de l'autre :
Me licet undaferat, te modo terra tegat.
(«que l'onde m'enlève, pourvu que la terre te recouvre», Paganelli).
Mais le plus inquiétant est que rien ne nous assure que le vers 43 décrive
deux noyés plutôt que deux vivants (cf. d'ailleurs Paganelli traduisant
nudi par "dénués de tout"), ce qui fait que la clause te terra tegat peut fort
bien s'interpréter comme un vœu de mort ("puisse la terre te recouvrir").
En somme, ce soi-disant amant veut bien que "la vague remporte",
pourvu que sa compagne n'échappe pas à la mort. Il brave Jupiter
même, comme le "Marin" de l'ode I, 28, sachant fort bien qu'il y a peu
de chances que la foudre vienne frapper son navire, et encore moins que
sa proie lui échappe.
Des critiques n'ont pas manqué de signaler les connotations et
sous-entendus érotiques du v. 43 {nudi, pariter, iactabimur, lequel
reprend impudemment le tragique agitatam du v. 5), et d'ailleurs de tout
ce passage, depuis le ex una saepe bibemus aqua, 32 jusqu'au point
d'orgue de la mors in coitu, dont le souhait, à peine enveloppé 42, vient
infliger à la puella le dernier outrage. Convenons que cette infâme pointe
n'a rien à envier à celle qui clôt 28, et qu'en revanche elle contraste au
plus haut point avec le finale de 27, comme avec celui de la première

graceful drowning have much to do with the couple of 21 ff ?»); pour la même raison,
Wiggers (supra, n. 32) croit pouvoir opposer Tégocentrisme" de 1-20 à "l'altruisme" de
29-58 (p. 123, 126).
Cf. Papanghelis, p. 87-90 (qui rapproche en particulier les v. 57-58 de I, 13, 17 :
animam deponere labris ), et déjà M. W. EDWARDS, Intensification of meaning in Propertius
and others , dans T. A. P. A., 92 (1961), p. 138 sur nudi. Cette mors in coitu couronne
également, on s'en souvient, l'élégie II, 10 des Amores d'Ovide, en liaison aussi avec une
image de naufrage, et dans la même tonalité qu'ici (le conueniens ovidien correspond au non
inhonestus propertien).

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192 J.-Y. MALEUVRE

partie de 26 (17-20). On obt


concorde tout à fait avec les ré
D'un côté, sur le mode ricana
jusqu'au vœu d'anéantissement
foi proclamée en la victoire du
d'Orphée, et en 26 ď Arion :
églogue ( Orpheus -*■ Arion, 56)4
Est-il besoin de préciser que
sens matériel et physique, puis
de son Eurydice est déjà mort
de même qu'en 26 le dauphin q
la sauve pas de la noyade, mais
divinités marines44, c'est-à-dir
delà (ce n'est pas Arion lui-m
Arionam ... lyram)45. Ains
n'empêche pas Properce de vo
certitude de l'immortalité de V
de sa disparition. À l'autre de
sarcastiquement la glorieuse bé
sqq.), bref de prétendre que "c
(28, 26) :
Illa sepulturae fata beat

43 Orphée n'a pas besoin d'être nomm


couleur virgilienne du passage est par a
[se. animae ] remis uada liuida uerrunt)
VII, 646).
44 Cette hostilité des divinités mari
p. 123-7) rappelle l'ode au Vaisseau
p. 42), Neptune, les Gémeaux et Leucot
et à Vénus. Et il nous semble même qu'au
Castore fratri / quaeque tibi excepi, iam
pour un simple équivalent de susciper
dans l'ode I, 24, 11, il pourrait assum
opposition". Properce n'a pas demandé
uita (animae dimidium meae , dit Hora
des tueurs qu'ils sont : cela revient cert
45 Cf. Wiggers (supra, n. 32), p. 12
the lyre was to Arion», mais la compa
représentait pas davantage que "the su
partie corporelle et la partie sublime d
propos de Marcellus. Wiggers a bien vu
une exécution («C. is the victim of so
l'insistant parallèle entre Cynthia et He
Leucothoé (mentionnée v. 10 et II, 28,
46 L'apparente inconséquence de ce d
onirique de la scène. Hubbard (p. 168)
sur une représentation figurée.

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 193

Récapitulons. Sur 136 vers, Ego s'en adjuge 67 (20 [= 26, 1-20] +
16 [=27] + 6 [=28, 1-6]+ 25 [=28, 32-56]) et anti-Ego 69 (38 + 25 +
6). Il s'en faut donc de fort peu que la parité ne soit atteinte, comme elle
l'est par exemple dans les élégies de Tibulle47, et il suffirait pour cela de
supprimer le distique 39-40 de 26 concernant Argo, qui, tant par sa
redondance que par son intrinsèque maladresse, s'y prêterait assez
bien48. Le centre numérique des trois élégies passerait alors à travers le
distique 1 1-12 de 27, ce superbe défi, avec le mot morte en relief49 :
Solus amans nouit quando periturus et a qua
Morte neque hic Boreae flabra neque arma timet .

II. Ovide

Amor ., II, 11

Nous partirons d'une première évidence, partie émergée d


l'iceberg, c'est l'imitation de l'ode I, 3 d'Horace à travers l'élégie 11
Les deux pièces se correspondent par des rapports ponctuels tels que :
II, 11 Od., 13
Prima , 1 Primus , 12
proelia , 17 (combat des Vents) Decertantem, 13 (combat des Vents)
Ceraunia, 19 Acroceraunia , 20
generosa . . . sidera , 29 (Gémeaux) lucida sidera , 2 (Gémeaux)
Zephyri ...soli, 41 praeter Iapyga, 4
praecipites ... Notos , 52 praecipitem Africum, 12

Rien de nouveau dans ces constatations. Et cependant on s'aper


que les commentateurs préfèrent nettement insister sur une a

47 Cf. Jeux de Masques {supra, n. 1). Mais la chose vaut pour l'ensemble du liv
comme aussi, nous a-t-il semblé, pour les deux premiers (cf. ibid.).
48 L'expression ratis Argo est ici particulièrement gauche, dans la mesure où
compter qu'elle répète le ratis du vers précédent, elle s'analyse à première lecture com
nominatif sujet de dux erat avant de se révéler comme un génitif suivi d'un datif (d
Argus), en contradiction patente avec la légende, puisque Argus ne pilotait pas Argo
Argous , génitif d 'Argo, adopté par Fedeli; Argus, Sh. Bailey [supra, n. 131, p. 117).
49 R. J. Baker, Laus in amore mori : Love and Death in Propertius, dans Latom
(1970), p. 674 montre que le verbe perire n'est pas ici à prendre figurativement (
Quinn [supra, n. 35], p.186), mais bien au sens propre du terme. Seulement, s'il s'a
comme le pense ce critique, d'une mort "at the end of a lifetime devoted to the f
service of love" (telle qu'en I, 6), ni quando ni a qua morte ne s'expliqueraient vra
puisqu'on ne meurt pas de fidélité et que, de toute façon, il n'y a pas de date. Pou
relevons trois échos significatifs aux trois élégies qu'Ovide a consacrées à la dénon
du meurtre de Virgile : aurea ... tergore uexit ouis, II, 26, 6 - conspicuam fuluo uelle
ouem, Amor., II, 11, 4; rapta Orithyia, II, 26, 51 - nisi rapta fuisset, Amor. II,
lourd rejet de occidit, II, 28, 56 - Amor., II, 6, 2.

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194 J.-Y. MALEUVRE

influence, celle de l'élégie I, 8


suit :
11,11 Prop., 1,8
malas ... uias, 1-2; Fallacisque uias, 8 nouas ... uias, 20
O utinam, 5 O utinam , 9
fugit, 7 fugit, 38
conchas, 13 conchis, 39
Ceraunia, 19 Ceraunia, 19
fune soluto, 23 soluatur funis, 1 1
fouisse torum, 31 mecum requiescere lecto, 33
Galatea, 34 Galatea, 18

On admettra sans difficulté que


textuel, un peu plus flagrante que
rapide permet de se rendre compte
peu comme si Properce avait ser
voiler une dangereuse référen
d'atmosphère. Rien en effet ne sa
triomphant optimisme de l'élégie
sur tout le poème ovidien. Cynthia
redouté, elle ne part pas avec (o
préfère demeurer auprès du poète,
Corinne s'embarque bel et bien, et
de fictif. Le réel et l'imaginaire on
l'espoir, trop réelle la mortelle inqu
En même temps, le poète s'app
change sur ses véritables sentim
première partie derrière une oppo
Galatée et ses sœurs Néréides pour
sur l'issue de la traversée ("Au moi
sera pas imputable à Galatée, ma
36) :
At si uanaferunt uolucres me
Aequa tarnen puppi sit Gala
Vestrum crimen erit talis iact
Nereidesque deae Nereidum
De même, à la fin de la seconde pa
de ses illusions, quand il imagine q
les dangers qu'elle a bravés pour
bateau aura failli couler (v. 50

50 Voir par exemple Booth (supra, n.


d'autres échos des deux poètes, bien signalés

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 195

l'heureux amant ne demande qu'à tout croire, trop heureux, dit-il, de


prendre ses désirs pour la réalité (v. 53-4) :
Omnia pro ueris credam, sint ficta licebit;
Cur ego non uotis blandiar ipse meis?
Bien entendu, le lecteur hâtif réfère automatiquement ce Omnia aux
récits de la belle, sans se préoccuper de savoir si ce que le poète met en
doute, c'est la réalité du danger couru ou plutôt la précipitation
amoureuse alléguée par Corinne. Ambiguïté à la fois gênante et sans
conséquence, mais qui en masque une autre, autrement plus grave. En
effet, si l'on réfléchit que seul un amant sadique pourrait se réjouir
d'apprendre que sa maîtresse a failli se noyer, fût-ce par amour (ce que
ne dit pas le vers 50), on préférera probablement référer Omnia à
l'ensemble de la seconde partie, c'est-à-dire au retour imaginé de la
voyageuse (ficta, 53) : loin qu'Ovide se réjouisse qu'elle ait failli se
noyer, il s'efforce de vaincre ses appréhensions personnelles pour croire
encore à son retour. On le voit, la mort plane sur cette élégie, et
l'absence de toute allusion à un rival, en faisant peser un mystère sur les
raisons du déplacement de Corinne, augmente l'impression de fatalité :
elle part, voilà tout, et on ne la reverra sans doute jamais. C'est en vain
que le parat du vers 8 fait briller une lueur d'espoir (elle n'est donc pas
encore partie), puisque au contraire ce détail, tout de suite oublié, nous
donne la mesure de l'impuissance du poète (rien ne peut la retenir). On a
tourné le dos à Properce pour entrer de plain pied dans l'univers de l'ode
I, 351.
Aussi incongru et même aussi scandaleux qu'il pouvait sembler de
prime abord, le parallélisme entre Corinne et Virgile paraît donc avoir été
consciemment recherché par l'auteur des Amores, qui s'est d'ailleurs
préoccupé par divers moyens de combler l'écart entre sa fantomatique
puella 52 et le maximus uates. Sans vouloir tirer avantage du masculin

5 1 La nature du contraste entre Ovide et Properce divise encore la critique. Ainsi Booth
(p. 61) le définit en ces termes : «Properce all the time is serious, and Ovid is not», allant
jusqu'à qualifier I, 11 de "burlesque propempticon", ce qui n'est l'avis ni de K. Quinn
( Persistence of a theme : the Propempticon , dans Latin Explorations , London, 1963,
p. 269), ni de A. G. Lee (« Tenerorum lusor Amorum », dans Critical Essays on Roman
Literature : Elegy and Lyric , ed. J.P. Sullivan, London, 1962, p. 164-8).
52 II semblerait, selon R.P. Oliver, The First Edition of the Amores, dans T. A. P.A.,
76 (1945), p. 203, que l'on s'accorde de plus en plus sur le caractère fictif de Corinne :
«The overwhelming weight of scholarly opinion at the present time denies that she ever
existed ...»; et il fournit une abondante liste d'opinions, à laquelle pourrait s'ajouter ce mot
de B. Otis ( Ovid and the Augustans , dans T.A.P.A. , 69 (1938), p. 198) : «the discerning
reader can have no doubt but that Corinna is a comic fiction». J.-M. Frécaut ( L'esprit et
l'humour chez Ovide , Grenoble, 1972, p. 177-8, n. 17) est cependant moins catégorique,
tout comme J.C. McKeown ( Ovid : Amores in 4 vols , I : Text and Prolegomena
[A.R.C.A., 20, Liverpool, 1987], p. 19-24); J.P. Sullivan ( Two Problems in Roman Love
Elegy , dans T.A.P.A ., 92 [1961], p. 525) juge la question insoluble et d'ailleurs "of no

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196 J.-Y. MALEUVRE

quem au vers 30 (de résonance vi


faire entendre la propre voix de C
Et felix dicas quem sua terr
on ne peut manquer d'être frapp
de la Tyndaris horatienne, don
PROP., I, 3, 36-45; II, 3, 19-22), attribue à Corinne les activités
typiques du poète, lecture et exercice à la lyre54 :
Tutius est fouisse torum, legisse libellos,
Threiciam digitis increpuisse lyram.
L'adjectif Threiciam évoque spontanément la figure d'Orphée, si
familière à Virgile (cf. Ecl., 3, 46; 4, 55; 6, 30; 8, 56-7 ; Georg., IV,
454 sqq.; Aen., VI, 645-7) qu'Horace (Od., I, 24, 17 sqq.) et Ovide
lui-même (Met., X, 105 sqq.; ; cf. La mort de Virgile [supra, n.l], p.
168-9) peuvent pratiquement prendre l'un pour l'autre. Et lorsque, au
vers 44, Corinne est intitulée nostros ... deos, comment ne pas songer à
ce vers de l'élégie autobiographique où Ovide nous confie que sa
vénération pour les poètes allait jusqu'à leur donner le statut divin :
Quoique aderant uates rebar adesse deos (Tr., IV, 10, 42) ?
Quant à l'apparente mièvrerie mentionnée plus haut à propos de
l'opposition entre Galatée et ses sœurs, elle ne prend véritablement sens
que si l'on se souvient que Galatée joue un rôle non négligeable (et,
selon nous, positif) dans les Bucoliques, et que, dans les
Métamorphoses (XIII, 750-897), son amour pour Acis a quelque chance
de symboliser une amitié tragique entre poètes de chair et d'os, tels
Virgile et Gallus, ou encore Catulle et Calvus55.
Enfin, l'apparente difficulté présentée par le distique 41-42 :
Ipsa roges Zephyri ueniant in lintea soli,
Ipsa tua moueas turgida uela manu
qui présente Corinne, sur le chemin du retour, implorant les seuls
Zéphyrs de souffler dans ses voiles ne doit pas nous arrêter. Il est certain
que, placés là où ils sont, ces deux vers obligent à penser que la puella
serait allée vers l'ouest, soit dans la direction contraire du vaisseau de

literary interest". L.P. Wilkinson ( Greek influence on the poetry of Ovid, dans Fond. Hardt
pour l'étude de V Ant. Class., Entretiens , II [1953 : pubi. 1956], p. 225) assimile Corinne
à l'Élégie elle-même; cf., de même, F. Della Corte, L'annunzio delle Heroides, dans
Giorn. ital. di fil. , N.S., 3 (1971), p. 314-22.
53 Booth catalogue classiquement ce quem comme "generalising masculine". Noter
toutefois que ce masculin a paru assez perturbant à certains lecteurs pour donner lieu à une
leçon quam.
54 F. Bertini ( Ovidio . Amori , texte, trad, et comm. en italien, Milano, 1983), ad loc.
rapproche Her., 3, 117-118, où il s'agit d'Achille et Briséis ( Tutius est iacuisse toro,
tenuis s e pue liam, / Threiciam digitis increpuisse lyram). Il nous semble que legisse libellos
fait toute la différence.
55 Cf. La mort de Virgile ..., p. 177-180.

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 197

Virgile qui se rendait en Grèce. Seulement, il se trouve que cette


indication est juste précédée d'une autre qui la contredit expressément (v.
40) :
Hue uenti spectent, hue agat Eurus aquas!
Eurus, vent de sud-est, souffle dans une direction opposée à celle
du Zéphyr! La légitime perplexité des éditeurs a pu les conduire à
adopter la leçon aestus, pourtant moins bien attestée que Eurus, mais
aestus nous paraît peu défendable en raison de sa connotation nettement
péjorative et menaçante (en dehors du sens, ici exclu, de "marée") qui va
à contre-sens du contexte : F. Bertini (cf. n.54), qui l'adopte, traduit
très bien : "flutti impetuosi"56. Alors, quel remède, sinon peut-être de
transposer le distique 41-42 après le vers 22, où il coulerait de source?
Autant d'éléments convergents qui nous incitent à dépasser la
conception sagement classique d'un parallélisme entre Corinne et Virgile
pour envisager la possibilité d'une identification pure et simple, ceci en
application de la ruse préconisée par Ovide lui-même dans V Art d'Aimer
(«Que dans votre code "lui" devienne "elle"», III, 498) :
Illa sit in uestris, qui fuit Ule, notis.
Et c'est ainsi que l'incomparable bélier de Colchide auquel est
obliquement comparée Corinne dès le début du poème apparaît sous la
forme féminine ( Conspieuam ... ouem, 4), selon un usage tout à fait
classique, certes, mais qui ne saurait par ailleurs nous faire oublier que
Jason ne ramena pas l'animal lui-même, mais sa toison ( uellera ). Triste
présage pour Corinne, ou pour celui qu'elle représente!
Mais comme le meilleur moyen d'affirmer dans un texte la présence
d'un écrivain que l'on ne veut ou que l'on ne peut nommer consiste à le
citer entre les lignes, une recherche des réminiscences virgiliennes dans
l'élégie 1 1 s'impose à nous à présent.

II, 1 1 Virgile

Príma malas docuit, 1 Prímus ... non pas sus, Ecl., 8, 24


Prima Ceres .../ Instituit, G., I, 147-8
Primus Erichthonius, G., HI, 113
mirantibus aequorís undis, 1 mirantur et undae, Aen., VIII, 91
sociosque penates, 7 sociique penates, Aen., DI, 15
Quid tibi miserum ...Non illic urbes, Eheu! quid uolui misero m
non ...siluas, 9-11 Ecl., 2, 58
arcis ...siluae, Ecl., 2, 62
conchas ...bibuli litoris, 13-4 bibula ...barena, G., I, 114
lapidem bibulum ...conchas,
G., II, 348

56 Booth retient aussi aestus , sur la suggestion de E.J. Kenney, Notes on Ovid, d
C.ß., 8 (1958), p. 62.

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198 J.- Y. MALEUVRE

Litora ...pedibus sígnate , 15 summo uestigia puluere signent ,


G., ffl, 171
caeca uia , 16 freta caeca , G. H, 503
cačcfl . . .freta, G. , ID, 260
wrařa caeca, Aen ., I, 536 . . .
uentorum proelia , 17 uentorum ... proelia , G., I, 318
Scylla ...Charybdis, 18 Ačn., III, 420, 558, 684; VII, 302
Ceraunia, 19 Ceraunia, Aen., III, 506
Syrto, 20 Aen., IV, 41; V, 51, 192; VI, 60;
VII, 302 ...
Currit . . .panda carina, 24 Currit . . . classis, Aen. , V, 862
pandas ...carinas, G., H, 445
Triton exasperei undas, 26 hiems . . . asperat undas, Aen. , HI, 285
Felix ...quem, 30 Felix qui potuit, G., II, 490
uolucres . . .procellae, 33 uolucris . . . auras, Aen. , V, 503 ;
XI, 795
uestrum crimen, 35 Crimen amor uestrum, Aen., X, 188
proclinet litora, 39 Prona petit maria, Aen., V, 212
Excipiamque umeris, 4557 subibo umeris, Aen., II, 708
Lyaeo, 49 Lyaeo, G., II, 299; Aen., IV, 58
Lyaeum, Aen. , I, 686
mediis obruta nauis aquis, 50 Obruit ...nauem, Aen., VI, 336
mediis ...in undis,Aen., VI, 339 ...
iniquae ... noctis , 51 solis iniqui, Aen., VII, 227
praecipites . . .Notos, 52 praeceps . . . Eurus , G. , IV, 29

On conviendra que la moisson recueillie, même s'il reste à glaner


est assez abondante pour ne pas infirmer l'hypothèse selon laquel
Corinne masquerait Virgile, mais nous n'avons encore accompli que
moitié du chemin. Des soupçons de meurtre, rien de plus, nous on
traversé l'esprit : maintenant, nous avons rendez- vous avec l'assassin
Quand le uates tient un coupable, il le tient bien.

Amor ., II, 12

À la fois incontestable et voilé, le couplage des pièces 11 et 12


relève à ce titre de la même stratégie d'écriture que celle que l'on vient
voir à l'œuvre. Voilé, dans la mesure où le second poème ne laisse p
transparaître la moindre référence à un voyage en mer, ce dont J.T.
Davis tire argument pour dénier à K. Jäger le droit de considérer 1 1 et 12

57 On ne peut qu'être frappé par la puissante résonance virgilienne des v. 45-52,


particulier par l'allusion à Anchise. K. Quinn (Ovid the Poseur [ Amores , 11,11], dans Lat
Explorations , London, 1963, p. 266-73) propose d'y voir une parodie, mais peut-êtr
celle-ci ne serait-elle pas du meilleur goût, alors qu'au contraire il n'y aurait rien que
naturel de la part d'Ovide à mettre l'auteur de VÉnéide dans le rôle de son plus noble por
parole.

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 199

comme un "Gedichtpaar"58. Incontestable toutefois, si l'on tient compte


à la fois de l'écho entre adposito ... Lyaeo, II, 11, 49 et adposito ...
mero, II, 12, 20 (noter aussi Ecce, II, 11, 7 - ecce, II, 12, 2; sinu, II,
11, 20 - sinu, II, 12, 2), du rapport thématique entre le second distique
de chacune des deux pièces (la puella était aussi bien gardée que le
légendaire bélier, ouem ), de l'occurrence dans les deux cas du nom de
Corinne, de l'influence virgilienne sur les deux pièces (pour 12, cf.
infra), enfin de l'imitation ostensible de Properce, plus d'ailleurs pour le
thème que pour les reprises verbales ( Vicimus , 2; nostro ... sinu, 2;
Gloria, 12 - Vicimus, PROP. I, 8, 28 [= 2 de 8b], meos ... sinus, 38;
gloria, 46), qui invite à relier 1 1 et 12 de la même manière que celui-ci
reliait I, 8a et I, 8b. Mais il se pourrait, cette fois encore, que le chantre
de Cynthia serve surtout à Ovide de prétexte et d'alibi pour cacher son
"crime" (comme il dira dans ses poèmes d'exil), et qu'avec l'élégie 12,
compagne de l'élégie 1 1, il ait écrit l'équivalent de l'ode 1, 28 d'Horace
(dont le Me quoque, 21 reparaît ici, v. 27), compagne de l'ode I, 3.
Le ton triomphal de II, 12 évoquerait assez, de prime abord, ce
morceau de bravoure qu'est Militât omnis amans, n'était-ce que l'esprit
qui pétille d'un bout à l'autre de la pièce 1, 9 fait totalement défaut ici, au
profit de l'exhibition brute d'une auto-satisfaction jubilante. Le caractère
déplaisant de la persona qui s'exprime dans ce poème n'a pas échappé à
la critique récente : R.P. Oliver souligne la froideur du sentiment59,
F.W. Lenz est frappé par l'égocentrisme du locuteur, C. Rambaux
fustige sa vanité et son outrecuidance, L. Cahoon dénonce sa
"paranoia"60. Mais peut-être n'a-t-on pas encore réellement mis le doigt
sur la plaie. Ainsi, quand à propos de la comparaison avec les Atrides
(v. 9 sqq.) tel exégète nous met en garde contre la tentation de

58 Voir K. Jäger, Zweigliedrige Gedichte und Gedichtpaare bei Properz und in Ovids
Amores , Diss. Tübingen, 1967, p. 31-32; J.T. Davis, Dramatic Pairings in the Elegies of
Propertius and Ovid , Berne / Stuttgart, 1977, p. 23 («Ovid has chosen for some reason or
other not to pick up the strands of Amores II. 11 in II. 12»); C. Damon {Poem division ,
paired poems , and Amores 2. 9 and 3. 11 , dans T.A.P.A. , 120 [1990], p. 278 n. 37) admet
le couplage, tout en avouant qu'ici «the term "pair" is uncomfortably strained».
Selon R.P. Oliver {supra, n. 52), p. 214, «the poem contains too much ingenious
paradoxe and too little Corinna to have been acceptable as an expression of sincere
emotion»; cf. aussi J.-M. Frécaut {supra, n. 52), p. 87; A.-F. Sabot, Ovide poète de
l'amour dans ses œuvres de jeunesse , Paris, 1976, p. 476; A. Thill , Alter ab ilio.
Recherches sur l'imitation dans la poésie personnelle à l'époque augustéenne , Paris, 1979,
p. 303-4.
60 F. W. Lenz, Ovid. Die Liebeselegien , lat. u. dt. 3. neu bearb. Aufl. V, M.G. Lenz,
Berlin, 1976, p. 218; C. Rambaux, Trois analyses de l'amour , Paris, Les Belles Lettres,
1985, p. 125; L. Cahoon, The bed as battlefield : erotic conquest and military metaphor
in Ovid's Amores, dans T.A.P.A ., 118 (1988), p. 299.

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200 J.-Y. MALEUVRE

sympathiser par l'humour av


qu'approuver, mais en regrettan
cette comparaison tire son pimen
par un émule de Pâris : «San
s'emparer de Troie, mais il leur
{bello ...bilustri ), tandis que mo
même et en douceur ...»
Dès le vers 3, il s'est mis dans le rôle du ravisseur d'épouse ( Quam
uir ...), ce que vient corroborer un peu plus bas (v. 6) le mot praeda,
exceptionnel dans les Amores à propos de la femme62. Toutefois, le
nouveau Pâris l'emporte de loin sur le premier parce qu'il a triomphé,
lui, sine caede, 27 (cf. sanguine ...caret, 6), tandis que le Phrygien
déclencha un conflit intercontinental (v. 17-18). De même l'emporte-t-il
sur les Centaures (v. 19-20 : cf. I, 4, 7-10), sur les Troyens venus
arracher à Turnus sa fiancée, enfin sur les ravisseurs des Sabines. Non
pas qu'il se vante d'être moins coupable qu'eux, mais il se proclame
plus habile. Dénué qu'il est de tout scrupule moral, pour lui la fin justifie
les moyens. Si total est son mépris pour la vérité historique, pour
l'autorité du mythe et pour la simple équité, qu'il n'hésite pas à accuser
les Sabines, ces victimes, d'avoir été des fauteuses de guerre, et de
même pour Hippodamie violée par le Centaure, de même pour Lavinie
sacrifiée par son propre père sur l'autel de ses ambitions! La femme,
toujours la femme (F emina ... Femina ... Femina ..., 19 sqq.)! On a
rarement vu une misogynie aussi enragée63.
Tel homme, tel style. L'énergie consonantique du v. 2 traduit
physiquement le quasi-étranglement de la jubilation, effet qui se poursuit
au distique suivant à travers la série des quam (et qua ) comme dans le
reptilien sifflement du hostiS / Seruabant. Le cacemphaton du v. 6 (qua
quaecumque est ) accompagne dignement le machiavélisme d'une pensée
qui, encore plus qu'à rabaisser Corinne64, vise sans doute à justifier le
succès en tant que tel et indépendamment de toute considération morale.
Aux vers 9-11, ni le néologisme bilustri, ni l'emploi pronominal de tot,

61 «Cette comparaison n'est que secondairement humoristique elle peint avant


tout r outrecuidance atteinte par le personnage dans son exultation» : Rambaux, p. 124,
n. 342.
62 C'est ce qu'observe Rambaux, p. 92, n. 129.
63 L. Cahoon (supra, n. 60), p. 298, parle seulement d'absurdité et d'i
Booth, ad loc., souligne vigoureusement la mauvaise foi du personnage qui, par
la série des verbes actifs et le recours à un vocabulaire affectivement chargé (t
iuste)" mischievously ... suggests the normal relationships of a decent world"; ma
il montre que Properce, à l'inverse d'"Ovide", rend responsable la convoitise mâle.
64 Nuance que Booth s'efforce en vain d'effacer en faisant porter quaecumqu
sur praeda , mais sur uictoria : mais rabaisser la victoire, n'est-ce pas risquer d
l'enjeu?

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 201

ni l'innovation sémantique de seposita (cf. BOOTH ad loc.), n


néologisme dissors (quatre créations en trois vers!) ne se distinguent p
l'élégance. La niaise fanfaronnade se donne libre cours en 13-14, a
les répétitions de me et de ipse, et l'insigne gaucherie du me ...ue
etc...

Le locuteur ne manque toutefois pas d'un certain vernis littérair


a lu Homère, comme le prouvent les exemples qu'il cite, et surtout il
Virgile. Seulement, l'usage particulier qu'il fait de ses référence
Mantouan, de la parodie au vicieux retournement, l'apparente davan
au "Marin" locuteur de l'ode I, 28 d'Horace qu'à un amoureux sin
de la poésie. Qu'on en juge. Au v. 13, le disgracieux Me duce ...m
milite est un écho pointé, et sarcastique, au fameux te consule ..
duce d'Ecl., 4, 11-13 qui exalte Pollion65; au v. 16, le solennel H
ades, o ... tourne en dérision ("absurdly hymnic here", BOOTH) un
affectionné par Virgile (4 occurrences rien que dans les Bucoliques
l'anaphore du mot Femina, 19-23 tire prétexte du Femina de Georg
216 pour rendre les femmes responsables de toutes les guerres; enc
très virgiliens le iterum appliqué à la guerre des Troyens au Latium,
que le rejet de Impulit, 22, ou encore le Vidi ego, 25, alors qu'il s
toujours pour le locuteur de contredire Virgile (Lavinie responsable d
guerre!) et de le mettre au service d'un chauvinisme mâle pous
jusqu'au délire.
Quel jeu joue donc Ovide? Pense-t-il nous faire rire ou sourire
se mettant en scène sous les traits d'un personnage qui ne peut insp
qu'antipathie, haine et dégoût ? Ou ne préférera-t-on pas croire que
voix qui s'exprime ici n'est pas celle d'Ego, mais d'anti-Ego, un a
Ego qui doit nécessairement s'incarner dans un être de chair et d'os
l'on ne veut pas enfermer l'auteur dans un absurde exercice de st
Mais avant de chercher à lever le masque, il nous reste à compléter
portrait qui, dans l'état où nous l'avons laissé, flatte encore beau
trop le modèle. L'humour envahissant qui règne sur cette pièce, d'a
mauvais goût soit-il, se ligue en quelque sorte avec son allégres
communicative pour brouiller le jugement du lecteur, assez porté d
fait à l'indulgence, sinon à la complicité. Sans bien s'en rendre com
celui-ci adopte le présupposé selon lequel le locuteur se vanterait ici d

65 Virgile n'est d'ailleurs pas plus dupe que Pollion en ce qui concerne la r
effective des pouvoirs consulaires sous le triumvirat : pour l'éventualité d'u
"catullien" sur l'expression te ... inibii , cf. Du Libellus ... {supra, n. 8), p. 572-6.
Cf. D. Fasciano (supra, n. 11). Pour iterum en relation avec la guerre du Latium
comme une réédition de la guerre de Troie (v. 21), cf. Aen.y I, 93-4; VII, 322; IX, 59
26-8; Impulit en rejet revient huit fois dans Virgile (+ un Imputerai et un Impulerit ).

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202 J.-Y. MALEUVRE

exploit amoureux du même ge


rapprochement est illusoire, p
gardiens de Corinne (v. 3-4)
d'amour, même physique. La séc
dans le dos, d'autant que rien ne
( praeda , 6), soit consentante. P
Térée l'enleva pour la violer ?
suscite l'écho de Vicimus, 2 à
de triomphe dès que la jeune Ath
même façon, tout se passe com
Corinne s'était retrouvée "dans
2, en réponse au mortel sinu de
tels que sanguine ... caret, 6
transporter aux antipodes du sa
que, dans le poème ovidien, le ty
sa proie "en douceur et sans effu
Le ravisseur d'Hélène n'avait p
Nec belli est noua causa mei
Tyndaris, Europae pax As
«La cause de ma guerre n'est
été enlevée, l'Europe et l'Asie
moins le sens obvie, mais ces de
qu'il n'y paraît. D'abord, on arri
mis précédemment dans les deux
à Pâris; et dans les deux cas
problème : «Pourquoi ai-je enlev
n'avait pas enlevé Hélène, l'Eur
D'autre part, a-t-on le droit de tra
passé, sous un vague prétexte
loc.)? Enfin, étant donné que les
un ordre chronologique, la guer
premier rang, mais au second
C'est pourquoi nous proposeron
de rapta avec foret ne dépare pa
guerre n'est pas neuve : si je n'a

67 Cf. L. Cahoon {supra, n. 60), p. 29


tout en soulignant la différence : «Corin
her all trace of passion, romance and pat
68 Jeu familier à Ovide : cf. e.g.
"triomphateur" à un monstre marin, tels
du maître de Rome dans Catulle et Vir
526, 656-7.
69 Pour le premier hémistiche, nous nous écartons du texte de H. Bornecque, qui suit
Burmann (Nec belli noua causa mea est).

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 203

paix internationale qui l'aurait été.» Le lecteur se souvient que


l'assimilation de Tyndaris à Corinne- Virgile avait été préparée par
l'élégie compagne70, et il garde aussi peut-être en mémoire ces deux vers
de l'élégie du Perroquet (II, 6, 25-26) :
Raptus es Inuidia : non tu fera bella mouebas;
Garrulus et placidae pacis amator eras.
Alors, notre rapta prend tout son sens, déjà postulé d'ailleurs par
l'ellipse avec foret : «Si je n'avais pas tué Tyndaris-Virgile71, c'en était
fait de la paix universelle». Virgile, l'amoureux de la paix, présenté en
fauteur de guerre, le paradoxe est bien dans la ligne de ceux qui vont
suivre au sujet d'Hippodamie, de Lavinie (fera bella mouere, 21), des
Sabines! Mais qui peut donc parler de la sorte, qui peut se poser en
garant de la paix de l'empire, sinon l'empereur lui-même qui, l'année de
la mort de Virgile, revenait précisément d'Asie où il était allé régler la
question orientale? Ovide n'a pas été avare des indices permettant de
démasquer l'assassin.
Déjà, le seul fait de reconnaître Virgile sous Corinne doit tourner
nos soupçons vers Auguste, car pourquoi ce mystère? L'auteur de
YÉnéide s'embarque pour son dernier voyage : Ovide, qui écrit après
l'issue tragique, lui adresse ce propempticon où percent ses terribles
craintes. Si Virgile était mort d'une mauvaise fièvre, à quoi bon se
cacher pour le dire? et de qui se cacher, sinon du maître de la censure?
Mais, tel Persée pétrifiant ses ennemis avec le visage de Méduse, Ovide
a eu la superbe audace de tendre à cet homme tout-puissant ce pur reflet
de lui-même qu'est l'élégie 12. L'affrontement du prince et du poète
s'effectue sur ce terrain sensible qu'étaient les honneurs triomphaux : y
prétendre, fût-ce métaphoriquement, revenait à se poser en rival de celui
qui avait réussi à les confisquer à son profit (cf. BOOTH, ad loc.).
L'homme fort de Rome se trahit au demeurant dans le distique 7-8,
subtilement piégé :
Non humiles muri, non paruis oppida fossis
Cincta sed est ductu capta puella meo.
La traduction classique donne : «Et ce ne sont pas d'humbles
murailles, ce ne sont pas des places entourées d'étroits fossés, c'est une
belle qu'a prise ma stratégie.» (H. Bornecque). Mais cette interprétation
contrarie l'accentuation rythmique qui met en exergue le rejet Cincta et

70 En masquant Virgile sous Tyndaris, Ovide ne ferait sans doute que suivre l'exemple
d'HORACE, Od., I, 17 : cf. La mort de Virgile ... {supra, n. 1), p. 115-22.
71 Peut-être conviendrait-il d'ajouter "en douceur", puisque c'est le thème dominant de
la pièce, mais le locuteur veut probablement dire deux choses : il fallait supprimer Virgile à
cause de ses menées subversives, il fallait le supprimer en douceur pour éviter des réactions
indésirables.

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204 J.-Y. MALEUVRE

laisse dans l'ombre puella 72 . D'


quelle belle qui coûte de tels effo
("une belle"; "una donna", F. Be
défini. Cette double considéra
négation : «Les murailles n'éta
entourées de petits fossés, mais
néanmoins venue à bout de tous les obstacles.» On doit toutefois
reconnaître que l'ellipse du verbe «être» à l'imparfait ne va pas s
difficulté, si bien que, pris entre deux solutions insatisfaisantes, l'esp
se voit condamné à flotter de l'une à l'autre sans parvenir à décider si
murs et les fossés en question sont à envisager comme méprisables o
comme formidables73. Cruelle aporie, d'où l'on ne sortira qu
regardant capta comme une sorte de synonyme de cincia : «Ce ne so
pas des murs ni des fossés, faibles obstacles, qui l'emprisonnent, c'es
meus ductus» (littéralement : "ni murs ni places-fortes, c'est me
ductus qui la tient"). Et puisque le sujet se compare à des fossés et à
murs, le mot ductus en vient naturellement à revêtir son sens de "tr
[d'une muraille]". Espace plus inviolable que les remparts les mie
fortifiés. Malheur au Rémus qui se risquerait à franchir la ligne marq
par ce Romulus ou, aussi bien, de cet Augustus, si ce titre honorifiq
est à mettre en rapport avec l'art augurai, qui présidait notamment
tracé des templa 74 .
Autre terrain sensible, cette Énéide commanditée par Auguste,
qui devait être officiellement le plus beau fleuron idéologique du régi
et de la dynastie. Or, au cas où Virgile aurait délibérément et secrètem
"saboté" son travail de propagande, comme bien des signes tendraien
le faire penser75, il va de soi que nul plus que le prince n'aurait
intéressé à neutraliser cette souterraine anti- Énéide. C'est exactemen
que l'on observe au distique 21-22 où, non content d'engager
responsabilité de Lavinie dans la guerre du Latium, le locute
complimente Latinus sur sa justice ( iuste Latine). Juste, ce père qui l
sa fille à un inconnu au mépris de la parole donnée? Juste, ce monarq

72 Nous sommes face à un cas de "rythme oblique", tel que le définit E.M. Tilly
( Poetry direct and oblique, London, 1934, p. 151) : «Rhythm is oblique when
suggests something entirely alien or irrelevant.»
73 C'est le quatrième type d'ambiguïté classifié par W. Empson ( Seven types o
ambiguity, London, 1930) : «When two or more meanings do not agree among thems
or support one another, but combine to demonstrate a complicated and unsimplified sta
mind in the author »; cf. W.A. Stanford, Ambiguity in Greek Literature, Oxford, 1
p. 92-3.
74 Cf. A. Ernout-A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 5e éd.,
Paris, 1985, s.v.
75 Cf. J.-Y. Maleuvre, L 'Enéide sous /'Enéide", dans Euphrosyne, 20 (1992);
R.B.Ph., 70 et 71 (1992, 1993), 72 (1994); L.E.C., 63 (1995); R.E.A., 98 (1996),
respectivement pour les livres VIII, X, IX, VII et VI.

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LA MORT DE VIRGILE D'APRÈS PROPERCE ET OVIDE 205

qui, lorsque ses sujets se font massacrer par une armée étrangère
(exercitus, Aen., VII, 39), s'enferme dans son palais en proférant des
malédictions contre les siens au lieu de prendre les mesures qui
s'imposent ? Mais si Latinus est juste, Turnus est injuste et les
entreprises d'Énée sont pleinement légitimées. Or, la guerre du Latium
préfigure comme on le sait les guerres civiles romaines. Le bon droit du
Troyen garantit celui de ses "descendants", Jules César et Octave-
Auguste. Écoutons le distique 23-24 :
Femina Romanis, etiamnunc Vrbe recenti,
Immisit soceros armaque saeua dédit.
Il s'agit en principe de l'enlèvement des Sabines, mais, outre que
cet événement préfigure également les guerres civiles76, il se trouve que,
pour l'adjectif ("naissante", ou "récente") comme pour l'adverbe (qui, en
III, 8, 1 par exemple, signifie "aujourd'hui encore"; cf. aussi nunc
quoque, II, 9, 18), l'expression etiamnunc Vrbe recenti est
suffisamment ambiguë pour autoriser le saut chronologique, d'ailleurs
encouragé par le singulier Femina. Alors, on pense bien sûr à Cléopâtre,
et il s'agirait du conflit entre Octave et Marc- Antoine, qui, avant d'être le
beau-frère du premier, avait d'abord été son beau-père, socer (cf.
SUÉT., Aug., 72, l)77. La manière qu'a le locuteur de présenter cette
guerre s'inscrirait parfaitement en tout cas dans la ligne de la propagande
octavienne qui s'était efforcée de lui donner un caractère national en
concentrant ses attaques sur l'Égyptienne. Caché dans l'ombre de
Cléopâtre, devenu indigne du nom de Romain, Marc- Antoine tournait
ses armes félones contre la patrie ( Romanis . . . soceros).
Mais voici que d'agressé, Octave se transforme en agresseur (v.
27-8) :
Me quoque qui muitos, sed me sine caede, Cupido
Iussit militiae signa mouere suae.
Il n'est que trop facile ici encore de négliger l'ambiguïté syntaxique
qui superpose l'image du locuteur à celle du cruel Cupidon ( Cupido qui
muitos iussit / me qui muitos iussi / mouere) et laisse une fois de plus
entrevoir l'omnipotence du premier ( quoque souligne le jeu : "à mon
tour d'obéir"). Lui qui s'était trouvé à la tête de si puissantes armées, et
qui avait fait couler tant de sang, voici qu'il a accompli un exploit
d'amour, un crime parfait, exécuté par ses seuls soins, sans que rien
n'ait été laissé au hasard (le triomphal aveu trône en plein centre du

76 Cf. J. Hemker, Rape and the founding of Rome, dans Helios, 12 (1985), p. 41-7.
Suétone précise que, presque aussitôt après avoir épousé Clodia, belle-fille
d'Antoine, Octave la répudia encore vierge parce qu'il s'était brouillé avec Fulvie, la mère de
celle-ci. D'où regain de tension entre les triumvirs : avant Cléopâtre, il y a donc peut-être
Fulvie.

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206 J.-Y. MALEUVRE

poème : v. 13-6). Grâce à son ha


sûr, celui de la victime), la guerr
Nisi rapta fuisset Tyndaris,
Mais rien n'empêchera jama
l'inverse :
Nisi rapta fuisset Tyndaris, pax foret.
En la personne de Virgile, c'est la Paix incarnée que l'on a tuée
pour lui substituer un semblant d'ordre, une grimaçante caricature que
Tacite allait bientôt flétrir du nom de "paix ensanglantée", pax cruenta
{Ann., I, 10, 3)78.

13, rue Fabre d'Églcmtine Jean- Yves MALEUVRE


F-94120 Fontenay-sous-Bois
France

Dans un article fraîchement paru in Latomus 54 (1995) 298-304, J.-L.


DESNIER, à la suite de H. MATTINGLY, a eu l'heureuse idée d'interpréter en relation
avec la mort de Virgile un denier émis par M. Durmius au lendemain de cet
événement et qui représente un crabe enserrant un papillon. Discret hommage, comme
il le pense, rendu par le prince à son chantre disparu, ou suprême sarcasme de
l'assassin à l'adresse de la victime (cf. Le Moucheron d'Octave , dans R.B.Ph., 76
[1998])?

78 Faut-il attribuer au hasard l'écho pointé de meis ... actis, 15 à Caesaris acta, III, 12»
15. ou encore la séquence uer ... coesa ui au seuil de II, 11 ?

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