Historia de la iglesia en América Latina : medio milenio de
coloniaje y liberación (1492-1992)
DUSSEL Enrique, Historia de la iglesia en América Latina : medio milenio de coloniaje y liberación (1492-1992), Madrid, Mundo Negro-Esquila Misional, 1992, 6ta édition, pp. 361- 369.
2. Sur la naissance de la théologie latino-américaine
La "naissance" de la théologie latino-américaine se prépare ces derniers temps. Tout d'abord,
grâce à l'étude de nombreux professeurs de séminaires et facultés de théologie d'Amérique latine en Europe. L'inconvénient de cette étape était l'impossibilité de se connecter continuellement entre les penseurs, ce qui les réduisait à ne pouvoir "répéter" que ce qui était étudié à l'extérieur (une théologie abstraite même si elle venait d'Innsbruck ou de Paris). La deuxième étape commence lorsque les cours sont organisés sous la direction unificatrice et universalisante du CELAM, et qui oblige les enseignants à prendre en compte l'ensemble du continent. Pas une théologie latino-américaine ne commence à prendre forme, mais au moins la théologie abstraite commence son passage au concret en découvrant le niveau, désormais réel, de l'Amérique latine. La troisième étape, ou la "naissance" de la théologie, non pas "en" Amérique latine ni "sur" les enjeux sociographiques latino-américains, mais la théologie "latino-américaine", ne survient que lorsqu'un moment ontologique jusque-là caché : la relation politique de l'homme à l'homme dans toutes ses possibilités : père-fils, homme-femme, frère-frère ou seigneur- esclave (relation dominée par le dominateur) : la relation politique. La prise de conscience de la théologie de l'appartenance à une culture opprimée n'était pas immédiate. C'est-à-dire que l'Église a découvert, de manière critique, l'impossibilité d'ignorer cette dialectique de «dominateur / opprimé» et, petit à petit, elle regarde avec de meilleurs yeux (de conservatrice elle devient libérale, au Concile, franchement développementaliste après, pour enfin s'ouvrir à la posture de libération) la marche d'un nouveau peuple. Le thème de la libération est proprement biblique (par exemple Ex 3: 7-8; Lc 21:28) et traverse toute la tradition chrétienne. À l'école de Tübingen, c'était une matière préférée et c'est donc un moment essentiel de la gnose hégélienne : "Befreiung". L'investissement marxiste lui donne le sentiment de « libération du prolétariat ». Le FLN algérien lui donnera un sens national anti-impérial ; "Libération" déjà explicitement thématisée par Frantz Fanon dans son œuvre Les damnés de la terre. Pour sa part, entre autres, Herbert Marcuse traite la question philosophiquement. En Amérique latine, la notion a commencé à être utilisée depuis 1964, mais sans prendre conscience de sa pleine signification politique. Paulo Freire et le MEB brésilien l'utilisent comme fondement de la méthode : la conscientisation est corrélative à la libération ; pédagogiquement, c'est une « éducation libératrice » ou « une éducation en tant que pratique de la liberté ». Lorsque le « Message des évêques du tiers monde » (1966) et Medellín (1968) utilisent la notion et le terme dans son sens politique (libération de la structure de domination néocoloniale), la question se pose définitivement. Peu de temps après, l'épiscopat chilien l'utilise dans ses documents, et il devient général. La théologie, en pensant thématiquement, vient après l'engagement prophétique, la pratique existentielle. Gustavo Gutiérrez, du Pérou, écrit pour le "Service de documentation" JECI (Montevideo) son travail sur "Vers une théologie de la libération" (1969), où "l'idée de développement" est critiquée et la commodité de la notion théologique et politique de «libération». Gutiérrez cite les œuvres de Falleto, Dos Santos, Sunkel, Arroyo et Salazar Bondy (tous de 1968) où la structure, à différents niveaux, de la domination-dépendance est montrée; maintenant il l'applique à la théologie. « Toute théologie implique, en quelque sorte, une politique » ; en fait, dans l'Église catholique elle-même, il existe une « domination des Églises locales riches sur les pauvres » (METHOL, 1969) L’évêque Pironio à Marycknoll dit : "Notre mission, comme celle du Christ, consiste à donner la bonne nouvelle aux pauvres, à proclamer la libération des opprimés ...". La question a donc déjà pris une lettre de citoyenneté et il faut compter. Il convient de souligner que la "théologie de la libération" met en lumière le politique d'une manière différente de celle de la "théologie politique" européenne. "Le politique" en Europe de la théologie est la prise en compte du social du dogme (un peu dans la lignée du catholicisme de De Lubac) plus la dialectique libératrice critique, au niveau national, du monde de l'Église. La théologie de la libération radicalise ontologiquement le politique et transforme la théologie en une pensée concrète, critique, subversive et réelle.