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19/11/2020 «Mélenchon a brisé la petite musique de l’union de la gauche»

«Mélenchon a brisé la petite musique de


l’union de la gauche»
FIGAROVOX/TRIBUNE - L’annonce de la candidature du chef de La
France Insoumise coupe notamment l’herbe sous le pied d’Arnaud
Montebourg, analyse Hadrien Mathoux. Selon le journaliste de
Marianne, la démarche de Jean-Luc Mélenchon est paradoxale,
puisqu’il convoque une stratégie gaullienne... tout en voulant abolir
les institutions de la Ve République.

Par Hadrien Mathoux


Publié le 10 novembre 2020 à 13:03, mis à jour le 10 novembre 2020 à 13:03

Le chef de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon. THOMAS SAMSON/AFP

Hadrien Mathoux est journaliste politique à Marianne. Il est chargé du


suivi de la gauche et notamment de La France insoumise. Il publie
Mélenchon: la chute, Comment La France insoumise s’est effondrée,
aux éditions du Rocher.

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19/11/2020 «Mélenchon a brisé la petite musique de l’union de la gauche»

Aggravation de la situation sanitaire conduisant à un reconfinement,


série d’attentats islamistes sur le sol français, crise économique et
sociale d’ampleur: le moment paraissait peu propice pour une
déclaration de candidature à l’élection présidentielle. Et pourtant,
Jean-Luc Mélenchon a décidé de se lancer, ce dimanche 8 novembre
au journal de 20 heures de TF1, en sollicitant «l’investiture populaire»
de 150 000 citoyens par le biais d’une plateforme numérique ad hoc.
À première vue, le timing de son annonce, ainsi que la forme choisie,
interpellent.

Commençons par analyser le moment choisi. Certes, au milieu des


troubles effrayants que traverse notre pays, il peut paraître incongru
d’officialiser ses ambitions de pouvoir présidentiel. Mais Jean-Luc
Mélenchon a déjà retardé son annonce, qui devait intervenir au cours
du mois d’octobre. Il y a quelques semaines, l’annonce d’un nouveau
confinement, puis la multiplication de drames (assassinat du
professeur Samuel Paty, attaque au couteau dans la basilique Notre-
Dame de Nice) l’avaient contrait à reporter. Dispose-t-on d’indices
permettant d’anticiper une amélioration sensible de la situation à
court terme?

Raisonnablement, Mélenchon parie que non, et présente sa


candidature comme la volonté d’aider les Français qui le souhaitent à
cesser de se morfondre de la meilleure façon qui soit: en parlant
politique. «Quand tout va mal et que ça semble être une nuit noire pour
beaucoup de gens qui ne trouvent pas leur compte dans la brutalité de
cette société, il faut allumer une lumière pour qu’on se dise qu’il y a un
bout au tunnel, qu’on peut faire autrement, justifie Mélenchon. Mon
intention est d’aider à déconfiner les esprits et à nouveau à se projeter
sur l’avenir.»

Le député insoumis est un homme du temps long: lorsqu’un


journaliste l’interroge au sujet d’un enjeu politicien, il aime à prendre
du recul et replacer la question sur une perspective plus large. Les
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idées qu’il défend — révolution citoyenne, planification écologique,


lutte radicale contre le néolibéralisme imposé par les traités
européens — ont infusé longuement avant de s’imposer à la majeure
partie de sa famille politique. Lors de la précédente élection
présidentielle, Jean-Luc Mélenchon s’était déjà déclaré candidat très
tôt, en février 2016. Ce délai lui avait permis de développer
patiemment ses thèmes, menant une campagne bien plus axée sur le
fond que ses principaux concurrents.

Mélenchon a brisé la petite musique de « l’union


de la gauche », qui avait toutes les chances de se
produire à son détriment

Bien sûr, cette année, son empressement à se présenter comporte


aussi des justifications politiciennes: Mélenchon a brisé la petite
musique de «l’union de la gauche», qui avait toutes les chances de se
produire à son détriment (et sans lui!), en rappelant sa centralité ; et
il tente de couper l’herbe sous le pied d’Arnaud Montebourg, dont les
Insoumis ont bien conscience qu’il pourrait mettre en danger les
chances de leur champion.

Autre élément d’interrogation: cette plateforme, «Nous sommes


pour», sollicitant le suffrage de 150.000 personnes sur Internet. «Je
serai candidat définitivement si et seulement si j’ai recueilli 150.000
signatures de parrainage, explique Mélenchon. A ce moment-là, je me
sentirai investi par le peuple.» L’auditeur attentif du tribun aura
probablement relevé une contradiction apparente: le candidat ne
cesse de le répéter, son objectif est «d’abolir la monarchie
présidentielle». N’est-il pas curieux, pour le chantre d’une VIe

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19/11/2020 «Mélenchon a brisé la petite musique de l’union de la gauche»

République, de parler à ce point un langage gaullien, en installant un


dialogue direct entre sa personne et le peuple français, surplombant
les partis et les corps intermédiaires?

On touche effectivement en partie à un des paradoxes de Jean-Luc


Mélenchon. S’inscrivant dans la tradition de la gauche, l’ancien
sénateur socialiste est un contempteur des institutions de la Ve, de la
concentration des pouvoirs sur l’exécutif et de la focalisation jugée
excessive de la vie politique sur l’élection présidentielle. Mais en
adepte du populisme venu d’Amérique latine, il maîtrise comme peu
d’autres les codes de ce scrutin fondamental et a tout à fait
conscience — au contraire de nombre de ses camarades — que pour
appliquer ses idées politiques en France, il est pour l’instant
nécessaire de se plier au jeu de la Ve, lequel implique une forte
personnalisation.

Dans le cas (improbable) où il serait élu président, Jean-Luc


Mélenchon enclencherait cependant la transition vers une VIe
République, laquelle supprimerait certainement la fonction pour
laquelle les Français l’auraient choisi. Certains ont le gaullisme pour
mystique ; les Insoumis, eux, convoquent le souvenir de la «Grande
révolution» de 1789, le moment où la France se constitue en nation
politique.

Mélenchon compte ainsi injecter une bonne dose


de démocratie directe en France, en faisant
adopter le Référendum d’Initiative Citoyenne
cher aux gilets jaunes

Ils en tirent l’idée maîtresse qu’on ne peut changer la société qu’en


modifiant les «règles du jeu», à savoir la constitution. À la victoire de
Mélenchon, le «moment destituant», devrait succéder un «moment
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constituant»: les Français voteraient pour élire les députés d’une


Assemblée chargée de rédiger une nouvelle constitution pour la
France, laquelle serait soumise à un référendum.

Dans son programme, la France insoumise ne détaille pas les


institutions qu’elle souhaiterait mettre en place, mais livre quelques
indications et notamment deux idées principales: un rééquilibrage
des pouvoirs en faveur du Parlement, relativement classique à
gauche, mais également la volonté d’instaurer une «République
permettant l’intervention populaire», ce qui constitue un apport du
populisme.

Jean-Luc Mélenchon compte ainsi injecter une bonne dose de


démocratie directe en France, en faisant adopter le référendum
d’initiative citoyenne (RIC) cher aux gilets jaunes, et en encourageant
par divers moyens la participation des citoyens à l’élaboration des
décisions politiques.

En intégrant cet attachement à l’intervention populaire, on comprend


pourquoi Jean-Luc Mélenchon peut solliciter une investiture
citoyenne (préférée au système de parrainage par des «grands
électeurs») tout en pourfendant la focalisation des pouvoirs sur le
président. «Bien sûr, ce n’est pas un homme qu’on investit seulement,
ça n’aurait pas de sens, rappelle-t-il en outre. C’est un programme, c’est
l’Avenir en commun, tout le monde le connaît.»

Le chiffre de 150.000 signatures apparaît faible


pour susciter un élan massif en faveur d’un
candidat ayant obtenu plus de 7 millions de voix
en 2017

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Il convient toutefois de souligner quelques limites de sa démarche:


même s’il est tiré des propositions de la commission Jospin de 2012, le
chiffre de 150.000 signatures apparaît faible pour susciter un élan
massif en faveur d’un candidat ayant obtenu plus de 7 millions de
voix en 2017. De plus, la plateforme mise en place par les Insoumis ne
comporte pas le moindre contrôle sérieux d’identité, ouvrant la voie à
des fraudes qui entacheraient la crédibilité du processus.

Enfin, certains argueront qu’au vu de la structure extrêmement


verticale de la France insoumise, «mouvement gazeux» dépourvu de
contre-pouvoirs internes dans lesquels le chef prend toutes les
décisions importantes, il est délicat pour Jean-Luc Mélenchon de
donner des leçons de démocratie.

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